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Date : 20050920

Dossier : T-1742-03

Référence : 2005 CF 1283

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 SEPTEMBRE 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                        AVENTIS PHARMA INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                    APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

et

SCHERING CORPORATION

défenderesse/brevetée

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHE

I.           Introduction........................................................................................................................1

II           Nature de l'instance.......................................................................................................... 11

III.        Stéréochimie.....................................................................................................................25

IV.        Historique.........................................................................................................................35

V.        Travaux de Schering sur les inhibiteurs de l'ECA............................................................43

VI.       Le brevet 206 ....................................................................................................................53

VII.      Interprétation de la revendication 12.................................................................................61

VIII.     Questions en litige ...........................................................................................................73

IX.       La charge de la preuve et la norme de preuve ..................................................................75

X.        Prédiction valable .............................................................................................................81

(i)          Date pertinente pour évaluer la validité de la prédiction de Schering ..................88

(ii)         La prédiction avait-elle un fondement factuel? Les inventeurs avaient-il un raisonnement clair qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité?................................................................................................................98

            (iii)        Conclusion sur les deux premiers volets du critère de l'arrêt Wellcome.............156

            (iv)        Y a-t-il eu une divulgation suffisante?................................................................159

a)    Exploitabilité de l'exemple 20A...................................................................167

b)    Suffisance de l'avis d'allégation...................................................................174

c)    L'exemple 20A fonctionne-t-il?...................................................................178

d)    Les déclarations de Barton, de Teetz et de Taylor devraient-elles

être admises en preuve?................................................................................194

e)    Analyse de l'exploitabilité de l'exemple 20.................................................207

f)     Existait-il d'autres façons non inventives de créer le composé?..................217

g)    Suffisance en ce qui concerne les questions de séparation et de caractérisation...............................................................................................223

h)    Analyse.........................................................................................................243

(v)       Conclusions sur le troisième volet du critère de l'arrêt Wellcome......................253


(vi)        Conclusion sur la prédiction valable...................................................................255

XI.       Les revendications en litige du brevet 206 sont-elles invalides pour défaut de satisfaire aux exigences du paragraphe 34(1) de l'ancienne Loi sur les Brevets?...................................259

XII.     Les revendications en litige ont-elles une portée plus large que l'invention ou sont-elles inutiles?.............................................................................................................................269

(i)          Règles de droit relatives à l'utilité .......................................................................270

(ii)         Qu'est-ce que le brevet 206 promet au chapitre de l'utilité?................................276

(iii)        Preuve relative à l'utilité ......................................................................................282

(iv)        Analyse..................................................................................................................294

(v)         Conclusion sur la question de l'utilité...................................................................322

XIII.      Questions de chevauchement ...........................................................................................323

XIV.    Les revendications en litige sont-elles invalides pour cause d'antériorité?.......................332

XV.     Les revendications en litige dans le brevet 206 sont-elles invalides

            en raison du paragraphe 61(2) de l'ancienne Loi sur les brevets?.....................................350

XVI.     Les revendications en litige dans le brevet 206 sont-elles invalides

            pour cause de double brevet? ...........................................................................................355

XVII. Conclusion........................................................................................................................369

XVIII.         Dépens...............................................................................................................................370

XIX.    Ordonnance.......................................................................................................................372


I.          INTRODUCTION

[1]                L'angiotensine I est un peptide que l'on retrouve à l'état naturel dans le corps humain. Sous l'action d'une enzyme appelée enzyme de conversion de l'angiotensine ou ECA, l'angiotensine I est convertie par l'organisme en un second peptide appelé angiotensine II. L'angiotensine II est un vasoconstricteur ou un vasopresseur. Autrement dit, il cause la contraction des muscles entourant les vaisseaux sanguins, ce qui réduit le calibre de ces vaisseaux et fait augmenter la pression sanguine.

[2]                On a depuis longtemps posé le principe que si l'on pouvait influer sur la synthèse de l'angiotensine II en inhibant l'ECA, on pourrait abaisser la pression sanguine chez les humains. À la fin des années soixante-dix, un certain nombre de sociétés pharmaceutiques s'adonnaient activement à des recherches dans ce domaine.

[3]                Le 20 octobre 1981, Schering Corporation a déposé une demande de brevet canadien pour un groupe de composés censés être utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs. Ayant fait l'objet d'une longue instance en conflit de priorité, le brevet 1,341,206 (le brevet 206) n'a été délivré que le 20 mars 2001.

[4]                En vertu d'une licence accordée par Schering, Aventis Pharma Inc. fabrique un médicament contenant du ramipril, l'un des composés visés par le brevet 206. On s'accorde à reconnaître que le ramipril est un inhibiteur de l'ACE extrêmement efficace.

[5]                Conformément à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, Apotex Inc. a, le 20 juin 2003, signifié à Aventis un avis d'allégation concernant le ramipril. Dans son avis, Apotex invoque plusieurs raisons pour affirmer que le brevet 206 est invalide. Apotex soutient que Schering n'avait aucune raison valable lui permettant de prédire valablement que les composés du brevet 206 et, en particulier, ceux de la revendication 12 de ce brevet seraient utiles, en ce sens qu'ils serviraient à leurs fins déclarées. Apotex affirme par ailleurs que le brevet 206 est invalide étant donné que les revendications ont une portée plus large que l'invention revendiquée, et qu'il est inutile. Apotex conteste aussi la validité du brevet 206 pour des motifs d'insuffisance, d'antériorité et de double brevet.

[6]                De plus, Apotex invoque le paragraphe 61(2) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4 dans sa rédaction en vigueur avant 1989 (l'ancienne Loi sur les brevets) pour affirmer que le brevet 206 n'aurait pas dû être délivré compte tenu du fait que d'autres brevets avaient été octroyés au prédécesseur d'Aventis, Hoechst Aktiengesellschaft (brevet 1,187,087 ou brevet 087 et brevet 1,246,457 ou brevet 457). Le brevet 087 vise certains des composés qui se retrouvent dans le brevet 206, dont le ramipril, tandis que le brevet 457 vise l'utilisation de composés, dont le ramipril, pour le traitement de l'insuffisance cardiaque.

[7]                Enfin, Apotex affirme qu'on aurait dû déclarer l'existence d'un conflit entre le brevet 206 et le brevet 087.

[8]                Dans la présente demande, Aventis sollicite une ordonnance déclarant que l'avis d'allégation n'est pas un avis d'allégation valide au sens du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). À titre subsidiaire, Aventis sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le ramipril tant que le brevet 206 ne sera pas expiré. À cause de son intérêt dans la présente instance, en tant que propriétaire du brevet 206, Schering a été constituée codéfenderesse dans la présente affaire, même si elle partage les mêmes intérêts que ceux d'Aventis.

[9]                Le ministre de la Santé n'a pas participé à l'instruction de la présente affaire.

[10]            Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande d'Aventis.

II.       NATURE DE L'INSTANCE


[11]            La demande d'Aventis est introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). L'historique législatif et l'objet de ce règlement ont été relatés en détail dans plusieurs décisions et il n'est pas nécessaire de les répéter ici (voir, par exemple, les décisions Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005 A.C.S. no 26; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 662, 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855, 7 C.P.R. (4th) 272, et Novartis AG et al. c. Abbott Laboratories Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 941, 7 C.P.R. (4th) 264 (C.A.F.)).

[12]            Aux fins de la présente instance, il est toutefois utile d'avoir une certaine compréhension des rouages du régime réglementaire régissant ce type de différends.

[13]            La Cour suprême du Canada a fait sienne l'opinion selon laquelle le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a été édicté afin d'empêcher les sociétés pharmaceutiques de produits génériques de s'approprier les résultats de la recherche et des découvertes de sociétés innovatrices (Bristol-Myers Squibb Co., précité, au paragraphe 45).

[14]            Aux termes de la licence conclue entre Aventis et Schering, Aventis a le droit de fabriquer et de vendre du ramipril au Canada. Aventis a, conformément au Règlement, fait inscrire le brevet 206 au registre des brevets que tient le ministre de la Santé relativement à des capsules de ramipril de diverses concentrations administrées par voie orale.

[15]            Apotex souhaiterait pouvoir fabriquer et vendre du ramipril au Canada, mais pour ce faire, elle doit d'abord obtenir un avis de conformité du ministre.


[16]            Dans la présente instance, Aventis cherche à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex au motif que la fabrication et la vente de ramipril par Apotex contreferaient le brevet 206. Ainsi qu'il a déjà été signalé, Apotex affirme pour diverses raisons que le brevet 206 est invalide. Il n'y a pas de question de contrefaçon en l'espèce.

[17]            La question de la validité du brevet qui oppose Aventis à Schering, d'une part, et à Apotex, d'autre part, découle de la signification de l'avis d'allégation d'Apotex à Aventis. Aux termes du paragraphe 5(3) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), Apotex doit fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle fonde les allégations de son avis d'allégation.

[18]            Conformément à l'article 6 du Règlement, Aventis a demandé au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l'expiration du brevet 206.

[19]            La procédure prévue à l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne saurait être assimilée à une action visant à statuer sur la validité d'un brevet ou la contrefaçon. Il s'agit d'une procédure de contrôle judiciaire qui vise à déterminer s'il est loisible au ministre de délivrer à Apotex l'avis de conformité qu'elle réclame.


[20]            Cette procédure ne vise que des fins administratives. Son seul objet est en effet de voir s'il y a lieu de délivrer ou non un avis de conformité à Apotex (Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] A.C.F. no 1251, 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.)). Ma décision doit être axée sur la question de savoir si les allégations d'Apotex sont suffisamment étayées pour justifier la conclusion, tirée à des fins administratives, que la mise en marché éventuelle du produit d'Apotex ne contreferait pas le brevet 206 (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] 1 C.F. 588, 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.)).

[21]            Selon le régime réglementaire actuel, en introduisant la présente instance, Aventis obtient l'équivalent d'une injonction interlocutoire sans avoir satisfait à aucun des critères qu'un tribunal exigerait avant de lui accorder une telle réparation (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193). Ainsi que la Cour suprême du Canada l'a signalé dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb Co. précité, en pareil cas, les demandes d'avis de conformité comme celles qu'a déposée Apotex sont simplement « reléguées aux oubliettes » jusqu'à ce que la procédure réglementaire ait connu son dénouement (à supposer que ce dernier survienne avant l'expiration du délai de 24 mois prévu par le Règlement).

[22]            C'est l'existence de cette période de gel prévu par la loi qui a amené la Cour suprême du Canada à qualifier ce régime de « draconien » (Merck Frosst, précité).

[23]            Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. La décision prise en vertu de l'article 6 n'a pas l'autorité de la chose jugée (AB Hassle c. Genpharm Inc., [2003] A.C.F. no 1910, 2003 CF 1443, au paragraphe 11).

[24]            Ni Aventis ni Shering ne sont privées des recours qui leur sont normalement ouverts pour faire valoir leurs droits relativement au brevet 206. Si des questions de validité rendent nécessaire la tenue d'un procès en règle, celui-ci peut être obtenu selon la voie normale par l'introduction d'une action (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.), au paragraphe 25; Novartis A.G. c. Apotex Inc. (2002) 298 N.R. 348, 2002 CAF 440 (C.A.F.), au paragraphe 9).

III.      STÉRÉOCHIMIE

[25]            Avant de se reporter aux faits liés à la présente instance, il est d'abord nécessaire de comprendre certaines structures chimiques et conventions, afin de saisir la nature de l'invention revendiquée dans le brevet 206.

[26]            La « stéréochimie » est l'étude tridimensionnelle de l'orientation spatiale des composés constitués d'atomes. Des molécules ayant exactement la même composition chimique et la même séquence de liaisons covalentes peuvent avoir une disposition tridimensionnelle différente. Ces composés sont appelés « stéréo-isomères » .


[27]            L'expression « centres chiraux » est utilisée en stéréochimie pour décrire des atomes de carbone. Un atome de carbone auquel sont rattachés quatre groupes fonctionnels différents est appelé « centre chiral » . Un centre chiral peut avoir deux configurations possibles, de sorte qu'une configuration peut ne pas être superposable à l'autre si on la tourne dans l'espace. Dans ces cas, l'atome de carbone est qualifié de stéréogène, et le composé de « chiral » .

[28]            Afin de décrire la stéréochimie des molécules ayant des centres chiraux, les chimistes ont élaboré un certain nombre de conventions. Lorsque les atomes ou groupes rattachés au carbone chiral défilent par priorité décroissante (déterminée par le numéro atomique) dans le sens des aiguilles d'une montre, le centre chiral est dit en position « R » , alors qu'une disposition par priorité décroissante dans le sens inverse des aiguilles d'une montre est appelée « S » .

[29]            Comme les centres chiraux existent en trois dimensions, il est nécessaire d'avoir une convention pour indiquer la position des atomes dans l'espace lorsqu'on représente les molécules sur papier. Pour distinguer les isomères à partir de la disposition dans l'espace des atomes rattachés au centre chiral, les chimistes représentent une molécule en projection selon une liaison perpendiculaire au plan du papier (en direction de l'observateur) par un trait triangulaire gras. Une liaison chimique qui projette en arrière du plan (direction opposée de l'observateur) est indiquée par un triangle pointillé.

[30]            Lorsque deux groupes sont portés par des atomes de carbone différents, les chimistes emploient le terme « cis » pour désigner les cas où les deux groupes sont du même côté du plan. Lorsque les deux groupes sont situés de part et d'autre de ce plan, ils sont dits en relation « trans » .

[31]            Deux molécules images miroir l'une de l'autre qui ne peuvent être superposées sont appelées énantiomères. On utilise souvent à cet égard l'analogie de la main gauche et de la main droite. Des diastéréo-isomères sont des stéréo-isomères dont la stéréochimie est différente et qui ne sont pas des images miroir. Les énantiomères ont des propriétés physiques identiques, alors que les diastéréo-isomères ont des propriétés physiques différentes. Ainsi, les diastéréo-isomères auront des points de fusion et d'ébullition, une solubilité, une réactivité, une affinité pour les adsorbants et des coefficients de distribution différents. Ces différences sont importantes, car elles peuvent être utilisées par une personne versée dans l'art pour séparer les diastéréo-isomères.

[32]            La stéréochimie a joué un rôle très important dans la mise au point des inhibiteurs de l'ECA, car l'ECA est une molécule chirale. Pour être efficace comme inhibiteur de l'ECA, le composé doit être capable d'interagir avec l'ECA chiral. L'ECA préfère certaines configurations chirales - tout comme la main gauche préfère le gant gauche. Plus la correspondance entre la molécule chirale d'ECA et l'inhibiteur de l'ECA est étroite, plus l'effet inhibiteur est efficace.

[33]            La mise au point d'inhibiteurs de l'ECA à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts a été compliquée du fait que la configuration précise de l'ECA n'était pas connue et n'a, de fait, été élucidée que récemment.

[34]            Après avoir exposé certains des concepts de base de la stéréochimie, je m'attarderai maintenant sur les faits à l'origine de la mise au point des inhibiteurs de l'ECA de Schering.


IV.      HISTORIQUE

[35]            Les travaux de mise au point d'inhibiteurs de l'ECA ont débuté par la découverte qu'une série de peptides isolés dans le venin du serpent jararaca originaire du Brésil pouvaient inhiber efficacement l'ECA in vitro. Un composé appelé teprotide a été par la suite synthétisé et s'est révélé être un antihypertenseur efficace chez les humains. Toutefois, le teprotide n'était efficace que par administration intraveineuse.

[36]            La transformation d'un peptide actif par voie intraveineuse en inhibiteur de l'ECA efficace par voie orale a été rendue possible grâce aux travaux d'un groupe au service de Squibb, dirigé par le Dr Miguel Ondetti. Même si l'on ignorait à l'époque la structure précise de l'ECA, les scientifiques de Squibb ont pu construire un modèle pour l'ECA, en s'appuyant sur ce que l'on savait d'une autre enzyme appelée carboxypeptidase A.

[37]            En se basant sur cette analogie, le groupe de Squibb a mis au point en 1977 un composé appelé le captopril. Il s'agissait de la première petite molécule d'inhibiteur de l'ECA efficace par voie orale. Voici la structure moléculaire du captopril :



[38]            Il convient de noter que le captopril possède deux centres chiraux, tous les deux de configuration « S » . La structure cyclique à cinq atomes située à droite de la molécule est un acide aminé naturel appelé proline.

[39]            Bien que le captopril ait agi comme inhibiteur de l'ECA, il produisait un certain nombre d'effets secondaires, tels que la perte du goût, l'excrétion de protéines dans l'urine et des éruptions cutanées. Son succès a néanmoins incité un certain nombre d'autres sociétés pharmaceutiques à essayer de mettre au point de nouveaux analogues brevetables.

[40]            La société Merck, Sharp and Dohme, en particulier, s'est efforcée d'enlever le groupe thiol (la structure à gauche de la molécule de captopril), pour le remplacer par une fonction carboxyméthyle. Le 18 juin 1980, lors d'une conférence sur la chimie du médicament tenue à Troy, dans l'État de New York, Merck a annoncé qu'elle avait mis au point un composé, l'énalapril, qui s'est révélé actif comme inhibiteur de l'ECA.


[41]            Voici la structure de l'énalapril :

[42]            Comme on peut le voir dans ce diagramme, l'énalapril possède trois centres chiraux, tous de configuration « S » . On peut également observer que bien que l'énalapril ne possède pas le groupe soufré présent dans le captopril, on retrouve en revanche dans les deux l'unité proline ou la structure cyclique à cinq atomes sur le côté droit du composé.

V.        TRAVAUX DE SCHERING SUR LES INHIBITEURS DE L'ECA

[43]            Avant de décrire plus en détail les travaux de mise au point de Schering à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, il serait bon à ce stade d'avoir un aperçu de la nature des recherches effectuées par Schering menant à l'application qui allait devenir le brevet 206.

[44]            Avant l'annonce de Merck à la conférence de Troy en juin 1980, des scientifiques travaillant pour Schering, dont la Dre Elizabeth Smith, essayaient de mettre au point un composé antihypertenseur qui serait plus efficace que le captopril. Alors que les travaux de Merck consistaient à enlever le groupe thiol, ceux de Schering portaient sur un aspect différent de la molécule de captopril - à savoir l'unité proline.

[45]            À la fin de 1979 ou au début de 1980, la Dre Smith et ses collègues ont découvert que le remplacement de la proline dans le captopril par certains groupements à cycles fusionnés ou spirocycliques produisait des composés efficaces.

[46]            Par suite de la divulgation faite par Merck lors de la conférence de Troy, les scientifiques de Schering ont décidé d'essayer de créer des composés basés en partie sur les travaux de Merck sur l'extrémité thiol de la molécule, mais aussi d'utiliser les groupements à cycles fusionnés sur lesquels Schering avait déjà travaillé dans le cadre de son étude sur l'extrémité proline de la molécule. Autrement dit, les scientifiques de Schering ont décidé d'essayer d'employer diverses structures bicycliques à la place de la proline dans une molécule analogue à l'énalapril.

[47]            Ces travaux proposés ont été documentés dans un rapport de divulgation d'invention daté du 20 juin 1980. Selon la Dre Smith, ce rapport donne un aperçu de la conception de la structure générale des composés contenus dans ce qui allait finalement devenir le brevet 206.

[48]            Le 5 août 1980, la Dre Smith a fabriqué le premier composé visé par le brevet 206, qui a été appelé SCH 31335. Au cours des mois qui ont suivi, la Dre Smith et d'autres scientifiques de Schering ont fabriqué plusieurs de ces composés en utilisant différentes structures bicycliques. Des essais initiaux de ces composés ont indiqué qu'ils présentaient une activité d'inhibition de l'ECA.

[49]            Le 23 octobre 1980, Schering a fait une demande de brevet aux États-Unis pour ces travaux. Un deuxième brevet américain a été demandé le 28 avril 1981.

[50]            Pendant tout ce temps, la Dre Smith et ses collègues ont continué de créer et de tester d'autres composés en utilisant la structure bicyclique ainsi que la « structure carbonée « de type énalapril de Merck. Un des composés créés durant cette période était le SCH 31925, qui contenait des molécules ayant une structure cyclique 5,5 à l'extrémité proline. Des tests pharmacologiques préliminaires ont révélé que le SCH 31925 était un puissant inhibiteur de l'ECA.

[51]            La Dre Smith affirme que le SCH 31925 s'inscrit dans la portée de la revendication 12 du brevet 206, qui, comme le reconnaissent les parties, constitue la revendication principale en litige dans la présente instance.


[52]            Le 20 octobre 1981, Schering a fait une demande de protection par brevet au Canada pour ses travaux dans ce domaine. La demande de Schering revendiquait comme dates de priorité le 23 octobre 1980 et le 28 avril 1981, d'après les dates de demande de brevet aux États-Unis. La demande canadienne s'est soldée par la délivrance du brevet 206 en mars 2001.

VI.      LE BREVET 206

[53]            Le brevet 206 est intitulé « Dipeptides de carboxyalkyle, méthodes pour leur production et compositions pharmaceutiques les renfermant » . Il est dit à la première page que le brevet a trait à des composés (dipeptides de carboxyalkyle) qui sont utiles comme inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et comme antihypertenseurs.

[54]            Le brevet 206 englobe dans ses revendications trois composés actuellement sur le marché - le ramipril, le spirapril et le trandolapril. Cela en fait un brevet extrêmement précieux. D'autant plus que le brevet n'a été délivré qu'en 2001, ce qui laisse encore 13 autres années de protection.

[55]            Les revendications du brevet 206 sont larges et englobent un genre de composés qui inclut le ramipril. Cependant, il convient de noter que nulle part dans le brevet 206 il n'y a divulgation spécifique du ramipril ou du ramiprilate, ni aucune revendication visant ces composés exclusivement. Le ramiprilate est le métabolite formé dans l'organisme des personnes qui prennent du ramipril.


[56]            L'étendue des revendications du brevet 206 est confirmée par la preuve soumise par le Dr Garland Marshall, dont l'affidavit a été déposé par Apotex. Le Dr Marshall est professeur de biochimie et de biophysique moléculaire et d'informatique biomédicale à la Faculté de médecine de l'Université de Washington.

[57]            La revendication 1 du brevet 206 vise un genre de dipeptides de carboxyalkyle d'une formule générale comprenant trois principales unités : a) des bicycles de diverses configurations, b) une unité centrale d'alanyl et c) l'unité de fin de chaîne, qui ne se limite pas à une stéréochimie particulière. Le Dr Marshall estime que plus de 24 millions de composés sont inclus dans la revendication 1.

[58]            La revendication 2 concerne également des composés ayant une formule générale déterminée et ne se limite pas à des stéréo-isomères spécifiques. Le Dr Marshall estime que le nombre de composés visés par cette revendication dépasse les 200 millions.

[59]            Les revendications en litige dans la présente instance sont les revendications 1, 2, 3, 6, 12 et 13. Le Dr Marshall estime que le nombre de composés visés par les revendications 3, 6, 12 et 13 varie de 150 000, dans le cas de la revendication 3, à huit, dans le cas de chacune des revendications 12 et 13.

[60]            Le ramipril est l'un des composés visés par les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206. La revendication 13 englobe un certain nombre de composés, dont le ramiprilate.


VII.    INTERPRÉTATION DE LA REVENDICATION 12

[61]            Avant de s'attaquer aux questions touchant la validité du brevet 206, il est nécessaire d'analyser le brevet. L'interprétation d'un brevet est une question de droit (Canamould Extrusions Ltd.c. Driangle Inc., [2004] A.C.F. no 226, 30 C.P.R. (4th) 129, au paragraphe 3 (C.A.F.)).

[62]       La jurisprudence touchant l'interprétation des brevets a été résumée récemment de façon succincte par le juge Mosley dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., [2005] A.C.F. no 937, 2005 C.F. 755, où il est dit ce qui suit au paragraphe 26 :

Le brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public. Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques que l'inventeur prétend être essentielles qui constituent ce qu'on appelle l' « essence » de la revendication. « L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention » (Whirlpool, précité, paragraphe 45).

[63]            Le brevet ne s'adresse pas à un membre ordinaire de la population mais à un travailleur versé dans l'art décrit par le Dr Harold Fox comme :

[traduction] [...] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l'art dont relève l'invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l' « homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l'échec.


(H.G. Fox, dans The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. Toronto, Carswell Co. Ltd., 1969, p. 184, cité dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 C.S.C. 66, au paragraphe 44).

[64]            Dans le cas de brevets de nature hautement technique et scientifique, cette personne peut être quelqu'un « qui possède un niveau élevé de connaissances scientifiques spécialisées et d'expertise dans le domaine spécifique des sciences dont relève le brevet » (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504).

[65]            Nul doute que, dans le cas d'un brevet déposé en vertu de l'ancienne Loi sur les brevets, c'est la date de délivrance qui doit être considérée comme date déterminante pour l'interprétation du brevet (Free World Trust, précité, au paragraphe 54). Or, le brevet 206 a été délivré le 20 mars 2001.

[66]            Les parties reconnaissent que la revendication 12 du brevet 206 est celle qui a la portée la plus étroite et que le succès ou l'échec de la cause d'Apotex dépend du sort de cette revendication. Il est donc inutile d'interpréter toute autre revendication.

[67]            La revendication 12 est ainsi libellée :

[traduction] Le composé acide 1-[N-(1-éthoxycarbonyl-3-phénylpropyl-(S)-alanyl]octahydrocyclopenta[ b]pyrrole-2(S)-carboxylique et ses sels pharmaceutiquement acceptables.


Les parties admettent également que la revendication 12 peut être adéquatement illustrée de la façon suivante :

[68]            La bonne interprétation de la revendication 12 n'est pas contestée en l'espèce. Les parties s'accordent pour dire que, bien interprétée, la revendication 12 vise un composé et décrit un genre regroupant huit stéréo-isomères, dont le ramipril.

[69]            La structure générale de la revendication 12 illustrée ci-dessus décrit un groupe de molécules ayant une structure bicyclique 5,5 au lieu du cycle proline qui appartient à la classe de composés divulguée et revendiquée par Merck dans le brevet pour l'énalapril.

[70]            La structure moléculaire de la revendication 12 comporte cinq centre chiraux, chacun étant indiqué par un astérisque dans le diagramme ci-dessus. La revendication limite la stéréochimie de deux des centres chiraux à la position « S » . Les deux centres chiraux contiennent les carbones auxquels sont attachés l'acide carboxylique (-COOH) et le méthyle (-COOC2H5). La stéréochimie des trois centres chiraux restants n'est pas précisée; autrement dit, ils peuvent être de configuration « R » ou « S » .


[71]            Étant donné que les trois centres chiraux non précisés peuvent avoir soit une configuration « R » ou « S » , la formule de la revendication 12 décrit 2 x 2 x 2 (23 ou 8) stéréo-isomères.

[72]            Dans le cas du ramipril, les cinq centres chiraux sont en position « S » .

VIII. QUESTIONS EN LITIGE

[73]            La question centrale à trancher en l'espèce est celle de la validité du brevet 206 à la lumière des allégations d'Apotex. L'avis d'allégation d'Apotex soulève les questions suivantes en ce qui concerne la validité du brevet 206 :

1.      Schering avait-elle une raison valable lui permettant de prédire que les composés visés par les revendications en litige seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et pour le traitement de l'hypertension chez l'humain?

2.      Les revendications en litige du brevet 206 sont-elles invalides pour non-respect des exigences de l'article 34 de l'ancienne Loi sur les brevets (insuffisance)?

3.      Les revendications en litige ont-elles une portée plus large que l'invention ou sont-elles inutiles?

4.     Les revendications en litige sont-elles invalides pour cause d'antériorité?


5.      Les revendications en litige du brevet 206 sont-elles invalides en raison du paragraphe 61(2) de l'ancienne Loi sur les brevets?

6.      Les revendications en litige du brevet 206 sont-elles invalides pour cause de double brevet?

[74]            Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, Aventis affirme que l'avis d'allégation d'Apotex est entaché de nullité. Lors de l'instruction de la présente demande, Aventis et Schering ont toutes les deux signalé les aspects pour lesquels Apotex a, selon elles, fait défaut d'invoquer des moyens de droit ou de fait suffisants pour étayer ses arguments ou a tenté de se fonder sur des éléments de preuve ou des arguments qui ne figuraient pas dans son avis d'allégation. Nous aborderons à tour de rôle, en fonction du contexte dans lequel ils figurent dans la présente décision, chacun des arguments invoqués au sujet des lacunes présumées de l'avis d'allégation d'Apotex.

IX.      LA CHARGE DE LA PREUVE ET LA NORME DE PREUVE

[75]            Avant de passer à l'examen de chacun des moyens invoqués par Apotex pour contester la validité du brevet 206, il y a lieu de répondre à certains questions préliminaires au sujet de la charge et de la norme de preuve applicables dans une instance comme la présente. Chacune des parties a présenté à l'audience des observations détaillées pour exposer son point de vue respectif sur ces questions.

[76]            Il n'est pas nécessaire de passer en revue les divers précédents invoqués par les parties à l'appui de leur thèse, car il ressort de la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale que la question est définitivement réglée (Proctor and Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2004] A.C.F. no 1973, 2004 CAF 393, aux paragraphes 12 à 24).

[77]            En sa qualité de demanderesse, Aventis a, dans la présente instance, la charge générale de démontrer qu'aucune des allégations d'Apotex n'est justifiée. En l'espèce, toutes les questions soulevées par Apotex dans son avis d'allégation se rapportent à la validité du brevet 206. À défaut d'éléments de preuve contraires, la loi présume que le brevet est valide : article 45 de l'ancienne Loi sur les brevets, et paragraphe 43(2) de la nouvelle Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.

[78]            Grâce à cette présomption de validité, il est donc possible à Aventis de se décharger de son fardeau initial en se contentant de prouver l'existence du brevet.

[79]            Le fardeau de la preuve est ensuite déplacé vers Apotex, qui doit alors établir que le brevet est invalide. La norme de preuve à laquelle Apotex est assujettie est celle de la prépondérance de la preuve (Bayer c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 464, 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.), au paragraphe 9).

[80]            Gardant à l'esprit ces explications au sujet de la charge et de la norme de preuve, je passe maintenant à l'examen des divers moyens invoqués par Apotex dans son avis de demande pour contester la validité du brevet 206.


X.       PRÉDICTION VALABLE

[81]            Une grande partie des débats a été consacrée à la question de savoir si Schering avait une raison valable lui permettant de prédire que les composés visés par les revendications en litige, et en particulier par la revendication 12 du brevet 206, seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et pour le traitement de l'hypertension chez l'humain.

[82]            Pour être brevetable, une invention doit être utile. Lorsque le composé est nouveau, il n'est pas nécessaire d'en exposer l'utilité dans les revendications, mais son utilité doit être expliquée dans l'exposé de l'invention.

[83]            Dans le cas d'une invention pharmaceutique, l'utilité peut être démontrée au moyen de tests. Cependant, il n'est pas essentiel de procéder à des tests complets : l'inventeur peut invoquer la règle de la prédiction valable pour justifier des revendications de brevet dont l'utilité n'a pas été effectivement démontrée mais dont l'utilité peut valablement être prédite d'après les renseignements et les connaissances spécialisées alors existantes (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77).


[84]            Dans l'arrêt Wellcome, la Cour suprême du Canada a signalé que la règle de la prédiction valable vise à établir un équilibre entre l'intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement - même avant qu'on en ait vérifié complètement l'utilité par des tests - et l'intérêt public qu'il y a à éviter de consentir un monopole en échange d'une désinformation, de simples spéculations ou de voeux pieux (précité, aux paragraphes 66 et 69).

[85]            La solidité ou la validité de la prédiction est une question de fait.

[86]            Dans l'arrêt Wellcome, la Cour suprême du Canada a proposé un critère à trois volets auquel le présumé inventeur doit satisfaire pour démontrer qu'il a fait une prédiction valable. Ces trois volets sont les suivants :

1. La prédiction doit avoir un fondement factuel.

2. L'inventeur doit avoir un raisonnement clair qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité.

3. Il doit y avoir une divulgation suffisante, mais il n'est pas nécessaire que l'inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l'invention fonctionne.

[87]            Pour être valable, une prédiction n'a pas à avoir un caractère de certitude, car une prédiction n'exclut pas le risque que certains composés du domaine visé par la revendication se révèlent inutiles.


(i) Date pertinente pour évaluer la validité de la prédiction de Schering

[88]            Les parties ont longuement débattu à l'audience la question de la date à retenir pour évaluer la validité de la prédiction faite par Schering au sujet du brevet 206. Apotex soutient que la prédiction de Schering devrait être évaluée en fonction de la plus ancienne des dates de priorité revendiquées dans la demande de brevet canadien, c'est-à-dire le 23 octobre 1980, tandis qu'Aventis et Schering affirment toutes les deux que la date qui devrait être retenue est celle du dépôt au Canada, soit le 20 octobre 1981.

[89]            Cette question est importante, car la validité de la prédiction doit être évaluée en fonction des renseignements et des connaissances spécialisées qui existaient à l'époque. La conclusion qui sera tirée au sujet de la question de savoir si c'est la date de priorité du 23 octobre 1980 qu'il faut retenir au lieu de la date du 20 octobre 1981 à laquelle le brevet a été déposé au Canada aura une incidence sur la question de savoir si, pour évaluer la validité de la prédiction, on peut tenir compte des travaux que la Dre Smith et ses collègues de Schering ont effectués entre octobre 1980 et octobre 1981 pour formuler et tester les composés visés par le brevet 206.

[90]            Les parties invoquent toutes l'arrêt Wellcome, de la Cour suprême, à l'appui de leur thèse respective au sujet de la date pertinente.

[91]            Il ressort de l'arrêt Wellcome que, dans cette affaire, il n'y avait pas eu de débat entre les parties au sujet de la date appropriée pour évaluer la validité de la prédiction en litige de sorte que les expressions « date de la demande » et « date de priorité » sont pratiquement utilisées de façon interchangeable dans la décision. À titre d'exemple, aux paragraphes 3, 56, 71 et 72, le juge Binnie explique que la date de priorité est la date qui doit être utilisée pour évaluer la valeur de la prédiction de l'inventeur, tandis qu'aux paragraphes 46, 55 et 97, il signale que la date pertinente est celle de la demande canadienne.

[92]            Au paragraphe 70, la Cour expose toutefois le critère à trois volets régissant la prédiction valable en précisant bien que, « à la date de la demande de brevet, l'inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité » .

[93]            Ainsi, bien qu'il subsiste des doutes sur cette question, il semble que le critère posé dans l'arrêt Wellcome permette de penser que c'est la date du dépôt au Canada qu'il faut retenir pour évaluer la validité de la prédiction.

[94]            Cette proposition est plutôt logique, sur le plan des principes, car ce n'est que lorsque la demande de protection conférée par un brevet est déposée au Canada que l'inventeur doit s'en tenir aux détails précis des revendications et du mémoire descriptif de son brevet s'il veut obtenir un monopole au Canada.

[95]            La date du dépôt d'une demande visant à obtenir la protection conférée par le brevet dans un autre pays peut s'avérer d'une certaine utilité pour déterminer la date d'invention des brevets régis par l'ancienne Loi sur les brevets - la nouvelle Loi sur les brevets prévoit un système de priorité fondé sur le principe du « premier à déposer » par opposition au principe du « premier à inventer » de l'ancienne loi. Néanmoins, comme c'est le cas en l'espèce, les inventeurs sont libres de poursuivre leurs recherches et leurs tests et de verser des renseignements complémentaires dans les revendications et le mémoire descriptif du brevet avant de déposer une demande de brevet au Canada.

[96]            En conséquence, j'ai l'intention d'évaluer la validité de la prédiction de Schering en fonction des renseignements et des connaissances techniques qui existaient en date du 20 octobre 1981. Toutefois, pour les motifs qui suivent, j'estime qu'il n'est pas nécessaire en l'espèce de trancher de façon définitive cette question, car je suis convaincue que, même en retenant la date ultérieure de la demande canadienne, comme le préconisent Aventis et Schering, cette dernière n'avait pas de motif valable qui lui permettait de prédire que les composés visés par le brevet 206 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et agents antihypertenseurs.

[97]            Pour appliquer le critère à trois volets de l'arrêt Wellcome, les parties ont de façon générale abordé les deux premières questions ensemble et c'est ce que je me propose de faire ici.


(ii) La prédiction avait-elle un fondement factuel? L'inventeur avait-il un raisonnement clair qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité?

[98]            La première question à résoudre est celle de la suffisance de l'avis d'allégation d'Apotex à la lumière des deux premiers volets du critère de l'arrêt Wellcome.

[99]            Dans son avis d'allégation, Apotex affirme ce qui suit :

[traduction] Nous alléguons également que chacune des revendications en litige du brevet 206 est invalide au motif que les revendications ont une portée plus large que l'invention (si tant est qu'il y en ait une). À la date applicable, qui, à notre avis, correspond dans chaque cas à la date de priorité la plus ancienne, soit celle du dépôt de la demande de brevet 206 (le 23 octobre 1980), les prétendus inventeurs du brevet 206 n'avaient fabriqué, isolé, caractérisé ou testé aucun des composés visés par les revendications en litige. [À la page 5]

[100]        Apotex poursuit en exposant en détail les composés qui, selon elle, n'avaient pas été fabriqués, isolés, caractérisés ou testés avant la plus ancienne des dates de priorité.

[101]        Un peu plus loin dans l'avis d'allégation, Apotex ajoute ce qui suit, en parlant expressément de la question de la prédiction valable :

[traduction] En outre, le mémoire descriptif ne fournit pas de données d'essai pour aucun des composés visés par les revendications en litige, dont le ramipril et le ramiprilate, qui démontreraient que ces composés possédaient le niveau requis d'activité et le profil pharmacologique et toxicologique requis leur permettant d'être utilisés comme inhibiteurs de l'ECA pouvant être administrés par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement des troubles cardiovasculaires et notamment de l'hypertension chez les mammifères, y compris les humains.


Les prétendus inventeurs du brevet 206 n'ont donc aucun motif valable qui leur permette de prédire que tous les composés visés par les revendications en litige (dont le ramipril et le ramiprilate) pourraient être utilisés comme inhibiteurs de l'ECA pouvant être administrés par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement des troubles cardiovasculaires et notamment de l'hypertension chez les mammifères, y compris les humains. Chacune de ces revendications en litige a donc une portée plus large que la prétendue invention (si tant est qu'il y en ait une).

[102]        Suivant Aventis, l'avis d'allégation d'Apotex est entaché d'irrégularités pour ce qui est de la question de la prédiction valable. Aventis affirme que le seul argument qu'Apotex a invoqué pour affirmer que Schering n'avait aucun motif valable de faire la prédiction contenue dans son avis d'allégation était son assertion que Schering n'avait pas fourni de données de tests. Suivant Aventis, après la signification de l'avis d'allégation, Apotex a développé son argumentation en expliquant que Schering aurait dû faire la preuve de l'utilité au moyen de tests pour établir des paramètres comme l'activité, la toxicité, la biodisponibilité, la sélectivité et ainsi de suite.

[103]        Dans la décision Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc. Pfizer Inc. et le Ministre de la Santé, [2005] A.C.F. no 1318, 2005 CAF 270, la Cour d'appel fédérale a récemment réaffirmé le critère à appliquer pour évaluer la suffisance des avis d'allégation. Bien que l'arrêt Novopharm porte sur des questions de contrefaçon, les mêmes principes s'appliquent aux questions d'invalidité de brevets.

[104]        Suivant la Cour d'appel :


[traduction][4] Dans ses décisions les plus récentes, la Cour a réaffirmé à plusieurs reprises que le critère de la suffisance, en ce qui concerne l'avis d'allégation, consiste à déterminer si l'énoncé détaillé contient assez de renseignements pour informer pleinement le breveté (Pfizer) des raisons pour lesquelles le fabricant de médicaments génériques (Novopharm) prétend que le brevet pertinent ne serait pas contrefait advenant la délivrance d'un avis de conformité par le ministre (voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), au paragraphe 17, le juge Stone (AB Hassle 1); SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.), au paragraphe 26, le juge Noël, et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 38 C.P.R. (4th) 400 (C.A.F.) au paragraphe 24, le juge Evans).

[105]        Il ressort de l'avis d'allégation d'Apotex que celle-ci a avisé Aventis qu'elle plaiderait que Schering n'avait pas effectué les tests nécessaires pour établir que les composés visés par le brevet 206 possédaient le niveau d'activité exigé et le profil pharmacologique et toxicologique requis. Que signifient ces termes? De toute évidence, par « niveau d'activité » , il faut entendre la concentration des composés en question. L'emploi de l'expression « profil toxicologique » signale nettement à Aventis que la question de la toxicité est en cause. Enfin, l'expression « profil pharmacologique requis » peut raisonnablement être interprétée comme se rapportant à des questions de biodisponibilité et de sélectivité.

[106]        Qui plus est, il ressort de son avis de demande qu'Aventis a bien compris la position d'Apotex sur ces questions, car elle y répond.

[107]        Finalement, il convient de signaler qu'aucun affidavit n'a été produit pour le compte d'Aventis pour indiquer que celle-ci n'était pas en mesure de décider si elle contesterait l'avis d'allégation d'Apotex en raison du manque de spécificité (voir Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. et le Ministre de la Santé, [2005] A.C.F. no 842, 2005 CAF. 183, au paragraphe 13).


[108]        Dans ces conditions, je suis convaincue qu'Aventis était suffisamment informée des motifs pour lesquels Apotex affirmait que le brevet 206 était invalide pour ce qui est des deux premiers volets du critère de la prédiction valable.

[109]        Pour ce qui est du fond de la question, il s'agit de savoir si, à la date du dépôt de la demande de brevet au Canada, la prédiction de Schering et de ses scientifiques avait un fondement factuel et si les inventeurs avaient un raisonnement clair permettant d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité.

[110]        Quelle était précisément la prédiction de Schering? Schering déclare qu'elle avait prévu

qu'en plaçant les bicycles sur l'extrémité proline d'une molécule d'énalapril, on obtiendrait des composés qui seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs. Compte tenu de ce qui était de notoriété publique à l'époque concernant les inhibiteurs de l'ECA et des travaux effectués au laboratoire de Schering par la Dre Smith et ses collègues, Schering déclare que sa prédiction repose sur une base factuelle et sur un raisonnement rigoureux. Bien qu'elle continue de vérifier cette prédiction, Schering affirme qu'on n'a pas encore montré qu'elle n'était pas fondée.

[111]        Avant de passer à l'examen des arguments des parties concernant les deux premiers volets du critère de l'arrêt Wellcome en ce qui concerne la prédiction valable, il est nécessaire de revenir en arrière pour examiner plus en détail l'état des connaissances publiques touchant les inhibiteurs de l'ECA de même que la nature et l'étendue des travaux effectués à l'époque par la Dre Smith et les autres scientifiques de Schering.

[112]        Comme je l'ai mentionné précédemment dans la présente décision, avant juin 1980, on savait que le captopril était un inhibiteur de l'ECA efficace par voie orale. En date du 18 juin 1980, il était aussi de notoriété publique que l'enlèvement du groupe thiol sur le côté gauche de la molécule de captopril et son remplacement par une fonction carboxyméthyle entraînaient une inhibition de l'ECA. C'est ce qui a donné naissance à l'énalapril. On se rappellera que l'énalapril possédait trois centres chiraux, chacun étant décrit comme étant de configuration « S » .

[113]        Le 20 novembre 1980, un article intitulé « A new class of Angiotensin-converting enzyme inhibitors » a été publié dans la revue Nature. Les auteurs de l'article étaient un groupe de scientifiques de la société Merck, Sharp and Dohme. Cet article décrit un composé appelé « Merck no 6 » , qui était un inhibiteur efficace de l'ECA. Le Merck no 6 peut être décrit de la façon suivante :


[114]        Comme on peut le voir dans le diagramme ci-dessus, tout comme l'énalapril, le Merck no 6 possède trois centres chiraux, mais à la différence de l'énalapril, seulement deux des centres chiraux sont décrits comme étant de configuration « S » . Le troisième centre chiral n'est pas précisé, ce qui laisse une certaine part de variabilité dans la chiralité à ce stade.

[115]        Les parties étaient en désaccord entre elles sur la question de savoir si le composé no 6 de Merck avait effectivement été divulgué quelques mois plus tôt lors congrès de Troy. Compte tenu du fait que j'examine la question de la prédiction valable en fonction de la date du dépôt au Canada, il n'est pas nécessaire de résoudre cette question puisqu'il est acquis aux débats qu'en tout état de cause, le composé no 6 de Merck était de notoriété publique en novembre 1980.


[116]        Les travaux de Schering dans ce domaine ont porté sur l'extrémité proline de la molécule d'énalapril. Plus précisément, la Dre Smith et ses collègues ont modifié la proline pour ajouter un deuxième système cyclique. Que savait-on de la capacité d'opérer des changements à cet endroit avant octobre 1981? En janvier 1980, un article a été publié dans le Journal of Biological Chemistry, intitulé « Binding of Peptide Substrates and Inhibitors of Angiotensin-converting Enzyme » (l'article de Cheung). L'article de Cheung indiquait qu'il existait une tolérance moléculaire substantielle au site de liaison de la proline. Autrement dit, le site était relativement peu sélectif et pouvait permettre diverses variations sur la proline cyclique[1].

[117]        En d'autres termes, en date de janvier 1980, on savait que diverses structures pouvaient être utilisées, chacune interagissant avec l'angiotensine I, de façon à produire un effet inhibiteur.

[118]        On savait également à l'époque qu'il y avait un espace moléculaire disponible à l'extrémité proline de la molécule de façon à pouvoir recevoir des bicycles, un cycle étant composé de cinq atomes et l'autre de six (un cycle 6,5), et qu'un tel composé pourrait inhiber l'ECA. Les auteurs de l'article de Cheung ont examiné un certain nombre d'inhibiteurs de l'ECA, dont un composé appelé tryptophane, qui contenait un cycle 6,5. Parmi tous les composés étudiés, le tryptophane s'est révélé être celui qui inhibait le mieux l'ECA.

[119]        Cela étant dit au sujet de l'état antérieur de la technique, j'examinerai maintenant les travaux effectués chez Schering par la Dre Smith et ses collègues. Comme je l'ai mentionné précédemment, à la fin de 1979 ou au début de 1980, les scientifiques de Schering avaient découvert que le remplacement de la proline dans le captopril par certains groupements à cycles fusionnés ou spirocycliques produisaient des composés efficaces.


[120]        Un certain nombre de composés avaient été fabriqués par la Dre Smith et ses collègues avant la conférence de Troy à la mi-juin 1980. À la fin de 1979, la Dre Smith avait créé un composé appelé SCH 30178, qui remplaçait la proline dans une molécule de captopril par un cycle 6,5.

[121]        En décembre 1979, le SCH 30178 a manifesté, selon les notes de la Dre Smith, une « très bonne activité » dans les tests in vitro, bien qu'aucun niveau spécifique d'activité n'ait été consigné. Il convient également de noter que, comme le SCH 30178 s'appuyait sur le modèle du captopril, il n'est pas visé par le brevet 206.

[122]        Un deuxième composé a été fabriqué par les scientifiques de Schering, soit le SCH 30928. Ce composé a été créé en remplaçant la proline cyclique à cinq atomes dans le captopril par un bicycle 6,5. Le SCH 30928 a été testé en in vitro le 8 mai 1980 et in vivo à partir du 12 juin 1980. Ce composé n'est pas non plus visé par le brevet 206.

[123]        Bien que le SCH 30928 ait également manifesté une bonne activité, le Dr Richard Silverman, qui était un des principaux témoins de Schering pour la question de la prédiction valable, a concédé que la Dre Smith n'avait pas consigné de renseignements sur la stéréochimie de ce composé. Par conséquent, il est impossible de savoir quel stéréo-isomère avait une bonne activité.

[124]        Après la divulgation faite par Merck à la conférence de Troy, les scientifiques de Schering ont décidé d'essayer d'utiliser diverses structures bicycliques au lieu de la proline sur une molécule de type énalapril.

[125]        Le 5 août 1980, la Dre Smith a fabriqué le premier composé visé par le brevet 206, qui a été appelé SCH 31335. Selon Schering, c'était la date de son invention. Schering soutient que tous les travaux effectués entre cette date et la date de dépôt au Canada se limitaient à une simple vérification.

[126]        Le SCH 31335 avait une structure cyclique 6,5 à l'extrémité proline d'une molécule d'énalapril et peut être illustré de la façon suivante :

Compte tenu du fait que la configuration absolue de cette molécule n'a pas été décrite, on peut raisonnablement déduire qu'elle n'était pas connue.

[127]        Le composé suivant formulé par les scientifiques de Schering était le SCH 31336. Il s'agissait d'un stéréo-isomère du SCH 31335, et encore une fois, la configuration absolue de ce composé n'était pas connue.

[128]        Bien que les analyses initiales de ces composés aient indiqué qu'ils présentaient une activité d'inhibition de l'ECA, il convient de noter que, comme aucun de ces composés n'avait une structure cyclique 5,5, aucun n'était visé par la revendication 12 du brevet 206.

[129]        Le composé suivant formulé par Schering était le SCH 31924. Il n'est pas clair, d'après l'affidavit de la Dre Smith, si ce composé est visé par la revendication 12 du brevet 206. Le SCH 31924 a été testé dans le cadre d'un test in vivo visant à mesure l'inhibition de l'ECA chez des rats et s'est révélé inactif jusqu'à une concentration de 300 microgrammes par kilogramme, qui était la limite supérieure adoptée par Schering comme limite pratique pour le criblage des inhibiteurs de l'ECA en 1980. Autrement dit, le composé était inactif, selon l'acceptation donnée à ce terme par Schering.


[130]        Le seul composé qui, selon la Dre Smith, était clairement visé par la revendication 12 du brevet 206 et qui a réellement été créé avant la date de dépôt au Canada était le SCH 31925. Le SCH 31925 était un stéréo-isomère du SCH 31924 et, selon l'affidavit de la Dre Smith, était un composé « très puissant » . Bien que certains aient laissé entendre que ce composé peut avoir été un mélange contenant du ramipril, on ne peut affirmer avec certitude que ce composé est en fait visé par la revendication 12, car au moment où la Dre Smith analysait le composé, sa chiralité n'était pas tout à fait connue. Plus précisément, dans les notes de laboratoire de la Dre Smith, il y a un point d'interrogation à côté du centre chiral à l'intérieur du bicycle. Pour être visé par la revendication 12, ce centre chiral doit avoir la configuration « S » .

[131]        Il convient de noter que, bien que le SCH 31924 et le SCH 31925 aient été préparés avant la date de dépôt au Canada du brevet 206, la stéréochimie de l'atome de carbone C-2 du cycle octahydrocyclopenta[b]pyrrolique n'était pas précisée dans le brevet 206, rien n'ayant été indiqué dans l'espace prévu pour la caractérisation des composés aux pages 95 et 96 du brevet 206.

[132]        Aventis et Schering avancent que, d'après les travaux décrits ci-dessus, au moment du dépôt au Canada en octobre 1981, les scientifiques de Schering étaient capables de prévoir de façon rigoureuse que les composés visés par la revendication 12 auraient une utilité comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs.

[133]        Pour corroborer cette prétention, Aventis et Schering s'appuient sur la preuve du Dr David Triggle et du Dr Richard Silverman. Le Dr Triggle est professeur émérite à la Faculté de pharmacie et de sciences pharmaceutiques de l'Université de l'État de New York, est titulaire d'un doctorat en chimie et est expert dans les domaines de la chimie médicinale et de la pharmacologie. Le Dr Silverman et professeur de chimie et de biochimie, de biologie moléculaire et de biologie cellulaire à l'Université Northwestern. Il a obtenu son doctorat en chimie de l'Université Harvard et a effectué des recherches postdoctorales sur l'inactivation des enzymes. C'est un expert dans le domaine de la chimie médicinale.


[134]        Le Dr Triggle comme le Dr Silverman ont un nombre considérable de publications à leur actif.

[135]        Selon Apotex, cependant, Schering n'a fait que déclarer que, comme certains composés ayant une tête polaire 6,5 attachée à des queues de type captopril et énalapril de stéréochimie inconnue présentaient une activité, il était raisonnable de prévoir que toute configuration stéréochimique d'une queue énalapril en position 5,5 serait utile comme inhibiteur de l'ECA et comme antihypertenseur. Selon Apotex, il y a une « discordance » entre ce qui a été fait et ce qui a été revendiqué, et il n'existait tout simplement pas de base factuelle suffisante ni de raisonnement rigoureux pour appuyer une telle prédiction en octobre 1981.

[136]        L'argument d'Apotex s'appuie sur la preuve du Dr Garland Marshall qui, comme je l'ai noté précédemment dans la présente décision, est professeur de biochimie et de biophysique moléculaire ainsi que d'informatique biomédicale à la Faculté de médecine de l'Université de Washington. Le Dr Marshall est titulaire d'un doctorat de l'Université Rockefeller, sa thèse traitant de la synthèse de l'angiotensine II. Le Dr Marshall est un spécialiste du domaine des inhibiteurs de l'ECA.


[137]        Selon le Dr Marshall, bien que les travaux effectués par les scientifiques de Schering et les connaissances de l'époque puissent avoir permis à ces derniers d'effectuer d'autres recherches, ils ne possédaient pas et n'auraient pas pu posséder, en octobre 1981, une base rigoureuse pour prévoir que les composés dans la revendication 12 auraient une activité comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs.

[138]        Le Dr Marshall affirme que les connaissances acquises à la lumière des travaux effectués par Schering, qui ont consisté à ajouter des bicycles 6,5 à une molécule d'énalapril, ne sont pas transférables à un bicycle 5,5. (Il faut également rappeler qu'une des molécules en position 6,5 testées par Schering n'avait aucune activité.) Les seuls composés contenant des molécules bicycliques 5,5 qui ont été créés par Schering avant la date de dépôt au Canada, et qui sont soi-disant visés par la revendication 12, étaient le SCH 31924 et le SCH 31925. Le SCH 31924 ne possédait aucune activité comme inhibiteur de l'ACE et sa chiralité complète n'était pas connue.

[139]        Le Dr Marshall affirme, et de fait les Drs Triggle et Silverman abondent dans le même sens, que même de petits changements dans une molécule peuvent avoir des effets pharmacologiques imprévisibles. En contre-interrogatoire, le Dr Triggle a reconnu que si l'on introduisait un nouveau centre chiral dans un composé, il était impossible de prévoir l'effet que cela pourrait avoir :

[traduction]

Q.     [...] Ai-je raison de dire que le fait que des stéréo-isomères ont des propriétés chimiques et physiques différentes implique entre autres qu'ils ont également des activités différentes, si l'on parle des inhibiteurs de l'ECA?

R.    Oui. Une stéréosélectivité de l'action, oui.

Q.     J'aimerais simplement vous demander si vous êtes d'accord avec cette affirmation : « Il est impossible de prévoir qualitativement ou quantitativement l'activité biologique d'isomères différents » ?

R.     C'est vrai dans le cas d'un nouvel examen.


Q.     Que voulez-vous dire par là?

R.     En l'absence de toute information antérieure.

Q.     Vous dites que -

R.     Que si l'on introduit un nouveau centre chiral dans une molécule qui en était dépourvue avant, il devient très difficile de prévoir quelle sera son activité, s'il y aura stéréoactivité ou non et, le cas échéant, quelle direction ou quelle amplitude elle aura. [Dossier d'Aventis, p. 14648-14649]                                                        

[140]        Le Dr Marshall confirme qu'un léger changement dans la chiralité peut rendre un composé actif inactif pour ce qui est de l'inhibition de l'ECA. L'importance de la chiralité par rapport au composé de type ramipril est illustrée par les différences dans les résultats des essais portant sur le SCH 31924 et le SCH 31925. À cet égard, on rappellera que l'essai de la Dre Smith a montré que le SCH 31925 était un composé « très puissant » , alors que le SCH 31924 était inactif jusqu'à 300 microgrammes par kilogramme.

[141]        Plus précisément, en ce qui concerne la revendication 12 du brevet 206, le Dr Marshall a affirmé qu'en date d'octobre 1981, une personne versée dans l'art pourrait s'attendre à ce que seulement les composés ayant la configuration « SSS » sur la structure carbonée de l'énalapril puissent être efficaces comme inhibiteurs de l'ECA ou antihypertenseurs. La preuve du Dr Marshall était claire : on ne pouvait pas prévoir l'impact de la chiralité dans les carbones qui font le pont entre les deux cycles de la structure bicyclique.


[142]        Cela dit et compte tenu de l'état limité des connaissances sur lesquelles pouvaient s'appuyer à l'époque la Dre Smith et ses collègues à Schering, le Dr Marshall a conclu qu'en octobre 1981, Schering ne disposait pas d'une base factuelle pour sa prédiction, ni n'avait de raisonnement rigoureux dont elle pourrait s'inspirer pour prévoir le résultat recherché à partir de ce fondement factuel.

[143]        J'ai examiné le témoignage de chacun des experts portant sur la question du caractère valable de la prédiction de Schering en date d'octobre 1981. Après un examen minutieux, j'ai conclu que la preuve du Dr Marshall l'emporte sur celle des Drs Triggle et Silverman. Plusieurs raisons m'amènent à tirer cette conclusion.

[144]        D'abord et avant tout, un examen du curriculum vitæ de chacun des experts montre que bien que les trois soient sans nul doute des chercheurs de grande renommée, le Dr Marshall a consacré toute sa carrière scientifique précisément à l'étude des inhibiteurs de l'ECA. En près de 40 ans de travaux dans le domaine, le Dr Marshall a publié des douzaines d'articles portant sur l'angiotensine II et l'inhibition de l'ECA. Il a remporté de nombreux prix un peu partout dans le monde pour ses travaux sur l'inhibition de l'ECA. En effet, la description par Apotex du Dr Marshall comme étant un « expert de calibre mondial » dans le domaine ne semble pas être une exagération.


[145]        Par contre, le Dr Triggle mentionne parmi ses intérêts scientifiques la pharmacologie chimique des molécules qui interagissent avec les récepteurs du système nerveux autonome, et plus particulièrement les médicaments qui interagissent avec les canaux ioniques. Il indique qu'il a travaillé pendant de nombreuses années dans le domaine des inhibiteurs des canaux calciques, qui sont utilisés dans le traitement de l'hypertension. Alors que le Dr Triggle a fait quelques recherches sur les inhibiteurs de l'ECA, ces derniers ne sont clairement pas le principal centre d'intérêt de sa carrière scientifique, et son curriculum vitæ n'indique pas non plus qu'il se soit activement intéressé aux inhibiteurs de l'ECA durant la période en question.

[146]        Le domaine de compétence du Dr Silverman est aussi plus général que celui du Dr Marshall. Dans son curriculum vitæ, le Dr Silverman décrit ses champs de recherche comme étant notamment [traduction] « la chimie médicinale et bio-organique; les mécanismes d'action pharmacologique; la conception des agents médicinaux; l'inactivation de certains enzymes; les mécanismes enzymatiques; les modèles enzymatiques » .

[147]        Une deuxième raison pour donner préséance au témoignage du Dr Marshall plutôt qu'à celui du Dr Triggle ou du Dr Silverman est que son affidavit donne une analyse beaucoup plus détaillée et complète de la question que l'affidavit des deux autres experts.


[148]        Une troisième raison m'incite à privilégier le témoignage du Dr Marshall plutôt que celui contenu dans l'affidavit déposé par le Dr Triggle dans la présente instance. L'affidavit du Dr Triggle est très similaire à celui qu'il a fait pour le compte d'Aventis dans le cadre d'une procédure différente portant sur le brevet 206 (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2005] A.C.F. no 511, 2005 CF 340). Il existe cependant une différence substantielle entre les deux. Trois paragraphes dans l'affidavit du Dr Triggle dans la cause impliquant Pharmascience n'ont pas été répétés dans l'affidavit soumis dans la présente instance. Ces paragraphes sont importants parce qu'ils contribuent pour une bonne part à corroborer l'opinion du Dr Marshall suivant laquelle il est impossible de prévoir qualitativement ou quantitativement l'activité biologique d'isomères différents, en partie parce que la structure tridimensionnelle réelle du récepteur ou de l'enzyme n'est souvent pas connue. Comme il a été mentionné précédemment dans la présente décision, dans le cas de l'ECA, la structure tridimensionnelle de l'enzyme n'a été précisée qu'en 2003.

[149]        Apotex cite la décision Biovail Pharmaceuticals Inc. et autres c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2005), 37 C.P.R. (4th) 487, 2005 CF 9, pour affirmer que la preuve d'expert soumise à un tribunal « devrait être le fruit du travail indépendant de l'expert, sans qu'il n'ait été influencé, sur le plan de la forme et du contenu, par les exigences qu'un procès comporte » (au paragraphe 16). Suivant Apotex, la suppression des trois paragraphes en question de l'affidavit souscrit par le Dr Triggle dans le cadre de la présente instance démontre que l'avis du Dr Triggle avait été nettement influencé par les exigences du présent procès.

[150]        Bien qu'Apotex ait soumis le Dr Triggle à un contre-interrogatoire serré, cette proposition ne lui a jamais été soumise, et je n'ai pas l'intention de me livrer à des spéculations quant aux motifs pour lesquels les trois paragraphes en question ont été retranchés de l'affidavit avant que celui-ci ne soit déposé devant la Cour dans le cadre de la présente instance. Une chose est sûre : lorsque les paragraphes de l'affidavit qu'il avait souscrit dans l'affaire Pharmascience lui ont été cités lors de son contre-interrogatoire, le Dr Triggle en a confirmé la teneur.

[151]        J'ai également examiné l'argument d'Aventis et de Schering suivant lequel le Dr Marshall a placé la barre trop haute en visant la certitude pour ce qui était du critère de la prédiction valable. Je constate à cet égard que, dans son affidavit, le Dr Marshall reprend le critère à trois volets de la prédiction valable énoncé dans l'arrêt Wellcome. De toute évidence, il était au courant que la certitude n'était pas nécessaire pour faire une prédiction valable. Qui plus est, je suis convaincue, après avoir examiné en entier son témoignage, que le Dr Marshall comprenait bien le critère applicable à cet égard.

[152]        Finalement, j'ai examiné attentivement l'argument d'Aventis et de Schering suivant lequel, en soulignant la nécessité d'effectuer des tests pour mesurer des paramètres comme la toxicité, la biodisponibilité et l'activité, le Dr Marshall cherchait en réalité à savoir si l'on pouvait valablement prédire que les composés visés par la revendication 12 du brevet 206 avaient une utilité commerciale, par opposition à l'utilité telle qu'elle est entendue dans le contexte des brevets.


[153]        Je reconnais qu'à certains endroits dans son témoignage, le Dr Marshall semble avoir examiné la question de l'utilité du point de vue de l'usage que pourraient ou non avoir les composés créés par les scientifiques de Schering sur le plan commercial comme inhibiteurs de l'ECA et antihypertenseurs. Comme la Cour suprême du Canada l'a expliqué dans l'arrêt Wellcome, il n'est pas nécessaire d'avoir effectué des essais cliniques chez les humains pour établir la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d'autres facteurs de ce type afin de pouvoir formuler une prédiction valable. Ce n'est pas une question d'innocuité et d'efficacité, mais plutôt d'utilité dans le contexte de l'inventivité (arrêt Wellcome, précité, au paragraphe 77).

[154]        Nous discuterons plus en détail de cet argument dans le contexte de mon analyse de la question de l'utilité. Je me bornerai à dire à ce stade que, bien que j'aie certaines réserves en ce qui concerne le témoignage du Dr Marshall au sujet de la nécessité d'effectuer des tests pour établir certains paramètres tels que la toxicité afin de pouvoir faire une prédiction valable, je ne considère pas que cela réduit d'une quelconque façon le poids qui doit être attribué à son témoignage. Le type d'utilité requise dans le cadre d'un brevet est une question d'ordre juridique, qui déborde le cadre des connaissances spécialisées du Dr Marshall. À cet égard, ce dernier s'est fié de toute évidence aux instructions qu'il a reçues de son avocat.

[155]        Le fait que le Dr Marshall puisse avoir examiné l'utilité commerciale à certains moments dans son témoignage ne mine en rien la validité de sa conclusion que les connaissances n'étaient tout simplement pas suffisantes concernant la chiralité ou la stéréochimie des composés testés par Schering durant la période précédant le dépôt au Canada, en octobre 1981, pour qu'on puisse être en mesure de prévoir si les composés visés par la revendication 12 du brevet 206 présenteraient une activité quelconque. Cette conclusion s'inscrit tout à fait dans le cadre du domaine de compétence du Dr Marshall et, pour les raisons énoncées ci-dessus, je préfère à cet égard le témoignage du Dr Marshall à ceux des Drs Triggle et Silverman.


(iii)      Conclusion sur les deux premiers volets du critère de l'arrêt Wellcome

[156]        Il est clairement établi en droit que le breveté n'est pas limité aux composés spécifiques qu'il a effectivement fabriqués ou testés avant de réclamer la protection conférée par le brevet. Le breveté peut revendiquer une protection plus vaste qui s'étend à une catégorie de composés, à condition que sa revendication soit fondée sur une prédiction valable.

[157]        Il est indubitable que le brevet 206 s'est avéré être une invention très utile. La Cour suprême du Canada a toutefois rejeté une telle « validation après coup » dans l'arrêt Wellcome. Ainsi, le fait que trois des composés visés par le brevet 206 se sont par la suite avérés avoir une valeur commerciale n'est d'aucune utilité pour déterminer la validité de la prédiction à l'époque en cause (voir l'arrêt Wellcome, précité, aux paragraphes 78 à 85).

[158]        Pour être valable, la prédiction de Schering doit avoir un fondement factuel, et les inventeurs doivent avoir un raisonnement clair qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Je suis consciente du fait que la jurisprudence nous enseigne qu'il faut aborder ces questions avec un réel souci de confirmer une invention vraiment utile (Wellcome, précité, au paragraphe 92). Toutefois, pour les motifs que j'ai exposés, je suis convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu'en octobre 1981, la prédiction de Schering selon laquelle huit des composés visés par la revendication 12 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs n'était pas valable et qu'en conséquence, les allégations d'Apotex à cet égard étaient justifiées.


(iv)      Y a-t-il eu une divulgation suffisante?

[159]        Le troisième élément du critère à trois volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Wellcome est l'obligation pour l'inventeur de faire une divulgation suffisante.

[160]        La divulgation est, jusqu'à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet (Wellcome, précité, au paragraphe 70).

[161]        Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d'une manière complète, claire et exacte la nature de l'invention et la façon de la mettre en pratique (Wellcome, précité, au paragraphe 70, citant l'ouvrage de Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, à la page 167). Dans l'arrêt Wellcome, la Cour suprême a poursuivi en faisant remarquer que le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l'invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Comme, dans l'affaire Wellcome, les faits ne permettaient pas de connaître les exigences précises de la divulgation, la Cour suprême a refusé d'en dire plus sur le sujet.

[162]        Avant de se demander si la divulgation est suffisante en l'espèce, il est une fois de plus nécessaire d'aborder la question de la date à retenir pour trancher cette question.

[163]        Je reviendrai sur cette question dans le cadre de mon analyse de la question du caractère suffisant selon le paragraphe 34(1) de l'ancienne Loi sur les brevets. Toutefois, pour ce qui est du troisième volet du critère de la prédiction valable posé dans l'arrêt Wellcome, il est évident que la date à retenir est soit la date de priorité soit la date du dépôt au Canada. Il n'y a rien dans l'arrêt Wellcome qui permette de penser que c'est la date de la délivrance qu'il faut retenir.

[164]        Comme je l'ai déjà signalé, l'arrêt Wellcome est moins clair en ce qui concerne la question de savoir si c'est la date de priorité ou celle du dépôt au Canada qu'il faut retenir pour appliquer le critère de la prédiction valable. Toutefois, pour les motifs précités, je conclus que c'est la date du dépôt de la demande de brevet au Canada qu'il faut retenir. Il serait illogique de juger les deux premiers éléments du critère de la prédiction valable en fonction d'une date et d'examiner le troisième élément d'après une autre (en l'occurrence, la date de délivrance du brevet) et l'arrêt Wellcome ne permet d'ailleurs pas de le penser. En conséquence, je me propose d'évaluer la suffisance de la divulgation du brevet 206 en fonction de la date du 20 octobre 1981.

[165]        Mais au bout du compte, le choix de la date n'aurait eu aucune incidence sur le résultat de mon analyse, étant donné que j'en serais arrivée à la même conclusion, que je retienne la date de priorité du 23 octobre 1980 ou encore celle du dépôt du brevet au Canada.

[166]        Apotex affirme que la divulgation est entachée de plusieurs irrégularités. Nous les examinerons à tour de rôle.


a) Exploitabilité de l'exemple 20A

[167]        Dans son avis d'allégation, Apotex affirme que la première étape dans l'exemple 20A ne permet pas de produire les composés de la revendication 12. Elle soutient que le composé titre de l'exemple 20A :

[traduction] [...] ne pourrait être synthétisé à cause du caractère inopérant de la méthode de l'exemple 18A [¼] vu que l'oxydation par l'acétate de mercure de l'octahydracyclopental[b]pyrrole, telle que décrite dans l'exemple 18A, ne permet pas de produire l'imine correspondante nécessaire pour la synthèse d'une série d'intermédiaires subséquents requis pour la production du composé titre de l'exemple 20. De plus, le mémoire descriptif n'enseigne pas comment une personne versée dans l'art peut préparer ces composés visés par les revendications en litige, notamment les revendications 12 et 13, où les centres chiraux [sont de configuration trans].

[168]        Pour comprendre l'exemple 20A, on peut se reporter au diagramme suivant :


[169]        Aventis affirme que bien qu'Apotex déclare qu'un processus spécifique d'oxydation (acétate de mercure) n'est pas exploitable, Apotex n'a pas pu affirmer qu'une personne versée dans l'art ne pouvait appliquer l'invention en faisant des expériences courantes en atelier. En outre, Aventis ajoute que l'exemple 20 est exploitable et que, de toute façon, il existe diverses méthodes pour synthétiser les composés de l'exemple 20A.


[170]        Schering signale qu'Apotex ne prétend pas qu'aucune des étapes de l'exemple 20A ne fonctionne, mais seulement qu'une réaction déterminée dans un des exemples d'un très long brevet ne fonctionne pas. Suivant Schering, cette allégation n'est pas justifiée, étant donné que l'avis d'allégation est lui-même entaché d'irrégularités, étant donné qu'il n'allègue pas qu'une personne versée dans l'art ne pourrait pas fabriquer le produit dont il est question dans l'exemple 20A, eu égard à l'ensemble du mémoire descriptif et compte tenu de l'état des connaissances courantes générales à l'époque en cause. Schering affirme par ailleurs que l'exemple 20A ne permet pas d'effectuer l'opération visée.

[171]        Pour répondre à cette question, je n'oublie pas que la divulgation s'adresse à une personne versée dans l'art, qui est déterminée à comprendre et non le contraire. La personne versée dans l'art peut se servir de ses connaissances générales ainsi que d'autres renseignements publics. Le brevet doit recevoir une interprétation téléologique et non une interprétation littérale. Qui plus est, un brevet ne doit pas être radié pour cause de vice de forme (Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. [1976] 1 R.C.S. 555, 17 C.P.R. (2d) 97, à la page 104 (C.S.C.); Airseal Controls Inc. c. M & I Heat Transfer Products, [1993] A.C.F. no 1417, au paragraphe 40, 53 C.P.R. (3d) 259, à la page 274 (C.F. 1re inst.); Sandoz Patents Ltd. c. Gilcross Ltd. [1974] R.C.S. 1336, 8 C.P.R. (2d) 210, aux pages 217 et 218 (C.S.C.) et Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd., [1984] A.C.F. no 239, 80 C.P.R. (2d) 1, à la page 41(C.A.F.)).

[172]        Pour que l'invention soit complète à la date de la demande de brevet, il faut qu'aucune activité inventive supplémentaire ne soit nécessaire pour faire fonctionner l'invention visée par le brevet. Toutefois, s'il reste simplement à effectuer « les quelques travaux nécessaires » , on ne peut pas prétendre que l'invention était incomplète à la date de la demande de brevet (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [1995] 2 C.F. 723, au paragraphe 68, 60 C.P.R. (3d) 356, à la page 385).

[173]        Il y a donc trois questions à résoudre. La première est celle du caractère suffisant de l'avis d'allégation d'Apotex dans la mesure où il se rapporte à la suffisance de la divulgation du brevet 206. Deuxièmement, il faut décider si l'exemple 20A fonctionne effectivement. Enfin, si je conclus que l'exemple 20A ne fonctionne pas dans sa version actuelle, il faut alors se demander si l'on peut faire fonctionner le composé titre de l'exemple 20A en faisant des expériences courantes et non inventives en laboratoire.

b)    Suffisance de l'avis d'allégation

[174]        Aventis et Schering affirment que l'avis d'allégation d'Apotex est insuffisant, car il n'affirme pas qu'une personne versée dans l'art ne pourrait pas réaliser le produit visé par l'exemple 20A compte tenu de l'ensemble du mémoire descriptif et des connaissances générales courantes.

[175]        Ainsi qu'il a déjà été signalé dans la présente décision, la question qui se pose est celle de savoir si l'exposé est suffisamment détaillé pour informer pleinement Aventis des raisons pour lesquelles Apotex allègue qu'il n'y aurait pas de contrefaçon du brevet si le ministre délivrait l'avis de conformité (arrêt Novopharm Limited, précité).


[176]        L'avis d'allégation d'Apotex prévoit expressément que l'invention sera mise en pratique par une personne versée dans l'art, ce qui suppose que cette personne possédera les connaissances générales courantes pertinentes. Qui plus est, il ressort de la preuve volumineuse présentée par Aventis et par Schering à l'appui de l'argument du caractère suffisant pour ce qui est de l'exemple 20A qu'Aventis et Schering sont toutes les deux parfaitement conscientes de la nature de la contestation formulée par Apotex.

[177]        En conséquence, je suis convaincue que l'avis d'allégation d'Apotex est suffisant pour ce qui est de cette question.

c)    L'exemple 20A fonctionne-t-il?

[178]        À l'appui de son argument que la première étape de la séquence des réactions énumérées dans l'exemple 20A est inexploitable, Apotex invoque le témoignage du Dr Edward Lee-Ruff, qui a déclaré à la barre qu'il avait essayé sans succès de mettre en pratique l'exemple 20A pour synthétiser le composé titre de l'exemple 20A.

[179]        Apotex cite également le témoignage du Dr Robert McClelland à l'appui de son assertion que la première réaction de l'exemple 20A est inexploitable. Le Dr McClelland n'a pas réussi à mettre en pratique l'exemple 20 pour synthétiser le composé de stéréochimie trans.


[180]        Finalement, Apotex se fonde sur les travaux expérimentaux effectués par le Dr Edward Taylor, sir Harold Barton et le Dr Volker Teetz, qui sont décrits dans les déclarations déposées par le prédécesseur d'Aventis, Hoechst, dans des procès en brevet intentés en Europe et aux États-Unis. Taylor et Barton signalent tous les deux avoir tenté sans succès de mettre en pratique l'exemple 20A, alors que Teetz aurait obtenu un modeste produit de l'intermédiaire souhaité.

[181]        Aventis et Schering affirment que, comme Apotex a choisi de ne pas déposer d'affidavits de l'un ou l'autre des déposants, privant ainsi Aventis et Schering du droit de procéder à un contre-interrogatoire, les déclarations de Taylor, de Barton et de Teetz constituent toutes du ouï-dire inadmissible et devraient donc être écartées.

[182]        Aventis se fonde sur le témoignage du Dr James Wuest pour étayer son affirmation selon laquelle l'exemple 20A ne nous enseigne pas une méthode exploitable pouvant être utilisée pour formuler les composés visés par la revendication 12 du brevet 206. Le Dr Wuest déclare qu'un spécialiste en chimie organique compétent pourrait préparer le composé en position 5,5 trans par des méthodes courantes de laboratoire, notamment une lecture limitée des publications disponibles en chimie.

[183]        À cet égard, le Dr Wuest signale un article de 1959 divulguant la synthèse d'un cycle 5,5 trans analogue, qu'il décrit comme [traduction] « un précurseur potentiel » pour la synthèse de dérivés substitués. Selon le Dr Wuest, à la lumière de cet article, la personne versée dans l'art pourrait avoir préparé des cycles 5,5 trans puis utilisé les méthodes enseignées par l'exemple 20A pour synthétiser le composé final de stéréochimie trans.

[184]        Aventis s'appuie également sur le témoignage du Dr William Pirkle. Ce dernier est professeur émérite à l'Université de l'Illinois, où il a donné des cours et effectué des recherches en chimie analytique, en particulier sur la séparation des composés chiraux.

[185]        En contre-interrogatoire, le Dr Pirkle a affirmé que les réactions en question étaient des [traduction] « réactions normales » qui sont connues depuis des années. À son avis, un chimiste compétent disposait des outils nécessaires pour obtenir le matériel en cause.

[186]        Schering invoque le témoignage du Dr Braden Roach, qui affirme que lui et son associé, le professeur Meinwald, ont réussi à mettre en pratique l'exemple 20A à la fin des années quatre-vingts. L'expert d'Apotex, le Dr McClelland, a reconnu que le professeur Meinwald est un spécialiste en chimie organique de réputation internationale.

[187]        Le Dr Roach déclare qu'après une répétition, il avait obtenu environ 32 à 35 % de l'intermédiaire Δ1 recherché de configuration cis.


[188]        Selon le Dr Roach, les Drs Taylor et Barton n'ont pas réussi à appliquer l'exemple 20A parce qu'ils ont utilisé des méthodes inadéquates. Le Dr Taylor n'a pu détecter le composé recherché à cause d'une méthode de travail inappropriée et de procédures d'analyse inappropriées pour la détection de petites quantités d'imine. Le Dr Roach soutient que sir Harold Barton a été incapable de détecter la présence de l'imine recherchée à cause de sa disparition durant la distillation et la liaison au précipité de mercure qui a été produit durant la réaction et par la suite jeté. Une telle liaison peut être évitée par l'ajout de sulfure avant l'enlèvement du précipité, opération signalée dans l'état antérieur de la technique. Au dire du Dr Roach, sir Harold a donc essentiellement jeté le produit.

[189]        En conséquence, le Dr Roach conclut que l'écart entre le produit qu'il a obtenu et celui qu'ont obtenu les Drs Barton et Taylor tenait aux méthodes que ceux-ci ont utilisées pour isoler l'imine, et non pas à l'étape d'oxydation comme telle.

[190]        Le Dr Roach a également cerné un certain nombre de ce qu'il appelle des failles dans le travail effectué par les Drs Lee-Ruff et McClelland. Plus précisément, le Dr Roach affirme qu'après que le processus d'oxydation eut échoué à quelques reprises, il s'est rendu compte que le composé était très volatil et qu'il était nécessaire d'ajouter un sulfure au mélange pour obtenir la réaction souhaitée. Selon le Dr Roach, cette solution aurait été évidente si l'on avait consulté les ouvrages pertinents.

[191]        Le Dr Roach a également reproché aux Drs McClelland et Lee-Ruff de ne pas avoir effectué un bilan pondéral. Il ajoute que le Dr Lee-Ruff n'a pas mis l'acétate de mercure à l'abri de la lumière, n'a pas vérifié si le précipité contenait l'intermédiaire recherché ni n'a pris les mesures nécessaires pour éviter une réaction de trimérisation.


[192]        Schering mentionne également le témoignage d'Edward Mazer, avocat en brevets au service de Schering. M. Mazer a passé en revue l'histoire du brevet 206, signalant que les premières allégations de Hoechst concernant l'inexploitabilité ont été soit rejetées soit abandonnées.

[193]        Avant de passer à l'analyse du témoignage des divers experts sur la question de l'exploitabilité de l'exemple 20A, il y a lieu de se prononcer sur la question préliminaire de l'admissibilité des déclarations de Barton, de Teetz et de Taylor.

d) Les déclarations de Barton, de Teetz et de Taylor devraient-elles être admises en preuve?

[194]        Tout en admettant que rien ne permet de penser qu'aucun des trois déposants n'était disponible pour souscrire un affidavit pour la présente instance, Apotex fait valoir que les témoignages qu'ils ont donnés dans les procès qui ont eu lieu aux États-Unis devraient néanmoins être admis en preuve en l'espèce. Selon Apotex, tout doute quant à la fiabilité de leur témoignage est ainsi dissipé, étant donné que c'est Hoechst (maintenant Aventis elle-même) qui a déposé les affidavits dans les procès qui ont eu lieu à l'étranger.

[195]        Apotex affirme par ailleurs que le fait que les déclarations sont citées dans l'affidavit du Dr Roach a eu pour effet de [traduction] « légitimer ce témoignage » .

[196]        Je n'accepte pas les arguments avancés par Apotex à cet égard.

[197]        On peut exprimer de la manière suivante le principe interdisant le ouï-dire :


[traduction] Les déclarations, écrites ou verbales, ou les communications faites par des personnes autrement que lors d'un témoignage dans le cadre de l'instance où elles sont présentées, sont inadmissibles si elles sont produites pour établir leur véracité ou les assertions implicites qui en découlent.

(J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., 1999, à la page 173.)

[198]        Les témoignages en question constituent de toute évidence du ouï-dire et ils ne devraient être admis en preuve que s'ils sont visés par une des exceptions au principe interdisant le ouï-dire (Merck & Co. c. Apotex Inc. [1998] 3 C.F. 400, au paragraphe 7, 79 C.P.R. (3d) 501).

[199]        Il n'y a manifestement aucune question de nécessité en l'espèce, car l'avocat d'Apotex a reconnu franchement que la Cour ne disposait d'aucun élément de preuve permettant de penser que l'un ou l'autre des trois déposants n'était pas disponible pour souscrire un affidavit dans le cadre de la présente instance.

[200]        Qui plus est, rien ne permet de penser que Barton, Teetz ou Taylor ont déjà été contre-interrogés aux États-Unis ou en Europe au sujet de leurs déclarations. La fiabilité de leur témoignage n'a donc jamais été vérifiée. D'ailleurs, si j'ai bien compris, Schering n'était pas partie au procès intenté aux États-Unis, tandis qu'Apotex n'a pris part ni aux procès américains ni à ceux qui ont eu lieu en Europe.

[201]        Le fait que les déclarations ont été soumises par Hoechst/Aventis ne constitue pas, à mon avis, une raison suffisante pour les admettre en preuve dans la présente instance. Ainsi que Sopinka, Lederman et Bryant le soulignent, ce type de raisonnement devrait être rejeté parce qu'il part du principe que, lorsqu'elle produit un témoin, une partie assure qu'il est crédible (The Law of Evidence in Canada, précité, au paragraphe 6.291).

[202]        Je me suis par ailleurs demandé si les éléments de preuve en question devaient être admis en tant qu'aveux contre intérêt. La théorie à la base de cette exception à la règle interdisant le ouï-dire est que, la nature humaine étant ce qu'elle est, on ne s'attendrait pas normalement à ce qu'une partie mente lorsque cela va contre ses intérêts. Il s'ensuit que l'aveu que quelqu'un fait contre son propre intérêt peut être présumé suffisamment fiable pour justifier l'inapplication de la règle habituelle qui interdit l'admission d'une preuve par ouï-dire.

[203]        À mon avis, il y a trois raisons pour lesquelles cette exception à la règle interdisant le ouï-dire n'est d'aucune utilité pour Apotex en l'espèce. Premièrement, il convient de noter que les déclarations en litige n'ont pas été faites directement par Hoechst/Aventis mais par des personnes dont deux (Barton et Taylor) n'avaient aucun lien avec la compagnie.


[204]        Deuxièmement, bien que ces éléments de preuve aient été effectivement soumis par Hoechst/Aventis, lors de leur présentation, les déclarations n'étaient pas contre l'intérêt de la compagnie, mais appuyaient plutôt les démarches entreprises par Hoechst/Aventis en vue de s'opposer à la délivrance d'un brevet à Schering relativement à l'invention qui était censée être visée par le brevet 206 dans le procès intenté en Europe, ou pour obtenir un brevet pour elle-même dans le cas du procès engagé aux États-Unis.

[205]        Finalement, le fait que le Dr Roach mentionne les trois déclarations dans son affidavit ne contribue en rien, selon moi, à établir la véracité des déclarations, et ne traite pas des questions d'équité évoquées dans les paragraphes précédents.

[206]        Pour ces motifs, les déclarations de Barton, de Teetz et de Taylor sont exclues.

e) Analyse de l'exploitabilité de l'exemple 20A

[207]        Il est acquis aux débats que le mémoire descriptif est suffisant si une personne versée dans l'art peut appliquer l'invention, et ce même s'il peut être nécessaire de procéder à des expériences et à des essais courants qui n'équivalent pas à une invention pour obtenir le résultat souhaité (Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. [1995] A.C.F. no 1243, au paragraphe 29, 63 C.P.R. (3d) 473, aux pages 484 à 486 (C.A.F.) : Merck & Co. c. Apotex Inc. (1995), précité, au paragraphe 67.

[208]        Dans le cas qui nous occupe, Schering admet qu'il a fallu plusieurs essais successifs avant de réussir à mettre en pratique l'exemple 20A, mais tant pour Aventis que pour Schering, ces épreuves n'étaient rien de plus que le type d'expériences et d'essais courants permis par la jurisprudence.


[209]        J'ai attentivement examiné le témoignage des divers experts sur ce point. Malgré le fait que tous les experts en procédés chimiques (sauf M. Mazer) étaient des experts hautement qualifiés dans leur domaine, j'estime qu'il y a lieu de préférer le témoignage des experts d'Aventis et de Schering à celui des Drs McClelland et Lee-Ruff. Je suis donc convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que le processus d'oxydation par l'acétate de mercure décrit dans l'exemple 20A était exploitable en octobre 1981.

[210]        La principale raison pour laquelle j'en arrive à cette conclusion est qu'au bout du compte, ni le Dr Lee-Ruff ni le Dr McClelland n'ont pu affirmer avec la moindre assurance qu'ils n'avaient pas effectivement créé le composé souhaité à l'aide du procédé décrit à l'exemple 20A.

[211]        En contre-interrogatoire, ni le Dr Lee-Ruff ni le Dr McClelland n'ont été en mesure de fournir une explication satisfaisante pour tout leur matériel même si le concept d'un bilan pondéral (comptabilisation de tout le matériel dans un système) était bien connu de tout chimiste. Le Dr McClelland ne pouvait rendre compte de tout son matériel de départ. Surtout, il ne pouvait exclure la possibilité qu'il avait vraiment fabriqué le Δ1-imine en petite quantité en utilisant le processus décrit à l'exemple 20A. Il a déclaré ce qui suit en contre-interrogatoire :            

[traduction]

Q.     Ai-je raison de dire qu'on ne peut exclure que le pic à 109 dans le spectrogramme de masse que nous examinons est l'imine recherchée?


R.     Cela pourrait être l'autre imine. S'il s'agit d'une imine, nous ne [savons] pas si c'est une delta-1-imine ou la delta-1-6A. Si cela devait être une [quelconque] imine, ce devrait être la delta-1-6A-imine, parce qu'elle est beaucoup plus stable que l'imine delta-1.

Q.     Ce que je voulais savoir, c'est est-il vrai que vous ne pouvez exclure qu'il s'agit de la delta-1-imine?

R.     Si c'est une delta-1-imine, elle est présente en quantité inférieure à 1 %, et je ne le vois pas dans la RMN. Je verrais un signal correspondant.

Q.     Vous ne pouvez exclure qu'il s'agit de la delta-1-imine; vous avez une attente, mais vous ne pouvez me dire de façon concluante qu'il ne s'agit pas de la delta-1-imine.

R.     S'il s'agit de la delta-1-imine, alors je suis incapable de l'extraire et de le prouver, et j'ai essayé, dans le cadre de cette expérience. Je m'attends à obtenir la delta-1-6-imine dans cette réaction, comme je l'ai dit dans mon rapport. Mais j'ai vu, lorsque j'ai tenté la première expérience, lorsque je devais isoler la delta-1-6-imine, que l'histoire serait finie [sic].

Cela ne s'est pas passé comme prévu. La réaction n'a pas du tout fonctionné; elle n'a rien produit d'autre que le matériel de départ et peut-être certains produits de décomposition.

S'il s'agit d'une imine, mais rien ne le prouve à part la suggestion qu'il y a un pic à 109, je ne peux alors exclure qu'il s'agit d'une delta-1-imine. Mon attente est cependant qu'il y a une delta-1-6-imine, mais qu'il n'y en a pas assez pour que je puisse l'analyser. [Dossier d'Aventis, p. 13300-13301]

[212]        Pour sa part, le Dr Lee-Ruff a admis en contre-interrogatoire qu'il n'avait pas vérifié si le précipité contenait l'intermédiaire recherché, même si une réaction était survenue. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Q.    Où est maintenant le précipité dont il est question dans votre affidavit et qui a été enlevé du système de réaction que vous avez décrit?

R.     Il repose probablement quelque part dans mon laboratoire.

Q.     Le précipité a-t-il été examiné d'une façon quelconque pour déterminer son identité?

R.    Non.                                      [Dossier d'Aventis, p. 13622]

[213]        Le Dr Lee-Ruff a admis par la suite que la molécule cible peut avoir adhéré à ce précipité. Il a reconnu de plus qu'il peut avoir réussi à fabriquer une petite quantité de l'imine recherchée en utilisant le processus enseigné dans l'exemple 20A :

[traduction]

Q.    Si l'on examine le troisième essai, qui est identifié par la mention « Page 21 » , il y a toujours un très petit pic à environ 7,2, 7,4, 7,6 et 7,8. On observe de fait quatre petits pics. Voyez-vous cela?

R.     Je le vois.

Q.     Vu que le produit n'a pas été dilué dans le chloroforme ou le CECL3, il ne peut s'agir d'un pic de chloroforme, non?

R.     Vous avez raison.

Q.     Savez-vous ce que représentent ces pics?

R.     Je ne sais pas.

Q.     Il pourrait s'agir d'une petite quantité de l'imine recherchée?

R.     Peut-être.                                [Dossier d'Aventis, p. 13708-13709]

[214]        En d'autres termes, bien que ni le Dr Lee-Ruff ni le Dr McClelland n'aient pu isoler ou identifier le composé recherché en cause après avoir utilisé un processus d'oxydation par l'acétate de mercure décrit dans l'exemple 20A, ni l'un ni l'autre ne pouvait non plus écarter la possibilité que le processus avait réussi à créer le composé recherché.

[215]        Là encore, c'est à Apotex qu'il incombe d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la divulgation de l'exemple 20A est insuffisante. Or, elle n'a pas réussi à s'acquitter de ce fardeau.

[216]        Qui plus est, pour le cas où je me tromperais en tirant cette conclusion, je suis convaincue qu'en octobre 1981, il n'existait aucune autre méthode non inventive qu'une personne versée dans l'art pouvait utiliser pour obtenir le résultat souhaité. Nous allons maintenant aborder cette question.

f)    Existait-il d'autres façons non inventives de créer le composé?

[217]        Aventis et Schering affirment que même si la première étape dans l'exemple 20A ne fonctionne pas, on connaissait à l'époque d'autres systèmes d'oxydation que celui décrit dans l'exemple 20A, qui auraient pu être utilisés pour créer le composé recherché.

[218]        À titre d'exemple, le Dr Wuest signale des publications remontant à 1959 et décrivant comment fabriquer un cycle 5,5 trans en utilisant une réaction de substitution nucléophile intramoléculaire faisant intervenir un groupe amino et un groupe bromoéthyle situé en position 1,2 trans comme substituants dans un cycle à cinq atomes.

[219]        Dans leur affidavit, le Dr Lee-Ruff et le Dr McClelland ne traitent que de la méthodologie expliquée à l'exemple 20A.


[220]        Cependant, en contre-interrogatoire, on a demandé au Dr McClelland si une série spécifique de réactions ne pouvaient pas constituer une méthode de rechange de préparation de l'intermédiaire souhaité[2]. Le Dr McClelland a reconnu que le matériel de départ de cette séquence était connu en 1980. Il a ensuite expliqué chacune des étapes de ce qui constitue un processus comptant plusieurs stades. Dans la plupart des cas, le Dr McClelland a expressément reconnu que toute personne versée dans l'art aurait été au courant, en 1980, de la réaction en cause à chacune des étapes en question.

[221]        Dans un cas, le Dr McClelland n'a pas été en mesure de confirmer qu'une réaction déterminée en question fonctionnerait, pas plus qu'il n'a nié qu'elle fonctionnerait. De même, relativement à une autre étape du processus, le Dr McClelland n'a pas précisé si une personne versée dans l'art aurait été au courant de cette étape à l'époque des faits.

[222]        Au bout du compte, c'est à Apotex qu'il incombe de démontrer que les composés nécessaires pour fabriquer les composés décrits dans la revendication 12 du brevet 206 n'auraient pas pu être créés par une personne versée dans l'art à l'époque en cause sans faire preuve d'ingéniosité inventive. Dans ces conditions, Apotex ne m'a pas convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu'en octobre 1981, une personne versée dans l'art n'aurait pas pu créer l'imine recherchée avec les connaissances générales qui existaient alors dans le domaine.


g) Suffisance en ce qui concerne les questions de séparation et de caractérisation

[223]        Apotex déclare également que la divulgation dans le brevet 206 n'est pas suffisante, car elle n'enseigne ni comment séparer ni comment caractériser les stéréo-isomères, notamment les stéréo-isomères du ramipril.

[224]        À cet égard, l'avis d'allégation d'Apotex dit ce qui suit :

[traduction] En outre, le mémoire descriptif du brevet 206 ne montre pas comment une personne versée dans l'art peut isoler ou caractériser les 32 différents stéréo-isomères des composés énumérés ci-dessous, où R2 peut être un hydrogène ou un éthyle. Au nombre des stéréo-isomères que le mémoire descriptif ne montre pas comment isoler ou caractériser figurent les composés de configuration (S), (S), (S), (S), (S) aux centres chiraux identifiés par un *. Ce sont les composés ramipril et ramiprilate [structure omise].

[225]        En appliquant le processus de synthèse utilisé pour fabriquer la molécule de ramipril, il est probable qu'à différents stades, divers mélanges diastéréomériques seront créés. Ainsi, lorsqu'on conçoit un processus de synthèse, il sera nécessaire d'effectuer les séparations en cours de route, de façon à ne pas se retrouver éventuellement avec un mélange de 32 stéréo-isomères différents[3].

[226]        Il est aussi nécessaire de déterminer la structure et la stéréochimie du composé créé, afin de pouvoir établir si le résultat recherché a été obtenu.

[227]        Apotex soutient que la divulgation du brevet 206 présente des lacunes, en ce qu'elle ne montre pas comment séparer les divers stéréo-isomères bicycliques en position 5,5 les uns des autres, ni comment les composés devraient être caractérisés.

[228]        Aventis s'appuie sur les témoignages du Dr Pirkle et du Dr Wuest pour appuyer sa prétention qu'en date de 1980, une personne versée dans l'art aurait été capable d'isoler et de caractériser les stéréo-isomères en question.

[229]        Il est mentionné dans le brevet 206 que les diastéromères dans les exemples peuvent être séparés par chromatographie sur colonne ou par des techniques de cristallisation fractionnée. Dans les exemples qui suivent, le brevet 206 décrit en détail les séparations à faire au cours de la synthèse.

[230]        Dans son témoignage, le Dr Pirkle discute des techniques de chromatographie et de cristallisation fractionnée, étant d'avis qu'une personne versée dans l'art aurait eu accès à ces deux techniques pour séparer les mélanges de diastéréo-isomères en 1980. Le Dr Pirkle ajoute que deux autres méthodes de séparation, à savoir la distillation simple et la chromatographie par échange de ligands, existaient en 1980.


[231]        Comme il a été noté précédemment, les diastéréo-isomères possèdent des propriétés physiques différentes, qui peuvent être utilisées pour faciliter le processus de séparation. Ce n'est pas le cas des mélanges d'énantiomères, car ceux-ci ont des propriétés physiques identiques. Le Dr Pirkle a décrit les techniques permettant de séparer les mélanges racémiques d'énantiomères en les faisant réagir avec un réactif de façon à obtenir un mélange de diastéréo-isomères. Ce mélange peut ensuite être séparé par chromatographie ou cristallisation et, au besoin, être reconverti dans les énantiomères originaux. Selon le Dr Pirkle, cette technique était connue dans les années soixante-dix.

[232]        Enfin, le Dr Pirkle décrit diverses techniques qui étaient couramment connues et accessibles à l'époque en question pour « caractériser » ou déterminer la structure et la stéréochimie des composés créés. Citons entre autres la radiocristallographie, les mesures chiroptiques, la dégradation chimique, la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire et les réactions effectuées à l'aide d'un seul énantiomère d'un catalyseur ou d'un réactif.

[233]        Selon le Dr Pirkle, le brevet 206 renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne versée dans l'art d'isoler et de caractériser n'importe lequel des 32 stéréo-isomères du ramipril. De plus, il estime que même si le brevet ne disait rien sur la séparation, une personne versée dans l'art pouvait avoir effectué la séparation et la caractérisation nécessaires pour fabriquer les stéréo-isomères individuels.


[234]        Le Dr Wuest a également abordé les questions de la séparation et de la caractérisation dans son témoignage. Suivant le Dr Wuest, il ne serait pas nécessaire d'essayer de séparer un seul isomère d'un mélange de 32 isomères différents, car on s'attendrait à ce qu'une personne versée dans l'art réduise au minimum ou élimine la formation de stéréo-isomères non désirés en choisissant la voie de synthèse de même que la stéréochimie des réactifs utilisés pour construire la molécule cible.

[235]        Tout comme le Dr Pirkle, le Dr Wuest signale le fait que le brevet 206 divulgue des techniques de séparation bien connues. Enfin, le Dr Wuest affirme qu'en 1980, une personne versée dans l'art pouvait facilement séparer et caractériser les stéréo-isomères.

[236]        Apotex s'appuie sur le témoignage du Dr Lee-Ruff et du Dr McClelland pour ce qui est des questions de séparation et de caractérisation.

[237]        Dans son témoignage, le Dr Lee-Ruff passe en revue de façon assez détaillée ses diverses tentatives de séparer les mélanges contenant divers stéréo-isomères de ramipril afin de déterminer si une personne versée dans l'art pourrait avoir isolé le ramipril, sans avoir fait preuve d'ingéniosité inventive. Ses tentatives en ce sens ayant été infructueuses, le Dr Lee-Ruff a conclu que, sans les connaissances acquises après coup, la personne versée dans l'art qui suit les enseignements du brevet 206 n'aurait pas pu isoler le ramipril sans faire preuve d'ingéniosité inventive.


[238]        Le Dr McClelland a également abordé la question de la séparation dans son témoignage. Il convient avec le Dr Wuest que les méthodes générales de séparation et de caractérisation des stéréo-isomères identifiées par le Dr Wuest étaient disponibles en 1980. Le Dr McClelland est cependant en désaccord avec le Dr Wuest et le Dr Pirkle quant à la possibilité d'utiliser ces méthodes avec succès, compte tenu des renseignements disponibles sur les composés dans la revendication 12 du brevet 206.

[239]        Le Dr McClelland fait remarquer que les méthodes de séparation font souvent intervenir une bonne part de tâtonnements. Dans ce contexte, il souligne que le brevet 206 ne montre pas comment préparer le ramipril ni le ramiprilate, ni comment séparer aucun des huit diastéréo-isomères dont il est question dans la revendication 12 d'un mélange contenant d'autres stéréo-isomères. Le Dr McClelland conclut donc que même si l'exemple 20A fonctionnait, il serait très difficile de séparer un diastéréo-isomère quelconque, car le brevet 206 ne fournit aucune donnée physique pour caractériser chacun des stéréo-isomères. Le Dr McClelland affirme ainsi que la personne versée dans l'art n'aurait aucune indication lui permettant de dire si les séparations produisaient un stéréo-isomère spécifique.

[240]        Le Dr McClelland fait remarquer qu'il serait particulièrement difficile de séparer le ramipril sans renseignements sur ses caractéristiques physiques. Il est d'avis qu'une personne versée dans l'art peu imaginative [traduction] « n'aurait certainement pas été amenée directement et sans difficulté à séparer le ramipril » . (Affidavit de McClelland, au paragraphe 158)


[241]        Pour ce qui est de la question de la caractérisation, le Dr McClelland souligne que plusieurs des méthodes suggérées par le Dr Pirkle nécessitent une connaissance préalable des données physiques relatives aux composés en question, connaissance que l'on ne possédait pas à l'époque comme il a été mentionné ci-dessus. Le Dr McClelland mentionne les espaces non remplis dans la description des composés aux pages 95 et 96 du brevet 206 qui, selon Aventis et Schering, sont des composés visés par la revendication 12 du brevet 206. Selon le Dr McClelland, si la séparation et la caractérisation des stéréo-isomères étaient aussi courantes que le suggèrent le Dr Pirkle et le Dr Wuest, ces composés auraient été séparés en des stéréo-isomères individuels, et la configuration absolue à chaque centre aurait été identifiée. Les notes de laboratoire de la Dre Smith montrent plutôt qu'elle n'a pas été capable de caractériser les composés obtenus en identifiant chacun des stéréo-isomères ni n'a pu identifier la stéréochimie des composés en question.

[242]        Enfin, le Dr McClelland signale que la Dre Smith a préparé les deux composés en question (SCH 31924 et SCH 31925) en février 1981, quelque neuf mois avant la date de dépôt au Canada. Même si Schering a eu neuf mois pour séparer les composés en stéréo-isomères individuels, identifier ceux-ci et caractériser leurs structures, elle ne l'a pas fait, car les mêmes lacunes dans la caractérisation des composés sont toujours présentes dans le brevet 206.

h)    Analyse

[243]        À supposer que la personne versée dans l'art ait été en mesure de créer le produit recherché dont il est question dans l'exemple 20A du brevet 206, il y a alors lieu de se demander si, en octobre 1981, cette même personne aurait été en mesure de préparer ou d'isoler des stéréo-isomères individuels visés par la revendication 12, dont le ramipril.

[244]        Après avoir attentivement examiné les témoignages des experts sur ce point, je suis convaincue que le témoignage du Dr McClelland et du Dr Lee-Ruff doit être préféré à celui des experts que Aventis et Schering ont fait entendre à ce sujet. De plus, je suis convaincue que, même si les techniques de séparation et de caractérisation étaient peut-être connues en octobre 1981, sans renseignements suffisants sur les caractéristiques physiques des composés en question, le processus de séparation et de caractérisation ne pouvait être mené à terme avec succès.

[245]        En conséquence, je conclus qu'en octobre 1981, la divulgation du brevet 206 était insuffisante, étant donné qu'elle n'enseignait pas comment séparer ou comment caractériser les stéréo-isomères, y compris les stéréo-isomères de ramipril.

[246]        Pour en arriver à cette conclusion, je signale que bien que les Drs Pirkle et Wuest aient adopté un point de vue théorique, ce sont le Dr Lee-Ruff et ses étudiants qui ont effectivement tenté sans succès de réaliser les étapes de séparation et de caractérisation.

[247]        Bien que le Dr Wuest signale qu'il existe une quantité tellement grande de méthodes de séparation des diastéromères qu'il ne voit pas comment une personne versée dans l'art ne réussirait pas à obtenir une certaine séparation des diastéromères visés par la revendication 12 par des expériences courantes, il n'a pas été en mesure de préciser dans quelles conditions ces expériences seraient effectuées.

[248]        Dans le même ordre d'idées, le Dr Pirkle a affirmé qu'il était d'avis qu'on pouvait trouver « une méthode » , sans toutefois pouvoir préciser en quoi consisterait cette méthode.

[249]        La valeur à accorder aux témoignages théoriques donnés par les Drs Pirkle et Wuest doit par ailleurs être examinée à la lumière de l'admission du Dr Pirkle suivant laquelle, lorsqu'il s'agit de séparer des composés inconnus, il y a souvent un écart entre la théorie et la pratique.

[250]        Par ailleurs, le Dr Pirkle a reconnu qu'il avait lui-même rencontré des situations dans lesquelles il n'avait pas réussi à séparer des énantiomères. Il a également reconnu qu'il connaissait des cas dans lesquels de grandes compagnies pharmaceutiques n'avaient pas été en mesure de séparer des énantiomères.

[251]        Enfin, le Dr Pirkle a admis qu'en octobre 1980 - tout juste un an avant la date de dépôt de la demande de brevet au Canada -, on ne comprenait pas très bien la séparation des énantiomères. Rien dans la preuve ne permet de penser que l'état des connaissances publiques a évolué de façon sensible en ce qui concerne la séparation des énantiomères au cours des mois qui ont précédé le dépôt de la demande de brevet au Canada, en octobre 1981.

[252]        Dans ces conditions, je suis convaincu que le témoignage de ceux qui ont effectivement tenté de mettre en pratique les processus de séparation et de caractérisation doit être préféré à celui des témoins qui ont parlé de la question d'un point de vue purement théorique.


(v)         Conclusion sur le troisième volet du critère de l'arrêt Wellcome

[253]        Bien qu'il soit acquis aux débats que, depuis octobre 1981, le ramipril a été à la fois séparé et caractérisé, pour les motifs que j'ai exposés, je suis convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que compte tenu de l'état limité des connaissances en octobre 1981 en ce qui concerne la structure des composés visés par la revendication 12 du brevet 206, la personne versée dans l'art n'aurait pas été en mesure d'isoler ou de caractériser les stéréo-isomères individuels visés par la revendication 12, dont le ramipril, sans faire preuve d'ingéniosité inventive.

[254]        Par voie de conséquence, Apotex m'a convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que la divulgation du brevet 206 est insuffisante à cet égard.

(vi)      Conclusion sur la prédiction valable

[255]        Apotex m'a persuadée que Schering n'a satisfait à aucun des trois éléments du critère à trois volets de la prédiction valable qui a été énoncé dans l'arrêt Wellcome en ce qui concerne les composés visés par la revendication 12 du brevet 206 à la date à laquelle elle a revendiqué la protection conférée par le brevet au Canada, en octobre 1981.

[256]        Comme chacun des composés visés par la revendication 12 est également visé par chacune des revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet 206, la même conclusion vaut pour ce qui est de chacune de ces revendications, en ce qui a trait à la question de la prédiction valable.


[257]        En conséquence, la demande d'interdiction d'Aventis sera rejetée.

[258]        Cette conclusion suffit pour disposer de la demande d'Aventis. Toutefois, pour le cas où je ferais erreur pour ce qui est de la conclusion à laquelle j'en arrive sur la question de la prédiction valable, je me propose d'aborder les autres questions soulevées par Apotex.

XI.      LES REVENDICATIONS EN LITIGE DU Brevet 206 SONT-ELLES INVALIDES POUR DÉFAUT DE SATISFAIRE AUX EXIGENCES DU Paragraphe 34(1) DE L'ANCIENNE LOI SUR LES BREVETS?

[259]        Le paragraphe 34(1) de l'ancienne Loi sur les brevets, précitée, obligeait le demandeur à décrire d'une façon exacte et complète dans son mémoire descriptif l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l'inventeur.

[260]        Le breveté doit fournir une description de l'invention « comportant des détails assez complets et précis pour que [la personne] versé[e] dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole » (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517; Whirlpool Corp. c. Camco Inc. [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 42, 9 C.P.R. (4th) 129, à la page 145).


[261]        J'ai déjà traité de la suffisance de la divulgation du brevet 206 en octobre 1981 dans le contexte de mon analyse de la prédiction valable. Il y a donc lieu de se demander si l'on devrait utiliser la même date pour déterminer si la divulgation de Schering est suffisante au sens du paragraphe 34(1).

[262]        Dans l'affaire AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. [1995] A.C.F. no 744, au paragraphe 23, 61 C.P.R. (3d) 417, la Cour d'appel fédérale était appelée à déterminer la date à laquelle devait être évaluée la suffisance de la divulgation. Le juge de première instance avait retenu la date de priorité - c'est-à-dire la date du dépôt du brevet américain correspondant - plutôt que la date à laquelle le brevet canadien avait été délivré. Pour conclure que le juge de première instance avait commis une erreur à cet égard, la Cour d'appel fédérale a statué que c'est la date de délivrance du brevet et non la date de priorité qu'il faut retenir pour évaluer le caractère suffisant de la divulgation.

[263]        Les faits de la présente affaire sont quelque peu inusités, si l'on considère qu'une vingtaine d'années se sont écoulées entre la date du dépôt et la date de la délivrance du brevet 206. Or, pendant la vingtaine d'années qui se sont écoulées entre-temps, l'état des connaissances scientifiques publiques a considérablement évolué.

[264]        Cette situation ne peut plus se présenter, compte tenu de l'introduction du système fondé sur le principe du « premier déposant » au Canada.


[265]        Bien que la date à retenir pour évaluer la suffisance de la divulgation du brevet ne revête pas souvent une importance critique, la question n'est pas négligeable en l'espèce, car il ne semble pas contesté que, compte tenu de la possibilité de se procurer des échantillons de ramipril pour procéder à des comparaisons et de l'évolution de l'état des connaissances sur sa configuration, la personne versée dans l'art aurait été en mesure d'isoler et de caractériser le ramipril en 2001.

[266]        Par ailleurs, pour les motifs déjà exposés, j'estime que la personne versée dans l'art n'aurait pas pu le faire en 1981.

[267]        Je reconnais que le fait d'utiliser la date de délivrance du brevet pour évaluer la suffisance de la divulgation du brevet 206 a, dans ces conditions, pour effet de permettre à Schering d'obtenir un monopole en échange d'une contrepartie insuffisante et de profiter ensuite de l'évolution de l'état des connaissances publiques alors que la demande est encore en instance.

[268]        Il semble toutefois que l'arrêt AlliedSignal représente l'état actuel du droit canadien sur la question. En conséquence, comme la présumée invention contenue dans le brevet 206 pourrait être mise en pratique, sur le fondement des connaissances générales que posséderait une personne versée dans l'art en 2001, Apotex n'a pas réussi à me persuader que le brevet 206 est invalide parce qu'il ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 34(1) de l'ancienne Loi sur les brevets.

XII.    LES REVENDICATIONS EN LITIGE ONT-ELLES UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE L'INVENTION OU SONT-ELLES INUTILES?

[269]        Dans son avis d'allégation, Apotex affirme que les revendications du brevet 206, y compris la revendication 12, sont invalides pour cause d'inutilité :


[traduction] Nous alléguons également que chacune des revendications en litige est invalide pour cause d'inutilité vu qu'elles incluent des composés qui ne possèdent pas les niveaux d'activité requis ni le profil pharmacologique et toxicologique requis leur permettant d'être utilisés comme inhibiteurs de l'ECA pouvant être administrés par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement des troubles cardiovasculaires, notamment de l'hypertension chez les mammifères, y compris les humains. Tous les composés décrits ci-dessus qui, comme nous l'avons allégué, n'ont pas été fabriqués, isolés, caractérisés ni testés par les prétendus inventeurs, à l'exception des composés ramipril et ramiprilate, sont les composés qui n'ont pas d'utilité. Au nombre des composés visés par les revendications en litige qui ne possèdent pas l'utilité requise figurent les composés où chacun des centres chiraux est de configuration (R).

En particulier, pour ce qui est des composés visés par les revendications 12 et 13 du brevet 206 [...]

[...] À l'exception des composés ramipril et ramiprilate (où chacun des cinq centres chiraux est de configuration (S)), aucun des sept composés restants visés par les revendications 12 et 13 (c.-à-d. les composés où au moins un des trois centres chiraux restants est de configuration (R)) ne possède le niveau d'activité requis ni le profil pharmacologique et toxicologique requis lui permettant d'être utilisé comme inhibiteur de l'ECA pouvant être administré par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement de troubles cardiovasculaires, notamment de l'hypertension chez les mammifères, y compris les humains. Les composés où chacun des trois centres chiraux restants est de configuration (R) n'ont pas en particulier une telle utilité.

(i)    Les règles de droit relatives à l'utilité

[270]        Avant de passer à l'examen des éléments de preuve se rapportant à la question de l'utilité, il est nécessaire de se pencher sur le concept d' « utilité » au sens où ce terme est employé dans le contexte des brevets.


[271]        Pour être brevetable, une invention doit être nouvelle, inventive et utile. Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d'utilité n'est exigé, la [traduction] « moindre parcelle » d'utilité suffit (Fox, Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention, 4e éd., à la page 153).

[272]        L'utilité ne dépend pas des possibilités de commercialisation (Wandscheer et al. c. Sicard Ltd., [1948] R.C.S. 1, à la page 25, 8 C.P.R. 35). En d'autres termes, lorsqu'on détermine l'utilité d'une invention, on ne se demande pas si l'invention est suffisamment utile pour pouvoir être commercialisée, à moins que l'utilité commerciale soit expressément promise. La question que l'on doit se poser est plutôt celle de savoir si l'invention fait ce que le brevet promet qu'elle fera.

[273]        En outre, le fait qu'un composé produise des effets secondaires ne remet pas en question l'utilité, aux fins du brevet, de ce qui constituerait autrement une invention utile (Visx Inc. c. Nidek Co. (1995), 68 C.P.R. (3d) 272, à la page 275, conf. par (1996),72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.), [1995] A.C.F. no 1779, au paragraphe 9).

[274]        Toutefois, si un inventeur revendique plus que ce qu'il a inventé et inclut dans sa revendication des substances qui sont dépourvues de toute utilité, le brevet n'est pas valide (Monsanto Co. c. Commissaire aux brevets (1979), 42 C.P.R. (2d) 161 (C.S.C.)).

[275]        Gardant à l'esprit ces explications des principes applicables, je passe maintenant à l'examen de ce qui est promis par le brevet 206.


(ii) Qu'est-ce que le brevet 206 promet au chapitre de l'utilité?

[276]        Étant donné que le brevet 206 porte sur un genre de nouveaux composés, il n'était pas nécessaire que les scientifiques de Schering ou Schering elle-même abordent la question de l'utilité dans les revendications de brevet. Néanmoins, pour être brevetable, l' « invention » doit présenter « le caractère de la nouveauté et de l'utilité » (article 2 de la Loi sur les brevets, précitée, « invention » ).

[277]        Qu'est-ce que le brevet 206 promet au chapitre de l'utilité? Selon l'avocat de Schering, le brevet 206 certifie qu'il serait préférable que les trois centres chiraux non précisés soient de configuration « S » plutôt que de configuration « R » . Pour appuyer son argumentation, il renvoie aux pages 17 et 18 du brevet où il est dit que :

[traduction] En général, il est préférable que les structures (partie composée d'acides aminés), c.-à-d. [...] [structures omises] [...] de la formule I possèdent la configuration la plus proche de celle des acides aminés L naturels. Habituellement, on attribue aux acides aminés L naturels la configuration S. Parmi les acides aminés L naturels, la cystéine fait figure d'exception, ayant la configuration R.

[278]        Je n'accepte pas cet argument. Bien que le brevet 206 puisse nous enseigner que la configuration « S » est préférée à la configuration « R » , il ne s'agit pas d'une déclaration sur l'utilité promise par le brevet.


[279]        La première page du brevet mentionne que l'invention concerne [traduction] « des dipeptides de carboxyalkyle qui sont utiles comme inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et comme antihypertenseurs » . À la page 24 du brevet, il est dit que [traduction] « les composés de cette invention ont des propriétés pharmacologiques utiles. Ils sont utiles dans le traitement de l'hypertension » .

[280]        Je suis donc persuadée que le brevet 206 promet deux choses : que les composés revendiqués par le brevet auront une utilité comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs.

[281]        J'examinerai maintenant la preuve sur laquelle s'appuie Apotex dans son argumentation relative à l'inutilité.

(iii)      Preuve relative à l'utilité

[282]        Pour appuyer son affirmation que la revendication 12 du brevet 206 n'a pas d'utilité, Apotex renvoie, dans son avis d'allégation, à la déclaration du Dr Reinhard Becker, qui a été déposée par Hoechst dans le cadre du procès intenté contre le brevet américain de Hoechst pour le ramipril. Plus précisément, la déclaration du Dr Becker a été déposée pour appuyer la brevetabilité de la demande de Hoechst après un rejet de sa demande fondé sur le brevet américain de Schering. Le Dr Becker a testé un certain nombre de composés, notamment un composé visé par la revendication 12 du brevet 206 où chacun des trois centres chiraux non précisés possédait la configuration « R » (le composé SSRRR). Selon le Dr Becker, ce composé ne présentait [traduction] « aucune activité inhibitrice » .


[283]        Apotex a également joint un affidavit du Dr Haralambros Gavras. Le Dr Gavras est entre autres le chef du service médical à la Boston School of Medicine et président de l'American Society of Hypertension. Il a passé en revue la déclaration du Dr Becker et a estimé qu'il est douteux que les composés testés par le Dr Becker aient une utilité comme inhibiteurs de l'ECA sur le plan thérapeutique. Bien qu'il ait reconnu que [traduction] « tout était possible » , à son avis, il est peu probable qu'en pratique, ces composés auraient fait l'objet d'investigations plus approfondies, car il existe d'autres inhibiteurs de l'ECA qui sont efficaces à des doses plus faibles.

[284]        Apotex a également produit l'affidavit du Dr Sergei Danilov. Le Dr Danilov est un médecin qui est également titulaire d'un doctorat en pharmacologie. Apotex a retenu ses services pour procéder une série de tests in vitro et in vivo sur des composés se rapportant au ramipril. Ces tests ont été effectués après le dépôt de l'avis d'allégation d'Apotex.

[285]        Les composés qui ont été testés par le Dr Danilov étaient le ramipril et le composé SSRRR. Il a également testé un composé dont les cinq centres chiraux étaient de configuration « R » . Ce composé n'est pas visé par la revendication 12. Le Dr Danilov a également testé le ramiprilate, qui n'est pas non plus visé par la revendication 12.


[286]        Selon le Dr Danilov, le composé SSRRR n'a présenté qu'une légère activité d'inhibition de l'ECA dans le plasma de rat et n'a pas inhibé de façon statistiquement significative l'ECA dans le poumon et le rein. Par conséquent, le Dr Danilov considérait que le composé ne possédait pas de propriétés pharmacologiques utiles comme inhibiteur de l'ECA et ne pouvait être utilisé comme agent médicinal.

[287]        Enfin, Apotex s'appuie sur le témoignage du Dr Marshall, qui a déclaré que l'utilité pharmaceutique d'un inhibiteur de l'ECA découle de son efficacité clinique chez les humains dans le traitement de l'hypertension et des troubles connexes. Le Dr Marshall a souligné que tout composé qui inhibe l'ECA in vitro est potentiellement utile en pratique clinique, à condition que plusieurs autres critères essentiels soient respectés. Parmi ces critères, citons la spécificité, qui a trait à la question de la toxicité, la stabilité métabolique, la biodisponibilité et l'activité.

[288]        Suivant le Dr Marshall, il se peut que bon nombre des composés revendiqués par Schering ne répondent pas à ces critères et n'aient donc aucune utilité clinique.

[289]        Pour ce qui est des composés visés par la revendication 12, le Dr Marshall signale que seul le ramipril se trouve sur le marché aujourd'hui. Le Dr Marshall explique que, si d'autres composés visés par la revendication 12 s'étaient avérés utiles comme inhibiteurs de l'ECA ou comme agents antihypertenseurs, il se serait attendu à les retrouver sur le marché.

[290]        Aventis se fonde sur le témoignage des Drs Rodger Loutzenhiser et Triggle à l'appui de son argument que les composés visés par la revendication 12 sont utiles.

[291]        Le Dr Loutzenhiser est professeur de pharmacologie et de thérapeutique à l'université de Calgary. Il se présente comme un expert dans le domaine de la physiologie et de la pharmacologie des muscles lisses des parois vasculaires. Aventis a demandé au Dr Loutzenhiser d'examiner la déclaration du Dr Becker et de donner son avis sur la question de savoir si les données sur lesquelles le Dr Becker se fondait démontrent que les composés qui y sont mentionnés n'ont pas d'utilité comme inhibiteurs de l'ECA.

[292]        Selon le Dr Loutzenhiser, les données du Dr Becker n'incitent pas à conclure que les composés testés n'ont pas d'utilité comme inhibiteurs de l'ECA. Il signale que la faible dose utilisée par le Dr Becker ne démontre pas l'inactivité des composés à des doses plus fortes. De plus, le Dr Becker a évalué l'activité relative des divers composés testés par rapport au ramipril. L'essai du Dr Becker ne visait pas à établir, ni n'a établi, l'inactivité des composés en question comme inhibiteurs de l'ECA.

[293]        Le Dr Triggle a également passé en revue la déclaration du Dr Becker afin de déterminer si celle-ci montre que le composé SSRRR n'avait pas d'activité comme inhibiteur de l'ECA. Étant donné que le Dr Becker n'a testé le composé qu'à une dose de 1 mg/kg, le Dr Triggle était d'avis que les données du Dr Becker n'établissaient pas que le composé SSRRR était dépourvu d'utilité, car il peut être actif à une dose plus forte que celle étudiée par le Dr Becker.


(iv) Analyse

[294]        L'utilité se démontre par des tests ou par des prédictions valables. J'ai déjà conclu qu'en octobre 1981, les scientifiques de Schering n'avaient pas de motifs suffisants leur permettant de prédire valablement que les composés visés par la revendication 12 du brevet 206 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs.

[295]        À ce stade-ci, il ne s'agit pas de savoir si les scientifiques de Schering auraient pu prédire que les composés en question seraient utiles, mais bien de déterminer si les composés étaient effectivement utiles comme inhibiteurs de l'ECA et agents antihypertenseurs.

[296]        Pour répondre à cette question, il faut d'abord se demander si la déclaration du Dr Becker est admissible en preuve en l'espèce. À cet égard, Aventis et Schering soulèvent la même objection en ce qui concerne le caractère de ouï-dire de la déclaration que celle qui avait été soulevée au sujet des déclarations de Barton, de Taylor et de Teetz et dans nous avons déjà traitée dans la présente décision. Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au sujet des trois autres déclarations, je suis persuadée que la déclaration du Dr Becker ne doit pas être admise en preuve dans la présente instance parce qu'elle constitue du ouï-dire.


[297]        De toute façon, je remarque que le Dr Becker n'a pas parlé de la question de l'activité aux doses supérieures à 1 mg/kg; son opinion ne démontre donc pas l'inutilité des composés à une plus forte dose. À cet égard, il convient de noter que le brevet 206 envisage une gamme de doses possibles allant jusqu'à 30 mg/kg.

[298]        Bien que le Dr Gavras ait examiné la déclaration du Dr Becker, il n'a pas effectué les tests en question, et ne peut parler de la véracité du contenu de cette déclaration, dans la mesure où les données sur les tests sont concernées. Qui plus est, il est clair d'après l'affidavit du Dr Gavras que sa compréhension de la question de l'utilité était liée à la possibilité ou non, pour reprendre ses paroles, que [traduction] « les composés aient une utilité comme inhibiteur de l'ECA sur le plan thérapeutique » . Je lui signale, en toute déférence, que ce n'est pas le critère pour établir l'utilité.

[299]        Aventis et Schering s'opposent aussi au témoignage du Dr Danilov au motif que ses résultats de test et son avis ne sont mentionnés nulle part dans l'avis d'allégation d'Apotex. Cela n'est guère étonnant, compte tenu du fait que le Dr Danilov n'a effectué ses tests que plusieurs mois après que l'avis d'allégation eut été signifié à Aventis.

[300]        La question qui se pose à ce stade-ci est celle de savoir si les résultats des tests et l'avis contenus dans l'affidavit du Dr Danilov ne sont que des éléments de preuve supplémentaires qui appuient les allégations contenues dans l'avis d'allégation d'Apotex ou s'ils constituent des « faits nouveaux » (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précité, au paragraphe 25).

[301]            L'examen de l'avis d'allégation d'Apotex révèle qu'essentiellement, son allégation en ce qui concerne la question de l'inutilité est que toutes les revendications en litige sont invalides parce qu'elles contiennent des composés qui ne possèdent pas :

[traduction] [...] le niveau d'activité requis ni le profil pharmacologique et toxicologique requis qui leur permettrait d'être utilisés comme inhibiteurs de l'ECA pouvant être administrés par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement des troubles cardiovasculaires, notamment de l'hypertension chez les mammifères, y compris les humains.

Apotex ajoute que sept des huit composés visés par la revendication 12 du brevet 206 sont tous dépourvus également d'utilité, selon l'acception qu'Apotex donne au terme.

[302]        Mettant l'accent sur les composés visés par la revendication 12 du brevet 206, l'avis d'allégation souligne que le composé SSRRR n'avait aucune [traduction] « activité inhibitrice » à une dose de 1 mg/kg, d'après les tests effectués par le Dr Becker. En revanche, l'affidavit du Dr Danilov révèle qu'il a testé le composé SSRRR à une concentration de 10 mg/kg.

[303]        En d'autres termes, par le truchement du témoignage du Dr Danilov, Apotex affirme maintenant que le composé SSRRR n'a aucune utilité à une dose dix fois supérieure à celle utilisée dans l'étude de Becker.


[304]        Vu la teneur des allégations d'Apotex au sujet de l'absence de [traduction] « niveau d'activité requis » pour ce qui est de la question de l'utilité, je suis convaincue qu'il ne faut pas tenir compte de l'affidavit du Dr Danilov. À mon avis, cet affidavit soulève de nouveaux faits et non seulement des éléments de preuve appuyant les allégations contenues dans l'avis d'allégation d'Apotex.

[305]        Qui plus est, compte tenu du fait qu'Aventis devait présenter sa preuve la première dans la présente instance et qu'elle se fiait à la définition des questions en litige et des faits articulés par Apotex dans son avis d'allégation, il serait à mon avis injuste de permettre à Apotex d'introduire de nouveaux faits plus tard dans le processus, à un moment où Aventis n'avait pas la possibilité de répondre (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., [2005] A.C.F. no 215 (C.A.F.), au paragraphe 21, 2005 CAF 50).

[306]        Au cas où je me trompe, je devrais aussi signaler que le Dr Danilov a reconnu en contre-interrogatoire que bien que le niveau d'activité du composé SSRRR visé par la revendication 12 fût inférieur à celui du ramipril (qui est un composé SSSSS), même le composé SSRRR a présenté une certaine activité d'inhibition de l'ECA, inhibant 22 % de l'enzyme de conversion de l'angiotensine dans des tests in vivo chez des rats.

[307]        Il ressort à l'évidence du contre-interrogatoire du Dr Danilov que son avis reposait en réalité sur la question de savoir si l'activité du composé en question permettait ou non d'envisager la commercialisation du composé. Ainsi que je l'ai déjà signalé, ce n'est pas le critère qui est appliqué pour mesurer l'utilité en matière de brevets.

[308]        En conséquence, le témoignage du Dr Danilov ne m'a pas persuadée d'accepter l'allégation d'inutilité d'Apotex.

[309]        Il nous reste donc le témoignage du Dr Marshall qui, comme on s'en souviendra, était d'avis qu'avant de pouvoir se prononcer sur l'utilité d'un composé comme inhibiteur de l'ECA, il fallait déterminer la spécificité, la toxicité, la stabilité métabolique, la biodisponibilité et l'activité du composé en question. Ainsi que je l'ai déjà fait observer, dans le contexte de mon analyse de la prédiction valable, l'examen de l'ensemble du témoignage du Dr Marshall amène à la conclusion qu'il examinait en réalité la question de l'utilité du point de vue de la question de savoir si les composés en question auraient ou non une utilité commerciale, par opposition à l'utilité au sens où ce terme est employé dans le contexte des brevets.

[310]        Par ailleurs, bien que le brevet 206 promette que les composés visés par le brevet seront utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs, et qu'ils auront des propriétés pharmacologiques utiles pour le traitement de l'hypertension chez l'humain, c'est à Apotex qu'il incombe de démontrer que les composés visés par la revendication 12 n'ont pas cette utilité. Il n'appartient pas à Aventis de démontrer qu'ils ont cette utilité.


[311]        Bien qu'il soulève des questions au sujet de la spécificité, de la toxicité, de la stabilité métabolique, de la biodisponibilité et de l'activité des composés, le Dr Marshall n'a pas clairement démontré que les composés sont inutiles à cet égard. En conséquence, Apotex ne m'a pas persuadée, selon la prépondérance des probabilités, que les composés visés par la revendication 12 n'ont aucune utilité comme inhibiteurs de l'ECA.

[312]        Apotex soutient par ailleurs que, même si les composés en question sont utiles comme inhibiteurs de l'ECA, la preuve ne permet pas de conclure qu'ils sont utiles comme agents antihypertenseurs.

[313]        À cet égard, Apotex fait observer que l'utilité promise par le brevet 206 est que les composés revendiqués par le brevet seront utiles tant comme inhibiteurs de l'ECA que comme agents antihypertenseurs. Suivant Apotex, la preuve soumise par Aventis et par Schering au sujet de la question de l'utilité est entièrement axée sur la question de l'inhibition de l'ECA et non sur la question de savoir si les composés en question seront utiles comme agents antihypertenseurs.

[314]        Selon Apotex, Aventis et Schering se fondent sur ce qu'Apotex appelle un argument « ergo » . Autrement dit, la thèse qu'elle attribue à Aventis et Schering est la suivante : comme les composés en question sont utiles comme inhibiteurs de l'ECA, il s'ensuit automatiquement qu'ils auront un effet antihypertenseur. Suivant Apotex, l'inhibition de l'ECA ne peut être assimilée à un effet antihypertenseur. Apotex soutient d'ailleurs qu'une foule de propriétés pharmacologiques doivent être réunies pour qu'un composé puisse être utile pour le traitement de l'hypertension.


[315]        Pour appuyer son argument, Apotex fait référence à un article de 1978 publié par Cushman, Cheung, Sabo et Ondetti et intitulé « Design of New Antihypertensive Drugs : Potent and Specific Inhibitors of Angiotensin-Converting Enzyme » (Prog. Cardiovasc. Diseases 21 :176-182), qui fait ressortir que bien que certains composés aient présenté une activité comme inhibiteurs de l'ECA [traduction] « leur activité n'était pas suffisante pour produire un médicament antihypertenseur actif par voie orale qui soit utile » . En contre-interrogatoire, l'avocat d'Apotex a pu faire confirmer cette assertion par le Dr Triggle et le Dr Silverman.

[316]        Apotex a également fait référence à un deuxième article de Cushman et Ondetti datant de 1980, qui déclarait que de faibles inhibiteurs de l'ECA risquent peu d'être efficaces comme médicaments dans le traitement des troubles hypertensifs.

[317]        Apotex s'appuie également sur le témoignage du Dr Marshall, qui déclare qu'il ne s'ensuit pas nécessairement qu'un composé qui a pour effet de réduire la quantité d'angiotensine II dans le corps humain deviendra un agent antihypertenseur utile, à moins que des considérations comme la spécificité, la toxicité, la stabilité métabolique, la biodisponibilité et l'activité du composé ne soient prises en compte. Il convient de noter qu'un certain nombre d'experts d'Aventis et de Schering se sont dits d'accord avec cette affirmation générale.

[318]        Je n'accepte pas l'argument d'Apotex à cet égard.


[319]        D'après ce que je comprends de la preuve, et en particulier du témoignage du propre témoin d'Apotex, le Dr Marshall, l'effet antihypertenseur de l'inhibiteur de l'ECA est une simple question de biomécanique. On s'accorde à reconnaître que l'angiotensine II est un vasoconstricteur, c'est-à-dire qu'il réduit le calibre des vaisseaux sanguins. Pendant la constriction des vaisseaux sanguins découlant de l'effet de l'angiotensine II sur les muscles entourant les vaisseaux, le coeur continue à pomper le sang dans l'appareil circulatoire. Ce sang doit passer par des vaisseaux sanguins rétrécis, ce qui augmente le niveau de résistance des parois vasculaires et accroît la pression sanguine.

[320]        Le fait d'inhiber l'ECA, et ainsi de réduire la quantité d'angiotensine II présente dans l'organisme, aura donc automatiquement pour effet d'abaisser la pression sanguine.

[321]        Bien que je reconnaisse la validité des dires des témoins d'Apotex quant à la nécessité de tenir compte des questions comme la spécificité, la toxicité, la stabilité métabolique, la biodisponibilité et l'activité, ces questions doivent être examinées sous l'angle de l'utilité commerciale des composés en question comme agents antihypertenseurs et de leur mise au point possible comme médicaments. Ces questions n'enlèvent rien cependant à l'affirmation générale selon laquelle l'inhibition de l'ECA entraînera nécessairement une réduction de la pression sanguine.

(v) Conclusion sur la question de l'utilité

[322]        Apotex n'a pas réussi à me convaincre, selon la prépondérance de la preuve, que les huit composés visés par la revendication 12 du brevet 206 sont dépourvus d'utilité, au sens où cette expression est employée dans le contexte du droit des brevets.


XIII. QUESTIONS DE CHEVAUCHEMENT

[323]        Les questions qu'il nous reste à résoudre concernent toutes le chevauchement entre le brevet 206 d'une part et les brevets 087 et and 457 d'autre part. Les parties ont abordé de façon assez sommaire chacune de ces questions, et vu ma conclusion sur la question de la prédiction valable, aucune de ces questions n'a pour effet de décider du sort de l'affaire. Je vais néanmoins aborder brièvement les autres arguments invoqués par Apotex.

[324]        Toutefois, avant de passer à l'examen de ces questions, j'estime qu'il est utile d'examiner le contexte factuel dans lequel elles sont soulevées, et ce, dans le but de bien cerner le débat.

[325]        On se souviendra que le brevet 087 vise certains des composés du brevet 206, y compris le ramipril. Le brevet 087 a été octroyé à Hoechst, le prédécesseur d'Aventis, le 14 mai 1985, et il a depuis expiré.

[326]        Hoechst a présenté une demande pour le brevet 087 le 4 novembre 1982, en revendiquant le 5 novembre 1981 et le 17 juillet 1982 comme dates de priorité. La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui établisse une date antérieure en ce qui concerne cette invention. La date de priorité la plus ancienne en ce qui concerne le brevet 087 est donc postérieure à la date d'invention la plus tardive concernant le brevet 206, c'est-à-dire la date du dépôt de la demande de brevet au Canada d'octobre 1981.


[327]        Le brevet 457 appartenait aussi à Hoechst et il vise l'utilisation de composés, dont le ramipril, destinés au traitement de l'insuffisance cardiaque. Hoechst a présenté une demande pour le brevet 457 le 10 avril 1985, en revendiquant le 12 avril 1984 comme date de priorité. Là encore, la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui établisse une date antérieure pour cette invention. Ainsi, la date de priorité la plus ancienne en ce qui concerne le brevet 457 est postérieure de deux ans et demi à la date d'invention la plus tardive possible du brevet 206. Le brevet 457 a été délivré le 13 décembre 1988 et il expirera en décembre de la présente année.

[328]        Le brevet 206 est un brevet de genre; il revendique une catégorie de composés. Il est acquis aux débats que, bien que le ramipril soit l'un des huit composés visés par la revendication 12 du brevet 206, le brevet 206 ne divulgue pas et ne revendique pas expressément le ramipril.

[329]        Le brevet 087 divulgue le ramipril, lorsqu'il est fabriqué au moyen d'une méthode particulière, ainsi que d'autres inhibiteurs de l'ECA. Il ne divulgue et ne revendique pas le genre du brevet 206.

[330]        Le brevet 457 vise une nouvelle utilisation du ramipril et d'autres inhibiteurs de l'ECA pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Le brevet 457 ne divulgue et ne revendique pas non plus le genre du brevet 206.

[331]        Gardant à l'esprit ces explications des brevets en litige, je passe maintenant à l'examen des autres questions en litige.

XIV. LES REVENDICATIONS EN LITIGE SONT-ELLES INVALIDES POUR CAUSE D'ANTÉRIORITÉ?

[332]        Apotex affirme que le brevet 206 est invalide pour cause d'antériorité en raison du fait qu'en date du 5 novembre 1981, la date de priorité du brevet 087, Schering n'avait pas encore inventé le ramipril, étant donné que le Dr Smith ne l'avait pas encore isolé. Suivant Apotex, c'est Hoechst qui a effectivement inventé la première le ramipril.

[333]        Apotex affirme aussi que le Commissaire aux brevets aurait dû ordonner la tenue d'une procédure de conflit de priorité entre la demande qui a débouché sur la délivrance du brevet 206 et celle qui a donné lieu à la délivrance du brevet 087, conformément à l'article section 43 de la Loi sur les brevets. Selon Apotex, la tenue d'une procédure de conflit aurait dû être ordonnée parce qu'au moins une des revendications d'une des demandes de brevet décrivait l'invention divulguée dans l'autre demande et vice versa.


[334]        Enfin, Apotex affirme que Schering est irrecevable à affirmer qu'elle a inventé le ramipril en premier puisque, comme le souligne Apotex, Schering a admis qu'elle n'avait pas inventé le ramipril dans le contexte de la procédure de conflit de priorité américaine. Par suite du conflit de priorité opposant Hoechst à Schering aux États-Unis, Schering a renoncé à certaines des revendications contenues dans sa demande de brevet présentée aux États-Unis, ce qui, à ses dires, revenait à admettre que Schering n'avait pas droit aux revendications visant la configuration du ramipril. Apotex soutient qu'en renonçant à ses droits sur les revendications en question, Schering a reconnu qu'elle n'avait jamais inventé le ramipril. En conséquence, Apotex affirme que les revendications en litige dans la présente instance sont nécessairement invalides.

[335]        Ainsi que je l'ai déjà signalé au sujet de la question de la prédiction valable, j'en arrive à la conclusion qu'en octobre 1981, date du dépôt au Canada de la demande relative au brevet 206, Schering n'avait pas de motif valable qui lui permettait de prédire que les huit composés visés par la revendication 12 du brevet 206 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs. En conséquence, la question de l'antériorité ne se pose pas dans le cas qui nous occupe.

[336]        Toutefois, pour le cas où je ferais erreur en ce qui concerne ma conclusion sur la question de la prédiction valable et où, en octobre 1981 Schering avait déjà effectivement fait l'invention en question, je suis convaincue que l'invention revendiquée dans le brevet 206 n'avait pas été devancée par l'invention revendiquée dans le brevet 087.

[337]        Ainsi que la Cour suprême du Canada l'a signalé dans l'arrêt Free World , précité, au paragraphe 26, il est difficile de satisfaire au critère de l'antériorité. Citant les propos tenus à la page 297 par le juge Hugessen dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), la Cour a déclaré :


Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

[338]        Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il y a lieu de conclure que l'invention revendiquée dans le brevet 206 n'était pas devancée par l'invention revendiquée dans le brevet 087, à supposer que l'invention revendiquée dans le brevet 206 faisait l'objet d'une prédiction valable à la date du dépôt de la demande canadienne.

[339]        En tout premier lieu, pour les motifs qui seront exposés lors de mon analyse de la question du double brevet, je ne suis pas convaincue que le brevet 087 revendique la catégorie de composés revendiquée dans le brevet 206. En conséquence, il ne peut y avoir de question d'antériorité.

[340]        De plus, je suis convaincue qu'en l'espèce, Apotex cherche en réalité à plaider qu'une invention plus ancienne a été d'une certaine façon précédée par une invention ultérieure. Dans ces conditions, il y a lieu de tenir compte des articles pertinents de l'ancienne Loi sur les brevets, en l'occurrence les alinéas 27(1)a) et 61(1)b) et le paragraphe 43(1).

[341]        Le paragraphe 27(1) accord au premier inventeur le droit d'obtenir un brevet :

27(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande » , et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

[Non souligné dans l'original.]


[342]        Le paragraphe 61(1) précise les modalités de la condition relative au « premier inventeur » :

61(1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l'invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d'être faite par l'inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu'il ne soit établi que, selon le cas :

[...]

b) fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait du donner lieu à des procédures en cas de conflit [...]                               

[343]        Enfin, le paragraphe 43(1) précise dans quels cas il y a conflit entre des demandes de brevet :

43(1) Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes

a) lorsque chacune d'elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention, ou

b) lorsqu'une ou plusieurs revendications d'une même demande décrivent l'invention divulguée dans l'autre ou les autres demandes.

[344]        Pour obtenir gain de cause dans sa contestation, Apotex doit établir à la fois une connaissance ou un usage antérieur de la part de Hoechst et l'existence d'un conflit qui ne s'est pas matérialisé par l'introduction d'une procédure (AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp. [1989] A.C.F. no 604, 26 C.P.R. (3d) 238, à la page 272 (C.F. 1re inst.).


[345]        Mon examen de la question de l'antériorité part du principe qu'en octobre 1981, Schering avait un motif valable de prédire que les huit composés visés par la revendication 12 du brevet 206 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs. Si tel était le cas, le fait que la Dre Smith n'avait pas encore isolé le ramipril à la date de priorité du 5 novembre 1981 du brevet 087 est sans intérêt.

[346]        D'après le scénario que je viens d'évoquer, la date la plus tardive possible à laquelle remonterait l'invention de Schering serait octobre 1981, date du dépôt au Canada de la demande relative au brevet 206, ce qui est antérieur à la date de priorité de novembre 1981 du brevet 087. Faute d'éléments de preuve tendant faisant remonter l'invention à une date antérieure à la date de priorité, la date de priorité est réputée être la date de l'invention. La Cour ne dispose en l'espèce d'aucun élément de preuve qui fasse remonter l'invention visée par le brevet 087 avant sa date de priorité du 5 novembre 1981.

[347]        Il semblerait donc qu'Apotex soutienne essentiellement que l'invention définie par le brevet 206 antérieur se heurtait à l'antériorité du brevet 087 ultérieur. L'alinéa 27(1)a) de l'ancienne Loi sur les brevets exige que, pour que son antériorité soit ainsi reconnue, une invention ne devait pas être connue ou utilisée par une autre personne avant que son auteur ne l'invente. Dans ces conditions, l'argument d'Apotex ne peut être retenu.

[348]        Ainsi donc, en supposant qu'en octobre 1981, Schering avait effectivement un motif valable lui permettant de prédire que les huit composés visés par la revendication 12 seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme agents antihypertenseurs, je suis convaincue que la présumée invention révélée par le brevet 206 se heurtait à l'antériorité du brevet 087.

[349]        Comme la connaissance ou l'usage antérieur de Hoechst n'a pas été démontré, il n'est donc pas strictement nécessaire de décider s'il y avait un conflit manqué. À cet égard, je me contenterais de signaler que c'est la partie ayant la date d'invention la plus ancienne qui aurait obtenu gain de cause dans la procédure de conflit.

XV.     LES REVENDICATIONS EN LITIGE DANS LE Brevet 206 SONT-ELLES INVALIDES EN RAISON DU Paragraphe 61(2) DE L'ANCIENNE LOI SUR LES BREVETS?

[350]        Apotex affirme aussi que le paragraphe 61(2) de l'ancienne Loi sur les brevets n'autorisait pas le Commissaire aux brevets à délivrer le brevet 206 compte tenu de l'existence du brevet 087 qui avait déjà été délivré.

[351]        Le paragraphe 61(2) était ainsi libellé :

(2) Nonobstant l'article 41, une demande de brevet pour une invention à l'égard de laquelle un brevet a déjà été délivré en vertu de la présente loi est rejetée, à moins que le demandeur n'intente, dans le délai fixé par le commissaire, une action pour écarter le brevet antérieur en tant qu'il couvre l'invention en question. Si pareille action est ainsi commencée et diligemment poursuivie, la demande n'est pas réputée avoir été abandonnée, à moins que le demandeur ne néglige de poursuivre sa demande dans un délai raisonnable après que l'action a été finalement réglée.

[352]        Suivant Apotex, parce que le brevet 087 a été délivré avant que ne doit délivré le brevet 206 en mars 2001, Schering était tenue d'introduire une action en invalidation du brevet 087. Apotex explique que, comme Schering ne l'a pas fait, le Commissaire n'avait pas compétence pour délivrer le brevet 206.

[353]        Il est évident que le paragraphe 61(2) ne s'applique qu'à la demande de brevet qui a été déposée après la délivrance de l'autre brevet invoqué (Re Fry (1939), 1 C.P.R. 135 (Cour de l'Éch.)). En l'espèce, la demande visant le brevet 206 a été déposée avant que le brevet 087 ne soit délivré. Qui plus est, le paragraphe 61(2) prévoit seulement la procédure que doit suivre le Commissaire lors de la phase de la poursuite. Il ne peut être invoqué pour demander l'invalidation d'un brevet déjà délivré (Beecham Canada Ltd. et autres c. Procter & Gamble Co. [1982] no 10, 61 C.P.R. (2d) 1, à la page 22 (C.A.F.)).

[354]        En conséquence, je ne suis pas convaincue que l'allégation formulée par Apotex à cet égard est justifiée.

XVI.    LES REVENDICATIONS EN LITIGE DANS LE BREVET 206 SONT-ELLES INVALIDES POUR CAUSE DE DOUBLE BREVET?


[355]        Il nous reste donc à examiner l'assertion d'Apotex suivant laquelle les revendications en litige dans le brevet 206 sont invalides parce qu'elles constituent un double brevet de la « même invention » (que celle déjà visée par les brevets 087 et 457) et un double brevet relatif à une « évidence » . Suivant Apotex, on ne peut légitimement qualifier le brevet 087 de brevet de sélection par rapport au brevet 206, car Aventis et Schering n'ont pas démontré que la totalité des membres sélectionnés du groupe choisi par le procédé du brevet 087 possède un avantage spécial sur les composés des revendications en litige du brevet 206. Suivant Apotex, au moins un des composés du brevet 087 s'est avéré beaucoup moins actif que le ramipril, de sorte que la totalité des composés du brevet 087 ne possède pas un attribut spécial commun. Apotex soutient également qu'il existe d'autres revendications du brevet 087 dont la portée est beaucoup plus large.

[356]        Apotex affirme par ailleurs que le brevet 206 est invalide parce qu'il constitue un double brevet relatif à une évidence par rapport au brevet 457. À cet égard, Apotex fait observer que le brevet 206 enseigne ce qui suit :

[traduction] Les composés de la présente invention peuvent être combinés avec des véhicules pharmaceutiques et ils sont administrés sous diverses formes pharmaceutiques bien connues et peuvent être administrés par voie orale ou parentérale afin de fournir des compositions utiles dans le traitement des troubles cardiovasculaires, notamment de l'hypertension chez les mammifères

[Non souligné dans l'original.]

[357]        Ma collègue la juge Snider s'est penchée spécifiquement sur les rapports qui existent entre les brevets 206, 087 et 457 sous l'angle de la question du double brevet dans l'affaire Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2005] A.C.F. no 511, 2005 CF 340, une affaire dans laquelle Pharmascience affirmait qu'Aventis tentait, par un moyen détourné, de prolonger son brevet 087 expiré pour le ramipril, par le truchement du brevet 457.

[358]        Relativement à la question de la « même invention » et après avoir examiné attentivement la jurisprudence pertinente sur la question du double brevet, la juge Snider a tiré la conclusion suivante :


[49] Comme dans l'arrêt Camco, on ne peut pas dire qu'il y a « identité » entre les revendications du brevet 206 et celles des brevets 087 ou 457. Le brevet 206 est un brevet de genre qui vise un très grand nombre de composés tandis que le brevet 087 visant le ramipril était un brevet de sélection ne visant qu'une partie ou une sélection des produits chimiques revendiqués dans le brevet de genre. Le brevet 457 est un brevet d'utilisation, revendiquant expressément le ramipril dans le traitement de l'insuffisance cardiaque. La question dont j'ai été saisie ne concerne pas un double brevet relatif à la « même invention » .

[359]        La juge Snider a poursuivi en examinant la question du double brevet relatif à une évidence, dans la mesure notamment où elle se rapporte à des cas où les inventeurs ou les brevetés sont différents. À cet égard, elle a estimé qu'on ne devait pas limiter l'application du concept du double brevet relatif à une évidence aux cas mettant en cause le même inventeur :

[57] À mon avis, il est inutile de mettre l'accent sur les inventeurs ou les brevetés. Selon la jurisprudence, ce sont les principes de base et les revendications qui importent. Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, un brevet est un « marché » . Dans l'arrêt Camco, le juge Binnie a dit au paragraphe 37 :

[L]e marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet).

                                [58] Si on reprend le terme « marché » , chaque partie, le breveté et le public, doit recevoir quelque chose. Si l'invention n'est pas nouvelle, le breveté jouira d'une période de protection pour laquelle il n'a pas à fournir « de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » (Camco, par. 37); il aura obtenu « quelque chose sans rien fournir en retour » (Free World Trust c. Électro Santé, Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, par. 13). Dans un tel cas, le public ne reçoit aucune contrepartie dans le marché conclu. Cela serait vrai, que les inventeurs ou les brevetés soient les mêmes ou non. Si les revendications des deux brevets ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, cela aurait pour effet de prolonger le brevet original comme l'a indiqué la Cour suprême dans Canada (Commissaire aux brevets) c. Farbwerke Hoechst Aktien - Gesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; 41 C.P.R. 9. Dans cet arrêt, la Cour suprême a refusé de reconnaître un nouveau brevet concernant une substance qui était en réalité la simple dilution d'un médicament visé par un brevet déjà en vigueur.

[59] Je ne limiterais donc pas l'application du concept du double brevet relatif à une évidence aux mêmes brevetés ou inventeurs. Dans l'examen de chaque cas, l'accent doit être mis sur les revendications qui constituent l'invention et non sur les personnes ou parties qui les font valoir. Une allégation d'invalidité pourrait avoir un certain fondement si les revendications d'un brevet ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles d'un autre brevet.

[360]        La juge Snider a ensuite examiné le rapport entre le brevet 206 et le brevet 087. Citant l'affaire I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 289, à la page 322, elle a conclu que le brevet 087 ajoutait « quelque chose de substantiel à des connaissances existantes » (Aventis, précité, au paragraphe 64). Elle a par conséquent estimé que le brevet 206 était un brevet de genre (le brevet 206) et que le brevet 087 était un brevet de sélection.

[361]        La juge Snider a également précisé que c'était la date de l'invention et non celle du brevet qui devait servir à déterminer l'évidence (idem, au paragraphe 85). Comme la date de l'invention visée par le brevet 206 était antérieure à la date de l'invention visée par le brevet 457 et par le brevet 087, la juge Snider a estimé qu'à première vue, l'allégation relative à l'évidence était mal fondée.

[362]        En l'espèce, Schering et Aventis m'exhortent à suivre la décision rendue par la juge Snider dans l'affaire Pharmascience par courtoisie judiciaire. Ainsi que le juge Richard (alors juge à la Section de première instance) l'a signalé dans le jugement Glaxo Group Ltd. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, [1995] A.C.F. no 1430, 64 C.P.R. (3d) 65, où il cite l'arrêt Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 D.L.R. (3d) 509, à la page 511, 36 C.P.R. 115, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique :

Le principe de la courtoisie judiciaire a été énoncé de la manière suivante :


[traduction] Il est généralement admis que la présente cour doit se conformer à ses décisions antérieures à moins qu'il ne soit possible de démontrer que ces décisions antérieures étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être appliquées lorsque, par exemple, (1) la cour n'a pas tenu compte dans ses décisions de dispositions législatives ou de décisions antérieures qui auraient entraîné un résultat différent ou (2), si elles sont suivies, la décision entraînerait une injustice grave. La raison qui est invoquée en règle générale pour justifier cette attitude est la courtoisie judiciaire. Bien qu'il s'agisse sans aucun doute d'une raison fondamentale justifiant une telle approche, je pense qu'il existe un motif tout aussi fondamental sinon plus impérieux et il s'agit de la nécessité d'une certaine certitude quant au sens de la loi, dans la mesure où celle-ci peut être établie. La position des avocats serait intenable lorsqu'ils conseillent leurs clients si une section de la cour était libre de rendre sa décision sur un appel sans tenir compte d'une décision antérieure ou du principe qui y était en cause [à la page 511].

[363]        Selon Apotex, je ne devrais pas suivre la décision de la juge Snider dans l'affaire Pharmascience parce qu'il ne s'agit pas d'un jugement rendu en matière réelle et qu'il s'agit d'un cas d'espèce tranché en fonction de la preuve dont la juge Snider disposait. Apotex affirme que je devrais plutôt trancher les questions relatives au double brevet qui me sont soumises en fonction des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance en l'espèce.

[364]        J'ai attentivement examiné l'argument formulé par Apotex pour affirmer que je ne devrais pas suivre la décision rendue par la juge Snider dans l'affaire Pharmascience. Pour examiner cette question, j'estime qu'il faut établir une distinction entre les conclusions de droit tirées par la juge Snider, qui peuvent être assujetties au principe de la courtoisie judiciaire, et ses conclusions de fait, qui dépendent de la nature des éléments de preuve dont elle disposait.


[365]        En l'espèce, la juge Snider a conclu en droit et, de toute évidence, comme première impression, que l'application du concept du double brevet relatif à l'évidence ne se limitait pas aux cas mettant en présence les mêmes brevetés ou les mêmes inventeurs. Bien que j'aie attentivement examiné les arguments qu'elle a avancés à cet égard, Apotex ne m'a pas convaincue que la décision de la juge Snider était manifestement erronée sur ce point. J'ai donc l'intention de suivre cette décision.

[366]        Ayant décidé de ne pas limiter l'application du concept du double brevet relatif à une évidence aux mêmes brevetés ou inventeurs, la juge Snider a poursuivi en concluant que, comme la date de l'invention visée par le brevet 206 était antérieure à la date de l'invention visée tant par le brevet 457 que par le brevet 087, le moyen tiré de l'évidence était à sa face même mal fondé. Ainsi que je l'ai déjà signalé, en supposant que Schering avait un motif valable lui permettant de formuler sa prédiction, la date de l'invention visée par le brevet 206 précédait celle de l'invention visée par le brevet 457 et par le brevet 087. J'abonde donc dans le sens de la juge Snider et je conclus que l'invention revendiquée dans le brevet 206 n'était pas évidente, compte tenu du brevet 087 ou du brevet 457.

[367]        La conclusion de la juge Snider suivant laquelle il n'y avait pas « identité » entre les revendications du brevet 206 et celles des brevets 087 ou 457 soulevait une question d'interprétation des brevets. Une fois délivré, le brevet devient un texte visé par la définition du mot « règlement » contenue à la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 (Whirlpool Corp., précité, au paragraphe 49e). En conséquence, l'interprétation des revendications d'un brevet est une question de droit (Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., précité, au paragraphe 3). Comme Apotex ne m'a pas persuadée que la juge Snider a eu manifestement tort de tirer cette conclusion, je suis par conséquent convaincue que, par courtoisie judiciaire, je devrais suivre la décision de la juge Snider sur ce point.


[368]        En conséquence, Apotex ne m'a pas persuadée que le brevet 206 est invalide parce qu'il constitue un double brevet de la « même invention » (que celle déjà visée par les brevets 087 et 457) ou un double brevet relatif à une « évidence » .

XVII. CONCLUSION

[369]        Pour ces motifs, la demande d'Aventis sera rejetée.

XVIII. DÉPENS

[370]        Les parties se sont vu offrir la possibilité d'aborder la question des dépens lors de l'instruction de la présente demande, et elles ont convenu que les dépens devraient suivre l'issue de la cause. Les parties ont également convenu que les dépens qui seraient adjugés devraient comprendre les honoraires d'un second avocat, y compris les frais de la présence d'un second avocat lors des contre-interrogatoires, ainsi que les débours raisonnables de la partie ayant gain de cause. Enfin, les parties ont convenu que le tarif approprié était le milieu de la fourchette prévue à la colonne III.


[371]        Ayant eu l'occasion d'examiner ces observations et compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 400 (3) des Règles des Cours fédérales, j'ordonne, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, que les dépens soient adjugés à Apotex et qu'ils soient taxés selon les directives suivantes :

1)     les dépens seront taxés en fonction du milieu de la fourchette prévue à la colonne III;

2)     Apotex a droit aux honoraires d'un second avocat, y compris les frais de la présence d'un second avocat lors des contre-interrogatoires;

3)     Apotex a droit à ses débours raisonnables.

XIX. ORDONNANCE

[372]        LA COUR ORDONNE QUE la présente demande soit rejetée avec dépens.

               « Anne L. Mactavish »                

Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-1742-03

INTITULÉ :                                                    AVENTIS PHARMA INC.

                       demanderesse

c.         

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

SCHERING CORPORATION

défenderesse/

brevetée

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)        

DATES DE L'AUDIENCE :                         Les 23 et 24 et 27 au 29 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   Le 20 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Gunars Gaikis                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Sheldon Hamilton

David Morrow

Kavita Ramamoorthy

Harry Radomski                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Andrew Brodkin                                                APOTEX INC.

Rick Tuzi

Sorelle Simmons

Anthony Creber                                                 POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE

SCHERING CORPORATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Goodmans LLP                                                 POUR LA DÉFENDERESSE              

Toronto (Ontario)                                              APOTEX INC.


John H. Sims c.r.                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    MINISTRE DE LA SANTÉ

Gowling Lafleur Henderson LLP                        POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE

Ottawa (Ontario)                                              SCHERING CORPORATION



[1] On a également fait référence à un article publié dans Medicinal Research Reviews par Petrillo et Ondetti, intitulé « Angiotensin-Converting Enzyme Inhibitors : Medicinal Chemistry and Biological Actions » , qui en est arrivé à la même conclusion. Il semble toutefois que cet article n'ait été publié qu'en 1982.

[2] Cette série de réactions est décrite à la diapositive 32 de la présentation PowerPoint d'Aventis.

[3] Il est possible d'obtenir en bout de ligne jusqu'à 32 stéréo-isomères différents, car il y a cinq centres chiraux différents dans la molécule de ramipril, chacune pourrait être de configuration soit S soit R. Autrement dit, il y a 25 combinaisons différentes possibles de la chiralité dans la molécule. On se rappellera que puisque deux des centres chiraux sont précisés comme étant de configuration S dans la revendication 12 du brevet 206, seulement huit des 32 stéréo-isomères possibles sont visés par cette revendication.

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