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                                                                                                                      Date : 20010205

                                                                                                             Dossier : IMM-664-00

                                                                                             Référence neutre : 2001 CFPI 21

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 5 FÉVRIER 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

E n t r e :

EDMOND DECI

demandeur

                                                                    - et -

                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                                          ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur est


renvoyée devant une autre formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle tienne une nouvelle audience et qu'elle rende une nouvelle décision.

Aucune question n'est certifiée.

        FREDERICK E. GIBSON         

                                                                                                                                   J.C.F.C.                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                                                                      Date : 20010205

                                                                                                             Dossier : IMM-664-00

                                                                                             Référence neutre : 2001 CFPI 21

E n t r e :

EDMOND DECI

demandeur

                                                                    - et -

                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 20 janvier 2000.


[2]                Le demandeur est un citoyen de 32 ans de l'Albanie qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention sur le fondement de ses opinions politiques. Dans sa décision, la SSR expose dans les termes suivants les allégations sur lesquelles le demandeur fait reposer sa revendication :

[TRADUCTION]

Le revendicateur allègue qu'il a participé activement à plusieurs manifestations organisées contre le gouvernement au pouvoir. En tant que membre du Mouvement de la légalité, son rôle consistait à recruter des membres et à distribuer des tracts. En juin et en août 1997, la police l'a, sans motif précis, fortement brutalisé. Une autre fois, alors qu'il refusait de témoigner contre l'ambassadeur, il a été battu si violemment qu'il a dû être hospitalisé. En plus de recevoir des appels téléphoniques de menaces, le revendicateur a également été torturé physiquement en février 1998. Il déclare que plus tard la même année, il a été brûlé par un lance-flammes. Le revendicateur s'est caché jusqu'au moment où il a été prêt à quitter le pays.

[3]    Dans sa décision, la SSR a analysé la revendication du demandeur sous les rubriques « crédibilité » et « fondement objectif » .

[4]    Voici ce que la SSR a écrit au sujet de la première question :

[TRADUCTION]

Le revendicateur a soumis au tribunal les documents suivants à l'appui de son témoignage : des copies de son passeport international, de sa carte d'identité, de son certificat de naissance, de son certificat de famille et d'un certificat délivré par l'Union européenne. Tous ces documents sont datés de janvier, février et mars 1999 respectivement. Ils sont donc postérieurs à son arrivée au Canada, qui remonte au 10 janvier 1999. Interrogé à ce sujet, le revendicateur a répondu au tribunal qu'il avait demandé à son ami, qui était de passage en Albanie, de lui procurer ces documents.

Le tribunal s'interroge sur la validité de ces documents. Il s'agit de simples copies qui, de plus, sont postérieures à l'arrivée du revendicateur au Canada. Le revendicateur affirme que les originaux se trouvent chez lui en Albanie et que son ami lui en a rapporté des copies à sa demande. En l'absence des documents originaux, le tribunal n'est pas en mesure d'accorder beaucoup de poids aux éléments de preuve qui lui ont été soumis.

[5]    Selon le dossier soumis à la Cour, la SSR ne disposait ni des originaux ni de copies du passeport ou de la carte d'identité du demandeur. Le certificat de naissance et le certificat de famille qui avaient été soumis à la SSR étaient des originaux, et non des copies, bien qu'il s'agisse d'originaux qui ont été délivrés après que le demandeur eut quitté l'Albanie et il se peut fort bien qu'il existe en Albanie d'autres originaux qui ont été délivrés avant que le demandeur ne quitte l'Albanie. Le certificat de l'Union européenne était vraisemblablement lui aussi un original, bien qu'il soit lui aussi postérieur à la date à laquelle le demandeur a quitté l'Albanie. Si le certificat de naissance, le certificat de famille et le certificat de l'Union européenne étaient effectivement des originaux, il n'est pas difficile de comprendre comment la SSR pouvait justifier sa décision de ne pas accorder « beaucoup de poids » à ces documents, malgré le fait qu'ils ont été délivrés après le départ du demandeur de l'Albanie, sans remettre en cause la réputation des autorités gouvernementales de l'Albanie qui ont délivré les doubles des originaux.

[6]    Le demandeur a témoigné que son passeport avait été remis à Immigration Canada par un commis de la poste canadienne. Voici, selon la transcription de l'audience de la SSR, ce que le président du tribunal a déclaré à ce sujet :

[TRADUCTION]

Je vais vous expliquer quelque chose, Monsieur. Dans notre pays, lorsqu'une chose est confisquée, le fonctionnaire remet toujours un récépissé des articles qui vous ont été confisqués. Le bureau de poste vous a-t-il remis un tel récépissé pour constater qu'ils avaient pris votre passeport et l'avait remis à Immigration Canada ?

[7]    Le demandeur a répondu qu'on ne lui avait pas remis de récépissé[2]. Voici ce que la SSR a écrit à ce sujet dans ses motifs :

[TRADUCTION]

Toutefois, le bureau de poste n'a pas remis au revendicateur de récépissé qu'il aurait pu présenter pour récupérer son passeport. Faute de récépissé, le tribunal accorde peu ou pas de poids à ce témoignage.

[8]    Devant moi, l'avocate du défendeur a reconnu que l'assertion du président du tribunal au sujet de la remise d'un récépissé par des fonctionnaires n'est pas fondée en droit. Je suis également convaincu qu'elle n'est pas fondée en fait, compte tenu des circonstances dans lesquelles le bureau de poste a remis le passeport du demandeur à Immigration Canada.


[9]                Toujours sur la question de la crédibilité, la SSR a fait remarquer qu'elle [TRADUCTION] « n'arrive pas à comprendre pourquoi le revendicateur s'adresserait à la police pour obtenir de l'aide alors qu'il avait déjà été tellement brutalisé par celle-ci » . La SSR a conclu que le témoignage donné par le demandeur à ce sujet n'était tout simplement pas digne de foi. Cette prise de position de la SSR place le demandeur dans une situation tout à fait intenable. En effet, s'il ne s'était pas adressé à la police pour obtenir de l'aide, on aurait raisonnablement pu conclure qu'il n'avait pas épuisé tous ces recours en ne réclamant pas la protection de l'État, malgré les mauvais traitements que la police lui avait antérieurement fait subir. Or, bien que le demandeur ait effectivement réclamé la protection de l'État, la SSR a estimé que cette démarche était peu plausible.

[10]            Une fois de plus, la SSR a conclu que le temps que le demandeur avait mis à quitter l'Albanie, son omission de saisir la première occasion qui lui était offerte pour s'enfuir alors qu'il se trouvait en fait à l'extérieur de l'Albanie pour une courte période de temps, n'étaient pas plausibles compte tenu des mésaventures qu'il affirmait avoir vécues en Albanie.

[11]            En ce qui concerne la question du « fondement objectif » , la SSR n'a pas mentionné dans sa décision les avis médicaux et psychiatriques qui avaient été portés à sa connaissance et qui étaient susceptibles de corroborer la prétention du demandeur suivant laquelle il avait été brutalisé et torturé par les autorités albanaises. Bien qu'il eût été certainement loisible à la SSR de se prononcer sur le poids à accorder à ces avis, compte tenu de toutes les réserves que la SSR a exprimées au sujet de la crédibilité du revendicateur, je conclus qu'il ne lui était tout simplement pas loisible d'ignorer ces éléments de preuve dans sa décision et de discréditer ainsi ces éléments de preuve corroborants sans fournir la moindre explication[3].


[12]            Vu les réserves que je viens d'exprimer, je suis convaincu que, même s'il pouvait lui être raisonnablement loisible de rejeter la revendication du demandeur pour des motifs de crédibilité, il n'était tout simplement pas loisible à la SSR de rendre une telle décision sur le fondement de l'analyse mal fondée à laquelle elle s'est livrée.

[13]            Vu ma conclusion en ce qui concerne les conclusions tirées par la SSR au sujet de la crédibilité et compte tenu de l'économie des motifs de la SSR, je conclus que la conclusion de la SSR au sujet de l'absence de fondement objectif de la revendication du demandeur ne peut non plus être retenue. Il ne s'agit pas d'un motif indépendant et autonome qui justifierait le rejet de la revendication du demandeur. Cette conclusion repose plutôt sur les réserves exprimées par la SSR au sujet de la crédibilité du demandeur et prend appui sur ce motif. Je suis convaincu que, compte tenu de la conclusion que je m'estime contraint de tirer en ce qui concerne la question de la crédibilité, la conclusion finale de la SSR suivant laquelle [TRADUCTION] « il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve [crédibles] pour permettre aux commissaires de reconnaître au revendicateur le statut de réfugié au sens de la Convention » ne peut tout simplement pas tenir.


[14]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SSR sera annulée et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur sera renvoyée devant une autre formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle tienne une nouvelle audience et qu'elle rende une nouvelle décision.

[15]            Aucun des deux avocats n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera donc certifiée.

        FREDERICK E. GIBSON         

                                                                                               J.C.F.C.                      

Ottawa (Ontario)

Le 5 février 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       Avocats et avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                             IMM-664-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                EDMOND DECI

demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE MARDI 30 JANVIER 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                                 LUNDI 5 FÉVRIER 2001

ONT COMPARU :                                         Me Douglas Lehrer

pour le demandeur

Me Negar Hashemi

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        VANDERVENNEN LEHRER

Avocats et procureurs

45, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario)

M4Y 1W6

pour le demandeur

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010205

                                                             Dossier : IMM-664-00

E n t r e :

EDMOND DECI

demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                      



[1]            L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]            Dossier du Tribunal, à la page 166.

[3]            Voir les jugements Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 1425, en particulier les paragraphes 16 et 17, (C.F. 1re inst.) et Javaid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 1730, en particulier le paragraphe 8 (C.F. 1re inst.)

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