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Date : 20010829

Dossier : IMM-5825-00

Référence neutre : 2001 CFPI 968

ENTRE :

                                                        FATIMA ZOHRA BENNIS,

                                                           MALIKA MESSAOUD,

                                                                                                                   Partie demanderesse

                                                                          - et -

                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                       Partie défenderesse

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié [ci-après le "tribunal"] rendue le 18 octobre 2000 selon laquelle les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.


FAITS

[2]                Les demanderesses, Fatima Zohra Bennis et sa fille, Malika Messaoud, sont citoyennes du Maroc et allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution à l'encontre du Maroc en raison de leur appartenance à un groupe particulier, soit les femmes maltraitées en ce pays.

[3]                Les problèmes des demanderesses ont débuté en mai 1999. L'époux de Mme Bennis voulait marier sa cadette avec un homme de 49 ans, qui a déjà convolé et qui, au surplus, a quatre enfants.

[4]                Mme Bennis a refusé ce mariage. À compter de ce moment, l'époux est devenu abusif, traitant les deux femmes comme des esclaves. Mme Messaoud fut obligée de porter l'habit islamique et elle n'a pu suivre ses cours à l'école. Les demanderesses auraient été tenues recluses à la maison. Elles ont tenté de se sauver sans succès. Suite à cela, les demanderesses ont été battues à plusieurs reprises.


[5]                Lorsqu'une possibilité de venir au Canada s'est présentée afin d'aider une fille qui y serait hospitalisée, les demanderesses ont obtenu la permission du mari pour quitter le pays. L'époux a cependant changé d'idée et il est parti en compagnie de Mme Messaoud le 17 août 1999 à destination du Canada. Quant à Mme Bennis, celle-ci a quitté le Maroc le lendemain pour rejoindre ses deux filles à Montréal.

[6]                L'arrivée de Mme Bennis au Canada, a rendu son époux furieux. Ce dernier a quitté le Canada à destination des États-Unis en compagnie de sa fille, Mme Messaoud. Ils y ont séjourné environ onze jours avant de rentrer tous deux au Canada.

[7]                Mme Bennis, de concert avec sa fille Rajaa qui habite Montréal, cachent Mme Messaoud chez des amis. Constatant la fuite de sa fille, l'époux bat Mme Bennis ainsi que sa fille Rajaa. La demanderesse veut téléphoner à la police mais choisit de ne pas le faire. L'époux retourne seul au Maroc le 11 septembre 1999.

[8]                Les demanderesses ont indiqué leur intention de demander le statut de réfugié à compter du 18 octobre 1999.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                1-          Le tribunal a-t-il commis une erreur en ignorant les directives de la CISR concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe?


2-          Le tribunal a-t-il erré en concluant que le récit des demanderesses n'était pas crédible?

ANALYSE

1-          Le tribunal a-t-il commis une erreur en ignorant les directives de la CISR concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe?

[10]            Les demanderesses allèguent que dans l'évaluation de leur revendication, le tribunal n'a pas évalué les explications qu'elles ont données à la lumière des directives de la CISR et n'a pas tenu compte du contexte culturel qui était essentiel à la compréhension de tous les enjeux de la revendication.

[11]            La partie défenderesse soutient pour sa part que dans la mesure où le tribunal a conclu au manque de crédibilité des demanderesses, celui-ci n'avait pas à examiner les directives.

[12]            La partie défenderesse rappelle que les directives ont pour but de prévoir que la définition de réfugié au sens de la Convention puisse être interprétée à bon droit de façon à protéger les femmes qui démontrent une crainte justifiée de persécution fondée sur le sexe.

[13]            Puisque le tribunal n'a pas cru les demanderesses quant à leurs prétentions d'être des femmes maltraitées, la partie défenderesse soutient que le fait d'appliquer les directives n'aurait rien changé au sort de la revendication des demanderesses puisque les lacunes dans le récit des demanderesses étaient tellement manifestes que le tribunal ne pouvait que conclure à sa non-crédibilité et partant, au rejet de leur revendication.

[14]            Dans l'affaire Newton c. Canada (M.C.I.) [2000] A.C.F. no 783 (C.F. 1ère Inst.) le juge Pelletier a indiqué :

Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution.

[15]            Dans la cause Griffith c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1142 (C.F. 1ère Inst.), le juge Campbell s'est exprimé ainsi au sujet des directives de la CSIR :

Des motifs doivent être donnés au revendicateur qui n'est pas cru. Dans le cas des conclusions relativement à la crédibilité des femmes victimes de violences conjugales, à mon avis, l'exigence de motifs devient spécifique : les motifs doivent être sensibles à ce qui est connu des femmes qui se trouvent dans cette situation. Les Directives portant sur le sexe sont, en fait, un effort en vue de mettre en place la formation professionnelle nécessaire pour atteindre cet objectif.


[...]

À mon avis, ces déclarations de la SSR ne montrent pas le degré de connaissance, de compréhension et de sensibilité nécessaire pour éviter la conclusion qu'une erreur susceptible de contrôle judiciaire a été faite dans l'appréciant des déclarations et de la conduite de la demanderesse.

Le piège qui apparaît dans les déclarations est que l'interprétation des membres du tribunal d'une norme "objective" est utilisée comme norme à laquelle les actions de la demanderesse sont comparées; à savoir, la norme objective de "la personne raisonnable" communément utilisée en droit civil et criminel. La question n'est pas de savoir si les hommes ou les femmes sont des décideurs, mais plutôt si une norme masculine est appliquée injustement. À ce propos, Mme le juge Wilson, dans l'affaire Lavallee, dit à la page 874 : S'il est difficile d'imaginer ce qu'un "homme ordinaire" ferait à la place d'un conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant à certaines femmes. La définition de ce qui est raisonnable doit donc être adaptée à des circonstances qui, somme toute, sont étrangères au monde habité par l'hypothétique "homme raisonnable".

(notes omises)


[16]            Je reconnaîs que dans les circonstances où une demanderesse revendique le statut de réfugié parce qu'elle a subi de mauvais traitements, le tribunal qui entend la revendication doit être sensible aux directives de la CISR. Le tribunal doit également être sensible au fait que la crédibilité des actions d'une demanderesse ne doit pas être évaluée sur la base d'une norme "objective" qui ne tiendrait pas compte de la situation de la demanderesse, soit qu'il s'agisse d'une personne maltraitée. Ainsi, la norme utilisée pour juger de la crédibilité des actions d'une demanderesse qui allègue avoir été maltraitée est celle d'une personne qui se retrouve dans la même situation que la demanderesse, soit une personne maltraitée, et l'évaluation de la crédibilité doit faire appel à des connaissances spécialisées dans ce domaine.

[17]            Cependant, en l'espèce, le tribunal n'a pas examiné les actions des demanderesses lorsqu'il a conclu au manque de crédibilité de leur revendication. En fait, le tribunal a examiné des actions du mari, telles que relatées par les demanderesses, et a jugé qu'elles n'étaient pas crédibles. Les conclusions du tribunal ne portaient pas sur les actions des demanderesses en rapport avec l'abus qu'elles ont subi et par conséquent, les directives de la CSIR n'étaient pas pertinentes pour évaluer les actions de l'époux. Les directives de la CSIR ont été discutées devant le tribunal qui n'en a pas discuté dans sa décision. Cependant, cela n'aurait eu aucune conséquence sur les conclusions du tribunal.

2-          Le tribunal a-t-il erré en concluant que le récit des demanderesses n'était pas crédible?

[18]            Les demanderesses soutiennent également que le tribunal a miné leur crédibilité pour des motifs injustifiés alors qu'il n'a pas saisi tous les éléments essentiels de la revendication ainsi que leurs explications.


[19]            Il est reconnu par la jurisprudence que le tribunal est en meilleure position pour évaluer la crédibilité d'un témoin et tirer les conclusions à cet égard. En effet, dans Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a indiqué :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[20]            Relativement au fait que Mme Bennis a inscrit sur son formulaire de renseignements personnels (FRP) que ses problèmes ont débuté en mai 1999 alors qu'elle avait eu des problèmes avec son mari dans le passé, les demanderesses soulignent que dans un contexte où la violence conjugale est pratique courante, il est raisonnable que la demanderesse n'ait pas précisé que son mari était violent envers elle s'il l'a toujours été. De plus, Mme Bennis a indiqué que la violence est devenue insupportable suite à son opposition au mariage de sa fille cadette.

[21]            Dans l'affaire Basseghi c. M.E.I., [1994] A.C.F. no 1867 (C.F. 1ère Inst.), le juge Teitelbaum a conclu :

Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.


[22]            À mon avis, la tribunal n'a pas erré en soulignant cette absence dans le FRP de la demanderesse.

[23]            Les demanderesses soutiennent également que la conclusion du tribunal à l'égard de leur possibilité de voyager avec le mari n'est pas raisonnable puisqu'elles ont toujours voyagé en présence du mari et qu'il n'a jamais accepté qu'elles voyagent sans qu'il soit présent. Les demanderesses soutiennent que ce n'est pas parce que toute la famille a pu voyager ensemble que le mari ne serait pas abusif et contrôlant. Il n'y a pas de rapport entre les deux. D'ailleurs, le mari avait interdit à Mme Bennis de voyager au Canada avec sa fille et lui.

[24]            Pour ce qui est du fait que le mari de Mme Bennis n'a pas téléphoné à la police canadienne relativement à la disparition de Mme Messaoud, les demanderesses rappellent que l'époux avait battu Mme Bennis au Canada et qu'il savait qu'il pouvait être amené au poste de police pour l'avoir frappée. Ainsi, il est évident que l'époux n'appellerait pas la police relativement à la disparition de Mme Messaoud puisqu'il pouvait être détenu selon les lois applicables au Canada.

[25]            Dans Razm c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 373 (C.F. 1ère Inst.), le juge Lutfy a indiqué le critère de contrôle relativement à une conclusion d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un témoignage :

Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.

[26]            J'ai examiné la transcription de l'audience et la preuve soumise et à mon avis, le tribunal n'a pas commis d'erreur justifiant l'intervention de cette Cour. La preuve permettait au tribunal de conclure comme elle l'a fait et je ne peux conclure que sa décision était manifestement déraisonnable. Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]            Aucun des procureurs n'a soumis une question pour certification.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 29 août 2001

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