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Date : 20220617


Dossier : T‑1050‑20

Référence : 2022 CF 921

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2022

En présence de la juge chargée de la gestion de l’instance Mireille Tabib

ENTRE :

SUREWERX USA INC. ET

JET EQUIPMENT & TOOLS LTD.

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

DENTEC

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une action en contrefaçon de certains brevets et d’un enregistrement de dessins industriels. Les demanderesses présentent une requête contestant la désignation de l’identité du fabricant de la défenderesse comme renseignement réservé aux seuls avocats. La désignation a été faite en vertu d’une ordonnance conservatoire rendue avec le consentement des deux parties. Conformément aux enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c BNSF Railway Company, 2020 CAF 45, la requête en consentement visant à obtenir une ordonnance conservatoire était étayée par des éléments de preuve présentés par chacune des parties, attestant qu’elles croyaient que les renseignements à communiquer ont toujours été traités de façon confidentielle et que la divulgation de ces renseignements pourrait nuire à leurs intérêts. Les deux parties ont désigné les « renseignements sur les fournisseurs et les fabricants » comme étant des renseignements à protéger.

[2] L’ordonnance conservatoire ne régit que la façon dont les parties doivent traiter les renseignements qu’elles ont échangés au cours du processus de communication préalable. Elle ne leur permet pas de déposer des renseignements devant la Cour sous pli confidentiel sans solliciter une ordonnance de confidentialité distincte. L’ordonnance conservatoire permet aux parties de désigner certains renseignements comme « confidentiels » et d’autres renseignements de nature plus délicate comme des « renseignements réservés aux seuls avocats ».

[3] Comme il a été mentionné, la défenderesse a désigné les renseignements révélant l’identité de son fabricant comme des renseignements réservés aux seuls avocats. Cette désignation vise les parties de tout document qui mentionne le nom du fabricant ainsi que les parties de la communication préalable qui permettrait de déduire l’identité du fabricant. En déposant cette requête, les demanderesses demandent que soit rendue une ordonnance obligeant la défenderesse à retirer la désignation de renseignements réservés aux seuls avocats et à la remplacer par une désignation de renseignements confidentiels, de sorte que l’avocate des demanderesses puisse transmettre l’information à ses clientes.

II. Questions préliminaires

[4] Au début de l’audience, j’ai fait remarquer que la défenderesse avait soutenu, dans ses observations écrites, que la requête des demanderesses en l’espèce équivaut à une requête visant à modifier les termes de l’ordonnance conservatoire plutôt qu’à contester la désignation prévue par le mécanisme de contestation exposé dans l’ordonnance conservatoire. Compte tenu de la position de la défenderesse, j’ai demandé aux demanderesses si elles souhaitaient modifier leur avis de requête afin de demander une modification de l’ordonnance conservatoire comme solution de rechange. Cela permettrait à la Cour de résoudre toutes les questions soulevées par la requête au cas où elle accepterait la qualification de la requête par la défenderesse, mais concluait que les conditions énoncées à l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales (les Règles) pour modifier une ordonnance ont été remplies.

[5] Les demanderesses ont indiqué être convaincues que leur requête était correctement décrite et qu’elle aboutirait à une requête visant à obtenir réparation selon les mécanismes prévus dans l’ordonnance conservatoire. Toutefois, par prudence, elles ont présenté une requête de vive voix visant à modifier l’avis de requête afin de demander, à titre de solution de rechange, [traduction] « une ordonnance modifiant l’ordonnance conservatoire afin que l’identité du fabricant de la défenderesse ne soit pas désignée comme étant un renseignement réservé aux seuls avocats ». À la suite des objections déposées par la défenderesse, la permission de procéder à cette modification a été accordée, réservant à la défenderesse le droit de demander l’ajournement de l’audience afin qu’elle puisse présenter des observations supplémentaires ou demander l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires à l’égard de la nouvelle solution de rechange ajoutée.

[6] Après avoir entendu les observations respectives des parties et examiné la question, je suis convaincue que la requête des demanderesses, telle que proposée initialement, devrait être accueillie. Je suis en outre convaincue que les motifs sur lesquels la requête est accordée et la réparation accordée n’entraînent et ne constituent pas une modification de l’ordonnance conservatoire. Je n’ai donc pas considéré la requête comme une requête visant à modifier l’ordonnance conservatoire. Cela dit, il est plausible, compte tenu des circonstances qui ressortent du dossier dont la Cour est saisie, que des faits nouveaux ont effectivement été découverts, après la délivrance de l’ordonnance conservatoire, qui pourraient justifier sa modification. Si ma conclusion est erronée à l’égard de la principale réparation demandée, le droit des demanderesses de présenter une requête en modification de l’ordonnance conservatoire peut être exercé.

III. Analyse

A. Quel est le critère à appliquer afin de permettre la suppression de la désignation de renseignements réservés aux seuls avocats?

[7] Les deux parties s’entendent sur le fait que la Cour doit examiner les termes de l’ordonnance conservatoire elle‑même afin de déterminer le critère à appliquer afin de permettre le retrait de la désignation de renseignements réservés aux seuls avocats en l’espèce.

[8] En l’occurrence, aucune des deux parties n’a demandé à la Cour d’appliquer en droit le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (C.A.), [2000] 3 CF 360 (CAF) [AB Hassle CAF]. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale s’était exprimée ainsi :

10 Une fois qu’une ordonnance de non‑divulgation a été prononcée, il serait contre‑productif que les parties, qui n’ont d’autre choix que de déposer des preuves confidentielles en s’appuyant sur une garantie de confidentialité judiciaire relativement sûre, vivent dans la crainte constante des attaques des parties adverses. Demander et obtenir une ordonnance de non‑divulgation serait un exercice futile si, chaque fois qu’il y a dépôt d’un document aux termes d’une telle ordonnance, la partie qui l’invoque devait retourner à la case départ, où elle se verrait imposer un fardeau analogue à celui dont elle s’est déjà acquittée ou un fardeau encore plus lourd, et devrait faire valoir de nouveau les arguments déjà acceptés ou rejetés par le juge ayant rendu l’ordonnance.

11 J’estime que le prononcé d’une ordonnance de non‑divulgation dans des circonstances comme celles de l’espèce crée une présomption suivant laquelle tout renseignement déposé subséquemment et participant de la même nature que celle décrite dans l’ordonnance sera tenu confidentiel sous réserve des exceptions prévues dans l’ordonnance, comme celles énoncées aux paragraphes 14 et 18 de l’ordonnance de non‑divulgation en cause. Cette présomption, bien sûr, est réfutable, mais — et c’est là le critère à appliquer à ce stade de l’instance — ce n’est que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’il est évident que les clauses de l’ordonnance de non‑divulgation ne visent pas le document attaqué, qu’il y a lieu d’accueillir la requête contestant le caractère confidentiel du document. Une fois qu’est présentée une preuve établissant à première vue que le document appartient à la catégorie de documents envisagée par l’ordonnance et que la partie le considère comme étant confidentiel — en l’espèce, la catégorie est définie au paragraphe 2 de l’ordonnance de non‑divulgation —, il incombe alors à la partie qui conteste cette confidentialité de prouver, et ce fardeau est lourd, que le document ne fait pas partie de la catégorie envisagée par l’ordonnance ou que le juge n’avait pas ce genre de document à l’esprit en rendant son ordonnance.

[Non souligné dans l’original.]

[9] Je souscris en effet à l’analyse effectuée par le juge Zinn dans la décision Fluid Energy Group Ltd. c Mud Master Drilling Fluid Services Ltd, 2020 CF 229, aux paragraphes 39 à 47, où il a conclu que l’arrêt AB Hassle CAF ne s’applique pas dans le cas d’une contestation de désignations faites en vertu d’une ordonnance conservatoire sur consentement. Le juge Zinn a conclu que le critère applicable dans de telles circonstances doit être ce dont les parties ont convenu et ce qui est expressément énoncé dans le mécanisme de contestation de l’ordonnance conservatoire en cause (Fluid Energy, précitée, aux para 48 à 50).

[10] Par conséquent, il est essentiel d’énoncer ici les dispositions pertinentes de l’ordonnance conservatoire :

[traduction]

1. Dans la présente ordonnance :

[…]

p) « Renseignements réservés aux seuls avocats » s’entend des renseignements visés à l’alinéa 4b) de la présente ordonnance.

4. Les renseignements peuvent être considérés comme :

[…]

b) des renseignements réservés aux seuls avocats au sens de la présente ordonnance, lorsque la partie productrice croit de bonne foi qu’elle garde confidentiels des renseignements et qu’elle pourrait subir un préjudice si ces renseignements étaient mis à la disposition de la partie réceptrice ou si ces renseignements présentent une valeur commerciale pour la partie réceptrice, et que ces renseignements sont ou contiennent des renseignements techniques, commerciaux ou financiers, des renseignements de marketing ou de stratégie commerciale, d’autres renseignements commerciaux sensibles ou des renseignements exclusifs par ailleurs inconnus du public, qu’ils soient sous forme d’objets physiques, de documents ou de connaissances factuelles détenues par des personnes.

32. En cas de contestation de la confidentialité des renseignements confidentiels ou des renseignements réservés aux seuls avocats, la contestation doit se faire par écrit, doit être signifiée aux avocats de la partie productrice et doit mettre en évidence l’information qui, selon la partie à l’origine de la contestation, mérite une désignation différente. Les parties feront des efforts de bonne foi pour tenter de résoudre officieusement le différend. Si les parties n’y parviennent pas dans un délai de quatorze (14) jours ouvrables, la partie à l’origine de la contestation peut à tout moment présenter une demande de mesure de redressement à la Cour. Tout élément en cause doit être traité comme ayant été désigné au départ par la partie productrice et sous réserve des protections offertes par la présente ordonnance, et ce, jusqu’à ce que la Cour en décide autrement. Lors de toute contestation devant la Cour, il incombe à la partie ou au tiers affirmant que les renseignements sont confidentiels d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont véritablement des renseignements confidentiels ou des renseignements réservés aux seuls avocats, selon le cas. Aucune partie n’aura l’obligation de contester le bien‑fondé d’une désignation quelle qu’elle soit, et tout défaut de ce faire ne signifie pas que la partie reconnait qu’un élément ou un renseignement est véritablement confidentiel.

37. La présente ordonnance ne porte pas atteinte au droit de toute partie de demander, à tout moment, que la Cour modifie ou annule l’effet de la présente ordonnance ou de demander une directive quant à une question précise concernant la production d’un document particulier, y compris pour le motif que la désignation des renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats compromet de façon injustifiée la capacité d’une partie réceptrice de faire valoir un droit ou une défense au cours de l’instance.

38. Sauf indication contraire expresse, rien dans la présente ordonnance n’a pour but de modifier la règle de l’engagement implicite.

[11] Le désaccord des parties porte sur la phrase suivante : [traduction] « il incombe à la partie […] affirmant que les renseignements sont confidentiels d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont véritablement des renseignements […] réservés aux seuls avocats », comme il est indiqué au paragraphe 32 de l’ordonnance.

[12] Les demanderesses font valoir qu’elles exigent de la défenderesse qu’elle établisse, selon la prépondérance des probabilités, que l’identité de son fabricant est « en fait » un renseignement réservé aux seuls avocats, conformément au critère jurisprudentiel pour de telles désignations. Le critère jurisprudentiel comprend une démonstration de l’existence d’un risque d’utilisation délibérée ou inconsciente du renseignement en cause par la partie réceptrice afin de nuire à la partie productrice. La position des demanderesses se concentre sur l’utilisation du mot « véritablement », qui, selon elle, reflète la nécessité d’aller au‑delà de la croyance de bonne foi de la partie qui désigne les renseignements et d’établir l’existence objective des circonstances justifiant la désignation de renseignements réservés aux seuls avocats.

[13] La défenderesse soutient qu’elle est seulement tenue d’établir que les critères de désignation énoncés à l’alinéa 4b) de l’ordonnance ont été respectés. Étant donné qu’il ne fait aucun doute que les renseignements ont toujours été traités comme confidentiels et qu’ils répondent à la définition de « renseignements commerciaux de nature délicate », il suffit de prouver qu’elle croit de bonne foi qu’elle pourrait subir un préjudice si les renseignements étaient mis à la disposition des demanderesses ou que les renseignements sont d’une valeur commerciale pour les demanderesses.

[14] La défenderesse invoque les trois arguments suivants à l’appui de sa thèse :

[15] Premièrement, elle fait valoir que cela est conforme à l’approche adoptée par le juge Zinn dans la décision Fluid Energy, précitée. La défenderesse affirme que le juge Zinn a limité son analyse à la détermination de la conformité de la désignation à la définition de l’expression « renseignements réservés aux seuls avocats » énoncée dans l’ordonnance conservatoire, sans se pencher sur les autres facteurs mentionnés dans la jurisprudence, comme la nécessité d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’autres facteurs pondérateurs. Selon la défenderesse, l’analyse se limitait strictement à déterminer si la défenderesse croyait raisonnablement et de bonne foi que la divulgation lui porterait préjudice, étant donné que cette définition [traduction] « [correspondait] à la définition d’une désignation de président‑directeur général convenue par ces parties » (Fluid Energy, au para 65).

[16] Afin d’étayer davantage sa thèse, la défenderesse fait valoir que, même si l’ordonnance conservatoire a été accordée sur consentement, les deux parties ont fourni des éléments de preuve justifiant sa délivrance et que la Cour n’a pas tout simplement approuvé l’ordonnance proposée. Par conséquent, elle fait valoir que, même si l’arrêt AB Hassle CAF ne s’applique pas directement, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 10 de ce jugement devrait guider l’interprétation de la Cour quant aux termes de l’ordonnance de protection. Pour paraphraser le raisonnement de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 10 de l’arrêt AB Hassle CAF, l’accord des parties aux dispositions de l’ordonnance conservatoire liées aux renseignements réservés aux seuls avocats serait un exercice futile si la partie qui a fait la désignation devait retourner à la case départ, où elle se verrait imposer un fardeau analogue à celui dont elle s’est déjà acquittée ou un fardeau encore plus lourd, et devrait faire valoir de nouveau les arguments que son opposant a déjà acceptés en donnant son consentement à l’ordonnance, et que la Cour a approuvés en la délivrant.

[17] Enfin, la défenderesse s’appuie sur le fait que l’article 32 de l’ordonnance de protection utilise le terme « renseignements réservés aux seuls avocats », qui est expressément défini par référence aux critères énoncés à l’alinéa 4b).

[18] Je ne suis pas convaincue par les arguments de la défenderesse. Je vais les étudier successivement.

[19] Tout d’abord, la question en litige dans la décision Fluid Energy était de savoir si la partie qui avait fait la désignation, en cas de contestation, avait le fardeau d’établir le bien‑fondé de la désignation simplement sur une base d’une preuve prima facie ou selon la norme plus rigoureuse de la prépondérance des probabilités. Une fois cette question résolue, les facteurs que les parties doivent examiner pour établir la validité des désignations ne semblent pas être contestés. En effet, la disposition de contestation en cause dans la décision la décision Fluid Energy était très différente de la disposition de contestation en cause en l’espèce. Un extrait en est reproduit au paragraphe 22 des motifs, comme suit : [traduction] « [l]a partie qui revendique la confidentialité a le fardeau d’établir la pertinence de la désignation, sauf qu’une partie qui prétend que les renseignements désignés par l’autre comme confidentiels sont du domaine public a le fardeau de prouver que ceux‑ci font partie du domaine public » (non souligné dans l’original). Enfin, la défenderesse soutient que le juge Zinn a appliqué un critère purement subjectif afin de déterminer le bien‑fondé des désignations de renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats. Après avoir lu les motifs rendus dans la décision Fluid Energy dans leur ensemble, plutôt que des extraits choisis uniquement, je ne souscris pas à la description qu’en fait la défenderesse. Le juge Zinn a expressément fait référence à la nature exceptionnelle de ces dispositions et s’est demandé s’il était raisonnable pour la défenderesse de croire que la demanderesse pourrait utiliser les renseignements afin de modifier ses pratiques commerciales, nonobstant la règle de l’engagement implicite, pour miner la position de la défenderesse sur le marché. Ces considérations font partie du critère jurisprudentiel relatif à la délivrance d’ordonnances conservatoires qui permettent que des renseignements soient désignés comme renseignements réservés aux seuls avocats, et vont au‑delà de critères purement subjectifs.

[20] Je ne crois pas que la décision Fluid Energy détermine les facteurs que la défenderesse doit établir pour répondre à la contestation des désignations de renseignements comme réservés aux seuls avocats présentés par les demanderesses en l’espèce.

[21] En outre, la défenderesse ne m’a pas convaincue en invoquant les motifs exposés dans l’arrêt AB Hassle. À mon avis, le principe établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle CAF ne s’applique pas lorsque les parties n’ont pas pleinement établi, dans leur requête en ordonnance conservatoire, la nécessité d’une désignation de renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats. En l’espèce, les éléments de preuve fournis par les parties à l’appui de la délivrance de l’ordonnance conservatoire se limitaient à la démonstration d’une preuve prima facie de la nécessité de sa délivrance. Le déposant de chaque partie a expliqué de façon générale le préjudice qu’il croyait de bonne foi que sa société pourrait subir si ses renseignements commerciaux de nature délicate tombaient entre les mains de concurrents, « y compris » la partie adverse. Les deux affidavits n’indiquent pas si chaque partie pourrait penser que l’autre pourrait utiliser volontairement ou inconsciemment certaines catégories de renseignements au détriment de l’autre partie, malgré la règle de l’engagement implicite ou les conditions expresses de l’ordonnance conservatoire sollicitée, et n’expliquent pas pourquoi elle le ferait. Au mieux, les parties sont parvenues à une entente pour laquelle, compte tenu de leur position de concurrents, il était raisonnable de supposer que la simple connaissance de certains renseignements pouvait, par inadvertance ou inconsciemment, influencer les décisions commerciales d’une partie de manière préjudiciable pour la partie productrice. Les parties n’ont certainement pas démontré entre elles, ou à la Cour, qu’elles avaient en fait une raison objective de croire que tout renseignement de nature délicate de l’autre partie qui pourrait être utilisé à mauvais escient le serait, ou que le risque d’utilisation abusive l’emportait sur la nécessité pour la partie de mandater dûment son avocat.

[22] Cela m’amène à examiner l’argument final de la défenderesse, à la lumière d’une analyse textuelle du paragraphe 32, et son utilisation d’un terme spécifiquement défini.

[23] Comme il a été mentionné, l’alinéa 1p) de l’ordonnance conservatoire prévoit que les [traduction] « “renseignements réservés aux seuls avocats” s’entendent des renseignements visés à l’alinéa 4b) de la présente ordonnance ». L’alinéa 4b) indique quant à lui que [traduction] « [l]es renseignements peuvent être considérés comme des renseignements réservés aux seuls avocats au sens de la présente ordonnance, lorsque la partie productrice croit de bonne foi qu’elle garde les renseignements confidentiels et qu’elle pourrait subir un préjudice si les renseignements étaient mis à la disposition de la partie réceptrice ou si les renseignements présentent une valeur commerciale pour la partie réceptrice, et que les renseignements contiennent des [renseignements commerciaux de nature délicate] par ailleurs inconnus du public [....] ». La disposition sur la contestation, au paragraphe 32, exige d’une partie qu’elle établisse, selon la prépondérance des probabilités, [traduction] « que les renseignements sont, véritablement, […] des renseignements réservés aux seuls avocats ».

[24] La défenderesse soutient que l’utilisation de l’expression en lettres majuscules « Renseignements réservés aux seuls avocats » importe au paragraphe 32 la définition de ce terme, y compris les critères de « croyance de bonne foi ». Si elle est acceptée, cette interprétation signifierait qu’en cas de contestation, la partie qui a fait la désignation n’a qu’à établir, selon la prépondérance des probabilités, que, « de fait », elle croit de bonne foi que :

a) elle garde confidentiels les renseignements;

b) elle pourrait subir un préjudice si les renseignements étaient mis à la disposition d’une autre partie ou si les renseignements étaient d’une valeur commerciale pour l’autre partie;

c) les renseignements contiennent [des renseignements commerciaux de nature délicate] par ailleurs inconnus du public […].

[25] L’interprétation proposée par la défenderesse est circulaire et n’atteint pas le but ou l’intention de l’ordonnance conservatoire. Si cette interprétation était acceptée, la disposition de contestation permettrait seulement de prouver que la partie qui a fait la désignation était de bonne foi en croyant que les critères prévus à l’alinéa 4b) sont respectés, sans même exiger de prouver qu’une telle croyance est raisonnablement fondée.

[26] Afin de favoriser un litige efficace et entraînant des coûts raisonnables, des ordonnances conservatoires peuvent être accordées simplement en faisant la preuve que les parties croient de bonne foi que la divulgation pourrait porter préjudice à leurs intérêts. L’existence d’une disposition de contestation efficace est une considération importante dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder une telle ordonnance, mais aussi, indubitablement, dans la décision des parties de consentir à cette ordonnance, surtout lorsqu’elle contient la catégorie extraordinairement restrictive des renseignements réservés aux seuls avocats. Lorsqu’une ordonnance conservatoire est accordée en fonction de la croyance de la partie qui a fait la désignation et que la désignation repose également sur la croyance de la partie, le droit de contester la désignation serait rendu inopérant si le critère requis pour prouver la confidentialité se fondait également sur la croyance subjective de la partie qui a fait la désignation.

[27] Je ne souscris pas aux arguments de la défenderesse selon lesquels la disposition de contestation dans une ordonnance de protection vise simplement à se prémunir contre un abus éventuel de la capacité de désignation de renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats. Une partie qui désigne des renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats, ou même comme renseignements confidentiels, sans croire de bonne foi qu’ils répondent aux critères ne fait pas qu’abuser des droits conférés par l’ordonnance, elle viole cette ordonnance. Il ne devrait pas être nécessaire de prévoir une disposition de contestation expresse pour garantir l’application d’une ordonnance ou sanctionner sa violation. Une disposition de contestation qui vise seulement à protéger contre une violation délibérée de l’ordonnance ou la mauvaise foi des parties suppose essentiellement que les parties peuvent abuser de ses dispositions. Il ne peut pas en être ainsi étant donné le libellé en cause. Au contraire, la position par défaut devrait être que la bonne foi est présumée en l’absence de preuve du contraire.

[28] Il est extrêmement difficile de contester avec succès la bonne foi affirmée d’une partie. Le fait de limiter la possibilité d’une contestation aux motifs étroits et inefficaces de confirmer que la partie qui a fait la désignation croit de bonne foi que les renseignements mériteraient la désignation donnée nécessiterait un libellé exceptionnellement clair. Un tel libellé est tout simplement absent en l’espèce. En revanche, l’exigence de la disposition de contestation selon laquelle la partie qui a fait la désignation doit prouver que les renseignements sont « en fait » des renseignements réservés aux seuls avocats indique un critère objectif plutôt que subjectif.

[29] L’ordonnance conservatoire définit l’expression « Renseignements réservés aux seuls avocats » en renvoyant à la disposition qui permet la désignation, plutôt qu’au genre de renseignements qui peuvent être désignés. Cela ne pose aucune difficulté aux fins de la compréhension et de l’application de la majorité des dispositions de l’ordonnance conservatoire, puisqu’elles dictent comment les renseignements qui ont été désignés comme renseignements réservés aux seuls avocats doivent être traités, mais cela devient peut‑être moins facile lorsqu’elles s’appliquent à la disposition de contestation. Néanmoins, les dispositions de l’ordonnance conservatoire peuvent être lues en conformité avec l’objectif de la disposition de contestation, qui est d’établir une méthode efficace pour contester les désignations pour des motifs objectifs plutôt que subjectifs.

[30] La définition du terme « renseignements réservés aux seuls avocats » au sous‑alinéa 1q) ne fait pas référence aux « renseignements qui ont été désignés aux termes de l’alinéa 4b) », mais aux « renseignements visés à » cet alinéa. L’alinéa 4b) précise que [traduction] « les renseignements peuvent être désignés comme renseignements réservés aux seuls avocats », « lorsque » la partie qui les produit croit de bonne foi qu’ils satisfont à certains critères. Les critères énumérés (la confidentialité, le risque de préjudice et le type de renseignements contenus) sont des attributs des renseignements. C’est la croyance de bonne foi de la partie qui a fait la désignation selon laquelle les renseignements possèdent ces attributs qui lui permet de faire la désignation. Afin de constituer une disposition de contestation efficace, il convient d’interpréter l’article 32 comme exigeant de la partie qui a fait la désignation qu’elle établisse, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements qu’elle a désignés comme renseignements réservés aux seuls avocats possèdent en fait les attributs énumérés à l’alinéa 4b). En d’autres termes, elle doit établir qu’elle garde les renseignements confidentiels, qu’elle pourrait en fait subir un préjudice si ces renseignements étaient mis à la disposition de son opposant ou que ces renseignements sont en fait d’une valeur commerciale pour son opposant, et qu’ils contiennent en fait des renseignements techniques, des renseignements liés aux ventes, aux clients, au marketing, aux finances ou à la stratégie opérationnelle, ou d’autres renseignements commerciaux de nature délicate ou des renseignements exclusifs qui ne sont pas connus du public ou accessibles par celui‑ci.

[31] Je souscris aux arguments de la défenderesse selon lesquels la partie qui a fait la désignation n’a pas le fardeau de prouver que la partie réceptrice n’a pas besoin des renseignements pour mandater dûment son avocat ou qu’aucune autre mesure de rechange ne préviendrait le risque. Cela ne veut pas dire que la Cour ne peut plus prendre ces facteurs en considération une fois qu’une ordonnance conservatoire a été rendue. En effet, le paragraphe 37 de l’ordonnance conservatoire maintient le droit de toute partie de demander des directives précises concernant les documents désignés, y compris au motif que la désignation de renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats nuit de façon déraisonnable à sa capacité à faire valoir un droit ou une défense. L’ordonnance conservatoire a pour effet de permettre la désignation de certains renseignements selon une norme de bonne foi relativement peu rigoureuse, mais en cas de contestation, d’exiger de la partie qui a fait la désignation qu’elle établisse que le document satisfait objectivement aux critères de désignation. Une fois que la partie qui a fait la désignation s’est acquittée de son fardeau, la partie réceptrice doit accepter la désignation, à moins de pouvoir démontrer que certaines directives sont nécessaires pour établir un équilibre avec son droit de se défendre équitablement ou de poursuivre l’action contre le risque de préjudice établi par la partie qui a fait la désignation.

B. Application du critère aux éléments de preuve

[32] Comme il a été mentionné précédemment, les demanderesses ne contestent pas que l’identité du fabricant de la défenderesse soit traitée comme confidentielle par la défenderesse et qu’elle constitue « un renseignement commercial de nature délicate ». Elles contestent toutefois vigoureusement le fait que le renseignement répond à l’autre critère de désignation comme renseignements réservés aux seuls avocats, à savoir que la défenderesse pourrait subir un préjudice si l’identité de son fabricant était mise à la disposition des demanderesses ou si l’identité de son fabricant est d’une valeur commerciale pour les demanderesses.

[33] Il incombe à la défenderesse d’établir ce facteur. La preuve montre que si les parties devaient connaître l’identité de son fabricant, elles seraient en mesure (i) de « se faire une idée » des coûts qu’engagent la défenderesse pour ses produits, (ii) d’obtenir la composition matérielle du produit de la défenderesse auprès du fabricant, (iii) de copier le modèle de moule de la défenderesse et (iv) d’interférer avec la relation commerciale entre la défenderesse et son fournisseur, soit par la menace d’une action en justice, soit par la prétention fausse selon laquelle le produit de la défenderesse constitue une contrefaçon.

[34] La Cour accepte que la défenderesse subirait bel et bien un préjudice si les demanderesses devaient se faire une idée des coûts de la défenderesse, obtenir la composition matérielle de son produit ou copier son modèle de moule. Toutefois, ce qui fait totalement défaut dans le dossier, c’est la preuve selon laquelle les demanderesses pourraient obtenir des renseignements sur les coûts engagés par la défenderesse, la composition matérielle ou la conception du moule simplement en connaissant l’identité de son fournisseur. Au contraire, le déposant de la défenderesse a témoigné, au cours de son contre‑interrogatoire sur son affidavit, que la défenderesse avait conclu une entente avec son fournisseur aux termes de laquelle le fabricant a accepté de garder confidentiels tous ces renseignements. Aucune preuve au dossier ne permet d’établir un doute quant à la possibilité que le fabricant ne respecte pas cet accord.

[35] La défenderesse sous‑entend que les demanderesses pourraient, parce qu’il s’agit d’une [traduction] « très grande entreprise », avoir l’influence commerciale nécessaire pour obtenir ces renseignements auprès de son fabricant. Non seulement une telle conclusion n’est pas étayée, mais il faudrait que les demanderesses fassent une demande précise pour obtenir ces renseignements. Le simple fait de présenter une telle demande sous‑entend l’utilisation délibérée et intentionnelle des renseignements à des fins autres que le litige et constituerait une violation de l’ordonnance conservatoire et de la règle de l’engagement implicite.

[36] Aucune preuve au dossier ne porte à croire que les demanderesses pourraient enfreindre délibérément les obligations qui leur sont imposées par l’ordonnance conservatoire. Au contraire, dans son affidavit à l’appui de la délivrance de l’ordonnance conservatoire, le vice‑président des Opérations de la défenderesse a déclaré que [traduction] « [la défenderesse] s’attend à ce que [les demanderesses] respectent également les conditions de toute ordonnance conservatoire rendue par la Cour ».

[37] La défenderesse soutient que le fait de lui exiger d’établir que les demanderesses enfreindraient l’ordonnance conservatoire place la barre trop haute, car cela revient à lui exiger de prouver qu’elle subirait un préjudice plutôt que de simplement prouver qu’elle pourrait en subir un. Je suis d’accord avec le fait que la norme de preuve à laquelle la défenderesse doit satisfaire dans le cadre d’une contestation n’est pas une norme de certitude, mais une norme de probabilité raisonnable de préjudice, mais cela ne l’aide pas pour autant. L’ordonnance conservatoire exige que la défenderesse établisse, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle pourrait subir un préjudice si les renseignements étaient mis à la disposition des demanderesses. La nature des renseignements est telle qu’ils doivent être utilisés pour qu’un préjudice soit infligé à la défenderesse. Le simple fait de les mettre à la disposition des demanderesses ne peut pas porter préjudice à la défenderesse, car il ne s’agit pas du genre de renseignements dont, une fois qu’ils sont connus, on ne peut empêcher l’influence sur les décisions d’affaires que la partie prend dans le cours normal de ses opérations, ou qui pourraient être utilisés involontairement ou par erreur de manière préjudiciable pour la défenderesse. Afin de porter préjudice à la défenderesse, les renseignements en cause en l’espèce doivent être utilisés par les demanderesses dans des circonstances qui exigent un acte délibéré.

[38] La même analyse s’applique au préjudice que la défenderesse pourrait subir si les demanderesses intervenaient dans la relation d’affaires entre la défenderesse et son fabricant. Les types d’ingérence invoqués par la défenderesse, à savoir la menace de poursuites ou une allégation erronée de contrefaçon, exigent tous deux un acte délibéré qui constituerait une violation de l’ordonnance conservatoire. Les demanderesses ont laissé entendre qu’elles pourraient utiliser les renseignements pour déterminer s’il faut ajouter le fournisseur de la défenderesse à la présente procédure. Cela pourrait sans doute constituer également une violation de l’ordonnance conservatoire, puisque la procédure telle qu’elle a été instituée ne fait état que d’une violation par la défenderesse et non par ses fournisseurs. Quoi qu’il en soit, avant de mettre en cause le fabricant, les demanderesses devraient obtenir l’autorisation de la Cour, ce qui donnerait à la défenderesse la possibilité de contester l’utilisation des renseignements à cette fin.

[39] La défenderesse soutient que les demanderesses ont essentiellement avoué que la divulgation de l’identité de leurs fournisseurs respectifs leur porterait préjudice, parce que les deux parties souhaitaient, au moment où elles sollicitaient conjointement l’ordonnance conservatoire, que l’identité de leurs fournisseurs soit considérée comme un renseignement réservé aux seuls avocats, et parce que les demanderesses ont elles aussi désigné les renseignements sur leur fournisseur comme des renseignements réservés aux seuls avocats. Les éléments de preuve n’étayent pas les arguments invoqués par la défenderesse.

[40] Comme il a déjà été mentionné dans les présents motifs, les éléments de preuve présentés par les parties à l’appui de la délivrance de l’ordonnance conservatoire étaient assez superficiels en ce qui concerne la catégorie de renseignements réservés aux seuls avocats. Les éléments de preuve présentés par les parties ne faisaient pas de distinction entre le préjudice qu’elles subiraient suite à la divulgation de leurs renseignements commerciaux de nature délicate à d’autres concurrents et le préjudice qu’elles subiraient suite à la divulgation de ces renseignements à la partie adverse. Les parties ont présenté les « renseignements sur le fournisseur et le fabricant » comme étant des renseignements qui pourraient être désignés comme renseignements réservés aux seuls avocats, mais elles n’ont pas précisé ce qui constitue des « renseignements sur le fournisseur et le fabricant ». L’expression est vague et peut inclure des renseignements de nature extrêmement délicate, comme les coûts, les matériaux et les formulations, ainsi que des renseignements moins cruciaux, y compris le pays de fabrication et le nom des fournisseurs ou fabricants. La seule mention explicite de l’identité des fabricants figure dans la preuve du représentant des demanderesses. Il a expliqué que la divulgation publique de ces renseignements particuliers permettrait aux concurrents de négocier directement avec les fournisseurs pour fournir des produits fabriqués selon la même spécification ou une spécification semblable à un coût équivalent ou inférieur à celui des demanderesses, et permettrait aux clients de contourner les demanderesses et de faire directement affaire avec leur fournisseur.

[41] Là encore, ce genre d’utilisation préjudiciable de l’identité du fournisseur exige une action délibérée de la part d’un concurrent. Elle justifie une désignation de renseignements confidentiels pour empêcher la divulgation à des clients tiers ou à des concurrents qui ne sont pas liés par la règle de l’engagement implicite, mais il ne justifie pas une désignation de renseignements réservés aux seuls avocats en l’espèce, parce que la simple connaissance des renseignements par la partie adverse, sans utilisation délibérée, ne peut pas entraîner le préjudice décrit.

[42] En ce qui concerne la désignation par les demanderesses de ces mêmes renseignements comme renseignements réservés aux seuls avocats, l’avocat des demanderesses a expliqué à l’audience que ses désignations de renseignements réservés aux seuls avocats visaient le contenu général des documents ainsi désignés et ne visaient pas à cibler l’identité des fournisseurs ou des fabricants. L’avocat des demanderesses a indiqué que le nom du fabricant des demanderesses n’était pas pertinent, mais que s’il l’était, il serait désigné seulement comme renseignement confidentiel. Dans les circonstances, je conclus que la désignation par la demanderesse de l’identité de ses propres fournisseurs comme renseignements réservés aux seuls avocats ne constitue pas une reconnaissance du fait que l’identité du fabricant de la défenderesse mérite cette désignation.

[43] Je conclus que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la divulgation de l’identité de son fournisseur aux demanderesses pourrait, véritablement, lui porter préjudice. J’ajouterais que, si une croyance subjective raisonnablement fondée était le critère approprié à appliquer, même si la défenderesse prétend croire de bonne foi qu’une telle divulgation pourrait lui porter préjudice, cette croyance n’est pas raisonnablement fondée. J’en arrive à cette conclusion parce que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle croit, ou a des motifs de croire, que les demanderesses utiliseraient probablement les renseignements en cause en violation de l’ordonnance conservatoire.

[44] La défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que l’identité de son fournisseur a une valeur commerciale pour les demanderesses et n’a présenté aucun argument convaincant permettant à la Cour de parvenir à une telle conclusion. La défenderesse se contente d’affirmer que les renseignements doivent avoir une valeur commerciale parce que l’avocate des demanderesses a insisté sur le fait qu’elle ne procéderait pas à la médiation si elle ne pouvait pas transmettre les renseignements à son client. Cet argument, fondé uniquement sur des conjectures et des spéculations, ne permet pas à la défenderesse de s’acquitter de son fardeau, qu’il s’agisse d’une démonstration objective ou d’une croyance subjective. Quoi qu’il en soit, je suis convaincue que l’avocate adopte cette position pour de bonnes raisons, qui n’ont aucun rapport avec une valeur commerciale pour les demanderesses. Il n’est pas nécessaire d’examiner en détail ces raisons, compte tenu de mes conclusions antérieures, et celles‑ci ne sont pas incluses dans les présents motifs, car elles pourraient révéler des renseignements susceptibles de permettre d’identifier le fournisseur de la défenderesse.

[45] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les renseignements en cause méritent en fait la désignation de renseignements réservés aux seuls avocats. La désignation de renseignements réservés aux seuls avocats relative à l’identité du vendeur, du fournisseur et du fabricant de la défenderesse est supprimée et remplacée par une désignation de renseignements confidentiels.

C. Réparation additionnelle recherchée par la défenderesse

[46] La défenderesse a demandé à la Cour d’accorder une réparation additionnelle si la requête des demanderesses était accueillie :

  • a) une ordonnance exigeant que les demanderesses fournissent l’identité de leur propre fabricant avec une désignation de renseignements confidentiels seulement;

  • b) un délai de grâce de quatre mois à compter de la date de disposition de la requête avant que la défenderesse doive fournir l’identité de son fournisseur aux demanderesses.

[47] En ce qui concerne la désignation des renseignements sur le fabricant des demanderesses, il ne serait pas approprié pour la Cour de statuer sur le bien‑fondé de la désignation des demanderesses dans le cadre d’une requête contestant les désignations de la défenderesse. Même si les renseignements peuvent être de même nature et soulever des préoccupations semblables, une décision rendue au sujet du préjudice que la défenderesse pourrait subir ne permet pas nécessairement de conclure que les demanderesses pourraient subir un préjudice en divulguant des renseignements semblables à la défenderesse. Par exemple, la défenderesse n’a pas établi la probabilité que les demanderesses enfreignent volontairement les termes de l’ordonnance conservatoire, mais l’on ne peut présumer que l’inverse serait vrai. La défenderesse n’a pas déposé de requête pour contester la désignation des demanderesses, et celles‑ci n’étaient donc pas tenues d’établir le fondement factuel de leur désignation. Le fait de demander une réparation dans le cadre d’un dossier d’opposition ne donne pas à la partie demanderesse une occasion équitable de présenter les éléments de preuve requis. Quoi qu’il en soit, je fais remarquer que les demanderesses se sont déjà engagées à fournir l’identité de leur fabricant à titre de renseignement confidentiel seulement, si une telle information est jugée pertinente. Il n’est donc pas nécessaire d’accorder la réparation demandée par la défenderesse.

[48] Le « délai de grâce » demandé par la défenderesse est essentiellement un sursis à l’exécution de mon ordonnance relative à cette requête, auquel s’applique le critère à trois volets énoncé dans JR ‑‑ Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. La demande de la défenderesse est fondée sur le temps dont elle a besoin afin de prendre des mesures pour atténuer le préjudice qu’elle prétend avoir subi à la suite de la divulgation des renseignements aux demanderesses. Étant donné que je n’ai pas été convaincue que la défenderesse risque de subir un préjudice à la suite de la divulgation, il s’ensuit que la défenderesse ne satisfait pas au moins à ce volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald. Sa demande de sursis de quatre mois est rejetée.

[49] Cela dit, je suis convaincue qu’il est nécessaire de surseoir à mon ordonnance pendant le déroulement de tout appel dont pourrait être saisi un juge de cette Cour pour éviter qu’un tel appel devienne sans objet. Si la défenderesse interjette appel dans les plus brefs délais, le retard ne portera pas atteinte aux demanderesses. Le sursis sera en vigueur seulement jusqu’à l’échéance du délai d’appel ou jusqu’à l’issue de l’appel devant un juge de la Cour. Tout sursis sous réserve de nouveaux appels est laissé à la discrétion de ce juge.

D. Dépens

[50] Étant donné que les demanderesses ont obtenu gain de cause dans leur requête, elles devraient recouvrer leurs frais. Elles font valoir que les dépens devraient être fixés à 7 000 $, payables immédiatement, parce que la requête n’aurait pas dû faire l’objet d’une opposition. La défenderesse propose que le montant de 5 000 $ reflète mieux la complexité relative des questions. Je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’un cas où les dépens devraient être payables sans délai. Je ne suis pas non plus convaincue que le montant proposé par la défenderesse reflète adéquatement la complexité des questions juridiques et factuelles, d’autant plus que les déposants des deux parties ont fait l’objet d’un contre‑interrogatoire relativement à leur affidavit et que la jurisprudence sur les questions était insuffisante. Je suis convaincue que le montant de 7 000 $, incluant les débours, est approprié.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La désignation « renseignements réservés aux seuls avocats » doit être supprimée des parties des documents produits par la défenderesse qui identifient le vendeur, le fournisseur ou le fabricant de ses produits et de la ligne 17 de la page 26, à la ligne 13 de la page 29, de la transcription réservée aux avocats de l’interrogatoire préalable de Claudio Dente en date du 14 septembre 2021.

  2. L’effet de la présente ordonnance est suspendu jusqu’à l’échéance du délai d’appel de la présente ordonnance, si aucun appel n’est interjeté, ou jusqu’au règlement d’une requête en appel de la présente ordonnance.

  3. Tout appel de la présente ordonnance doit être présenté aux premières séances générales de la Cour qui conviennent à toutes les parties, et la défenderesse est tenue de signifier et de déposer un dossier complet de requête relativement à un tel appel dans le délai de 10 jours prévu à l’article 51 des Règles.

  4. Les dépens de cette requête, d’un montant de 7 000 $, sont payés par la défenderesse aux demanderesses.

« Mireille Tabib »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑1050‑20

 

INTITULÉ :

SUREWERX USA INC. ET AL. c DENTEC SAFETY SPECIALISTS INC

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2022

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Karen MacDonald

POUR LES DEMANDERESSES

Even Reinblatt

Bill Regan

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDERESSES

Piasetzki Nenniger Kvas s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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