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Date : 20201217


Dossier : T‑1606‑18

Référence : 2020 CF 1162

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

RICHARDS PACKAGING INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

DISTRIMEDIC INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

(Requête de la défenderesse en appel de l’ordonnance sur le privilège prononcée par madame la protonotaire Steele le 10 février 2020)

[1]  Distrimedic Inc. (Distrimedic) interjette appel d’une ordonnance rendue par la protonotaire Alexandra Steele, la juge chargée de la gestion de l’instance, le 10 février 2020 (l’ordonnance sur le privilège) et demande que soit admise une nouvelle preuve à l’appui de son pourvoi en appel. Dans l’ordonnance sur le privilège, la protonotaire Steele a rejeté la requête de Distrimedic qui désirait obtenir une ordonnance déclarant que la demanderesse, Richards Packaging Inc. (Richards), ne pouvait pas alléguer un privilège relativement à des documents (les documents) énumérés dans son registre des privilèges à jour qui a été transmis au procureur de Distrimedic le 18 septembre 2019 sous le sceau de la confidentialité. La protonotaire Steele a statué que les documents étaient protégés par le privilège entre l’avocat et son client (le privilège relatif au litige) ou entre l’agent de brevets et son client et qu’il n’y avait eu aucune perte de privilège ni renonciation à celui‑ci.

[2]  Distrimedic a intenté son pourvoi en appel par voie de requête en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[3]  Pour les motifs énoncés ci‑dessous, l’appel est rejeté.

I.  Contexte

[4]  Richards et Distrimedic sont des concurrents directs dans le domaine des produits médicaux qui servent à faciliter la distribution de médicaments à des patients, y compris des piluliers et des étiquettes pour ceux‑ci. Essentiellement, les deux parties sont les seuls concurrents d’envergure dans le marché à créneau de ces produits.

[5]  Le 4 septembre 2018, Richards a intenté une poursuite contre Distrimedic pour contrefaçon de trois de ses brevets canadiens. Le 21 décembre 2018, Distrimedic a déposé sa défense et sa demande reconventionnelle dans lesquelles elle nie la contrefaçon et elle fait valoir que l’un des trois brevets est invalide. Le brevet en question, le brevet canadien no 2 631 095 (le brevet 095), a été redélivré le 24 juillet 2018 en application de l’article 47 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 (Loi sur les brevets). Distrimedic allègue que le brevet 095 est invalide parce qu’il a été redélivré expressément pour cibler les produits de Distrimedic, ce qui constitue un recours abusif au mécanisme de redélivrance.

[6]  La chronologie des événements qui ont mené à la délivrance du brevet 095 en 2011 et à sa redélivrance en 2018 se trouve dans l’ordonnance sur le privilège. En bref, à la fin de 2007, Richards a fait appel aux services de Lespérance & Martineau, une agence de brevets, pour déposer et poursuivre une demande de brevet. Lespérance & Martineau a déposé la demande de brevet en mai 2008. Richards et ses agents de brevets se sont échangé des documents au cours du processus de la poursuite et le brevet 095 a été délivré le 10 mai 2011.

[7]  En février 2015, Richards a retenu les services de Smart & Biggar qui ont entrepris une analyse du brevet 095 et qui, le 8 mai 2015, ont déposé deux demandes en vue de la redélivrance du brevet 095, dont l’une a été ultérieurement abandonnée. Pour le travail effectué au nom de Richards, Smart & Biggar a fait appel à des avocats et à des agents de brevets. La demande de redélivrance a été faite pour le motif que Lespérance & Martineau avait commis des erreurs lors du dépôt de la première demande de brevet, dont Richards a pris connaissance le 25 mars 2015. Richards et Smart & Biggar se sont échangé des documents et des communications de 2015 à 2018, y compris des documents et des communications que s’étaient auparavant échangé Richards et Lespérance & Martineau. Le brevet 095 a été redélivré le 24 juillet 2018.

[8]  Voici une description des documents en question :

  1. Des documents et des communications entre Richards et Lespérance & Martineau au cours de la période allant de 2007 à 2010 relativement au dépôt et à la poursuite de la demande de brevet qui a abouti à la délivrance du brevet 095 le 10 mai 2011.

  2. Des documents et des communications entre Richards et Smart & Biggar à compter de 2015, pendant le processus de redélivrance, et se poursuivant jusqu’à la redélivrance du brevet 095 le 24 juillet 2018 et l’introduction de la présente action. Ce groupe de documents comprend la correspondance et les documents que se sont échangé Richards et Lespérance & Martineau au cours du premier processus de délivrance.

[9]  Dans sa requête devant la protonotaire Steele, Distrimedic a fait valoir que les documents n’étaient pas protégés par le privilège de l’agent de brevets ou de l’avocat (privilège relatif au litige) et que Richards avait renoncé à tout privilège de cette nature.

II.  L’ordonnance sur le privilège

[10]  La protonotaire Steele a rejeté la requête de Distrimedic après avoir conclu que tous les documents énumérés dans le registre des privilèges à jour étaient protégés et qu’il n’existait aucune preuve étayant une perte du privilège ou une renonciation à celui‑ci.

[11]  La protonotaire Steele a d’abord passé en revue les principes juridiques applicables au privilège au Canada et elle a précisé que le privilège entre l’avocat et son client est une pierre angulaire du régime juridique canadien et qu’il ne peut y être porté atteinte que dans des situations de nécessité absolue (Goodis c Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31 aux para 20 et 41 (Goodis)). On présume qu’une communication qui répond aux critères du privilège est (1) une communication entre un avocat et son client (2) qui comporte une consultation ou un avis juridique et (3) que les parties considèrent de nature confidentielle (Solosky c La Reine, 105 DLR (3d) 745, [1980] 1 RCS 821 aux p. 833, 834 et 837 (Solosky)). La protonotaire Steele a énoncé les trois exceptions restreintes à la confidentialité des communications entre un avocat et son client, dont la troisième est en litige en l’espèce :

  • a) la sécurité publique et nationale;

  • b) dans les cas où l’innocence d’une personne accusée est menacée;

  • c) les communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle (Canada (Commissaire à la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 au para 10 (Blood Tribe)).

[12]  La protonotaire Steele a soulevé des questions au sujet de la troisième exception. Premièrement, elle a constaté que la communication avec l’avocat doit avoir été faite sciemment en vue de pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude (Solosky, à la p. 835). En deuxième lieu, il ne suffit pas d’alléguer la perpétration d’un crime ou d’une fraude pour faire jouer l’exception. Il faut plutôt faire une preuve prima facie fondée sur la connaissance personnelle. En dernier lieu, une inconduite qui n’est pas de nature criminelle n’est généralement pas reconnue comme une exception au privilège (Blank c Canada (Justice), 2010 CAF 183 au para 20 (Blank 2010 CAF)).

[13]  La protonotaire Steele s’est également penchée sur la nature du privilège entre un agent de brevet et son client au Canada. Elle a fait mention de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets (en vigueur le 24 juin 2016) et elle a déclaré que si les conditions énoncées dans cette disposition sont remplies, une communication entre un agent de brevets et son client est présumée protégée par le privilège de la même manière qu’une communication entre un avocat et son client. Ce point n’est pas contesté par les parties.

[14]  Voici comment la protonotaire Steele a résumé les arguments de Distrimedic en ce qui concerne le fait que Richards invoque un privilège :

[traduction]

[37]  Distrimedic s’oppose à ce que Richards invoque un privilège pour les motifs suivants :

(1)  Le privilège a été perdu en raison du fait que Richards s’est servie en partie et a divulgué des communications concernant des directives données à Lespérance & Martineau;

(2)  Le privilège a été perdu en raison du fait que Richards s’est servie du processus de redélivrance pour élargir de façon inadmissible la portée du brevet 095 afin de s’emparer des produits de Distrimedic;

(3)  Le privilège de l’agent de brevets ne s’applique pas aux communications qui ont précédé l’entrée en vigueur de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets, étant donné qu’elles ont été faites dans le contexte d’une instance instituée avant cette date.

[15]  La protonotaire Steele s’est dite en désaccord sur l’argument de Distrimedic selon lequel Richards a renoncé au privilège dans ses communications avec Lespérance & Martineau en divulguant volontairement au Bureau canadien des brevets (le Bureau des brevets), pendant les démarches en vue de la redélivrance, deux communications caviardées avec l’agence. La protonotaire Steele a fait remarquer que les documents en question étaient caviardés lorsqu’ils ont été présentés au Bureau des brevets et que Richards avait en tout temps assuré la confidentialité des parties caviardées des documents. Elle a conclu que Richards n’avait pas renoncé au privilège relativement aux parties caviardées des communications.

[16]  La protonotaire Steele a également conclu que le dépôt d’un document caviardé ne justifie pas en soi la divulgation automatique de l’ensemble des documents et des communications susceptibles de fournir du contexte. Distrimedic a fait valoir qu’il serait inéquitable d’autoriser seulement une divulgation partielle des communications entre Richards et Lespérance & Martineau. Distrimedic a allégué que Richards avait sélectionné certaines communications avec ses agents de brevets à l’appui de sa demande fondée sur l’article 47, ce qui a fait en sorte de dégager un portrait incomplet et potentiellement trompeur des circonstances qui ont donné lieu à la redélivrance du brevet 095. La protonotaire Steele n’était pas de cet avis et a conclu que Distrimedic n’avait produit aucune preuve soit d’une intention de tromper de la part de Richards, soit de la probabilité que la Cour ou Distrimedic soit induite en erreur si elles n’avaient pas pleinement accès aux communications entre Richards et ses agents de brevets. Elle a déclaré :

[traduction]

[45]  La cause d’action de Distrimedic repose sur l’invalidité prétendue du brevet 095 en vertu de l’article 47 de la Loi sur les brevets. Outre ses allégations, Distrimedic doit donc être en possession de certains éléments de preuve pour étayer  sa demande. Toutefois, aucune preuve n’a été produite avec cette requête. Il se pourrait bien que Distrimedic ait l’intention d’établir le bien‑fondé de sa cause par l’entremise de Richards, voire de l’inventeur nommé dans le brevet 095, mais une telle stratégie ne justifie pas un accès sans restriction à des communications protégées par un privilège. Distrimedic peut déployer une telle stratégie d’instance lors des interrogatoires préalables ou au procès, et non au moyen de la divulgation de communications protégées entre le breveté et ses agents de brevets et avocats.

[17]  La protonotaire Steele s’est ensuite penchée sur l’argument de Distrimedic selon lequel le privilège ne s’appliquait pas aux documents, parce qu’ils ont servi à faciliter la redélivrance d’un brevet dans un dessein inapproprié ou illégal, à savoir s’emparer des produits de Distrimedic. La protonotaire Steele a rejeté cet argument. Elle a réitéré que l’inconduite qui n’est pas de nature criminelle n’est pas reconnue comme une exception au privilège. Même si l’inconduite civile était une exception, il faudrait encore établir une preuve prima facie de fraude fondée sur la connaissance personnelle. En l’espèce, les faits et la preuve étaient insuffisants pour étayer une allégation d’inconduite criminelle ou civile, encore moins une allégation de fraude.

[18]  En dernier lieu, la protonotaire Steele a étudié l’application de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets. Distrimedic a invoqué le paragraphe 16.1(6) et a fait valoir qu’étant donné que les procédures de redélivrance étaient en cours le 24 juin 2016, la date d’entrée en vigueur de l’article 16.1, le privilège des agents de brevets ne s’étend pas aux communications concernant une demande de redélivrance. Le paragraphe 16.1(6) prévoit que l’article 16.1 a un effet rétroactif et porte aussi sur les communications avec un agent de brevets qui ont été faites avant le 24 juin 2016 si elles étaient toujours confidentielles ce jour‑là, dans la mesure où l’article « ne s’applique pas dans le cadre de toute action ou procédure commencée avant cette date. ». La protonotaire Steele a affirmé que l’exception à l’application rétroactive de l’article 16.1 est limitée à la divulgation dans le contexte d’instances qui étaient en cours le 24 juin 2016. Étant donné que les procédures de redélivrance ont pris fin le 24 juillet 2018, la limite prévue au paragraphe 16.1(6) ne fait pas échec à l’existence du privilège de l’agent de brevets dans les communications entre Richards et ses agents de brevets qui étaient demeurées confidentielles au cours des procédures de redélivrance.

III.  Question préliminaire – Admission d’une nouvelle preuve de la part de Distrimedic

[19]  Distrimedic désire produire comme nouvelle preuve dans le présent appel la transcription (la transcription) de l’interrogatoire qu’elle a réalisé le 11 décembre 2019 de M. Gilles Bourque, un employé de Richards et l’inventeur dont le nom figure dans le brevet 095. Distrimedic reconnaît la règle générale selon laquelle un appel d’une ordonnance d’un protonotaire doit être instruit à la lumière du dossier dont le protonotaire était saisi, mais elle fait valoir que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve nouvelle (Graham c Canada, 2007 CF 210 au para 12 (Graham)). Distrimedic soutient que la transcription contient des renseignements essentiels pour la Cour en l’espèce et qu’elle est pertinente quant à la question de savoir si la redélivrance a été entreprise dans un but inapproprié. Distrimedic fait valoir que Richards a produit seulement une preuve par ouï‑dire de la part de M. Proulx au Bureau des brevets et, subséquemment, à la protonotaire Steele dans le cadre de la requête portant sur le privilège.

[20]  Richards s’oppose à l’admission de la transcription pour deux raisons. Premièrement, Richards affirme que l’interrogatoire d’un inventeur en vertu du paragraphe 237(4) des Règles peut seulement être réalisé dans le but d’obtenir des renseignements généraux au sujet de la cession des droits en cause et d’attaquer la crédibilité de l’inventeur s’il témoigne au procès. La transcription n’aurait pas été admissible pour le but indiqué par Distrimedic dans la requête portant sur le privilège devant la protonotaire Steele. Deuxièmement, Richards soutient que même si la transcription était admissible dans le cadre de la requête portant sur le privilège, l’autorisation de la Cour pour déposer une preuve supplémentaire en appel d’une ordonnance d’un protonotaire est exceptionnelle et ne devrait pas être accordée en l’espèce.

[21]  Le paragraphe 237(4) des Règles permet d’interroger au préalable l’inventeur/cédant d’un brevet qui n’est pas partie au litige sous‑jacent sur le brevet. Il faut obtenir l’autorisation de la Cour pour utiliser l’interrogatoire préalable au procès. Le témoignage du cédant peut seulement être utilisé pour : (1) produire de l’information et de possibles champs d’enquête que la partie interrogatrice pourra examiner; (2) permettre à la partie interrogatrice d’utiliser la transcription de l’interrogatoire préalable pour contredire le cédant s’il était appelé à témoigner au procès (Faulding (Canada) Inc. c Pharmacia S.P.A., 1999 CanLII 794 au para 4; Faurecia Automotive Seating Canada Ltd. c Lear Corp. Canada Ltd., 20 CPR (4th) 308 (CF) à la p 5, [2002] ACF no 1836; voir, plus récemment, Allergan Inc. c Apotex Inc., 2020 CF 658 aux para 45 à 47 (Allergan)).

[22]  Distrimedic maintient qu’elle ne tente pas de produire la transcription au procès, mais plutôt dans le contexte de la requête portant sur le privilège, et que son admissibilité en l’espèce devrait être appréciée en fonction du critère général qui régit l’admission d’une preuve nouvelle. Distrimedic n’a pas cité de jurisprudence à l’appui de sa position selon laquelle la preuve produite en vertu du paragraphe 237(4) des Règles devrait être traitée différemment selon qu’elle est introduite dans le cadre d’une requête ou au procès. À mon avis, cette distinction n’est pas fondée. La justification de la restriction sur l’emploi de la preuve issue d’un interrogatoire préalable ne change pas. Les restrictions tiennent compte du fait que la preuve est produite par un tiers. Sans l’accord du cessionnaire (une partie), cette preuve n’oblige pas le cessionnaire et ne peut pas être utilisée pour contredire l’un de ses témoins (Allergan, aux para 46‑47).

[23]  J’ai également tenu compte du pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’admettre une preuve nouvelle en l’espèce dans des circonstances exceptionnelles. Les parties s’entendent sur les critères régissant l’admission d’une preuve nouvelle en appel d’une ordonnance d’un protonotaire. Distrimedic mentionne la façon dont notre Cour a formulé les critères dans la décision Graham, qui a récemment été citée avec approbation dans l’affaire Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379 au para 18 (Fondation Suzuki). Les quatre critères qui régissent l’admission d’éléments de preuve nouveaux sont les suivants : 1) ils n’auraient pas pu être communiqués à une date antérieure; 2) ils serviront l’intérêt de la justice; 3) ils aideront la Cour; 4) ils ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse.

[24]  Il est évident que la transcription n’avait pas été mise à la disposition de Distrimedic à la date de l’audience devant la protonotaire Steele, mais je conclus que Distrimedic n’a pas satisfait au deuxième et au troisième critères régissant l’admission. L’exigence selon laquelle la nouvelle preuve doit aider la Cour a été examinée par madame la juge Kane dans la décision Fondation Suzuki. Elle a conclu que la Cour doit se demander si la preuve pourrait influer sur le fond de l’appel d’une ordonnance d’un protonotaire (Fondation Suzuki, au para 38).

[25]  L’interrogatoire préalable de M. Bourque par Distrimedic a permis d’établir qu’il n’avait joué aucun rôle dans la première demande de brevet 095 ni dans la demande de redélivrance. Distrimedic fait valoir que la preuve de M. Proulx devant le Bureau des brevets dans la demande de redélivrance et devant cette Cour dans son affidavit du 4 septembre 2019 en réponse à la requête portant sur le privilège constitue du ouï‑dire et que Richards tente de mettre M. Bourque à l’abri d’un contre‑interrogatoire. Distrimedic soutient également que la preuve de M. Bourque contredit la déclaration de M. Proulx dans son affidavit du 10 mai 2017 qui a été déposé au Bureau des brevets, selon lequel il croyait que l’intention de M. Bourque n’avait pas été entièrement réalisée dans la demande du brevet 095 délivré.

[26]  M. Proulx est le directeur des ventes nationales de Richards. Il est un employé de Richards depuis 1996. Il se dégage clairement du dossier qu’il était la principale personne‑ressource pour Lespérance & Martineau dans la demande du brevet 095, et pour Smart & Biggar dans la demande de redélivrance. Selon le témoignage de M. Bourque en interrogatoire, il n’a pris part à aucun des deux processus de demande. Richards n’a pas laissé entendre le contraire. Il n’y a rien d’intrinsèquement suspect dans le fait que Richards a compté sur M. Proulx pour la représenter dans la présente contestation de brevet. Il ne s’est produit aucun changement soudain de cap qui donnerait à penser que M. Bourque a été stratégiquement exclu pour le mettre à l’abri du contre‑interrogatoire. De plus, son témoignage ne contredit pas celui de M. Proulx. M. Proulx a seulement affirmé qu’il croyait que le brevet 095 tel que délivré ne reflétait pas l’intention de l’inventeur. Il n’a pas déclaré qu’il avait consulté M. Bourque ni que M. Bourque avait par ailleurs pris part à la première demande et à la demande de redélivrance.

[27]  Je statue que Distrimedic ne peut pas produire une preuve tirée de son interrogatoire de M. Bourque en vertu du paragraphe 237(4) des Règles dans le but d’étayer son allégation d’inconduite dans le processus de redélivrance et de contredire le témoignage de M. Proulx. Je refuse d’accorder l’autorisation d’admettre cette preuve pour ce motif. En outre, il n’existe aucune circonstance exceptionnelle qui autoriserait la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire d’admettre la transcription. Le témoignage de M. Bourque n’influerait pas sur la nature de mes conclusions dans le présent appel. Admettre la preuve recueillie par Distrimedic en vertu du paragraphe 237(4) des Règles dans un but plus large que celui permis par la jurisprudence ne servirait pas les intérêts de la justice.

IV.  Questions en litige

[28]  Distrimedic soulève trois questions dans le présent appel :

V.  Norme de contrôle

[29]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux appels d’ordonnances discrétionnaires des protonotaires est énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 66 et 79. Ces ordonnances doivent être examinées selon la norme civile d’appel (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33) de la façon suivante : 1) la norme de la décision correcte pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable; 2) l’erreur manifeste et dominante pour les conclusions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[30]  La première question que Distrimedic a soulevée concerne l’interprétation qu’a faite la protonotaire Steele de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets, une question de droit qui sera contrôlée selon la norme de la décision correcte. Distrimedic fait valoir que la deuxième et la troisième questions doivent aussi être contrôlées selon la norme de la décision correcte, étant donné qu’elles soulèvent des questions mixtes de fait et de droit, mais que la protonotaire Steele a appliqué la mauvaise norme juridique à son analyse dans chacun de ces cas. Je ne souscris pas à la position de Distrimedic et je conclus que les deux questions soulèvent des questions de fait et d’application du droit aux faits. Elles ne comportent aucun principe juridique isolable. Les conclusions de la protonotaire Steele sur ces questions commandent déférence et seront examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

VI.  Analyse

1.  La protonotaire Steele a‑t‑elle commis une erreur en droit dans son interprétation du paragraphe 16.1(6) de la Loi sur les brevets?

[31]  Voici le libellé des dispositions pertinentes de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets :

Communication protégée

Privileged communication

16.1 (1) La communication qui remplit les conditions ci‑après est protégée de la même façon que le sont les communications visées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire et nul ne peut être contraint, dans le cadre de toute action ou procédure civile, pénale ou administrative, de la divulguer ou de fournir un témoignage à son égard :

16.1 (1) A communication that meets the following conditions is privileged in the same way as a communication that is subject to solicitor‑client privilege or, in civil law, to professional secrecy of advocates and notaries and no person shall be required to disclose, or give testimony on, the communication in a civil, criminal or administrative action or proceeding:

a) elle est faite entre une personne physique dont le nom est inscrit sur le registre des agents de brevets et son client;

(a) it is between an individual whose name is entered on the register of patent agents and that individual’s client;

b) elle est destinée à être confidentielle;

(b) it is intended to be confidential; and

c) elle vise à donner ou à recevoir des conseils en ce qui a trait à toute affaire relative à la protection d’une invention.

(c) it is made for the purpose of seeking or giving advice with respect to any matter relating to the protection of an invention.

Renonciation

Waiver

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si le client renonce expressément ou implicitement à la protection de la communication.

(2) Subsection (1) does not apply if the client expressly or implicitly waives the privilege.

[. . .]

[. . .]

Application

Application

(6) Le présent article s’applique aux communications qui sont faites avant la date d’entrée en vigueur de celui‑ci si, à cette date, elles sont toujours confidentielles et à celles qui sont faites après cette date. Toutefois, il ne s’applique pas dans le cadre de toute action ou procédure commencée avant cette date.

(6) This section applies to communications that are made before the day on which this section comes into force if they are still confidential on that day and to communications that are made after that day. However, this section does not apply in respect of an action or proceeding commenced before that day.

[32]  Distrimedic soutient que la protonotaire Steele a commis une erreur d’interprétation législative en concluant que les mots « action ou procédure » figurant au paragraphe 16.1(6) doivent être interprétés comme désignant les actions ou procédures qui demeurent en instance. Distrimedic soutient en outre que l’erreur est aggravée par le fait que la protonotaire Steele n’a pas déterminé la date à laquelle les procédures doivent être en instance.

[33]  La protonotaire Steele a statué que le paragraphe 16.1(6) porte sur le privilège rétroactif et prospectif des agents de brevets, sous réserve de l’exception restrictive insérée dans la dernière phrase du paragraphe. Voici comment elle a décrit cette exception : si une procédure était en cours le 24 juin 2016, un agent de brevets qui doit par ailleurs respecter les obligations de confidentialité prévues au paragraphe 16.1(1) « pourrait être contraint de divulguer des communications protégées dans le contexte d’une telle procédure ». La protonotaire Steele a conclu :

[traduction]

[56] De l’avis de la Cour, la Loi sur les brevets prévoit uniquement une exception restrictive à l’application générale d’un privilège rétroactif dans le cas des procédures qui ont été intentées avant le 24 juin 2016. Elles doivent demeurer en instance. Ce n’est plus le cas pour les procédures de redélivrance, étant donné qu’elles ont pris fin le 24 juillet 2018. L’effet rétroactif et prospectif de l’article 16.1 de la Loi sur les brevets s’applique donc aux communications de Richards, comme les pièces AP‑01 et AP‑02, ainsi qu’aux communications connexes qui sont demeurées confidentielles.

[34]  Je conclus que la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que le paragraphe 16.1(6) de la Loi sur les brevets élargit de manière rétroactive le privilège des agents de brevets, comme le prévoit le paragraphe 16.1(1), sauf dans le cadre d’une procédure en instance qui a été intentée avant le 24 juin 2016. Dans une telle procédure, le privilège autrement accordé par l’article 16.1 n’empêchera pas une personne d’être contrainte de divulguer des communications entre un agent de brevets et son client. La dernière phrase du paragraphe 16.1(6) a pour but de maintenir les règles de divulgation qui étaient applicables dans une procédure qui était en instance lorsque l’article 16.1 est entré en vigueur.

[35]  Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 RCS 27, 154 DLR (4th) 193; Iris Technologies Inc. c Canada (Revenu National), 2020 CAF 117 au para 40). Le paragraphe 16.1(1) de la Loi sur les brevets prévoit que le privilège s’applique aux communications entre un agent de brevets et son client et que nul ne peut être contraint de les divulguer « dans le cadre de toute action ou procédure civile, pénale ou administrative ». Le paragraphe 16.1(6) précise que l’article 16.1 a un effet rétroactif; toutefois, « il ne s’applique pas dans le cadre de toute action ou procédure commencée avant cette date ». Je conclus que les deux dispositions doivent être lues en parallèle, ce qui donne le résultat suivant :

  1. Les communications entre un agent de brevets et son client jouissent des mêmes protections que les communications entre un avocat et son client (art 16.1(1));

  2. Sous réserve seulement de l’exception décrite au paragraphe 3 ci‑dessous, le privilège des agents de brevets s’applique aux communications faites avant ou après le 24 juin 2016;

  3. Dans le cadre d’une action ou d’une procédure qui était en instance le 24 juin 2016, une personne peut être contrainte de divulguer des communications protégées ou de témoigner au sujet de communications autrement protégées entre un agent de brevets et son client.

[36]  La protonotaire Steele arrive au même résultat en employant une terminologie différente. Les paragraphes 55 et 56 de l’ordonnance sur le privilège indiquent que la divulgation des communications entre un agent de brevets et son client peut être exigée dans une procédure intentée avant le 24 juin 2016 pendant la période au cours de laquelle elle était en instance. Je suis du même avis que Distrimedic sur le fait que le libellé employé par la protonotaire Steele dans ces deux paragraphes s’écarte de celui du paragraphe 16.1(6), mais le sens des deux paragraphes demeure clair.

[37]  Distrimedic affirme que l’effet rétroactif du privilège des agents de brevets qui est prévu au paragraphe 16.1(6) ne s’applique pas « à » la procédure de redélivrance, étant donné qu’elle a été déposée avant le 24 juin 2016. Distrimedic fait valoir que la protonotaire Steele a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le paragraphe 16.1(1) s’applique rétroactivement aux communications des agents de brevets que Richards a fournies au Bureau des brevets pendant la procédure de redélivrance.

[38]  L’exception que contient la dernière phrase du paragraphe 16.1(6) est restrictive, comme l’a dit la protonotaire Steele. Elle exclut de la protection rétroactive les procédures en instance à la date de son entrée en vigueur. Les communications confidentielles entre un client et son agent de brevets qui ont été faites pendant la procédure en question sont protégées par le privilège de l’agent de brevets. Le privilège pourrait être écarté dans le contexte de cette procédure et le client ou l’agent de brevets pourrait être contraint de divulguer leurs communications ou de témoigner à leur sujet. Toutefois, une fois que la procédure a pris fin, le privilège demeure intact dans la mesure où les communications sont par ailleurs demeurées confidentielles. Dans le contexte de la présente contestation de brevet, Distrimedic ne peut pas exiger la divulgation des communications protégées et confidentielles de Richards avec Lespérance & Martineau ou les agents de brevets de Smart & Biggar pour le motif que ces communications ont été faites ou mentionnées dans la procédure de redélivrance. Dans la mesure où l’emploi par Distrimedic du mot « à » dans sa description de l’effet rétroactif du paragraphe 16.1(6) a pour objet de laisser entendre autre chose, je ne suis pas de cet avis.

2.  La protonotaire Steele a‑t‑elle omis d’analyser adéquatement les procédures de redélivrance et la divulgation par Richards de certaines communications avec ses premiers agents de brevets, Lespérance & Martineau, au cours de ces procédures?

[39]  Les observations de Distrimedic au sujet des communications de Richards avec Lespérance & Martineau sont axées sur une renonciation implicite au privilège. Distrimedic soutient que la protonotaire Steele a commis une erreur dans sa caractérisation de la procédure de redélivrance, parce qu’elle a omis de reconnaître la renonciation au privilège qui s’est produite pendant cette procédure lorsque Richards a invoqué l’omission alléguée de Lespérance & Martineau de donner effet à ses directives dans la demande du brevet 095.

[40]  Distrimedic fait valoir que Richards a choisi de divulguer des parties de ses communications avec Lespérance & Martineau dans la procédure de redélivrance; ce faisant, elle a volontairement mis en jeu ses directives à Lespérance & Martineau (RE/MAX LLC c Save Max Real Estate, Inc. 2019 CF 1582 (RE/MAX LLC)). Distrimedic soutient que Richards a renoncé à la protection de toutes ses communications avec Lespérance & Martineau qui ont été mises en cause dans la demande de redélivrance, qu’elles aient été fournies ou non au Bureau des brevets, y compris les passages caviardés des documents transmis au Bureau des brevets. Distrimedic affirme que Richards ne peut pas être autorisée à divulguer seulement une partie de ses communications avec Lespérance & Martineau qui concerne la question de la méprise, parce que cela permettrait à Richards de faire une sélection minutieuse de sa divulgation. En dernier lieu, Distrimedic fait valoir que la procédure de redélivrance du brevet 095 n’a pas pris fin en 2018 et n’est pas totalement étrangère à la contestation de brevet qui se déroule maintenant entre les parties.

[41]  Distrimedic s’inscrit en faux contre la conclusion de la protonotaire Steele qui est énoncée au paragraphe 46 de l’ordonnance sur le privilège :

[traduction]

[46] De plus, les faits dans les affaires Land et HH qui ont été citées par Distrimedic sont différents des faits en l’espèce en ce sens que les tribunaux saisis ont conclu qu’il serait inéquitable qu’une partie qui fait valoir un malentendu sur ses directives puisse se réfugier derrière le privilège. En l’espèce, Richards ne met pas en jeu un malentendu au sujet de ses directives, contrairement à Distrimedic qui a intenté une demande reconventionnelle pour invalidité fondée sur le recours abusif au processus de redélivrance. Autrement dit, Richards n’invoque pas les documents protégés à l’appui de sa cause, ce que fait Distrimedic. […]

(Souligné dans l’original)

[42]  Les parties conviennent que la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur dans son résumé des principes jurisprudentiels qui régissent la renonciation au privilège. Le privilège appartient au client. Seul le client peut renoncer expressément ou implicitement au privilège, de lui‑même ou par la voix d’un procureur ou d’un agent de brevets qu’il a autorisé. Il est également possible de conclure que le client a renoncé au privilège en mettant en jeu dans une procédure ses communications avec son procureur ou son agent de brevets. La question qui se pose dans le présent appel est la portée de la renonciation au privilège par Richards dans le processus de redélivrance et sa pertinence pour la contestation de brevet qui se déroule maintenant entre les parties.

[43]  J’estime que la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu que (1) Richards a maintenu le privilège pendant le processus de redélivrance en caviardant des passages de ses communications avec Lespérance & Martineau qui ont été divulguées au Bureau des brevets et dans toutes ses autres communications confidentielles avec Lespérance & Martineau dans le processus de demande du brevet 095; (2) le processus de redélivrance demeure distinct de la présente contestation de brevet.

[44]  Distrimedic fait ressortir la portée des divulgations de Richards au Bureau des brevets pour étayer son argument selon lequel Richards a renoncé au privilège dans toutes ses communications avec Lespérance & Martineau pertinentes en ce qui concerne l’allégation de méprise de la part de Richards. Distrimedic invoque a) les déclarations de Richards au Bureau des brevets voulant que Lespérance & Martineau, par erreur ou par inadvertance, n’a pas suivi ses directives et que le brevet 095 tel que délivré ne [traduction« fait pas valoir à la perfection l’invention conçue et formulée par l’inventeur »; b) les documents caviardés transmis au Bureau des brevets; c) la description détaillée par M. Proulx de ses communications avec Lespérance & Martineau entre 2007 et 2011.

[45]  Je suis du même avis que Distrimedic sur le fait que Richards a mis en cause ses directives à Lespérance & Martineau dans le processus de redélivrance ainsi que l’exécution de ses directives par Lespérance & Martineau. Toutefois, la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que Richards l’avait fait sous le sceau de la confidentialité. Richards a divulgué au Bureau des brevets seulement les communications ou les parties de communications qui établissaient une méprise suffisante pour justifier la redélivrance du brevet 095 en application de l’article 47 de la Loi sur les brevets. Richards a donc renoncé au privilège protégeant l’information divulguée. Elle ne peut pas maintenant faire valoir le privilège protégeant cette information et elle ne le fait pas. Le Bureau des brevets aurait pu demander de plus amples informations protégées à Richards ou aurait pu refuser la redélivrance du brevet. Il n’a fait ni l’un ni l’autre. Le Bureau des brevets a été convaincu par la divulgation et a redélivré le brevet 095.

[46]  Distrimedic invoque ma décision dans le jugement RE/MAX LLC pour faire valoir qu’il y a eu renonciation au privilège relatif à toutes les communications pertinentes avec Lespérance & Martineau au cours du processus de redélivrance. Le jugement RE/MAX LLC n’aide pas Distrimedic, car la renonciation au privilège dans ce cas découlait de faits très différents. Dans le jugement RE/MAX LLC, les défenderesses avaient fait signifier et avaient déposé un affidavit de fond détaillé et fait sous serment par leur procureur. J’ai confirmé l’ordonnance de la protonotaire Ring de notre Cour, selon laquelle les défenderesses avaient renoncé au privilège en déposant un affidavit de leur procureur sur des questions de fond en litige entre les parties.

[47]  La protonotaire Steele n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a refusé de faire droit à l’argument de Distrimedic selon lequel la renonciation par Richards au privilège dans le processus de redélivrance englobait toutes les communications avec Lespérance & Martineau qui concernaient leur omission de donner suite aux directives de Richards. Toute exception à la protection dont bénéficient les communications entre un avocat et son client ou un agent de brevets et son client doit être interprétée de manière restrictive pour respecter la position de la Cour suprême du Canada voulant que les exceptions doivent être d’une « absolue nécessité » (Goodis, au para 20). L’argument de Distrimedic selon lequel les communications de Richards avec Lespérance & Martineau donnent le contexte de l’allégation de Richards au sujet de la méprise est trop vague. Il permettrait d’étirer de façon injustifiée la jurisprudence existante concernant la renonciation afin de permettre à Distrimedic d’obtenir les communications protégées de Richards avec Lespérance & Martineau en prétendant qu’il y a eu renonciation implicite au privilège qui s’applique à ces communications pendant le processus de redélivrance.

[48]  Je conclus également que la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en établissant une distinction entre la procédure de redélivrance et l’actuelle contestation du brevet. Le fait que Distrimedic a allégué l’invalidité du brevet 095 tel que redélivré dans la contestation du brevet ne fait pas revivre le processus de redélivrance.

[49]  Richards reconnaît avoir demandé un avis juridique à Smart & Biggar pendant le processus de redélivrance pour se préparer au litige qui l’oppose maintenant à Distrimedic. On note également des principes juridiques parallèles dans les deux instances. Quoi qu’il en soit, le Bureau des brevets a conclu la procédure de redélivrance en redélivrant le brevet 095 le 24 juillet 2018. Les points communs entre les questions de droit ne changent pas mon analyse de la portée du privilège auquel Richards a renoncé dans ses communications avec Lespérance & Martineau au cours de ces procédures.

3.  La protonotaire Steele a‑t‑elle omis de prendre en compte la preuve d’inconduite par Richards dans sa demande de redélivrance du brevet 095 comme suffisante pour contrecarrer le privilège rattaché à ses communications avec Smart & Biggar?

[50]  Distrimedic fait valoir que la protonotaire Steele a commis deux erreurs dans son analyse de son allégation d’une inconduite suffisante pour contrecarrer le privilège rattaché aux communications de Richards dans le processus de redélivrance avec Smart & Biggar (et aux communications antérieures avec Lespérance & Martineau, dans la mesure où elles ont été divulguées pendant le processus de redélivrance). En premier lieu, Distrimedic soutient que la protonotaire Steele a commis une erreur en exigeant que la conduite de Richards soit de nature criminelle pour justifier la perte du privilège. Deuxièmement, Distrimedic fait valoir que la protonotaire Steele a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve au dossier illustrant le but inapproprié de Richards lorsqu’elle s’est adressée au Bureau des brevets pour demander la redélivrance du brevet 095. 

[51]  Voici le libellé du paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets :

Délivrance de brevets nouveaux ou rectifiés

Issue of new or amended patents

47 (1) Lorsqu’un brevet est jugé défectueux ou inopérant à cause d’une description et spécification insuffisante, ou parce que le breveté a revendiqué plus ou moins qu’il n’avait droit de revendiquer à titre d’invention nouvelle, mais qu’il apparaît en même temps que l’erreur a été commise par inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper, le commissaire peut, si le breveté abandonne ce brevet dans un délai de quatre ans à compter de la date du brevet, et après acquittement d’une taxe réglementaire additionnelle, faire délivrer au breveté un nouveau brevet, conforme à une description et spécification rectifiée par le breveté, pour la même invention et pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle le brevet original a été accordé.

47 (1) Whenever any patent is deemed defective or inoperative by reason of insufficient description and specification, or by reason of the patentee’s claiming more or less than he had a right to claim as new, but at the same time it appears that the error arose from inadvertence, accident or mistake, without any fraudulent or deceptive intention, the Commissioner may, on the surrender of the patent within four years from its date and the payment of a further prescribed fee, cause a new patent, in accordance with an amended description and specification made by the patentee, to be issued to him for the same invention for the then unexpired term for which the original patent was granted.

[52]  Distrimedic a d’abord affirmé que la protonotaire Steele a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’une inconduite qui n’est pas criminelle n’est pas reconnue comme une exception au privilège. Je partage l’avis de Distrimedic qui soutient que le privilège ne protège pas des communications faites dans le but de favoriser la perpétration d’un acte répréhensible de nature criminelle ou frauduleuse. Les communications de cette nature ne font pas partie d’une véritable relation entre un avocat et son client ou un agent de brevets et son client (Solosky, aux p 835‑836). La perte de la protection a également été élargie pour couvrir une conduite illégale grave et un abus de procédure (Blank 2010 CAF, au para 20; Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 au para 44 (Blank 2006 CSC)). Il ne suffit pas de simplement alléguer une inconduite civile. La jurisprudence insiste sur l’existence d’un dessein criminel, d’une fraude ou d’une autre conduite illégale grave qui équivaut à un abus de procédure.

[53]  L’article 47 prévoit qu’un brevet peut être redélivré en raison d’une erreur qui s’est produite par « inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper ». Je conclus qu’un client qui demande l’avis d’un avocat ou d’un agent de brevets pour contribuer à la redélivrance d’un brevet existant dans un but frauduleux fait appel à l’avocat ou à l’agent de brevets pour favoriser une conduite illégale grave. Le privilège rattaché à l’avis demandé ou reçu peut être invalidé sur preuve du but frauduleux. J’insiste sur le fait que la preuve doit établir l’existence d’une fraude ou d’un but frauduleux. Les circonstances factuelles de la jurisprudence citée par Distrimedic et Richards mettent l’accent sur la gravité de la conduite susceptible d’invalider le privilège. Un plaideur qui allègue une fraude dans une demande de redélivrance d’un brevet en vertu de l’article 47 de la Loi sur les brevets doit se décharger d’un important fardeau de preuve.

[54]  Dans l’ordonnance sur le privilège, la protonotaire Steele n’a formulé aucune conclusion selon laquelle la conduite comportant la redélivrance d’un brevet en vertu de l’article 47 dans un but frauduleux ne peut pas justifier la perte d’un privilège. Elle a seulement affirmé qu’une inconduite qui n’est pas de nature criminelle n’est pas reconnue comme une exception au privilège. La protonotaire Steele a poursuivi en déclarant que si l’inconduite civile faisait partie de ces exceptions, il faudrait une preuve prima facie de fraude pour que la Cour vienne à la conclusion que le privilège a été perdu. La protonotaire Steele n’a commis aucune erreur à cet égard. Je suis incapable de conclure qu’elle a commis une erreur manifeste et dominante dans sa première affirmation, compte tenu du fait qu’elle s’est ensuite penchée sur la question de savoir si Distrimedic avait établi une preuve prima facie de fraude.

[55]  La question irrémédiable en ce qui concerne l’allégation de perte de privilège formulée par Distrimedic dans les communications entre Richards et Smart & Biggar est l’absence d’une preuve prima facie d’une intention frauduleuse. Distrimedic affirme que la protonotaire Steele a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu que la « seule » preuve qui a commencé à établir une inconduite ou une fraude de la part de Richards était une déclaration non datée qui n’a pas été faite sous serment par monsieur Claude Filiatrault, l’unique administrateur et employé de Distrimedic. Dans sa déclaration, M. Filiatrault a expliqué la date d’une feuille d’envoi par télécopieur qui indiquait que Richards avait cherché à s’approvisionner de produits de Distrimedic avant de présenter sa demande de redélivrance.

[56]  Distrimedic fait valoir, et je suis du même avis, que la protonotaire Steele a commis une erreur lorsqu’elle a affirmé que l’unique élément de preuve dont elle disposait d’une fraude ou d’une inconduite était la déclaration de M. Filiatrault. Toutefois, je conclus que l’erreur n’était pas dominante, parce que la preuve supplémentaire au dossier ne constitue pas une preuve prima facie d’une conduite frauduleuse.

[57]  Distrimedic se fie aux éléments de preuve supplémentaires suivants :

  1. La déclaration de M. Proulx dans son affidavit de septembre 2019 selon laquelle l’objet dominant des communications de Richards avec Smart & Biggar pendant et après le processus de redélivrance était d’anticiper la présente contestation de brevet et de s’y préparer.

  2. La confirmation par M. Proulx en contre‑interrogatoire du fait que Richards avait en sa possession des produits de Distrimedic aussi tôt qu’en mars 2015, deux mois avant qu’elle présente sa demande de redélivrance.

  3. Les mentions dans le registre des privilèges à jour de Richards, sous la rubrique « Nature de la correspondance » à Distrimedic. Distrimedic fait valoir qu’il n’existe aucune raison légitime de la mentionner ou de mentionner tout autre concurrent dans la correspondance entre Richards et Smart & Biggar pendant le processus de redélivrance.

  4. La preuve découlant de l’interrogatoire de M. Bourque par Distrimedic, que j’ai jugé inadmissible et dont je n’ai pas tenu compte.

[58]  Distrimedic fait valoir que la déclaration de M. Filiatrault qui n’a pas été faite sous serment et la preuve supplémentaire au dossier établissent une preuve prima facie du but frauduleux de Richards qui s’est traduit par la demande de redélivrance du brevet 095 avec Smart & Biggar, laquelle ne découlait pas d’une méprise, mais visait à s’emparer des produits de Distrimedic. Je ne suis pas de cet avis.

[59]  La preuve démontre que Richards avait possession de produits de Distrimedic avant d’entreprendre le processus de redélivrance et qu’au cours de ce processus, Distrimedic a été mentionnée dans les communications avec Smart & Biggar. Richards a retenu les services de Smart & Biggar peu de temps avant de prendre possession de produits de Distrimedic. Il n’existe aucun élément de preuve au dossier quant à la raison pour laquelle elle l’a fait. Il se peut que Richards ait été de plus en plus préoccupée par la concurrence de Distrimedic et qu’elle ait acquis des produits de Distrimedic en raison de ses préoccupations. La réception de produits de Distrimedic a permis à Richards de déterminer que le brevet 095 n’était pas conforme aux directives qu’elle avait données à Lespérance & Martineau. Je conclus qu’à leur face même, ces événements ne révèlent pas une intention ni ne dénotent nécessairement un but frauduleux.

[60]  En dernier lieu, le témoignage de M. Proulx selon lequel le but dominant de ses communications avec Smart & Biggar était d’anticiper et de préparer la contestation de brevet n’aide pas Distrimedic. Distrimedic affirme que son admission signifie que le processus de redélivrance a été entrepris en prévision de la contestation du brevet et laisse entendre que la redélivrance a donc été entreprise dans un but frauduleux. Il se peut bien que Richards ait eu l’intention d’intenter une poursuite contre Distrimedic si elle réussissait à faire redélivrer le brevet 095. Il ne s’ensuit pas que Richards et Smart & Biggar ont entrepris la redélivrance sans avoir trouvé d’erreur dans la première demande.

[61]  L’interprétation de la preuve que fait Distrimedic est l’une des interprétations possibles. Elle n’établit pas une preuve prima facie de collusion entre Richards et Smart & Biggar en vue de commettre une fraude en demandant la redélivrance du brevet 095. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, une conclusion de perte du privilège d’un avocat ou d’un agent de brevets doit être interprétée de manière restrictive. Il ne suffit pas qu’une interprétation de la preuve puisse laisser supposer une intention frauduleuse lorsque d’autres interprétations aussi viables peuvent dénoter une réaction agressive dans un marché hautement concurrentiel. Distrimedic devait faire une preuve prima facie d’un but frauduleux ou illégal dans le présent appel pour obtenir l’accès aux documents et communications que Richards juge protégés par un privilège. J’estime qu’elle ne l’a pas fait. Je conclus que la protonotaire Steele n’a commis aucune erreur dominante dans son appréciation de la preuve de Distrimedic.

VII.  Documents protégés à récupérer par Richards

[62]  En ce qui concerne les deux cartables qui contiennent le registre des privilèges à jour et les documents 1 à 38 et A à I, ils seront mis à la disposition de Richards au greffe de Montréal peu après la publication de la présente ordonnance et des motifs qui l’accompagnent. Si la présente ordonnance était portée en appel, Richards serait tenue de présenter ces documents de nouveau à la Cour d’appel fédérale si nécessaire.

VIII.  Conclusion

[63]  L’appel est rejeté.

IX.  Dépens

[64]  Richards demande des dépens de 6 000 $ tout inclus et payables sans délai dans la présente requête et dans (1) sa requête dans le présent dossier de la Cour interjetant appel de l’ordonnance de la protonotaire Steele en ce qui concerne la confidentialité qui est également datée du 10 février 2020 (l’ordonnance sur la confidentialité); (2) le pourvoi incident en appel de l’ordonnance sur la confidentialité intenté par Distrimedic. Je me suis penchée sur les deux requêtes concernant l’ordonnance sur la confidentialité dans une ordonnance et des motifs de la même date que les présentes. J’ai instruit les trois requêtes au cours d’une même audience.

[65]  Le montant des dépens que Richards demande est raisonnable vu la complexité des trois requêtes, mais il n’est pas justifié d’ordonner que les dépens soient payés sans délai.

[66]  Les dépens d’un montant global de 6 000 $, taxes et débours inclus, seront octroyés à Richards à l’égard de (A) la présente requête; (B) sa requête interjetant appel de l’ordonnance sur la confidentialité (que j’ai accueillie); (C) la requête incidente de Distrimedic interjetant appel de l’ordonnance sur la confidentialité (que j’ai rejetée).


ORDONNANCE dans le dossier DOSSIER T‑1606‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel par Distrimedic Inc., la défenderesse, est rejeté.

  2. Des dépens d’un montant global de 6 000 $, taxes et débours inclus, seront octroyés à Richards Packaging Inc., la demanderesse, à l’égard (A) de la présente requête; (B) de la requête de la demanderesse interjetant appel d’une ordonnance distincte de la protonotaire Alexandra Steele concernant la confidentialité également datée du 10 février 2020 (l’ordonnance sur la confidentialité); (C) la requête incidente de la défenderesse interjetant appel de l’ordonnance sur la confidentialité. Les requêtes décrites aux alinéas (B) et (C) du présent paragraphe ont été tranchées par une ordonnance de la juge Walker de la même date que les présentes.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1606‑18

 

INTITULÉ :

RICHARDS PACKAGING INC. c DISTRIMEDIC INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL, Québec, ET Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juillet 2020

 

ordONNANCe ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

François Guay

Guillaume Lavoie Ste‑Marie

Marie‑Christine Bernier

 

pour la demanderesse

 

Brian Daley

Bianca Pietracupa

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Montréal, Québec

 

POUR la demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Avocats

Montréal, Québec

 

POUR la défenderesse

 

 

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