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Date : 20051128

Dossier : T-262-05

Référence : 2005 CF 1611

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2005

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HANSEN

 

 

ENTRE :

 

WING WAH FOOD MANUFACTORY PRODUCTS INC.

demanderesse

 

 

et

 

 

CHINA BRANDS FOOD PRODUCTS INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Wing Wah Manufactory Products Inc. (la demanderesse) interjette appel de la décision rendue le 13 décembre 2004 par le registraire des marques de commerce (le registraire) portant rejet de l'opposition de la demanderesse à la demande no 896 710 produite par China Brands Food Products Inc. (la défenderesse) en vue de l’enregistrement de la marque de commerce PEONY BRAND & dessin (PEONY BRAND).

 

HISTORIQUE

[2]               Le 19 novembre 1998, la défenderesse a déposé une demande d'enregistrement de la marque de commerce PEONY BRAND en liaison avec des solutions de colorants alimentaires, en se fondant sur l'emploi de la marque au Canada depuis 1979. Le 24 janvier 2000, la demanderesse a produit une déclaration d'opposition. Le 4 mai 2001, la défenderesse a modifié la demande pour indiquer que la marque de commerce faisant l'objet de la demande était employée au Canada par la défenderesse ou par sa prédécesseure en titre, China Brand Foods Co., depuis 1979.

 

[3]               La demanderesse s'est opposée à la demande pour divers motifs. Le seul motif pertinent pour les fins du présent appel consiste en ce que la demande ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi). C’est en ces termes que le registraire a formulé le motif d'opposition :

[traduction] Le premier volet est la prétention de l'opposante selon laquelle la demanderesse ne peut revendiquer une date de premier emploi remontant à 1979, en l'absence de preuve du transfert à la demanderesse de la marque de commerce faisant l'objet de la demande lorsque celle-ci a été constituée en 1986.

 

 

[4]               La preuve dont dispose le registraire est composée de l'affidavit de M. Lee, président de la défenderesse, ainsi que de la transcription du contre‑interrogatoire de celui‑ci. Dans ses motifs, le registraire a noté ce qui suit en ce qui concerne ce motif d'opposition :

-      La défenderesse a été constituée en 1986 pour succéder à l’entreprise fondée par China Brands Foods Co. en 1978.

 

-      M. Lee et M. Kong étaient associés au sein de China Brands Foods Co.

 

-           Leur association aurait pris fin avec le départ à la retraite de M. Kong et le transfert du commerce à la défenderesse.

 

-           La marque de commerce faisant l'objet de la demande a été conçue en 1978.

 

-           Une facture émise par l’entreprise datée du mois de septembre 1979 portait la marque de commerce.

 

-           La transcription du contre‑interrogatoire révèle que M. Lee éprouvait des difficultés en anglais et qu'il n’a pas compris certaines questions.

 

-           Interrogé sur la cession de la société en nom collectif à la défenderesse, M. Lee a répondu qu'il n'y avait pas de document; il semble qu'il n'ait pas compris la question.

 

-      Étant donné que M. Lee était à la fois associé au sein de la société en nom collectif prédécesseure et président de la défenderesse, il semblait probable que l’entreprise de la société en nom collectif ait été transférée à la défenderesse en 1986, soit verbalement, soit par écrit.

 

 

[5]               Sur ce motif, le registraire a conclu ce qui suit :

[traduction] L'opposante s'est fondée sur la réponse négative de M. Lee en contre‑interrogatoire quant à l'existence d'un document de cession. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, M. Lee n'a visiblement pas compris toutes les questions qui lui ont été posées. Plus important encore, la preuve démontre que China Brand Foods Products Inc. a été constituée pour succéder à China Brand Foods Co. Je conclus selon la prépondérance des probabilités que l’entreprise a bel et bien été transférée, de même que la marque de commerce faisant l'objet de la demande.

 

[6]               La seule question en litige dans le présent appel consiste à savoir si le registraire a commis une erreur en tirant cette conclusion.

 

NORME DE CONTRÔLE

[7]               Aux paragraphes 46 et 51 de l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (CAF), le juge Rothstein a tenu les propos suivants en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision du registraire :

Du fait qu’il offre l’opportunité de produire une nouvelle preuve, l’appel prévu à l’article 56 n’est pas une disposition d’appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l’objet de l’appel. Un appel régulier n’est pas interdit si aucune preuve additionnelle n’est produite, mais il n’y a aucune obligation de procéder ainsi. L’appel prévu n’est pas non plus un « procès de novo » au sens strict du terme. [...]

Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

[8]               Bien qu'un nouvel affidavit ait été déposé en appel, les deux parties ont convenu que son contenu est essentiellement identique à celui de l'affidavit déposé dans l'instance initiale. Les deux parties ont donc convenu – et j’en conviens aussi – que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[9]               La demanderesse prétend que rien n’étaye la conclusion du registraire qu'il y a eu cession de l’entreprise, et avec elle la marque de commerce faisant l'objet de la demande. Plus particulièrement, rien ne démontre que la marque de commerce a été cédée ou transférée par l'ancienne société en nom collectif à la défenderesse. La demanderesse souligne le passage dans la transcription du contre‑interrogatoire dans lequel M. Lee a répondu [traduction] « Non, non. Rien. » lorsqu'on lui a demandé s'il existait [traduction] « quelque document que ce soit opérant le transfert de tous les éléments d'actif ».

 

[10]           La demanderesse soutient que s'il y avait eu un transfert verbal, la défenderesse aurait confirmé par des éléments de preuve concrets que le transfert a bel et bien eu lieu, comme par exemple un affidavit de M. Lee ou de M. Kong attestant l'existence d'un transfert verbal.

 

[11]           La demanderesse souligne également qu’il ressort de l'acte d'enregistrement de société de la province d'Ontario concernant China Brand Foods Co. que celle-ci a été enregistrée le 19 juillet 1978 et pris fin le 18 juillet 1983. En se fondant sur cet élément de preuve, la demanderesse prétend que la société en nom collectif ayant été dissoute en 1983, il n'existait pas alors de société en nom collectif capable d'effectuer le transfert de la marque de commerce.

 

[12]           La demanderesse affirme qu’il s’agit en l'espèce d’une [traduction] « situation bien particulière en matière de preuve ». Invoquant l'arrêt John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd. (1990), 36 F.T.R. 70, la demanderesse prétend qu'en dépit du fardeau qui incombe à un demandeur de déposer des éléments de preuve à l’appui du motif de non-conformité, s’il dispose de renseignements particuliers, il lui appartient de les déposer. Une inférence négative peut être tirée de son omission de le faire. Selon la demanderesse, la Cour devrait tirer une inférence négative de l’omission de la défenderesse de produire un affidavit dans le cadre du présent appel. La demanderesse invoque également l'arrêt Sim & McBurney c. Majdell Manufacturing Co. Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 306 (C.F.), pour la proposition voulant qu’il incombe à la défenderesse de déposer en appel d'autres éléments de preuve relatifs au transfert de la marque de commerce de la société en nom collectif à la défenderesse.

 

[13]           Enfin, la demanderesse plaide que les Règles de la Cour fédérale (1998) s'appliquent aux procédures instruites devant le registraire. L'article 245 des Règles exige que la personne interrogée au préalable corrige ou complète sa réponse lorsque cette dernière n'est plus exacte ou complète. La demanderesse prétend que la défenderesse n'a rien fait pour compléter la réponse fournie par M. Lee lors de son contre‑interrogatoire à la question de la demanderesse quant à savoir s’il y a eu cession.

 

[14]           De l’avis de la défenderesse, la conclusion tirée par le registraire n'est pas déraisonnable compte tenu de l'ensemble de la preuve et des inférences qui en découlent. En outre, la défenderesse prétend qu'il n'y a rien à corriger dans la transcription parce que M. Lee a fourni des réponses complètes et exactes lors du contre‑interrogatoire.

 

ANALYSE

[15]           Avant de passer aux arguments précis soulevés par la demanderesse, il convient de noter que le paragraphe 48(1) de la Loi n'exige nullement que le transfert d'une marque de commerce –enregistrée ou non – soit constaté par écrit.

 

[16]           Bien qu'aucune preuve documentaire n’atteste le transfert des droits sur la marque de commerce entre la société en nom collectif et la société par actions, il était à mon avis raisonnablement loisible au registraire de conclure que le fonds de commerce de la société en nom collectif – dont les droits concernant la marque de commerce – a été transféré à la défenderesse au moment de sa constitution. La demande d’enregistrement de la marque de commerce a été modifiée de manière à identifier la société en nom collectif comme prédécesseure en titre, et M. Lee a témoigné que la société en nom collectif était la prédécesseure de la défenderesse. Dans son affidavit, M. Lee a déclaré que la défenderesse et sa prédécesseure ont [traduction] « produit et distribué leur propre mélange de solutions de colorants alimentaires et de sauces depuis 1978 ». L'acte d'enregistrement de société de la province d'Ontario fait état d’une date d'enregistrement remontant à juillet 1978. Il appert du contre‑interrogatoire de M. Lee que la société en nom collectif avait cessé d'exister lorsque la défenderesse a été constituée. En ce qui concerne l'étiquetage du produit, on a demandé à M. Lee, en contre‑interrogatoire, à quel moment il avait commencé à employer l'étiquette du produit portant la raison sociale de la société par actions plutôt que celle de la société en nom collectif. M. Lee a répondu que c’est lorsqu’il a épuisé les anciennes étiquettes qu’il a entrepris d’apposer sur les nouvelles étiquettes la raison sociale de la société par actions.

 

[17]           Quant à l’argument de la demanderesse portant que la société en nom collectif n’aurait pas pu transférer la marque de commerce à la défenderesse du fait qu’elle avait cessé d'exister, je suis d'avis que l’omission de remplir l’exigence administrative qui consiste en l’enregistrement sous le régime de la loi provinciale n'a pas eu de conséquence sur l'existence de ladite société.

 

[18]           Je rejette également l’argument de la demanderesse selon laquelle il faudrait tirer une inférence négative de l’omission de la défenderesse de déposer d'autres éléments de preuve dans le cadre du présent appel. Le paragraphe 56(5) de la Loi est une disposition facultative qui permet aux parties de saisir la Cour d’éléments de preuve supplémentaires et qui n'impose à aucune partie l'obligation de déposer en appel de nouveaux éléments de preuve. Le registraire disposait amplement d’éléments de preuve lui permettant de conclure que la défenderesse avait été constituée en société par actions pour succéder à la société en nom collectif. Quant à la prétention de la demanderesse qu’un affidavit de l'associé de M. Lee aurait dû avoir été produit, M. Lee a dit de lui en contre‑interrogatoire qu'il était un associé passif ne prenant pas part aux activités de la société en nom collectif.

 

[19]           En outre, l'arrêt Sim & McBurney, précité, invoqué par la demanderesse ne s'applique aucunement aux faits de l'espèce. Cette affaire porte sur une procédure de radiation engagée en application de l'article 45 de la Loi, dans laquelle seul le propriétaire inscrit de la marque de commerce peut déposer une preuve par affidavit et où le contre‑interrogatoire sur affidavit n’est pas permis. Si le propriétaire de la marque de commerce dépose un affidavit vague concernant l'emploi et ne produit aucun nouvel élément de preuve en appel, il conviendra alors de tirer une inférence négative. Il n'existe en l’espèce aucune incertitude nécessitant le dépôt d'éléments de preuve additionnels.

 

[20]           Enfin, bien que la demanderesse ait pu être insatisfaite de la réponse fournie par M. Lee en contre‑interrogatoire, nous ne sommes pas en présence d’une réponse qui n'est « plus exacte ou complète ».

 

[21]           Pour ces motifs, l’appel est rejeté et les dépens adjugés à la défenderesse.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de l’appel, avec dépens adjugés à la défenderesse.

 

« Dolores M. Hansen »

 

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            T-262-05

 

INTITULÉ :                                                                           WING WAH MANUFACTORY PRODUCTS INC.

                                                                                                et

                                                            CHINA BRANDS FOOD PRODUCTS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 14 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LA JUGE HANSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 29 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth D. McKay

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mark L. Robbins

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

SIM, LOWMAN, ASHTON & McKAY LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

                                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

BERESKIN & PARR

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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