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Date : 20210617


Dossier : T‑546‑20

Référence : 2021 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 17 juin 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

INTERNATIONAL NAME PLATE SUPPLIES LIMITED

demanderesse

et

MARKS & CLERK CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Survol

[1] La Cour est saisie d’un appel, interjeté par International Name Plate Supplies Limited (INPS ou la société INPS) en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, (LRC 1985, c T‑13 (la Loi)), de la décision du 11 mars 2020 par laquelle le registraire des marques de commerce a radié du registre l’enregistrement no LMC 595389 pour la marque de commerce FIREFLY (la marque). Le registraire n’a pas été convaincu que la société INPS a établi l’emploi de la marque de commerce.

[2] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté, car INPS n’a pas établi que la décision du registraire est erronée.

Le contexte

[3] La société INPS exerce ses activités commerciales à London, en Ontario, et fournit des panneaux de signalisation et d’autres composants utilisés dans l’industrie du transport ferroviaire. Le 21 novembre 2003, INPS a obtenu l’enregistrement de la marque de commerce FIREFLY en liaison avec les produits suivants :

Panneau de signalisation de sortie, d’incendie, d’extincteur, de sortie à effet réfléchissant, de sortie photoluminescents visibles la nuit et bandes photoluminescentes.

[4] Le 30 mars 2017, le registraire a envoyé l’avis prévu à l’article 45 de la Loi, qui lui permet d’enjoindre à la société INPS de fournir des éléments de preuve établissant l’emploi de la marque FIREFLY au cours de la période de trois ans comprise entre le 30 mars 2014 et le 30 mars 2017 (la période pertinente) en liaison avec chacun des produits.

[5] Dans sa réponse, la société INPS a fourni l’affidavit d’Eduard Arts (l’affidavit de M. Arts), souscrit le 20 octobre 2017. Monsieur Arts est le vice‑président, Finance et Administration de la société INPS.

[6] Le 11 mars 2020, le registraire a rendu une décision dans laquelle il concluait que la marque de commerce FIREFLY n’avait pas été employée au Canada au cours de la période pertinente et que l’enregistrement serait donc radié.

La décision du registraire

[7] Au paragraphe 5 de sa décision, le registraire commence son analyse en faisant les remarques qui suivent :

[5] Il est bien établi que de simples déclarations sur l’emploi ne sont pas suffisantes pour établir l’emploi dans le contexte de la procédure prévue à l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Même si le seuil pour établir l’emploi dans le cadre de cette procédure est faible [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)] et qu’une preuve surabondante n’est pas requise [Union Electric Supply Co Ltd c Registraire des marques de commerce (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst)], des faits suffisants doivent quand même être fournis pour permettre au registraire de parvenir à une conclusion d’emploi de la marque de commerce en liaison avec chacun des produits précisés dans l’enregistrement pendant la période pertinente. [John Labatt Ltd c Rainier Brewing Co et al (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)].

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[8] Le registraire examine ensuite l’affidavit de M. Arts.

[9] En ce qui concerne les pages du site Web de la société INPS fournies en preuve, le registraire dit que « […] la simple publicisation [sic] des produits en liaison avec une marque de commerce est insuffisante pour établir l’emploi [voir BMW Canada Inc c Nissan Canada Inc (2007), 60 CPR (4th) 181 (CAF)] ».

[10] Le registraire dit au paragraphe 17 de sa décision que son examen des factures jointes à l’affidavit de M. Arts et des explications qui y sont fournies lui a permis de constater que seuls les produits suivants visés par l’enregistrement avaient été vendus pendant la période pertinente : les « bandes photoluminescentes » (sur les factures de clients canadiens), les « bandes photoluminescentes » (ces bandes constituant un des éléments faisant partie des [traduction] « trousses de vente » qui ont été vendues) et les « panneaux de sortie » (sur les factures des clients américains). Le registraire fait remarquer qu’il n’a pas été en mesure de relever sur les factures la vente des produits suivants visés par l’enregistrement : les « panneaux d’extincteur », « panneaux d’incendie », « panneaux de sortie à effet réfléchissant » et « panneaux de sortie photoluminescents ».

[11] Le registraire ajoute que rien n’établit que les produits visés par l’enregistrement ou leurs emballages arboraient la marque. Il observe que l’unité d’alimentation arborait la marque de commerce, mais qu’il ne s’agit pas d’un produit visé par l’enregistrement (para 18).

[12] Selon le registraire, les ventes et les exportations à des clients américains ne constituent pas un emploi de la marque en liaison avec les produits en question au sens de l’article 4(3) de la Loi, même si la propriétaire a affirmé que ces ventes indiquent que la marque est employée « de toute autre manière » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi (para 20).

[13] Le registraire s’est appuyé sur la décision National Sea Products Ltd. v Scott & Aylen (1988), 19 CPR (3d) 481 (CF 1re inst), pour conclure que « […] les factures aux clients aux États‑Unis constituent une preuve de ventes d’exportation à partir du Canada et de telles ventes doivent satisfaire aux exigences de l’emploi de la Marque conformément au paragraphe 4(3) de la Loi » [sic, pour l’ensemble de la citation] (para 23).

[14] S’agissant des ventes à des clients canadiens, le registraire a conclu que « […] la Propriétaire n’a pas démontré l’emploi de la Marque en liaison avec les produits conformément à l’article 4(1) de la Loi » (para 24).

Les questions en litige

[15] Dans le cadre du présent appel, la question en litige est celle de savoir si l’emploi des marques par la société INPS au cours de la période pertinente est établi.

La norme de contrôle

[16] Les parties s’entendent pour dire que dans le cadre d’un appel de la décision du registraire interjeté en vertu du paragraphe 56(1), la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et la norme applicable aux questions mixtes de droit et de fait, celle de « l’erreur manifeste et déterminante » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 37, et The Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec sec, 2020 CAF 76 aux paras 20‑23). L’erreur manifeste s’entend d’une erreur évidente, alors que l’erreur dominante s’entend d’une erreur qui a une incidence déterminante sur la décision du registraire (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 62‑64).

Analyse

Le fardeau de preuve et la preuve

[17] L’article 45 de la Loi dispose :

45 (1) Après trois années à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce, sur demande écrite présentée par une personne qui verse les droits prescrits, le registraire donne au propriétaire inscrit, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement ou que l’avis peut spécifier, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier et la raison pour laquelle elle ne l’a pas été depuis cette date. Il peut cependant, après trois années à compter de la date de l’enregistrement, donner l’avis de sa propre initiative.

45 (1) After three years beginning on the day on which a trademark is registered, unless the Registrar sees good reason to the contrary, the Registrar shall, at the written request of any person who pays the prescribed fee ‑ or may, on his or her own initiative ‑ give notice to the registered owner of the trademark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to all the goods or services specified in the registration or to those that may be specified in the notice, whether the trademark was in use in Canada at any time during the three‑year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut recevoir des observations faites – selon les modalités prescrites – par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou par la personne à la demande de laquelle l’avis a été donné.

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may receive representations made in the prescribed manner and within the prescribed time by the registered owner of the trademark or by the person at whose request the notice was given.

[18] Dans la décision Fraser Sea Food Corp c Fasken Martineau Dumoulin LLP, 2011 CF 893 aux para 14‑15 [Fraser Sea Food Corp], le juge Harrington a expliqué comme suit l’objet de l’article 45 et le fardeau de preuve applicable :

[14] Il n’est pas question ici d’une affaire de nature civile dans laquelle il incombe à Fraser de prouver l’emploi au Canada dans les trois années en question selon la prépondérance de la preuve. L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce offre un moyen facile et rapide de débarrasser le registre du bois mort, ou de donner au propriétaire inscrit de la marque de commerce une occasion d’expliquer pourquoi celle‑ci n’a pas été employée (Eclipse International Fashions Canada Inc c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, 48 CPR (4th) 223). Néanmoins, il ne suffit pas de dire simplement que la marque de commerce a été employée; il faut montrer qu’elle l’a été (Mantha & Associés/Associates c. Central Transport, Inc (1995), 64 CPR (3d) 354, 59 ACWS (3d) 301). La barre est peut‑être basse, mais il s’agit quand même d’une barre.

[15] Comme l’a déclaré le juge en chef Thurlow de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Plough (Canada) Ltd c. Aerosol Fillers Inc, [1981] 1 CF 679, 53 CPR (2d) 62, en traitant de ce qui était à l’époque l’article 44 de la Loi :

[10] Le paragraphe 44(1) exige qu’il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration statutaire « indiquant », et non simplement énonçant, si la marque de commerce est employée, c’est‑à‑dire décrivant l’emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l’expression « marque de commerce » à l’article 2 et de l’expression « emploi » à l’article 4. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu’il exige que le propriétaire inscrit fournisse un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d’indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l’enregistrement, mais aussi de l’informer quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3). Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est‑à‑dire s’il ne l’emploie pas du tout ou s’il ne l’emploie pas à l’égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[19] Dans le cadre du présent appel, la société INPS n’a pas déposé d’éléments de preuve supplémentaires. À cet égard, le juge Fothergill a fait les remarques suivantes dans la décision Sim & McBurney c Gordon, 2020 CF 710 [Gordon] au para 22 :

« […] Le défaut d’une partie de déposer des éléments de preuve supplémentaires en appel pour combler les lacunes factuelles relevées par le registraire peut permettre d’inférer que la marque de commerce n’était pas employée, ni avant ni après la signification de l’avis prévu à l’article 45. Il incombe au propriétaire inscrit d’établir d’une façon claire et non équivoque qu’il satisfait aux exigences énoncées au paragraphe 4(1) de la LMC ».

[Citations omises.]

[20] La société INPS a le fardeau de prouver que les marques ont été employées en liaison avec les produits visés par l’enregistrement pendant la période pertinente. Il est vrai que ce fardeau de preuve a été jugé comme étant peu exigeant, ainsi que l’a observé le juge Harrington, mais il n’en demeure pas moins un fardeau. La société INPS soutient que la preuve n’a pas à être parfaite, conformément à la jurisprudence citée ci‑dessus, mais elle doit néanmoins être « claire et sans équivoque ».

[21] Dans sa plaidoirie, la société INPS s’en est tenue aux factures des clients canadiens et américains jointes à l’affidavit de M. Arts pour établir l’emploi au sens de la Loi.

Les factures des clients canadiens

[22] La société INPS soutient que le registraire a jugé à tort que l’affidavit de M. Arts ne constituait pas une preuve valable des ventes pendant la période pertinente.

[23] Le paragraphe 4(1) de la Loi dispose :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

 

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trademark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[24] Le registraire a tiré les conclusions suivantes :

[25] La société INPS fait valoir qu’il était raisonnable pour le registraire d’inférer que les factures accompagnaient les produits et que la présence de la marque sur les factures constitue une preuve d’« emploi » au sens du paragraphe 4(1). INPS tient à souligner le fait que les factures jointes à l’affidavit de M. Arts indiquent une date d’expédition et une date de facturation identiques. À son avis, ces éléments de preuve ont permis au registraire d’inférer que les factures ont été fournies au moment de l’expédition des produits.

[26] Au paragraphe 10 de son affidavit, M. Arts indique que la taille des bandes photoluminescentes au moment de leur expédition fait en sorte qu’il n’est pas pratique de les placer dans un emballage arborant les marques. Le registraire l’a souligné, mais il a également relevé l’absence de preuve établissant que les factures accompagnaient les produits lors de leur livraison. Selon lui, rien n’indiquait que les factures accompagnaient les produits, car l’adresse de facturation et l’adresse d’expédition sont différentes sur chaque facture.

[27] Au paragraphe 28, le registraire fait les observations suivantes : « […] [L]a jurisprudence indique qu’une facture arborant une marque de commerce peut seulement constituer l’emploi de cette marque de commerce dans le sens de l’article 4(1) de la Loi si les factures accompagnaient les produits lors du transfert de leur possession […] Par conséquent, acceptant que le transfert de la propriété a eu lieu “F.O.B.” à l’installation de la Propriétaire à London, en Ontario, que les clients aient reçu ou non leurs factures à ce moment (par exemple, par courriel) n’est pas déterminant. » [sic, pour l’ensemble de la citation]

[28] Selon la société INPS, l’approche adoptée par le registraire sur la question de la « possession » est trop restrictive, car il s’est fié au sommaire [disponible en version anglaise seulement] de la décision Riches, McKenzie & Herbert c Pepper King Ltd, [2000] ACF no 1585, 195 FTR 58 (CF) [Pepper King], et non à l’ensemble du contexte de la décision. La société INPS souligne les paragraphes suivants de la décision Pepper King au soutien de son argument :

[9] La seule question que soulève le présent appel est celle de savoir si la commission a commis une erreur en concluant que les factures remises par le propriétaire inscrit Pepper King Ltd. au cours de la période en cause (du 21 octobre 1994 au 21 octobre 1997) représentent un « emploi » de la marque de commerce VOLCANO en liaison avec de la sauce piquante. Dans le corps de toutes les factures, on retrouve les mots « Volcano Hot Pepper Sauce ».

[…]

[14] De plus, et cela constitue un important facteur dans la présente affaire, la décision Gordon A. MacEachern, précitée, permet d’affirmer que les mots du début du paragraphe 4(1) « lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises » s’appliquent aux trois circonstances d’emploi mentionnées par la suite dans ce paragraphe :

(1) la marque est apposée sur les marchandises mêmes;

(2) ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées;

(3) ou elle est de toute autre manière liée à un tel point.

[15] La question qui se pose en l’espèce est donc de savoir si au moment du transfert de la sauce piquante du fabricant aux restaurants ou aux distributeurs, les factures contenant la marque de commerce « VOLCANO » constituaient un avis de liaison, c’est‑à‑dire, autrement dit, de lien entre la marque et les marchandises. Il s’agit‑là d’une question de fait qui doit être tranchée en fonction de la preuve produite (affaire Gordon A. MacEachern, précitée, à la page 157).

[…]

[24] Je suis convaincu que la titulaire de l’enregistrement Pepper King Ltd. ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait aux termes de l’article 45 d’établir, d’une façon claire et non équivoque, que les factures sur lesquelles figurait la marque « VOLCANO » satisfaisaient aux exigences énoncées au paragraphe 4(1) de la Loi, à savoir qu’elles établissaient qu’au moment du transfert, l’acheteur était avisé de la liaison qui existait entre la marque et les marchandises. 

[29] Je ne puis souscrire à l’affirmation de la société INPS selon laquelle le registraire a mal interprété la décision Pepper King. Le registraire a conclu comme suit : « […] [I]l n’y a aucune indication que les factures accompagnaient les produits lorsqu’ils ont été livrés. En effet, M. Arts ne fait aucune déclaration à cet égard et, comme il a été susmentionné, les adresses de factures et d’expédition sont différentes sur chaque facture. » [sic, pour l’ensemble de la citation] Il s’agit d’une conclusion de fait, tirée par le registraire, à laquelle la société INPS a choisi de ne pas répondre au moyen de preuves supplémentaires produites dans le cadre du présent appel. Aucune erreur n’a été établie relativement à cette conclusion du registraire.

[30] En outre, au paragraphe 23 de la décision Pepper King, la Cour s’exprime comme suit : « En l’espèce, j’ai été frappé par le fait que la défenderesse Pepper King Ltd. n’a pas déposé d’affidavit supplémentaire en appel devant la présente Cour. Cette société était au courant des conclusions de la commission et, plus particulièrement, de la déclaration faite par cette dernière selon laquelle l’auteure de l’affidavit n’avait pas précisément affirmé que la facture était jointe aux marchandises de sauce piquante au moment du transfert. » La même chose vaut aussi en l’espèce.

[31] Dans l’ensemble, le registraire a conclu que la société INPS ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir l’emploi de la marque. Le simple fait pour M. Arts de déclarer dans son affidavit que la marque de commerce était employée n’était pas suffisant : M. Arts devait plutôt faire la preuve de cet emploi. La jurisprudence indique clairement que le simple fait de déclarer que la marque de commerce est employée n’est pas suffisant (Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc, [1981] 1 CF 679, 53 CPR (2d) 62 (CAF) [Aerosol Fillers CAF] au para 66; Fraser Sea Food Corp c Fasken Martineau Dumoulin LLP, 2011 CF 893 au para 14; Sim & McBurney c Gordon, 2020 CF 710 au para 21).

[32] La société INPS n’a pas établi, au moyen de preuves claires et non équivoques, l’emploi des marques. Comme elle n’a pas produit d’autres éléments de preuve dans le cadre du présent appel pour combler les lacunes factuelles relevées par le registraire, il y a lieu d’inférer que la marque de commerce n’a pas été employée (Sim & McBurney, au para 22).

Les factures des clients américains

[33] La société INPS soutient que le registraire a commis une erreur de droit lorsqu’il a exigé que les marchandises exportées répondent aux exigences du paragraphe 4(3) de la Loi, lequel dispose :

[34] Le registraire en arrive à la conclusion suivante au paragraphe 23 :

[23] Par conséquent, comme l’affirme la Partie requérante dans ce cas‑ci, les factures aux clients aux États‑Unis constituent une preuve de ventes d’exportation à partir du Canada et de telles ventes doivent satisfaire aux exigences de l’emploi de la Marque conformément à l’article 4(3) de la Loi. Comme il a été susmentionné, nonobstant les ventes produites en preuve de « bandes photoluminescentes » et de « panneaux de signalisation de sortie » aux clients aux États‑Unis, puisque la Propriétaire n’a pas réussi à démontrer comment la Marque était arborée sur de tels produits ou leur emballage, l’emploi de la Marque n’a pas été démontré par rapport à de tels produits.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[35] La société INPS s’appuie sur la décision Coca‑Cola c Pardhan, [1999] ACF no 484, (1998) 85 CPR (3d) 489 [Coca‑Cola], pour affirmer que l’objet du paragraphe 4(3) est de permettre aux producteurs canadiens qui ne vendent pas les produits localement d’établir tout de même un emploi au Canada.

[36] Cependant, cette interprétation donnée à la décision Coca‑Cola ne tient pas compte de son contexte. Je reproduis ci‑après le texte intégral du paragraphe 22 de la décision Coca‑Cola :

[22] En ce qui concerne le paragraphe 4(3), les appelantes soutiennent qu’il crée une sorte de droit d’action automatique fondé simplement sur le fait d’exporter. Il me semble que le paragraphe dispose essentiellement, non pas que toute exportation de marchandises portant une marque de commerce est réputée constituer un emploi de cette marque de commerce, mais que l’« emploi » réel de cette marque est réputé, le cas échéant, être survenu au « Canada ». Je retiens l’analyse effectuée par le juge MacKay dans l’affaire Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. et autres, selon laquelle le paragraphe 4(3) a pour objet de permettre aux producteurs canadiens qui ne vendent pas leurs marchandises localement, mais les expédient simplement à l’étranger, de démontrer qu’il y a eu emploi au Canada aux fins de faire enregistrer leur marque de commerce au Canada. Cela a été jugé important pour qu’ils puissent la faire enregistrer à l’étranger. En outre, comme l’a fait remarquer le juge des requêtes, le paragraphe 4(3) peut avoir de l’importance du fait qu’il permet d’intenter une action pour usurpation contre la personne qui exporte des marchandises contrefaites à partir du Canada sans en vendre localement. Mais je ne crois pas qu’il ait pour effet de créer un « emploi » au sens de la Loi dans les cas où des marchandises authentiques du propriétaire de la marque de commerce sont expédiées à partir du Canada.

[37] Ce paragraphe de la décision Coca‑Cola indique clairement que l’emploi de la marque au Canada doit tout de même être établi en liaison avec les produits exportés.

[38] Plus récemment, dans l’affaire Riches, McKenzie & Herbert LLP c Cosmetic Warriors Limited, 2018 CF 63, le juge Manson a conclu comme suit, après avoir examiné spécifiquement les observations reproduites ci‑dessus tirées de la décision Coca Cola ainsi que l’interaction entre les paragraphes 4(1) et 4(3) de la Loi :

[28] […] [L]a jurisprudence a confirmé la distinction entre le critère d’analyse du paragraphe 4(3) et celui du paragraphe 4(1). […]

[…]

[30] Autrement dit, lorsque les activités d’une partie au Canada n’établissent pas l’emploi d’une marque de commerce, ces activités ne créent pas un emploi du simple fait qu’une exportation a eu lieu. Une partie ne peut pas être autorisée à contourner les exigences normales de la Loi parce qu’elle expédie un produit outre‑frontière. […].

[39] Par conséquent, et contrairement à ce que soutient la société INPS, le simple fait qu’une exportation a eu lieu ne permet pas de satisfaire aux exigences du paragraphe 4(3) de la Loi.

[40] Quoi qu’il en soit, la société INPS soutient que la présence de la marque sur l’unité d’alimentation, laquelle est expédiée avec les systèmes de bandes pour passerelles, signifie qu’elle est employée « de toute autre manière » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi et qu’en conséquence, l’« emploi » au sens du paragraphe 4(3) est établi.

[41] Cette observation est erronée pour deux raisons. Premièrement, l’unité d’alimentation n’est pas un produit visé par l’enregistrement, de sorte que le fait d’arborer la marque ne constitue pas un emploi au sens de la Loi. Deuxièmement, l’argument selon lequel les éléments qui font que la marque est employée « de toute autre manière » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi peuvent constituer un emploi aux fins du paragraphe 4(3) de la Loi n’est pas étayé par la jurisprudence. Comme l’a souligné le juge Manson, des critères distincts s’appliquent aux paragraphes 4(1) et 4(3). L’argument de la société INPS est une tentative de ramener les éléments d’« emploi » visés au paragraphe 4(1) et ceux visés au paragraphe 4(3) à un seul critère.

[42] La preuve de la société INPS ne lui a pas permis d’établir un emploi au Canada, et le fait que les ventes ont été faites à des clients américains ne corrige pas cette lacune. Ainsi que le registraire l’a conclu :

[19] Puisqu’il n’y a aucune preuve que la Marque était affichée sur les produits visés par l’enregistrement ou leur emballage, il est clair que les ventes et les exportations à des clients aux États‑Unis produites en preuve ne constituent pas un emploi de la Marque en liaison avec de tels produits en vertu de l’article 4(3) de la Loi.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[43] La société INPS soutient également que le registraire s’est mépris en ce qui concerne l’affaire National Sea. Au paragraphe 22 de sa décision, le registraire résume comme suit la décision National Sea : « [B]ien que les ventes déterminées par les factures dans ce cas étaient effectuées “F.O.B.” à Terre‑Neuve, puisque les produits facturés étaient exportés aux États‑Unis, la Propriétaire devait démontrer l’emploi de la Marque conformément à l’article 4(3) de la Loi. » [sic, pour l’ensemble de la citation]

[44] À mon avis, si l’extrait de la décision National Sea auquel le registraire renvoie est mis dans son contexte général, aucune erreur ne peut être reprochée au registraire. Plus précisément, dans la décision National Sea, la Cour fait les observations suivantes aux pages 486 et 487 :

[traduction]

[…] S’agissant tout d’abord de l’argument de l’appelante fondé sur le paragraphe 4(3) de la Loi, cette disposition énonce qu’une marque de commerce est réputée employée en liaison avec les marchandises si :

a) les marques de commerce sont mises au Canada;

b) sur les marchandises ou sur les emballages qui les contiennent;

c) quand ces marchandises sont exportées du Canada.

J’estime que le deuxième affidavit […] répond à ces exigences.

[45] Dans la décision National Sea, la Cour a souligné que la preuve par affidavit répondait aux exigences du paragraphe 4(3). En l’espèce, toutefois, le registraire a estimé que l’affidavit de M. Arts ne contenait pas les éléments qui permettent de satisfaire aux exigences du paragraphe 4(3).

[46] La société INPS s’appuie sur la décision McDowell c Laverana GmbH & Co KG, 2016 CF 1276 au para 23, où la Cour dit que toute ambiguïté dans la preuve doit profiter au propriétaire inscrit. Or, j’estime qu’il n’y avait aucune ambiguïté dans la preuve de la société INPS. Les lacunes dans sa preuve se rapportent plutôt à l’insuffisance de la preuve et au fait que les éléments présentés n’ont pas permis d’établir l’emploi. En d’autres termes, la société INPS ne s’est pas acquittée de son fardeau peu exigeant de fournir des éléments établissant l’emploi de la marque.

[47] Les commentaires de la juge MacTavish, qui à l’époque siégeait à la Cour fédérale, dans la décision Fairweather Ltd. c Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248 [Fairweather], sont instructifs. Voici ce que dit la juge au paragraphe 41 de cette décision :

Enfin, tout doute qui peut exister au sujet de la preuve doit être résolu en faveur du propriétaire de la marque de commerce sans diminuer pour autant l’obligation qui incombe au propriétaire de fournir une preuve prima facie d’emploi […].

[Citation omise]

[48] Devant le registraire, la société INPS avait le fardeau de fournir une preuve prima facie d’emploi, mais elle ne s’en est pas acquittée à la satisfaction du registraire. D’après mon examen de la preuve et des observations de la société INPS, je suis d’accord avec le registraire pour dire que la société INPS n’a pas fourni une preuve prima facie de l’emploi de la marque.

[49] Le registraire n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en ce qui concerne l’analyse du paragraphe 4(3).

Conclusion

[50] Compte tenu de ma conclusion portant que le registraire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante, le présent appel est rejeté.

[51] Après l’audience, les parties ont chacune présenté un mémoire de frais. Comme la défenderesse a obtenu gain de cause, elle a droit aux dépens, dont la somme totale s’élève à 4 152,75 $.




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