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Date : 20061110

 

Dossier : T-254-06

 

Référence : 2006 CF 1366

 

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006

 

En présence de monsieur le juge James Russell

 

ENTRE :

 

 

DOUGLAS JONES

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le tribunal de révision régissant le Régime de pension du Canada et la Sécurité de la vieillesse (le tribunal) le 8 novembre 2005, dans laquelle le tribunal refusait de rouvrir la décision du tribunal de révision rendue le 17 septembre 1996 (l’audience avait eu lieu le 10 juin 1996) au motif que le demandeur n’avait pas présenté de faits nouveaux.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, Douglas Jones, a 66 ans. Il habite avec sa femme, Marlene Jones, à Aldergrove (Colombie-Britannique). Il travaillait comme outilleur-ajusteur pour Solkan Enterprises Ltd. Sa période de cotisation au Régime de pensions du Canada (RPC) a débuté en janvier 1966 et s’est terminée en 1985.

 

[3]               Le 20 mai 1987, le demandeur a présenté sa première demande de prestations d’invalidité du RPC, qui a été rejetée le 23 juin 1987. Le demandeur n’a pas interjeté appel.

 

[4]               Le 14 décembre 1994, le demandeur a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité du RPC. Le 2 février 1995, cette demande a aussi été rejetée. Cependant, le demandeur a interjeté appel auprès du ministre de l’Emploi et de l’Immigration (le ministre).

 

[5]               Le 20 décembre 1995, le ministre a rejeté l’appel du demandeur au motif qu’il n’était pas invalide en décembre 1989.

 

[6]               Le demandeur a porté la décision du ministre en appel devant le tribunal de révision. Le 10 juin 1996, une audience a eu lieu à Surrey (Colombie-Britannique). La preuve médicale qui a été présentée au tribunal de révision était constituée de :

a)      un rapport médical daté du 12 décembre 1994 du Dr W. Urton, podiatre;

b)      un rapport médical daté du 29 septembre 1995 du Dr D. Clunas, le médecin de famille du demandeur, qui résumait le traitement dispensé au demandeur du 9 mars 1989 au 18 juillet 1995;

c)      un rapport médical daté du 9 avril 1996 du Dr Clunas.

 

[7]               Dans une décision rendue le 17 septembre 1996, le tribunal de révision a rejeté l’appel du demandeur qui avait été entendu le 10 juin 1996. Le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission d’appel des pensions.

 

[8]               Le 27 juillet 2001, le demandeur a présenté une troisième demande de prestations d’invalidité du RPC. Dans une lettre datée du 30 juillet 2001, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a rejeté sa demande au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en matière de cotisation pour la demande en cours. Le demandeur n’a pas demandé la révision de cette décision.

 

[9]               Le 17 septembre 2003, le demandeur a présenté une quatrième demande de prestations d’invalidité du RPC. Dans une lettre datée du 21 janvier 2004, DRHC a rejeté cette demande au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en matière de cotisation pour la demande en cours. Le demandeur n’a pas demandé la révision de cette décision.

 

[10]           En mai 2005, le demandeur a présenté une demande au Bureau du commissaire des tribunaux de révision pour faire rouvrir la décision du tribunal de révision du 17 septembre 1996, en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le Régime).

 

[11]           Le demandeur a présenté cinq nouveaux documents dans sa demande de réouverture :

 

1)                  un certificat médical du Dr M. O’Brien au Dr Clunas daté du 29 mai 1987;

2)                  les notes d’évolution du Dr Clunas couvrant la période du 23 septembre 1986 au 25 novembre 2000;

3)                  un certificat médical du Dr Morgan, le nouveau médecin de famille du demandeur après le départ à la retraire du Dr Clunas, daté du 9 septembre 2004;

4)                  un billet du Dr Morgan daté du 6 mai 2005;

5)                  une lettre de Marlene Jones, l’épouse du demandeur, datée du 13 mai 2005, qui avait été envoyée au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision.

 

[12]           L’audience devant le tribunal a eu lieu le 18 août 2005 à Surrey (Colombie-Britannique) et les témoignages du demandeur et de Marlene Jones ont été entendus.

 

[13]           Le 8 novembre 2005, le tribunal a rejeté la demande de réouverture du demandeur par une décision prise à la majorité de deux voix contre une.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[14]           La majorité des membres du tribunal (la majorité) a conclu que les trois derniers documents énumérés au paragraphe 11 ci-dessus (numéros 3, 4 et 5) avaient été préparés après l’audience et qu’ils n’avaient donc pas pu offrir de renseignements au sujet de l’état de santé du demandeur au cours de la période pertinente, soit la période précédant sa période minimale d’admissibilité prenant fin le 31 décembre 1989. Bien que les documents 1 et 2 soient antérieurs à l’audience du 10 juin 1996, la majorité a conclu qu’ils ne satisfaisaient pas au premier volet du critère de faits nouveaux parce qu’ils auraient pu être découverts avant la tenue de la première audience si on avait fait preuve de diligence raisonnable.

 

[15]           La majorité a aussi conclu que les documents 1 et 2 ne satisfaisaient pas au deuxième volet du critère des faits nouveaux. Elle a conclu que les renseignements dans ces documents étaient semblables à ceux qui avaient déjà été présentés au tribunal de révision. Par conséquent, la majorité a conclu qu’il était peu probable que ces documents, s’ils étaient admis en preuve, amènent le tribunal à changer sa première décision. La majorité a donc rejeté la demande du demandeur de rouvrir la décision du tribunal de révision.

 

[16]           Le membre minoritaire du tribunal (la minorité) était d’accord avec la majorité que les trois derniers documents (numéros 3, 4 et 5) avaient été préparés après l’audience et qu’ils ne pouvaient donc pas offrir de renseignements au sujet de l’état de santé du demandeur au cours de la période pertinente, soit la période précédant sa période minimale d’admissibilité prenant fin le 31 décembre 1989.

 

[17]           Cependant, la minorité a conclu que les documents 1 et 2 n’auraient pas pu être découverts au moment où la première audience devant le tribunal de révision a eu lieu. Elle a conclu que le demandeur n’était pas au courant de l’existence de la lettre du Dr O’Brien (document 1). Elle a aussi conclu que le demandeur n’avait pas accès aux notes d’évolution du Dr Clunas (document 2) et qu’il n’avait aucune connaissance de ce que le Dr Clunas avait inscrit dans son rapport (document 2). Par conséquent, la minorité a conclu que les documents 1 et 2 satisfaisaient au premier volet du critère de faits nouveaux.

 

[18]           De plus, la minorité a conclu que les documents 1 et 2 satisfaisaient au deuxième volet du critère de faits nouveaux. Elle a noté que les notes d’évolution du Dr Clunas attestaient que le diagnostic de neuropathie périphérique diabétique avait été établi aussi tôt que le 4 décembre 1986. Elle a aussi noté que les notes révélaient qu’un diagnostic pour le demandeur avait été émis dès décembre 1986. De plus, la lettre du Dr O’Brien laisse entendre qu’il était d’avis que le demandeur devrait avoir droit à des prestations d’invalidité si sa neuropathie se poursuivait. Par conséquent, la minorité a conclu que ces deux documents apporteraient des précisions sur l’état de santé du demandeur d’avant 1989, état au sujet duquel le premier tribunal de révision n’avait pas assez de renseignements lors de l’audience. La minorité a donc conclu qu’avec ces documents, il était probable que le tribunal de révision d’alors aurait rendu une décision différente.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

 

[19]           Les parties ont soulevé les questions suivantes :

a)      La majorité a-t-elle commis une erreur en concluant que les documents 1 et 2 auraient pu être découverts avant la tenue de l’audience si on avait fait preuve de diligence raisonnable?

b)      La majorité a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était très peu probable que les documents 1 et 2 auraient mené le tribunal de révision à changer sa première décision?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

 

[20]           Les dispositions pertinentes du Régime de pensions du Canada (le Régime) sont les suivantes :

 

84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant :

 

84. (1) A Review Tribunal and the Pension Appeals Board have authority to determine any question of law or fact as to

 

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

 

(a) whether any benefit is payable to a person,

 

b) le montant de cette prestation;

 

(b) the amount of any such benefit,

 

c) la question de savoir si une personne est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

 

(c) whether any person is eligible for a division of unadjusted pensionable earnings,

 

d) le montant de ce partage;

 

(d) the amount of that division,

 

e) la question de savoir si une personne est admissible à bénéficier de la cession de la pension de retraite d’un cotisant;

 

(e) whether any person is eligible for an assignment of a contributor’s retirement pension, or

 

f) le montant de cette cession.

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d’appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l’application de la présente loi.

 

(f) the amount of that assignment,

and the decision of a Review Tribunal, except as provided in this Act, or the decision of the Pension Appeals Board, except for judicial review under the Federal Courts Act, as the case may be, is final and binding for all purposes of this Act.

 

2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

 

(2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

 

[21]           La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont déclaré à maintes reprises que la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions d’un tribunal de révision prises en vertu du paragraphe 84(2) du Régime. Dans Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (2005), 340 N.R. 290, 2005 CAF 293, le juge Sexton a conclu au paragraphe 12 que les questions du caractère substantiel et de la diligence raisonnable sont des questions mixtes de droit et de fait qui sont fortement axées sur les faits, alors que la question de la possibilité de découvrir les faits est une question de fait. Le juge Sexton a conclu que la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable aux deux types de questions. Voir aussi Arthurs c. Canada (Ministre du Développement social), 2006 CF 1107, au paragraphe 33, Ezerzer c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2006 CF 812, au paragraphe 14, et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Patricio, 2004 CAF 409, au paragraphe 1.

 

[22]           Deux questions distinctes font partie de l’analyse en l’espèce. Comme je l’ai mentionné, le juge Sexton a récemment examiné la nature de ces questions en rapport avec la disposition en cause et a conclu que la question du caractère substantiel soulève une question mixte de droit et de fait fortement axée sur les faits et que la question de la possibilité de découvrir les faits est une question de fait. Dans les deux cas, l’analyse montre qu’il convient de faire preuve de déférence.

 

LES ARGUMENTS

 

 

Le demandeur

 

Première question

 

 

[23]           Le demandeur soutient que les documents 1 et 2 n’auraient pas pu être découverts avant l’audience du 10 juin 1996 avec l’exercice d’une diligence raisonnable. Il allègue que la majorité a commis une erreur en supposant qu’il aurait eu connaissance des rapports d’évolution du Dr Clunas et de la lettre du Dr O’Brien parce que sa femme, Marlene Jones, était une infirmière autorisée. Il soutient qu’aucune preuve n’indique que sa femme savait qu’il y avait des documents dans le dossier du Dr Clunas qui pouvaient être utiles pour l’appel.

 

[24]           Le demandeur soutient que la majorité a aussi commis une erreur en concluant qu’il aurait pu avoir accès aux notes du Dr O’Brien n’importe quand avant la première audience. Il allègue qu’aucune preuve n’appuie la conclusion de la majorité. De plus, il fait valoir qu’il n’y a aucune preuve attestant que le Dr Clunas avait offert de lui fournir ses notes.

 

[25]           Le demandeur allègue que la majorité a commis une erreur en concluant qu’il avait choisi de ne pas obtenir les notes d’évolution du Dr Clunas. Il soutient que la preuve ne donne aucunement à penser que le Dr Clunas l’aurait laissé voir ces notes même s’il l’avait demandé.

 

[26]           Le demandeur soutient que la majorité a commis une erreur en concluant que s’il avait été capable de récupérer les notes du Dr Clunas que le Dr Morgan avait en sa possession, alors sa femme aurait été capable de récupérer ces notes auprès du Dr Clunas avant la première audience. Il allègue qu’aucune preuve ne permet de croire que sa femme aurait récupéré, ou aurait pu récupérer, les notes d’évolution du Dr Clunas auprès du Dr Morgan. Il note que le Dr Morgan a trouvé la lettre du Dr O’Brien alors qu’il faisait des recherches dans les vieux dossiers médicaux du Dr Clunas en 2004.

 

[27]           Finalement, le demandeur soutient que la majorité a commis une erreur en concluant que s’il avait fait des recherches dans les dossiers du Dr Clunas, il aurait découvert la lettre du Dr O’Brien. Il note qu’il n’avait pas accès aux dossiers du Dr Clunas en 1996. Par conséquent, il fait valoir qu’il n’aurait pas pu découvrir la lettre du Dr O’Brien.

 

Deuxième question

 

[28]           Le demandeur soutient que la majorité a commis une erreur en concluant qu’il était très peu probable que les documents 1 et 2 auraient mené le tribunal de révision à changer sa première décision. Il allègue que bien que le tribunal de révision eût généralement connaissance des complications diabétiques dont il souffrait, le tribunal a rejeté l’appel parce qu’il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de témoignages de médecins experts au sujet de son état de santé en décembre 1989.

 

[29]           De plus, il soutient que si le tribunal de révision lui avait posé des questions au sujet des signes et des symptômes de sa maladie au cours de l’audience de 1996, ses réponses auraient porté sur les signes et les symptômes de sa maladie en 1996, et non sur son état de santé en décembre 1989.

 

[30]           Le demandeur fait valoir aussi que le rapport médical du Dr Clunas du 29 septembre 1995 présentait des renseignements au sujet des années ultérieures, mais qu’il ne donnait pas de détails pertinents se rapportant à décembre 1989 et à la période antérieure. D’un autre côté, les notes d’évolution du Dr Clunas de septembre 1986 présentaient des renseignements importants au sujet de l’état de santé du demandeur jusqu’à décembre 1989.

 

[31]           De plus, le demandeur note que le dossier de consultation du Dr O’Brien, daté du 26 septembre 1986, qui était annexé au document 1 et qui a été traité comme faisant partie de ce document, constitue la première preuve médicale du fait qu’il souffrait de diabète et la première preuve du développement de sa neuropathie périphérique diabétique.

 

[32]           Par conséquent, le demandeur soutient que la majorité a commis une erreur en concluant qu’il était très peu probable que les documents 1 et 2 auraient mené le tribunal de révision à changer sa première décision.

 

Le défendeur

 

Première question

 

[33]           Le défendeur soutient que le demandeur aurait pu découvrir les documents 1 et 2 avant la première audience. Si le Dr Morgan a été en mesure d’obtenir les notes d’évolution du Dr Clunas et la lettre du Dr O’Brien simplement en les demandant, alors le demandeur aurait pu les obtenir de la même façon. De plus, le défendeur soutient que Marlene Jones a témoigné devant le tribunal qu’elle avait aidé le demandeur à se soigner et à se présenter aux visites chez le médecin. Par conséquent, le défendeur fait valoir que le demandeur aurait pu découvrir ces documents s’il avait fait preuve d’une diligence raisonnable. Le demandeur ne satisfait donc pas au premier volet du critère de faits nouveaux.

 

Deuxième question

 

[34]           Le défendeur soutient qu’il était très peu probable que les documents 1 et 2 mèneraient le tribunal de révision à changer sa première décision. Les preuves qui ont été présentées au tribunal de révision et au tribunal étaient essentiellement les mêmes, y compris en ce qui concerne diagnostic et le traitement du demandeur.

 

ANALYSE

 

[35]           La question que la Cour doit trancher en l’espèce est de savoir si la majorité du tribunal a commis une erreur susceptible de révision en concluant que la lettre du Dr O’Brien du 29 mai 1987 et les notes d’évolution du Dr Clunas pour la période du 23 septembre 1986 au 25 novembre 2000 n’étaient pas des « faits nouveaux » au sens du paragraphe 84(2) du Régime.

 

[36]           La Cour d’appel fédérale a récemment donné des indications générales au sujet du critère des faits nouveaux dans l’arrêt Kent c. Canada (Procureur général) (2004), 248 D.L.R. (4th) 12, 2004 CAF 420, dans lequel la juge Sharlow, au nom de la Cour unanime, a déclaré aux paragraphes 33 à 36 :

La jurisprudence de la Cour a établi un double critère pour la question de savoir s’il y a ou non des faits nouveaux. D’abord, il faut que les faits nouveaux avancés n’aient pu être découverts, malgré une diligence raisonnable, avant la première audience. Deuxièmement, les faits nouveaux proposés doivent être « substantiels » : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Macdonald, 2002 CAF 48.

 

La question de savoir si un fait pouvait être découvert moyennant une diligence raisonnable est une question de fait. La question du caractère substantiel est une question mixte de droit et de fait, en ce sens qu’elle requiert une évaluation provisoire de l’importance des présumés faits nouveaux pour le fond de la demande de pension d’invalidité. La décision rendue par la Commission d’appel des pensions dans l’affaire Suvajac c. Ministre du Développement des ressources humaines (appel CP 20069, 17 juin 2002) adopte le critère exposé dans l’arrêt Dormuth c. Untereiner, [1964] R.C.S. 122. Selon ce critère, les preuves nouvelles doivent être pour ainsi dire déterminantes. Ce critère n’est pas aussi rigoureux qu’il peut le paraître. Les preuves nouvelles sont considérées comme des preuves pour ainsi dire déterminantes si l’on peut raisonnablement croire qu’elles auraient modifié l’issue de la procédure antérieure : BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (C.A.), [2003] 1 C.F. 475. Ainsi, pour l’application du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, les faits nouveaux qui sont avancés sont substantiels si l’on peut raisonnablement croire qu’ils auraient conduit à une décision autre.

 

Dans une demande de réexamen d’une décision se rapportant au droit à des prestations selon le Régime de pensions du Canada, le critère permettant de dire s’il y a ou non des faits nouveaux devrait être appliqué d’une manière qui soit suffisamment souple pour mettre en équilibre d’une part l’intérêt légitime du ministre dans le caractère définitif des décisions et la nécessité d’encourager les requérants à mettre toutes leurs cartes sur la table dès que cela leur est raisonnablement possible et, d’autre part, l’intérêt légitime des requérants, qui sont en général autoreprésentés, à ce que leurs réclamations soient évaluées au fond, et d’une manière équitable. Selon moi, ces considérations requièrent en général une approche libérale et généreuse lorsqu’on se demande s’il y a eu diligence raisonnable et si les faits nouveaux sont de nature substantielle. C’est ce qu’écrivait le juge en chef Isaac, au paragraphe 27 de l’arrêt Villani (susmentionné) :

 

[27] Au Canada, les tribunaux ont été particulièrement soucieux de donner une interprétation libérale à ces prétendues « lois sociales ». Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême a insisté sur le fait que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur.

 

Pour la plupart des états invalidants, il est raisonnable d’espérer que le requérant présentera un portrait complet de son invalidité dès la première demande, ou dès un premier appel au tribunal de révision ou à la Commission d’appel des pensions. Cependant, il est des cas d’invalidité, par exemple ceux qui résultent d’affections physiques et mentales, qui ne sont pas bien compris des médecins, et qui doivent être évalués à la faveur d’une compréhension progressive de l’état du patient, des traitements appliqués et du pronostic émis. Il est particulièrement important, dans ces cas, de s’assurer que la règle des faits nouveaux n’est pas appliquée d’une manière indûment rigide, qui priverait un requérant du droit à ce que sa réclamation soit évaluée au fond, d’une manière équitable.

 

 

[37]           Les parties ne s’entendent pas au sujet de la norme de contrôle applicable en l’espèce. Cependant, après avoir examiné la décision attentivement en fonction des faits, je suis d’avis que la demande doit être accueillie même si la décision manifestement déraisonnable ou la norme énoncée à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, est appliquée aux deux volets du critère de faits nouveaux.

 

[38]           En ce qui a trait aux questions de la possibilité de découvrir les faits et de la diligence raisonnable, je suis du même avis que le demandeur et Mme Marie-Claude Bélanger-Richard, qui présidait le tribunal et qui a rendu un jugement dissident. Les conclusions de la majorité du tribunal, selon lesquelles les documents 1 et 2 ne constituaient pas des « faits nouveaux » parce que le demandeur aurait raisonnablement pu les découvrir avant la première audience, sont entièrement fondées sur des suppositions et des conclusions et présomptions de faits qui n’étaient pas étayées par la preuve et qui étaient manifestement déraisonnables. Elles sont présentées en détail dans les documents du demandeur et il n’est pas nécessaire que je les répète en l’espèce. Au fond, le demandeur n’avait aucune raison de croire que le rapport médical du Dr Clunas présenté devant le tribunal original était incomplet. Rien ne porte non plus à croire que le demandeur aurait pu avoir accès aux documents en question en faisant preuve de diligence raisonnable.

 

[39]           En ce qui a trait au caractère substantiel et au deuxième volet du critère des faits nouveaux, je suis d’accord avec le demandeur qu’un examen de la décision du premier tribunal révèle qu’il a été conclu que « de tels renseignements ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour confirmer que l’appelant était invalide au sens de la loi en date du mois de décembre 1989, ce qui s’avère pourtant essentiel dans le cadre de cet appel ». À mon avis, dans son jugement dissident, Mme Bélanger-Richard a présenté l’interprétation correcte du caractère substantiel des documents 1 et 2 et il était manifestement déraisonnable que la majorité rende une conclusion différente. Il est raisonnable de croire que les documents 1 et 2 auraient pu porter le tribunal de révision à changer sa première décision. Une fois de plus, les motifs justifiant cette conclusion sont énoncés dans les documents du demandeur de façon assez détaillée et j’adopte le raisonnement et les conclusions du demandeur à ce sujet.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée. La demande de prestations d’invalidité du demandeur est renvoyée devant une nouvelle formation du tribunal de révision pour nouvelle audience. La demande du demandeur doit être entendue sur le fond de novo en fonction de toute la preuve, y compris les nouveaux faits présentés dans les documents 1 et 2 auxquels le demandeur renvoie dans sa demande de contrôle judiciaire.

 

2.                  Les parties ont la liberté de s’adresser à la Cour pour la question des dépens.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-254-06

 

 

INTITULÉ :                                       DOUGLAS JONES c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 SEPTEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William J. Andrews                                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Bertrand                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

William J. Andrews

Avocat                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Ottawa (Ontario)

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