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Date : 20220406


Dossier : T‑771‑21

Référence : 2022 CF 487

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

UBS GROUP AG

demanderesse

et

MOHAMAD HASSAN YONES, ABDULRHMAN ALAYA ET UNIFIED BUSINESS SOLUTIONS GROUP INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 3 février 2022, j’ai rendu un jugement par défaut dans une action en contrefaçon de marque de commerce dans l’affaire UBS Group AG c Yones, 2022 CF 132. Une semaine plus tard, les défendeurs ont déposé une requête qui vise effectivement à faire annuler ce jugement par défaut et à autoriser les particuliers défendeurs, Abdulrhman Alaya et Mohamad Hassan Yones, à représenter la société défenderesse, Unified Business Solutions Group Inc. [Unified]. Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête des défendeurs.

II. Les questions en litige

[2] La présente requête a été déposée par M. Alaya pour le compte de tous les défendeurs, y compris Unified. Il n’est pas question du choix qu’a fait M. Alaya ou M. Yones de se représenter seul : Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art 119 [les Règles]. Cependant, l’article 120 des Règles exige qu’une personne morale soit représentée par un avocat, à moins que la Cour n’accorde son autorisation. Je dois donc trancher la question de savoir si M. Alaya et M. Yones peuvent être autorisés à représenter Unified avant de me pencher sur l’autre question en litige dans la requête concernant Unified. Cette autre question est le point essentiel de la requête, car le jugement contesté est en grande partie un jugement à l’encontre de Unified, compte tenu de ma conclusion selon laquelle les dirigeants n’avaient pas engagé leur responsabilité personnelle quant aux actes posés par la société : UBS Group AG aux para 60‑64. Je fais remarquer incidemment que dans les motifs de mon jugement, j’ai utilisé le nom « Younes » pour désigner le premier défendeur poursuivi à titre personnel, car son nom était orthographié ainsi dans son adresse électronique et dans son bloc de signature : UBS Group AG au para 11. Toutefois, dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente requête, M. Alaya désigne son partenaire d’affaires par le nom « Yones ». J’utiliserai donc cette graphie dans la présente décision.

[3] Les défendeurs ont présenté le second volet de leur requête comme étant une requête en « réexamen » du jugement que j’ai rendu le 3 février 2022. Cependant, je suis d’accord avec UBS Group AG lorsqu’elle affirme que ce volet s’apparente davantage à une requête en annulation du jugement par défaut. La Cour peut examiner de nouveau une ordonnance, y compris un jugement, seulement dans des circonstances limitées, c’est‑à‑dire si l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui ont été donnés pour la justifier, si une question qui aurait dû être traitée a été « oubliée ou omise involontairement », ou si des fautes de transcription et des erreurs devaient être corrigées : Règles des Cours fédérales, art 2 (« ordonnance ») et 397. Aucune de ces circonstances ne s’applique en l’espèce.

[4] Les défendeurs cherchent plutôt à échapper aux conséquences d’un défaut et au jugement par défaut qui a été rendu en leur absence. Leur requête est donc essentiellement une requête visant à faire annuler le jugement par défaut au titre de l’article 399 des Règles. UBS Group AG a répondu à cette requête comme s’il s’agissait d’une requête en annulation du jugement par défaut, et je suis disposé à la traiter comme telle en dépit de la forme sous laquelle elle a été déposée, d’autant plus qu’elle a été préparée sans l’aide d’un avocat.

[5] Par conséquent, les questions à trancher dans la présente requête sont les suivantes :

  1. La Cour devrait‑elle autoriser Unified à se faire représenter par M. Alaya et/ou M. Yones?

  2. La Cour devrait‑elle annuler le jugement par défaut rendu le 3 février 2022?

III. Analyse

A. Les défendeurs n’ont pas démontré l’existence de circonstances particulières qui justifient que la personne morale se fasse représenter par l’un de ses dirigeants

(1) Le cadre juridique applicable à l’ordonnance demandée

[6] Les articles 119 à 126 des Règles des Cours fédérales régissent la représentation des parties devant la Cour fédérale. L’article 120 régit la représentation des personnes morales. Il est ainsi libellé :

Personne morale, société de personnes ou association

Corporations or unincorporated associations

120 Une personne morale, une société de personnes ou une association sans personnalité morale se fait représenter par un avocat dans toute instance, à moins que la Cour, à cause de circonstances particulières, ne l’autorise à se faire représenter par un de ses dirigeants, associés ou membres, selon le cas.

120 A corporation, partnership or unincorporated association shall be represented by a solicitor in all proceedings, unless the Court in special circumstances grants leave to it to be represented by an officer, partner or member, as the case may be.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[7] Une partie qui veut démontrer l’existence de « circonstances particulières » selon l’article 120 des Règles doit généralement établir (i) qu’elle n’a pas les moyens de se payer un avocat; (ii) que le représentant proposé ne sera pas tenu de comparaître comme porte‑parole et comme témoin; (iii) que les questions en litige ne sont pas complexes au point d’aller au‑delà des capacités du représentant proposé; et (iv) que l’action peut se poursuivre de manière expéditive : El Mocambo Rocks Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), 2012 CAF 98 aux para 3‑5; Alpha Marathon Technologies Inc c Dual Spiral Systems Inc, 2005 CF 1582 au para 3; Kobetek Systems Ltd c Canada, 1998 CanLII 7265 (CF). La démonstration qu’une personne morale n’a pas les moyens de se payer un avocat devrait généralement se faire « par la présentation de renseignements financiers clairs et complets concernant la personne morale, de préférence au moyen d’états financiers » : El Mocambo au para 4. Les critères précités ne sont ni déterminants ni exhaustifs, mais, en général, ils doivent être remplis pour démontrer l’existence de circonstances particulières justifiant qu’une ordonnance autorisant une société à se faire représenter par l’un de ses dirigeants soit rendue.

[8] Comme le fait remarquer UBS Group AG, la Cour d’appel fédérale a souligné à plusieurs reprises qu’une société doit présenter une preuve substantielle pour démontrer qu’elle n’a pas les moyens de se payer un avocat. Dans l’affaire Wang c Louis Vuitton, le juge Locke a conclu que, comme la société n’avait pas démontré qu’elle n’avait pas les moyens de se payer un avocat, il était inutile de se pencher sur les autres exigences relatives à l’ordonnance visée à l’article 120 des Règles : Wang c Louis Vuitton Malletier SA, 2019 CAF 199 aux para 5‑8. Dans cette affaire, même si la société avait soumis des relevés bancaires et des lettres de fournisseurs de services publics, elle n’avait fourni aucun « renseignement financier complet et clair » ni aucun état financier, et elle n’avait donc pas satisfait aux exigences des Règles : Wang c Louis Vuitton au para 7.

[9] De même, dans l’affaire El Mocambo, le juge Mainville a fait remarquer que la société n’avait fourni qu’un relevé bancaire, un avis d’impôt foncier et un sommaire de taxe, ce qui n’était pas suffisant pour conclure que la société n’avait pas la capacité de retenir les services d’un avocat : El Mocambo au para 6. Le juge Nadon a également conclu, dans l’affaire 1443900 Ontario, que « rien ne justifie » qu’il rende une ordonnance en application de l’article 120 des Règles et qu’il « doi[t] » rejeter la requête de la société parce qu’elle n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu’elle n’avait pas les moyens de retenir les services d’un avocat : 1443900 Ontario Inc c Canada, 2013 CAF 113 aux para 2‑3.

[10] Ces exigences ne sont pas simplement des obstacles procéduraux destinés à compliquer les choses pour les sociétés qui souhaitent être représentées devant la Cour fédérale. Elles sont le fruit d’une mise en balance entre les importants principes qui sous‑tendent la réglementation de la profession juridique, l’intérêt qu’a le public à utiliser efficacement l’accès qu’il a aux tribunaux au moyen de procédures judiciaires efficaces et rapides, et la nécessité d’un accès à la justice.

(2) La requête

[11] En l’espèce, la requête des défendeurs est appuyée par l’affidavit de M. Alaya, qui affirme que Unified n’a pas d’employés, qu’elle a été relativement inactive durant la pandémie de COVID‑19, qu’elle n’a pas généré beaucoup de revenus au cours de cette période, et qu’elle n’a [traduction] « ni liquidités, ni bénéfices nets importants ». M. Alaya soutient également que les défendeurs [traduction] « n’ont pas les moyens d’être représentés par un avocat ». Cependant, outre ces déclarations, les défendeurs n’ont fourni aucun « renseignement financier complet et clair » concernant la société ni aucun état financier. Par conséquent, et compte tenu de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, notamment des arrêts Wang c Louis Vuitton, El Mocambo et 1443900 Ontario, je dois conclure que les défendeurs n’ont pas présenté les éléments de preuve nécessaires pour démontrer qu’ils n’ont pas les moyens de retenir les services d’un avocat.

[12] Bien que les arrêts précités laissent entendre qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’affaire plus avant pour trancher cet aspect de la requête, je m’interroge aussi sur les autres critères qui doivent être remplis pour que l’ordonnance visée à l’article 120 des Règles puisse être rendue. Plus particulièrement, il semble que M. Alaya et M. Yones pourraient être des témoins importants des défendeurs dans le cadre de l’instance, car ils sont les cofondateurs de la société. Il ne faut pas forcément en conclure qu’ils ne peuvent pas représenter la société, car une règle aussi stricte pourrait causer un préjudice indu aux petites sociétés ou aux sociétés comptant peu d’actionnaires. Cependant, le fait que M. Alaya et M. Yones pourraient comparaître comme témoins demeure un facteur défavorable lorsqu’il s’agit de décider si la Cour doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’article 120 des Règles.

[13] Je tiens en outre à faire remarquer que les actions en contrefaçon de marque de commerce peuvent soulever des questions complexes concernant, entre autres, l’emploi et la confusion au sens de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13. Ces questions peuvent être complexes au point d’aller « au‑delà des capacités raisonnables du représentant proposé » : El Mocambo au para 3. Je ne cherche pas à mettre en doute les capacités ou les moyens de M. Alaya de façon générale, mais simplement à souligner qu’il sera plus difficile pour le représentant non juriste le mieux intentionné de trouver réponse à certaines des questions les plus complexes soulevées dans le cadre d’affaires de propriété intellectuelle. Là encore, il s’agit d’un facteur défavorable qui milite à l’encontre du prononcé d’une ordonnance au titre de l’article 120 des Règles.

[14] Par conséquent, je conclus que les défendeurs n’ont pas démontré l’existence de circonstances particulières justifiant que Unified se fasse représenter par un ou plusieurs de ses dirigeants.

[15] Cette conclusion serait suffisante pour trancher toutes les questions que soulève la requête des défendeurs concernant Unified. Puisque j’ai conclu que les dirigeants de Unified ne sont pas autorisés à représenter la société, la Cour ne devrait pas entendre la requête déposée par l’un de ces dirigeants en vue de faire annuler le jugement par défaut rendu contre Unified. J’examinerai tout de même la requête en annulation du jugement par défaut des défendeurs, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, comme je l’ai mentionné, M. Alaya et M. Yones ont le droit de se représenter seuls. Certes, je ne leur impose aucune responsabilité personnelle dans mon jugement par défaut, mais je leur ordonne de prendre certaines mesures à l’égard du nom de domaine de la société. Qui plus est, en tant que dirigeants de la société, ils sont touchés par l’injonction générale prise contre Unified. Ils ont donc la qualité pour demander l’annulation du jugement par défaut, du moins en ce qui concerne les aspects du jugement qui les touchent directement. En deuxième lieu, étant donné mes conclusions concernant la requête en annulation du jugement par défaut, j’estime qu’il convient de préciser que je suis d’avis de rejeter la requête telle qu’elle a été présentée, indépendamment de la question de la représentation.

B. Les défendeurs n’ont pas établi que le jugement par défaut devrait être annulé

(1) Le cadre juridique applicable à l’ordonnance demandée

[16] Comme je l’ai mentionné, la requête en annulation du jugement par défaut est fondée sur le paragraphe 399(1) des Règles, qui confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’annuler ou de modifier des ordonnances dans certaines circonstances. Cette disposition est ainsi libellée :

Annulation sur preuve prima facie

Setting aside or variance

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

399 (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

[17] La Cour d’appel fédérale a confirmé que, pour que sa requête visant à faire annuler un jugement par défaut soit accueillie, le défendeur doit démontrer (i) qu’il a une explication raisonnable en ce qui concerne l’omission de déposer une défense; (ii) qu’il a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande du demandeur; et (iii) qu’il a agi promptement ou dans un délai raisonnable pour faire annuler le jugement par défaut : Babis (Domenic Pub) c Premium Sports Broadcasting Inc, 2013 CAF 288 aux para 5‑6. Chacun des éléments de ce critère doit être satisfait : Babis au para 5; Benchmuel c Gags N Giggles, 2017 CF 720 aux para 31‑33; Moroccanoil Israel Ltd c Laboratoires parisiens Canada (1989) inc, 2012 CF 962 aux para 18‑20.

(2) La requête

[18] Nul ne conteste que les défendeurs ont agi promptement après le prononcé du jugement par défaut, puisqu’ils ont déposé leur requête en annulation une semaine après la date du jugement par défaut. Cependant, UBS Group AG soutient que les défendeurs n’ont pas satisfait aux deux autres éléments du critère, car ils n’ont pas fourni une explication raisonnable en ce qui concerne leur omission de déposer une défense et ils n’ont pas démontré qu’ils ont une défense prima facie sur le fond. Pour les motifs qui suivent, je souscris à l’avis de UBS Group AG selon lequel les défendeurs n’ont pas satisfait aux critères pour que la Cour annule le jugement par défaut.

a) L’explication fournie pour justifier l’omission de déposer une défense

[19] Dans les motifs de mon jugement par défaut, j’ai mentionné les démarches faites par UBS Group AG avant l’instance, ce qui comprenait l’envoi d’une mise en demeure aux défendeurs et un appel téléphonique de suivi : UBS Group AG aux para 19‑20. Dans son affidavit, M. Alaya affirme que les défendeurs pensaient qu’il s’agissait simplement d’une escroquerie, car ils savaient que des gens se faisaient couramment passer pour des représentants de l’Agence du revenu du Canada ou d’un tribunal pour extorquer de l’argent. Quoi qu’il en soit, il semble que les défendeurs aient reconnu qu’une action avait été introduite et qu’ils devaient y répondre lorsqu’ils ont reçu signification de la déclaration de UBS Group AG.

[20] Dans leur requête, les défendeurs font valoir qu’ils ont essayé de déposer une défense le 14 juin 2021, mais que, comme ils n’avaient pas les connaissances juridiques nécessaires, ils n’ont pas pu respecter le délai pour le dépôt. Plus particulièrement, ils ont fait référence au numéro de confirmation que leur avait transmis la Cour le 14 juin 2021 lorsqu’ils ont essayé de déposer leur défense au moyen du système de dépôt électronique de la Cour.

[21] Comme je l’ai indiqué dans la directive que j’ai donnée aux parties le 3 mars 2022, le dossier de la Cour contient les renseignements suivants en ce qui concerne le numéro de confirmation mentionné par les défendeurs :

  • M. Alaya a essayé de déposer une simple défense contenant une allégation générale de rejet le 14 juin 2021 par voie électronique.
  • Un agent du greffe de la Cour fédérale a appelé M. Alaya le 15 juin 2021 pour lui demander s’il déposait une défense uniquement en son nom personnel ou au nom de tous les défendeurs, ainsi que pour l’informer qu’il devait présenter une preuve de signification, car aucune n’avait été déposée.
  • M. Alaya a répondu qu’il déposait une défense au nom de tous les défendeurs. L’agent du greffe a informé M. Alaya que l’article 120 des Règles exige qu’une personne morale se fasse représenter par un avocat, à moins que la Cour ne l’autorise à se faire représenter par l’un de ses dirigeants. M. Alaya a dit à l’agent du greffe qu’il demanderait une prorogation du délai pour déposer une défense et qu’il présenterait une requête en vue d’obtenir l’autorisation de représenter la société ou qu’il retiendrait les services d’un avocat.
  • En conséquence, la défense n’a pas été acceptée pour dépôt.

[22] Comme je l’ai mentionné dans ma directive, aucun renseignement concernant la conversation téléphonique du 15 juin 2021 avec l’agent du greffe n’a été fourni dans l’affidavit soumis par M. Alaya dans le cadre de la présente requête ou dans les observations écrites des défendeurs. Dans ma directive, j’invitais les parties à présenter des éléments de preuve supplémentaires en réponse ou de brèves observations. Dans leurs brèves observations écrites supplémentaires, les défendeurs s’excusaient de ne pas avoir mentionné la conversation parce qu’ils l’avaient oubliée. Ils ont fait référence au trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) de M. Alaya, au fait qu’il avait reporté le dépôt jusqu’à ce que le délai ait expiré, et à ses difficultés à signifier et à déposer une défense pour la première fois, en particulier dans le contexte de la pandémie.

[23] J’ai de grandes réserves à l’égard des défendeurs, qui demandent une mesure de redressement discrétionnaire à la Cour et cherchent à invoquer leur tentative de déposer une défense sans faire mention de leurs conversations subséquentes avec un agent du greffe, au cours desquelles ils ont expliqué pourquoi ils n’avaient pas soumis le document en question et ont été informés des démarches à suivre pour le faire. D’après leur requête, même s’ils ne possédaient aucune formation juridique, les défendeurs semblent s’être rendu compte qu’ils devaient expliquer pourquoi ils n’avaient pas déposé de défense. Ils ont donc invoqué leur tentative de déposer une défense en juin 2021. Ce n’est pas un léger oubli que de faire référence à ce type de tentative en omettant de mentionner les explications fournies par l’agent du greffe au sujet des démarches à suivre, car cette omission était directement pertinente quant à la question de savoir si les défendeurs avaient expliqué de façon satisfaisante les raisons pour lesquelles ils n’avaient pas déposé de défense.

[24] Même si je conviens qu’il s’agissait d’un oubli, je conclus toutefois que, dans les documents qu’ils ont présentés, les défendeurs n’ont pas fourni d’explication raisonnable pour justifier leur omission de signifier et de déposer une défense après le 15 juin 2021.

[25] D’après le dossier, les défendeurs ont été informés, le 15 juin 2021, qu’ils devaient signifier leur défense avant de la déposer et que, s’ils déposaient celle‑ci au nom de Unified, la société devait être représentée par un avocat ou demander l’autorisation de se faire représenter par l’un de ses dirigeants. M. Alaya a affirmé que les défendeurs demanderaient une prorogation du délai et qu’ils présenteraient une demande d’autorisation. Après cette date, les défendeurs n’ont fait ni l’un ni l’autre, et n’ont présenté aucun élément de preuve des démarches ou des efforts qu’ils ont entrepris à cette fin. Les particuliers défendeurs n’ont pas non plus essayé de signifier ou de déposer ne serait‑ce que leur défense générale en leur propre nom. Les seules explications fournies par les défendeurs pour cette inaction sont le TDAH de M. Alaya, le fait qu’il avait reporté le dépôt de la défense jusqu’à ce que le délai ait expiré, et les difficultés liées à l’absence de représentation par un avocat.

[26] Je reconnais certes les difficultés auxquelles se heurtent les parties qui agissent en leur propre nom, mais je ne peux conclure que les explications générales fournies par les défendeurs pour justifier leur absence d’efforts supplémentaires sont suffisantes pour satisfaire au premier élément du critère à remplir pour faire annuler un jugement par défaut. Reporter simplement une tâche jusqu’à ce qu’il soit trop tard n’est pas une explication raisonnable. Je ne dispose d’aucun renseignement concernant le trouble de M. Alaya, si ce n’est qu’il l’a décrit comme un [traduction] « TDAH important ». Je ne peux donc pas en arriver à la conclusion que des problèmes de santé mentale ont joué un rôle important dans son omission de déposer une défense. Quoi qu’il en soit, rien ne prouve que M. Yones n’aurait pas pu intervenir s’il était difficile, voire impossible, pour M. Alaya de faire le nécessaire en raison de son trouble.

[27] Je souligne que le défaut s’est poursuivi pendant une longue période. UBS Group AG a présenté sa requête en jugement par défaut le 13 décembre 2021, soit six mois après la date limite pour le dépôt d’une défense et la conversation de M. Alaya avec l’agent du greffe de la Cour. J’ai entendu cette requête le 11 janvier 2022, et j’ai rendu mon jugement par défaut le 3 février 2022. Rien n’indique que les défendeurs ont fait des démarches durant les sept mois et demi qui se sont écoulés entre la tentative de dépôt d’une défense et la date où j’ai rendu mon jugement par défaut. Le fait de se représenter seul comporte certes des difficultés dont il faut tenir compte et à l’égard desquelles des mesures d’adaptation raisonnables devraient être prises si aucun préjudice n’est causé aux autres parties, mais il ne permet pas d’éviter ou d’ignorer complètement les Règles des Cours fédérales, y compris l’obligation de répondre à une action en justice.

[28] Je conclus donc que les défendeurs n’ont pas satisfait au premier élément du critère à remplir pour faire annuler un jugement par défaut.

b) La défense prima facie sur le fond

[29] Les motifs qui précèdent sont suffisants pour rejeter la requête en annulation du jugement par défaut. Toutefois, je conclus également que les défendeurs n’ont présenté aucune défense prima facie relativement aux allégations de contrefaçon d’une marque de commerce de UBS Group AG, comme l’exige l’article 399 des Règles. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une norme élevée, les éléments matériels fournis par les défendeurs ne la satisfont pas.

[30] Dans son affidavit, M. Alaya affirme que, lors de la création de leur société, les défendeurs ne connaissaient pas UBS Group AG et n’ont pas essayé de l’imiter ou d’imiter son logo. Il soutient plutôt que le logo de Unified est composé de quatre trombones imbriqués qui symbolisent l’intégration des services offerts par la société. Il a joint à son affidavit une copie du motif de trombones qui a inspiré leur logo, logo d’ailleurs reproduit dans le jugement par défaut : UBS Group AG au para 12.

[31] Je ne peux conclure que cette preuve constitue une défense prima facie relativement aux allégations de UBS Group AG, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’intention des défendeurs lors de la création de leur marque n’est guère pertinente en ce qui concerne les questions de fond relatives à la contrefaçon qui ont été soulevées par UBS Group AG dans sa requête en jugement par défaut : Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 90. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 90 de l’arrêt Mattel :

[…] [D]ans le cadre du par. 6(2) de la Loi sur les marques de commerce, ce n’est pas le point de vue de l’intimée qu’il faut adopter, mais plutôt celui du consommateur mythique concerné. L’intention coupable n’est guère pertinente en ce qui concerne la confusion […]. Il est établi depuis [...] [1863] [...] que le droit à une marque de commerce est un droit de propriété. Si, comme l’affirme l’appelante, les activités de l’intimée constituent une intrusion sur le territoire commercial protégé par ses marques de commerce BARBIE, il ne servirait à rien que l’intimée invoque en défense qu’elle n’avait pas l’intention de causer pareille intrusion.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[32] Il convient de souligner que, lorsque je me suis prononcé sur la requête en jugement par défaut, je n’ai pas conclu que les défendeurs avaient adopté une marque de commerce créant de la confusion, et je ne me suis pas non plus appuyé sur la question de l’intention pour en arriver à la conclusion que la marque de commerce de Unified créait de la confusion avec les marques de commerce enregistrées de UBS Group AG : UBS Group AG aux para 31‑48. Mon analyse de la contrefaçon était plutôt fondée sur les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce.

[33] Deuxièmement, le motif des trombones (que j’ai décrit comme un « motif hexagonal de nœuds tissés »), ainsi que ses similitudes et ses différences avec le motif des trois clés de UBS Group AG, n’était pertinent en ce qui concerne l’analyse de la confusion que dans la mesure où il permettait de répondre aux allégations selon lesquelles le dessin‑marque UBS de Unified constituait une contrefaçon des marques de commerce de UBS Group AG. Ce motif n’était pas pertinent pour l’analyse de la confusion entre les marques nominales UBS de Unified (c’est‑à‑dire sa marque de commerce UBS GROUP et ses noms commerciaux UBS Group et UBS Group Inc.) : UBS Group AG aux para 33‑38. La preuve concernant la création du dessin‑marque ne peut donc pas être considérée comme une défense prima facie sur le fond à opposer à ces aspects de la demande, qui constituent des motifs indépendants pour conclure qu’il y a contrefaçon.

[34] Les déclarations précédentes au sujet de l’intention pourraient également être pertinentes pour trancher la question des dommages‑intérêts punitifs. Cependant, comme j’en suis arrivé à la conclusion qu’aucuns dommages‑intérêts punitifs ne devaient être accordés, même en l’absence d’éléments de preuve au sujet de l’intention, je ne peux pas conclure que les déclarations au sujet de l’intention constituent une défense prima facie et que cette défense pourrait justifier l’annulation du jugement par défaut : UBS Group AG aux para 55‑59.

[35] La preuve présentée par les défendeurs fournit quelques renseignements qui peuvent être pertinents pour apprécier certains aspects de l’analyse de la confusion, notamment le genre de services qu’ils offrent et d’entreprises qu’ils exploitent. Plus particulièrement, M. Alaya affirme que la clientèle cible d’Unifed comprend surtout les réfugiés syriens de leur communauté qui tentent de démarrer une entreprise, et que la société a été relativement inactive durant la pandémie. Bien que ces facteurs puissent être pris en compte dans l’analyse de la confusion, je ne peux pas conclure qu’ils sont suffisamment pertinents pour constituer une défense prima facie relativement aux allégations de contrefaçon.

[36] L’inactivité relative de la société et sa santé financière apparente pourraient également être pertinentes dans l’évaluation des dommages‑intérêts pour contrefaçon de marque de commerce. Comme je l’ai fait remarquer dans les motifs de mon jugement, les dommages‑intérêts de 12 000 $ que j’ai accordés en l’absence de preuve de la part des défendeurs étaient fondés sur la meilleure estimation qui soit au vu des éléments de preuve dont je disposais : UBS Group AG aux para 52‑54. Les éléments de preuve concernant l’étendue des activités de Unified pourraient donc être pertinents pour opposer une défense ou une défense partielle à la demande en dommages‑intérêts de UBS Group AG. Cependant, là encore, compte tenu de l’insuffisance des renseignements fournis par les défendeurs dans le cadre de la présente requête au sujet de leur société, notamment sur des questions telles que les revenus de la société à ce jour, je me retrouve en bonne partie dans la même situation en ce qui concerne la preuve du préjudice que lorsque j’ai rendu mon jugement par défaut. Je ne peux pas conclure que les renseignements présentés par les défendeurs dans leur requête constituent une défense prima facie relativement à la question des dommages‑intérêts.

[37] Par conséquent, je conclus qu’en plus de ne pas avoir expliqué adéquatement les raisons pour lesquelles ils n’ont pas déposé de défense, les défendeurs n’ont pas établi qu’ils ont une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande, comme ils étaient tenus de le faire pour obtenir une ordonnance annulant le jugement par défaut.

IV. Conclusion

[38] Les défendeurs ne m’ont pas convaincu qu’il existe des circonstances particulières qui justifient que Unified se fasse représenter par ses dirigeants. Ils ne m’ont pas non plus convaincu qu’ils ont rempli les critères pour obtenir une ordonnance annulant le jugement par défaut. La requête des défendeurs sera par conséquent rejetée.

[39] Je reconnais que, comme l’a souligné M. Alaya, le jugement par défaut est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur Unified et d’avoir une incidence indirecte sur les défendeurs poursuivis à titre personnel. Or, ces conséquences découlent au bout du compte de l’adoption, par Unified, d’une marque de commerce créant de la confusion, de son omission de répondre aux demandes de UBS Group AG concernant cette marque de commerce, et de son défaut de répondre à une action en justice, alors qu’elle savait apparemment qu’elle devait y répondre.

[40] UBS Group AG sollicite les dépens afférents à la requête, soit la somme forfaitaire de 3 000 $. Elle fait valoir à juste titre qu’elle était tenue de répondre à la requête, qui a été déposée par les défendeurs et est due au fait que ces derniers n’avaient pas participé à l’action dès le départ. Cela dit, dans les circonstances, je ne suis pas d’avis qu’il s’agit d’un cas où les dépens devraient dépasser les montants prévus dans le tarif, contrairement à ce que demande UBS Group AG. Compte tenu de la nature et du contexte de la requête et des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, je conclus qu’il convient d’adjuger des dépens représentant environ le milieu de la fourchette de la colonne III pour une requête contestée et d’accorder à la demanderesse la somme de 750,00 $.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑771‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défendeurs est rejetée.

  2. Les défendeurs versent sans délai des dépens à la demanderesse, dont la somme totale est fixée à 750,00 $.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑771‑21

 

INTITULÉ :

UBS GROUP AG c MOHAMAD HASSAN YONES ET AUTRES

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVRIL 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

R. Nelson Godfrey

Sebastien Gardere

Nicholas James

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Abdulrhman Alaya

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada), S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

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