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Date : 20051201

Dossier : T-346-02

Référence : 2005 CF 1621

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

MICHEL THIBODEAU

demandeur

et

AIR CANADA et

AIR CANADA RÉGIONAL INC.

défendeurs

et

COMMISSAIRE AUX LANGUES

OFFICIELLES DU CANADA

intervenante

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour a accueilli le 24 août 2005 le recours du demandeur contre Air Canada en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.) (LLO). Les parties ont déposé des représentations écrites et uneaudition a eu lieu le 26 octobre 2005 pour trancher les questions ayant trait aux réparations non monétaires, aux dépens et aux déboursés.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Le demandeur a-t-il droit à des réparations non monétaires?

[3]                Le demandeur a-t-il droit à ses déboursés et aux dépens?

ANALYSE

[4]                Les dispositions pertinentes de la LLO se lisent comme suit :

76. Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.

76. In this Part, "Court" means the Federal Court.

77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie. [...]

(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.

77. (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV or V, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part. [...]

(4) Where, in proceedings under subsection (1), the Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.                

(5) Nothing in this section abrogates or derogates from any right of action a person might have other than the right of action set out in this section.

81. (1) Les frais et dépens sont laissés à l'appréciation du tribunal et suivent, sauf ordonnance contraire de celui-ci, le sort du principal.               

(2) Cependant, dans les cas où il estime que l'objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, le tribunal accorde les frais et dépens à l'auteur du recours, même s'il est débouté.

81. (1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise.

(2) Where the Court is of the opinion that an application under section 77 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result.

1.         Le demandeura-t-il droit à des réparations non monétaires?

[5]                Dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême a retenu les principes généraux qui doivent guider les juges dans leur évaluation du caractère « convenable et juste » d'une réparation accordée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, dont l'énoncé est semblable à celui du paragraphe 77(4) de la LLO. Les droits linguistiques étant de nature quasi-constitutionnelle, notre analyse sera guidée par ces principes (paragraphes 55 à 59 de la décision Doucet-Boudreau) :

Premièrement, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d'une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur. Il va sans dire qu'elle tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur. Une réparation utile doit être adaptée à l'expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause. Une réparation inefficace ou "étouffé[e] dans les délais et les difficultés de procédure" ne permet pas de défendre utilement le droit violé, et ne saurait donc être convenable et juste (voir Dunedin, précité, par. 20, la juge en chef McLachlin, citant Mills, précité, p. 882, le juge Lamer (plus tard Juge en chef)).

Deuxièmement, la réparation convenable et juste fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle. Comme nous l'avons vu, le tribunal qui accorde une réparation fondée sur la Charte doit s'efforcer de respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l'exécutif [page38] et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces trois pouvoirs. Cela ne signifie pas que la ligne de démarcation entre ces fonctions est très nette dans tous les cas. Une réparation peut être convenable et juste même si elle peut toucher à des fonctions ressortissant principalement au pouvoir exécutif. L'essentiel est que, lorsqu'ils rendent des ordonnances fondées sur le par. 24(1), les tribunaux ne s'écartent pas indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends.

Troisièmement, la réparation convenable et juste est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d'un tribunal. Il ne convient pas qu'un tribunal se lance dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n'est manifestement pas conçu ou n'a pas l'expertise requise. Les capacités et la compétence des tribunaux peuvent s'inférer, en partie, de leurs tâches normales pour lesquelles ils ont établi des règles de procédure et des précédents.

Quatrièmement, la réparation convenable et juste est celle qui, en plus d'assurer pleinement la défense du droit du demandeur, est équitable pour la partie visée par l'ordonnance. La réparation ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit.

Enfin, il faut se rappeler que l'art. 24 fait partie d'un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte. C'est ce qui explique pourquoi, en raison de son libellé large et de la multitude de rôles qu'il peut jouer dans différentes affaires, l'art. 24 doit pouvoir évoluer de manière à relever les défis et à tenir compte des circonstances de chaque cas. Cette évolution peut forcer à innover et à créer au lieu de s'en tenir à la pratique traditionnelle et historique en matière de réparation, étant donné que la tradition et l'histoire ne peuvent faire obstacle aux exigences d'une notion réfléchie et péremptoire de réparation convenable et juste. Bref, l'approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

[6]                Le demandeur recherche lesréparations non monétaires ci-dessous identifiées en caractères gras:

I -            LA DEMANDE vise, tout d'abord, l'obtention d'une DÉCLARATION à l'effet que :

a)             la Société Air Canada et sa filiale, Air Canada Régional Inc., sont assujetties à la LLO,                                                    notamment à la partie IV, à la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada                                     (la "LPPCAC"), notamment au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a), et au        Règlement sur                                     les langues officielles - communications avec le public et prestation de           services, DORS/92-48 (le                                                 "Règlement);

[8]                Dans ses représentations écrites et lors de l'audition, le demandeur s'est déclaré satisfait de l'ordonnance du 24 août 2005 comme réparation à cette demande.

            b)              Air Canada et sa filiale, Air Canada Régional Inc., ne respectent pas leurs obligations                                                      linguistiques prévues à la partie IV de la LLO, au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la                                         LPPCAC, et au Règlement;

[9]                Le matin de l'audition, le demandeur s'est désisté de cette demande, convenant avec la défenderesse que cette demande était trop vague et débordait du cadre des faits de la présente affaire.

            c)              La violation des droits linguistiques prévus à la partie IV de la LLO, au paragraphe 10(1) et à                                         l'alinéa 10(2)a) de la LPPCAC, et au Règlement, constitue également une violation des droits                                        prévus aux articles 16 et 20 de la Charte canadienne des droits et libertés (la "Charte");

[10]            Étant donné que cette Cour a conclut dans l'ordonnance du 24 août 2005 que la Charte ne s'appliquait pas à la défenderesse, le demandeur s'est désisté de cette demande.

            d)              Air Canada et sa filiale, Air Canada Régional Inc., n'ont pas respecté    leurs obligations                                                                 linguistiques prévues à la partie IV de la LLO, au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la                                          LPPCAC, et au Règlement le 14 août 2000 sur le vol AC 1347 entre Montréal et Ottawa, et ont                                             ainsi brimé les droits linguistiques de M. Michel Thibodeau garantis par la Charte;

[11]            L'ordonnance 24 août 2005 ayant déterminé qu'Air Canada n'était pas assujettie à la Charte et que l'obligation de résultat ayant trait aux langues officielles incombait à Air Canada et non à sa filiale, le demandeur a amendé cette demande en insistant sur l'importance que revêt pour lui l'obtention d'une déclaration formelle à l'effet qu'Air Canada n'a pas respecté ses obligations linguistiques dans son cas personnel. Cette Cour ayant conclu en ce sens au paragraphe 66 de l'ordonnance du 24 août 2005, nul n'est besoin de le répéter ici.

            e)              Les dispositions de la LLO, de la LPPCAC, et du Règlement ont préséance sur les dispositions                                      des accords commerciaux ou des conventions collectives et leur application et ceux-ci ne peuvent                          avoir pour effet de soustraire Air Canada et Air Canada Régional Inc. à leurs obligations                                      linguistiques prévues à la partie IV de la LLO, au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la                                   LPPCAC, et au Règlement;

[12]            La réponse à cette question a déjà été déterminée par les paragraphes 97 et 101 de l'ordonnance du 24 août 2005 :

On sait que la LLO s'applique à Air Canada. Les conventions collectives qui découlent du CCT ne doivent pas être incompatibles à la mise en oeuvre de l'objet de la LLO. Si une incompatibilité se produit, la LLO l'emporte sur les dispositions de la convention collective.

[...]

Dans la présente cause, Air Canada est tenue de veiller à ce que ses filiales offrent des services dans les deux langues officielles sur les trajets à demande importante. Le principe de la préséance des lois sur la convention collective s'applique ici. Air Canada doit prendre les arrangements nécessaires avec ses syndicats afin de respecter la LLO car il ne faut pas oublier que cette loi est de nature quasi-constitutionnelle.

            II -            LA DEMANDE vise également l'obtention d'une ORDONNANCE mandatoire contre les                                   défendeurs, Air Canada et Air Canada Régional Inc., afin de les obliger, à l'intérieur d'un délai                                           de six mois du prononcé du jugement dans la présente instance, ou dans tout autre délai                                    déterminé par la Cour, à:

                a)              prendre toutes les mesures nécessaires afin que le public puisse communiquer avec les                                                 défendeurs et en recevoir tous les services en français, conformément à la partie IV de     la LLO,                                  au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la LPPCAC, et au Règlement;

                b)              prendre, sans restreindre la généralité de ce qui précède au paragraphe précédent, les mesures                                    suivantes :

                                i)              veiller à ce que les défendeurs aient une capacité bilingue adéquate et prennent toutes                                                      les autres mesures requises pour offrir les services au public, en français, pour les                                                          services en vol sur les trajets à demande importante;

                                ii)            veiller, dans les circonstances précédemment énoncées, à ce que les mesures soient                                                         prises par les défendeurs pour offrir activement le service au public, notamment en                                                           faisant une offre active de service en français, en entrant en communication avec lui ou                                                         encore par signalisation, avis ou documentation conformément à la partie IV de la                                                    LLO, au paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la LPPCAC, et au Règlement;

                                iii)            instaurer des procédures et un système de surveillance adéquats visant à rapidement                                                        identifier, documenter et quantifier d'éventuelles violations des droits linguistiques,                                                         lesquels droits sont énoncées à la partie IV de la LLO, au paragraphe 10(1) et à l'alinéa                                                   10(2)a) de la LPPCAC, et au Règlement;

                                iv)             faire en sorte que les droits linguistiques, tels que décrit à la partie IV de la LLO, au                                                        paragraphe 10(1) et à l'alinéa 10(2)a) de la LPPCAC, et au Règlement, aient précéance                                                   (sic) sur tout accord signé par les défendeurs et toutes conventions collectives                                                                            impliquant ceux-ci; [...]

[13]            Après avoir considéré les faits de la présente affaire et le droit applicable en l'espèce, je ne crois pas que l'imposition de l'ordonnance demandée est justifiée ici. En effet, la particularité des faits dans la cause sous étude incite à la retenue et je m'explique.

[14]            En effet, entre l'entrée en vigueur le 5 juillet 2000 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada (L.R.C. (1985), ch. 35 (4e suppl.) (la LPPCAC) dont le paragraphe 10(2) impose une obligation de résultat à Air Canada par rapport à ses filiales et à l'application des dispositions de la LLO et le vol du 14 août 2000 lors duquel le demandeur n'a pas reçu de service en français, il ne s'est écoulé qu'un peu plus d'un mois. La preuve est cependant muette au sujet de d'autres manquements à la LLO entre ces deux dates, ou encore entre l'entrée en vigueur de la LPPCAC et la date de l'audition de la présente affaire, le 26 octobre 2005. Il m'est donc impossible de conclure à l'existence de manquements systémiques de la part d'Air Canada.

[15]            Bien qu'il soit déplorable que la défenderesse ait manqué à ses obligations linguistiques en ne fournissant pas de service en français au demandeur, la gravité de l'atteinte aux droits de ce dernier et du préjudice qu'il a subi doivent être distingués des précédents judiciaires où de telles ordonnances furent imposées. Dans Doucet-Boudreau, précité, la province ne fournissait pas suffisamment d'instruction scolaire en français à sa minorité francophone. Dans Doucet c. Canada, 2004 CF 1444, la Gendarmerie Royale du Canada ne communiquait avec le public qu'en anglais dans une zone routière où existait une demande importante pour un service dans les deux langues officielles. Dans Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence de l'inspection des aliments), 2004 CAF 263, il était en partie question du droit des employés francophones à travailler en français. Dans Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1997] 1 C.F. 305 (1ère inst.), la violation concernait le droit du requérant à travailler dans la langue officielle de son choix.

[16]            Ici, deux juges se sont prononcés en qualifiant le non respect des droits linguistiques du demandeur lors du vol du 14 août 2000 dans les termes suivants : « légèreté relative et unicité de la violation » . Je suis d'accord avec ces énoncés et j'en conclus donc que l'imposition de l'ordonnance recherchée par le demandeur n'est pas justifiée par les circonstances de la présente affaire.

[17]            La partie III de la demande portait sur les dommages intérêts, qui ont déjà été réglés suite aux décisions des juges Boudreault et Rouleau.

            IV -          LA DEMANDE vise également l'obtention d'une ORDONNANCE mandatoire contre les                                   défendeurs, Air Canada et Air Canada Régional Inc., afin de les obliger à donner au                                                                demandeur, Michel Thibodeau, une lettre d'excuse, laquelle sera affichée par les défendeurs                                   dans tous les comptoirs de service à la clientèle d'Air Canada et Air Canada Régional Inc. Cette                                     lettre devrait être à la vue du public, facilement lisible, être affichée pour une durée de deux                                                semaines ou plus et inclure, entre autres les éléments suivant :

                a)              La reconnaissance que Air Canada et Air Canada Régional Inc. sont     légalement tenu (sic)                                          d'offrir des services en français selon les dispositions de la partie IV de la LLO, de la LPPCAC,                                    et du Règlement;

                b)              La reconnaissance que Air Canada et Air Canada Régional Inc. ont manqué à leur devoir                                                 d'offrir des services en français aux passagers francophones;

c)              Des excuses à M. Michel Thibodeau pour l'absence de service en français et pour le                                          manque de respect de la part de Air Canada et Air Canada Régional Inc. associé à                                  l'incident du 14 août 2000;

[18]            Le demandeur insiste beaucoup sur l'importance que revêt pour lui l'obtention d'une lettre d'excuses de la part d'Air Canada. De son côté, la défenderesse soutient que l'ordonnance du 24 août 2005 constitue en soi une réparation convenable et juste, et qu'il serait inéquitable qu'elle se voit imposer l'obligation de s'excuser auprès du demandeur. En outre, elle déclare ne pas avoir à s'excuser étant donné qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable pour se conformer à ses obligations linguistiques. De plus, elle plaide force majeure avec l'entrée en vigueur de la loi le 5 juillet 2000.

[19]            Avec respect, je ne peux souscrire à la position de la défenderesse. Les contraintes auxquelles elle faisait face lors de l'entrée en vigueur de la LPPCAC auraient, par exemple, pu être surmontées par l'embauche de personnel ou de sous-traitants capables de communiquer en français. Quant à l'argument de force majeure, je ne suis pas d'avis qu'il doit être retenu car cette loi était prévisible depuis au moins le mois de février 2000.

[20]            Une lettre d'excuses me paraît tout à fait justifiée et servira les fins de la LLO compte tenu des circonstances et de la persévérance dont le demandeur a dû faire preuve pour faire reconnaître judiciairement que ses droits linguistiques n'ont pas été respectés Lavigne, précité.

[21]            Lors de l'audition, la défenderesse a présenté un projet de lettre d'excuses. Après analyse, le demandeur a déclaré n'y voir nulle part le mot « excuse » ou le verbe « s'excuser » . La Cour est d'accord avec ce dernier et la défenderesse devra faire parvenir au demandeur une lettre dans laquelle elle présente formellement des excuses au demandeur.

[22]            Quant à la demande que cette lettre soit affichée dans les comptoirs de la défenderesse, compte tenu du fait que la gravité de l'atteinte aux droits linguistiques du demandeur dans la présente affaire est tout de même inférieure aux violations constatées dans Lavigne, précité et qu'aucune preuve de d'autres manquements systémiques aux obligations linguistiques n'a été présentée, la Cour n'obligera pas la défenderesse à un tel affichage.

2.         Le demandeura-t-il droit à ses déboursés et aux dépens?

[23]            La règle 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) se lit comme suit :

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut :

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

(7) Les dépens sont adjugés à la partie qui y a droit et non à son avocat, mais ils peuvent être payés en fiducie à celui-ci.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Costs may be awarded to or against the

Crown

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

(4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

(5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff.

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

(d) award costs against a successful party.

(7) Costs shall be awarded to the party who is entitled to receive the costs and not to the party's solicitor, but they may be paid to the party's solicitor in trust.

[24]            Le demandeur réclame l'octroi de la somme d'environ 6 000 $ pour ses déboursés et des dépens de 5 000 $.

[25]            Ces montants couvrent la totalité des procédures judiciaires devant la Cour fédérale et devant la Cour supérieure de l'Ontario.

[26]            Or, sur les onze ordonnances émises par notre Cour entre le 12 juin 2002 et le 15 février 2005, le demandeur n'a reçu aucune adjudication favorable sur les frais. Neuf de ces ordonnances ont été accordées sans frais, et les deux autres ordonnances ont été rendues avec « frais à suivre » :

·         lors de l'ordonnance du 9 avril 2004 du protonotaire Morneau sur la requête du Commissaire aux langues officielles pour intervenir dans ce dossier, le demandeur n'y a pas participé;

·         l'ordonnance du 2 juin 2004 du juge Noël rejetant la demande de levée de suspension des procédures présentée par le demandeur, cette dernière fut écartée lorsque la suspension des procédures fut levée, mais sans frais.

[27]            En ce qui concerne les procédures devant la Cour supérieure de l'Ontario, la défenderesse a soumis à juste titre que cette Cour ne pouvait se servir du paragraphe 77(4) de la LLO pour élargir la compétence qui lui incombe en matière de déboursés et de dépens en vertu de l'article 81 de la LLO. Il semble malheureusement que cette subtilité législative ait échappé à l'ex-juge à la retraite Boudreault, qui écrit ceci au paragraphe 40 de sa décision du 11 août 2004 :

En ce qui a trait à la demande du réclamant d'une condamnation aux dépens et déboursés, même si M. Thibodeau, qui n'est pas avocat, n'a pas droit à des honoraires d'avocat, [...] la Règle 400(4) de la Cour fédérale (1998) pourrait peut-être « s'appliquer dans une certaine mesure ce que l'équité pourrait dicter à cet égard » [...] En l'absence de toute preuve, et comme il semble que l'affaire continuera devant la Cour fédérale quant aux autres conclusions, je m'en remets à cette Cour à cet égard.

[28]            Or, les procédures pour les réclamations monétaires devant la Cour supérieure de l'Ontario étaient régies par un Plan d'Arrangement sanctionné par la Cour supérieure. La définition de « réclamation » dans ce Plan d'Arrangement inclut les réclamations pour frais devant la cour de l'Ontario.

« Réclamation » : (i) Droits d'une personne à l'égard d'une ou de plusieurs requérantes dans le cadre de dettes, de passif ou d'obligations (quelle qu'en soit la nature) dues à cette personne auxquels s'ajoutent l'intérêt couru y afférent ou les frais payables à leur égard, qu'ils soient liquidés, non liquidés, fixes, éventuels, échus, non échus, contestés, non contestés, issus de la loi ou de l'équité [...]

"Claim" means (i) any right of any Person against one or more of the Applicants in connection with any indebtedness, liability or obligation of any kind of one or more of the Applicants owed to such person and any interest accrued thereon or costs payable in respect thereof, whether liquidated, unliquidated, fixed, contingent, matured, unmatured, disputed, legal, equitable [...]

[29]            L'ordonnance du 23 août 2004, prononcée par le juge Farley de la Cour supérieure de l'Ontario sanctionnant le Plan d'Arrangement, se lit comme suit :

THIS COURT ORDERS that, upon the Implementation Date, each Affected Unsecured Claim shall be settled, compromised and released in accordance with the Plan, and the ability of an Affected Unsecured Creditor to proceed against the Applicants in respect of an Affected Unsecured Claim shall be forever discharged and restrained, and all proceedings with respect to, in connection with or relating to such Affected Unsecured Claims are hereby permanently stayed, subject only to the right of Affected Unsecured Creditors to receive distributions in accordance with the Plan [...]

[30]            Considérant que cette demande est finale, et en comparant les reçus soumis par le demandeur avec la nomenclature des déboursés déposée par la défenderesse, la Cour retient l'argumentation de cette dernière et accorde la somme de 1 875,95 $ au chapitre des déboursés.

[31]            La question des dépens pose également quelques difficultés étant donné que le demandeur se représente seul, n'a pas demandé l'aide d'un avocat, et qu'il n'est pas lui-même avocat. D'après la décision de la Cour d'appel fédérale dans Lavigne c. Canada (ministère du Développement des Ressources humaines), [1998] A.C.F. no 855 (C.A.F.) (QL), ceci le rend inéligible à l'attribution des dépens selon le Tarif B prévu à la règle 400(4).

[32]            Cependant, ce n'est pas parce que le demandeur n'est pas avocat qu'il n'a pas le droit à une compensation pour le temps consacré à faire respecter ses droits linguistiques. Dans Canada (Procureur général) c. Kahn, [1998] A.C.F. no 1542, le juge Teitelbaum écrit aux paragraphes 33 à 38 :

Je suis convaincu que l'affaire Lavigne (précitée) ne limite en aucune manière mon pouvoir discrétionnaire de fixer la somme appropriée qui devrait être accordée au défendeur pour ses débours et pour le temps qu'il a consacré à "défendre" ses intérêts.

Cela dit, qu'est-ce qui représente une somme appropriée en l'espèce ?

Je suis tenu de suivre ce que le juge Marceau a dit quand il déclare dans l'affaire Lavigne (précitée) "que les plaideurs qui ne sont pas avocats inscrits au Barreau n'ont pas droit aux honoraires d'avocat prévus aux Règles de la Cour fédérale, après avoir occupé avec succès pour eux-mêmes en justice."

Cela ne signifie pas, comme je l'ai déjà dit, que les plaideurs qui ne sont pas avocats et qui retiennent les services d'un avocat afin d'obtenir des avis juridiques en vue de défendre leurs intérêts, ne peuvent être remboursés de ces dépenses et de toute autre dépense qu'ils ont dû engager par suite des procédures juridiques introduites, en l'espèce, par le demandeur. [...]

En vertu de la Règle 3 qui dispose comme suit :

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits

et du paragraphe 400(4) des Règles, je suis convaincu que le défendeur a droit à une somme globale de 2 500 $ pour couvrir ses dépenses en vue de comparaître devant la Cour et pour le temps qu'il a passé à consulter son avocat et à photocopier des documents qu'il a ensuite signifiés.

[33]            En utilisant mon pouvoir discrétionnaire, j'estime que le demandeur a droit à une somme globale de 3 500 $ pour l'étude et l'analyse de la jurisprudence, des nombreuses lois et la réglementation soumises tant par lui-même que par les autres parties. Pour l'estimation de la somme globale attribuée, j'ai aussi considéré les nombreuses heures de préparation, et plaidoiries y incluant la présente requête ainsi que le temps consacré à colliger l'information, les pièces et documents déposés.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que :

1.          La défenderesse fasse parvenir une lettre au demandeur lui présentant des excuses formelles dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance pour non-respect des droits linguistiques de ce dernier en vertu de la Loi sur les langues officielles lors du vol le 14 août 2000.

2.         La défenderesse doit payer au demandeur la somme totale de 5 375,95 $ incluant les déboursés.

« Michel Beaudry »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-346-02

INTITULÉ :                                                                MICHEL THIBODEAU

                                                                                     - et -

AIR CANADA et AIR CANADA RÉGIONAL INC.

                                                                                     - et -

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 25 octobre 2005

MOTIFS de l'ordonnance :                                      Le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                               Le 1er décembre 2005

COMPARUTIONS:

Michel Thibodeau                                                          POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-mLme)

René Cadieux                                                               

Louise-HélPne Sénécal                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Amélie Lavictoire                                                           POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michel Thibodeau                                                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

(se représente lui-mLme)                                         

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.                                   POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

Commissariat aux langues officielles                                POUR L'INTERVENANTE

Ottawa (Ontario)

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