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Date : 20220513


Dossier : T-1935-19

Référence : 2022 CF 720

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 mai 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

ALIGN TECHNOLOGY, INC.

demanderesse

et

OSSTEMIMPLANT CO., LTD

défenderesse

JUDGMENT AND REASONS

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T‑13 [la LMC], de la décision par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce [la COMC] a rejeté l’opposition de la demanderesse, Align Technology, Inc.’s [Align], à la demande d’enregistrement de la marque de commerce MAGICALIGN, destinée à être employée en liaison avec des produits orthodontiques, présentée par la défenderesse, Osstemimplant Co., Ltd.’s [Osstemimplant].

[2] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que seulement une partie de la nouvelle preuve présentée est pertinente (à savoir celle relative à l’état du registre et celle provenant des dentistes et des orthodontistes). Toutefois, après examen de novo du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) et pondération de l’ensemble des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), dont aucun, après évaluation individuelle, ne révèle d’erreur manifeste et dominante commise par la COMC dans son analyse, la Cour confirme la conclusion qu’il n’y a pas de probabilité de confusion. Par conséquent, l’appel est rejeté.

I. Contexte

[3] Osstemimplant a déposé une demande d’enregistrement (no 1749696) de la marque de commerce MAGICALIGN [la demande] le 8 octobre 2015. La demande était fondée sur un emploi projeté et visait un enregistrement en liaison avec : 1) des instruments orthodontiques fabriqués sur mesure; 2) des pièces buccales pour l’orthodontie; 3) des appareils orthodontiques.

[4] Le 20 octobre 2016, Align a déposé une déclaration d’opposition dans laquelle elle s’opposait à l’enregistrement de la marque de commerce MAGICALIGN au motif que celle‑ci était semblable, au point de créer de la confusion, avec sa famille de marques de commerce qui avaient été enregistrées et employées à grande échelle au Canada en liaison avec des produits orthodontiques et dentaires et des services connexes. La famille de marques de commerce ALIGN invoquée [les marques de commerce ALIGN] était la suivante :

Trademark = Marque de commerce

Reg. No. = Numéro d’enregistrement

TMA = LMC

[5] Les motifs d’opposition précis d’Align, qui sont régis, compte tenu des dispositions transitoires de la LMC, par la version de l’article 38 de la LMC en vigueur jusqu’au 17 juin 2019, étaient les suivants :

  • (a) MAGICALIGN n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)d) de la LMC, car elle crée de la confusion avec les marques de commerce ALIGN antérieurement enregistrées au Canada;

  • (b) la défenderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de MAGICALIGN selon l’alinéa 16(3)a) de la LMC, car à la date à laquelle la demande a été déposée, la marque de commerce créait, et elle continue toujours de créer, de la confusion avec les marques de commerce ALIGN antérieurement employées au Canada par Align, et que cette dernière n’a pas abandonnées;

  • (c) la défenderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de MAGICALIGN selon l’alinéa 16(3)c) de la LMC, car, à la date où la demande a été déposée, cette marque créait de la confusion avec les noms commerciaux d’Align, Align Technology, Inc. et Align Technology, antérieurement employés au Canada par Align;

  • (d) MAGICALIGN n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la LMC, car elle ne distingue pas, ou n’est pas adaptée à distinguer, les produits de la défenderesse de ceux d’Align, compte tenu de l’emploi antérieur des marques de commerce ALIGN au Canada en liaison avec des produits orthodontiques et dentaires et des services connexes.

[6] À l’appui de son opposition, Align a déposé trois affidavits : 1) un affidavit de Karrie Anger, vice‑présidente et avocate générale associée d’Align Technology Inc. [l’affidavit de Mme Anger], qui traitait des activités, des produits et des services d’Align et de l’utilisation des marques de commerce ALIGN; 2) un affidavit de Mary Noonan, spécialiste en recherche de marques de commerce pour le compte du cabinet d’avocats dont la demanderesse retient les services, qui a joint les résultats de sa recherche concernant les marques de commerce ALIGN de la demanderesse; 3) un affidavit de Joanne Berent, bibliothécaire de référence, qui a effectué des recherches d’articles mentionnant « Invisalign ».

[7] Le 30 septembre 2019, la COMC a rejeté tous les motifs d’opposition de la demanderesse à l’égard de MAGICALIGN. Pour parvenir à cette décision, la COMC a conclu que la question déterminante était celle de savoir si MAGICALIGN créait de la confusion avec les marques de commerce de l’opposante INVISALIGN et ALIGN. Après examen des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la LMC et des circonstances de l’espèce, la COMC a conclu que :

  • (a) Les marques MAGICALIGN et INVISALIGN possédaient un caractère distinctif inhérent de force semblable, toutes deux étant constituées de mots inventés qui évoquaient des produits ou des services pouvant être utilisés pour corriger un mauvais alignement des dents. Quant à la marque ALIGN, elle avait un faible caractère distinctif inhérent. ALIGN avait une nature descriptive lorsqu’on la retrouvait en liaison avec les biens et services des parties.

  • (b) La mesure dans laquelle les marques étaient devenues connues, la mesure dans laquelle elles ont été en usage et la période pendant laquelle elles l’ont été favorisaient clairement l’opposante.

  • (c) Le genre de produits et la nature du commerce étaient identiques.

  • (d) Il n’y avait pas un degré élevé de ressemblance entre MAGICALIGN et les marques INVISALIGN et ALIGN de l’opposante dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

  • (e) La demanderesse possédait une famille de marques de commerce ALIGN, mais ce fait avait un poids limité comme circonstance de l’espèce parce que cette famille comportait un petit nombre de marques et que la composante « ALIGN » n’était pas utilisée comme suffixe dans toutes les marques.

[8] Compte tenu de ces conclusions, la COMC a décidé ce qui suit :

Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce et appliqué le test en matière de confusion du point de vue de la première impression et du souvenir imparfait, malgré l’important caractère distinctif acquis d’INVISALIGN, et, dans une moindre mesure, d’ALIGN, la période pendant laquelle les marques de commerce de l’Opposante ont été en usage, le genre identique des produits et la nature identique du commerce ainsi que le fait que l’Opposante possède une petite famille de marques de commerce ALIGN, j’estime que, dans l’ensemble, les différences entre les marques des parties sont suffisantes pour faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur de la Requérante en ce qui concerne la question de la confusion. Je suis d’avis que le consommateur ordinaire ne serait pas porté, sous le coup de la première impression, à penser que les produits liés la Marque proviennent de la même source que ceux liés à la marque de commerce INVISALIGN ou ALIGN ou l’inverse. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce des parties.

[9] Dans sa demande, la demanderesse cherche à produire en preuve cinq nouveaux affidavits :

  • (a) L’affidavit de Sian Roberts, vice‑présidente et directrice générale des activités canadiennes de la demanderesse, souscrit le 15 octobre 2020 [l’affidavit de Mme Roberts];

  • (b) Un deuxième affidavit de Mary Noonan, spécialiste en recherche de marques de commerce employée par les avocats de la demanderesse, souscrit le 15 octobre 2020 [l’affidavit de Mme Noonan];

  • (c) Les affidavits du Dr Stéphane Reinhardt DMD, dentiste, souscrit le 14 octobre 2020 [l’affidavit du Dr Reinhardt], du Dr Terry Carlyle, orthodontiste, souscrit le 15 octobre 2020 [l’affidavit du Dr Carlyle], et de la Dre Sandra Tai, spécialiste certifiée en orthodontie, souscrit le 13 octobre 2020 [l’affidavit de la Dre Tai].

[10] La demanderesse fait valoir que la COMC s’est focalisée sur l’idée que « ALIGN » décrivait ses produits et services et n’avait qu’un faible caractère distinctif inhérent et a commis une erreur en concluant que la marque de commerce ALIGN n’avait pas acquis de caractère distinctif et avait été en usage dans une mesure moindre et de façon moins visible sur l’emballage et dans la publicité. Elle soutient que les nouveaux éléments de preuve qu’elle souhaite présenter ont trait à ces questions et auraient pu avoir, et auraient eu, une incidence sur l’analyse réalisée par la COMC en ce qui concerne la confusion. Elle affirme en outre qu’il y a eu une augmentation considérable de l’utilisation de ses marques et de ses activités de commercialisation au Canada, de sorte que les marques sont devenues encore mieux connues, sinon célèbres, et que la mesure dans laquelle elles ont été utilisées et l’étendue de leur protection devraient se voir accorder un plus grand poids par rapport aux autres facteurs du paragraphe 6(5). La demanderesse affirme que, après examen de l’ensemble de la preuve, force est de constater qu’il est probable qu’il y ait confusion entre MAGICALIGN et ses marques de commerce INVISALIGN et ALIGN.

II. Questions en litige

[11] Le présent appel soulève les questions suivantes :

  • (a) Quelle est la norme de contrôle appropriée compte tenu de la nouvelle preuve présentée dans le cadre de l’appel?

  • (b) Y a‑t‑il une erreur justifiant l’infirmation de la décision de la COMC quant à la probabilité de confusion?

III. Norme de contrôle et nouveaux éléments de preuve

A. Principes juridiques

[12] Lorsqu’un demandeur présente une nouvelle preuve dans le cadre d’un appel d’une décision de la COMC, la Cour doit d’abord examiner sa pertinence et déterminer si elle est suffisamment importante et probante pour influer de façon significative sur la décision de la COMC : Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76 [Clorox] au para 21; Vivat Holdings Ltd. c Levi Strauss & Co., 2005 CF 707 [Vivat] au para 27; Beverly Hills Jewellers MFG Ltd. c Corona Jewellery Company Ltd., 2021 CF 674 [Corona] aux para 36‑39; Tokai of Canada Ltd c Kingsford Products Company, LLC, 2021 CF 782 [Tokai] au para 20.

[13] Si la preuve est pertinente, la Cour doit examiner la question sur laquelle porte la preuve en fonction de la norme de la décision correcte et parvenir à sa propre conclusion sur le fondement de l’ensemble de la preuve. Dans de telles circonstances, la Cour n’est pas obligée de se limiter à chercher une erreur susceptible de révision dans la décision de la COMC, et l’appel est en fait une audience « de novo » dans le cadre de laquelle la Cour bénéficie de la preuve supplémentaire : Clorox, au para 21; Tokai, au para 23; Seara Alimentos Ltda. c Amira Enterprises Inc., 2019 CAF 63 [Seara] au para 22.

[14] Tel qu’il est indiqué aux paragraphes 23 et 25 de l’arrêt Seara, l’examen de la question de savoir si la preuve supplémentaire aurait pu influer de façon significative sur la décision de la COMC n’exige pas que la Cour détermine si la nouvelle preuve modifierait le résultat ou l’issue; cet examen est un critère préliminaire. Dans le contexte de l’analyse relative à la confusion, la bonne question qu’il convient de trancher est celle de savoir si la preuve serait susceptible de donner lieu à une conclusion différente à l’égard d’un ou de plusieurs des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la LMC et de modifier l’exercice de pondération servant d’assise à la conclusion relative à la probabilité de confusion.

[15] La preuve est « pertinente » si elle renforce la valeur probante de l’ensemble des preuves de manière à avoir une influence sur les conclusions de fait tirées par la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Seara, au para 24; Tokai, au para 23) ou à pallier des lacunes cernées par la COMC (Corona, aux para 38‑39). La preuve n’est pas « pertinente » si elle se rapporte à des faits postérieurs à la date pertinente ou si elle ne fait que compléter ou confirmer les conclusions de la COMC, ou si elle est répétitive par rapport à ce qui a déjà été présenté au décideur : Corona, aux para 38‑39; Seara, au para 24; Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company, 2012 CF 1539 [Hawke], au para 31. La pertinence est une question de qualité et non de quantité : Hawke, au para 31; Vivat, au para 27; Tokai, au para 20; Assurant, Inc. c Assurancia, Inc.¸ 2018 CF 121 au para 23.

[16] S’il n’y a pas de nouvelle preuve ou si la preuve n’est pas jugée pertinente, la décision est contrôlée en fonction de la norme applicable en appel : Clorox, aux para 22‑23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 36‑52. Pour les questions mixtes de fait et de droit, la norme applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante. Dans le cas des questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte : Clorox, au para 23; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33.

[17] Par « erreur manifeste et dominante », on entend une erreur évidente qui touche directement la décision : Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46; Clorox, au para 38. Dans un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte, la Cour n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du décideur de l’instance inférieure : Tokai, au para 22.

B. Dates pertinentes

[18] Les dates pertinentes aux fins du présent appel sont les suivantes :

  • (a) Paragraphe 16(3) (absence de droit à l’enregistrement) – 24 septembre 2015 (date de priorité);

  • (b) Article 2 (caractère distinctif) – 20 octobre 2016 (date de production de la déclaration d’opposition);

  • (c) Alinéa 12(1)d) (caractère enregistrable) – 30 septembre 2019 (date de la décision de la COMC) ou la date de la décision de la Cour relative à l’appel si une preuve pertinente est présentée et qu’un examen de novo est effectué : Thymes, LLC c Reitmans (Canada) Limitée, 2013 CF 127 au para 15.

C. La nouvelle preuve

[19] Comme il est expliqué ci‑après, je conclus que seule la nouvelle preuve de l’état du registre, figurant dans l’affidavit de Mme Noonan, ainsi que les affidavits des Dr Carlyle, Reinhardt et Tai, est pertinente et justifie un examen de novo au titre de l’alinéa 6(5)a) ainsi que la pondération des facteurs énoncés au paragraphe 6(5). L’analyse des autres facteurs individuels énoncés au paragraphe 6(5) sera faite ci‑dessous pour déterminer s’il y a eu erreur manifeste et dominante.

(1) Affidavit de Mme Roberts

[20] L’affidavit de Mme Roberts énonce trois objectifs. Premièrement, il vise à [TRADUCTION] « compléter » l’affidavit de Mme Anger en fournissant [TRADUCTION] « de nouveaux renseignements au sujet de la nature et de l’ampleur des activités de vente et de commercialisation d’Align au Canada » d’avril 2017 à 2020. Deuxièmement, il cherche à répondre à la conclusion de la COMC selon laquelle ALIGN était moins visible sur l’emballage et la publicité et devrait donner droit à une protection moindre, en fournissant [TRADUCTION] « des détails nouveaux et supplémentaires au sujet de l’usage par Align de la marque ALIGN et des noms commerciaux Align, Align Technology et Align Technology Inc. ». Troisièmement, il vise à répondre à la conclusion de la COMC selon laquelle ALIGN et ALIGN TECHNOLOGY avaient un caractère distinctif inhérent faible, en fournissant une preuve supplémentaire [TRADUCTION] « traitant le caractère distinctif du mot “align” en liaison avec les produits et les services d’Align ».

[21] En ce qui concerne les renseignements mis à jour au sujet des ventes et de la commercialisation (paragraphes 10 à 42), je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les détails relatifs aux efforts de vente et de commercialisation d’Align après 2016 ne sont pas pertinents pour les motifs d’opposition fondés sur le paragraphe 16(3) et sur l’article 2, car ils sont ultérieurs aux dates pertinentes pour ces motifs. Même si au moins une partie de cette preuve peut s’appliquer au motif visé à l’alinéa 12(1)d), elle n’a pas de valeur probante, car elle sert seulement à compléter et à corroborer les conclusions déjà tirées par la COMC en ce qui concerne la mesure dans laquelle les marques de la demanderesse ont été utilisées, laquelle était fondée sur les renseignements détaillés déjà présentés dans l’affidavit de Mme Anger au sujet des ventes et de la commercialisation.

[22] Comme le reconnaît la demanderesse dans ses observations écrites, l’affidavit de Mme Anger décrivait les revenus de vente, [TRADUCTION] « très importants » et [TRADUCTION] « qui augmentent de façon constante », associés aux produits d’Align, faisait état du nombre important d’orthodontistes et de dentistes formés pour utiliser les produits d’Align, [TRADUCTION] « décrivait en détail les sommes importantes dépensées par Align pour faire de la publicité, commercialiser et promouvoir ses produits et services au Canada et partout dans le monde en liaison avec les marques de commerce ALIGN » et [TRADUCTION] « fournissait des éléments de preuve détaillés et des exemples de ses activités de publicité, de promotion et de commercialisation au Canada et partout dans le monde, activités visant tant des orthodontistes et dentistes [sic] clients actuels et éventuels que ciblant directement les consommateurs finaux ». La COMC a reconnu les divers types de preuve présentés par la demanderesse qui établissaient l’utilisation répandue des marques de commerce ALIGN et a conclu que la mesure dans laquelle celles‑ci ont été employées et la période pendant laquelle elles ont été en usage militaient fortement en faveur de la demanderesse.

[23] Les renseignements relatifs aux ventes et à la commercialisation figurant dans l’affidavit de Mme Roberts fournissent des détails sur d’autres ventes et initiatives de commercialisation depuis 2017 dans le but d’améliorer et de faire croître le marché canadien. Il s’agit de détails sur l’ouverture d’un bureau au Canada, de campagnes dans les médias sociaux et d’occasions de commandite au Canada, y compris avec les Raptors de Toronto, et de mises à jour sur les renseignements fournis dans l’affidavit de Mme Anger (estimations des ventes, dépenses en publicité, nombre de patients traités au moyen du système INVISALIGN et nombre d’orthodontistes et de dentistes ayant reçu la formation).

[24] La demanderesse soutient que les marques INVISALIGN et ALIGN sont devenues tellement connues qu’elles sont maintenant [TRADUCTION] « célèbres ». Elle affirme que, dans de telles circonstances, les marques de commerce devraient se voir accorder une protection étendue, ce qui rend particulièrement difficile pour un demandeur nouveau venu la tâche qui lui incombe de s’acquitter de l’obligation d’écarter toute probabilité de confusion : Miss Universe Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614 (CAF) [Miss Universe] aux para 12, 17‑18.

[25] Cependant, contrairement à l’affaire Miss Universe, la COMC a déjà tenu compte du large emploi des marques de commerce ALIGN dans sa décision, concluant qu’« un emploi aussi abondant élargit la protection qu’il convient d’accorder à la marque de commerce INVISALIGN [de la demanderesse] et, dans une moindre mesure, à sa marque de commerce ALIGN ».

[26] Même si je conviens que la nouvelle preuve fait état d’une augmentation soutenue des ventes, de la publicité et de la promotion, cela ne fait à mon avis que confirmer les conclusions qu’a déjà tirées la COMC. Cette dernière a expliqué que, malgré le caractère distinctif important acquis par les marques et la période pendant laquelle elles ont été en usage, les marques des parties étaient suffisamment différentes l’une de l’autre pour qu’il n’y ait pas de probabilité raisonnable de confusion entre elles. La nouvelle preuve ne porte pas sur cette question essentielle.

[27] De plus, le renvoi de la demanderesse à la décision 3469051 Canada Inc. c Axis Heating and Air Conditioning Inc., 2019 CF 1103 [Axis Heating], n’est d’aucune aide, car les faits de cette affaire sont différents. La pondération des facteurs dans cette affaire faisait intervenir non seulement le fait que le large emploi donnait lieu à un caractère distinctif acquis important, mais aussi le fait que les marques en question avaient une apparence visuelle semblable. En revanche, la nature des commerces associés aux deux marques était quelque peu différente. La décision Axis Heating n’aide pas à répondre à la question de savoir pourquoi la preuve supplémentaire contenue dans l’affidavit de Mme Roberts devrait être considérée comme pertinente compte tenu de la preuve déjà présentée et des conclusions déjà tirées.

[28] À mon avis, la preuve additionnelle exposée aux paragraphes 10‑42 de l’affidavit de Mme Roberts n’est qu’un complément à la preuve sous‑jacente aux conclusions déjà tirées et n’aurait pas eu de valeur probante dans la décision de la COMC.

[29] De plus, la preuve additionnelle figurant dans l’affidavit de Mme Roberts au sujet de l’utilisation par Align de la marque de commerce ALIGN et des noms commerciaux Align, Align Technology et Align Technology Inc. (paragraphes 43 à 54) n’est pas pertinente, car elle ne fait que répéter les renseignements déjà présentés dans l’affidavit de Mme Anger ou fournit des exemples supplémentaires d’emballages et de documents de marketing vus notamment par les patients, les cliniciens et les commanditaires, qui sont semblables, sinon les mêmes, que les renseignements déjà présentés et examinés par la COMC. Aux paragraphes 45 et 46, Mme Roberts se réfère aux renseignements sur les produits et aux documents de marketing présentés dans l’affidavit de Mme Anger qui, selon elle, montrent l’utilisation de la marque de commerce ALIGN et le nom commercial Align Technology. Elle donne d’autres exemples au paragraphe 47, lesquels sont semblables aux exemples présentés dans l’affidavit de Mme Anger, ce qu’elle admet au paragraphe 48, puis présente encore d’autres exemples supplémentaires aux paragraphes 50 à 53.

[30] La COMC a déjà examiné la même preuve ou une preuve semblable dans sa décision. Ce faisant, elle a conclu que les divers documents d’information sur les produits présentent les marques de commerce ALIGN (paragraphe 17), mais que INVISALIGN est plus visible qu’ALIGN sur les emballages et dans la publicité (paragraphe 18). La nouvelle présentation de la même information sur les produits et la commercialisation et l’information supplémentaire du même type au moyen d’un affidavit de la demanderesse équivaut à une demande de réévaluation de la même preuve. Aucune nouvelle preuve pertinente et importante n’est présentée.

[31] L’affidavit de Mme Roberts présente également des renseignements contextuels sur l’introduction et la commercialisation du système INVISALIGN, les motifs pour lesquels Align a adopté les marques de commerce ALIGN et l’utilisation du mot anglais « aligners » (paragraphes 55 à 62). La demanderesse soutient que cette preuve est liée à la conclusion de la COMC selon laquelle la marque de commerce ALIGN est descriptive et n’a pas de caractère distinctif acquis. Cependant, comme la défenderesse, je suis d’avis que cette preuve n’est pas pertinente pour l’évaluation du caractère descriptif de la marque, qui doit être examinée du point de vue du consommateur visé, et non du point de vue du propriétaire de la marque de commerce : Cliche c Canada (Procureur général), 2012 CF 564 au para 22; conf par 2013 CAF 8. Mme Roberts affirme également, sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, qu’Align n’était pas tenue de présenter une preuve au sujet du caractère distinctif acquis dans le cadre de la poursuite liée à ses marques ALIGN. Selon la demanderesse, cette preuve permet d’établir que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada n’était pas d’avis que les marques étaient descriptives. Les déclarations de Mme Roberts ne sont toutefois étayées par aucune documentation. Leur valeur probante est limitée.

[32] Les autres éléments de preuve présentés dans l’affidavit de Mme Roberts (paragraphes 63 à 72) visent à introduire des renseignements liés à la reproduction qui aurait été faite d’une image protégée par le droit d’auteur se trouvant dans la documentation sur les produits d’Align. Étant donné qu’il n’y avait aucune allégation de « mauvaise foi » ou de copie devant la COMC et que les allégations n’étaient pas liées aux marques de commerce en cause, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le principe énoncé au paragraphe 26 de la décision Procter & Gamble Inc. c Colgate‑Palmolive Canada Inc., 2010 CF 231, s’applique et que la Cour n’a pas compétence pour trancher cette question. Par conséquent, cette preuve n’est pas selon moi admissible ou pertinente.

(2) Affidavit de Mme Noonan

[33] L’affidavit de Mme Noonan comprend les résultats d’une recherche des marques de commerce ALIGN de la demanderesse effectuée dans le registre. Cependant, il était fait état d’une recherche semblable ayant donné lieu pratiquement aux mêmes résultats dans le premier affidavit de Mme Noonan (la recherche mise à jour indiquait que les deux demandes en attente relevées lors de la première recherche avaient maintenant été traitées et les marques avaient depuis été enregistrées).

[34] La demanderesse cherche à présenter cette même information afin de mettre en évidence le fait que l’examinateur ne s’est opposé à l’enregistrement d’aucune des marques de commerce ALIGN en raison de leur caractère descriptif, et de renforcer son argument selon lequel Align possède une famille de marques ALIGN.

[35] En ce qui concerne le premier point, l’information présentée est répétitive par rapport à l’information sur l’enregistrement des marques dont disposait déjà la COMC relativement à l’opposition. Cette preuve n’est pas nouvelle.

[36] En ce qui concerne le deuxième point, comme l’a fait remarquer la COMC, pour pouvoir se fonder sur une famille de marques de commerce, l’opposant doit prouver l’emploi de chacune des marques de commerce de la famille alléguée. Les résultats de recherche mis à jour, à eux seuls, ne sont pas utiles, car ils ne fournissent pas de précision sur la petite famille de marques de commerce à l’égard de laquelle la COMC a conclu que l’emploi avait été démontré. La nouvelle preuve proposée n’est pas importante.

[37] L’affidavit de Mme Noonan comprend également une deuxième recherche, effectuée le 15 octobre 2020, de tous les enregistrements de marques de commerce existants dans le registre qui contiennent l’élément « ALIGN », seul ou en combinaison avec d’autres mots ou dessins. Comme l’a souligné la demanderesse, la COMC ne disposait pas de la preuve de l’état du registre.

[38] La demanderesse affirme que les résultats issus de cette recherche indiquent qu’Align jouit d’une position de monopole en ce qui concerne la marque de commerce ALIGN utilisée en liaison avec des produits et services orthodontiques.

[39] La défenderesse soutient que la recherche, qui a été effectuée le 15 octobre 2020, est ultérieure à la date pertinente pour toutes les questions en litige et ne peut donc pas être pertinente pour les conclusions de la COMC. Je note toutefois que la recherche comprend de l’information qui se serait trouvée dans le registre avant le 30 septembre 2019, donc je ne suis pas d’accord pour l’écarter en raison cet argument de pure forme.

[40] La défenderesse soutient en outre que, même si la demanderesse prétend qu’il n’y a aucune autre marque de tiers dans le registre qui contient « ALIGN » employé en liaison avec des biens ou des services dentaires et orthodontiques, elle a trouvé au terme de la recherche deux enregistrements visant des marques de commerce appartenant à un tiers pour un emploi en liaison avec des appareils et des produits orthodontiques qui contenaient « aligner », soit SURECURE ORTHODONTIC ALIGNERS & dessin et SPEEDALIGNERS. Même si je conviens que les résultats de la recherche sont plus nuancés, la question à laquelle il faut répondre à mon avis est de savoir si les résultats auraient en fin de compte une incidence sur l’analyse de la COMC plutôt que de savoir, dans le cadre d’une évaluation préliminaire, s’ils pourraient avoir une incidence. Selon moi, la preuve de l’état du registre est un élément de preuve supplémentaire que la COMC aurait jugé important pour son analyse relative à l’alinéa 6(5)a) et son analyse des circonstances de l’espèce, et justifie l’évaluation de novo de ce facteur, y compris de cette preuve.

(3) Affidavits du Dr Carlyle, du Dr Reinhardt et de la Dre Tai

[41] La demanderesse affirme que les affidavits du Dr Carlyle, du Dr Reinhardt et de la Dre Tai présentent des éléments de preuve de grande importance et d’une grande valeur probante relativement aux conclusions de la COMC concernant la question de savoir si la marque ALIGN est aussi présente qu’INVISALIGN dans la documentation sur les produits et les documents de marketing et à la conclusion que le terme « ALIGN » est descriptif. Comme l’a fait remarquer la demanderesse, aucune preuve provenant de dentistes ou d’orthodontistes n’avait été déposée antérieurement.

[42] La défenderesse souligne le fait que les affidavits du Dr Carlyle, du Dr Reinhardt et de la Dre Tai présentent des pièces et des commentaires sur le même produit, les mêmes soins à donner aux patients et les mêmes formulaires de consentement que ceux qui faisaient déjà l’objet de l’affidavit de Mme Anger. Elle affirme que les opinions fournies sur la manière dont les patients verraient cette information et les marques de commerce ALIGN ne sont rien d’autre qu’une preuve d’opinion inadmissible.

[43] À mon avis, les affidavits des Dr Carlyle, Reinhardt et Tai, bien qu’ils présentent des commentaires sur les mêmes documents que ceux faisant l’objet de l’affidavit de Mme Anger, offrent un point de vue différent qui aurait été jugé pertinent et important pour l’examen au titre de l’alinéa 6(5)a). Par conséquent, j’estime que cette preuve est admissible et justifie également un examen de novo du facteur visé à l’alinéa 6(5)a) et de la pondération des facteurs prévus au paragraphe 6(5).

IV. Y a‑t‑il une erreur justifiant l’annulation de la décision de la COMC?

[44] Les parties s’entendent pour dire que le critère juridique à appliquer pour évaluer la probabilité de confusion est celui de la première impression que laisse dans l’esprit d’un consommateur ordinaire plutôt pressé alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce, qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir en profondeur à la marque censée créer de la confusion, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques : Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20, Clorox, au para 32.

[45] Il faut déterminer la probabilité de confusion en examinant toutes les circonstances de l’espèce, y compris les critères énoncés au paragraphe 6(5) de la LMC, dont la liste n’est pas exhaustive et auxquels un poids différent sera accordé selon le contexte de l’évaluation : Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22 [Mattel] au para 54.

[46] Ces principes juridiques ont été mentionnés dans la décision de la COMC et appliqués dans le cadre de son analyse. Je ne comprends pas la raison pour laquelle la demanderesse soutient que la COMC a commis une erreur de droit. Étant donné ma conclusion sur la nouvelle preuve présentée dans le cadre du présent appel, exposée précédemment, mon analyse comprend un examen de novo au titre de l’alinéa 6(5)a), l’examen de la question de savoir si la COMC a commis une erreur manifeste et dominante dans son analyse des autres facteurs énoncés au paragraphe 6(5), un examen de novo de la pondération des facteurs et l’examen de la question de savoir s’il y a probabilité de confusion. Pour les motifs suivants, je ne suis pas d’avis que la COMC a commis des erreurs à ces égards ou qu’une conclusion différente devrait être tirée.

A. Alinéa 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[47] Après examen de novo de la preuve, j’arrive à la même conclusion que la COMC : les mots MAGICALIGN et INVISALIGN présentent un degré similaire de caractère distinctif inhérent, car ils sont tous les deux des mots inventés qui comprennent la composante « align » qui donne à penser que les produits et services peuvent être utilisés pour corriger le mauvais alignement des dents. De même, je conviens que la marque ALIGN a un caractère distinctif inhérent moindre parce qu’elle décrit la fonction des produits et services.

[48] La demanderesse soutient que le verbe anglais « align » ne décrit pas les produits et services des parties. Elle affirme que ce mot a vu le jour uniquement en raison de ses produits.

[49] Selon la nouvelle preuve, les termes « aligner » et « align » ont toutefois un faible caractère distinctif inhérent, car ils sont devenus des mots d’usage courant dans le domaine (Smart Cloud Inc. c International Business Machines Corporation, 2021 CF 236 aux para 72‑73).

[50] La preuve de l’état du registre fait état d’autres marques appartenant à des tiers qui utilisent le mot anglais « aligner » en liaison avec des marchandises, ainsi que le mot « align » pour décrire des marchandises de tiers à la date pertinente pour l’alinéa 12(1)d). Dans l’enregistrement de marque de commerce no LMC1017253 pour SURECURE ORTHODONTIC ALIGNERS, on emploie le mot « aligner » tant dans la marque de commerce que dans la description des marchandises, qui utilise respectivement les nom et verbe « aligneurs » (aligner) et « aligner » (align) : « produits orthodontiques, nommément boîtiers orthodontiques, aligneurs et appareils de rétention, utilisés par les dentistes et orthodontistes pour redresser et aligner les dents de leurs patients » [non souligné dans l’original]. Les détails concernant l’enregistrement de cette marque indiquent son utilisation en liaison avec les marchandises mentionnées à compter du 17 janvier 2017. De même, l’enregistrement de marque de commerce no LMC708670 pour la marque de commerce SPEEDALIGNERS emploie le terme « aligners » dans la marque de commerce. Cette marque est enregistrée en liaison avec des appareils orthodontiques et des services liés à la fabrication d’appareils orthodontiques. Les détails de l’enregistrement indiquent qu’une déclaration d’emploi de cette marque en liaison avec ces marchandises et services a été déposée le 21 janvier 2008.

[51] D’autres articles de presse et documents d’entreprise produits par la demanderesse devant la COMC et cités dans la décision de celle‑ci indiquent également l’utilisation du mot « aligner » pour décrire le produit de la demanderesse et renvoient à la fonction du produit d’« aligner » (align) les dents. Les concepts liés au fait de corriger l’« alignement » (alignment) des dents sont utilisés abondamment dans ces articles. Ces mots constituent la terminologie usuelle adoptée pour décrire l’objectif de traiter la mauvaise position des dents (voir, par exemple, l’article du Edmonton Journal paru le 8 avril 2009 (affidavit de Mme Berent, pièce B, page 106) : [TRADUCTION] « Broches : Des fils sont attachés aux dents et sont périodiquement resserrés afin de corriger l’alignement des dents. Un nouveau système, nommé Invisalign, permet d’obtenir les mêmes résultats au moyen d’une série de gouttières en plastique ajustées aux dents »).

[52] De plus, selon les affidavits du Dr Carlyle, du Dr Reinhardt et de la Dre Tai, le mot « aligner » est de plus en plus employé dans le vocabulaire commercial depuis que les marques de commerce Align ont commencé à être employées. Comme l’a affirmé la Dre Tai au paragraphe 19 de son affidavit :

[traduction]

Avant que le système INVISALIGN d’Align ne soit offert, le terme [anglais] « aligner » pour décrire des appareils ou des produits orthodontiques n’était pas utilisé. Pendant les premières années après le lancement du système INVISALIGN, on renvoyait aux appareils INVISALIGN en employant le terme [anglais] « trays », et certains praticiens continuent d’employer cette terminologie. Au fil du temps, cependant, grâce au succès et à la popularité du système INVISALIGN, le terme [anglais] « aligner » a fini par faire partie de la terminologie liée au domaine.

[53] Des déclarations semblables sont faites dans les affidavits du Dr Carlyle et du Dr Reinhardt.

[54] La reconnaissance du fait que le terme anglais « aligner » était répandu comme terme technique dans le milieu des dentistes et des orthodontistes à la date pertinente donne à penser que la marque de commerce « ALIGN » présenterait un caractère distinctif inhérent limité, car elle ne fait que décrire la fonction des produits des parties.

[55] Cependant, le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) exige l’examen tant du caractère distinctif inhérent des marques que de la mesure dans laquelle celles‑ci sont devenues connues et ont acquis un caractère distinctif sur le marché. Il s’agit d’une mesure de la solidité globale ou du caractère bien établi de la marque. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 23 et 24 de l’arrêt Pink Panther Beauty Corp. c United Artists Corp., [1998] 3 CF 534 (CAF) :

Le premier élément énuméré au paragraphe 6(5) est la solidité ou le caractère bien établi de la marque. Cet élément se divise en deux : le caractère distinctif inhérent de la marque et le caractère distinctif qu’elle a acquis. Une marque possède un caractère distinctif inhérent lorsque rien en elle n’aiguille le consommateur vers une multitude de sources. La marque qui peut faire allusion à de nombreuses choses ou qui, comme je l’ai fait remarquer précédemment, se limite à décrire les marchandises ou leur origine géographique jouira d’une protection moindre. Inversement, si la marque est un nom unique ou inventé, de sorte qu’elle ne peut faire référence qu’à une seule chose, la portée de sa protection sera plus grande.

Une marque qui ne possède pas de caractère distinctif inhérent peut tout de même acquérir un caractère distinctif par un emploi continu sur le marché. Pour établir ce caractère distinctif acquis, il faut démontrer que les consommateurs savent que cette marque vient d’une source en particulier. Dans la décision Cartier, Inc. c. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier Ltée, le juge Dubé a conclu que le nom Cartier possédait peu de caractère distinctif inhérent, puisqu’il n’était qu’un nom de famille, mais qu’il avait néanmoins acquis un caractère distinctif considérable grâce à la publicité. De la même manière, dans la décision Coca‑Cola Ltd. c. Fisher Trading Co., le juge a conclu que le mot « Cola » en scriptes était devenu si célèbre qu’il avait acquis un sens secondaire très spécial distinct de la boisson et qui méritait donc d’être protégé.

[Notes de bas de page omises.]

[56] La preuve en l’espèce indique que les marques INVISALIGN et ALIGN de la demanderesse sont devenues connues des consommateurs éventuels en raison de leur utilisation. Dans leurs affidavits, le Dr Carlyle, le Dr Reinhardt et la Dre Tai déclarent que les patients traités au moyen du système INVISALIGN connaissent probablement les marques INVISALIGN et ALIGN en raison de leur emploi dans la documentation liée aux produits et les documents destinés aux patients. Mais il est aussi indiqué dans les affidavits que les patients demandent la marque INVISALIGN en la désignant nominativement, marque qu’ils associent aux produits de la demanderesse. Comme le déclarent les Dr Carlyle, Reinhardt et Tai :

Affidavit du Dr Carlyle (paragraphe 28)

[traduction]

[…] Depuis qu’Align Technology et le système INVISALIGN sont devenus bien connus au Canada, j’ai constaté (surtout au cours des 10 dernières années) que les patients viennent à mon cabinet et demandent à obtenir le système INVISALIGN en le désignant nominativement.

Affidavit du Dr Reinhardt (paragraphe 32)

[traduction]

Par conséquent, je constate dans ma pratique que de nombreux patients actuels ou éventuels demandent à obtenir le système INVISALIGN en le désignant nominativement lorsqu’ils songent à un traitement orthodontique, et ce, surtout dans les dernières années.

Affidavit de la Dre Tai (paragraphe 32)

[traduction]

En fait, selon mon expérience, de nombreux patients, lorsqu’ils viennent à mon cabinet pour la première fois, connaissent déjà le système INVISALIGN et en font nominativement la demande.

[57] À mon avis, la preuve appuie la conclusion selon laquelle la marque INVISALIGN possède un caractère distinctif acquis important. Il en va de même en ce qui concerne la marque ALIGN, mais dans une moindre mesure, car elle a été utilisée de manière moins visible dans la documentation sur les produits et les documents de marketing et promotionnels, et aussi parce que le terme anglais « align » est utilisé dans sa forme verbale dans les marques de tiers.

[58] La solidité (ou caractère bien établi) de la marque INVISALIGN, qui possède tant un caractère distinctif inhérent qu’un caractère distinctif acquis, serait supérieure à celle de la marque MAGICALIGN, laquelle, bien qu’elle présente un caractère distinctif inhérent, n’est pas employée sur le marché. La marque ALIGN jouirait d’un léger avantage par rapport à la marque MAGICALIGN en raison d’un certain caractère distinctif acquis, mais son caractère distinctif inhérent serait moindre, car elle est plus descriptive de la fonction de ses produits et services, tel qu’il a été mentionné précédemment.

B. Alinéa 6(5)b) – période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[59] Comme on l’a vu, la COMC a conclu que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) militait fortement en faveur de la demanderesse. Il y a eu un emploi abondant des marques de commerce ALIGN sur une longue période, comparativement à l’emploi projeté par Osstemimplant, qui est une nouvelle venue sur le marché. La COMC a conclu qu’un emploi aussi abondant élargissait la protection qu’il convenait d’accorder à la marque de commerce INVISALIGN et, dans une moindre mesure, à sa marque ALIGN, car cette dernière figure moins en évidence dans les documents promotionnels et de marketing. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion. Même si je concluais que les affidavits du Dr Carlyle, du Dr Reinhardt et de la Dre Tai étaient pertinents pour les conclusions de la COMC en ce qui concerne ce facteur, ce qui n’est pas le cas, je n’apporterais aucun changement à cette conclusion qui découle de cette preuve, à laquelle sont jointes certaines parties de la même documentation sur les produits et les mêmes documents destinés aux patients . Bien que toute cette documentation montre tant la marque ALIGN que la marque INVISALIGN, le nombre d’occurrences d’emploi de la marque INVISALIGN est grandement supérieur à celui de la marque ALIGN.

C. Alinéas 6(5)c) et d) – genre de produits et services et voies de commercialisation

[60] Il ne fait aucun doute que la COMC a commis une erreur dans son analyse de ces facteurs. Le genre de produits et services et les voies de commercialisation des parties sont identiques.

D. Alinéa 6(5)e) – degré de ressemblance

[61] La COMC s’est fondée sur l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece] dans son analyse de la ressemblance entre les marques. Comme l’a expliqué la COMC, même s’il est évident que le premier mot ou la première syllabe d’une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif (Conde Nast Publications Inc. c Union des éditions modernes, [1979] ACF no 801 (CF 1re inst), à la p 188), pour établir le caractère distinctif, « il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de [la marque de commerce] est particulièrement frappant ou unique » (Masterpiece, au para 64). Je ne constate aucune erreur de droit dans l’approche employée par la COMC. D’après ce que je comprends, l’argument de la demanderesse a trait à l’application de la loi et à la conclusion tirée, plutôt qu’à une erreur de droit comme telle. La demanderesse soutient qu’il y a un degré de ressemblance entre la marque MAGICALIGN et les marques ALIGN et INVISALIGN, car la marque de commerce MAGICALIGN comporte l’élément « ALIGN ».

[62] À mon avis, aucun des nouveaux éléments de preuve n’est pertinent pour le facteur prévu à l’alinéa 6(5)e). J’ai examiné par conséquent les motifs de la COMC relativement à ce facteur pour déterminer s’il y a erreur manifeste et dominante, et j’estime qu’il n’y en a pas.

[63] La COMC a fait remarquer qu’il y avait une certaine ressemblance entre les marques des parties en raison de l’utilisation commune du mot « ALIGN »; cependant, elle a conclu que cela ne donnait pas lieu à un degré élevé de ressemblance de façon générale, car la caractéristique la plus frappante de MAGICALIGN est qu’elle consiste en un mot inventé unique. Il n’y a pas d’erreur manifeste dans cette conclusion.

[64] Comparant MAGICALIGN et INVISALIGN, la COMC a fait remarquer que les marques des deux parties consistent chacune en un unique mot inventé. Il était loisible à la COMC de conclure, comme elle l’a fait, que la composante ALIGN n’est pas une caractéristique particulièrement frappante et que, bien qu’elle puisse être reconnue comme étant associée à la marque de commerce et au nom commercial de la demanderesse, elle est également associée à la fonction des produits des parties ou reconnue comme étant une référence à cette fonction. On peut appliquer un raisonnement semblable pour comparer MAGICALIGN et ALIGN. Encore une fois, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette analyse. L’argument semble plutôt être un désaccord en ce qui concerne la conclusion de la COCM.

[65] De même, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion selon laquelle il n’y a pas un degré élevé de ressemblance dans le son, ou dans les idées que les marques expriment. Il n’y a d’erreur manifeste ni dans le raisonnement de la COMC ni dans son application des principes en matière de marques de commerce.

[66] Rien ne permet de conclure que la COMC a commis une erreur dans son analyse relative à l’alinéa 6(5)e).

E. Autres circonstances de l’espèce

[67] En ce qui concerne les autres circonstances de l’espèce, la COMC a conclu que la demanderesse possédait une famille de marques de commerce ALIGN. Toutefois, ce fait n’avait que peu d’incidence, car la famille était peu nombreuse parce qu’un emploi n’avait été démontré qu’à l’égard d’un petit sous‑ensemble des marques enregistrées et que toutes les marques n’utilisaient pas ALIGN comme suffixe. Aucune erreur manifeste et dominante n’a non plus été démontrée relativement à cette analyse.

[68] En ce qui concerne la preuve relative à l’état du registre comme autre circonstance de l’espèce, elle étaye à mon avis la position de la défenderesse selon laquelle le concept d’alignement et de correction de l’alignement et le terme anglais « aligner » ne sont pas exclusivement associés aux produits de la demanderesse.

F. Y a‑t‑il probabilité de confusion?

[69] Tel qu’il est indiqué au paragraphe 49 de l’arrêt Masterpiece, il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion; « si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires. »

[70] La demanderesse renvoie la Cour au passage de la décision Axis Heating où le juge Roy a déclaré ce qui suit :

[69] Au final, l’évaluation de la probabilité de confusion en fonction de la seule preuve présentée de part et d’autre requiert la pondération des facteurs; comme le dit le professeur Vaver dans son Intellectual Property Law (2nd Ed. Irwin Law, 2011), « (n)o simple factor on or off the list – whether it is the mark’s fame or the defendant’s good or sad intent – is determinative. The whole case must be examined to determine whether, ultimately, the defendant’s trade mark or name is, or is likely to be, in fact confusing the plaintiff’s trader mark or name » [TRADUCTION] « Aucun facteur simple figurant ou non sur la liste – qu’il s’agisse de la notoriété de la marque ou de l’intention, bonne ou mauvaise, du défendeur – n’est déterminant. L’ensemble de l’affaire doit être examiné pour déterminer si, en fin de compte, la marque ou le nom du défendeur est, ou est susceptible d’être, en fait, confondu avec la marque ou le nom commercial du demandeur » (p. 531).

[70] L’exercice de pondération auquel la Cour est conviée en fonction des éléments d’appréciation du paragraphe 6(5) ne consiste pas à compter les « victoires » sur chaque élément. Le professeur Vaver, à sa manière humoristique habituelle, parle de « the game involves weight more than numbers » (p. 531) [TRADUCTION] « L’enjeu porte plus sur le poids que les nombres ». Il faut plutôt les soupeser pour conclure globalement si le consommateur mythique est susceptible à la confusion, selon la définition qui est donnée au paragraphe 6(2) de la Loi.

[71] […] Le consommateur mythique qui verrait les deux marques dans la même région, sur des chantiers différents par exemple (les deux s’identifient abondamment), aurait une première impression telle qu’il serait susceptible que les produits ou services liés aux marques respectives proviennent de la même personne : il y a probabilité de confusion. […]

[71] En l’espèce, même en effectuant mon propre examen du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) et de la manière dont cela peut avoir une incidence sur la pondération des facteurs, j’arrive à la même conclusion que la COMC. Malgré l’important caractère distinctif acquis d’INVISALIGN et, dans une moindre mesure, celui d’ALIGN, la protection accrue accordée aux marques en raison de la mesure dans laquelle elles ont été employées, le genre identique de produits et la nature identique du commerce ainsi que le fait que la demanderesse possède une petite famille de marques ALIGN, les différences entre les marques quant à la présentation, au son ou aux idées qu’elles suggèrent ont, de façon générale, prédominance et ne mèneraient pas à une probabilité de confusion. Le consommateur ordinaire, qui, en l’espèce, serait un consommateur qui prendrait plus de précautions étant donné que les produits en question sont onéreux (Masterpiece, aux para 67‑69; Mattel, au para 58; Clorox, au para 36), ne penserait probablement pas sous le coup de sa première impression que les produits associés à MAGICALIGN émanent de la même source que ceux associés à INVISALIGN et à ALIGN. Le degré de ressemblance dans la présentation, le son, ou les idées que les marques suggèrent est simplement trop faible.

[72] Je ne conclus pas que la nouvelle preuve pertinente qui a été présentée mène à une conclusion différente. La COMC n’a pas commis d’erreur.

[73] La COMC a jugé que la conclusion de l’analyse relative à la confusion s’appliquait aux motifs d’opposition fondés sur les articles 16 et 2, de sorte que la conclusion selon laquelle il n’y avait pas de probabilité de confusion a donné lieu au rejet également de ces autres motifs d’opposition. Je ne comprends pas que la demanderesse affirme qu’une erreur a été commise à cet égard. Par conséquent, l’appel quant aux autres motifs d’opposition est également rejeté vu mes conclusions en ce qui concerne la probabilité de confusion.

V. Dépens

[74] Les parties ont présenté leurs observations sur les dépens lors de l’audience de l’appel. Elles ont convenu que celle qui aurait gain de cause aurait droit aux dépens afférents à l’instance.

[75] La défenderesse a affirmé que la partie qui aurait gain de cause devrait avoir droit à des dépens de 4 500 $, débours compris. La demanderesse a fait valoir que, si elle avait gain de cause, les dépens pourraient être plus élevés en raison des éléments de preuve supplémentaires présentés en appel, et qu’une approche plus appropriée consisterait à fournir des observations distinctes au sujet des dépens.

[76] Puisque j’ai tranché en faveur de la défenderesse en appel, j’accorderai 4 500 $, honoraires et débours compris, et aucune autre observation ne sera nécessaire.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1935‑19

LA COUR STATUE :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Des dépens de 4 500 $, honoraires et débours compris, sont accordés à la défenderesse.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1935‑19

 

INTITULÉ :

ALIGN TECHNOLOGY, INC. c OSSTEMIMPLANT CO., LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 13 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

James Green

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John C. Cotter

Barry Fong

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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