Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220823

Dossier : T‑1441‑20

T‑558‑22

Référence : 2022 CF 1218

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JANSSEN INC. et JANSSEN PHARMACEUTICA N.V.

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 23 août 2022)

I. Introduction

[1] La présente instance porte sur deux actions en contrefaçon de brevet – dossiers de la Cour nos T‑1441‑20 et T‑558‑22 – fondées sur le paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le « Règlement »).

II. Contexte

A. Les parties

[2] Les demanderesses sont Janssen Inc., une société ayant son siège social à Toronto, et Janssen Pharmaceutica N.V., une société ayant son siège social en Belgique (collectivement appelées « Janssen »). Janssen Inc. est une « première personne » au sens du Règlement, tandis que Janssen Pharmaceutica N.V. est partie à la présente action en tant que propriétaire inscrite du brevet canadien n2 655 335 (le « brevet 335 »), et ce, en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement.

[3] La défenderesse, Pharmascience Inc. (« Pharmascience » ou « PMS »), est un fabricant de médicaments génériques ayant son siège social à Montréal. Pharmascience est une « seconde personne » au sens du Règlement.

B. Renseignements généraux d’ordre technique

(1) Schizophrénie et troubles connexes

[4] La schizophrénie est une maladie invalidante permanente qui toucherait plus de 300 000 Canadiens. L’apparition des symptômes se manifeste habituellement par une dépression psychotique et survient souvent chez la personne atteinte au début ou au milieu de la vingtaine.

[5] La schizophrénie se caractérise par des symptômes « positifs » (comme des hallucinations, des idées délirantes et un comportement désorganisé) et des symptômes « négatifs » (comme une apathie, un manque de motivation et un retrait social). Le diagnostic est posé lorsque les symptômes persistent pendant au moins six mois après leur apparition, et qu’au moins deux symptômes caractéristiques ont été présents dans une proportion significative de temps au cours d’une période d’un mois.

[6] Le trouble schizophréniforme se caractérise par des symptômes caractéristiques dont la durée est d’au moins un mois, mais de moins de six mois. Le trouble schizoaffectif est défini par des critères diagnostiques semblables à ceux de la schizophrénie, avec en plus une caractéristique thymique, comme des épisodes dépressifs majeurs, des épisodes maniaques ou les deux. Sauf indication contraire, les renvois à la « schizophrénie » dans les présents motifs s’entendent de la schizophrénie, du trouble schizophréniforme et du trouble schizoaffectif.

[7] Le mécanisme sous‑jacent à l’origine des symptômes de la schizophrénie est un fonctionnement anormal de la dopamine dans certaines parties du cerveau. Depuis les années 70, les chercheurs savent que les antipsychotiques efficaces agissent en bloquant les récepteurs D2 de la dopamine.

(2) Traitement de la schizophrénie

[8] Les antipsychotiques sont la pierre angulaire du traitement et de la prise en charge de la schizophrénie. Ils peuvent être répartis en deux catégories : 1) les antipsychotiques typiques ou classiques (de première génération), et 2) les antipsychotiques atypiques (de deuxième génération).

[9] Les antipsychotiques typiques bloquent les récepteurs D2 dans le cerveau et atténuent efficacement les symptômes positifs de la schizophrénie. Toutefois, ils sont associés à une incidence élevée d’effets indésirables graves, appelés symptômes extrapyramidaux, qui induisent généralement des troubles moteurs (comme des spasmes musculaires, une rigidité musculaire, de l’agitation et des mouvements saccadés).

[10] Les antipsychotiques atypiques (de deuxième génération) ont fait leur entrée sur le marché dans les années 90 et agissent à la fois sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine. Les antipsychotiques atypiques sont associés à une incidence beaucoup moins grande de symptômes extrapyramidaux.

[11] Comme il est indiqué ci‑dessus, la schizophrénie est incurable et nécessite une prise en charge à vie par des médicaments antipsychotiques. Le respect d’un schéma thérapeutique est essentiel. De nombreux patients atteints de schizophrénie prennent des antipsychotiques oraux et s’administrent eux‑mêmes leurs médicaments. Une cause majeure de rechute est la non‑observance thérapeutique, c’est-à-dire que les patients ne prennent pas rigoureusement les antipsychotiques prescrits ou ne les prennent pas du tout. Les taux de non‑observance sont très élevés chez les personnes atteintes de schizophrénie.

[12] Une stratégie permettant d’assurer le respect du traitement est l’emploi d’antipsychotiques sous forme de préparations à action prolongée. Parmi les préparations à action prolongée, on compte les injections intramusculaires d’antipsychotiques, appelées « préparations retard » ou « préparations injectables à action prolongée ». Une fois injecté, le médicament se libère lentement au point d’injection, ce qui fournit au patient une dose prolongée du médicament.

C. L’historique de l’invention

[13] Au début des années 90, Janssen a commencé à travailler sur une préparation de palipéridone injectable à action prolongée pour le traitement de la schizophrénie. Vers 2003, une équipe de recherche internationale a été créée, soit l’Équipe de mise au point d’un composé de palmitate de palipéridone (ci-après nommée l’Équipe de mise au point), pour appuyer la mise au point de la préparation.

[14] L’Équipe de mise au point visait principalement à optimiser la préparation injectable de palmitate de palipéridone en vue d’une administration mensuelle, à évaluer l’innocuité et l’efficacité du palmitate de palipéridone dans le traitement de la schizophrénie et d’autres troubles et à établir des schémas posologiques en prévision de l’approbation réglementaire du médicament.

[15] Mme An Vermeulen, pharmacométricienne à Janssen, a participé activement à l’établissement du schéma posologique pour le palmitate de palipéridone. Selon les premières études à doses multiples effectuées par Janssen, les concentrations plasmatiques de palipéridone n’atteignaient l’état d’équilibre qu’après quatre à cinq mois avec des injections mensuelles. En 1999, Mme Vermeulen a conçu l’étude BEL‑7, une étude de phase 1 comparant deux posologies d’attaque : 1) administration d’une dose double le jour 1 et de doses mensuelles par la suite, et 2) administration de la même dose les jours 1 et 8 et de doses mensuelles par la suite. Toutes les doses étaient administrées par voie intramusculaire dans le muscle fessier. L’étude BEL‑7 a montré que la deuxième posologie d’attaque, avec des doses fixes aux jours 1 et 8 avant le passage aux doses mensuelles, portait les concentrations plasmatiques à l’état d’équilibre au cours du premier mois.

[16] Après les essais cliniques de phase 1, Mme Vermeulen a mis au point un modèle pharmacocinétique de population pour favoriser une prise de décisions éclairées et faciliter la sélection de schémas posologiques. En 2003, Janssen a entrepris une étude de phase 2, SCH‑201, à la lumière des résultats de l’étude BEL‑7 et de la modélisation de Mme Vermeulen. L’étude SCH‑201 portait sur des doses fixes de 50 et 100 milligrammes équivalents (mg éq.) administrées dans le muscle fessier les jours 1 et 8, et tous les mois par la suite.

[17] Étant donné le succès de l’étude SCH‑201, Janssen a conçu deux études de phase 3, PSY‑3003 et PSY‑3004, pour examiner des doses fixes de 25 mg éq., 50 mg éq., 100 mg éq. et 150 mg éq. administrées dans le muscle fessier les jours 1 et 8 et tous les mois par la suite. Ces études ont été menées de décembre 2004 à mars 2006 et de juin 2005 à juin 2006, respectivement.

[18] En avril 2006, le Dr Srihari Gopal s’est joint à Janssen en tant que médecin de projet dans l’équipe clinique, un sous‑groupe de l’Équipe de mise au point. Il s’est vu attribuer la responsabilité des essais cliniques de phase 3 dont faisait alors l’objet le palmitate de palipéridone. À l’époque, les études PSY‑3003 et PSY‑3004 étaient terminées ou presque. Contre toute attente, les résultats de ces études étaient décevants et ont mené à la création d’un groupe de travail spécial, dont faisaient partie Mme Vermeulen et le Dr Gopal, pour résoudre les problèmes décelés dans la foulée des études de phase 3 et proposer des améliorations au schéma posologique.

[19] Pour aider à réviser le schéma posologique, Mme Vermeulen a conçu un nouveau modèle pharmacocinétique de population à l’aide des données cliniques provenant de plus de 1 200 patients. Elle a utilisé ce modèle pour évaluer différents schémas posologiques en simulant les concentrations plasmatiques d’une population de patients virtuelle, mais représentative.

[20] Le groupe de travail a finalement cerné une interaction liée au « traitement par pays » chez les patients des États‑Unis, qui a été attribuée à un indice de masse corporelle élevé. Le groupe de travail a cherché à surmonter le problème en modifiant le schéma posologique en vue d’essais futurs.

[21] En 2006, la Mme Vermeulen a changé de poste chez Janssen. M. Mahesh Samtani l’a remplacée dans l’Équipe de mise au point en février 2007. Il s’est vu attribuer la tâche de concevoir un nouveau modèle pharmacocinétique de population pour la préparation injectable à action prolongée de palmitate de palipéridone mise au point par Janssen.

[22] En février et décembre 2007, des réunions du conseil consultatif ont été tenues avec des représentants de Janssen (notamment le Dr Gopal [présent aux deux réunions], Mme Vermeulen [présente à la réunion de février] et M. Samtani [présent à la réunion de février]) et des conseillers externes (dont M. Ereshefsky [présent à la réunion de décembre]). Ces réunions visaient à examiner et à obtenir une rétroaction sur les données des essais cliniques et les présentations à déposer auprès des autorités réglementaires. À l’époque, le schéma posologique proposé était le suivant : 1) une dose de 150 mg éq. administrée dans le muscle deltoïde le premier jour du traitement, 2) une deuxième dose de 25 à 150 mg éq. administrée dans le muscle deltoïde ou fessier au huitième jour, et 3) des doses mensuelles par la suite.

[23] Les conseillers ont estimé que l’utilisation d’une dose de 150 mg éq. pour la plupart des patients constituait un risque et qu’un schéma posologique plus acceptable consisterait à commencer par une dose de 100 mg éq. La réticence à accepter une dose de départ de 150 mg éq. était attribuable à deux préoccupations : 1) l’innocuité (surdosage) et 2) l’acceptabilité par les autorités réglementaires. À la lumière de ces commentaires, Janssen a présenté une demande initiale de drogue nouvelle avec une dose de départ de 100 mg éq., incluant d’autres améliorations apportées au schéma posologique.

[24] M. Samtani a élaboré un nouveau modèle au moyen de données de plus de 1 400 patients, qui comprenait 15 000 échantillons provenant d’études de phase 1, 2 et 3. La mise au point et la validation ont pris environ six mois et ont tenu compte d’un large éventail de covariables et des processus d’absorption et d’élimination du palmitate de palipéridone. Une fois le modèle finalisé, des simulations ont été réalisées en vue d’optimiser le schéma posologique du palmitate de palipéridone.

[25] M. Samtani a utilisé son modèle pour établir un schéma posologique composé de doses d’attaque injectées dans le muscle deltoïde, à raison de 150 mg éq. le jour 1 et de 100 mg éq. le jour 8, puis de doses d’entretien mensuelles de 75 mg éq., injectées dans le muscle deltoïde ou fessier. D’après la modélisation, la simulation et les résultats d’une autre étude de phase 3, PSY‑3007, l’équipe était convaincue que ce schéma posologique était sûr et efficace, qu’il ne nécessitait pas l’ajout de médicaments administrés par voie orale et qu’il amenait les patients à une concentration plasmatique à l’équilibre en une semaine et correspondait aux concentrations plasmatiques de patients prenant des doses de 6 mg d’INVEGAMD, un comprimé oral de palipéridone à libération prolongée.

[26] M. Samtani a aussi utilisé son modèle pour définir les intervalles de tolérance flexible, ou « fenêtres posologiques », recommandés quant au moment de l’injection de la deuxième dose d’attaque et des doses d’entretien subséquentes. Il a conclu que des fenêtres posologiques de ± 2 jours pour la deuxième dose d’attaque et de ± 7 jours pour les doses d’entretien mensuelles maintiendraient les concentrations plasmatiques thérapeutiques sans qu’il y ait d’incidence sur l’innocuité et l’efficacité. Au moyen du modèle et des données cliniques, M. Samtani a également établi les ajustements posologiques à la baisse appropriés pour les patients atteints d’insuffisance rénale ̶ une dose de 100 mg éq. au jour 1, suivie d’une dose de 75 mg éq. au jour 8, toutes deux injectées dans le muscle deltoïde, puis des doses mensuelles par la suite de 50 mg éq., injectées dans le muscle deltoïde ou fessier.

[27] Bien que Janssen n’ait reçu les résultats de l’étude PSY‑3007 qu’après le 19 décembre 2007 (première date de priorité liée au brevet 353), M. Samtani a établi ce schéma posologique en utilisant le modèle pharmacocinétique de population. Il a confirmé l’innocuité et l’efficacité du schéma posologique (du moins, en partie) au moyen des résultats de l’étude PSY‑3007.

D. Le brevet 335

[28] Le brevet 335 est intitulé « Posologie associée aux esters de palipéridone injectables à action prolongée ».

[29] Le brevet 335 a été délivré à la suite d’une demande déposée au Canada, le 17 décembre 2008, et la date de priorité revendiquée sur le fondement de la demande de brevet américain no 61/014,918 est le 19 décembre 2007. Le brevet 335 a été rendu public le 19 juin 2009, puis a été délivré le 6 septembre 2016, et n’a pas encore expiré.

[30] Le brevet 335 comporte 63 revendications, et chacune d’entre elles est invoquée dans les deux actions qui nous occupent. Les revendications 1, 2, 17, 18, 33, 34, 49 et 50 sont des revendications indépendantes.

[31] Le brevet 335 concerne les schémas posologiques associés à l’utilisation de palmitate de palipéridone en préparation injectable à action prolongée dans le traitement de la schizophrénie et de troubles connexes, et décrit un schéma posologique qui assure une courbe de concentration plasmatique optimale en fonction du temps chez les patients traités par la palipéridone. Les inventeurs ciblaient une plage d’exposition à des concentrations plasmatiques de 7,5 à 40 ng/mL de palipéridone après l’injection, afin d’assurer l’efficacité et de réduire au minimum les effets secondaires.

[32] Pour parvenir rapidement aux concentrations plasmatiques thérapeutiques, le brevet 335 décrit un schéma posologique composé de « doses d’attaque », soit une dose spécifique administrée le jour 1 et une autre dose spécifique administrée le jour 8, toutes deux dans le muscle deltoïde. Le schéma posologique composé de « doses d’attaque » est suivi d’un schéma posologique composé de « doses d’entretien » de palmitate de palipéridone administrées tous les mois par la suite, dans le muscle deltoïde ou fessier.

[33] Le schéma posologique comprend des « fenêtres posologiques » de ± 2 jours pour la deuxième dose d’attaque et de ± 7 jours pour les doses d’entretien mensuelles.

[34] Les revendications en cause dans le brevet 335 sont divisées en trois ensembles :

  1. les revendications 1 à 16 concernent des seringues préremplies adaptées à l’administration selon les schémas posologiques revendiqués;

  2. les revendications 17 à 32 concernent l’emploi d’une « forme médicamenteuse » conformément aux schémas posologiques revendiqués;

  3. les revendications 33 à 48 concernent l’emploi de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone dans la fabrication et la préparation d’un « médicament » adapté à l’administration conformément aux schémas posologiques revendiqués.

  4. les revendications 49 à 63 concernent l’emploi d’une « forme médicamenteuse » adaptée à l’administration selon les schémas posologiques revendiqués.

[35] Le schéma posologique revendiqué pour les patients psychiatriques qui ne sont pas atteints d’insuffisance rénale, mais qui nécessitent un traitement contre la schizophrénie est décrit dans les revendications 1, 17, 33 et 49 :

  1. Une première dose d’attaque de 150 mg éq. de palmitate de palipéridone administrée dans le muscle deltoïde le premier jour du traitement;

  2. Une deuxième dose d’attaque de 100 mg éq. de palmitate de palipéridone administrée dans le muscle deltoïde le 8e jour (± 2 jours); et

  3. Des doses d’entretien de 75 mg éq. de palmitate de palipéridone administrées dans le muscle deltoïde ou fessier tous les mois (± 7 jours) après la deuxième injection.

[36] Le schéma posologique revendiqué pour les patients atteints d’insuffisance rénale, défini aux revendications 2, 18, 34 et 50, suit le même calendrier d’administration et les mêmes fenêtres posologiques et points d’injection, mais avec des doses d’attaque de 100 et de 75 mg éq. et des doses d’entretien de 50 mg éq.

E. INVEGA SUSTENNAMD

[37] Le brevet 335 est inscrit au Registre des brevets tenu par le ministre de la Santé, conformément au Règlement, et concerne la suspension de palmitate de palipéridone de Janssen, commercialisée sous la marque nominative INVEGA SUSTENNAMD, en concentrations de 50 mg/0,5 mL (c.-à-d. 50 mg éq.), 75 mg/0,75 mL, 100 mg/1 mL et 150 mg/1,5 mL.

[38] La monographie du produit INVEGA SUSTENNAMD présente les schémas posologiques visés par les revendications du brevet 335.

F. L’historique du litige

(1) Dossier de la Cour no T‑353‑18 : Janssen Inc. c Teva Canada Ltd.

[39] Janssen a déjà invoqué les revendications 1 à 48 du brevet 335 à l’encontre de Teva Canada Ltd. dans le dossier de la Cour no T‑353‑18 (Janssen Inc. c Teva Canada Ltd., 2020 CF 593 [Teva Paliperidone]).

[40] Dans la décision Teva Paliperidone, je me suis entre autres prononcé sur la personne versée dans l’art, les connaissances générales courantes et l’interprétation des revendications 1 à 48 du brevet 335 – dont les détails seront présentés dans les sections pertinentes ci‑dessous.

[41] L’appel de la décision Teva Paliperidone est actuellement en instance, mais la question de la personne versée dans l’art et l’interprétation des revendications 1 à 48 du brevet 335 ne sont pas en litige en l’espèce.

(2) Dossier de la Cour no T‑455‑20 : Janssen Inc. c Pharmascience Inc.

[42] Le 28 février 2020, Pharmascience a signifié un avis d’allégation et un énoncé détaillé à l’égard de sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) no 236094, concernant le brevet 335. Elle sollicitait l’autorisation de commercialiser et de vendre au Canada le produit proposé pmsPALIPERIDONE PALMITATE, une version générique du produit INVEGA SUSTENNAMD de Janssen, en doses de 50, 75, 100 et 150 mg-éq.

[43] En réponse, Janssen a intenté une action en contrefaçon en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, le 8 avril 2020 (dossier de la Cour no T‑455‑20). Le 2 octobre 2020, cette action, qui concernait la PADN no 236094, a été abandonnée sur consentement.

(3) Dossier de la Cour no T‑1441‑20 : Janssen Inc. c Pharmascience Inc.

[44] Le 16 octobre 2020, Pharmascience a signifié un avis d’allégation et un énoncé détaillé à l’égard de sa PADN no 244 641 concernant le brevet 335. Elle sollicitait l’autorisation de commercialiser et de vendre au Canada |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| doses de son produit proposé pms-PALIPERIDONE PALMITATE, une version générique du produit INVEGA SUSTENNAMD de Janssen.

[45] Pharmascience allègue que le brevet 335 est invalide ou nul et qu’il ne sera pas contrefait par la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de pms‑PALIPERIDONE PALMITATE proposé, comme indiqué dans la PADN no 244641.

[46] En réponse, Janssen a intenté une action (dossier no T‑1441‑20) contre Pharmascience en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, le 27 novembre 2020. Janssen veut obtenir ce qui suit :

  1. Une déclaration selon laquelle la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de pms‑PALIPERIDONE PALMITATE par Pharmascience conformément à la PADN no 244641 constituerait une contrefaçon directe ou indirecte des revendications 1 à 63 du brevet 335;

  2. Une injonction permanente interdisant à Pharmascience (ainsi qu’à ses filiales et sociétés affiliées) de :

  1. fabriquer, construire, exploiter ou vendre le pms-PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  2. mettre en vente, commercialiser ou faire commercialiser le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  3. importer, exporter, distribuer ou faire distribuer le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  4. contrefaire ou inciter des tiers à contrefaire le brevet 335.

  1. Si Pharmascience fabrique, construit, exploite ou vend le produit pms‑PALIPERIDONE PALMITATE avant l’expiration du brevet 335, des dommages-intérêts ou une remise des profits réalisés par Pharmascience, au choix des demanderesses, en raison des activités de contrefaçon de Pharmascience à l’égard du brevet 335;

  2. Les dépens afférents à l’action;

  3. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

[47] Le 26 janvier 2021, Pharmascience a déposé une requête en procès sommaire au motif que le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE, fabriqué conformément à la PADN no 244641, ne contient aucun élément essentiel (c.‑à‑d. la dose de 75 mg-éq.) des 63 revendications du brevet 335 et qu’elle ne peut donc pas le contrefaire.

[48] Dans la décision Janssen Inc. c Pharmascience Inc., 2022 CF 62 [PMS Paliperidone], j’ai conclu que Janssen avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le produit proposé pms-PALIPERIDONE PALMITATE de Pharmascience, fabriqué conformément à la PADN no 244641, inciterait à la contrefaçon du brevet 335. En particulier, au vu de la preuve, il semble y avoir plusieurs passages dans la monographie du produit de pms‑PALIPERIDONE PALMITATE proposé qui inciteraient les médecins à prescrire le schéma posologique revendiqué, ce qui mènerait à la contrefaçon directe du brevet 335.

[49] Cela étant, l’action de Janssen n’a pas été rejetée et Pharmascience a ainsi pu présenter sa défense fondée sur l’invalidité, comme il est décrit aux présentes.

[50] L’appel de la décision PMS Paliperidone est actuellement en instance.

[51] Étant donné que les 63 revendications du brevet 355 sont en litige dans le dossier de la Cour no T‑1441‑20, les revendications 49 à 63 ont été interprétées – les détails à cet égard seront présentés dans la section pertinente ci‑dessous.

(4) Dossier de la Cour no T‑553‑22 : Janssen Inc. c Pharmascience Inc.

[52] Le 29 janvier 2022, Pharmascience a signifié un avis d’allégation et un énoncé détaillé à l’égard de sa PADN no 251 767 concernant le brevet 335. Elle sollicitait l’autorisation de commercialiser et de vendre au Canada |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| doses de son produit proposé pms‑PALIPERIDONE PALMITATE, une version générique du produit INVEGA SUSTENNAMD de Janssen.

[53] Dans la déclaration, Janssen affirme que la lettre qui lui a été signifiée n’était pas un avis d’allégation en bonne et due forme, car Pharmascience n’avait pas respecté le Règlement. Or, ce n’est pas une question qui a été soulevée en l’espèce.

[54] Pharmascience allègue que le brevet 335 est invalide ou nul, mais ne conteste pas qu’il serait contrefait par la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de pms-PALIPERIDONE PALMITATE proposé, comme indiqué dans la PADN no 251767.

[55] En réponse, Janssen a intenté une action (dossier de la Cour no T‑558‑2) contre Pharmascience en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, le 14 mars 2022. Janssen veut obtenir ce qui suit :

  1. Une déclaration selon laquelle la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de pms‑PALIPERIDONE PALMITATE par Pharmascience, conformément à la PADN no 251767, constituerait une contrefaçon directe ou indirecte des revendications 1 à 63 du brevet 335;

  2. Une injonction permanente interdisant à Pharmascience (ainsi qu’à ses filiales et sociétés affiliées) de :

  1. fabriquer, construire, exploiter ou vendre le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  2. mettre en vente, commercialiser ou faire commercialiser le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  3. importer, exporter, distribuer ou faire distribuer le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada;

  4. contrefaire ou inciter des tiers à contrefaire le brevet 335.

  1. Si Pharmascience fabrique, construit, exploite ou vend le produit pms‑PALIPERIDONE PALMITATE avant l’expiration du brevet 335, des dommages‑intérêts ou une remise des profits réalisés par Pharmascience, au choix des demanderesses, en raison des activités de contrefaçon de Pharmascience à l’égard du brevet 335;

  2. Les dépens afférents à l’action;

  3. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

III. Questions en litige

[56] Comme je l’ai mentionné, à l’issue de la requête en procès sommaire, qui ne portait que sur la question de la contrefaçon, la Cour n’a pas rejeté l’action de Janssen et a tiré une conclusion selon laquelle il y aurait contrefaçon, si bien que la présente action s’intéresse maintenant à la défense d’invalidité du brevet 355 soulevée par Pharmascience.

[57] Les parties ont déposé un énoncé conjoint des questions en litige :

  1. Les revendications du brevet 355 sont‑elles invalides pour cause d’évidence, au titre de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4?

  2. Les revendications du brevet 355 sont‑elles invalides pour cause d’absence d’objet brevetable (c.‑à‑d. en tant que méthode de traitement médical) au titre de l’article 2 de la Loi sur les brevets?

IV. Analyse

A. Les experts et les témoins des faits

(1) Les témoins des faits de Janssen

(a) An Vermeulen, Ph. D.

[58] Mme Vermeulen est désignée comme co‑inventrice du brevet 335. Elle est actuellement chef des services thérapeutiques de Pharmacologie clinique et Pharmacométrie – Immunologie, à Janssen.

[59] Mme Vermeulen a obtenu son doctorat en sciences pharmaceutiques à l’Université de Gand, avec une spécialisation en pharmacocinétique.

[60] Mme Vermeulen a été un témoin crédible. Son témoignage a porté sur l’élaboration de modèles pharmacocinétiques destinés à orienter la prise de décisions, la conception d’essais cliniques, ainsi que la sélection et l’adaptation des schémas posologiques de la préparation injectable de palmitate de palipéridone injectable de Janssen, tel que décrit ci‑dessus dans l’historique de l’invention.

(b) Srihari Gopal, MD

[61] Le DGopal est désigné comme co‑inventeur du brevet 355. Il n’est plus à l’emploi de Janssen ou associé à l’entreprise, mais au moment de signer son affidavit, il était directeur principal (chef du développement, psychiatrie) à Janssen Research & Development LLC.

[62] Le DGopal a obtenu son diplôme en médecine à l’Université Rutgers avant d’effectuer deux résidences en médecine : une au département de Chirurgie de la Faculté de médecine de l’Université d’Illinois, l’autre au département de Médecine familiale du Baylor College of Medicine, au Texas. Le Dr Gopal est également titulaire d’une maîtrise en Sciences de la santé, qui relève du programme de formation en recherche clinique de l’Université Duke, en Caroline du Nord.

[63] Le DGopal a été un témoin crédible et a témoigné quant à son rôle dans la mise au point de la préparation injectable à action prolongée de palmitate de palipéridone d’une durée d’un mois, et sur sa compréhension des études réalisées avant qu’il ne travaille pour Janssen. Tel que mentionné dans l’historique de l’invention, le DGopal est devenu membre de l’Équipe de mise au point pendant les études de phase III.

[64] Le dernier paragraphe de l’affidavit a été supprimé, sur consentement, en réponse à une objection soulevée par Pharmascience.

(c) Mahesh Samtani, Ph. D.

[65] M. Samtani est désigné comme co‑inventeur du brevet 335. Il est actuellement directeur principal, responsable de la pharmacométrie chez Janssen aux États‑Unis.

[66] M. Samtani a obtenu son doctorat en sciences pharmaceutiques à l’Université d’État de New York. Une partie de sa thèse de doctorat portait sur la modélisation pharmacocinétique et pharmacodynamique des suspensions aqueuses d’un corticostéroïde à action prolongée.

[67] M. Samtani a été un témoin crédible et a témoigné quant à son rôle dans l’élaboration d’un modèle pharmacocinétique de population qui pourrait faire l’objet de présentations aux autorités réglementaires et qui aiderait à optimiser le schéma posologique du palmitate de palipéridone tel qu’il est décrit ci-dessus dans l’historique de l’invention.

(2) Témoins des faits de Pharmascience

(a) Horatiu Lazar

[68] M. Lazar est analyste des données, Marketing et Ventes, à Pharmascience. Il a décrit comment les données d’IGVIA (anciennement IMS), (qui contiennent des données sur les ordonnances et les ventes en pharmacie des produits à base de palmitate de palipéridone mis sur le marché à partir de 2021), qui sont citées dans le rapport d’expert du Dr Jeffries, ont été préparées.

[69] M. Lazar n’a pas été interrogé et son affidavit a été considéré comme ayant été lu par lui à titre d’élément de preuve.

(b) Nathaniel Frank‑White

[70] M. Frank-White est responsable du traitement des demandes de documents à Internet Archive, qui offre le service Wayback Machine. Il a présenté des captures d’écran d’une page Web de Johnson & Johnson menant à des webémissions et à des documents concernant des conférences et des événements publics tenus par la société entre le 7 juin 2007 et le 22 janvier 2022, dont la transcription d’une réunion avec des investisseurs de Credit Suisse.

[71] M. Frank-White n’a pas été interrogé et son affidavit a été considéré comme ayant été lu par lui à titre d’élément de preuve.

(3) Les témoins experts de Janssen

(a) Dr Pierre Chue

[72] Le Dr Chue est un médecin qui possède une formation spécialisée en psychiatrie. Il cumule des postes de clinicien, de chercheur et d’enseignant pour les Services de santé de l’Alberta et l’Université de l’Alberta. Sa pratique est principalement axée sur le traitement des patients adultes atteints de maladie mentale, notamment la schizophrénie et le trouble schizoaffectif.

[73] Le Dr Chue est titulaire d’un baccalauréat en médecine et en chirurgie de la Welsh National School of Medicine.

[74] Le Dr Chue a été reconnu à titre d’expert dans le diagnostic et le traitement de la schizophrénie et du trouble schizoaffectif. Son expertise porte entre autres sur l’utilisation clinique de médicaments retard administrés par injection, notamment le palmitate de palipéridone (c.-à-d. INVEGA SUSTENNAMD), ainsi que de médicaments antipsychotiques oraux.

[75] Pharmascience a soulevé une objection préliminaire en vertu de l’article 248 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) quant à certaines parties du témoignage du Dr Chue. Elle s’est opposée à la présentation de tout témoignage sur les pratiques de prescription des médecins canadiens, du fait qu’un représentant de Janssen avait déjà refusé de préciser, lors de l’interrogatoire préalable, si l’entreprise disposait de renseignements sur les pratiques de prescription des médecins canadiens.

[76] J’ai déjà conclu dans une affaire connexe que les témoignages sur les pratiques et connaissances d’autres médecins constituent du ouï‑dire et ne sont donc ni fiables ni nécessaires, de sorte qu’ils ne peuvent avoir qu’un poids limité, voire aucun poids (Teva Paliperidone, au para 52).

[77] Le Dr Chue a témoigné sur la question de l’évidence et sur la méthode de traitement médical. Il s’est montré quelque peu obstructionniste en contre‑interrogatoire et n’a pas répondu directement à plusieurs questions simples. Néanmoins, le poids à accorder à son témoignage, s’il en est, est examiné ci‑dessous.

(b) Larry Ereshefsky, doctorat en pharmacie

[78] M. Ereshefsky est un pharmacologue clinicien; il a obtenu le titre de « Certified Psychiatric Pharmacist » et il compte plus de 40 ans d’expérience en tant que clinicien, scientifique et chercheur dans la mise au point de traitements et de méthodologies cliniques pour les maladies neurodégénératives et les troubles psychiatriques, dont la schizophrénie.

[79] M. Ereshefsky a obtenu son doctorat en pharmacie à l’Université de la Californie du Sud et il a fait sa résidence en pharmacie psychiatrique et psychopharmacologie à l’Université de la Californie du Sud – Centre médical du comté de Los Angeles. Maintenant à la retraite, il a été professeur de pharmacie, de psychiatrie et de pharmacologie à l’Université du Texas où il donnait des cours en thérapeutique psychiatrique et en pharmacologie clinique.

[80] En tant que directeur adjoint de l’unité de recherche clinique du San Antonio State Hospital, M. Ereshefsky a supervisé les soins cliniques et la réalisation de nombreux essais cliniques dans le contexte de la mise au point d’antipsychotiques atypiques et de nouveaux traitements pour la schizophrénie et d’autres troubles.

[81] M. Ereshefsky a été reconnu à titre d’expert dans les domaines suivants :

  1. la pharmacologie clinique, particulièrement la pharmacologie clinique des antipsychotiques;

  2. l’évaluation de la pharmacocinétique, de la pharmacodynamique, de la bioéquivalence, des interactions médicament‑médicament et de la pharmacogénétique des antipsychotiques, notamment les antipsychotiques sous forme injectable retard;

  3. l’utilisation clinique d’antipsychotiques, y compris la conception, la mise en œuvre, le suivi et la modification des plans de traitement des patients utilisant des antipsychotiques (y compris les médicaments antipsychotiques injectables à action prolongée) pour le traitement des troubles psychiatriques, y compris la schizophrénie, le trouble schizoaffectif et le trouble schizophréniforme;

  4. la conception et la mise en œuvre d’essais cliniques, y compris pour des médicaments utilisés dans le traitement des troubles psychiatriques, notamment la schizophrénie, les troubles schizoaffectifs et les troubles schizophréniformes;

  5. la psychopharmacologie translationnelle, y compris l’évaluation de données précliniques et de modèles (animaux) et l’extrapolation des données précliniques visant à prédire les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques chez les humains;

  6. l’évaluation des signaux relatifs à la toxicologie et à l’innocuité, notamment en traduisant les données des essais précliniques et cliniques en stratégies de conception intégrant les évaluations des patients/biomarqueurs et en explorant les limites d’exposition.

[82] M. Ereshefsky a témoigné sur les questions de l’évidence et de la méthode de traitement médical. Sa crédibilité a été mise à l’épreuve lorsqu’il a formulé plusieurs opinions déraisonnables concernant la preuve relative à la question de l’évidence, comme il est expliqué de façon plus détaillée ci‑dessous.

(4) Témoins experts de Pharmascience

(a) Joel Jeffries, MD

[83] Le Dr Jeffries a occupé le poste de psychiatre au Centre de toxicomanie et de santé mentale de 1998 jusqu’en mai 2021, lorsqu’il a quitté la pratique clinique de la psychiatrie. Le Dr Jeffries a occupé plusieurs postes d’enseignant. Il est professeur agrégé de psychiatrie et de pharmacie à l’Université de Toronto depuis 1978 et cumule plus de 50 années d’expérience en psychiatrie. Le Dr Jeffries a obtenu son doctorat en médecine de l’Université de Dublin.

[84] Le Dr Jeffries a été reconnu à titre d’expert dans le domaine de la psychiatrie, y compris dans le diagnostic, le suivi et le traitement des patients atteints de schizophrénie et de troubles connexes, y compris dans les préparations injectables à action prolongée et les préparations retard. Il est également un expert des pratiques de prescription des psychiatres ainsi que des normes de pratique auxquelles sont soumis les psychiatres et des médecins qui traitent des patients atteints de schizophrénie et de troubles connexes.

[85] Le Dr Jeffries a donné son avis sur la question de la méthode de traitement médical. Sa crédibilité a quelque peu été mise à l’épreuve, car il a fait des déclarations incohérentes et semblait parfois confus ou incapable de comprendre des questions relativement simples. En outre, le Dr Jeffries n’a jamais prescrit l’INVEGA SUSTENNAMD. Comme je l’ai dit à propos du témoignage du Dr Chue, toute partie du témoignage du Dr Jeffries qui concerne les pratiques de prescription d’autres médecins et qui repose sur des discussions qu’il a eues avec des collègues constitue du ouï‑dire et ne peut avoir qu’un poids limité, voire aucun poids.

(b) Pardeep Gupta, Ph. D.

[86] M. Gupta est professeur de pharmacie et titulaire de la chaire Burroughs Wellcome au département des sciences pharmaceutiques de la University of the Sciences de Philadelphie. Il est également directeur du laboratoire de pharmacie industrielle du Philadelphia College of Pharmacy de la University of the Sciences de Philadelphie. Il enseigne dans les domaines des préparations pharmaceutiques injectables et non injectables, de la diffusion médicamenteuse, de la libération contrôlée des médicaments, des procédés de dosage pharmaceutique, de la stabilité des médicaments, de la biodisponibilité et de la pharmacocinétique.

[87] M. Gupta a obtenu un doctorat en pharmacie et en chimie physique à l’Université du Wisconsin-Madison. Ses recherches ont essentiellement porté sur l’étude des variables biologiques qui influent sur la biodisponibilité des médicaments et, dans le cadre de ses études supérieures en sciences pharmaceutiques, il a fait de nombreux travaux et participé à des projets de recherche dans le domaine de la formulation médicamenteuse, de la modification chimique de médicaments et de la pharmacocinétique.

[88] M. Gupta a été reconnu à titre d’expert dans les domaines de la dissolution et de la formulation médicamenteuses et des systèmes d’administration de médicaments, y compris les préparations injectables à base de nanoparticules. Il est également un expert dans les essais de biodisponibilité et de pharmacocinétique et connaît bien la modélisation pharmacocinétique.

[89] M. Gupta a donné son avis sur la question de l’évidence. Sa crédibilité a été compromise du fait qu’il a refusé de reconnaître ou d’accepter des propositions simples et directes. M. Gupta n’a jamais mené ou conçu d’essai clinique ou d’essai pharmacocinétique chez les humains.

B. L’interprétation des revendications

[90] L’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67 au para 61). Lorsque le juge peut interpréter le brevet tel qu’il serait compris par une personne versée dans l’art, le témoignage d’expert n’est pas requis (Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446 aux para 25, 35 et 36; Excalibre Oil Tools Ltd. c Advantage Products Inc., 2016 CF 1279 au para 119).

[91] La Cour d’appel fédérale a récemment résumé les principes régissant l’interprétation des revendications aux paragraphes 30 à 34 de l’arrêt Tearlab Corporation c I-Med Pharma Inc., 2019 CAF 179 :

[30] Les principes généraux d’interprétation des revendications sont maintenant fixés et ont été consacrés par la Cour suprême du Canada dans trois arrêts (Whirlpool aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, aux paragraphes 31 à 67 [Free World Trust]; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., 1981 CanLII 15 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 520 [Consolboard]). Ces principes peuvent se résumer ainsi.

[31] La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, qui favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité (Free World Trust aux alinéas 31a) et b) et au paragraphe 41). La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet (à l’alinéa 31c)), et par un esprit désireux de comprendre (au paragraphe 44). Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas (à l’alinéa 31e)). Il incombe au juge appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non‑essentiel et d’accorder la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide uniquement pour les éléments essentiels (au paragraphe 15).

[32] Pour déterminer ces éléments, la teneur des revendications doit être interprétée du point de vue du lecteur versé dans l’art, à la lumière des connaissances générales courantes de ce dernier (Free World Trust, aux paragraphes 44 et 45; voir aussi Frac Shack, au paragraphe 60; Whirlpool, au paragraphe 53). Comme il a été observé dans la décision Free World Trust :

[51] […] Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Souligné dans l’original.]

[33] L’interprétation des revendications appelle l’examen de l’ensemble de la divulgation et des revendications « pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement […] sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public » (Consolboard, à la page 520; voir également Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, au paragraphe 50). On peut alors tenir compte des spécifications du brevet pour comprendre la signification des termes utilisés dans les revendications. Il faut veiller, cependant, à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, […] interprétée » (Whirlpool, au paragraphe 52; voir aussi Free World Trust, au paragraphe 32). La Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; les spécifications seront pertinentes lorsque les revendications sont ambiguës (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943, au paragraphe 31; voir aussi Ciba, aux paragraphes 74 et 75).

[34] Finalement, il est important de souligner que l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon (Whirlpool, au paragraphe 49 b)).

[92] La date pertinente pour interpréter les revendications est la date de la publication, le 19 juin 2009.

[93] Comme je l’ai mentionné, la question de l’interprétation des 63 revendications du brevet 355 et celle de la personne versée dans l’art ont déjà été tranchées et ne sont pas en litige en l’espèce.

[94] Les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants (Teva Paliperidone, au para 145) :

  1. Des seringues préremplies contenant une préparation retard de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone, formulée en tant que suspension aqueuse de nanoparticules;

  2. Pour administration par injection intramusculaire à un patient psychiatrique ayant besoin d’un traitement de la schizophrénie, du trouble schizoaffectif ou du trouble schizophréniforme;

  3. Ces seringues préremplies sont adaptées à l’administration conformément au schéma posologique suivant :

  1. Une première dose d’attaque d’environ 150 mg éq. de palipéridone injectée dans le muscle deltoïde le jour 1 du traitement;

  2. Une deuxième dose d’attaque d’environ 100 mg éq. de palipéridone injectée dans le muscle deltoïde le jour 8 du traitement ± 2 jours;

  3. Des doses d’entretien continues de 75 mg éq. de palipéridone injectées dans le muscle deltoïde ou le muscle fessier tous les mois ± 7 jours par la suite.

[95] Les éléments essentiels de la revendication 2 sont les mêmes, sauf que le patient qui a besoin d’un traitement est atteint d’insuffisance rénale, et les doses revendiquées sont d’environ 100 mg éq., 75 mg éq. et 50 mg éq., respectivement (Teva Paliperidone, au para 146).

[96] Les éléments essentiels des revendications sont cumulatifs. Le premier ensemble de revendications exige la combinaison de plusieurs seringues préremplies, de divers dosages, qui sont adaptées à l’administration en fonction du schéma posologique et des points d’injection revendiqués. L’invention revendiquée est un schéma posologique, et non de simples formes médicamenteuses (Teva Paliperidone, au para 147).

[97] Les revendications 3 à 14 dépendent des revendications 1 et 2, et comportent d’autres limites précises quant à la préparation. Les revendications 3 à 14 intègrent les doses, la fréquence de prise des médicaments et les points d’injection des revendications indépendantes 1 et 2 (Teva Paliperidone, au para 128).

[98] La revendication 15 limite en outre les revendications 1 à 14 à l’administration à un patient psychiatrique ayant besoin d’un traitement de la schizophrénie seulement. La revendication 16 est semblable, mais se limite aux patients psychiatriques ayant besoin d’un traitement du trouble schizoaffectif seulement (Teva Paliperidone, au para 129).

[99] Les revendications 1 à 16 comprennent les revendications relatives au « produit » (Teva Paliperidone, aux para 145 à 147).

[100] Les revendications 17 à 32 correspondent en fait aux revendications 1 à 16, sauf qu’elles visent [TRADUCTION] « l’utilisation d’une forme médicamenteuse de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone » plutôt que des seringues préremplies (Teva Paliperidone, au para 148).

[101] Les revendications 17 et 18 revendiquent le même schéma posologique que les revendications 1 et 2. Les revendications 19 à 30 comprennent les mêmes limites quant à la préparation que les revendications 3 à 14. Les revendications 31 et 32 sont identiques aux revendications 15 et 16, sauf pour ce qui est des revendications dont elles dépendent (Teva Paliperidone, au para 149).

[102] Lorsque des termes déjà utilisés sont répétés dans les revendications 17 à 32, ils ont le même sens que celui défini ci‑dessus pour les revendications 1 à 16. La seule autre expression devant être interprétée dans cet ensemble de revendications est [TRADUCTION] « utilisation d’une forme médicamenteuse » (Teva Paliperidone, au para 150).

[103] La personne versée dans l’art comprendrait que l’expression [TRADUCTION] « utilisation d’une forme médicamenteuse » dans les revendications 17 et 18 s’entend de l’utilisation d’une seringue contenant une préparation retard de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone pour administrer la préparation par injection intramusculaire selon la posologie et le calendrier d’administration des revendications (Teva Paliperidone, au para 152).

[104] Les revendications 17 à 32 comprennent les revendications d’« utilisation » (Teva Paliperidone, au para 153).

[105] Les revendications 33 à 48 correspondent aussi aux revendications 1 à 16, sauf qu’elles visent [traduction] « l’utilisation de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone pour la préparation [ou la fabrication] d’un médicament » (Teva Paliperidone, au para 154).

[106] Les revendications 33 et 34 revendiquent le même schéma posologique que les revendications 1 et 2. Les revendications 35 à 46 comprennent les mêmes limites quant à la préparation que les revendications 3 à 14. Les revendications 47 et 48 sont identiques aux revendications 15 et 16, sauf pour ce qui est des revendications dont elles dépendent (Teva Paliperidone, au para 155).

[107] Lorsque des termes déjà utilisés sont répétés dans les revendications 33 à 48, ils ont le même sens que celui défini ci‑dessus pour les revendications 1 à 16. Les seules autres expressions devant être interprétées dans cet ensemble de revendications sont [traduction] « la préparation [ou la fabrication] d’un médicament » et [traduction] « forme médicamenteuse » (Teva Paliperidone, au para 156).

[108] Le terme « médicament » s’entend d’un médicament dans son acception courante et il se distingue du terme « forme médicamenteuse » utilisé dans les revendications 33 et 34, en ce qu’un médicament n’implique pas un moyen d’administrer la préparation. Le « médicament » doit convenir à la préparation retard qui sera administrée par voie intramusculaire. Des fioles contenant la préparation retard sont un exemple de « médicament » dans ce contexte. Les seringues préremplies et les « formes médicamenteuses » utilisées dans les revendications antérieures sont comprises dans la définition de médicament (Teva Paliperidone, aux para 157 et 158).

[109] Les revendications 33 à 48 comprennent les revendications de type « suisse » et sont des revendications de « produit » (Teva Paliperidone, aux para 162 à 163).

[110] Il a été déterminé que les revendications 49 à 63 étaient pratiquement identiques aux revendications antérieures. En outre, la Cour n’a pas eu besoin d’une preuve d’expert puisque ces revendications peuvent être interprétées selon leur sens ordinaire (PMS Paliperidone, au para 85).

[111] Les revendications 49 à 63 comprennent les revendications de « produit » (PMS Paliperidone, au para 85; Teva Paliperidone, au para 125).

C. Personne versée dans l’art

[112] La personne versée dans l’art est un travailleur doué d’habiletés moyennes dans l’art dont l’invention relève et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis (Consolboard Inc c Macmillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 RCS 504 au para 523). La personne versée dans l’art peut être une équipe de personnes ayant des compétences différentes (Teva Canada Limitée c Janssen Inc., 2018 CF 754 au para 66 [Teva Canada], conf. par 2019 CAF 273).

[113] Tel que mentionné, la définition de la personne versée dans l’art n’est pas en litige en l’espèce, car les parties s’entendent pour dire que cette personne consiste en une équipe composée d’un clinicien, d’un spécialiste de la formulation de produits pharmaceutiques, d’un pharmacométricien et d’un pharmacocinéticien (Teva Paliperidone, aux para 98 à 108).

D. Connaissances générales courantes

[114] Les connaissances générales courantes sont les connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art ou le domaine scientifique auquel le brevet se rapporte au moment considéré. Elles ne comprennent pas les renseignements qui relèvent du domaine public (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 au para 37 [Sanofi]; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 aux para 63 à 65).

[115] Aux dates pertinentes, la personne versée dans l’art aurait eu les connaissances générales courantes suivantes (Teva Paliperidone, aux para 109 à 123) :

  1. La schizophrénie est une maladie permanente incurable. La personne versée dans l’art aurait connu les antipsychotiques typiques et atypiques servant au traitement de la schizophrénie.

  2. Les préparations retard sont conçues pour l’injection intramusculaire d’une dose relativement importante d’un médicament à action prolongée. Dans le cas du palmitate de palipéridone, l’hydrolyse de l’ester palmitique fournit le composé actif, à savoir la palipéridone.

  3. Les préparations retard peuvent être à base d’huile ou à base aqueuse, et des seringues préremplies ont été conçues pour faciliter l’administration.

  4. La posologie des préparations retard varie d’un médicament à l’autre.

  5. La modélisation pharmacocinétique de population peut servir à la conception de schémas posologiques.

  6. Les préparations retard posent un risque d’effets indésirables graves, en raison de leur durée d’action prolongée.

  7. Une préparation retard de rispéridone, RISPERDAL CONSTAMD, est déjà commercialisée.

  8. La palipéridone est un métabolite de la rispéridone.

  9. Une préparation orale à libération prolongée de palipéridone, INVEGAMD, est déjà commercialisée.

  10. Des suspensions aqueuses de nanoparticules de palmitate de palipéridone ont été mises au point.

[116] Au cours du procès, les experts ont témoigné au sujet des connaissances générales courantes additionnelles suivantes qu’aurait eues la personne versée dans l’art à la date pertinente :

  1. La palipéridone (9-hydroxy-rispéridone) est le métabolite actif de la rispéridone, équivalent en puissance;

  2. Quatre milligrammes par jour de rispéridone administrée par voie orale ont permis d’atteindre des concentrations plasmatiques médianes d’environ 20 à 65 ng/ml à l’état d’équilibre;

  3. La rispéridone est largement métabolisée dans le foie en palipéridone;

  4. La palipéridone est équivalente en puissance à la rispéridone;

  5. Le profil pharmacologique de la palipéridone ressemble de près à celui de la rispéridone;

  6. La palipéridone présente un profil de liaison aux récepteurs similaire à celui de la rispéridone;

  7. La demi‑vie de la palipéridone est d’environ un jour;

  8. La palipéridone est éliminée par les reins;

  9. RISPERDAL CONSTAMD, forme injectable à action prolongée de la rispéridone, nécessite un ajustement posologique chez les patients atteints d’insuffisance rénale;

  10. INVEGAMD, un comprimé oral à libération prolongée de palipéridone, nécessite un ajustement posologique chez les patients atteints d’insuffisance rénale;

  11. Le poids corporel est une covariable de la pharmacocinétique qui peut avoir un effet sur l’efficacité d’un médicament;

  12. Une dose d’attaque peut prendre la forme d’une dose de départ plus élevée, d’une administration plus fréquente, ou les deux.

E. Évidence

[117] Pour commencer, le brevet 355 est présumé valide (art 43(2) de la Loi sur les brevets). C’est à Pharmascience qu’incombe le fardeau de démontrer l’évidence selon la prépondérance des probabilités.

[118] La date pertinente pour l’examen de l’évidence est la première date de priorité du brevet 335, soit le 19 décembre 2007.

[119] Le cadre d’analyse de l’évidence, qui comporte quatre volets, a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 67 :

  1. Identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  2. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  3. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

  4. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[120] Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, comme l’industrie pharmaceutique, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué (Sanofi, au para 68). Dans un tel cas, les éléments énumérés ci‑après, qui ne sont pas exhaustifs, doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence (Sanofi, aux para 69 à 71) :

  1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

  2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

  3. L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

  4. Quelles ont été les mesures concrètes ayant mené à l’invention?

[121] La Cour a considéré que le facteur des « mesures concrètes » relevait du facteur s’attachant à la « nature et à l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention » (Teva Canada, au para 85; Tensar Technologies, Limited c Enviro-Pro Geosynthetics Ltd., 2019 CF 277 au para 157). Cette approche n’est pas incompatible avec l’indication donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, selon laquelle l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur, mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention (Sanofi, au para 70).

[122] La Cour d’appel fédérale a qualifié le facteur des mesures concrètes de « développement du deuxième facteur » (Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Ltd., 2017 CAF 76 au para 44 [Bristol-Myers Squibb]).

[123] La Cour doit se méfier de la sagesse rétrospective des témoins experts. Il ne serait pas juste à l’endroit de la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‑ci étant bien connu, ladite combinaison est nécessairement évidente (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd. (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 51 [Bridgeview]). La question à se poser est celle de savoir si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes, la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la solution enseignée par le brevet (Beloit Canada Ltd. c Valmet Oy [1986], ACF no 87 (CAF) à la p 294).

[124] L’examen de l’évidence doit être fait à l`égard de chaque revendication (Zero Spill Systems (International) Inc. c Heide, 2015 CAF 115 au para 85).

[125] Comme je l’ai déjà conclu aux paragraphes 172 à 175 de la décision Teva Paliperidone en ce qui concerne les revendications 1 à 48, conclusion qui s’applique maintenant à l’ensemble des revendications du brevet 335, la validité des revendications dépendantes 3 à 16, 19 à 32 et 25 à 48 et 51 à 63 repose sur l’inventivité des schémas posologiques énoncés dans les revendications 1, 2, 17, 18, 33, 34, 49 et 50. Il en est ainsi parce que, s’il avait examiné les brevets nos 2 309 629 et 2 236 691 de Janssen (le « brevet 629 » et le « brevet 691 », respectivement), à la lumière des connaissances générales courantes, le formulateur versé dans l’art serait parvenu à des préparations retard aqueuses contenant des nanoparticules de palmitate de palipéridone d’une taille moyenne de 1 600 nm à 400 nm, avec des surfactants, des tampons, des agents dispersants et des agents de conservation selon les quantités revendiquées, sans avoir à faire preuve d’un quelconque degré d’inventivité. Aucun élément de preuve ou argument à l’effet contraire n’a été présenté en l’espèce.

[126] La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes ont été décrites en détail ci‑dessus.

[127] En outre, aux paragraphes 176 à 188 de la décision Teva-Palipéridone, j’ai conclu que l’idée originale en cause consistait en un schéma posologique sûr et efficace qui, au moyen d’une préparation retard de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone, formulée en tant que nanosuspension aqueuse pour le traitement des patients atteints de schizophrénie, est conçu pour parvenir rapidement à l’intervalle de concentrations plasmatiques thérapeutiques et maintenir les patients dans cet intervalle. Pour les patients qui ne présentent pas d’insuffisance rénale, le schéma posologique est celui indiqué en détail dans les revendications 1, 17, 33 et 49 :

[traduction]

  1. 150 mg éq. de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone injecté dans le muscle deltoïde le jour 1;

  2. 100 mg éq. de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone injecté dans le muscle deltoïde le jour 8 (± 2 jours);

  3. 75 mg éq. de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone injecté dans le muscle deltoïde ou fessier tous les mois (± 7 jours par la suite).

[128] Pour les patients atteints d’insuffisance rénale, les doses sont ajustées à la baisse, de sorte que les doses d’attaque sont de 100 mg éq. et de 75 mg éq., et les doses d’entretien, de 50 mg éq., comme l’indiquent les revendications 2, 18, 34 et 50.

[129] Pharmascience soutient que les experts de Janssen, MM. Chue et Ereshefsky, ont élargi abusivement l’idée originale. Je reconnais que, dans la mesure où ils affirment que les revendications visent un schéma de dosage [traduction] « normalisé », ils vont au‑delà de l’idée originale. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 184 de Teva Peliperidone, je conclus que l’objet des revendications n’est pas [traduction] « normalisé » et que ce concept va au‑delà du libellé clair des revendications et le contredit.

(1) Les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

[130] Depuis le 19 décembre 2007, on sait que les profils pharmacocinétiques des antipsychotiques retard dictent leur posologie. Il existait sur le marché un certain nombre d’antipsychotiques retard de première génération (voir les exemples ci‑dessous) et un antipsychotique de deuxième génération :

  1. Décanoate de fluphénazine : Des patients ont dû passer progressivement de l’administration par voie orale à l’injection retard seulement après avoir été stabilisés par voie orale. Une dose d’attaque n’a pas pu être utilisée pour amorcer le traitement en raison d’un pic initial au cours d’une phase de libération rapide dans les 24 premières heures suivant l’injection et, par conséquent, l’ajout d’une dose d’attaque aurait provoqué des niveaux toxiques de fluphénazine dans l’organisme.

  2. Décanoate de zuclopenthixol : Comme beaucoup d’autres antipsychotiques injectables retard, ce médicament n’a été utilisé que chez des patients stabilisés par des médicaments oraux, en convertissant la dose à partir de la dose orale individuelle du patient. Une supplémentation orale a également été utilisée pour éviter une diminution de la réponse thérapeutique.

  3. Décanoate d’halopéridol : Alors que les articles sur l’halopéridol, comme ceux rédigés par M. Ereshefsky, étudient les doses d’attaque de décanoate d’halopéridol pour « les patients très malades », la posologie était personnalisée en fonction de la dose antérieure d’halopéridol administrée par voie orale au patient. Le Dr Chue a déclaré que l’utilisation de doses d’attaque pour l’administration d’halopéridol sous forme d’injection retard n’était pas une pratique clinique courante chez les médecins canadiens.

  4. RISPERDAL CONSTAMD : Étant donné qu’il n’y a pratiquement pas de libération de médicament à partir de l’injection retard pendant les trois premières semaines, cette préparation n’est pas adaptée à l’utilisation d’une dose d’attaque; elle nécessite plutôt une supplémentation orale pendant cette période.

[131] Bien que le document d’antériorité (Goodman et Gilman, The Pharmacological Basis of Therapeutics, 10e éd. McGaw-Hill : New York, 2001) indique que les injections de solutions aqueuses dans le muscle deltoïde favorisent généralement une absorption plus rapide, il est entendu que cela ne s’applique pas nécessairement aux préparations retard à base d’huile ou aux suspensions et, dans tous les cas, on ne sait pas si une absorption plus rapide aurait un effet bénéfique et cliniquement significatif. L’expert de Pharmascience, M. Gupta, a admis que les injections dans le muscle deltoïde ne seraient pas utiles pour certaines préparations comme RISPERDAL CONSTAMD, et a également convenu que sans une compréhension de la pharmacocinétique du médicament, les injections dans le muscle deltoïde pourraient donner lieu à une concentration plasmatique élevée, et ainsi causer des effets indésirables.

[132] En date du 19 décembre 2007, l’art antérieur divulguait les informations suivantes concernant une injection retard de palmitate de palipéridone :

  1. Citrome (2007) : Cet article de synthèse ne divulgue que peu d’informations provenant du site ClinicalTrials.gov concernant sept essais cliniques prévus et en cours pour une injection retard de palmitate de palipéridone, et ne divulgue pas de résultats, ni aucune donnée sur l’efficacité, l’innocuité ou la pharmacocinétique de ces essais. Il ne fournit pas non plus de détails sur la préparation retard du palmitate de palipéridone utilisée dans les essais. Les experts de Pharmascience n’ont fait référence qu’à deux des sept études (NCT00210548 et NCT00210717) dont il est question ci-dessous.

  2. ClinicalTrials.gov, essai NCT00210548 : concerne un essai clinique sur le palmitate de palipéridone qui visait à étudier des doses fixes de 50 mg éq., 100 mg éq. ou 150 mg éq. aux jours 1, 8, 36 et 64. « Doses fixes » dans ce contexte signifie que la même dose était administrée chaque jour. Il s’agit du seul essai portant sur l’utilisation d’une dose d’attaque de palmitate de palipéridone. Toutes les injections ont été administrées dans le muscle fessier. Aucune donnée sur l’innocuité, l’efficacité ou la pharmacocinétique n’est divulguée.

  3. ClinicalTrials.gov, essai NCT00210717 : concerne un essai clinique portant sur des injections retard mensuelles de palmitate de palipéridone à dose « flexible » (c.‑à‑d. des doses fixées par les médecins plutôt que des doses préétablies), soit de 25 à 100 mg éq., qui doivent toutes être injectées dans le muscle fessier. Aucune donnée sur l’innocuité, l’efficacité ou la pharmacocinétique n’est divulguée.

  4. L’essai NCT00101634 visait à étudier des doses de 25, 5,0 ou 100 mg éq. par rapport au placebo. Aucun calendrier d’administration n’est fourni dans l’article du Dr Citrome, et le point d’injection n’est pas divulgué.

  5. L’essai NCT00147173 devait étudier des doses de 50, 100 et 150 mg éq. par rapport au placebo. Aucun calendrier d’administration n’est fourni dans l’article du Dr Citrome, et le point d’injection n’est pas divulgué.

  6. Dans l’article du Dr Citrome, l’essai NCT00073320 a été décrit comme une « étude pharmacocinétique ouverte sur les injections dans le bras ou le fessier ». Aucun dosage ni calendrier d’administration n’est fourni.

  7. Pour l’essai NCT00111189, aucune information sur les doses ou le calendrier d’administration n’est fournie, et le point d’injection n’est pas divulgué.

  8. L’essai NCT00119756 cherchait à étudier [traduction] « l’innocuité et la tolérabilité de l’injection dans le muscle de l’épaule par rapport au muscle fessier ». Aucune concentration ni aucun calendrier d’administration n’est fourni dans l’article du Dr Citrome.

  9. Credit Suisse : Il s’agit de la transcription d’une réunion d’investisseurs révélant que Janssen a déposé une demande auprès de la FDA pour une injection retard mensuelle de palmitate de palipéridone dans le muscle deltoïde et le muscle fessier. Credit Suisse fait plusieurs comparaisons avec RISPERDAL CONSTAMD (y compris des différences dans la fréquence des doses, les besoins en matière de conservation, la taille des aiguilles et les sites d’administration), mais ne fait aucune comparaison avec la stratégie d’amorce pour RISPERDAL CONSTAMD (c.-à-d. supplémentation par voie orale). Le Dr Chue est d’avis que la personne versée dans l’art penserait qu’à l’instar de RISPERDAL CONSTAMD, le produit à base de palmitate de palipéridone n’utilise pas de doses d’attaque. M. Ereshefsky a déclaré que, même si la personne versée dans l’art envisageait la possibilité d’utiliser des doses d’attaque, elle ne saurait pas qu’il est nécessaire d’administrer ces doses dans le muscle deltoïde, puisque Credit Suisse indique que les injections sont interchangeables pour les deux sites.

  10. L’étiquette du produit INVEGAMD, un comprimé oral de palipéridone à libération prolongée, fournit certaines informations pharmacocinétiques sur la palipéridone pour cette préparation. Le Dr Chue a estimé que la personne versée dans l’art n’extrapolerait pas ces informations à une injection retard intramusculaire de palmitate de palipéridone compte tenu des différences dans la préparation. Il est nécessaire de mener des études pharmacocinétiques et des essais cliniques pour vérifier l’innocuité et l’efficacité de la préparation retard du palmitate de palipéridone, ce qui n’était pas le cas dans l’art antérieur. L’art antérieur comprenait des brevets et des demandes de brevet concernant des préparations de palmitate de palipéridone, y compris le brevet 629, le brevet 691 et WO 2006/114384.105.

  11. INVEGAMD et RISPERDAL CONSTAMD nécessitent des doses plus faibles de palipéridone chez les patients atteints d’insuffisance rénale.

[133] À la lumière des brevets 629 et 691, de l’article de synthèse du DCitrome et des données applicables tirées du site ClinicalTrials.gov, j’ai conclu aux paragraphes 190 à 197 de la décision Teva Paliperidone que l’état de la technique et l’idée originale présentaient les différences suivantes :

  1. Un schéma posologique d’antipsychotique retard conçu pour atteindre rapidement et de façon sécuritaire des concentrations plasmatiques thérapeutiques sans la nécessité d’une administration orale préalable, d’une supplémentation orale ou d’un ajustement posologique;

  2. Les doses précises de palmitate de palipéridone prévues dans les schémas revendiqués;

  3. Une dose d’attaque administrée dans le muscle deltoïde;

  4. Une dose d’entretien administrée de façon interchangeable dans le muscle deltoïde ou le muscle fessier;

  5. Des fenêtres posologiques de ± 2 jours (deuxième dose d’attaque) et de ± 7 jours (doses d’entretien);

  6. Un schéma posologique modifié pour les patients atteints d’insuffisance rénale.

[134] J’estime que les différences qui existent en l’espèce entre l’état de la technique et l’idée originale correspondent à celles auxquelles j’ai conclu dans la décision Teva Paliperidone. Les renseignements mentionnés dans la transcription de la réunion avec Credit Suisse sont généraux et ne divulguent aucun détail sur les revendications du brevet 335 qui modifierait l’analyse de l’état de la technique qui a déjà été faite.

(2) Les différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne moyennement versée dans l’art?

[135] Alors que Janssen soutient que la preuve présentée en l’espèce s’accorde parfaitement avec les conclusions de non‑évidence tirées dans la décision Teva-Palipéridone, Pharmascience fait valoir qu’il existe des différences essentielles entre les témoignages présentés dans la présente affaire et ceux entendus dans l’affaire Teva-Palipéridone, notamment :

  1. La personne versée dans l’art connaîtrait l’intervalle de concentrations plasmatiques sûres et efficaces de palipéridone visé pour INVEGAMD et saurait qu’aucune étude supplémentaire n’était nécessaire;

  2. La transcription de Credit Suisse révèle que Janssen a déposé une présentation de drogue nouvelle à la FDA, comprenant des injections dans le muscle deltoïde et le muscle fessier, ce qui permettrait à la personne versée dans l’art de comprendre qu’un tel produit est sûr et efficace.

[136] Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée dans le brevet 335, les différences entre l’état de la technique et l’idée originale constituent des étapes qui n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art. La preuve présentée en l’espèce est compatible avec les conclusions de non‑évidence tirées dans la décision Teva Paliperidone.

[137] L’art antérieur ne définissait pas l’innocuité, l’efficacité, la pharmacocinétique ou la pharmacodynamie. Pour pouvoir déterminer un schéma posologique approprié pour le palmitate de palipéridone en solution injectable à action prolongée (retard), des informations pharmacocinétiques et des résultats d’essais cliniques portant sur le palmitate de palipéridone seraient nécessaires. Comme il est indiqué ci‑dessus dans l’historique de l’invention, la personne versée dans l’art aurait d’abord dû mener des études cliniques pour déterminer le profil pharmacocinétique de la palipéridone injectable, car cette information est cruciale pour la conception du schéma posologique. Comme l’a admis l’expert de Pharmascience, M. Gupta, même si la personne versée dans l’art décidait de faire des recherches sur les schémas posologiques d’attaque, des études seraient nécessaires pour déterminer le schéma posologique d’attaque nécessaire pour atteindre rapidement des concentrations plasmatiques thérapeutiques; et, dans tous les cas, l’art antérieur ne divulguait pas de données sur l’innocuité, l’efficacité ou la pharmacocinétique d’une préparation retard de palmitate de palipéridone.

[138] L’analyse de M. Gupta semble être influencée par la sagesse rétrospective. Dans son argument, Pharmascience ventile le schéma posologique en plusieurs segments et affirme que chaque segment est bien connu et que, par conséquent, la combinaison est évidente. Cet argument ne tient pas compte de plusieurs différences essentielles entre l’art antérieur et les schémas posologiques revendiqués dans le brevet 335, notamment l’absence de données concernant les préparations de palmitate de palipéridone utilisées dans les essais cliniques énumérés dans l’article du Dr Citrome et les documents des essais cliniques (NCT), les fenêtres posologiques du palmitate de palipéridone et une posologie d’attaque utilisant l’injection dans le muscle deltoïde; et le fait qu’aucune injection retard antérieure d’antipsychotique n’a été approuvée pour l’injection dans le muscle deltoïde et que des doses d’attaque de préparations retard d’antipsychotiques n’ont pas été couramment utilisées dans la pratique clinique.

[139] Les revendications sont inventives :

  1. La dose pour chaque injection : l’art antérieur n’a pas divulgué de schéma posologique avec des doses de 150 mg éq., suivies de doses 100 mg éq. et suivies de doses de 75 mg éq. pour le palmitate de palipéridone. L’art antérieur a divulgué des essais avec des doses fixes, chaque dose étant la même, ainsi qu’une étude sur des doses flexibles. Aucun élément de l’art antérieur n’indique que trois doses différentes prédéfinies sont utilisées dans un ordre spécifique et à des points d’injection précis pour atteindre et maintenir rapidement des concentrations plasmatiques thérapeutiques. Le fait d’arriver à ces concentrations pour chaque dose était inventif.

  2. Doses d’attaque : bien que l’essai clinique NCT548128 ait comporté un schéma posologique de palmitate de palipéridone aux jours 1, 8, 36 et 64, ce qui pourrait être considéré comme une stratégie de posologie d’attaque, toutes les doses dans cette étude étaient fixes (ce qui signifie que les patients recevaient la même dose tous les jours). L’art antérieur n’a pas divulgué deux doses d’attaque pour lesquelles la concentration était précisée indépendamment du traitement antérieur du patient ou de tout autre facteur propre au patient (autre que l’insuffisance rénale). Le seul autre antipsychotique à action prolongée divulgué dans l’art antérieur, où l’utilisation de doses d’attaque a été explorée dans des études cliniques, était le décanoate d’halopéridol, pour lequel la dose d’attaque était déterminée en fonction de la dose orale d’halopéridol que le patient avait reçue, plutôt qu’en fonction d’un schéma posologique conçu pour atteindre et maintenir des concentrations plasmatiques thérapeutiques de manière sûre et efficace. Tous les autres médicaments de l’art antérieur utilisaient soit une supplémentation orale, soit un ajustement posologique, y compris RISPERDAL CONSTAMD, qui est directement opposé au produit de palmitate de palipéridone proposé par Janssen dans Credit Suisse, sans aucune mention du fait que le produit proposé était amélioré parce qu’il utilisait des doses d’attaque et ne nécessitait pas de supplémentation orale. En outre, l’art antérieur n’a pas divulgué de schéma posologique d’attaque dans lequel une dose d’attaque de 150 mg éq. suivie d’une seconde dose d’attaque de 100 mg éq. sont administrées aux jours 1 et 8. Le schéma posologique d’attaque du brevet 335 a été établi à la suite d’études cliniques significatives et d’analyses pharmacocinétiques de population. Cet aspect des revendications était inventif.

  3. Injections dans le muscle deltoïde : aucun antipsychotique à action prolongée (retard) de l’art antérieur n’a été approuvé pour des injections dans le muscle deltoïde, et aucun essai clinique portant sur le palmitate de palipéridone de l’art antérieur n’a même étudié les doses d’attaque dans le muscle deltoïde, encore moins une étude nécessitant deux doses d’attaque de concentrations de palmitate de palipéridone différentes à administrer dans le muscle deltoïde. L’art antérieur a divulgué que le muscle fessier était le point d’injection privilégié. Bien que Credit Suisse indique que le produit prévu pour une administration mensuelle (qui, à ce stade, peut avoir été approuvé ou non) sera disponible à la fois pour une administration dans le muscle deltoïde et pour une administration dans le muscle fessier, cela ne fournit aucune information quant à l’obligation d’administrer des doses d’attaque dans le muscle deltoïde (d’autant plus que Credit Suisse ne mentionne même pas les doses d’attaque et ne fait référence qu’à une administration mensuelle). En l’absence d’informations pharmacocinétiques, la personne versée dans l’art ne saurait pas si l’administration d’un médicament antipsychotique par injection retard dans le muscle deltoïde pourrait produire une différence sur le plan clinique. En outre, en l’absence de données pharmacocinétiques, la personne versée dans l’art ne saurait pas si l’administration d’un antipsychotique retard dans le muscle deltoïde conduit à des concentrations « toxiques » de médicament dans l’organisme. Le fait de nécessiter l’administration des deux premières doses dans le muscle deltoïde dans le cadre d’un schéma posologique d’attaque était inventif.

  4. Le calendrier d’administration : l’art antérieur a divulgué qu’au moins deux schémas posologiques ont été étudiés pour les injections retard de palmitate de palipéridone, y compris une dose mensuelle, la même dose aux jours 1, 8, 36 et 64 dans le muscle fessier, ainsi que plusieurs études avec des schémas posologiques non précisés. En l’absence de résultats d’essais cliniques, la personne versée dans l’art ne saurait pas quel calendrier d’administration est préférable, le cas échéant. La personne versée dans l’art saurait que les essais cliniques peuvent échouer et qu’en l’absence de résultats, elles ne disposeraient d’aucun élément pour les guider. En effet, bien que la personne versée dans l’art ne le sache pas, l’essai NCT548 (le seul essai de l’art antérieur qui a divulgué une posologie d’attaque avec le palmitate de palipéridone) a échoué, ce qui prouve que des essais de phase 3 peuvent effectivement échouer. Selon Credit Suisse, la personne versée dans l’art serait également amenée à supposer qu’une injection mensuelle devait être utilisée sans posologie d’attaque. Un calendrier d’administration selon lequel des doses préétablies de palipéridone en trois concentrations différentes ont été administrées aux jours 1 et 8, puis tous les mois par la suite, était inventif.

  5. Les fenêtres posologiques : l’art antérieur n’a pas divulgué ni mentionné de fenêtre posologique, y compris des fenêtres posologiques pour la seconde dose d’attaque ou pour la dose d’entretien mensuelle. Cet aspect de fenêtre posologique était inventif.

  6. Posologie pour les patients atteints d’insuffisance rénale : l’art antérieur n’a pas divulgué ni mentionné le dosage de palmitate de palipéridone chez les patients atteints d’insuffisance rénale. Sans connaître le schéma posologique pour les patients ne souffrant pas d’insuffisance rénale, la personne versée dans l’art ne pourrait pas faire un ajustement. En outre, l’art antérieur ne contenait aucune information sur le degré d’ajustement requis pour les patients atteints d’insuffisance rénale auxquels on administre du palmitate de palipéridone; en fait, M. Gupta a déclaré qu’il pourrait être vrai qu’aucun ajustement posologique pour les doses d’attaque ne devrait être effectué. Le schéma posologique pour les patients atteints d’insuffisance rénale était inventif. Cependant, comme il est indiqué ci‑dessus, le fait que la palipéridone est éliminée par les reins fait partie des connaissances générales courantes, et RISPERDOL CONSTAMD et INVEGAMD ont tous deux nécessité des ajustements posologiques pour les patients atteints d’insuffisance rénale.

  7. Schéma posologique dans son ensemble : la preuve montre que la combinaison particulière des aspects du schéma posologique telle que revendiquée dans le brevet 335 n’était pas évidente.

(a) Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

[140] Dans une affaire comme celle qui nous occupe, où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, la meilleure façon de répondre à ces questions est d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » décrit dans l’arrêt Sanofi, aux paragraphes 69 à 71.

[141] La notion d’« essai allant de soi » commande la prudence. Elle ne saurait permettre de réfuter toute allégation de contrefaçon (Sanofi, au para 64). Les facteurs à prendre en compte dans l’analyse qui en est faite sont ceux énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi.

[142] Pour conclure qu’il a été satisfait au critère, « le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas » (Sanofi, au para 66; voir aussi Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CAF 8 [Pfizer]; Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 [Hospira CAF] au para 88). Un degré de motivation élevé à trouver une solution à un problème ne saurait transformer la solution trouvée en solution évidente (Pfizer, au para 44). La preuve relative au nombre d’essais requis montre que l’invention n’allait pas de soi (Allergan Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2014 CF 567 aux para 34 et 35, confirmée par 2015 CAF 137).

[143] Quant aux facteurs de l’arrêt Sanofi relatifs à l’essai allant de soi, la preuve montre que l’invention sur laquelle porte le brevet 335 n’était pas plus ou moins évidente pour la personne versée dans l’art, étant donné les nombreuses voies que celle‑ci aurait pu suivre sans jamais arriver aux schémas posologiques revendiqués dans le brevet 335. Il n’existait aucun nombre déterminé de solutions prévisibles connues. En fait, M. Gupta n’a proposé aucun nombre déterminé de solutions connues, encore moins de solutions prévisibles. Il faudrait faire preuve d’un niveau élevé d’habileté, d’effort et de travail non courant, en plus d’inventivité, pour arriver à l’objet revendiqué dans le brevet 335, d’autant plus qu’il n’existe aucun résultat lié à la pharmacocinétique, à l’innocuité ou à l’efficacité du palmitate de palipéridone chez l’humain.

[144] Bien que Pharmascience soutienne que la concentration plasmatique thérapeutique cible aurait été révélée par l’art antérieur, la réponse à la question de savoir si la préparation retard de palmitate de palipéridone administrée par voie intramusculaire selon les schémas posologiques revendiqués aurait atteint et maintenu la concentration plasmatique thérapeutique de manière sûre et efficace n’était pas connue et nécessitait des compétences et des efforts importants, comme il ressort de l’historique de l’invention exposé ci‑dessus.

[145] M. Gupta a déclaré dans son témoignage que d’autres expériences étaient nécessaires, notamment pour déterminer le profil pharmacocinétique du palmitate de palipéridone administré par injection retard. Comme l’ont expliqué les experts de Janssen, d’autres essais cliniques seraient également nécessaires pour étudier différents schémas posologiques. Et comme l’ont dit MM. Ereshefsky et Chue, les essais cliniques ne sont pas courants, ils échouent souvent et nécessitent des efforts considérables. En outre, le témoignage de M. Gupta même révèle que le résultat des études complémentaires qu’il a proposées n’était pas prévisible pour lui. Lorsqu’il a suggéré qu’une dose d’attaque serait étudiée, il a déclaré [traduction] « Si la dose d’attaque jugée nécessaire […] dépasse 150 mg […] », et a reconnu qu’il disait [traduction] « "si", "parce qu’on ne sait pas" quelle dose d’attaque serait jugée nécessaire pour atteindre rapidement des concentrations plasmatiques thérapeutiques sur la base de l’art antérieur, il faut faire des études pour le découvrir ».

[146] De même, l’article du Dr Citrome (2007) conclut que [traduction] « [l]a préparation retard intramusculaire est plus prometteuse s’il peut être démontré qu’elle peut être administrée moins fréquemment que la suspension de microsphères contenant de la rispéridone administrée par injection intramusculaire et qu’il y a un court délai avant la mise au point d’une concentration sanguine adéquate [non souligné dans l’original] », parce que même l’auteur ne savait pas si le palmitate de palipéridone en injection retard pouvait être administré moins fréquemment sans qu’il y ait un court délai avant d’atteindre des concentrations sanguines adéquates.

[147] Le témoignage d’un expert ne doit pas être péremptoire; le témoin doit présenter une analyse à l’appui de ce qu’il avance (Bridgeview, au para 53) Comme je l’ai mentionné, il semble que M. Gupta ait abordé l’analyse avec le bénéfice du recul (Bristol-Myers Squibb Canada Co. c Teva Canada Ltd., 2016 CF 580 au para 165, confirmée par Bristol-Myers Squibb CAF; GlaxoSmithKline Inc. c Pharmascience Inc., 2011 CF 239 au para 70).

[148] M. Gupta a donné son avis en qualité de formulateur/pharmacocinéticien. En contre‑interrogatoire, M. Gupta a admis qu’il n’avait pas d’expérience dans la réalisation d’essais pharmacocinétiques sur des êtres humains, qu’il n’avait pas fait d’analyse et n’avait pas d’opinion sur les aspects cliniques du brevet 335.

[149] M. Gupta n’a pas témoigné sur la façon dont une personne versée dans l’art aurait pu arriver au schéma posologique enseigné par le brevet 335, compte tenu de l’art antérieur. Il n’a pas non plus parlé des fenêtres posologiques.

(3) Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

[150] La personne versée dans l’art n’a pas à avoir les compétences nécessaires pour mener les mêmes expériences que celles menées par les inventeurs pour parvenir à l’invention revendiquée (Hospira CAF, au para 94). Comme je l’ai mentionné, le quatrième facteur, les mesures concrètes, est intrinsèquement lié au deuxième facteur et jette la lumière sur l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention revendiquée (Sanofi, au para 71;Bristol-Myers Squibb CAF, au para 44).

[151] Même si « l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur », « [l]es mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important » (Sanofi, au para 70).

[152] Par ailleurs, « lorsque les intéressés […] avaient de grandes compétences dans le domaine technique en cause, la preuve pourrait indiquer que la personne versée dans l’art aurait obtenu des résultats bien pires et ne serait vraisemblablement pas parvenue à l’invention. Il ne lui aurait pas paru évident d’emprunter le parcours ayant mené à l’invention ». (Sanofi, au para 71; voir aussi Bayer Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 1061 au para 138).

[153] Selon M. Ereshefsky, les inventeurs ont suivi une démarche qui était complexe, exigeait du temps et des ressources et n’était pas courante. Ils ont rencontré des obstacles inattendus au cours de la phase 3 de la mise au point; ils ont dû réviser les schémas posologiques à plusieurs reprises, notamment en raison de l’échec des études de phase 3; et grâce aux travaux « complexes et non routiniers » qu’ils ont réalisés, ils ont pu mettre au point un schéma posologique qui permet d’obtenir rapidement et sûrement des concentrations thérapeutiques de palipéridone chez les patients, quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC). Le travail des inventeurs, y compris l’utilisation de la modélisation pharmacocinétique de population, a abouti à un schéma posologique qui contient plusieurs caractéristiques totalement nouvelles et inventives, et garantit un profil de concentrations plasmatiques cohérent, sans la nécessité d’une conversion, d’une supplémentation orale, d’une administration orale préalable ou d’un ajustement posologique, ce qui n’avait pas été observé auparavant avec d’autres antipsychotiques injectables retard.

[154] Comme je l’ai mentionné, l’opinion de M. Gupta, selon laquelle seuls des travaux courants étaient nécessaires pour réaliser l’invention, est affaiblie par le fait que celui‑ci n’a guère d’expérience en pharmacocinétique des essais cliniques chez les humains – les experts et témoins qui ont une connaissance directe des événements ont parlé des problèmes rencontrés, ainsi que des compétences et des efforts requis pour les surmonter et parvenir à l’invention.

(4) L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[155] Tel que mentionné au paragraphe 219 de la décision Teva Paliperidone, les experts ont reconnu qu’il y aurait eu une motivation générale à développer une préparation retard de palipéridone, mais pas nécessairement une motivation particulière à développer les schémas posologiques contenus dans le brevet 335. La personne versée dans l’art aurait été au courant des avantages des préparations retard par rapport aux traitements oraux pour les patients ayant des problèmes de non-observance. Cependant, à l’époque, les préparations retard étaient indiquées comme traitement d’entretien, et non pas pour les patients qui éprouvent des symptômes aigus, et les schémas posologiques connus exigeaient une administration orale, une supplémentation orale ou un ajustement posologique.

(5) Conclusion sur l’évidence

[156] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve d’expert et l’art antérieur, je ne suis pas convaincu que Pharmascience se soit acquittée de son fardeau. Bien que les éléments des revendications dépendantes qui ont trait à la préparation ne soient pas inventifs, chacune des revendications indépendantes du brevet 335 intègre un des schémas posologiques comme élément essentiel, ce qui fait que toutes les revendications ne sont pas évidentes.

[157] Pharmascience s’appuie principalement sur l’opinion d’expert de M. Gupta, selon laquelle les revendications sont évidentes. Cependant, la crédibilité de M. Gupta a été mise à mal par le fait qu’il a refusé d’adhérer à de simples propositions et qu’il n’a jamais mené ou conçu d’essai clinique ou d’essai pharmacocinétique chez les humains. Comme je l’ai dit, M. Gupta a donné un témoignage péremptoire et de nature rétrospective. Il a divisé le schéma posologique en composantes et a conclu que la combinaison revendiquée était donc évidente (Bridgeview, au para 51).

[158] Je reconnais que les facteurs qui sous‑tendent le critère de l’essai allant de soi exposé dans l’arrêt Sanofi ne sont pas exhaustifs, et après les avoir examinés, je suis convaincu que les différences qu’il y a entre l’état de la technique et le concept inventif des revendications du brevet 335 n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art.

[159] Je conclus que la combinaison des éléments du schéma posologique des revendications du brevet 335 est inventive et que les revendications du brevet 335 ne sont pas évidentes.

F. Méthode de traitement médical

[160] L’article 2 de la Loi sur les brevets définit l’objet brevetable. Une « invention » s’entend de « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». La non‑brevetabilité des méthodes de traitement médical prend sa source dans l’arrêt Tennessee Eastman Co. et al. c. Commissaire des Brevets (1972), [1974] RCS 111.

[161] Comme je l’ai déjà mentionné, il y a des incohérences en droit canadien quant à ce qui constitue une méthode de traitement médical, incohérences qui ont été soulignées par des juges de notre Cour et de la Cour d’appel fédéral (Teva Paliperidone, au para 143). Toutefois, le point de départ commun consiste à examiner le libellé et le contenu des revendications : « que disent les revendications? » (Bayer Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 1061 [Bayer] au para 162).

[162] Pharmascience soutient que, selon la décision Teva-Palipéridone, la sélection des doses d’entretien – dans la fourchette de 25 à 150 mg éq., telle qu'elle a été proposée dans la monographie du produit INVEGA SUSTENNA® et celles des produits pms-PALMITATE DE PALIPÉRIDONE proposés – dépend des caractéristiques individuelles. Les experts ont convenu qu’une dose d’entretien particulière peut ne pas convenir à tous les patients et que le médecin, en collaboration avec le patient, devra déterminer la dose d’entretien la plus sûre et la plus efficace en fonction de divers facteurs, y compris les effets secondaires indésirables, les autres médicaments, les comorbidités, etc. En tant que tel, le choix d’une dose d’entretien dans la fourchette, conformément aux monographies des produits, nécessiterait une compétence et du jugement de la part du médecin prescripteur (Teva-Palipéridone, au para 290; PMS Paliperidone, au para 137).

[163] Cependant, il ne semble faire aucun doute dans la jurisprudence que les revendications de produit commercialisable sont brevetables, car elles ne visent pas une méthode de traitement médical (voir, par exemple, Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd., ACF no 382 (CF) au para 74, conf par [2000] ACF no 1770 au para 74, conf par 2002 CSC 77 au para 50; Merck & Co Inc. c Pharmascience Inc., 2010 CF 510 au para 110 [Merck 2010]; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 985 [Novartis] au para 78, conf par 2014 CAF 17 au para 3; Biogen Canada Inc. c Taro Pharmaceutical Inc., 2020 CF 621 [Biogen] au para 22). Je rappelle que les revendications 1 à 16 et 33 à 63 sont des revendications de « produit » (Teva Paliperidone, aux para 145 à 147, et 162 et 163; PMS Paliperidone, au para 85) et ne visent pas des « méthodes » de traitement médical. Ainsi, l’analyse relative à la méthode de traitement médical n’est pertinente que pour les revendications 17 à 32, qui sont des revendications « d’utilisation » (Teva Paliperidone, au para 153; Merck 2010, au para 111).

[164] Quant aux revendications d’utilisation, l’analyse portera sur les éléments essentiels de la revendication afin de déterminer s’il faut avoir des compétences et du jugement pour réaliser l’invention revendiquée. Revendiquer « l’utilisation » d’un médicament pour traiter un patient, ce n’est pas revendiquer une méthode non brevetable de traitement médical si la revendication inclut un schéma posologique précis ou un intervalle d’administration précis. S’agissant des éléments posologiques, le droit a évolué en ce sens que les tribunaux ont jugé que les revendications qui se limitent à des posologies et à des calendriers d’administration sont brevetables si les doses et les intervalles d’administration sont fixes (voir, par exemple, Merck Frosst Canada & Co Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 755 au para 136; Merck 2010, au para 111; AbbVie Biotechnology Ltd. c Canada (Procureur général), 2014 CF 1251 au para 121; Bayer, au para 162; Hospira CAF, aux para 52 et 53; Biogen, aux para 211 et 213; Hoffmann‑La Roche Limited c Sandoz Canada Inc., 2021 CF 384 aux para 197 et 202 (distinction établie avec les revendications du brevet 335 dans la décision Teva Paliperidone, au para 103)), tandis qu’ils ont jugé que les revendications relatives à des fourchettes posologiques ou des intervalles d’administration qui exigent du médecin qu’il fasse appel à ses compétences et à son jugement, visent un produit non commercial et sont donc non brevetables (Janssen Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123 aux para 52 et 53; Bayer, au para 162; Novartis, aux para 98 et 99).

[165] Bien que cette dichotomie entre les posologies et intervalles d’administration précis et les fourchettes de posologies et d’intervalles d’administration – laquelle a mené à une série de décisions dans lesquelles les premiers ont été considérés comme des produits commerciaux brevetables, alors que les autres ont été, dans certains cas du moins, considérés comme des produits non brevetables en ce qu’ils requièrent des compétences et du jugement et équivalent donc à des méthodes de traitement médical – semble reposer sur un fondement douteux, j’estime néanmoins que tel est l’état actuel de la jurisprudence, y compris des décisions rendues par la Cour d’appel fédérale.

[166] Comme l’a dit le juge Locke au paragraphe 52 de l’arrêt Hospira CAF,:

Cet état de la jurisprudence présente une simplicité attirante. Toutefois, il ne me paraît pas évident que les décisions de la Cour suprême du Canada qui constituent le fondement du principe voulant que les méthodes de traitement médical ne soient pas brevetables justifient de faire une distinction entre une posologie (ou une fréquence) fixe et une gamme de posologies (ou de fréquences). Il semblerait qu’un professionnel de la santé serait limité dans l’exercice de sa compétence dans l’un ou l’autre des cas. Aussi, on pourrait soutenir qu’un médicament n’est pas moins vendable simplement parce que sa posologie ou sa fréquence d’administration n’est pas fixe.

[167] Comme l’a reconnu l’expert de Pharmascience, le DJeffries, les revendications 17 à 32 n’empêchent pas les médecins d’utiliser le brevet 335 avec le palmitate de palipéridone pour traiter la schizophrénie comme ils le faisaient auparavant, [traduction] « parce qu’ils ne faisaient rien avant ».

[168] En outre, les revendications 17 à 32 ne requièrent pas de compétence et de jugement professionnels; il n’y a aucun choix à faire en ce qui concerne les fourchettes de concentration possibles, qui sont fixées à des doses d’attaque de 150 mg éq. le jour 1, 100 mg éq. le jour 8, et 75 mg éq. par la suite comme dose d’entretien pour les patients ne souffrant pas d’insuffisance rénale, et à des doses d’attaque de 150 mg éq. le jour 1, 100 mg éq. le jour 8, et 75 mg éq. par la suite comme dose d’entretien pour les patients ne souffrant pas d’insuffisance rénale, et des doses d’attaque de 100 mg éq. le jour 1, 75 mg éq. le jour 8, et 50 mg éq. par la suite comme dose d’entretien pour les patients atteints d’insuffisance rénale.

[169] Les revendications d’utilisation prévoient deux schémas posologiques possibles, l’un pour les patients ne souffrant pas d’insuffisance rénale et l’autre pour les patients atteints d’insuffisance rénale. Une fois qu’un médecin choisit d’utiliser les produits pour les fins revendiquées, chacune des revendications enseigne des doses fixes, des intervalles fixes et des points d’injection fixes.

[170] Bien qu’il y ait des éléments pour lesquels des choix sont possibles (fenêtres posologiques autour du jour 8 et des doses mensuelles, et points d’injection pour la dose d’entretien), ces choix n’ont pas d’implications cliniques. Les experts ont expliqué que les fenêtres posologiques sont incorporées dans le schéma posologique afin d’éviter l’oubli d’une dose sans différence cliniquement significative, et que le point d’injection de la dose d’entretien est cliniquement interchangeable. Par conséquent, aucune compétence ni aucun jugement n’est nécessaire pour entraver ou limiter la compétence ou le jugement d’un médecin qui déciderait de prescrire le schéma posologique faisant partie de l’invention revendiquée.

[171] Les revendications constituent un guide pour le traitement de la schizophrénie, en ce qu’elles fournissant des schémas posologiques spécifiques censés produire des concentrations plasmatiques de palipéridone dans la marge thérapeutique nécessaire pour un traitement sûr et efficace des patients. Un médecin peut choisir de mettre en œuvre ou non un schéma posologique spécifique revendiqué; toutefois, il n’a pas besoin de faire appel à ses compétences et à son jugement pour le mettre en œuvre. Dès lorsqu’il choisit une dose d’entretien autre que 75 mg éq. (comme indiqué dans la monographie du produit et sur laquelle se sont concentrés une grande partie du contre-interrogatoire et des témoignages), ou décide d’arrêter le traitement au palmitate de palipéridone et de changer de traitement, il ne met plus en œuvre l’invention revendiquée. Ainsi, l’objet des revendications ne nécessite pas d’exercer sa compétence et son jugement et n’est pas une méthode de traitement médical.

[172] Je conclus par conséquent que le brevet 335 divulgue un objet brevetable.

V. Conclusion

[173] En conclusion, Pharmascience n’a pas établi que les revendications du brevet 335 sont invalides pour cause d’évidence ou d’absence d’objet brevetable (c.‑à‑d. en tant que méthode de traitement médical).

[174] Comme il a été conclu dans la requête en procès sommaire déposée dans le dossier de la Cour no T‑1441‑20, laquelle portait sur la seule question de la contrefaçon, le produit proposé pms‑PALIPERIDONE PALMITATE fabriqué, construit, exploité ou vendu de la façon indiquée dans la PADN no 244641 contrefera le brevet 335.

[175] Comme je l’ai dit précédemment, il n’est pas contesté dans l’avis d’allégation correspondant à la PADN no 251767 que les revendications du brevet 335 seront contrefaites par la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du produit proposé pms-PALIPERIDONE PALMITATE de la façon indiquée dans la PADN no 251767.

VI. Dépens

[176] Les demanderesses soutiennent que la Cour devrait adjuger des dépens raisonnables à la partie ayant obtenu gain de cause à l’étape de la validité des deux actions dont elle a été saisie (à l’exclusion des dépens afférents au procès sommaire antérieur) et que ceux-ci devraient être calculés selon l’un des trois scénarios suivants :

  1. une somme globale de 1,5 million de dollars, incluant les honoraires, les débours et les taxes;

  2. une somme globale correspondant à 25 % des honoraires, en plus des débours et des taxes; tout différend sur le caractère raisonnable des honoraires et débours sera tranché par un officier taxateur;

  3. des dépens calculés selon le montant maximal prévu à la colonne IV du tarif B des Règles des Cours fédérales;

  4. des intérêts après jugement de 3,5 %.

[177] La défenderesse fait valoir que si les demanderesses ont gain de cause, elles devraient se voir adjuger les dépens :

  1. dans le dossier no T‑1441‑20, calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B;

  2. alors que dans le dossier no T‑558‑22, ils devraient être limités à la préparation des plaidoiries et calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, et faire l’objet d’une ordonnance distincte;

  3. les honoraires du DChue devraient être réduits de 33 %, étant donné que le Dr Chue a donné un témoignage inutile sur l’évidence (et sur des questions tranchées par la décision Janssen Inc. c Tera Canada Ltd., 2020 CF 593) (Teva Paliperidone);

  4. les honoraires de M. Ereshefsky devraient être réduits de 50 % étant donné que M. Ereshefsky a donné un témoignage inutile sur l’évidence et des questions soulevées dans l’affaire Teva Paliperidone, et qu’il a repris le témoignage qu’il a donné au sujet du même brevet dans l’affaire Teva Paliperidone;

  5. les frais de justice doivent être adjugés à Pharmascience, sur la base avocat‑client, s’agissant du défaut des demanderesses d’appeler M. Gobburu à témoigner;

  6. aucuns dépens ou honoraires ne devraient être adjugés pour ce qui est des affidavits relatifs aux faits souscrits par les inventeurs, le DrGopal, Mme Vermeulen et M. Samtani, étant donné qu’ils ont repris essentiellement les mêmes témoignages que ceux livrés dans l’affaire Teva Paliperidone.

[178] Après avoir examiné attentivement les observations écrites des parties et la jurisprudence applicable, et tenu compte de la nature des témoignages présentés au procès ainsi que du comportement des témoins à cette occasion, je tire les conclusions suivantes :

J’accorde par les présentes aux demanderesses une somme globale correspondant à 25 % des frais de justice raisonnables ainsi que la totalité des débours et taxes raisonnables. Tout différend sur le caractère raisonnable de ces frais et débours sera tranché par un officier taxateur, à moins que les parties ne parviennent à s’entendre dans les 45 jours suivant la publication de la présente décision et sous réserve des limites suivantes :

  1. Les honoraires d M. Ereshefsky et du DChue sont réduits de 25 %. Comme je l’ai mentionné précédemment, chacun de ces témoins a livré un témoignage qui n’était pas compatible avec celui livré dans une affaire connexe, et qui, parfois, n’était pas aussi franc qu’il aurait dû l’être.

  2. M. Gobburu n’a pas droit à ses honoraires et des dépens sont adjugés en faveur de Pharmascience pour tous les coûts engendrés par le fait qu’il a été appelé à témoigner au procès à la dernière minute.

  3. Les intérêts après jugement seront calculés selon un taux de 2,5 %.
    JUGEMENT dans les dossiers T‑1441‑20 et T‑558‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les revendications du brevet 335 ne sont pas évidentes et sont valides.

  2. Les revendications du brevet 335 ne portent pas sur des méthodes de traitement médical, leur objet est brevetable et elles sont valides.

  3. La fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de pms‑PALIPERIDONE PALMITATE par Pharmascience, selon les PADN nos 244641 et 251 767, contreferont les revendications du brevet 335.

  4. Par injonction accordée jusqu’à l’expiration du brevet 335, le 17 décembre 2028, il est interdit à Pharmascience, ainsi qu’à ses filiales et sociétés affiliées, dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, licenciés, successeurs, cessionnaires et toute autre personne sur qui Pharmascience exerce une autorité légitime :

    1. de fabriquer, de construire, d’exploiter ou de vendre du pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada, selon ce qui est indiqué aux PADN nos 244641 et 251767;

    2. de mettre en vente, commercialiser ou faire commercialiser le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada, selon ce qui est indiqué aux PAND nos 244641 et 251767;

    3. d’importer, d’exporter, de distribuer ou de faire distribuer le pms‑PALIPERIDONE PALMITATE au Canada, selon ce qui est indiqué aux PAND nos 244641 et 251767.

  5. Janssen a droit à 25 % des frais de justice raisonnables et à la totalité des débours raisonnables, compte non tenu de toute requête pour laquelle les dépens ont été fixés, y compris la requête en procès sommaire dans le dossier de la Cour no T‑144120, sous réserve de ce qui suit :

  • a)les honoraires de M. Ereshefsky et du DChue sont réduits de 25 %;

  • b)M. Gobburu n’a pas droit à ses honoraires et des dépens sont adjugés en faveur de Pharmascience pour tous les coûts engendrés par le fait que M. Gobburu a été appelé à témoigner au procès à la dernière minute.

  1. Dans les 45 jours suivant la réception de la décision, les parties tenteront de s’entendre sur le montant des dépens raisonnables à adjuger selon les paramètres mentionnés ci‑dessus, faute de quoi ce montant sera déterminé par un officier taxateur conformément aux présents motifs et jugement.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑1441‑20 T‑558‑22

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. ET JANSSEN PHARMACEUTICA N.V. c PHARMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 4 au 8, le 12 et le 15 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Marian Wolanski

Megan Pocalyuko

Juliette Sakran

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Marcus Klee

Scott Beeser

Jessica Sudbury

Yaseen Manan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.