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Date : 20061005

Dossier : IMM-7501-05

Référence : 2006 CF 1185

Toronto (Ontario), le 5 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

SAYYED MOHAMMAD BIN ABDULLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Sayyed Mohammad bin Abdullah a présenté une demande en vue d’obtenir le statut de résident permanent au Canada en tant que travailleur qualifié. Une agente des visas a refusé sa demande parce qu’il n’avait pas obtenu un nombre suffisant de points lors de son évaluation en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la loi qui a précédé, à savoir la Loi sur l’immigration.

 

[2]               La seule question en litige dans la présente affaire concerne l’appréciation des qualités personnelles de M. bin Abdullah par l’agente des visas, suivant la grille d’évaluation de Loi sur l’immigration.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis que l’agente a commis une erreur en ne fournissant aucun motif opportun à l’appui de son évaluation. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Contexte

[4]               La demande présentée par M. bin Abdullah en vue d’obtenir le statut de résident permanent au Canada s’articulait autour de son expérience de travail en tant qu’ingénieur en structure. Compte tenu de la date de sa demande, elle a été évaluée tant sous le régime de la Loi de l’immigration et de la protection des réfugiés et que sous celui de la Loi sur l’immigration.

 

[5]               Suivant la grille d’évaluation de la Loi sur l’immigration, M. bin Abdullah s’est vu accorder 63 points. Il avait besoin d’au moins 67 points pour avoir droit à un visa.

 

[6]               Dans sa demande, M. bin Abdullah a fourni à l’agente des lettres de recommandation de plusieurs employeurs. Au cours de l’entrevue, l’agente a remarqué que le texte de chacune des lettres était très semblable. M. bin Abdullah a de toute évidence informé l'agente qu'il avait lui‑même rédigé ces lettres et qu'il avait ensuite fait signer par ses anciens employeurs les lettres qu’il avait préparées pour chacun d’eux.

 

[7]               Il n’a jamais été insinué que les lettres de recommandation étaient frauduleuses. Cela dit, il était indiqué dans les notes du système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) que l’agente a demandé à M. bin Abdullah de fournir de nouvelles lettres de recommandation préparées par les signataires.

 

[8]               Malgré des demandes répétées en vue d’obtenir de nouvelles lettes de recommandation, M. bin Abdullah n’en a jamais fourni d’autres. Néanmoins, l’agente semble avoir accepté le contenu des lettres sans réserve puisqu’elle a accordé 15 points, sur les 15 points possibles, pour l'expérience professionnelle du demandeur.

 

[9]               L’agente a ensuite accordé à M. bin Abdullah deux points sur une possibilité de dix pour la personnalité. Le STIDI ne contient aucune explication relativement à cette note. Toutefois, dans l'affidavit qu’elle a souscrit, l’agente a expliqué qu’elle lui avait donné cette note parce qu’il avait rédigé lui‑même les lettres de recommandation et qu’il a admis ce fait seulement après qu’elle eut attiré son attention sur la similarité des lettres.

 

[10]           L'agente a de plus expliqué dans son affidavit que M. bin Abdullah ne semblait pas comprendre l’importance des recommandations ni l’impression qu’elles pouvaient créer dans l’esprit des employeurs potentiels au Canada. Aux yeux de l’agente, la présentation des lettres qu’il avait lui‑même rédigées reflétait les difficultés que M. bin Abdullah éprouverait pour s’établir dans le marché du travail canadien.

 

 

Analyse

[11]           La question en litige que soulève la présente instance consiste à se demander si les motifs fournis par l'agente des visas dans son évaluation des qualités personnelles de M. bin Abdullah étaient suffisants. La question de la suffisance des motifs donnés à l’appui d’une décision pose une question d’équité procédurale. En conséquence, la Cour n’est pas tenue de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle en vue de déterminer la norme de contrôle applicable. Sa tâche consiste plutôt à déterminer si les motifs fournis par le décideur offrent le degré d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53.

 

[12]           Dans la présente affaire, la décision à l’étude est contenue dans les notes du STIDI de l’agente de visas. Ces motifs ont été complétés par son affidavit. La première question que la Cour doit alors trancher est de savoir quelle importance il convient d’accorder aux motifs de l'agente qui sont exposés dans l’affidavit qu'elle a souscrit.

 

[13]           À mon avis, la Cour devrait accorder très peu de poids aux motifs fournis dans l’affidavit de l’agente concernant l’évaluation. En parvenant à cette conclusion, je reprends les observations que j’ai formulées à l'égard d’une situation semblable dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 209, 2004 CF 182, au paragraphe 19, dans les termes suivants :

[…] Il ressort de l’affidavit qu’au moment où l’agente l’a signé, elle se souvenait encore très bien de son entrevue avec M. Alam. Cependant, l’affidavit a été signé plusieurs mois après l’entrevue, probablement quand l’agente a constaté que sa décision était contestée. Dans les circonstances, je préfère m’en tenir essentiellement aux motifs exprimés dans les notes du STIDI et n’accorder que très peu de poids à l’explication fournie par l’agente après coup.

 

À ce propos, voir également Kalra v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1199, 2003 CF 941.

 

[14]           Dans la présente affaire, l’agente a souscrit son affidavit environ six mois après avoir pris la décision contestée. Par surcroît, durant les mois qui se sont écoulés dans l'intervalle, l’agente avait sans aucune doute été appelée à traiter nombre d’autres demandes de visa, ce qui avait dû inévitablement avoir une incidence négative sur sa capacité à se rappeler ce à quoi elle avait pensé précisément en évaluant les qualités personnelles de M. bin Abdullah. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas de notes contemporaines reflétant l'analyse de l'agente.

 

[15]           Il ne s’agit pas d’une situation où l’agent précise simplement les brefs motifs d’évaluation fournis dans les notes du STIDI. Dans son affidavit, l’agente a plutôt élaboré un raisonnement complet dont on ne trouve trace nulle part dans ses notes. Eu égard à toutes les circonstances, je suis donc d’avis qu’il ne faut accorder que très peu d'importance à l'explication fournie par l'agente dans son affidavit.

 

[16]           En ce qui a trait aux notes du STIDI elles‑mêmes, bien que l’agente des visas semble finalement avoir accepté les lettres de recommandation sans réserve dans l’évaluation de l'expérience de travail de M. bin Abdullah, les notes font bel et bien état de sa préoccupation tout à fait compréhensible à propos de la qualité des lettres produites. Par ailleurs, il n’y a absolument rien dans les notes qui explique en quoi la nature des lettres qu’il a fournies peut être liée à la question de ses qualités personnelles.

 

[17]           À vrai dire, il n’est aucunement question, dans les notes de l'agente, de l’évaluation des qualités personnelles de M. bin Abdullah. En fait, la seule fois où il est fait état de ses qualités personnelles, c’est pour indiquer la note qui lui a été accordée à l’égard de ce facteur.

 

[18]           Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a noté que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra des motifs écrits de la décision.

 

[19]           La décision de l’agente des visas revêtait une importance capitale pour l'avenir de M. bin Abdullah. Compte tenu des facteurs articulés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker et, en particulier, de l’importance de la présente décision pour M. bin Abdullah, il serait, à mon avis, injuste de refuser sa demande de visa et de ne pas lui expliquer pourquoi : voir Baker, au paragraphe 43.

 

Conclusion

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Certification

[21]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la certification d’une question et il n’y en a aucune en l’espèce.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas  pour un nouvel examen.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7501-05

 

 

INTITULÉ :                                       AYYED MOHAMMAD BIN ABDULLAH

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 4 OCTOBRE 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Chaudhary                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Chaudhary                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                                          

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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