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Date : 20060908

Dossier : T-2285-05

Référence : 2006 CF 1070

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2006

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

DONAT THÉRIAULT

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Monsieur Donat Thériault, qui a servi dans les forces régulières de l’armée canadienne pendant la période de la deuxième guerre mondiale et suivi d’une année additionnelle, de 1943 jusqu’à sa libération en 1946, a présenté une demande de pension d’invalidité qui a été refusée. Le comité de révision du Tribunal a confirmé le refus de la décision. Monsieur Thériault a interjeté appel devant le comité d’appel du Tribunal et ce même comité d’appel a confirmé la décision du comité de révision; et même un réexamen de la décision du comité d’appel a été refusé. De plus, le Tribunal a affirmé qu’une nouvelle preuve soumise par M. Thériault n’apportait rien de nouveau au dossier donc, M. Thériault a déposé devant la Cour fédérale, une première demande de contrôle judiciaire qui a été accueillie mais qui n’a pas été suivi selon l’esprit de jugement de la Cour fédérale.

Le juge Paul Rouleau, dans son jugement du 12 juillet 2004, a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision du Tribunal en date du 23 mai 2003. L’affaire fut renvoyée pour une nouvelle audition. Dans ses motifs décisionnels, le juge Rouleau écrivait ceci :

En l’espèce, comme ce fut mentionné plus haut, le Tribunal n’a aucunement remis en question la crédibilité de la preuve médicale présentée par le demandeur; bien au contraire, il a conclu qu’elle était crédible. Il n’y a pas eu non plus aucune preuve médicale contradictoire qui a été soumise pour mettre en doute le mérite de la preuve médicale du demandeur.

 

Le tribunal a plutôt choisi d’écarter la preuve non contredite, au motif qu’elle n’était pas pertinente. Or, la preuve médicale en question était d’une pertinente indéniable puisqu’elle traitait des problèmes vasculaires aux jambes et établissait le lien potentiel avec le service militaire.

 

Le demandeur a toujours allégué dans le cadre de sa demande de pension souffrir des problèmes avec ses jambes. La nouvelle preuve ne fait que réitérer cette même prétention, le demandeur tentant de corroborer le bien fondé de sa demande en soumettant des preuves supplémentaires traitant précisément de ces mêmes problèmes. Comment peut-on prétendre que cette preuve n’est pas pertinente sans sombrer dans l’absurde?

 

Il est possible que le Tribunal voulait plutôt dire que cette preuve n’était pas concluante et qu’elle n’établissait pas avec certitude le lien causal entre l’invalidité et le service militaire du demandeur. Ce genre de raisonnement ne peut pas tenir la route car il fait fi de l’économie de la Loi en imposant un fardeau trop lourd au demandeur. […]

 

Bien que la nouvelle preuve n’établissait pas de façon non équivoque l’existence d’un lien causal entre les affections dont souffre le demandeur et son service militaire, il peut servir néanmoins d’un fondement raisonnable pour appuyer l’hypothèse selon laquelle les affections du demandeur sont attribuables à son service militaire. Effectivement, dans sa lettre du 29 janvier 2003, le Dr. Nagpal a énoncé :

 

 

 

"Mr. Thériault was in the military in the remote past and at that time he was complaining of pain in his legs when he walked. I stated in my previous letter that it is impossible to know exactly what the problem was at that time, but I can tell you that young men in the military can have problems with their vasculature of their lower legs, because of excess physical activity. The fact that his peripheral vascular disease is significantly worse now maybe related to early problems in the military. This particular condition is called popliteal entrapment syndrome and certainly could be a possibility in this gentleman, if he had classic claudication at that age...So in summary, the question you are asking me, could this vascular problem have been a prodrome of problems in the future[?] The answer is there is that possibility as he falls into the category of the high-risk group for popliteal entrapment, namely young man in military service."

 

En l'absence de contradiction dans cette seule preuve, par ailleurs jugée crédible, le Tribunal était  tenu de guider sa décision selon les règles de preuve de l'article 39 et la règle d'interprétation de l'article 3, c'est-à-dire tirer des éléments de preuves les conclusions les plus favorables possibles pour le demandeur, accepter tout élément de preuve non contredit que leur présente le demandeur et qui lui semble vraisemblable et trancher en la faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Pour arriver à sa conclusion, le Tribunal a commenté sur de la preuve médicale et a fait des inférences sur de l'expertise médicale alors que le Tribunal lui-même ne possède pas d'expertise particulière dans ce domaine. De plus, comme le souligne le demandeur, le Tribunal a erronément conclu qu'il n'y avait pas de référence au syndrome de "claudication" dans le dossier médical du demandeur avant que le Dr. Nagpal ne soumette son dernier rapport, puisque dans le dossier médical du demandeur contenait un rapport du Dr. Jean-Marie Michel qui est le médecin traitant le demandeur depuis 1972, il y énonce :

 

"Depuis que je connais Mr. Thériault il a toujours souffert de troubles vasculaires des membres inférieurs, et présentant déjà en 1972 de la claudication intermittente..."

 

(Thériault c. Canada (Procureur général), 2004 FC 978, [2004] A.C.F. no 1198 (QL), aux paragraphes 26-32.)

 

Le Tribunal, duquel cette deuxième révision judiciaire émane, a ignoré le premier jugement du juge Rouleau, de cette même Cour.

Le premier jugement de cette Cour a été mis en vigueur que d’une façon superficielle et cosmétique sans égard à son interprétation et ses propos concernant la loi et la jurisprudence applicable.

Le principe selon lequel, à titre de loi conférant des avantages, la Loi devrait recevoir une interprétation libérale est appuyé non seulement par la jurisprudence, mais également par des dispositions claires du texte législatif en cause, notamment l'article 2 :

 

2.       Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge

2.      The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

(Frye c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 264, [2005] A.C.F. no 1316 (QL), au paragraphe 18.)

 

            Suite à ce présent deuxième jugement qui suit, à l’égard du même cas, un examen approfondi par le même Tribunal est nécessaire, pour que ce jugement actuel, cette fois-ci, soit mis en vigueur d’une façon substantielle et non cosmétique ou artificielle. (Également voir le paragraphe 37 de Frye, ci-dessus.)

 

            Les longs délais déjà écoulés dans ce cas du demandeur concerné, compte tenu de son âge avancé, ont contribués à un retard important. Le demandeur devrait voir une décision raisonnable pendant sa vie. Un jugement, suite à une révision judiciaire, ne devrait pas être un exercice en futilité. La prochaine étape appartient au Tribunal concerné suite à ce deuxième jugement de cette même Cour pour le même cas.

 

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, à l’encontre de la décision datée du 23 mars 2005 par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (Tribunal). Dans cette décision, le Tribunal a rejeté la demande de réexamen d’une décision du comité d’appel au motif que les éléments de preuve fournis par le demandeur à l’appui de sa demande de réexamen n’apportaient rien de nouveau au dossier et a ainsi refusé au demandeur le droit à une pension d’invalidité.

 

FAITS

[3]               Le demandeur, M. Donat Thériault, a servi dans les forces régulières de l’armée canadienne du 10 août 1943 jusqu’à sa libération le 4 septembre 1946. Il a servi outre-mer du 14 janvier 1945 au 9 juillet 1946.

 

[4]               Le 31 août 1999, M. Thériault a présenté une demande de pension d’invalidité pour la condition d’artérite des membres inférieurs laquelle serait imputable à son service dans les forces armées.

 

[5]               Le 28 avril 2000, le ministère des Anciens combattants (ministère) a statué que l’affection d’artérite des membres inférieurs n’ouvrait pas droit à une pension, car l’affection avait son origine après la libération et qu’elle n’était pas attribuable à ou survenue durant le service dans les forces actives.

 

[6]               Le 30 novembre 2000, le comité de révision (examen) du Tribunal a confirmé la décision du ministère.

 

[7]               Insatisfait de cette décision, le 15 mai 2001, M. Thériault a interjeté appel devant le comité d’appel du Tribunal au motif qu’il existait selon la preuve un lien entre l’artérite des membres inférieurs et le service dans les forces armées.

 

[8]               Le 30 mai 2001, le comité d’appel du Tribunal a confirmé la décision du comité de révision datée du 30 novembre 2000.

 

[9]               Le 25 mars 2003, M. Thériault a écrit au conseiller spécial du Tribunal pour lui demander de réexaminer sa décision du 30 mai 2001, alléguant qu’il y avait eu erreur dans l’appréciation des faits ayant mené à la conclusion et qu’une nouvelle preuve médicale était soumise au Tribunal.

 

[10]           Le 23 mai 2003, le Tribunal a refusé de réexaminer la décision du comité d’appel en date de 30 mai 2001, aux motifs qu’il n’y avait pas d’erreur de fait et de droit dans la décision du comité d’appel. De plus, le Tribunal a affirmé que la nouvelle preuve soumise par M. Thériault n’apportait rien de nouveau au dossier car elle n’était pas pertinente et n’aurait pas d’incidence sur le résultat.

 

[11]           Le 31 juillet 2003, M. Thériault a déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal datée du 23 mai 2003. Le 12 juillet 2004, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision du Tribunal. L’affaire a ainsi été renvoyée pour une nouvelle audition.  

 

[12]           Le 23 mars 2005, le Tribunal a réexaminé la décision du Comité d’appel tel qu’ordonné par la Cour fédérale. Le Tribunal a alors confirmé les décisions précédentes rendues dans le dossier de M. Thériault et maintenu le refus du droit à une pension d’invalidité. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           Le 23 décembre 2005, M. Thériault a déposé auprès de la Cour fédérale un Avis de demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision du Tribunal.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[14]           Malgré son obligation d’appliquer les dispositions de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.R.C. 1985, c. 18 (LTAC), le Tribunal a affirmé qu’il ne pouvait accepter la preuve du Dr. Nagpal qui soulevait la possibilité que l’affection diagnostiquée officiellement plus de 50 ans après la fin du service militaire de M. Thériault ait eu son origine pendant son service militaire alors que le dossier militaire de M. Thériault contredit cette preuve.

 

[15]           Le Tribunal a accepté que M. Thériault ait pu souffrir de maux aux jambes durant les années 1940 tel qu’il en avait témoigné. Par contre, le Tribunal a jugé qu’il ne pouvait conclure à l’existence vraisemblable d’un lien médical crédible entre ses maux de jambe et l’artérite des membres inférieurs, condition qui fut traitée pour la première fois au plus tôt 25 ans après la fin de son service militaire.

 

[16]           Le Tribunal a donc confirmé  les décisions précédentes rendues dans ce dossier et maintenu le refus du droit à la pension en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, c. P-6.

 

QUESTION EN LITIGE

[17]           La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a commis une erreur assujettie au contrôle judiciaire en refusant d’accorder à M. Thériault le droit à une pension en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions.

 

ANALYSE

            Cadre législatif

[18]           L’article 3 de la LTAC affirme que les dispositions de la Loi et de toute autre loi qui se réfère au Tribunal doivent être interprétées de façon large; cette disposition vise à reconnaître les grandes obligations du peuple et du gouvernement canadiens envers les membres des forces armées et leurs familles :

 

3.      Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3.      The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[19]           De façon semblable, l’article 39 de la LTAC établit des règles de preuve larges, visant à avantager les demandeurs :

39.      Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39.      In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[20]           Le paragraphe 32(1) de la LTAC énonce ce qui suit :

32.      (1) Par dérogation à l’article 21, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

32.      (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

[21]           L’article 21 de la Loi sur les pensions régit le droit à la pension; cette disposition présente les circonstances dans lesquelles une pension sera accordée ou refusée :

21.      (1) Pour le service accompli pendant la Première Guerre mondiale ou la Seconde Guerre mondiale, sauf dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve, le service accompli pendant la guerre de Corée, le service accompli à titre de membre du contingent spécial et le service spécial :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaire, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci;

 

[…]

 

 

 

c) l’invalidité ou l’affection entraînant incapacité dont était atteint le membre des forces qui a accompli du service sur un théâtre réel de guerre, du service pendant la guerre de Corée ou du service spécial, et qui est antérieure au service accompli pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale, au service accompli pendant la guerre de Corée ou au service spécial n’autorise aucune déduction sur le degré d’invalidité véritable, sauf dans la mesure où il reçoit une pension à cet égard ou si l’invalidité ou l’affection était évidente ou a été consignée lors d’un examen médical avant l’enrôlement;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

d) un demandeur ne peut être privé d’une pension à l’égard d’une invalidité qui résulte d’une blessure ou maladie ou de son aggravation contractée au cours du service militaire, ou à l’égard du décès d’un membre des forces causé par cette blessure ou maladie ou son aggravation, uniquement du fait que nulle invalidité importante ou affection entraînant une importante incapacité n’est réputée avoir existé au moment de la libération de ce membre des forces;

 

[…]

21.      (1) In respect of service rendered during World War I, service rendered during World War II other than in the non-permanent active militia or the reserve army, service in the Korean War, service as a member of the special force, and special duty service,

 

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that was attributable to or was incurred during such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

 

(c) no deduction shall be made from the degree of actual disability of a member of the forces who has rendered service in a theatre of actual war, service in the Korean War or special duty service on account of a disability or disabling condition that existed in the member before the member’s period of service in World War I or World War II, service in the Korean War or special duty service, as the case may be, except

 

(i)                  to the extent that the member is receiving a pension for that disability or disabling condition, or

 

(ii)                to the extent that that disability or disabling condition was obvious or was recorded on medical examination prior to enlistment;

 

(d) an applicant shall not be denied a pension in respect of disability resulting from injury or disease or aggravation thereof incurred during military service or in respect of the death of a member of the forces resulting from that injury or disease or the aggravation thereof solely on the grounds that no substantial disability or disabling condition is considered to have existed at the time of discharge of that member;

 

 

 

….

 

Norme de contrôle

[22]           Dans son mémoire, M. Thériault argumente que puisque la question en litige en est une d’interprétation de la loi, la norme de contrôle appropriée devrait être celle de la décision correcte. Par contre, cette Cour est d’avis qu’en l’espèce, il s’agit plutôt d’une question mixte de droit et de fait puisque le Tribunal doit considérer et évaluer les faits pertinents tout en respectant les articles 3 et 39 de la LTAC.

 

[23]           Cette Cour a jugé, quant aux décisions du Tribunal, que la norme de contrôle applicable lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi aux faits est celle de la norme de la décision raisonnable simpliciter (McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647, [1999] A.C.F. no 1559 (QL), aux paragraphes 22-48).

 

[24]           Cette Cour doit faire preuve de retenue judiciaire lorsque le Tribunal agit dans les limites de sa compétence et lorsque le Tribunal n’a commis aucune erreur ayant pour effet de rendre la décision déraisonnable.

 

Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a-t-il commis une erreur assujettie au contrôle judiciaire en refusant d’accorder à M. Thériault le droit à une pension en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions?

 

 

[25]           La preuve démontre que le 25 mai 2003, en conformité avec les exigences de l’article 32 de la LTAC, M. Thériault a déposé une demande de réexamen au Tribunal, alléguant qu’il y avait eu erreur dans l’appréciation des faits ayant mené à la conclusion et qu’une nouvelle preuve était soumise au Tribunal.

 

[26]           La preuve démontre aussi que le comité d’appel, dans sa décision du 30 mai 2001, a conclu qu’il ne détenait pas les preuves médicales nécessaires pour relier l’affection d’artérite des membres inférieurs au service militaire de M. Thériault.

 

[27]           Conséquemment, M. Thériault a soumis deux nouveaux rapports, soit les lettres du Dr. Nagpal, en date du 1er août 2002 et du 29 janvier 2003. Selon M. Thériault, cette nouvelle preuve adressait directement la question en litige, c’est-à-dire le lien entre sa condition médicale et son service militaire.

 

[28]           Le Tribunal a appliqué le test pour déterminer s’il accepterait ces nouveaux éléments de preuve, tel qu’énoncé dans la décision MacKay c. Procureur général, [1997] A.C.F. no 495 (QL), au paragraphe 26, selon l’arrêt Palmer et Palmer c. La Reine, [1980], 1 R.C.S. 759. Les quatre critères sont les suivants :

  1. Un élément de preuve qui aurait pu être produit en appel ou lors de la révision si l’on avait fait preuve de diligence raisonnable n’est pas « nouveau ».
  2. Les éléments de preuve doivent pouvoir avoir une incidence sur le résultat de l’instance.
  3. Les éléments de preuve doivent être pertinents, c’est-à-dire qu’ils influeraient ou pourraient influer de manière déterminante sur la décision.
  4. Les éléments de preuve devraient être crédibles, c’est-à-dire qu’on pourrait raisonnablement y ajouter foi compte tenu de tous les autres éléments de preuve.

 

[29]           Quant au premier critère, le Tribunal a conclu que M. Thériault avait fait preuve de diligence raisonnable et que les deux rapports médicaux constituaient de nouveaux éléments de preuve.

 

[30]           Sur le quatrième critère, le Tribunal a conclu que la nouvelle preuve était crédible.

 

[31]           M. Thériault a allégué que dans l’appréciation des deux autres critères, le Tribunal a commis une erreur de droit. Le Tribunal se devait d’examiner cette nouvelle preuve selon les règles régissant la preuve telles qu’établies à l’article 39 de la LTAC et en tenant compte de la règle d’interprétation large établie par l’article 3 de la même loi.

 

[32]           Selon M. Thériault, la nouvelle preuve pouvait certes avoir une incidence sur le résultat et cette nouvelle preuve pouvait influencer de manière déterminante la décision.

[33]           Dans une décision du 23 mai 2003, le Tribunal a réexaminé la décision du comité d’appel datée du 30 mai 2001 et a refusé la nouvelle preuve au motif que celle-ci ne pouvait avoir aucune incidence sur le résultat et n’était pas pertinente. Pour ces raisons, la demande de réexamen a été refusée.

 

[34]           Monsieur Thériault a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant cette Cour. Suite à cette demande, le juge Rouleau, dans une décision du 12 juillet 2004, a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision du Tribunal en date du 23 mai 2003. L’affaire fut renvoyée pour une nouvelle audition. Dans ses motifs décisionnels, le juge Rouleau écrivait ceci :

En l’espèce, comme ce fut mentionné plus haut, le Tribunal n’a aucunement remis en question la crédibilité de la preuve médicale présentée par le demandeur; bien au contraire, il a conclu qu’elle était crédible. Il n’y a pas eu non plus aucune preuve médicale contradictoire qui a été soumise pour mettre en doute le mérite de la preuve médicale du demandeur.

 

Le tribunal a plutôt choisi d’écarter la preuve non contredite, au motif qu’elle n’était pas pertinente. Or, la preuve médicale en question était d’une pertinente indéniable puisqu’elle traitait des problèmes vasculaires aux jambes et établissait le lien potentiel avec le service militaire.

 

Le demandeur a toujours allégué dans le cadre de sa demande de pension souffrir des problèmes avec ses jambes. La nouvelle preuve ne fait que réitérer cette même prétention, le demandeur tentant de corroborer le bien fondé de sa demande en soumettant des preuves supplémentaires traitant précisément de ces mêmes problèmes. Comment peut-on prétendre que cette preuve n’est pas pertinente sans sombrer dans l’absurde?

 

Il est possible que le Tribunal voulait plutôt dire que cette preuve n’était pas concluante et qu’elle n’établissait pas avec certitude le lien causal entre l’invalidité et le service militaire du demandeur. Ce genre de raisonnement ne peut pas tenir la route car il fait fi de l’économie de la Loi en imposant un fardeau trop lourd au demandeur. […]

 

Bien que la nouvelle preuve n’établissait pas de façon non équivoque l’existence d’un lien causal entre les affections dont souffre le demandeur et son service militaire, il peut servir néanmoins d’un fondement raisonnable pour appuyer l’hypothèse selon laquelle les affections du demandeur sont attribuables à son service militaire. Effectivement, dans sa lettre du 29 janvier 2003, le Dr. Nagpal a énoncé :

 

"Mr. Thériault was in the military in the remote past and at that time he was complaining of pain in his legs when he walked. I stated in my previous letter that it is impossible to know exactly what the problem was at that time, but I can tell you that young men in the military can have problems with their vasculature of their lower legs, because of excess physical activity. The fact that his peripheral vascular disease is significantly worse now maybe related to early problems in the military. This particular condition is called popliteal entrapment syndrome and certainly could be a possibility in this gentleman, if he had classic claudication at that age...So in summary, the question you are asking me, could this vascular problem have been a prodrome of problems in the future[?] The answer is there is that possibility as he falls into the category of the high-risk group for popliteal entrapment, namely young man in military service."

 

En l'absence de contradiction dans cette seule preuve, par ailleurs jugée crédible, le Tribunal était  tenu de guider sa décision selon les règles de preuve de l'article 39 et la règle d'interprétation de l'article 3, c'est-à-dire tirer des éléments de preuves les conclusions les plus favorables possibles pour le demandeur, accepter tout élément de preuve non contredit que leur présente le demandeur et qui lui semble vraisemblable et trancher en la faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Pour arriver à sa conclusion, le Tribunal a commenté sur de la preuve médicale et a fait des inférences sur de l'expertise médicale alors que le Tribunal lui-même ne possède pas d'expertise particulière dans ce domaine. De plus, comme le souligne le demandeur, le Tribunal a erronément conclu qu'il n'y avait pas de référence au syndrome de "claudication" dans le dossier médical du demandeur avant que le Dr. Nagpal ne soumette son dernier rapport, puisque dans le dossier médical du demandeur contenait un rapport du Dr. Jean-Marie Michel qui est le médecin traitant le demandeur depuis 1972, il y énonce :

 

"Depuis que je connais Mr. Thériault il a toujours souffert de troubles vasculaires des membres inférieurs, et présentant déjà en 1972 de la claudication intermittente..."

 

(Thériault, ci-dessus, aux paragraphes 26-32.)

 

[35]           Tel qu’ordonné, le Tribunal a réexaminé l’appel du droit à la pension de M. Thériault. L’audition a eu lieu le 23 mars 2005. Dans cette dernière décision, le Tribunal a maintenu le refus du droit à une pension.

 

[36]           M. Thériault soumet que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation des articles 3 et 39 de la LTAC et que, ce faisant, il a rendu une décision déraisonnable. Plus précisément, le Tribunal était tenu de reconnaître les éléments suivants dans la preuve.

 

[37]           Dans sa première demande de pension, M. Thériault a témoigné avoir commencé à éprouver des douleurs aux jambes durant son service militaire, l’obligeant à demander à plusieurs reprises d’être excusé des parades.

 

[38]           Il a aussi témoigné, devant le comité de révision le 30 novembre 2000, avoir fait son service actif dans l’aviation et que la raison pour laquelle il ne s’est pas plaint de douleurs aux jambes lors de son service militaire était qu’il craignait de ne pas être affecté outre mer avec ses camarades. De plus, il a ajouté qu’il était jeune et que les gens ne se plaignaient pas de ce genre de choses à cette époque.

 

[39]            L’épouse de M. Thériault a témoigné devant le comité de révision qu’avant leur mariage en 1957, il avait de la difficulté à marcher et à danser à cause de la douleur dans ses jambes. Le cousin de M. Thériault a, lui, déposé une lettre disant qu’ils avaient fait leur service dans l’aviation ensemble et que M. Thériault lui a souvent dit qu’il avait des douleurs dans les jambes lorsqu’il courrait ou participait à des parades.

[40]           Le Dr. Michel, le médecin traitant de M. Thériault, a affirmé qu’en 1972, lorsqu’il a commencé à soigner M. Thériault, celui-ci souffrait déjà de claudications intermittentes et de troubles vasculaires. Le Dr. Michel était d’avis que cette affection avait commencé lors du service militaire de M. Thériault.

 

[41]           Selon la preuve, au début des années 1980, M. Thériault a subit une opération pour des troubles vasculaires aux jambes.

 

[42]           Le Dr. Nagpal, chirurgien général et vasculaire, consulté par M. Thériault en 2002 et 2003, n’a pas voulu se prononcer de façon définitive sur la cause et le début de l’affection de M. Thériault. Par contre, dans ses deux rapports, il explique que M. Thériault éprouve des douleurs aux jambes depuis son service militaire et qu’il est possible que l’affection de M. Thériault ait été causée par son service militaire.

 

[43]           Le Tribunal a mis beaucoup d’importance sur le fait que le dossier militaire de M. Thériault ne contenait aucune information supportant le fait qu’il souffrait de douleurs aux jambes ou qu’il avait une quelconque condition médicale pendant son service militaire. Le Tribunal semble opiner qu’en l’absence d’informations médicales documentées pendant le service militaire, il est impossible d’établir qu’une condition médicale soit survenue pendant le service. Cela n’est pas un critère exigé par la législation.

 

[44]           De plus, dans sa décision le Tribunal a semblé ignorer les explications de M. Thériault concernant les raisons pour lesquelles son dossier militaire ne contenait aucune information sur sa condition médicale ainsi que le témoignage de son épouse et de son cousin qui supportaient le fait qu’il avait commencé à éprouver des douleurs durant son service militaire.

 

[45]           Il est aussi important de noter que le Tribunal n’a jamais conclu que le témoignage de M. Thériault n’était pas crédible. Il a aussi reconnu que M. Thériault aurait pu souffrir de maux de jambes durant les années 1940.

 

[46]           Le Tribunal s’est attardé sur l’absence de preuve médicale pour la période de 1946 à 1972.  Par contre, le Tribunal semble avoir ignoré le témoignage de M. Thériault à l’effet qu’il avait des douleurs aux jambes pendant qu’il travaillait à l’hôpital des vétérans dans les années 1950 ainsi que celui de son épouse à l’effet qu’il avait de la difficulté à marcher avant leur mariage en 1957.

 

[47]           Le Tribunal a qualifié les commentaires du Dr. Michel comme étant sans fondement et d’une valeur peu probante. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a retenu que le Dr. Michel avait commencé à soigner M. Thériault en 1972 et qu’il ne pouvait pour cette raison affirmer que ses problèmes avaient commencé pendant son service militaire. Il est vrai que le Dr. Michel ne pouvait pas affirmer avec certitude que les problèmes de M. Thériault s’étaient développés pendant son service militaire puisqu’il n’était pas son médecin à cette époque. Par contre, il pouvait fournir son opinion médicale quant à la cause de sa condition médicale. Cette conclusion du Dr. Michel était fondée, bien sûr, sur les affirmations de M. Thériault mais aussi sur sa condition spécifique, son historique et la sévérité de son état en 1972 lorsqu’il a commencé à le soigner.

 

[48]           Le Tribunal a tiré une inférence qui n’était pas fondée sur la preuve au dossier de réexamen pour conclure que M. Thériault avait travaillé comme Agent des pêches pendant 28 ans ce qui nécessite d’être debout pour une bonne portion de son travail. Cette inférence, n’étant aucunement fondée sur la preuve devant le Tribunal, constitue de la spéculation.

 

[49]           Le Tribunal a accepté les opinions médicales du Dr. Nagpal. Celui-ci a confirmé que M. Thériault souffre d’une maladie vasculaire périphérique des deux jambes. Dans sa décision du 23 mars 2005, le Tribunal a considéré cette preuve comme étant crédible et pertinente.  

 

[50]           Quant à l’opinion du Dr. Nagpal portant sur le lien entre l’affection de M. Thériault et son service militaire, le Tribunal l’a qualifiée d’une simple possibilité pour le motif principal que le Tribunal n’avait pas connaissance d’une incidence plus élevée de maladie vasculaire ou de « popliteal entrapment » chez les jeunes militaires que chez la population générale. Également, le Tribunal a ajouté que le dossier aurait dû contenir des études ou des statistiques pour établir cette incidence.

 

[51]           Le Tribunal a erré dans l’application de la règle de preuve de l’article 39 de la LTAC. Le Tribunal semble exiger un niveau de preuve beaucoup plus élevé que celle de la prépondérance des probabilités.

 

[52]           Pour avoir droit à une pension, M. Thériault doit remplir les conditions suivantes, comme l’a résumé le juge Marc Nadon dans l’affaire MacNeill c. Canada, [1998] A.C.F. no 1115 (QL), au paragraphe 23 :

[…] Selon les dispositions précitées, deux conditions doivent être remplies pour qu’il soit possible de dire que le demandeur a droit à une pension. En premier lieu, le trouble dont le demandeur est atteint doit donner droit à pension. À cet égard, il doit s’agir d’un trouble qui peut être considéré comme une « invalidité » résultant d’une blessure ou d’une maladie. À mon avis, le mot « invalidité » exige que le demandeur continue à être atteint de ce trouble. En second lieu, le trouble initial doit être directement attribuable au service militaire du demandeur. J’ai minutieusement examiné la disposition en question et j’ai conclu que le service militaire accompli par le demandeur doit être la cause principale de l’invalidité. Toutefois, la Loi prévoit également qu’une pension peut être accordée si l’invalidité est aggravée par le service militaire. Il faut dans les de [sic] cas établir le lien de causalité, et, sauf preuve contraire, le lien de causalité est réputé exister si le trouble est survenu pendant que le demandeur accomplissait son service. […]

 

 

[53]           Cette Cour a affirmé, dans Hunt c. Canada (Ministre des Anciens combattants), [1998] A.C.F. no 377 (QL), au paragraphe 9, confirmé par [1999] A.C.F. no 1601 (QL), qu’un demandeur doit faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que la condition dont il souffre a débuté durant le service militaire. La Cour a ajouté que lorsqu’un demandeur tente de faire cette preuve, le Tribunal doit accepter tout élément de preuve non contredit et crédible :

Bien que l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) impose au Tribunal d'accepter tout élément de preuve non contredit, encore faut-il que cette preuve soit crédible. Le requérant est tenu au critère applicable en matière civile et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a effectivement contracté la maladie dont il souffre aujourd'hui alors qu'il servait sous les drapeaux. Son avantage réside dans le fait que la preuve sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable. […]

 

[54]           Le Tribunal s’est déclaré expert et spécialisé quant aux diverses affections qui lui sont présentées sur une base annuelle. Le Tribunal a déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucune étude indiquant qu’il y aurait une plus grande incidence de cette maladie chez les militaires. Pourtant, le Tribunal n’a pas d’expertise médicale et il ne peut écarter une preuve médicale en alléguant avoir des connaissances médicales particulières.

 

[55]           L’article 38 de la LTAC lui permet d’obtenir des opinions d’un médecin qualifié sur toute question médicale non concluante.

 

[56]           Dans Rivard c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 704, [2001] A.C.F. no 1072 (QL), aux paragraphes 39- 43, le juge Nadon affirme que, selon l’article 38 de la LTAC, le Tribunal peut obtenir des opinions médicales sur des questions non résolues. Il conclut que cette disposition implique que le Tribunal n’a aucune expertise médicale particulière :

Le Tribunal dispose d'un mécanisme pour obtenir de la preuve médicale, autre que celle du demandeur, s'il le désire. Le paragraphe 38(1) de la LTAC lui permet de faire appel à un expert médical quant à toute question dont il est saisi. Le paragraphe 38(2) oblige le Tribunal à aviser le demandeur du fait qu'il obtiendra de la preuve d'un expert, afin de lui permettre de présenter ses arguments en réponse.

À mon avis, le fait que l'article 38 de la LTAC permette au Tribunal de faire appel à un expert en ce qui concerne toute question médicale est une indication que le Tribunal n'a pas d'expertise particulière dans le domaine de la médecine. Ceci a été reconnu par la jurisprudence, au départ dans l'affaire Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314 (1re inst.). La conclusion du juge Heald dans Moar, supra a été reproduite à plusieurs reprises, entre autres dans l'affaire Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (1re inst.). Je reprends les propos du juge MacKay dans cette affaire, aux paragraphes 14 et 15 :

En vertu de l'article 38 de la Loi [la LTAC], le Tribunal peut chercher à obtenir des avis médicaux indépendants quant à toute question dont il est saisi. Le juge Heald, dans l'arrêt Moar c. Canada (Procureur général) [(1995), 103 F.T.R. 314 à la p. 316], qui commentait une disposition semblable, le paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, à présent abrogée, et son importance quant à la retenue dont la Cour doit faire preuve à l'égard de la décision du Tribunal, a fait la remarque suivante :

Il est indiscutable que l'affaire en instance met en jeu des questions médicales. Le paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants habilite celui-ci à requérir l'avis d'un expert médical indépendant dans toute matière soumise à sa juridiction. J'en conclus que le Tribunal ne bénéficie pas de la retenue dont les instances judiciaires font habituellement preuve à l'égard des tribunaux spécialisés en raison de leur expertise dans leur domaine de compétence.

Cette décision doit s'interpréter compte tenu de l'arrêt Tonner c. Canada [(12 juin 1996), no du greffe A-263-95, [1996] A.C.F. no 825 (C.A.F.)], dans lequel la Cour d'appel fédérale a conclu que la clause privative figurant dans l'ancienne Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants donnait droit à ce Tribunal à la retenue. Une disposition semblable figure à présent à l'article 31 de la Loi actuelle. Je conclus que la Cour doit faire preuve de retenue à l'égard des décisions du TACRA, à l'exception de celles portant sur la compétence du Tribunal, à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables.

Le juge Heald dans l'affaire Moar, supra, avait conclu que l'existence même de la disposition analogue à l'article 38 de la LTAC signifiait que le Tribunal n'avait pas de compétence spéciale dans le domaine de la médecine, et par conséquent, ne pouvait pas bénéficier de retenue de la part des instances judiciaires. Il a plus tard été déterminé par la Cour d'appel fédérale que la clause privative contenue dans la LTAC exigeait qu'une cour révisant la décision du Tribunal fasse preuve de retenue, puisque c'est ce que désirait le législateur. Cette décision d'exercer de la retenue découlait uniquement de l'existence de la clause privative, et non d'une réévaluation des motifs du juge Heald dans l'affaire Moar, supra au sujet de l'expertise médicale du Tribunal. À mon avis, la substance de l'analyse du juge Heald au sujet de l'expertise médicale du Tribunal s'applique toujours; l'existence, encore aujourd'hui, de l'article 38 de la LTAC confirme que le Tribunal n'a pas d'expertise particulière dans le domaine médical.

Par conséquent, à mon avis, l'existence même de l'article 38 indique qu'on ne peut reconnaître au Tribunal une compétence inhérente en ce qui concerne les questions médicales. Celui-ci ne possède pas d'expertise particulière dans le domaine médical lui permettant d'affirmer en l'espèce que l'opinion du Dr Sestier et l'article à l'appui ne faisaient pas partie du consensus médical, en l'absence de preuve à l'appui. Donc, je suis d'avis que le Tribunal ne pouvait invoquer des faits médicaux qui n'étaient pas en preuve afin de réfuter la preuve du demandeur. Si le Tribunal désirait obtenir de la preuve autre que celle du demandeur ou de la preuve représentant le contexte médical, il n'avait qu'à invoquer l'article 38 et à demander l'opinion d'un expert.

Conséquemment, je suis d'avis que les articles 38 et 39 de la LTAC ainsi que la jurisprudence exigent, lorsque lus conjointement, que la preuve médicale déposée par le demandeur soit rejetée uniquement en présence d'une preuve contradictoire au dossier. À mon avis, le Tribunal ne pouvait rejeter l'opinion du Dr Sestier, puisque celui-ci n'est pas contredit par d'autre preuve déposée devant le Tribunal, sauf s'il était d'avis que la preuve n'était pas crédible, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

 

[57]           En l’espèce, le Tribunal n’a pas obtenu d’opinion médicale supplémentaire; il semble au lieu avoir fait une recherche sommaire quant à la maladie de M. Thériault en se référant à un dictionnaire médical (« Merck Manual ») retrouvé sur Internet. Sans obtenir des opinions médicales contraires, le Tribunal ne pouvait substituer son opinion à celle du Dr. Nagpal ou encore mettre son opinion en doute. Ce faisant, le Tribunal n’a pas respecté les articles 3 et 39 de la LTAC. 

 

[58]           Dans MacDonald c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1263, [2003] A.C.F. no 1645 (QL), une affaire semblable où cette Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire parce qu’il a déterminé que le Tribunal avait ignoré la preuve médicale et substitué sa propre opinion, le juge François Lemieux a affirmé, aux paragraphes 18-19 et 24 :

Après examen de la décision du tribunal, je suis amené à conclure que le tribunal n’a pas dit que les documents rédigés par le Dr Wiltshire ou le Dr St-Arnaud n’étaient pas crédibles. Il a plutôt trouvé qu’ils étaient crédibles pour autant qu’ils fussent concernés.

 

Comme je l’ai indiqué auparavant, la décision du tribunal repose sur le lien de causalité et, pour dire que la preuve ne suffisait pas à établir ce lien de causalité, le tribunal a ignoré l’unique preuve médicale versée dans le dossier en tirant des conclusions de nature médicale quand il ne disposait pas, dans le dossier, d’autres preuves médicales qu’il aurait pu validement apprécier, se fondant plutôt, pour combler le vide, sur ses propres connaissances et sur sa propre recherche.

[…]

 

En bref, le tribunal a fait une incursion en territoire interdit en tirant des conclusions médicales qui ignoraient des preuves crédibles et non contredites, alors qu’il n’avait aucune compétence médicale propre et qu’il avait la possibilité d’obtenir et de partager des avis médicaux indépendants sur les aspects qui l’embarrassaient.

 

[59]           De même, dans Rivard, ci-dessus, aux paragraphes 22-25, le juge Nadon discute des obligations imposées au Tribunal par l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des Anciens combattants :

Selon l’article 39 de la LTAC, le Tribunal doit accepter tout élément de preuve présenté par le demandeur qui n’est pas contredit et qui lui semble vraisemblable. Il doit également tirer les conclusions les plus favorables au demandeur. Dans l’affaire MacDonald, supra, le juge Cullen a tenu les propos suivants à ce sujet au paragraphe 29 :

 

Il est mentionné dans la jurisprudence que le Tribunal doit accepter les éléments de preuve médicaux non contredits qui lui semblent vraisemblables dans les circonstances; toutefois, il peut rejeter ces éléments de preuve s’il est saisi d’une preuve contraire ou s’il fournit des motifs touchant la vraisemblance : Re Hornby (1993), 63 F.T.R. 188 (1re inst.); King. c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)) (1997), 138 F.T.R. 15 (1re inst.); et Moar, précité.

 

Donc, si la preuve n’est pas contredite et que le Tribunal ne la juge pas invraisemblable ou non-crédible, il se doit, conformément à l’article 39, de l’accepter. Dans l’affaire Wood c. Canada (Procureur général), [2001] F.C.J. No. 52 (1re inst.), le juge MacKay a indiqué ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 28 :

 

The Board may reject the applicant’s evidence when it has before it contradictory medical evidence. However, while there may be an absence of evidence in the form of definitive medical documentation about the injury claimed, where there is no contradictory evidence and the Board does not accept the applicant’s evidence without explanation of that, it commits an error that goes to jurisdiction […]. A decision of the Board that errs in the exercise of its jurisdiction, is unreasonable and warrants intervention by the Court. The standard of patent unreasonableness, in my opinion, is not apt if the error concerns the exercise of the Board’s jurisdiction.

 

De plus, dans l’affaire Brychka c. Canada (Procureur général) (1998), 141 F.T.R. 258 (1re inst.), le juge MacKay résume ainsi les choix qui s’offrent au Tribunal, aux paragraphes 20 et 25 :

 

Je conviens avec l’intimé que le Tribunal peut écarter une preuve médicale lorsque le dossier renferme des preuves médicales qui sont contradictoires. […]

 

Comme dans l’affaire Moar, j’estime qu’en l’espèce il appartient au Tribunal soit de conclure explicitement à la non-crédibilité de cette preuve médicale produite à l’appui de la demande du requérant, soit de recueillir ses propres preuves médicales concernant la possibilité que cette affection serait due aux effets du stress, soit encore, compte tenu des articles 3 et 39 de la LTAC, d’accueillir favorablement la preuve non contredite présentée par le requérant.

 

Il ne fait aucun doute qu’il appartient au Tribunal d’évaluer la preuve qui se trouve devant lui et d’y attribuer le poids qu’il considère approprié. Toutefois, l’évaluation de la preuve doit toujours se faire à la lumière des articles 3 et 39 de la LTAC, ce qui signifie que le Tribunal se doit d’accepter tout élément de preuve présenté, à moins qu’il ne fasse une détermination quant au manque de vraisemblance ou de crédibilité de la preuve ou à moins que cette preuve soit contredite par d’autre preuve au dossier. Il m’apparaît évident à la lecture de la jurisprudence, en particulier des affaires Wood, supra et Brychka, supra, citées ci-haut, que la preuve médicale contradictoire doit être au dossier.

 

 

[60]           Le Tribunal a agit de façon contraire à ce que prévoit les articles 3 et 39 de la LTAC. Il a retenu les conclusions les moins favorables à M. Thériault, mis en doute de la preuve non contredite et refusé de reconnaître les opinions médicales établissant qu’il était vraisemblable que l’affection de M. Thériault ait pu survenir pendant son service militaire. De plus, le Tribunal n’a pas obtenu d’avis médical indépendant et s’est fondé sur une expertise médicale qu’il s’est lui-même attribué.

 

CONCLUSION

[61]           Selon l’affaire MacDonald, ci-dessus, le Tribunal n’a aucune expertise médicale. En l’absence de contradiction dans la preuve, le Tribunal étant tenu de guider sa décision selon les règles de preuve de l’article 39 et la règle d’interprétation de l’article 3 de la LTAC.

 

[62]           Le Tribunal a mentionné qu’il était conscient de son obligation en vertu des articles 3 et 39 de la LTAC; toutefois, il n’a pas agit selon les critères de sa loi habilitante et cela constitue une erreur ouvrant droit au contrôle judiciaire.

 

[63]           Cette demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. La décision dans ce cas, par ces faits particuliers, est renvoyée au Tribunal pour réexamen par un panel différemment constitué. 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie avec dépens et la décision soit envoyée au Tribunal pour réexamen par un panel différemment constitué. 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2285-05

 

INTITULÉ :                                       DONAT THÉRIAULT           

                                                            c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Frédéricton, Nouveau Brunswick

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 septembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Bertin Thériault

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sandra Doucette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

THÉRIAULT, LAROCQUE, BOUDREAU

Shippagan NB

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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