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Date : 20060504

Dossier : DES-3-03

Référence : 2006 CF 555

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration

et la protection des réfugiés, signé par le Ministre de l'immigration

et le Solliciteur général du Canada (Ministres)

L.C. 2001, ch. 27 (LIPR);

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat Bla

Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1)

et des articles 78 et 80 de la LIPR;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

la demande de modification des conditions de libération

et de remise en liberté de l'intéressé par M. Adil Charkaoui;

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Charkaoui.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Charkaoui demande principalement l'annulation de la plupart des conditions préventives de sa libération indiquées dans un jugement du soussigné daté du 17 février 2005 (voir Charkaoui (Re), 2005 CF 248), lesdites conditions ayant été amendées de façon mineure par la suite pour répondre à de nouvelles situations (voir l'ordonnance 10 novembre 2005 réitérant les conditions initiales et intégrant les amendements successifs, ainsi que l'ordonnance du 8 mars 2006). Subsidiairement, M. Charkaoui demande un certain assouplissement aux conditions de façon à lui assurer une plus grande autonomie pour s'occuper de sa famille, continuer son programme d'études et assumer ses tâches d'emploi. M. Charkaoui souhaite également être autorisé à être supervisé par d'autres personnes que son père, sa mère et M. Larbi Ouazzani, compte tenu de la lourdeur des obligations découlant d'une telle responsabilité.

[2]                Les Ministres s'opposent à la demande d'annulation mais informent qu'ils seraient prêts à consentir à certains accommodements en autant que les principes véhiculés par les conditions préventives ne sont pas dilués et que la sécurité nationale et celle d'autrui sont reconnues. Les Ministres ont demandé une audience à huis clos et hors la présence de M. Charkaoui et de ses procureurs pour présenter leurs prétentions, le tout selon les paragraphes 78 e), f), g) et h) de la LIPR.

[3]                M. Charkaoui, par l'entremise de ses procureurs, s'est objecté à la tenue d'une telle audience et le soussigné rejeta l'objection dans une décision motivée datée du 30 mars 2006 (voir Charkaoui (Re) 2006 CF 410).

[4]                Le ou vers le 22 mars 2005, M. Charkaoui demandait la suspension de l'étude de la raisonnabilité du certificat dans le but de permettre aux Ministres de disposer d'une demande de protection, tel que prévu aux paragraphe 112(1) de la LIPR. Cette demande de suspension fut accordée par ordonnance tel que l'exige le paragraphe 79(1) de la LIPR. En date de ce jour, la suspension demeure étant donné que la demande de protection est toujours pendante.

I.           L'audience à huis clos et le résumé de la preuve

[5]                L'audition à huis clos hors la présence de M. Charkaoui et de ses procureurs a eu lieu avant l'audition publique dans le simple but de pouvoir informer M. Charkaoui et ses procureurs des résultats de l'audition de façon à permettre à ceux-ci d'avoir entre les mains tous les éléments communicables en de telles circonstances. C'est ainsi qu'un résumé de la preuve fut préparé et remis à M. Charkaoui et ses procureurs au début de l'audience publique et le soussigné expliqua aux parties le résumé de la preuve, le tout conformément au paragraphe 78h) de la LIPR.

[6]                À l'audience à huis clos, les Ministres ont fait entendre deux témoins. Ces témoins ont déposé un dossier documentaire incluant seulement des documents classifiés contenant des « renseignements » tel que définis à l'article 76 de la LIPR. Pendant près de trois (3) heures, le soussigné, en présence des procureurs des Ministres, a examiné les documents, a vérifié leur véracité et s'est informé de leur origine. Le soussigné a interrogé et contre interrogé les témoins concernant leur expérience et leur expertise au sujet de l'origine des documents, de leur fiabilité et de leur contenu. À plusieurs reprises, le soussigné avisa qu'il examinait la preuve et interrogeait les témoins en ayant comme seul objectif la requête en annulation des conditions préventives de M. Charkaoui. Dans le cours de l'examen, le soussigné identifia un document classifié non pertinent à la requête de M. Charkaoui. En conséquence, le soussigné a ordonné le retrait immédiat de ce document du dossier de documentation, conformément au paragraphe 78f) de la LIPR. Le document en question a été exclu du dossier.

[7]                Le résumé de la preuve indique à M. Charkaoui et à ses procureurs que les Ministres ont obtenu des renseignements leur permettant de croire que M. Charkaoui est un danger qui ne s'est pas atténué et qu'ils se réservaient le droit de déposer ultérieurement, s'il y a lieu, une requête demandant l'annulation des conditions préventives. Le résumé de la preuve révèle de plus qu'il y a de l'information favorable à M. Charkaoui dans le dossier des Ministres (ceux-ci ont l'obligation de la dévoiler selon l'arrêt de la Cour suprême dans l'arrêt Ruby c. Canada, 2002 CSC 75, au para. 47). Ces informations ne peuvent toutefois être communiquées pour des raisons de sécurité nationale. Lors de l'audition, le soussigné informait M. Charkaoui et ses procureurs que celui-ci respectait les conditions préventives et que cela pouvait être pris en considération dans la présentation de la preuve. Le soussigné a tenté lors de l'audition à huis clos d'identifier de l'information spécifique et détaillée pouvant être communiquée. S'ils étaient dévoilés, les documents que j'ai examinés créeraient un préjudice à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Telle est ma conclusion après examen détaillé des documents.

[8]                Par ailleurs, je suis également d'avis que la preuve entendue à huis clos n'a pas à être utilisée pour décider du sort de la présente requête. La preuve publique est amplement suffisante pour assumer mes obligations judiciaires et pour répondre aux questions de droit en l'espèce. La preuve qui ne peut être dévoilée conserve sa raison d'être mais n'a pas nécessairement à être utilisée dans le cadre de la présente requête, la preuve publique étant suffisante. Cette dernière contient les éléments pour évaluer les conditions préventives en tenant compte des décisions antérieures et des conclusions recherchées par la présente procédure.

II.         Prétentions des parties

A.    Prétentions de M. Charkaoui et de ses procureurs

[9]                M. Charkaoui demande la levée des conditions préventives parce qu'il considère qu'avec le passage du temps, les conditions ont perdu leur raison d'être, qu'elles ont été respectées et « qu'il méritait la confiance de la Cour au moment de sa libération en février 2005. » En conséquence, M. Charkaoui soutient qu'il n'est pas un danger à la sécurité nationale et à celle d'autrui. Il ajoute que l'annulation des conditions ne compromettrait pas la sécurité nationale ni celle d'autrui, et ne l'empêcherait pas d'être assujetti aux procédures judiciaires ni au renvoi (s'il y a lieu).

[10]            Subsidiairement, M. Charkaoui demande que les conditions préventives soient amendées de façon à lui permettre de travailler sans restriction pour subvenir aux besoins de sa famille et pour poursuivre ses études en toute liberté. À ce sujet, il demande à la Cour d'accorder à d'autres personnes (en plus de son père, de sa mère et de M. Larbi Ouazzani) le droit d'agir à titre de superviseur lors de ses sorties de son domicile. Seize (16) personnes ont déposé des affidavits et quinze (15) ont témoigné lors de l'audience publique. À l'audition de février 2005, plusieurs personnes s'étaient offertes mais la Cour n'en a retenu que trois (3).

B. Prétentions des Ministres

[11]            De leur côté, les Ministres réitèrent leur position initiale dans le dossier, soit qu'ils considèrent que M. Charkaoui est un membre du réseau Al Quaïda d'Oussama Ben Laden et qu'il devrait être interdit de territoire pour raison de sécurité, le tout selon les alinéas 34(1)c), 34(1)d) et 34(1)f) de la LIPR. Les Ministres estiment en outre que M. Charkaoui est lié au groupe islamique combattant marocain (GICM), organisation liée à Al Quaïda qui serait responsable des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et du 11 mars 2004 à Madrid. Selon les Ministres, M. Charkaoui aurait remis au GICM une somme de $2,000.00 et un ordinateur portatif. Les Ministres rappellent que le soussigné, dans des décisions antérieures traitant de la révision de la détention, avait constaté que la preuve était sérieuse et que les conditions préventives avaient été imposées pour s'assurer que le danger associé à M. Charkaoui soit neutralisé.

[12]            Lors de l'audition, l'un des procureurs des Ministres a indiqué que ceux-ci s'opposaient à la demande de levée des conditions préventives mais qu'ils étaient prêts à envisager certains accommodements.

[13]            Toutefois, ils plaident qu'aucun autre moyen ne peut remplacer efficacement la supervision et l'accompagnement de M. Charkaoui par une personne reconnue par la Cour. À ce sujet, les Ministres rappellent à la Cour les principes à la base de la supervision et de l'accompagnement tels que formulés dans des décisions antérieures.

[14]            Concernant la demande de M. Charkaoui de pouvoir utiliser un téléphone cellulaire, terminaux de messagerie, le blackberry ainsi que télécopieurs téléavertisseurs, émetteurs-récepteur portatifs et ordinateurs avec internet pour fin d'étude et autres, les Ministres soutiennent qu'ils ont consenti à plusieurs aménagements depuis février 2005 et s'objectent à une telle demande car selon eux, accorder plus de latitude à M. Charkaoui poserait un danger pour la sécurité nationale ou celle d'autrui. De la même façon, les Ministres insistent pour que le bracelet GPS prévu à la condition 4, demeure. Pour eux, il s'agit d'un complément ou d'un ajout au rôle du superviseur permettant de « minimiser » le danger pour la sécurité nationale ou celle d'autrui.

[15]            Selon les Ministres, le couvre-feu prévu imposé à M. Charkaoui n'a pas à être aboli et on porte à l'attention du soussigné que des accommodements ont été accordés depuis février 2005. Les Ministres ajoutent que ce couvre-feu est compatible avec le rôle de supervision et d'accompagnement « au coeur des conditions préventives élaborées par la Cour » . Toutefois, les Ministres demeurent ouverts à accommoder M. Charkaoui.

[16]            En dernier lieu, les Ministres notent que M. Charkaoui est silencieux au sujet de la condition 5i) : accès au domicile par un membre de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), condition 6 : présence de l'intimé aux auditions et à un éventuel renvoi, condition 8 : interdiction de posséder une arme, une imitation d'arme ou des substances explosives et chimiques, condition 10 : interdiction de communiquer avec certaines personnes.

III.       Analyse

[17]            Depuis la libération de l'établissement Rivière des Prairies avec conditions préventives, M. Charkaoui :

-           a poursuivi ses études de maîtrise en didactique du français avec succès;

-           est devenu père d'un troisième enfant né au Canada;

-           a participé à des débats publics portant sur le droit de l'immigration et d'autres sujets;

-           malgré ses conditions préventives et grâce à ses efforts soutenus, a réussi à obtenir des revenus autonomes d'emploi (affidavit de M. Charkaoui en date du 22 février 2006, aux paragraphes 11e), f), g), h), 16, 17 et 18).

[18]            Les accomplissements de M. Charkaoui sont à noter surtout en tenant compte des nombreuses conditions préventives qui lui ont été imposées dans le but de s'assurer que le danger demeure neutralisé. J'ajoute que depuis sa libération de février 2005, les conditions préventives ont été amendées à cinq (5) reprises à la demande de M. Charkaoui et très souvent avec l'accord des Ministres dans le but de pouvoir les adapter à son vécu quotidien.

[19]            À titre de rappel, dans la décision Charkaoui (Re) du 17 février 2005 (précitée), j'ai identifié plus de 15 conditions préventives pour assurer que le danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui soit neutralisé. Pour en arriver à une telle décision, j'ai tenté de concilier l'objectif qu'est celui de neutraliser le danger tout en accordant une certaine autonomie à M. Charkaoui, en tenant compte de ses besoins quotidiens. Derrière chacune des conditions préventives, il y a une préoccupation à atténuer tout en permettant à M. Charkaoui, dans les circonstances, de jouir d'une certaine liberté tenant compte de ses obligations. Ainsi, le rôle de superviseur et d'accompagnateur confiés au père et à la mère de M. Charkaoui ainsi qu'à M. Larbi Ouazzani (qui fait aussi partie de la famille et qui est le plus grand contributeur à la caution rattachée à la mise en liberté) fait appel aux liens familiaux ou autres, à une certaine ascendance sur la personne concernée, à une connaissance de cette dernière depuis plusieurs années et à un intérêt personnalisé à son égard. La proximité entre le logement de M. Charkaoui et celui de ses parents et de sa soeur était aussi de nature à me rassurer. Malgré un déménagement depuis février 2005, cette proximité demeure. C'est dans ce cadre que les conditions préventives ont été élaborées et que le droit d'agir à titre de superviseur a été accordé à certaines personnes et non à d'autres.

[20]            Certes, les conditions préventives sont contraignantes et briment la liberté et l'autonomie de M. Charkaoui et de sa famille. Tenant compte de la loi, de ses objectifs et des circonstances de la présente, la présente situation est inévitable et il n'y a pas de solution miraculeuse pouvant minimiser les entraves à la liberté de M. Charkaoui.

[21]            Le tribunal devra éventuellement décider de la raisonnabilité du certificat, ce qui permettait d'envisager une fin quelconque à ce litige. Pour le moment, il y a suspension de l'étude de la raisonnabilité du certificat conformément au paragraphe 79(1) de la LIPR, qui a été accordée à la demande de M. Charkaoui. Ceci ne permet pas de mettre un terme aux inconvénients associés au certificat de sécurité, ni de décider une fois pour toutes si les allégations des Ministres sont fondées. Je rappelle que les Ministres allèguent que M. Charkaoui est interdit de territoire pour « se livrer au terrorisme » ; (alinéa 34(1)c) de la LIPR) « constituer un danger pour la sécurité du Canada » (alinéa 34(1)d) de la LIPR), « être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c) » (alinéa 34(1)f) de la LIPR).

[22]            Abolir les conditions préventives comme M. Charkaoui me le demande équivaudrait à une décision favorable à M. Charkaoui sur le fond du litige, soit la raisonnabilité du certificat. Comment pourrais-je éliminer les conditions sans me prononcer sur le bien-fondé des allégations des Ministres contre M. Charkaoui? Ce serait aller à l'encontre de la suspension des procédures prévues par le législateur (paragraphe 79(1) de la LIPR) mais encore plus, ce serait me prononcer sur le fond du litige sans avoir tous les outils à ma disposition, dont le bénéfice d'une audition où toute la preuve serait mise de l'avant par les parties pour permettre une décision éclairée. J'avais informé les parties à la fin de l'audition que je ne pouvais pas abolir les conditions pour les raisons mentionnées ci-dessus. Toutefois, je les informais que M. Charkaoui pouvait présenter des suggestions quant aux accommodations à faire et que les Ministres pourraient par la suite les commenter. J'ai indiqué que j'interviendrais s'il y a lieu et que je gardais l'esprit ouvert à amender les conditions de libération en autant que les commentaires émis ci-haut soient pris en considération.

[23]            Tout en persistant à demander l'abolition totale des conditions préventives, M. Charkaoui a présenté ses suggestions dans le but de les atténuer, puisqu'il n'est pas possible de les annuler. Les Ministres se sont objectés à plusieurs des modifications proposées.

[24]            Dans le but de bien refléter ces demandes et de permettre de comprendre l'esprit dans lequel elles ont été suggérées, je les inclus à la présente de façon intégrale en y excluant l'information personnelle rattachée à M. Charkaoui et à sa famille (cette exclusion n'affecte pas la compréhension des suggestions).

a)          « D'abord, il paraît utile à M. Charkaoui d'exprimer ou de réitérer à la Cour qu'il est le père de trois jeunes enfants dont l'aînée débutera l'école en septembre. Pour le bien-être des enfants, il est appelé à se retrouver à l'extérieur de son domicile dans de nombreuses situations tel que [sic] pour amener les enfants à la clinique médicale, avec ou sans urgence, faire des sorties familiales, culturelles ou éducatives ou tout simplement pour faire des courses. Il souhaiterait être autorisé dans ces circonstances, à sortir seul avec sa conjointe et/ou ses enfants. Par exemple, pour aller reconduire sa fille à l'école à compter de septembre soit à [...].

b)         Il souhaiterait aussi que la Cour modifie la condition numéro 2 pour qu'il lui soit permis de se trouver en tout temps sans accompagnement dans un rayon d'un minimum de 15 mètres de la propriété sise au (...). Ainsi, il pourrait en tout temps avoir accès à la cour de sa résidence, à l'appartement de ses parents ou à son véhicule sans craindre d'enfreindre ses conditions. Si la Cour lui permettait de se déplacer dans un plus large périmètre sans accompagnement, il pourrait surveiller ses enfants lorsqu'ils jouent dehors dans le voisinage. La condition actuelle peut être interprétée de façon à l'obliger à se trouver à l'intérieur de son appartement lorsqu'il n'est pas accompagné des personnes approuvées par la Cour et pendant son couvre-feu.

c)          Monsieur Charkaoui souhaite également subvenir aux besoins de sa famille et à cette fin, il aurait pu obtenir plusieurs emplois depuis sa libération n'eût été de ses conditions d'accompagnement, de non utilisation d'outils de communication et de restriction de sortie à l'extérieur de l'île de Montréal. Il souhaite donc pouvoir déroger aux conditions pour fins d'emploi et après avoir avisé l'Agence des services frontaliers du Canada dans un délai raisonnable, qui pourrait par exemple être fixé à 72 heures. L'Agence pourrait s'objecter aux projets de Monsieur Charkaoui en ce sens pour des motifs raisonnables auquel cas, la Cour pourrait trancher le litige à la demande de Monsieur Charkaoui.

d)         Monsieur Charkaoui souhaite également pouvoir se rendre seul à la Mosquée pour la prière du vendredi, lorsque personne n'est disponible pour l'y accompagner. Il aimerait accomplir ses prières à la mosquée la plus proche de chez lui soit le (...).

e)          Il demande également la permission de se rendre et/ou de se trouver au (...), sans accompagnement, pour s'y entraîner.

f)           Monsieur Charkaoui souhaite pouvoir quitter l'île de Montréal à certaines occasions : 1) pour assister à l'audition de sa cause en Cour Suprême le 13 juin 2006; 2) pour se rendre au domicile de Larbi Ouazzani à Châteauguay, 3) pour effectuer certaines sorties familiales avec ses enfants et 4) pour fins de recherche d'emploi. Dans toutes ces circonstances, Monsieur Charkaoui soumet qu'il pourrait lui être permis de le faire lorsqu'il se trouve en présence de son père, sa mère et/ou Larbi Ouazzani qui feraient ensuite le rapport à la Cour en conséquence. De même, il pourrait aviser l'Agence des services frontaliers du Canada de ses projets de sorties de l'île de Montréal, dont les dates et adresses dans un délai que l'Agence jugerait suffisant.

g)          Considérant les disponibilités réduites des accompagnateurs de Monsieur Charkaoui, il serait souhaitable que soit élargi le couvre-feu pour lui permettre disposer du temps suffisant dans la journée pour vaquer à ses obligations et activités. Ainsi, il estime qu'un couvre-feu de 23h00 à 6h00 ne serait nullement incompatible avec des objectifs de sécurité publique.

h)          Si la Cour est toujours d'opinion, malgré la preuve soumise, que la condition d'accompagnement doit être maintenue, Monsieur Charkaoui souhaite que les personnes ayant déposé des affidavits à la Cour dans le cadre de la requête en modification des conditions de remise en liberté puisse remplacer Mohammed Charkaoui, Latifa Radwan et Larbi Ouazzani pour lui permettre de sortir de chez lui. Ces personnes pourraient ainsi faire rapport à la Cour de leur accompagnement tel que mentionné par ces personnes.

i)            Monsieur Charkaoui souhaite que la Cour lui permettre l'accès à l'Internet depuis son domicile. En effet, cet outil de communication lui permettrait de communiquer avec ses avocates, de faire de la recherche relativement à son dossier et d'échanger des informations avec ses employeurs et professeurs. Il soumet que l'Agence des services frontaliers du Canada pourraient en contrepartie, avoir accès à ses communications et à son ordinateur si nécessaire pour assurer le respect des conditions. Il pourrait alors également fournir à l'Agence et/ou à la Cour toutes les informations relatives aux adresses et fournisseurs de services utilisés.

j)           Monsieur Charkaoui estime que si la Cour juge que la condition d'accompagnement doit être maintenue, le port du bracelet GPS est superflu et il demande en conséquence d'en être dispensé.

k)         Monsieur Charkaoui souhaiterait pouvoir utiliser un téléphone cellulaire dont il remettrait copie du contrat d'utilisation à l'ASFC pour assurer sa sécurité et celle des membres de sa famille lorsqu'il est à l'extérieur de son domicile. Il pourrait ainsi rejoindre l'Agence des services frontaliers du Canada en tout temps et de la même façon être rejoint par elle en tout temps. Monsieur est prêt à renoncer à toute confidentialité relative à l'utilisation de ce téléphone cellulaire, si la Cour l'autorise, pour assurer le respect des conditions.

l)            Enfin, relativement à l'obligation de se rapporter une fois par semaine à l'ASFC, Monsieur Charkaoui souhaite ne pas être tenu de rencontrer un agent en particulier mais de simplement d'y faire consigner sa présence par écrit par le préposé désigné à cette fin, de manière à réduire la durée de sa présence à l'Agence à chaque mercredi. »

(j'ai identifié les demandes par les lettres a), b), c), etc ... pour fin de référence)

[25]            En contre partie, les Ministres s'objectent à la levée complète des conditions préventives. Toutefois, ils sont d'accord avec les demandes subsidiaires suivantes de M. Charkaoui :

-           Demande b) : sortie sans accompagnement dans un certain périmètre autour du domicile familial;

-           Demande f)1) : présence de M. Charkaoui lors de l'audition de son appel à la Cour suprême;

-           Demande g) : consentement partiel quant au couvre-feu (pendant lequel M. Charkaoui doit demeurer chez lui), de sorte que M. Charkaoui devrait se trouver à son domicile de 22 heures à 7 heures, plutôt que 23 heures à 6 heures, tel que demandé par M. Charkaoui. Le couvre-feu actuellement en vigueur selon l'ordonnance du 10 novembre 2005 s'étend de 22 heures à 8 heures.

[26]            Quant aux autres demandes de modification des conditions préventives, les Ministres réitèrent leur opposition. À leur avis, la Cour ne devrait pas désigner de nouvelles personnes pour agir à titre de superviseur-accompagnateur. Les Ministres s'objectent également aux demandes suivantes :

-           Demande i)) : demandes d'accès à l'internet;

-           Demande k) : utilisation d'un téléphone cellulaire;

-           Demande j) : abandon du port du bracelet GPS;

-           Demande l) : visites hebdomadaires au bureau de l'ASF.

[27]            Par ailleurs, les Ministres démontrent une certaine ouverture face à la demande a) concernant les sorties familiales. Toutefois, ils voudraient qu'à cette fin l'épouse de M. Charkaoui soit reconnue par la Cour comme superviseure-accompagnatrice, pour autant que celle-ci fasse les démarches nécessaires (les procureurs de M. Charkaoui auraient à en formuler la demande, qui devrait être appuyée d'un affidavit de l'épouse de M. Charkaoui, qui devrait alors être disposée à témoigner si la demande est faite). De plus, les Ministres demeurent ouverts à consentir à une sortie à l'extérieur de l'île de Montréal (demande c)) pour fin d'entrevue ou de travail concret mais estiment que cela ne justifie pas l'abolition de la condition préventive dans son ensemble. Ils ont la même ouverture face à une demande de sortie familiale (demande f)3)), mais estiment que ces demandes devraient être examinées au cas par cas.

[28]            Il y a aucun doute que le travail de superviseur-accompagnateur assigné aux parents de M. Charkaoui et à M. Larbi Ouazzani est très exigeant et qu'il demande beaucoup de temps et d'énergie. Ces personnes ont leurs propres obligations professionnelles, familiales et personnelles qui s'ajoutent à leurs responsabilités de superviseur-accompagnateur. Y aurait-il un meilleur moyen de partager cette lourde tâche?

[29]            Plusieurs personnes ont témoigné pour offrir occasionnellement leurs services de superviseur-accompagnateur en remplacement du père et de la mère de M. Charkaoui ou encore de M. Larbi Ouazzani. J'ai déjà préalablement expliqué le concept du rôle de superviseur-accompagnateur et le type de personne qui pouvait être désignés. J'ai entendu et compris chacun des témoignages. J'ai reconnu chez ces gens un sens civique et dans certains cas un dévouement à la noble cause et un souci pour le bien-être de l'autre. Toutefois, ces constatations ne me permettent pas d'attribuer à l'une de ces personnes le lourd fardeau de superviseur-accompagnateur. Je les remercie pour leurs gestes démontrant un humanisme certain et un souci du bien-être d'autrui. La Cour est prête à reconnaître à d'autres personnes que celles qui sont déjà désignées, le rôle de superviseur-accompagnateur, mais estime qu'il n'est pas suffisant que ces personnes connaissent depuis peu de temps M. Charkaoui et sa famille. À plus forte raison, les personnes qui se sont montrées disposées à assumer un rôle de supervision et qui n'ont aucun lien avec M. Charkaoui ne sauraient se voir accorder la confiance de la Cour. Le rôle de superviseur-accompagnateur est une lourde tâche qui exige non seulement un lien avec la personne désignée dans le certificat de sécurité, mais également objectivité, dévouement, préoccupation continue pour la sécurité d'autrui et détachement.

[30]            L'audition publique m'a permis d'être plus au fait du milieu familial et rapproché de M. Charkaoui. Je demeure confiant qu'il serait possible d'identifier des personnes qui sauraient assumer la tâche de superviseur et d'accompagnateur pour alléger ce fardeau qui repose sur les épaules des parents de M. Charkaoui et de M. Larbi Ouazzani tout en tenant compte des préoccupations exprimées dans la décision du 17 février 2005, précitée et dans la présente décision.

[31]            Quant aux demandes subsidiaires de M. Charkaoui, je les ai étudiées attentivement tout en tenant compte de ma préoccupation qu'est celle de conserver un équilibre entre les objectifs de sécurité nationale et le désir de M. Charkaoui de jouir d'un certain degré de liberté. Pour les raisons mentionnées à la présente, je ne peux pas, à ce moment-ci, bouleverser cet équilibre. Il y a suspension de l'étude de la raisonnabilité du certificat et je ne voudrais pas directement ou indirectement y contrevenir en amendant de façon trop substantielle les conditions préventives. Toutefois, ceci ne signifie pas que je ferme la porte à certains accommodements et à des demandes ponctuelles à venir, en fonction de l'évolution de la situation.

[32]            Ayant pris en considération les commentaires des Ministres, je suis d'accord avec les demandes b) (sortie dans un périmètre à l'extérieur du domicile familial), f)1) (sortie pour assister à l'audition de l'appel à la Cour suprême du Canada à Ottawa) et g) (le couvre-feu). Je demande donc à la procureure de M. Charkaoui, MeLarochelle, de préparer un projet d'amendement des conditions préventives à être présenté aux avocats des Ministres avant qu'il me soit communiqué. Concernant la demande f)1), si la présence de M. Charkaoui à Ottawa est de plus d'une journée, il serait important de préciser l'endroit où il demeurera. Le couvre-feu demeurera en vigueur. Au sujet de la demande g), le couvre-feu sera de 22 heures à 7 heures.

[33]            Quant à la demande l), j'aimerais qu'elle soit prise en considération de la façon suivante. Une simple signature à un registre serait suffisante lorsqu'une rencontre avec un agent des Services frontaliers du Canada n'est pas nécessaire, l'objectif étant que la présence à l'ASFC de M. Charkaoui ne soit pas de trop longue durée si l'entrevue n'a pas lieu. Tel que demandé ci-haut, je demande à Me Larochelle de rédiger un projet d'amendement reflétant l'objectif mentionné et de le transmettre aux avocats des Ministres avant de la présenter à la Cour.

[34]            Les autres demandes de M. Charkaoui sont rejetées mais la Cour demeure ouverte à des accommodements selon les faits présentés et l'évolution de la situation.

IV.       Autres commentaires

[35]            Dans un but de refléter adéquatement la façon dont s'est tenue l'audience ex parte, j'ai informé M. Charkaoui et Me Larochelle que M. Maurice Archdeacon était présent à titre d'observateur. Depuis 18 mois, M. Archdeacon travaille avec le juge en Chef et le soussigné dans le but de mettre sur pied un programme de formation pour les juges désignés traitant des droits de la personne et de la sécurité nationale. En tant qu'ancien inspecteur général, nommé sous la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C, 1985, ch. C-23 et ancien directeur exécutif du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, M. Archdeacon a l'expérience requise pour assumer cette tâche. C'est à ce titre qu'il était observateur lors de l'audience ex parte.

ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

-           La requête en modification des conditions de libération et de remise en liberté de M. Charkaoui est accordée en partie.

-           Les parties devront soumettre à la Cour un projet d'ordonnance amendant les conditions préventives en tenant compte des motifs de l'ordonnance et une nouvelle ordonnance suivra.

« Simon Noël »

Juge


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