Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200212


Dossier : T‑1642‑16

Référence : 2020 CF 229

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), 12 février 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

FLUID ENERGY GROUP LTD.

demanderesse

défenderesse reconventionnelle

et

MUD MASTER DRILLING FLUID SERVICES LTD., HEARTLAND ENERGY GROUP LTD.,

une société constituée aux Seychelles,

HEARTLAND ENERGY GROUP LTD.,

une société constituée au Nevada, et

ALCHEM DRILLING FLUID SERVICE LTD.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

ORDONNANCE ET MOTIFS

Introduction

[1] La demanderesse [Fluid Energy] interjette appel de la décision rendue le 24 octobre 2019 par laquelle la protonotaire a rejeté la requête qu’elle a présentée en vue de faire supprimer la mention « Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats » [les RCUEA] des documents produits par les défenderesses dans le cadre de la présente action en contrefaçon de brevet. L’appel porte sur les modalités d’une ordonnance conservatoire convenue par les parties.

[2] Comme c’est souvent le cas dans les litiges relatifs aux brevets, les parties au litige devaient échanger des renseignements de nature délicate et ont convenu des modalités qui en régiraient la communication. L’ordonnance initiale datée du 11 avril 2017 a été rendue sur consentement. Il est fréquent dans les litiges en matière de brevet devant notre Cour que les parties s’entendent sur les modalités d’une ordonnance conservatoire et demandent ensuite à la Cour de rendre l’ordonnance, selon les modalités convenues, sur consentement.

[3] On s’attend généralement, et c’est certainement la meilleure pratique, à ce que la requête sur consentement soit accompagnée d’un affidavit attestant de l’existence de renseignements qui seront communiqués aux étapes préalables au procès et qui doivent être protégés en raison de leur nature confidentielle ou délicate, ou de leur valeur. Il est remarquable qu’en l’espèce, la requête ayant donné lieu à l’ordonnance conservatoire initiale ne reposait que sur le consentement écrit des parties à l’avant‑projet d’ordonnance et à l’avis de requête. Aucune des parties n’a, semble‑t‑il, produit d’affidavit. L’avis de requête (qui n’est pas un élément de preuve) énonce les motifs de l’ordonnance demandée en ces termes :

[traduction]

Les renseignements de nature confidentielle ou délicate de chaque partie ont pour elles une grande valeur. Ces renseignements ne présentent aucun intérêt public et devraient être protégés pour empêcher des concurrents d’y avoir indûment accès et d’en tirer des avantages concurrentiels illicites.

Dans l’intérêt de la justice, certains renseignements confidentiels devraient demeurer confidentiels et la communication des documents qui les contiennent devrait être réservée à la Cour, aux avocats des parties et aux experts retenus par les parties, le cas échéant, ou à d’autres personnes sur consentement des parties.

Prononcer une ordonnance conservatoire ne serait pas contraire à l’intérêt du public, car les renseignements financiers et commerciaux ne présentent d’intérêt que pour la partie qui les produit et ses concurrents du domaine de la vente de compositions d’acide synthétique à des entreprises du secteur pétrolier et gazier.

[4] Sur cette base, l’ordonnance conservatoire demandée a été rendue. Elle a par la suite été modifiée, cette fois encore avec le consentement des parties, lorsque d’autres défenderesses se sont ajoutées à l’action. L’ordonnance conservatoire modifiée est datée du 13 mars 2019 [l’ordonnance conservatoire].

Ordonnances conservatoires et ordonnances de confidentialité

[5] La jurisprudence récente de la Cour a mis en évidence l’état incertain du droit en ce qui concerne les ordonnances conservatoires, les ordonnances de confidentialité et les ordonnances hybrides : voir dTechs EPM Ltd c British Columbia Hydro & Power Authority, 2019 CF 539, aux para 23 et 40 [dTechs]; Paid Search Engine Tools, LLC c Google Canada Corporation, 2019 CF 559, aux para 21‑25 [Paid Search Engine].

[6] Dans le jugement dTechs, aux paragraphes 23 à 29, le juge Lafrenière a fait une analyse exhaustive de la distinction entre les ordonnances conservatoires et les ordonnances de confidentialité, ainsi que le pouvoir de la Cour de les rendre. Dans le jugement Paid Search Engine aux paragraphes 17 à 45, le juge Phelan a procédé à un examen tout aussi approfondi de la distinction.

[7] La question des ordonnances conservatoires se pose dans le contexte des communications préalables entre les parties. Les documents échangés par les parties uniquement dans le cadre des étapes préalables au procès ne sont pas rendus accessibles, à moins qu’une partie ne les fournisse ou ne les dépose devant la Cour. Même en l’absence d’une ordonnance conservatoire, divulguer ces documents à une personne extérieure au litige soulèverait la question du respect de la règle de l’engagement implicite. Dans Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada Inc., 2018 CF 443 infirmée par 2018 CF 956, la protonotaire Tabib décrit cette règle de la façon suivante, au paragraphe 3 :

La règle de l’engagement implicite est aujourd’hui un principe de common law bien établi, aux termes duquel une partie à laquelle des documents ou des renseignements sont transmis au stade de la communication ou de l’interrogatoire préalable est réputée s’être engagée auprès de la Cour qu’elle ne communiquera ou n’utilisera pas ces documents ou ces renseignements à une fin autre que l’instance dans le cadre de laquelle ils sont produits. Tout usage accessoire ou ultérieur constitue un outrage au tribunal.

[8] Les ordonnances conservatoires empêchent la divulgation à des personnes extérieures au litige de documents confidentiels échangés au stade de la communication ou de l’interrogatoire préalable. Une variante de l’ordonnance conservatoire habituelle restreint encore davantage les catégories de personnes participant à l’instance qui ont le droit de consulter les documents, en y limitant l’accès aux seuls avocats ou experts. Ce type d’ordonnance n’est accordé que dans des circonstances exceptionnelles : Arkipelago Architecture Inc. c Enghouse Systems Limited, 2018 CAF 192 [Arkipelago]. La Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 11 : « S’il est question du préjudice causé à un intérêt commercial, une ordonnance de consultation restreinte [aux avocats et aux experts] est justifiée lorsque la communication des renseignements confidentiels en cause “menace gravement” l’intérêt en question et que le risque est “réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve”. »

[9] D’autre part, comme le prévoit l’article 151 des Règles des cours fédérales [les Règles], les ordonnances conservatoires visent à empêcher la mise à la disposition du public de documents ou d’éléments matériels déposés à la Cour. Les documents ou éléments matériels concernés sont mis sous scellés.

[10] Les ordonnances hybrides portent à la fois sur le contrôle des documents au stade préalable au procès et sur le dépôt confidentiel de documents auprès de la Cour, la plupart du temps aux fins limitées des requêtes préalables au procès.

[11] Les considérations entourant l’octroi d’une ordonnance conservatoire ne sont pas exactement les mêmes que celles qui entourent l’octroi d’une ordonnance de confidentialité, et les deux types d’ordonnances doivent être définis. Malheureusement, une partie de la jurisprudence antérieure de la Cour ignore cette distinction et il faut appliquer ces décisions avec circonspection. Il est utile de porter attention au type d’ordonnance demandée pour établir le bon critère juridique à appliquer.

[12] Fluid Energy invoque les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles, établies au paragraphe 53 de la décision Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club] :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[13] Je suis conscient que certains membres de la Cour ont adopté cette approche dans l’examen de demandes d’ordonnances conservatoires : voir, par exemple, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c BNSF Railway Company, 2019 CF 281; Pliteq, Inc. c Wilrep Ltd., 2019 CF 158.

[14] Bien qu’il ne s’agisse pas d’une question en litige dans le présent appel, puisque je suis saisi d’une ordonnance conservatoire déjà rendue par la Cour plutôt que d’une requête en ordonnance, je souscris aux analyses faites par le juge Phelan dans la décision Paid Search Engine et le juge Lafrenière dans la décision dTechs. Les ordonnances conservatoires contribuent à la conduite ordonnée et rapide des procédures et sont distinctes des ordonnances de confidentialité. Les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151, énoncées au paragraphe 53 de l’arrêt Sierra Club, n’entrent pas en ligne de compte dans l’examen d’une demande d’ordonnance conservatoire et n’ont pas été prises en considération en l’espèce lorsque l’ordonnance conservatoire a été rendue.

[15] La délivrance d’une ordonnance conservatoire est régie par le critère énoncé au paragraphe 60 de l’arrêt Sierra Club :

Pour obtenir [une telle ordonnance], le requérant doit démontrer que les renseignements en question ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels et que, selon la prépondérance des probabilités, il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre ses droits exclusifs, commerciaux et scientifiques : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] A.C.F. no 1850 (QL) (C. F. 1re inst.), par. 29‑30. J’ajouterais à cela l’exigence proposée par le juge Robertson que les renseignements soient « de nature confidentielle » en ce qu’ils ont été « recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels », par opposition à « des faits qu’une partie à un litige voudrait garder confidentiels en obtenant le huis clos » (par. 14).

[16] Il s’agit essentiellement du critère énoncé par la Cour fédérale dans l’affaire AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1998 CanLII 8942 (CF), aux paragraphes 29 et 30, légèrement modifié pour inclure à la fois des éléments subjectifs et objectifs. Pour obtenir une ordonnance conservatoire, le requérant doit apporter la preuve :

  1. que les renseignements en question ont toujours été traités comme confidentiels;

  2. que les renseignements en question sont de nature confidentielle;

  3. que, selon la prépondérance des probabilités, il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques de la partie demanderesse.

[17] Comme je le mentionne plus haut, de telles ordonnances sont généralement obtenues sur requête écrite présentée selon l’article 369 des Règles et accompagnée d’un affidavit attestant des faits permettant d’établir chacun de ces trois éléments.

L’ordonnance conservatoire en litige

[18] L’ordonnance conservatoire prévoit trois catégories de désignations de confidentialité : (1) Renseignements confidentiels, (2) Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats, et (3) Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats en ce qui concerne Mud Master et Alchem. Les deux premières désignations sont pertinentes dans le cadre du présent appel et elles sont définies dans l’ordonnance conservatoire en ces termes :

[traduction]

« Renseignements confidentiels » : tout renseignement, document ou élément matériel qu’une partie croit raisonnablement et de bonne foi contenir des renseignements confidentiels qu’elle utilise dans ses activités ou qui se rapporte à celles‑ci et qui n’est pas généralement connu, et que cette partie ne dévoilerait normalement pas à des tiers ou dont elle exigerait, si elle les communiquait à un tiers, que ce dernier en conserve la confidentialité.

« Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats » : les documents ou éléments matériels que la partie croit raisonnablement et de bonne foi contenir des renseignements de nature et de caractère si délicats que la partie auteur de la désignation croit raisonnablement que leur divulgation lui serait préjudiciable.

[19] Le préambule de l’ordonnance conservatoire précise à juste titre que celle‑ci régit uniquement le traitement par les parties des renseignements échangés dans le cadre du litige. En l’absence d’une ordonnance de confidentialité distincte et spécifique, aucune partie n’a le droit de déposer des renseignements de manière confidentielle auprès de la Cour. Toutefois, l’ordonnance conservatoire prévoit expressément que les parties peuvent déposer dans une enveloppe scellée des documents ou éléments matériels devant être considérés comme confidentiels conformément à l’article 152 des Règles à l’appui d’une requête visant à obtenir des réponses supplémentaires ou plus complètes aux engagements pris pendant l’interrogatoire préalable, ou à faire trancher les objections formulées pendant l’interrogatoire préalable.

[20] L’ordonnance conservatoire est donc une ordonnance hybride puisqu’elle prévoit, dans des circonstances limitées et bien précises, le dépôt devant la cour de documents ou d’éléments matériels devant demeurer confidentiels. Cela étant dit, les seuls volets de l’ordonnance conservatoire contestés en l’espèce portent sur la désignation de certains documents ou éléments matériels comme RCUEA, et la contestation de cette désignation ne concerne que l’échange de documents entre les parties.

[21] L’ordonnance conservatoire prévoit que toute partie peut désigner des documents comme étant des « Renseignements confidentiels » ou des « Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats » en y apposant la mention correspondante. Elle prévoit également un mécanisme par lequel une partie qui estime qu’une telle mention a été indûment apposée à un document peut contester la désignation en écrivant à la partie auteure de la désignation. Cette dernière doit alors soit renoncer à la désignation, soit répondre qu’après avoir examiné le document visé, elle maintient de bonne foi cette désignation.

[22] Si, après des tentatives de bonne foi, les parties ne parviennent pas à résoudre leur différend quant à la désignation, la partie qui conteste celle‑ci peut déposer une requête à la Cour pour contester la désignation des documents en cause. Le paragraphe 13 de l’ordonnance conservatoire prévoit explicitement qu’en cas de contestation : [traduction] « [l]a partie qui revendique la confidentialité a le fardeau d’établir la pertinence de la désignation, sauf qu’une partie qui prétend que les renseignements désignés par l’autre comme confidentiels sont du domaine public a le fardeau de prouver que ceux‑ci le sont effectivement » [non souligné dans l’original].

La requête soumise à la protonotaire

[23] Conformément à l’ordonnance conservatoire, les défenderesses ont désigné certains documents comme RCUEA. Fluid Energy a utilisé le mécanisme de contestation prévu par l’ordonnance conservatoire et déposé une requête demandant la suppression de la mention RCUEA de tous les documents ainsi désignés et une ordonnance permettant que ces documents soient communiqués à certains de ses administrateurs. L’avis de requête décrivait la mesure recherchée en ces termes :

[traduction]

Ordonnance faisant suite à l’ordonnance conservatoire modifiée en date du 13 mars 2019, prévoyant la suppression de la mention « Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats » (RCUEA) des documents suivants produits par les défenderesses, énumérés à l’annexe 1 de leurs affidavits de documents (AD), et statuant que ces documents peuvent être divulgués à Clay Purdy (M. Purdy), directeur général de Fluid et représentant de cette société à l’instance, ainsi qu’à Markus Weissenberger, PhD (M. Weissenberger), directeur de la technologie de Fluid, aux fins du litige et en vue d’une utilisation dans le cadre du litige, y compris lors des interrogatoires et communications préalables en instance.

[24] La protonotaire a rejeté la requête et exposé oralement les motifs du rejet. Tout d’abord, elle a estimé que, même si Fluid Energy avait présenté sa demande comme une requête visant à supprimer la mention RCUEA de certains documents, la mesure demandée équivalait en fait à une nouvelle modification de l’ordonnance conservatoire modifiée :

[traduction]

Je conclus que l’effet de la mesure demandée par la demanderesse est une modification de l’ordonnance conservatoire initiale à laquelle la demanderesse avait consenti. La demanderesse affirme que tel n’est pas le cas et qu’elle ne fait que contester chacune des désignations de RCUEA faites par les défenderesses, comme elle a le droit de le faire en vertu de l’ordonnance conservatoire.

Je ne suis pas de cet avis. Cependant, je vais néanmoins aussi examiner la requête sous l’angle de cette interprétation avancée par l’avis de requête.

[25] Considérant la requête comme une requête en modification de l’ordonnance, la protonotaire s’est référée à l’alinéa 399 (2)a) des Règles des Cours fédérales, libellé ainsi : « La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants : […] des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue. »

[26] Elle a conclu que Fluid Energy n’avait pas démontré l’existence d’un changement de circonstances ou d’une raison impérieuse qui n’aurait pas été directement pris en compte au moment de la délivrance de l’ordonnance initiale. Par conséquent, puisque la requête est considérée comme une requête en modification de l’ordonnance conservatoire, elle a été rejetée :

[traduction]

Je ne suis pas convaincue que l’ordonnance conservatoire devrait être modifiée de façon à permettre à M. Purdy et à M. Weissenberger d’avoir accès aux documents contestés.

[27] Elle a ensuite examiné la requête en l’envisageant comme une requête en suppression de la mention RCUEA de tous les documents ainsi désignés, comme l’y invitait Fluid Energy, et l’a rejetée. Ce faisant, elle a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les documents désignés étaient du domaine public.

[28] La protonotaire a rejeté l’allégation de Fluid Energy selon laquelle il incombait aux défenderesses de démontrer que la formule complète du produit Oil Safe AR n’avait jamais été divulguée à Fluid Energy. Au contraire, elle a conclu que, selon une interprétation correcte du mécanisme de contestation prévu par l’ordonnance conservatoire, il incombait à Fluid Energy d’établir que ces renseignements appartenaient au domaine public, y compris en établissant leur divulgation dans les divers brevets ou leur divulgation préalable à Fluid Energy, afin de réfuter la preuve des défenderesses selon laquelle les documents avaient été considérés comme confidentiels.

[traduction]

Aux termes du paragraphe 13 de l’ordonnance conservatoire, la partie qui revendique la confidentialité a le fardeau d’établir la pertinence de la désignation, sauf qu’une partie qui prétend que les renseignements désignés par l’autre comme confidentiels sont du domaine public a le fardeau de prouver que ceux‑ci font partie du domaine public.

Je ne suis pas convaincue, à la lumière de la preuve au dossier, que la demanderesse a démontré que l’information concernant la formule précise du produit « Oil Safe AR » est du domaine public ou a déjà été divulguée à la demanderesse.

[…]

J’estime que, selon une interprétation correcte de mon ordonnance conservatoire, il incombe à la demanderesse d’établir que les renseignements sont dans le domaine public, y compris en établissant leur divulgation dans les divers brevets ou leur divulgation préalable à la demanderesse, afin de réfuter la preuve des défenderesses. Si cela n’était pas l’interprétation qu’il convenait de faire de l’ordonnance, il n’y aurait eu nul besoin d’inclure une disposition imposant un fardeau de la preuve à la demanderesse, puisque le fardeau d’établir l’absence de divulgation publique reposerait toujours sur la défenderesse, au titre de son obligation d’établir que les documents remplissaient les conditions de désignation définies pour leur catégorie.

Cette interprétation est conforme aux principes énoncés dans la jurisprudence. La jurisprudence établit que la désignation de RCUEA est justifiée lorsque les documents entrent dans la catégorie définie par l’ordonnance conservatoire.

En cas de contestation, la partie auteure de la désignation doit apporter la preuve prima facie de l’appartenance des documents contestés à cette catégorie.

Quant à la question de savoir si le sous‑ensemble des documents contestés concernant la formule du produit « All Safe AR » [sic] [entrent dans la catégorie définie], je suis convaincue que les défenderesses ont le fardeau d’établir prima facie la justesse de la désignation faite, [et qu’elles] ont démontré que les documents relèvent bien de la catégorie RCUEA.

La preuve présentée par les défenderesses n’est peut‑être pas exactement celle que la demanderesse cherchait à obtenir, en ce qu’il n’y a pas eu d’affidavit de M. McDonald, mais je suis convaincue que les renseignements fournis par M. Rowley suffisaient pour établir, prima facie, que les documents contestés entraient dans la catégorie définie.

Par conséquent, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de supprimer la mention « à l’usage exclusif des avocats » du sous‑ensemble des documents contestés qui contiennent de l’information concernant la formule du produit « Oil Safe AR ».

[29] Outre ces documents contenant de l’information sur la formule du produit Oil Safe AR, la protonotaire a examiné le reste des documents contestés, à savoir divers renseignements relatifs aux finances, aux stocks et aux fournisseurs. Elle a conclu que les défenderesses s’étaient déchargées de leur fardeau de la preuve, à savoir une preuve prima facie, tant pour le premier groupe de documents que le second. La protonotaire a conclu en accordant aux défenderesses des dépens supérieurs en raison de ses réserves quant à la qualification par Fluid Energy de la mesure demandée, et de l’inclusion de certains documents dans la requête qui étaient manifestement sans pertinence.

Questions soulevées en appel

[30] En appel, les parties ont soumis toute une gamme de questions à l’examen de la Cour. À mon avis, les questions pertinentes sont les suivantes :

  1. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur en traitant la requête comme une requête en modification de l’ordonnance conservatoire au titre de l’article 399?

  2. La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur en énonçant le critère juridique applicable à la suppression de la mention RCUEA conformément au mécanisme de contestation prévu dans l’ordonnance conservatoire?

  3. Si la protonotaire a commis une erreur, la mention RCUEA devrait‑elle être supprimée de l’un des documents contestés?

Norme de contrôle applicable au présent appel

[31] Dans l’examen des ordonnances discrétionnaires rendues par les protonotaires, la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte. La norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante : Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au para 79; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, au para 36.

[32] Les deux premières questions, c’est‑à‑dire celles de savoir si la protonotaire a commis une erreur en traitant la requête comme une requête en modification de l’ordonnance conservatoire au titre de l’article 399 ou si elle a commis une erreur en retenant le mauvais critère juridique pour la suppression de la mention RCUEA sont des questions de droit isolables pouvant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Arkipelago, au para 8.

Analyse

1. S’agissait‑il d’une requête en modification de l’ordonnance conservatoire?

[33] Après examen de la transcription de l’audience devant la protonotaire, il est clair que celle‑ci a considéré la mesure demandée comme une modification des conditions de la désignation RCUEA, plutôt qu’une contestation de la désignation RCUEA faite à l’égard de plusieurs des documents communiqués par les défenderesses. L’extrait suivant explique ses réserves :

[traduction]

La réserve que j’ai est qu’il semble que cette requête soit en réalité une requête en modification de l’ordonnance conservatoire rendue par la Cour sur consentement et à la demande de l’ensemble des parties, dont la demanderesse. La demanderesse vient maintenant me demander, pour chacun des documents désignés comme RCUEA – et je me penche plus loin sur la question de leur nature publique –, mais bien pour chacun des documents désignés comme RCUEA, de modifier leur désignation afin que telle et telle personnes puissent les consulter. [Non souligné dans l’original.]

En réalité, sous réserve de ce que vous avez à dire, cette requête me semble être une requête en modification de l’ordonnance conservatoire. Si c’est le cas, c’est potentiellement un critère très différent qui s’applique, fondé sur les faits qui se sont produits depuis que [l’ordonnance] a été rendue.

[34] Comme la protonotaire, je suis d’avis que si l’on demandait que les documents désignés comme RCUEA puissent, en gardant cette exacte désignation, être consultés par l’avocat et les deux autres personnes nommées par la demanderesse, il s’agirait alors d’une demande de modification des conditions prévues par l’ordonnance conservatoire. Toutefois, comme je le mentionne au paragraphe 23 ci‑dessus, la mesure demandée était une ordonnance pour « la suppression de la mention “Renseignements confidentiels à l’usage exclusif des avocats” (RCUEA) » des documents mentionnés. Il ne s’agit pas là d’une requête en modification.

[35] Il est vrai que la demanderesse a joint à sa demande de suppression de la mention RCUEA une demande visant à ce que les documents puissent ensuite être communiqués à certaines personnes nommées représentant la défenderesse en vue d’une « utilisation dans le cadre du litige, y compris lors des interrogatoires et communications préalables en instance ». Cette demande supplémentaire n’était pas nécessaire, puisqu’en cas de suppression de la mention RCUEA, la demanderesse pourrait communiquer ces documents non désignés comme RCUEA à ces personnes.

[36] Par conséquent, je souscris à la position de la demanderesse selon laquelle, dans la mesure où la protonotaire a qualifié cette requête de requête en modification, elle a commis une erreur.

[37] Cependant, comme cette dernière l’a indiqué en prononçant sa décision, même si elle estimait qu’une modification était demandée, « [elle allait] néanmoins aussi examiner la requête sous l’angle de cette interprétation avancée par l’avis de requête ».

2. Le mauvais critère juridique a‑t‑il été appliqué à la suppression de la mention RCUEA?

[38] Les défenderesses soutiennent que la protonotaire a appliqué le bon critère pour supprimer la mention RCUEA. La protonotaire a déclaré qu’il ressortait de la jurisprudence que la désignation de RCUEA était justifiée lorsque les documents désignés entraient dans une catégorie définie énoncée dans l’ordonnance conservatoire. En cas de contestation, la partie auteure de la désignation, les défenderesses, en l’espèce, doit apporter la preuve prima facie de l’appartenance des documents contestés à cette catégorie. La protonotaire était convaincue que les défendeurs avaient établi, prima facie, que tous les documents contestés étaient correctement désignés comme RCUEA et elle a donc refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de supprimer cette mention de l’un ou l’autre des documents.

[39] Les défenderesses soutiennent que les critères et les principes applicables à la contestation d’une désignation de confidentialité faite en vertu d’une ordonnance conservatoire déjà rendue sont énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] 3 CF 360 (CAF) [AB Hassle (CAF)]. La Cour d’appel fédérale écrivait au paragraphe 11 de l’arrêt : « J’estime que le prononcé d’une ordonnance de non‑divulgation dans des circonstances comme celles de l’espèce crée une présomption suivant laquelle tout renseignement déposé subséquemment et participant de la même nature que celle décrite dans l’ordonnance sera tenu confidentiel sous réserve des exceptions prévues dans l’ordonnance […] »

[40] Dans ces circonstances, la Cour ne devrait accueillir la requête contestant la classification du document que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’il est évident que les conditions de l’ordonnance ne visent pas le document attaqué. La partie invoquant la confidentialité n’a qu’à présenter une preuve établissant à première vue que le document appartient à la catégorie de documents envisagée par l’ordonnance et qu’elle l’a toujours traité comme étant confidentiel. Une fois ces éléments établis, il incombe alors à la partie qui conteste cette confidentialité de prouver que le document ne fait pas partie de la catégorie envisagée par l’ordonnance ou que le juge n’avait pas ce genre de document à l’esprit en rendant son ordonnance.

[41] Curieusement, ce critère énoncé par la Cour d’appel fédérale diffère de celui énoncé dans l’ordonnance conservatoire dont il était question. Le mécanisme de contestation prévoyait expressément :

En cas de contestation du caractère confidentiel de renseignements confidentiels désignés, la partie qui revendique la confidentialité a la charge de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont effectivement confidentiels. [Non souligné dans l’original.]

[42] La Cour d’appel a reconnu cette disposition, mais a douté que les conditions d’une ordonnance conservatoire puissent lier le juge des requêtes sur une question de droit. De plus, elle a statué que son approche consistant à imposer le fardeau de la preuve à la partie contestant la désignation était rationnellement justifiée. Au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale ajoutait :

« Une fois qu’une ordonnance de non‑divulgation a été prononcée, il serait contre‑productif que les parties, qui n’ont d’autre choix que de déposer des preuves confidentielles en s’appuyant sur une garantie de confidentialité judiciaire relativement sûre, vivent dans la crainte constante des attaques des parties adverses. Demander et obtenir une ordonnance de non‑divulgation serait un exercice futile si, chaque fois qu’il y a dépôt d’un document aux termes d’une telle ordonnance, la partie qui l’invoque devait retourner à la case départ, où elle se verrait imposer un fardeau analogue à celui dont elle s’est déjà acquittée ou un fardeau encore plus lourd, et devrait faire valoir de nouveau les arguments déjà acceptés ou rejetés par le juge ayant rendu l’ordonnance. » [Non souligné dans l’original.]

[43] Comme il ressort clairement du passage souligné, la Cour d’appel était saisie d’une situation où l’ordonnance conservatoire n’avait pas été rendue sur consentement, mais à la suite d’une requête contestée : voir Ab Hassle c Canada (Ministre de la santé et du bien‑être social), 1998 CanLII 7657 (CF). Dans de telles circonstances, elle a fait observer que le fait d’imposer le fardeau à la partie qui cherchait à maintenir la désignation équivalait en fait à exiger qu’elle fasse de nouveau trancher la question en Cour.

[44] Bien que l’arrêt AB Hassle (CAF) fasse toujours jurisprudence et lie la Cour, une distinction doit être faite entre les faits sur lesquels il reposait et ceux de l’espèce.

[45] Premièrement, comme je le mentionne plus haut, l’ordonnance avait été obtenue au moyen d’une requête contestée et sur la base d’éléments de preuve fournis par affidavit, dont les déclarants avaient été contre‑interrogés.

[46] Deuxièmement, l’analyse du critère de contestation de la classification des documents, figurant aux paragraphes 9 à 14 de l’arrêt AB Hassle (CAF) et invoqué par les défenderesses, a été faite dans le contexte de documents qui avaient déjà été déposés auprès de la Cour. Les motifs indiquent clairement que la présomption suivant laquelle un document appartient à la catégorie des documents confidentiels s’applique lorsque ce document est « déposé subséquemment » conformément à l’ordonnance conservatoire. Le critère à appliquer pour réfuter la présomption « à ce stade de l’instance » (c’est‑à‑dire après le dépôt des documents auprès de la Cour) est qu’une requête contestant le caractère confidentiel d’un document ne sera accueillie que dans les cas les plus manifestes : voir AB Hassle (CAF) au para 11. Le différend entre les parties visait essentiellement la déclassification des documents déposés auprès de la Cour de manière à ce que le public, y compris les concurrents des appelantes dans le secteur pharmaceutique qui auraient pu bénéficier des renseignements protégés, y aient accès. Il s’agit d’une situation très différente de celle de la communication préalable de documents entre les parties.

[47] Par conséquent, les justifications rationnelles qui sous‑tendent le critère énoncé dans AB Hassle (CAF) ne s’appliquent pas ici. Dans l’arrêt invoqué par les défenderesses, la Cour a jugé que les circonstances particulières justifiaient de s’écarter du mécanisme de contestation décrit dans l’ordonnance conservatoire. Conformément aux récentes décisions de la Cour qui ont cherché à établir clairement la distinction entre les ordonnances conservatoires et les ordonnances de confidentialité et à définir les conditions de délivrance de telles ordonnances, la Cour ne saurait, vu les faits de l’espèce, être liée par les conclusions tirées dans une affaire portant sur la suppression de la mention « confidentiel » assignée à des documents déposés devant une Cour.

[48] La suppression de la mention, dans ce cas, aurait rendu les renseignements déposés accessibles au public. Cependant, dans le cas dont je suis saisi, les parties s’inquiètent plutôt de la divulgation de renseignements entre elles et ont donc demandé une ordonnance conservatoire avant d’échanger des documents. L’ordonnance conservatoire accorde notamment le droit de contester la désignation de renseignements relevant de chacune des trois catégories de confidentialité. À mon avis, passer outre aux termes explicites du mécanisme de contestation prévu par l’ordonnance conservatoire irait à l’encontre de l’idée selon laquelle l’inclusion d’un mécanisme de contestation dans une ordonnance conservatoire relative à la mention RCUEA est un facteur qui favorise l’octroi de l’ordonnance : voir, par exemple, Bard Peripheral Vasculaire Inc c WL Gore & Associates, Inc, 2017 CF 585, au para 15. De plus, comme la Cour n’approuve pas automatiquement les ordonnances proposées, les modalités du mécanisme de contestation devaient être acceptables pour la Cour lorsque l’ordonnance de protection a été rendue.

[49] Enfin, il est à noter que, conformément à l’article 3 des Règles, les ordonnances conservatoires visent à aider les parties à faire avancer l’instance de façon à faire trancher le litige de la manière la plus juste, expéditive et économique possible. Comme la Cour d’appel l’a indiqué dans l’arrêt AB Hassle (CAF) au paragraphe 8, « [d] ans un monde idéal, les avocats accepteraient les clauses de l’ordonnance […] et les respecteraient ». Je relève que cela passe notamment par le respect des conditions convenues pour la contestation des désignations.

[50] Le critère que la protonotaire aurait dû appliquer est celui dont les parties ont convenu et qui est énoncé au paragraphe 13 de l’ordonnance conservatoire. Les défenderesses doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, et non pas simplement prima facie, que les renseignements sont confidentiels, qu’ils ont été considérés comme confidentiels pendant la période pertinente et qu’il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre leurs droits exclusifs, commerciaux et scientifiques. En l’absence de ces éléments de preuve, le caractère confidentiel des renseignements n’est pas démontré. Ce n’est que si la confidentialité des renseignements est établie que Fluid Energy a par la suite le fardeau de prouver qu’ils sont entrés dans le domaine public, si cela étaye sa position.

[51] Pour ces raisons, je conclus que la protonotaire a appliqué le mauvais critère juridique à la suppression de la mention RCUEA. Comme l’a fait observer Fluid Energy, lorsqu’il est constaté, en appel, que la protonotaire a commis une erreur de droit, le juge d’appel peut remplacer la décision de la protonotaire par la sienne : Seedlings Life Science Ventures LLC c Pfizer Canada Inc, 2018 CF 956, au para 20. Ce qui m’amène à la troisième question en litige : La mention RCUEA devrait‑elle être supprimée?

3. La mention RCUEA devrait‑elle être supprimée?

[52] La question est de savoir si, en appliquant le bon critère à la contestation des mentions RCUEA, on doit conclure que ces dernières devraient être supprimées de l’ensemble des documents contestés ou de certains d’entre eux.

[53] La première étape de cette analyse consiste à déterminer si les défenderesses, qui revendiquent le caractère confidentiel de ces documents, ont établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient effectivement confidentiels. En bref, ont‑elles apporté une preuve satisfaisant au critère énoncé au paragraphe 60 de l’arrêt Sierra Club? Ont‑elles démontré 1) que les renseignements en question avaient toujours été traités comme confidentiels, 2) que les renseignements étaient de nature confidentielle et 3) qu’il était raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques des défenderesses?

[54] Les défenderesses ont désigné comme RCUEA deux catégories de documents, qu’elles ont décrits ainsi :

  1. renseignements concernant la formule du produit Oil Safe AR (données sur la formule; ingrédients bruts des divers composants, fiches de fabrication);

  2. le reste des documents désignés comme RCUEA (ententes financières, documents de commande, de vente et de transport, fournisseurs et quantités vendues).

[55] Les défenderesses ont produit l’affidavit de Steve Rowley, président de Heartland Energy Group Ltd. (Nevada) et vice‑président de Heartland Energy Group Ltd. (Seychelles), deux des défenderesses au litige et la partie qui a élaboré la formule de l’Oil Safe AR. Auparavant, il était propriétaire d’une entreprise du nom de Heartland Solutions, distributrice des produits de Environmental Manufacturing Solutions, LLC, laquelle fabriquait l’Oil Safe AR. Un certain nombre d’ententes ont été conclues, la plus importante étant, à mon avis, l’entente conclue en octobre 2012 par Fluid Energy et la défenderesse Heartland Energy Group Ltd. (Seychelles) en vue de la fabrication et de la distribution d’Oil Safe AR.

[56] M. Rowley affirme que [traduction] « la formule de l’Oil Safe AR est un secret de fabrication » et qu’« il a toujours eu pour pratique de ne jamais en divulguer la formule en entier, même à ses clients, à ses distributeurs et à ses titulaires de licence ». Il dit de cette formule qu’il s’agit de [traduction] « l’un des actifs les plus importants de Heartland et [que] Heartland le protège énergiquement ». Toute divulgation est assujettie à une entente de confidentialité.

[57] Fluid Energy fait valoir dans son mémoire que la formule de l’Oil Safe AR lui a été communiquée dans le cours de sa relation contractuelle avec Heartland. Le bien‑fondé de cette allégation n’est pas établi. Son propre déclarant, Clay Purdy, directeur général de Fluid Energy, affirme n’avoir eu accès qu’à une partie de l’information concernant la formule :

[traduction]

Il est vrai que Fluid a eu connaissance d’une grande partie de la composition de l’Oil Safe AR, mais, à ma connaissance, Heartland et Macdonald ont gardé pour eux certains renseignements, par exemple en utilisant des noms commerciaux génériques pour certains composants chimiques ou en ne divulguant pas entièrement les composants chimiques et leurs concentrations. [Non souligné dans l’original.]

[58] En outre, l’entente entre les parties stipule que Fluid Energy doit garder confidentiel tout renseignement qui lui est communiqué.

[59] Sur la base du dossier dont la protonotaire était saisie, et plus particulièrement des déclarations précitées, je conclus que les défenderesses ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements concernant la formule de l’Oil Safe AR ont toujours été traités comme confidentiels, qu’ils étaient de nature confidentielle et qu’il était raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques des défenderesses. Je conclus en outre que l’intégralité de la formule n’a jamais été divulguée à Fluid Energy.

[60] De plus, les éléments de preuve au dossier confirment que les autres documents contestés et concernant les renseignements financiers, les ventes, les fournisseurs, etc., sont également confidentiels.

[61] Par conséquent, j’estime qu’il est justifié d’apposer la mention « Renseignements confidentiels » sur tous les documents contestés.

[62] La désignation RCUEA est‑elle justifiée? A‑t‑elle été appliquée à des documents confidentiels contenant des renseignements d’une nature particulièrement délicate dont la communication à Fluid Energy serait préjudiciable aux défenderesses?

[63] Il faut commencer l’analyse par le constat que, d’une manière générale, les documents communiqués dans le cadre de la communication préalable sont mis à la disposition de la partie adverse pour inspection, examen et analyse. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que cet exercice devrait être limité aux avocats et une demande en ce sens ne devrait être accueillie que dans de rares circonstances.

[64] Le dossier révèle que la relation entre les parties est tendue et que la méfiance règne. On y apprend également qu’elles sont désormais concurrentes dans la même industrie et sur le même marché. Steve Rowley atteste que, selon lui, si Fluid Energy obtenait accès aux documents désignés comme RCUEA, elle pourrait utiliser les renseignements pour [traduction] « apporter des changements et améliorer ses propres produits », modifier ses pratiques commerciales et ébranler la position de la défenderesse sur le marché. Cette crainte a trait aux deux catégories de documents désignés comme RCUEA.

[65] Ces convictions peuvent paraître extrêmes, surtout lorsque l’on considère la règle de l’engagement implicite. Toutefois, je suis convaincu, compte tenu de l’histoire entre ces parties et de la conduite qu’elles ont adoptée avant le litige, qu’il s’agit d’une conviction raisonnable des défenderesses. Plus précisément, j’estime qu’elle satisfait aux critères établis dans la définition de renseignements désignés comme RCUEA dont ont convenu les parties, puisque les défenderesses croient de bonne foi que, compte tenu de la nature et du caractère de ces renseignements, leur divulgation leur serait préjudiciable.

[66] Par conséquent, bien que l’appel soit accueilli, en partie, la requête de Fluid Energy visant à supprimer les mentions RCUEA est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1642‑16

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est accueilli et l’ordonnance de la protonotaire est annulée.

  2. La requête visant à supprimer la mention RCUEA portée sur les documents produits par les défenderesses est rejetée.

  3. Les défenderesses ont droit à un seul mémoire de dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T‑1642‑16

 

INTITULÉ :

FLUID ENERGY GROUP LTD. c MUD MASTER DRILLING FLUID SERVICES LTD. ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge ZINN

 

DATE :

Le 12 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Trevor McDonald

POUR LA DEMANDERESSE

(défenderesse reconventionnelle)

Jonathan Roch

POUR LES DÉFENDERESSES

(demanderesses reconventionnelles)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Burnet, Duckworth & Palmer LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

(défenderesse reconventionnelle)

MBM Intellectual Property Law LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

(demanderesses reconventionnelles)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.