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Date : 20060314

Dossier : T-984-05

Référence : 2006 CF 335

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2006

En présence de l’honorable Johanne Gauthier

 

ENTRE :

LES VIANDES DU BRETON INC.

demanderesse 

et

 

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les Viandes du Breton Inc. demande la révision en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A-1 (la Loi), d’une décision de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) autorisant la divulgation de rapports d’inspection (formulaire AGR-1427) émis en 2003 et 2004 concernant ses abattoirs et unités de transformation de la viande.

 

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une entreprise agricole qui produit du porc biologique et dont la principale place d’affaires est à Rivière-du-Loup. En tant qu’unité de transformation de la viande, elle fait l’objet d’inspections régulières par des inspecteurs de l’Agence qui colligent à l’occasion de ces inspections un rapport de leurs observations en utilisant le formulaire AGR-1427.

[3]               Le 8 mars 2005, l’Agence reçoit une demande d’accès à l’information d’une personne dont l’identité demeure confidentielle, mais que l’on sait faire partie de la catégorie « médias ».

[4]               La demande visait l’information suivante :

1)         rapports de visite et d’évaluation des abattoirs et unités de transformation de la viande du Québec (formulaire AGR-1427) pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004;

2)         liste complète des établissements agroalimentaires sous la juridiction de l’Agence au Québec.

[5]               Le 22 mars, la demande est amendée oralement; elle n’inclut maintenant que les rapports pour les années 2003 et 2004.

[6]               Lors de ses vérifications des documents visés par la demande, l’Agence identifie une quinzaine de rapports portant sur les installations de la demanderesse. Comme ces documents font l’objet d’une ordonnance de confidentialité, la Cour ne traitera que très généralement de l’information qu’ils contiennent.

[7]               Le 11 mai 2005, l’Agence avise la demanderesse de la réception de la demande d’accès « au sujet de documents relatifs aux rapports d’inspections d’abattoirs et unités de transformation de la viande du Québec (formulaire AGR-1427) ». Tous les rapports que l’Agence se propose de divulguer étaient joints à cet avis.

[8]               Le 30 mai 2005, la demanderesse avise l’Agence qu’elle s’oppose à la divulgation des rapports d’inspections. D’abord, selon elle, les pièces dont la divulgation est proposée ne constituent pas des documents au sens de l’article 3 de la Loi (cet argument a été abandonné à l’audience).

[9]               Ensuite, s’appuyant sur le paragraphe 20(1) de la Loi, la demanderesse soumet que la divulgation de ces informations risque de provoquer des pertes financières à l’entreprise, ainsi que des atteintes à sa compétitivité et à ses négociations futures. En effet, les rapports contiennent, selon la demanderesse, des informations techniques confidentielles sur ses établissements et ses méthodes de gestion et d’opération commerciale. Les rapports seraient aussi protégés par le secret professionnel du médecin vétérinaire qui les a préparés.

[10]           La demanderesse demande aussi une copie de la demande d’accès à l’information afin de présenter ses observations quant à la corrélation entre la demande et les pièces que l’Agence propose de rendre publiques.

[11]           Le 31 mai 2005, l’Agence avise la demanderesse de sa décision de divulguer les documents qui lui avaient été envoyés. Elle explique sa décision en disant :

Nous avons examiné vos observations et avons jugé qu’elles ne satisfont pas les critères des exceptions visées aux articles 20(1) de la Loi. Comme les organismes fédéraux sont tenus de communiquer autant d’informations que possible (article 25), nous allons donc procéder à la divulgation des documents au demandeur.

 

 

 

[12]           Conformément à l’article 28 de la Loi, l’Agence informe la demanderesse de ses droits en vertu de l’article 44 de la Loi.

[13]           C’est seulement dans le cadre de la demande de révision que la demanderesse a pu obtenir copie de la demande d’accès (11 octobre 2005) et interroger l’analyste principal qui signa la lettre du 31 mai 2005.

POINTS EN LITIGE

[14]           La demanderesse soumet que l’Agence a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne lui remettant pas une copie de la demande. Elle soumet de plus que la décision de l’Agence n’était pas motivée ou suffisamment motivée.

[15]           La demanderesse argue aussi que l’Agence ne peut divulguer les rapports d’inspections parce qu’ils tombent sur le coup de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi et qu’ils sont de plus protégés par un secret professionnel auquel seule la demanderesse pouvait renoncer.

 

ANALYSE

[16]           La Cour doit tout d’abord déterminer la norme de contrôle à utiliser. En ce qui concerne la question du manquement à l’équité procédurale, il n’y a pas lieu de procéder à l’analyse pragmatique et fonctionnelle. S’il y a eu manquement, la Cour se doit d’intervenir. (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 174 (C.A.F.) (QL), paragraphes 42 à 45).

[17]           Quant à savoir si les documents sont exemptés en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi ou sont protégés par le secret professionnel du médecin vétérinaire, il s’agit de questions mixtes de faits et de droit, puisque l’Agence doit interpréter les exceptions sur la base des faits qui lui sont présentés. Dans Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 916 (C.A.F.) (QL), le juge en chef Richard a déterminé selon l’approche pragmatique et fonctionnelle la norme de contrôle applicable à une question que je considère tout à fait comparable à celle soulevée devant l’Agence dans le présent dossier. La Cour adopte le raisonnement que l’on retrouve aux paragraphes 11 à 15 de Wyeth-Ayerst, ci-dessus, et conclut que la norme de contrôle applicable ici est celle de la décision correcte.

A) Équité procédurale

[18]           La demanderesse a fait grand cas de ce qu’elle appelle l’inadéquation entre la demande d’accès et l’avis qu’elle a reçu le 11 mai 2005. Selon elle, si l’Agence lui avait remis une copie de la demande, elle aurait pu invoquer un moyen additionnel, soit qu’il n’existe aucun document répondant à la demande d’accès. En effet, selon elle, les rapports d’inspection ne peuvent être considérés comme des rapports de visite et d’évaluation. Elle soumet aussi que la communication de la demande d’accès, qu’elle a spécifiquement demandée, lui aurait permis de vérifier l’identité du requérant et de présenter des observations à ce sujet. Elle considère qu’il y a donc eu atteinte à son droit de formuler des observations « sur la base d’informations fidèles ».

[19]           Quant à l’obligation de motiver, la demanderesse soumet que l’Agence avait l’obligation de décrire son raisonnement plus en détails quant à chacun des arguments qu’elle avait soulevés dans sa lettre du 30 mai.

[20]           Selon elle, le contenu de la lettre du 31 mai ne lui permettait pas d’exercer pleinement son droit de faire réviser la décision en vertu de l’article 44 de la Loi.[1]

[21]           Le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte. Comme l’indiquait la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21, le contenu de cette obligation, qui est souple et variable, repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés. La Cour doit donc analyser la situation en considérant, entre autres, les facteurs énoncés dans Baker, ci-dessus.

 

[22]           Le premier facteur, soit la nature de la décision et le processus prévu par la Loi, permet de déterminer dans quelle mesure le processus administratif se rapproche du processus judiciaire. Il s’agit d’examiner la fonction du décideur, la nature de l’organisme et la démarche à suivre. Cette analyse se fera en même temps que celle du deuxième facteur (nature du régime législatif) qui vise surtout à vérifier s’il existe un droit d’appel ou de contrôle judiciaire.

[23]           La Loi prévoit que la demande de communication de documents se fait par écrit auprès de l’institution fédérale dont relève le document. Une réponse doit être donnée rapidement, normalement dans les trente (30) jours. Dans le cas d’un refus de communication, le demandeur peut porter plainte auprès du Commissaire à l’information et ensuite demander la révision de cette décision par la Cour fédérale.

[24]           L’objet principal de la Loi est d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication. Dans cette optique, le droit d’une institution fédérale de refuser la communication est régi par des exceptions précises et limitées.

[25]           Lorsque l’institution fédérale détermine qu’aucune exception n’est applicable et qu’il y a lieu de communiquer un document, elle doit, en vertu du paragraphe 27(1), donner avis de son intention de communiquer le document à tout tiers qui est directement concerné par les renseignements à être divulgués dans les trente (30) jours suivant la réception de la demande. Cette disposition indique toutefois que l’avis ne doit être donné que s’il est possible de rejoindre le tiers sans problèmes sérieux.

 

[26]           Le paragraphe 27(3) décrit certains éléments que doit contenir cet avis, soit :

a)         la mention de l’intention du responsable de l’institution fédérale de donner communication totale ou partielle du document susceptible de contenir les secrets ou les renseignements visés au paragraphe (1);

b)         la désignation du contenu total ou partiel du document qui, selon le cas, appartient au tiers, a été fourni par lui ou le concerne;

c)         la mention du droit du tiers de présenter au responsable de l’institution fédérale dont relève le document ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis.

[27]           Ce droit du tiers de présenter des observations est prévu spécifiquement à l’article 28 de la Loi, qui précise aussi dans quel délai ces observations, qui se font en règle générale par écrit, seront présentées.

[28]           La Loi prescrit que l’avis de décision de communiquer un document doit être envoyé après avoir reçu les observations du tiers ou après l’expiration du délai prévu pour recevoir de tels commentaires. Cet avis doit mentionner le droit du tiers d’exercer un recours en révision judiciaire et préciser qu’en cas de défaut d’exercice de ce recours, la communication totale ou partielle du document sera faite.

[29]           Le droit d’exercer un recours en révision judiciaire, de même que le droit de se plaindre auprès du Commissaire à l’information et de demander une révision de sa décision, font partie intégrale de l’objet de la Loi qui, comme l’indique son article 2, prévoit que les décisions des institutions fédérales sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

[30]           Le recours en vertu de l’article 44 de la Loi est une procédure sommaire (demande de contrôle judiciaire). Il est de nature hybride puisque, comme l’indiquent plusieurs décisions de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale, il s’apparente davantage à une procédure de novo qu’à une procédure typique de contrôle judiciaire. La Cour peut, dans la plupart des cas, examiner de nouveaux éléments de preuve, dont le défendeur n’était pas saisi, afin de déterminer s’il a correctement décidé qu’aucune des exceptions prévues à la Loi ne s’appliquait et qu’il devait divulguer les documents (Air Atonabee Ltd.  v. Canada (Minister of Transport), [1989] F.C.J. No. 453 (F.C.) (QL), Bacon International Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire), [2002] A.C.F. no 776 (C.F.) (QL), Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] A.C.F. no 1824 (C.F.) (QL) et Aliments Prince Foods Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire), [2001] A.C.F. no 144 (C.A.F.) (QL)).

[31]           Il est évident que la décision de l’Agence n’est pas finale et que tel que l’indique la norme de contrôle applicable, la Cour accorde peu de déférence au décideur.

[32]           Quant au troisième facteur soit l’impact de la décision, il est évident que la décision de l’Agence porte sur des droits de la demanderesse et peut avoir certaines répercussions importantes sur son entreprise si, dans les faits, les exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi s’appliquent. En l’occurrence, il n’y a aucune preuve que la décision à l’étude met en jeu l’existence même de la demanderesse, ni sa capacité de continuer à exploiter son entreprise. Il n’a pas été démontré non plus que la divulgation causerait vraisemblablement des pertes appréciables ou qu’elle entraverait sa compétitivité ou des négociations en cours. La demanderesse a clairement indiqué à l’audience qu’elle n’invoque pas les exceptions prévues aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi.

[33]           Il n’y a pas non plus de preuve que la demanderesse avait des attentes légitimes fondées sur des promesses ou une pratique habituelle de la défenderesse quant à la procédure, les détails de la décision à être rendue et la divulgation de la demande d’accès. Et ce, même si de toute évidence, ce n’est pas la première fois que la demanderesse est impliquée dans ce type de processus (voir Viandes du Breton Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), [2000] A.C.F. no 2088 (C.F.) (QL)).

[34]           Finalement, la Cour note que la demande d’accès est un formulaire extrêmement simple qui contient peu d’informations autres que de l’information personnelle concernant le demandeur et le détail de l’information demandée. Il n’est pas contesté que si cette demande devait être remise à un tiers concerné, la défenderesse aurait l’obligation de biffer toutes les informations personnelles concernant le demandeur.

[35]           Comme je l’ai déjà indiqué, il ne s’agit pas ici pour l’Agence d’exercer une discrétion conférée par la Loi, mais bien d’appliquer les exceptions prévues dans celle-ci.

[36]           Je conclus de mon analyse du contexte que l’obligation d’équité procédurale applicable ici n’exigeait pas qu’une copie de la demande d’accès soit remise à la demanderesse. Toutefois, l’Agence devait décrire correctement et suffisamment l’objet de la demande d’accès.

[37]           La Cour est satisfaite que la description de l’objet de la demande d’accès dans la lettre du 11 mai 2005 était tout à fait adéquate. La demande visait clairement tous les formulaires AGR-1427 émis en 2003 et 2004 quant aux établissements décrits. C’est exactement cela qui a été divulgué dans l’avis envoyé à la demanderesse.

[38]           Cette description était suffisante pour permettre à la demanderesse d’exercer pleinement son droit de présenter ses observations.

[39]           Il est évident qu’il serait prudent pour la défenderesse dans l’avenir de citer verbatim la description contenue dans la demande (y inclus tous les amendements). Elle éviterait ainsi tout malentendu ou controverse à cet égard. Il serait aussi utile qu’elle confirme qu’elle est satisfaite que les conditions d’admissibilité de l’article 4 sont bien remplies. En l’espèce, cet élément n’a pas été soulevé dans la lettre du 30 mai et la Cour est satisfaite que la défenderesse n’avait pas à déposer de preuve à cet égard pour les fins de la demande de révision.

[40]           Quant à l’obligation de motiver, la Cour est satisfaite que celle-ci a été respectée en l’espèce. Compte tenu des échanges entre les parties, de la nature des documents à être divulgués et de la demande d’accès, il n’y avait pas lieu pour la défenderesse de donner plus de détails qu’elle ne l’a fait dans sa lettre du 31 mai.

[41]           La Cour est parfaitement capable de comprendre le fondement de la décision et, compte tenu de la nature du recours, la Cour est satisfaite que la capacité de la demanderesse de soulever tous les arguments qu’elle désirait faire valoir n’a pas été brimée.

[42]           La Cour conclut qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale par la défenderesse.

B) Le bien fondé de la décision

1) L’alinéa 20(1)b)

[43]           L’alinéa 20(1)b) de la Loi prévoit :

 

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A-1 :

 

20. (1) Le responsable de l’institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

b)         des renseignements financier, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

(mon souligné)

 

Access to Information Act, R.S.C., 1985, c. A-1:

 

 

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

(my emphasis)

 

 

 

 

[44]           Comme l’indiquait la Cour d’appel fédérale en 1989 dans Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F.), au paragraphe 13, quant à des rapports d’une équipe de vérification de l’inspection des viandes concernant des abattoirs dans la région de Kitchener, aucun des renseignements contenus dans ce type de rapports n’a été fourni par l’appelante. « Ces rapports sont plutôt des jugements que des inspecteurs gouvernementaux ont porté sur ce qu’ils ont eux-mêmes observé. À mon avis, aucune autre interprétation raisonnable, soit de cet alinéa ni des faits, n’est possible, et l’alinéa 20(1)b) n’est donc pas pertinent dans les présentes affaires.»

[45]           Quant au caractère confidentiel des informations colligées dans les rapports d’inspection, le juge Pinard a indiqué dans Coopérative fédérée du Québec (f.a.s. Aliments Flamingo) c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), [2000] A.C.F. no 26 (C.F.) (QL), au paragraphe 16 :

Enfin, bien que les demanderesses n'invoquent pas spécifiquement l'exemption contenue à l'alinéa 20(1)b) de la Loi, elles attribuent toutefois un caractère confidentiel aux rapports d'inspection. Qu'il suffise de rappeler à cet égard que ces documents sont colligés par une agence gouvernementale et qu'en droit, ils constituent des documents de l'administration fédérale assujettis à la Loi (voir la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans The Information Commissioner of Canada and The President of the Atlantic Canada Opportunities Agency (17 novembre 1999), A-292-96).

 

 

 

[46]           La Cour a examiné attentivement tous et chacun des rapports qui font l’objet de la demande de révision et elle est satisfaite qu’aucune distinction ne s’impose ici.

[47]           La Cour ne peut accepter l’interprétation de la demanderesse à l’effet que, comme elle a       « ouvert sa porte » aux inspecteurs, elle a d’une certaine façon fourni les informations contenues dans les rapports. La demanderesse est légalement tenue de permettre aux inspecteurs de faire leur travail.

[48]           De plus, comme je l’ai indiqué lors de l’audience, compte tenu de leur expérience passée, il est évident que Les Viandes du Breton Inc. ne pouvait raisonnablement penser que ces rapports d’inspection étaient ou seraient tenus confidentiels par la défenderesse.

[49]           De fait, dans toutes les affaires où la divulgation de tels rapports a été contestée, les Cours ont confirmé la décision de divulguer (voir par exemple Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), ci-dessus, Intercontinental Packers Limited c. Canada (Minister of Agriculture) (1987), 14 F.T.R. 142 (C.F.), Gainers Inc. c. Canada (Minister of Agriculture) (1987), 14 F.T.R. 133 (C.F.), conf. par (1988), 87 N.R. 94 (C.A.F.) et Viandes du Breton Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), ci-dessus).

[50]           La Cour accorde donc peu de poids aux paragraphes 34, 35 et 37 de l’affidavit confidentiel de monsieur Breton qui n’explique pas sur quelle base il fonde ses affirmations quant à la façon dont l’Agence traite ces rapports.

[51]           Considérant ce qui précède, la demanderesse savait ou aurait dû savoir que, règle générale, ces rapports sont divulgués à ceux qui les demandent en vertu de la Loi.

[52]           Le fait que les rapports et l’information qu’ils contiennent soient traités de façon confidentielle à l’interne par l’entreprise ne change rien à la façon dont ceux-ci sont traités par l’Agence, ni aux principes établis dans la Loi.

2) Secret professionnel du médecin vétérinaire

[53]           La demanderesse s’appuie sur l’article 24 du Code de déontologie des médecins vétérinaires adopté en vertu de la Loi sur les médecins vétérinaires, L.R.Q., ch. M-8 et du Code des professions, L.R.Q. ch. 26, qui indique que le médecin vétérinaire ne peut être relevé de son secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la Loi l’ordonne.

[54]           Elle invoque aussi l’article 2858 du Code civil du Québec qui prévoit que le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu en violation du droit au respect du secret professionnel. Elle cite par analogie l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, qui prévoit que « toute personne tenue par la loi au secret professionnel (...) ne peut, même en justice, divulguer des renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences (…) ».

[55]           Il appert de la preuve que les inspecteurs qui ont colligés les rapports à l’étude étaient tous des vétérinaires, mais il n’y a aucune preuve qu’ils sont ou étaient inscrits au Tableau de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec.

[56]           La demanderesse argue enfin qu’il est évident que ces inspections sont des actes posés à titre de médecin vétérinaire. Elle s’appuie à cet égard sur les articles 7 et 8 de la Loi sur les médecins vétérinaires qui définissent les actes constituant l’exercice comme suit :

7.         Constitue l’exercice de la médecine vétérinaire tout acte qui a pour objet de donner des consultations vétérinaires, de faire des examens pathologiques d’animaux, d’établir des diagnostics vétérinaires, de prescrire des médicaments pour animaux, de pratiquer des interventions chirurgicales vétérinaires, de traiter des affections médicales vétérinaires en faisant usage de procédés mécaniques, physiques, chimiques, biologiques ou radiothérapiques, et d’approuver ou de condamner d’office les viandes d’animaux domestiques pour fins de consommation.

 

8.         Le médecin vétérinaire peut, dans l’exercice de sa profession, donner des conseils permettant de prévenir les maladies animales et promouvoir les moyens favorisant une bonne santé chez les animaux.

 

 

 

[57]           La défenderesse, quant à elle, soumet que la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.R.C., 1997, ch. 6, précise au paragraphe 12(3) que le président de l’Agence peut désigner des personnes comme inspecteurs chargés de l’application des lois et dispositions dont l’Agence est responsable, que ces personnes soient vétérinaires ou non.

[58]           Elle soumet qu’en l’espèce, même si les inspecteurs étaient vétérinaires, l’émission des rapports d’inspection n’avait rien à voir avec l’exercice de cette profession et que, même si l’on admettait que la Loi sur les médecins vétérinaires s’applique aux fonctionnaires fédéraux pour les fins simplement de cet argument,[2] aucun des rapports en cause ne se rapporte à des actes couverts par les dispositions de cette loi. Par exemple, aucun des inspecteurs ne condamne les « viandes d’animaux domestiques » pour les fins de consommation.

[59]           La Cour n’est pas convaincue que les inspections et l’émission des rapports sont des actes soumis à cette loi québécoise. Quoi qu’il en soit, la Cour n’est pas satisfaite de toute façon que la demanderesse est le client de l’inspecteur vétérinaire et, comme je l’ai déjà indiqué en analysant l’application de l’alinéa 20(1)b) de la loi, que ces rapports contiennent des renseignements confidentiels qui ont été révélés par la demanderesse.

[60]           La Cour conclut que ces rapports ne sont pas couverts par un secret professionnel et que la demande de révision doit être rejetée.

[61]           Elle note par ailleurs que la défenderesse s’est engagée à souligner dans sa lettre de divulgation que les formulaires AGR-1427 ne sont pas des rapports de visite et d’évaluation, mais bien des rapports d’inspection et à ajouter la mention suivante :

Les rapports de vérification et d'inspection ont pour objet principal d'identifier les faiblesses relatives aux installations et aux opérations pour que la Direction de ces entreprises puisse y apporter les mesures correctrices appropriées. On y trouve des observations objectives quant aux conditions qui prévalaient à l'entreprise au moment de l'inspection, mais qui ne sont pas nécessairement celles qui existent à l'heure actuelle. L'usure graduelle du matériel et la détérioration normale des bâtiments nécessitent des réparations et un entretien réguliers et font qu'il est pratiquement impossible d'avoir des installations exemptes de tout problème. Les rapports ne reflètent pas l'ensemble des opérations d'une entreprise en ce qu'ils ne font pas état des conditions qui pourraient être jugées satisfaisantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

La demande de révision est rejetée avec frais.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-984-05

 

INTITULÉ :                                      

LES VIANDES DU BRETON INC.

 

-et-

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 mars 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      14 mars 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Louis Masson                                                         POUR DEMANDERESSE

 

Me Sébastien Gagné                                                     POUR DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joli-Cœur Lacasse, Geoffrion,                                       POUR DEMANDERESSE

Jetté, St-Pierre

1134 Chemin St-Louis, bureau 600

Sllery (Québec) G1S 1E5

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 



[1]               À l'audience, la demanderesse avait soulevé une question juridictionnelle qu'elle a par la suite retirée. Il s'agissait de l'absence de preuve que le demandeur d’information était canadien ou résident canadien. Dans l’affaire Wyeth-Ayerst, ci-dessus, le tiers qui demandait la révision avait soulevé devant le décideur que le demandeur ne répondait pas aux critères de l’article 4. C’est pour cette raison que dans Wyeth-Ayerst, ci-dessus, le défendeur a dû présenter une preuve à cet égard lors de la demande de révision. Le contexte est clairement différent ici puisque l’article 4 n’a jamais été mentionné dans la lettre du 30 mai.

[2]               S’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans La Reine du chef du Canada c. M. Lefebvre et autres, [1980] 2 C.F. 199 et celle de Corporation professionnelle des médecins vétérinaires du Québec c. Hardy (1 décembre 1986), Montréal 750-27-0492-838 (Qc. C.S.), la défenderesse soumet que dans les faits, cette loi ne s’applique pas à l’exercice des professionnels de l’administration fédérale.

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