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Date : 20201117


Dossier : T-1244-19

Référence : 2020 CF 1061

Montréal (Québec), le 17 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

LUCIEN RÉMILLARD

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

  I.  Aperçu

[1]  La présente requête soulève la question de savoir si les renseignements fiscaux des contribuables, certes traités comme étant confidentiels lorsqu’ils sont entre les mains du défendeur, le ministre du Revenu national [Ministre], conservent ce même caractère une fois transmis au greffe de la Cour fédérale [Greffe] conformément à l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [RCF]. Si tel n’est pas le cas, le demandeur, M. Lucien Rémillard, soutient que cet article est inopérant ou qu’il devrait recevoir une interprétation atténuée, car il donnerait lieu à une saisie abusive au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) [Charte].

II.  Les faits

[2]  M. Rémillard est un homme d’affaires retraité qui soutient s’être établi à la Barbade et être ainsi devenu un non-résident aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR], à partir du 15 novembre 2013.

[3]  Depuis 2015, le Ministre vérifie le statut de résidence de M. Rémillard, sans en être arrivé à une conclusion à ce jour. Au cours de cette vérification, l’Agence du revenu du Canada [ARC] a fait des demandes d’assistance administrative auprès de différents pays, demandes contestées par M. Rémillard le 31 juillet 2019 par voie de demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler lesdites demandes d’assistance administrative.

[4]  Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, M. Rémillard a eu recours à la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF afin que lui soit divulguée une copie certifiée de divers documents le concernant obtenus ou crées par l’ARC en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la LIR. Je tiens à préciser que M. Rémillard ne demandait pas ainsi la divulgation de tous les documents du dossier de l’ARC, mais seulement les documents et informations qui étaient énumérés dans sa demande de transmission en vertu de l’article 317 des RCF [les Renseignements].

[5]  Suite à la signification de la demande de transmission en vertu de l’article 317 des RCF de la part des avocats de M. Rémillard, l’ARC a transmis au Greffe en deux volets, soit les 30 août 2019 et 4 octobre 2019, conformément à l’article 318 des RCF, une copie certifiée des Renseignements qui ont été traités par le Greffe comme documents publics et placés dans l’annexe du dossier de la Cour tel que prévu à l’alinéa 23(2)c) des RCF. Une copie certifiée des Renseignements a également été envoyée aux avocats de M. Rémillard.

[6]  Le 1er novembre 2019, M. Rémillard a fait signifier les affidavits [Affidavits] à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire au Ministre conformément à l’article 306 des RCF.

[7]  Les 14 et 15 janvier 2020, un journaliste du quotidien Le Journal de Montréal a contacté M. Rémillard et un de ses fils afin de leur poser des questions sur la demande de contrôle judiciaire. C’est ainsi que M. Rémillard a été informé que le journaliste était en possession des Renseignements.

[8]  Dans la nuit du 15 au 16 janvier 2020, les avocats de M. Rémillard ont présenté une requête ex parte à notre Cour pour qu’elle émette en urgence une ordonnance provisoire de confidentialité et de non-publication, pour une période de dix jours. Une telle ordonnance provisoire visant à ce que les Renseignements soient traités comme confidentiels suivant l’article 151 des RCF et que leur contenu ne puisse faire l’objet d’une publication [Ordonnance provisoire] a été rendue par notre Cour aux premières heures du 16 janvier 2020.

[9]  Conformément à l’Ordonnance provisoire, le 16 janvier 2020, M. Rémillard a déposé la présente requête en confidentialité. L’Ordonnance provisoire a depuis été reconduite jusqu’à l’audition devant moi de cette requête en confidentialité, qui a eu lieu les 31 août, 1er et 4 septembre 2020.

[10]  Le 12 mars 2020, M. Rémillard a procédé à la signification de l’avis de question constitutionnelle au Procureur général du Canada et à ceux des provinces. L’avis de question constitutionnelle a été déposé le 18 mars 2020.

[11]  Le 21 août 2020, le Ministre a reproduit les Affidavits, de même que certains éléments matériels à leur soutien, dans son dossier du défendeur déposé en vertu de l’article 310 des RCF en prévision de l’audience sur la présente requête en confidentialité.

[12]  Le 24 août 2020, j’ai étendu l’Ordonnance provisoire aux Affidavits et ai ordonné que le Volume I du dossier du défendeur déposé au Greffe le 21 août 2020, en format papier et électronique, soit par conséquent retiré du dossier public de la Cour et conservé sous scellé par le Greffe.

[13]  Le 4 septembre 2020, avant la conclusion de l’audience sur la présente requête en confidentialité, j’ai ordonné que l’Ordonnance provisoire soit reconduite afin que les Renseignements ainsi que les Affidavits reproduits au Volume I du dossier du défendeur déposé au Greffe le 21 août 2020, en format papier et électronique, demeurent confidentiels jusqu’au jugement devant être rendu sur la présente requête en confidentialité.

III.  Questions en litige

[14]  Les questions en litiges sont les suivantes :

  1. Les Renseignements qui ont été transmis au Greffe conformément à l’article 318 des RCF deviennent-ils des documents publics en raison de leur transmission au Greffe?

  2. Le cas échéant, la transmission au Greffe prévue par l’article 318 des RCF contrevient-elle de manière injustifiée à l’article 8 de la Charte?

  3. Dans la mesure où l’article 318 des RCF est constitutionnellement opérant, les Renseignements doivent-ils faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité et de non-publication en vertu de l’article 151 des RCF?

  IV.  Discussion

A.  Les Renseignements qui ont été transmis au Greffe conformément à l’article 318 des RCF deviennent-ils des documents publics en raison de leur transmission au Greffe?

[15]  D’une part, M. Rémillard soutient que la transmission des Renseignements suivant la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF ne rend pas ceux-ci publics et soutient qu’il incombe au Ministre ou au Greffe de prendre des mesures pour préserver la confidentialité des documents transmis en vertu de l’article 318 des RCF jusqu’à ce que les documents soient déposés à la Cour par l’une des parties, notamment, par le dépôt des dossiers des parties suivant les articles 309 et 310 des RCF.

[16]  De plus, selon M. Rémillard, ces Renseignements seraient confidentiels pour les raisons suivantes :

  • a) La procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, serait un mode de communication préalable de la preuve. Ainsi, tous les documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF seraient visés par la règle implicite de confidentialité, même en l’absence d’une règle explicite dans les RCF. Le principe de la publicité des débats n’entrerait donc en jeux qu’à partir du moment où ces documents sont introduits en preuve;

  • b) Les Renseignements seraient des renseignements fiscaux dont la confidentialité serait intrinsèquement protégée par la LIR; et

  • c) La divulgation publique des documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF sur réception rendrait l’article 151 des RCF superflu dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire.

[17]  Je discuterai les trois motifs de confidentialité séparément. Toutefois, au préalable, j’exposerai une remarque préliminaire.

[18]  M. Rémillard conteste la notion avancée par le Ministre selon laquelle la transmission du dossier d’un décideur administratif au Greffe constitue un objectif « urgent et réel » au cœur du pouvoir constitutionnel de contrôle qu’exerce la Cour et permet d’éviter de mettre ce décideur administratif à l’abri de tout contrôle de leurs décisions, tel que discuté par M. le juge Stratas dans l’arrêt Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199 [Slansky]. Il avance plusieurs arguments pour soutenir que l’article 318 des RCF constitue simplement une règle de procédure de nature administrative et non pas une règle visant à faciliter l’exercice du pouvoir de contrôle des décisions administratives par la Cour. Je dois dire d’emblée qu’un n’empêche pas l’autre. Une règle de procédure administrative peut viser à faciliter l’exercice du pouvoir de contrôle des décisions administratives par la Cour.

[19]  M. Rémillard soulève que si la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF était si importante pour l’exercice du pouvoir de contrôle par la Cour :

  1. Cette procédure ne serait pas facultative ou, en d’autres mots, elle ne dépendrait pas de la volonté des parties de demander une copie du dossier du tribunal administratif;

  2. Le Ministre ne devrait pas pouvoir s’opposer à la transmission des documents comme le lui permet le paragraphe 318(2) des RCF;

  3. Les règles 317 et 318 RCF auraient prévu le « dépôt » et non pas la « transmission » des documents; et

  4. Cette procédure aurait un équivalent dans le Code de procédure civile du Québec, LRQ, c C-25 [Code de procédure civile], lequel prévoit plutôt la nécessité d’une ordonnance du tribunal pour transmettre les documents au greffe, sans que cette exigence entrave pour autant l’exercice du pouvoir de contrôle judiciaire des tribunaux québécois.

[20]  Je ne peux retenir ces arguments pour les raisons suivantes:

  1. La nature facultative de la procédure n’affecte en rien son utilité. En effet, il est possible que les parties ne ressentent pas le besoin de recourir à cette procédure dans des cas où, par exemple, elles ont déjà tous les éléments de preuve en leur possession ou parce que les questions soumises à la Cour sont de nature purement juridique. Toutefois, il est évident que dans la majorité des cas, les parties et la Cour ont besoin de cette procédure, comme c’est le cas en l’espèce, par exemple, ce qui témoigne nécessairement de l’utilité de la procédure.

  2. Le deuxième argument de M. Rémillard est fondé sur la prémisse que c’est le décideur administratif qui contrôle le contenu du dossier certifié devant la Cour de révision. Ceci est inexact. Il est important que la Cour de révision soit en possession du dossier du décideur administratif, mais il n’en résulte pas que les règles normales de preuve, y compris les règles d’exclusion de preuve, soient écartées. Comme l’a observé le juge Stratas dans l’arrêt Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CAF 103 au paragraphe 12 [Lukács] :

Au moment de statuer sur la validité d'une opposition, la Cour doit décider du contenu du dossier de preuve dans l'instance — la demande de contrôle judiciaire — dont elle est saisie. La Cour doit, comme dans toute autre procédure, décider de l'admissibilité de la preuve qui lui est présentée. En tant que maître de sa propre procédure, la Cour est tenue de suivre ses propres normes et de ne pas s'en remettre à l'avis du décideur administratif: voir l'arrêt Slansky, précité, au paragraphe 274 (une bonne partie de l'analyse qui suit est basée sur cet arrêt).


 

Il ne faut pas prendre en considération l’article 318 des RCF isolément. M. le juge Stratas a poursuivi ainsi au paragraphe 15:

Compte tenu de ces articles des Règles et de cette compétence, lorsqu'elle doit décider d'une opposition aux termes de l'article 318, la Cour n'est pas limitée à la simple confirmation ou au simple rejet de l'opposition du décideur administratif concernant la transmission des documents. La Cour peut trouver une solution qui atteint et concilie, dans la mesure du possible, les trois objectifs suivants : (1) un examen valable des décisions administratives conformément à l'article 3 des Règles et à l'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi qu'aux principes énoncés aux paragraphes 6 et 7 qui précèdent; (2) l'équité procédurale; (3) la protection de tout intérêt légitime à l'égard de la confidentialité tout en garantissant la plus grande publicité possible conformément aux principes de la Cour suprême énoncés dans l'arrêt Sierra Club du Canada, précité.

Il est donc évident que l’opposition à la transmission prévue à l’article 318(2) des RCF n’est qu’une codification des principes relatifs à l’opposition d’admissibilité en preuve d’un document. Il serait illogique que l’office fédéral ne puisse s’opposer à la transmission d’un document qui ne serait de toute façon pas admissible en preuve. Cette codification ne rend pas pour autant la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF moins pertinente.

  1. Bien que je discute plus en détail de cette question plus loin, il me semble que la raison pour laquelle le dossier certifié du tribunal est «transmis » et non «déposé » est de permettre aux parties de déposer ensuite, dans le cadre de leurs dossiers respectifs conformément aux articles 309 et 310 des RCF, seulement les documents « qui doivent être utilisés par [les parties] à l’audience ». Bien que la transmission en vertu de l’article 318 des RCF ne permette pas en soi que les documents fassent immédiatement partie du dossier de preuve, cela ne signifie pas que ces documents dès réception par le Greffe, ne font pas partie du dossier de la Cour. Ces deux types de dossiers sont assujettis aux mêmes règles quant à l’accessibilité au public, soit les articles 23 et 26 des RCF.

  2. L’article 530 du Code de procédure civile dispose :

530. La demande de pourvoi en contrôle judiciaire est présentée à la Cour supérieure à la date indiquée dans l’avis de présentation qui y est joint, laquelle ne peut être fixée à moins de 15 jours de la signification de la demande. Elle est instruite par priorité.

La demande n’opère pas sursis des procédures pendantes devant une autre juridiction ou l’exécution d’un jugement rendu ou d’une décision prise par une personne ou un organisme assujetti à ce contrôle à moins que le tribunal n’en décide autrement. S’il y a lieu, le tribunal ordonne que les pièces du dossier qu’il détermine soient transmises sans délai au greffier.

Le jugement qui fait droit à la demande est signifié aux parties s’il ordonne d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte.

[Je souligne.]

Donc, au Québec, les pièces ne sont pas automatiquement transmises au greffe de la cour, mais peuvent l’être, sur demande. Il me semble que la différence entre les articles 317 et 318 des RCF et l’article 530 du Code de procédure civile est simplement de nature procédurale. Le résultat, en fin de compte, est le même : il y a « transmission » des documents qui sont en possession du décideur administratif au greffe de la cour. Cet argument, en soulevant le fait que cette procédure existe dans d’autres juridictions, semble plutôt supporter mon point de vue voulant que cette procédure ne soit pas inutile.

[21]  Même si j’accepte la thèse de M. Rémillard portant que la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF constitue simplement un mécanisme administratif permettant à une partie de compléter son dossier et que l’authenticité de la preuve déposée devant la Cour pourrait être assurée par la procédure contradictoire, comme c’est le cas dans un litige civil, par exemple, la procédure demeure un filet de sécurité permettant aux parties, ainsi qu’à la Cour, de vérifier l'intégrité du dossier de preuve.

[22]  Bien que la transmission du dossier certifié au Greffe ne soit pas un « moyen de soumettre le dossier de preuve à la cour » – ce qui se fait par le dépôt des dossiers des parties conformément aux règles 309 et 310 des RCF – il s’agit d’un mécanisme par lequel les parties peuvent obtenir le dossier dont s’est servi le décideur administratif pour rendre sa décision. Cette procédure permet ainsi de « faire en sorte que la cour de révision [qui est appelée à statuer sur le caractère raisonnable] examine la preuve présentée au tribunal en question » (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 au para 13 [Canadian Copyright]; Hartwig c Saskatchewan (Commission of Inquiry), 2007 SKCA 74, 284 DLR (4th) 268 au para 24 [Hartwig]).

[23]  À cet égard, la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF assure l’intégrité du dossier en cas de doute, et je suis d’avis qu’elle répond à un objectif « urgent et réel » et est un élément essentiel du processus d’administration de la preuve dans le cadre de la procédure engagée devant la Cour.

[24]  Pour finir sur ce point, je dois soulever qu’il ne m’appartient pas de réformer les RCF en fonction de l’utilité de la transmission du dossier certifié au greffe et de l’accès public à ce dossier. Si, vraiment, ces dispositions sont désuètes, ce sera au comité de réforme des Règles de la Cour fédérale—pas à moi—de les rendre au goût du jour. Autrement dit, même si ces dispositions étaient inutiles (et nous venons de voir que ce n’est pas le cas), reste que ces dispositions existent et ont force de loi, et ce, jusqu’à preuve du contraire.

Les documents soumis en vertu de l’article 318 des RCF sont visés par le principe de publicité des débats

[25]  La prémisse de départ de M. Rémillard est que les documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF ne sont pas soumis au principe de publicité des débats et ne font pas partie du dossier de la Cour qui est accessible au public. Je rejette cette thèse.

[26]  Le principe de publicité des débats judiciaires « relève incontestablement des valeurs fondamentales du droit procédural canadien » (Lac d’Amiante du Québec Ltée c 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51 au para 62 [Lac d’Amiante]; voir aussi AG (Nova Scotia) c MacIntyre, 1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 RCS 175 [MacIntyre]; Edmonton Journal c Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20 (CSC), [1989] 2 RCS 1326 [Edmonton Journal]).

[27]  Le caractère public de la justice constitue l’une des assises fondamentales du système judiciaire canadien et la publicité des débats judiciaires constitue le corollaire de la liberté d’expression. Dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522 [Sierra Club], la Cour suprême du Canada a observé au paragraphe 36 :

Le lien entre la publicité des procédures judiciaires et la liberté d’expression est solidement établi dans Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 RCS 480. Le juge La Forest l’exprime en ces termes au par. 23 :

Le principe de la publicité des débats en justice est inextricablement lié aux droits garantis à l’al. 2b). Grâce à ce principe, le public a accès à l’information concernant les tribunaux, ce qui lui permet ensuite de discuter des pratiques des tribunaux et des procédures qui s’y déroulent, et d’émettre des opinions et des critiques à cet égard. La liberté d’exprimer des idées et des opinions sur le fonctionnement des tribunaux relève clairement de la liberté garantie à l’al. 2b), mais en relève également le droit du public d’obtenir au préalable de l’information sur les tribunaux.

L’ordonnance sollicitée aurait pour effet de limiter l’accès du public aux documents confidentiels et leur examen public; cela porterait clairement atteinte à la garantie de la liberté d’expression du public.

[28]  Plus précisément, les documents envoyés à la Cour sont conservés dans le dossier de la Cour ainsi que son annexe. Les articles 23 et 26 des RCF disposent :

Dossier de la Cour

 

Court file

23(1) Pour chaque instance devant la Cour, l’administrateur tient un dossier dans lequel sont classés, selon la date et l’heure du dépôt qu’ils portent, les documents suivants :

 

23(1) For each proceeding of the Court, the Administrator shall keep a file that is composed of the following documents, each marked with its date and time of filing, and that is organized by order of filing:

 

a) tous les documents déposés en application des présentes règles, d’une ordonnance de la Cour ou d’une loi fédérale, à l’exception des affidavits et autres documents et éléments matériels déposés à l’appui d’une requête ou à titre d’éléments de preuve à l’instruction;

 

(a) every document filed under these Rules, an order of the Court or an Act of Parliament, other than affidavits or other material filed in support of a motion or as evidence at trial;

b) toute la correspondance échangée entre une partie et le greffe;

 

(b) all correspondence between a party and the Registry;

c) toutes les ordonnances;

 

(c) all orders;

 

d) des copies de tous les brefs délivrés dans le cadre de l’instance;

 

(d) copies of all writs issued in the proceeding; and

e) tout autre document relatif à l’instance que la Cour ordonne de conserver.

 

(e) such other documents relating to the proceeding as the Court may direct.

 

Annexe

 

Annexes

(2) L’administrateur tient une annexe à chaque dossier de la Cour dans laquelle sont versés les éléments suivants :

 

(2) The Administrator shall keep an annex to each Court file that is comprised of

a) tous les affidavits;

 

(a) all affidavits;

b) toutes les pièces;

 

(b) all exhibits; and

c) tous les autres documents et éléments matériels en la possession de la Cour ou du greffe dont les présentes règles n’exigent pas la conservation au dossier de la Cour.

 

(c) all other documents and material in the possession of the Court or the Registry that are not required by these Rules to be kept in the Court file.

[…]

 

[…]

Examen de dossiers

 

Inspection of files

26(1) Lorsque les installations de la Cour le permettent, toute personne peut, sous surveillance et d’une manière qui ne nuit pas aux travaux de la Cour, examiner les dossiers de la Cour et leurs annexes qui sont disponibles au public.

 

26(1) If the necessary facilities are available, a person may, with supervision and without interfering with the business of the Court, inspect a Court file or annex that is available to the public.

Retrait ou suppression de documents

 

Removal or deletion of documents

(2) Rien ne peut être retiré ou supprimé d’un dossier de la Cour ou de ses annexes sauf :

 

(2) Nothing shall be removed or deleted from a Court file or annex except

a) sur ordonnance de la Cour;

 

(a) under an order of the Court;

b) par un fonctionnaire du greffe dans l’exercice de ses fonctions;

 

(b) by an officer of the Registry acting in the course of his or her duties; or

c) en conformité avec la règle 26.1.

 

(c) in accordance with rule 26.1.

[…]

 

[…]

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[29]  Les documents déposés en application des règles ainsi que les autres documents visés par l’article 23 des RCF sont conservés dans le dossier de la Cour. Tous les autres documents et éléments matériels en la possession du Greffe dont les règles n’exigent pas la conservation au dossier de la Cour, qui comprend, tel que l’a concédé M. Rémillard, les documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF, sont conservés dans l’annexe du dossier de la Cour.

[30]  M. Rémillard tente d’opérer une distinction entre le dossier de la Cour et son annexe, soutenant que seul ce qui se trouve dans le dossier de la Cour est soumis au principe de publicité des débats. Je rejette cette thèse. L’article 26 des RCF est clair. Le principe de la publicité des débats permet à toute personne de consulter un dossier de la Cour et toute annexe « qui sont disponibles au public » (article 26 des RCF; Harkat (Re), 2009 CF 167 au para 11 [Harkat]).

[31]  Bien que la règle générale porte que les documents figurant dans un dossier de la Cour ou dans son annexe soient publics, tous les documents versés au dossier de la Cour ou à l’annexe ne sont pas nécessairement « disponibles au public ». Les documents ou éléments matériels qui sont considérés comme confidentiels en vertu d’une règle de droit ou qui font l’objet d’une ordonnance de confidentialité de la Cour continuent d’être traités de manière confidentielle et sont désigné comme tels au moment d’être déposés auprès de la Cour, en identifiant, le cas échéant, la règle de droit ou l’ordonnance de la Cour pertinente (paragraphe 152(1) des RCF). Autrement, les RCF ne prévoient pas de mécanisme de reconnaissance de confidentialité des documents « en possession du greffe ».

[32]  En ce qui concerne plus particulièrement les renseignements de nature privée, il importe de préciser que même si des informations relèvent de la vie privée, la partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée (Frenette c Métropolitaine (La), Cie d’assurance-vie, [1992] 1 RCS 647 [Frenette]; Lac d’Amiante au para 42). Ceci est vrai même en ce qui concerne les renseignements fiscaux lorsqu’est introduite une procédure judiciaire. Même si les contribuables ont une attente raisonnable de respect en matière de vie privée dès lors que ces informations sont communiquées au Ministre suite à une demande de renseignement aux termes de la LIR, lorsqu’elles sont transmises à la Cour « par effet de la loi [elles deviennent] accessible au grand public » (Gernhart c Canada, [2000] 2 CF 292 aux paras 2 et 33 (CAF) [Gernhart]).

[33]  Cela signifie qu’à l’exception d’une règle de droit, d’un mécanisme prévu par les RCF, ou, j’ajouterais, des motifs de politique judiciaire (comme dans Lac d’Amiante), les documents soumis au Greffe et conservés dans le dossier de la Cour ou dans une de ses annexes sont assujettis au principe de publicité des débats et sont accessibles au public.

[34]  M. Rémillard soutient que ce qui est transmis en vertu de l’article 318 des RCF n’a pas vocation à devenir public, qu’il s’agisse ou non d’informations privées. Il appartient alors à la partie concernée de présenter en preuve, et donc de rendre public, les documents qu’elle souhaite soumettre à la Cour. Il soutient que les documents échangés, tant qu’ils ne sont pas mis en preuve, ne sont pas soumis au principe de publicité des débats.

[35]  M. Rémillard fait remarquer qu’en vertu de l’article 318 des RCF, le tribunal doit « transmettre » plutôt que « déposer » les documents auprès du Greffe, et par conséquent, « les documents ne font pas partie du dossier de la preuve » (Canadian Copyright au para 18; Canada (Procureur général) c Lacey, 2008 CAF 2420 [Lacey]).

[36]  Il est clair que l’article 318 des RCF vise la « transmission » des documents au Greffe et non leur « dépôt ». En se fondant sur la jurisprudence Lacey, le juge Stratas a observé dans l’arrêt Canadian Copyright que cela signifie que « [l]es documents ne sont pas présentés officiellement devant la cour de révision comme faisant partie du dossier de la preuve » (Canadian Copyright au para 18).

[37]  Mais il ne s’ensuit pas que ces documents ne sont pas entrés dans le domaine public et ne font pas partie du dossier de la Cour. Dans l’arrêt Kirikos c Fowlie, 2016 CAF 80 [Kirikos], la Cour d’appel fédérale observe au paragraphe 19 :

Qu’entend-on par « principe de la publicité des débats judiciaires »? En un mot, cela signifie qu’au Canada, sauf indication contraire, toutes les procédures judiciaires, y compris les documents faisant partie des dossiers d’un tribunal, restent accessibles au public.

[Je souligne.]

[38]  Ce n’est pas parce que les documents ne font pas partie du dossier de la preuve qu’ils ne font pas partie du dossier de la Cour et, je le rappelle, ce sont les documents qui se trouvent dans le dossier de la Cour qui sont soumis au principe de publicité des débats.

[39]  De plus, comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gernhart au paragraphe 33 à propos d’une disposition antérieure de la LIR comparable au paragraphe 241(3) de la LIR qui prévoyait la « transmission » du dossier d’un contribuable à la Cour canadienne de l’impôt en cas de contestation d’une décision du Ministre :

Le paragraphe 176(1) de la Loi est la disposition clé qui permet à quiconque d'obtenir des copies de la déclaration de revenus d'un contribuable. Tous les documents que le ministre transmet à la Cour de l'impôt pourront éventuellement être scrutés par le grand public, qu'ils aient été ou non présentés en preuve par l'une des parties à l'action.

[Je souligne.]

[40]  Il faut aussi garder à l’esprit que l’arrêt Lacey a été rendu avant la modification des articles 309 et 310 des RCF, qui a résulté en l’adoption des alinéas 309(2)e.1) et 310(2)c.1) des RCF. Avant ces modifications, les dossiers certifiés du tribunal ne pouvaient être inclus dans les dossiers des parties que s’ils étaient introduits par voie d’affidavit, déposés et signifiés conformément aux articles 306 et 307 des RCF, et que « l’un des affidavits […] précise les pièces documentaires, qui comprennent tous les documents du dossier du tribunal ou certains de ceux‑ci » (Canada (Procureur général) c Canadian North Inc, 2007 CAF 42 aux para 3 et 5).

[41]  Or, depuis l’adoption des alinéas 309(2)e.1) et 310(2)c.1) des RCF, aucun affidavit n’est nécessaire. Les documents contenus dans le dossier certifié n’ont plus besoin d’être produits en preuve pour figurer dans le dossier d’une partie; ils « peuvent être simplement versés dans le dossier du demandeur ou de l'intimé [...] [l]orsque cela est fait, les documents se trouvent alors dans le dossier de preuve dont est saisie la cour de révision et ils peuvent être utilisés par les parties et par la cour » (Canadian Copyright au para 17).

[42]  M. Rémillard cite l’arrêt Terminaux Portuaires du Québec Inc. c Canada (Conseil canadien des relations du travail) (CAF), [1993] ACF no 421, 164 NR 60 [Terminaux Portuaires du Québec] pour la proposition selon laquelle les documents acheminés au Greffe en vertu de l’ancien article 1613 des RCF, le prédécesseur de l’article 318 des RCF, ne faisaient pas automatiquement partie du dossier de la Cour. Toutefois, à la lecture du paragraphe 11 de cette décision, il est clair que lorsque le juge Décary se référait au « dossier de la Cour », il le faisait au sens du dossier de preuve, c’est-à-dire les dossiers des parties qui sont déposés en vertu de textes qui figurent aujourd’hui aux articles 309 et 310 des RCF. Il ne se référait pas au dossier de la Cour tel qu’il est prévu par les articles 23 et 26 des RCF. En tout état de cause, les documents pertinents dans l’affaire Terminaux Portuaires du Québec avaient été créés postérieurement à la reddition de la décision administrative en cause.

[43]  De plus, comme en ce qui concerne l’arrêt Lacey, l’arrêt Terminaux Portuaires du Québec a été rendu avant l’adoption des alinéas 309(2)e.1) et 310(2)c.1) des RCF.

[44]  Selon M. Rémillard, la thèse voulant que le dossier certifié devienne public dès son ajout au dossier de la Cour serait absurde pour trois raisons :

  1. Des documents qui ne sont pas devant le juge comme preuve pourraient toutefois être consultés par le public.

Je ne vois pas de problème ici. Même si la Cour doit se baser seulement sur la preuve qui est devant elle pour rendre sa décision (Gernhart au para 48; Terminaux Portuaires du Québec, para 11), le dossier de la Cour est aussi, bien que d’une autre façon, devant la Cour. En effet, celle-ci peut très bien consulter le dossier de la Cour pour d’autres raisons que pour fonder sa décision. C’est d’ailleurs une des raisons qui justifie que le principe de la publicité des débats judiciaires s’étende à tout ce qui se trouve dans le dossier de la Cour, à l’exception, bien entendu, des éléments confidentiels contenus dans ce dossier.

  1. Dans les cas où deux demandeurs introduiraient des demandes de contrôle identiques fondées sur des moyens similaires à l’encontre de décisions rendues par le même décideur administratif, et si l’un des demandeurs a déjà son dossier complet en main, mais l’autre non, celui qui devrait faire une demande en vertu de l’article 317 des RCF pour obtenir son dossier serait placé dans une position injuste par rapport au demandeur qui aurait déjà son dossier complet en ce sens qu’il serait soumis à l’obligation de rendre son dossier complet public.

Pour ma part, je ne vois aucune injustice dans un tel cas qui, dois-je le souligner, me semble très hypothétique.

  1. Deux personnes visées par la même décision du même décideur administratif pourraient introduire des demandes de contrôle fondées sur des moyens différents, où une personne pourrait être obligée de recourir à la conversion de sa demande en une action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales [Loi],tandis que l’autre peut ne pas voir la nécessité de le faire et présenter simplement une demande en vertu de l’article 317 des RCF.

Pour ma part, encore une fois, je ne vois pas de problème dans ce cas hypothétique. Les parties peuvent choisir le recours qui leur convienne, et ce, à la lumière des questions qu’elles soulèvent dans leur demande. Il n’en découle nulle injustice ou absurdité.

[45]  En fin de compte et comme je l’ai déjà signalé, sous réserve d’une règle de droit spécifique, d’un mécanisme prévu par les RCF ou de motifs de politique judiciaire, les documents soumis au Greffe suivant la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF et conservés dans le dossier de la Cour sont assujettis au principe de publicité des débats et sont accessibles au public (Kirikos au para 19).

[46]  Il n’est pas controversé que nul mécanisme prévu par les RCF ne rend les Renseignements confidentiels. À l’exception de l’Ordonnance provisoire, aucune ordonnance préalable n’a été rendue en l’espèce concernant la confidentialité des Renseignements en vertu de l’article 151 des RCF.

[47]  J’arrive maintenant aux trois raisons soulevées par M. Rémillard qui justifieraient que les Renseignements soient confidentiels bien que les RCF elles-mêmes les rendent publics.

a)  L’engagement implicite de confidentialité

[48]  Le principe d’engagement implicite de confidentialité est une notion jurisprudentielle qui découle de motifs de politique judiciaire (Juman c Doucette, 2008 CSC au para 23 [Juman]; Lac d’Amiante au para 73).

[49]  M. Rémillard soutient que les Renseignements et, au fond, tous les documents transmis au Greffe par un office fédéral en vertu de l’article 318 des RCF font l’objet d’un engagement implicite de confidentialité, notion consacrée par les arrêts Juman et Lac d'Amiante.

[50]  À l’appui de cet argument, M. Rémillard souligne que la procédure de contrôle judiciaire est de nature sommaire et qu’elle ne permet pas la tenue d’interrogatoires au préalable contrairement à l’action. Il soutient que la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF pallie à l’absence d’un tel examen de nature exploratoire en consacrant le droit du justiciable qui a recours au contrôle judiciaire d’obtenir la communication préalable de certains documents.

[51]  D’après M. Rémillard, étendre la règle de la confidentialité implicite aux documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF ne constituerait pas une atteinte au principe de publicité des débats, étant donné que les documents (ou au moins une partie d’entre eux) deviendraient publics de toute façon dès leur dépôt en preuve, c’est-à-dire une fois qu’ils seraient inclus dans le dossier d’une partie en vertu des articles 309 et 310 des RCF et que la Cour n’est supposé prendre en compte que les dossiers de preuve pour rendre sa décision.

[52]  Quant à lui, le Ministre soutient que, aux termes des RCF, les dossiers certifiés sont publics et qu’ils font, à ce titre, partie des débats judiciaires, que la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF ne prévoit pas un processus d’enquête préalable et que la confidentialité est normalement voulue par la partie contrainte de transmettre des documents.

[53]  Je ne peux retenir les arguments avancés par M. Rémillard.

[54]  Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’engagement implicite de confidentialité est une règle qui vise à empêcher l’utilisation des informations recueillies au cours de la procédure d’enquête préalable pour d’autres fins que la préparation du procès, afin de limiter la renonciation à la vie privée chaque fois qu’une procédure judiciaire est engagée. Comme l’a observé la Cour suprême dans l’arrêt Lac d'Amiante au paragraphe 42 :

Même si des dossiers ou des informations sont confidentiels ou relèvent de la vie privée, la partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée […] L’enclenchement d’un mécanisme de vérification des allégations et des informations présentées unilatéralement par une partie résulte nécessairement de l’ouverture du débat judiciaire.  Cependant, la règle de confidentialité cherche à limiter l’atteinte à la vie privée à l’étape de l’examen préalable en la restreignant à la mesure nécessaire pour la conduite du débat.  Elle reconnaît que l’information, lorsqu’elle est pertinente ou qu’elle n’est pas protégée par quelque autre privilège de confidentialité, doit être communiquée à la partie adverse. Elle interdit cependant à celle-ci d’en faire usage pour d’autres fins que la préparation du procès et la défense de ses intérêts dans le cadre de celui-ci, ou de la divulguer à des tiers, sans autorisation particulière du tribunal.

[55]  Je retiens des arguments de M. Rémillard que certaines ressemblances peuvent être tirées entre la procédure prévue par les articles 317 et 318 RCF et les interrogatoires au préalable. Notamment, ces deux procédures visent la communication préalable de documents. En effet, « l’engagement implicite repose sur l’obligation légale de participer pleinement à l’interrogatoire préalable et à la communication préalable de documents » (Juman au para 20). Aussi, la transmission de documents aux termes de l’article 318 des RCF peut être considérée comme un mode de communication de la preuve (Access Information Agency Inc. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 224 [Access Information] au para 21); Athletes 4 Athletes Foundation c Canada (Revenu national), 2020 CAF 41 au para 17).

[56]  Toutefois, il ne s’ensuit pas que toute la logique et le fondement du principe de l’engagement implicite de confidentialité dans le cadre d’un interrogatoire au préalable consacrés par les arrêts Lac d’Amiante et Juman valent en matière de transmission de documents en vertu de l’article 318 des RCF. Dit de manière succincte, je ne peux retenir la thèse selon laquelle l’article 318 des RCF est à la procédure de contrôle judiciaire ce que l’interrogatoire préalable est à l’action. Nous verrons maintenant les nombreuses divergences entre les deux procédures.

(i)  Le caractère exploratoire des interrogatoires préalable

[57]  La procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF ne comporte aucun processus d’enquête préalable équivalant à l’interrogatoire préalable, qui est de nature exploratoire. Un interrogatoire préalable est une procédure de vérification et d’examen des allégations et des informations présentées unilatéralement par une partie permettant une « liberté d’investigation », orientée vers une « exploration étendue et libérale pour permettre aux parties d’obtenir une vue aussi complète que possible du litige » en contrepartie de laquelle « est apparue en jurisprudence une obligation implicite de confidentialité, même dans les cas où la communication ne fait pas l’objet d’un privilège spécifique » (Lac d’Amiante aux paras 42 et 60). Il n’y a toutefois pas d’enquête de nature exploratoire dans le cadre du processus de divulgation relevant de l’article 317 des RCF. Par exemple, on ne saurait utilement invoquer ce texte afin d’obtenir des documents dont ne disposait pas le décideur administratif au moment de rendre sa décision (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 112).

[58]  Contrairement à l’interrogatoire au préalable, « [i]l n’est pas question, lorsqu’il s’agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite. » (Access Information, para 21)

[59]  De plus, pour que la partie menant l’interrogatoire préalable puisse véritablement « explorer », il faut nécessairement que l’autre partie collabore pleinement à l’enquête. Cette obligation de coopération est d’ailleurs un autre des fondements de l’engagement implicite de confidentialité que nous ne retrouvons pas dans la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF. L’office fédéral visé par ces articles n’a pas d’intérêt à camoufler de l’information, contrairement à une partie dans un litige civil, par exemple. Comme l’a observé la Cour suprême dans l’arrêt Juman au paragraphe 26 :

[26] Une deuxième raison justifie l’existence d’un engagement implicite.  La partie qui a une certaine assurance que les documents et les réponses qu’elle fournit ne seront pas utilisés à des fins connexes ou ultérieures à l’instance où ils sont exigés sera incitée à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes.  Cela est particulièrement intéressant à une époque où la production de documents est d’une envergure telle (« litige par avalanche ») qu’elle empêche, bien souvent, les particuliers ou les entreprises devant produire les documents de procéder à une présélection approfondie.

[60]  D’ailleurs, le Ministre a soulevé, avec raison, que c’est généralement la partie qui est contrainte de soumettre de l’information qui requiert la confidentialité de celle-ci dans le cadre des interrogatoires au préalable. La situation est grandement différente du cas en l’espèce où c’est plutôt la partie qui demande l’information (et qui demande même qu’elle soit transmise au Greffe) qui demande aussi la confidentialité.

[61]  Je ne dis pas qu’une partie peut seulement demander la confidentialité de renseignements lorsque c’est elle qui est contrainte de divulguer ces renseignements, car il est évident qu’elle pourra toujours demander cette confidentialité sous l’article 151 des RCF (Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 693 (CanLII) au para 13 [Bah]). Je dis simplement que la nécessité d’obtenir la collaboration de l’autre partie dans le cadre d’un interrogatoire au préalable est un autre motif de politique judiciaire justifiant l’engagement implicite de confidentialité dans le cadre des interrogatoires au préalable qui ne se transpose pas dans le cadre de la procédure prévue par les articles 317 et 318 RCF.

[62]  Ainsi, la nature exploratoire de l’interrogatoire préalable et l’objectif de promouvoir le libre et complet échange d’information ont rendu nécessaire le développement de l’engagement implicite de confidentialité.

[63]  La procédure prévue par des articles 317 et 318 des RCF n’est pas de nature exploratoire, mais plutôt de nature procédurale; il s’agit tout simplement de soumettre à la Cour de révision ainsi qu’à la partie qui demande les documents en fonction desquels le décideur administratif a rendu sa décision afin qu’elle soit en mesure d’examiner ce qu’il a fait.

[64]  Je ne retiens pas la prétention de M. Rémillard voulant que la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF soit de nature exploratoire simplement parce que M. Rémillard ne savait pas exactement quels renseignements étaient détenus par l’office fédéral dans son cas. Sa demande de renseignement était très précise et détaillée. Il devait au moins avoir une idée des renseignements qui seraient divulgués. À tout le moins, M. Rémillard aurait dû se douter que les renseignements divulgués seraient de nature fiscale et donc privée. En conséquence, certains mécanismes prévus par les RCF s’offraient à lui pour garantir la confidentialité des Renseignements. M. Rémillard n’était pas pris en otage par les RCF. Nous verrons ces mécanismes en temps opportun, mais je dois mentionner maintenant que le fait qu’il existe déjà des mécanismes dans les RCF qui permettent d’atteindre le même objectif que l’engagement implicite de confidentialité milite aussi en faveur de la non-importation de ce principe en l’espèce.

(ii)  Les interrogatoires préalables ont lieu à l’extérieur de la Cour

[65]  Contrairement à la transmission des documents prévue par l’article 318 des RCF, les interrogatoires préalables sont de nature privée, et n’ont pas lieu en audience publique. Les documents sont échangés et les témoignages sont généralement rendus hors du regard de la Cour, à moins que son intervention ne soit demandée par l’une des parties (Juman au para 21).

[66]  Jusque-là, les informations échangées, qu’elles soient documentaires ou verbales, demeurent strictement entre les parties. Les RCF prévoient des mécanismes semblables, soit que les affidavits de documents soient signifiés aux parties, et non pas déposés au tribunal (article 223 des RCF) et que les copies des documents qu’ils énumèrent soient simplement remises à l’autre partie (article 228 des RCF), par exemple.

[67]  Ces documents, ainsi que les notes sténographiques des interrogatoires préalables, le cas échéant, ne sont généralement pas versés au dossier de la Cour, sauf s’ils sont joints aux affidavits à l’appui d’une requête. Au procès, ces documents et les extraits des notes sténographiques peuvent être présentés en preuve (articles 226 et 288 des RCF).

[68]  En fait, la Cour suprême a conclu, dans l’arrêt Lac d’Amiante, que le principe d’engagement implicite de confidentialité n’est pas contraire au principe de publicité des débats puisque l’application de cette obligation de confidentialité se limite à une phase qui ne fait pas partie de « l’audience » au sens de l’ancien article 13 du Code de procédure civile. La Cour a observé qu’« à l’étape d’un interrogatoire préalable, la préoccupation de transparence du système n’entre pas en ligne de compte puisqu’il ne s’agit pas d’une audience des tribunaux. Dans ce cas, il est donc légitime de privilégier l’intérêt de protection de la vie privée à travers l’obligation de confidentialité des renseignements divulgués » (Lac d’Amiante au para 70).

[69]  Comme il est observé dans l’arrêt Juman au paragraphe 21 :

[…] l’interrogatoire préalable n’a pas lieu devant un juge. Le seul moment où le principe de la « publicité des débats en justice » entre en jeu est celui de l’instruction où les documents de la partie interrogée au préalable ou les réponses tirées des transcriptions de l’interrogatoire préalable sont introduits en preuve au procès.

[70]  La Cour suprême rappelle au paragraphe 72 de l’arrêt Lac d’Amiante :

Comme nous l’avons vu, l’interrogatoire préalable ne fait partie ni du dossier judiciaire ni d’un procès. Son contenu n’est donc pas accessible au public puisqu’il demeure en principe dans la sphère privée. À cette étape, aucun impératif de transparence du système judiciaire ne justifierait la sortie de cette information du domaine de la vie privée, pour la rendre accessible au public ou aux médias. De plus, on se rappellera qu’une fois le procès amorcé, et sauf les cas limités de huis clos ou d’ordonnance de non-publication, les médias jouissent d’un accès étendu aux dossiers des tribunaux, aux pièces et aux documents produits par les parties et aux audiences.  Cet accès leur est fermement garanti, pour sauvegarder le droit du public à l’information sur la justice civile ou criminelle et la liberté de la presse et d’expression.

[71]  En conséquence, je rejette la thèse de M. Rémillard portant que la transmission de documents en vertu de l’article 318 des RCF se fait également en dehors de la Cour. Comme nous l’avons vu, une fois en possession du Greffe, tous les documents placés dans les dossiers de la Cour et dans les annexes de ces derniers, sauf les exceptions décrites à l’article 152 des RCF, sont accessibles au public et à la Cour. Contrairement à la façon dont les renseignements obtenus lors d’un interrogatoire préalable sont traités avant d’être déposés comme preuves par une des parties au cours du procès, l’article 318 des RCF lui-même prévoit que les documents doivent être transmis au Greffe de sorte que la Cour examine la preuve présentée au tribunal en question (Canadian Copyright au para 13).

[72] D’autre part, avant d’être déposés à la Cour, les documents communiqués entre les parties au cours d’un interrogatoire préalable restent entre les mains des parties et ne sont pas « en possession de la Cour ou du greffe » (alinéa 23(2)c) des RCF).

(iii)  Dossier de preuve et dossier de la Cour

[73]  M. Rémillard soutient que l’arrêt Lac d’Amiante enseigne que les documents sont soumis au principe de publicité des débats que lorsqu'ils sont « déposés » en preuve devant la Cour. Il s’agit là d’une interprétation erronée de la jurisprudence Lac d’Amiante. En effet, M. Rémillard confond la notion d’éléments de preuve avec la notion d’accès public aux dossiers de la Cour.

[74]  Le contexte de l’arrêt Lac d’Amiante était un interrogatoire préalable, et la question était de savoir comment les informations échangées au cours d’un interrogatoire préalable devaient être traitées. Comme l’a déclaré le juge Lebel, l’information échangée « ne fait pas partie du dossier du tribunal et ne devient pas un élément du débat entre les parties tant que le procès n’est pas engagé et que la partie adverse ne l’a pas déposée en preuve » (Lac d’Amiante à la p 773).

[75]  Cependant, nous devons garder à l’esprit que dans le cadre de l’interrogatoire préalable, les règles de procédures des tribunaux prévoient généralement que la seule façon pour que les informations recueillies au cours de ce processus entrent dans le domaine public est par le truchement du dossier de preuve ou par voie d’affidavit. En d’autres termes, l’intégration des informations au dossier de la Cour a lieu simultanément avec leur intégration au dossier de la preuve.

[76]  Ceci n’est pas le cas de la transmission du dossier certifié du tribunal au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF. Tous les documents du dossier de la preuve font partie du dossier de la Cour, mais tout ce qui se trouve dans le dossier de la Cour ne fait pas partie du dossier de preuve. Encore une fois, sauf exception, c’est tout ce qui se trouve dans le dossier de la Cour et dans son annexe qui est soumis au principe de publicité des débats.

[77]  Dans ce contexte, il était logique que dans l’arrêt Lac d’Amiante la Cour Suprême ait évoqué la nécessité de déposer ces informations comme « preuves » avant qu’elles ne soient publiques, car auparavant, ces informations étaient conservées en dehors de la procédure judiciaire. Ce raisonnement ne s’applique pas aux documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF, car, une fois en possession du Greffe, ces documents entrent dans le domaine public et font partie du dossier de la Cour aux termes des articles 23 et 26 des RCF.

(iv)  L’échange libre et complet d’informations

[78]  Comme je l’ai déjà expliqué, le concept de protection de l’échange libre et complet d’informations ne joue pas dans le cadre de la transmission d’un dossier certifié du tribunal.

[79]  Le dossier certifié ne représente rien de moins que la preuve documentaire pertinente sur laquelle le décideur administratif s’est basé pour rendre sa décision. La procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF est simplement destinée à permettre au demandeur et donc à la Cour de comprendre les éléments sur lesquels le décideur s’est appuyé pour prendre sa décision. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire de protéger d’emblée les documents transmis en vertu de l’article 318 des RCF des regards indiscrets d’un tribunal ouvert, comme il est nécessaire de le faire pour les documents transmis dans le contexte des interrogatoires préalables.

(v)  La nature sommaire de la procédure de contrôle judiciaire

[80]  Je ne suis pas non plus convaincu que la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF doit pallier l’absence d’un processus exploratoire d’examen préalable dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire introduites devant notre Cour. Elles sont censées être de nature sommaire (article 18.4 de la Loi). En matière de contrôle judiciaire, sauf exception, les seuls éléments de preuve qui doivent être présentés à la Cour sont précisés par les articles 309 et 310 des RCF.

[81]  M. Rémillard m’invite à transposer dans la présente demande un principe qui joue normalement dans une action. Il importe de rappeler les observations du juge Phelan dans la décision Barreiro c Canada (Revenu national), 2008 CF 850 aux paragraphes 11 et 12 [Barreiro], dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire :

[11] Dans le cadre d’un litige normal concernant une action, les documents en question seraient produits lors de l’enquête préliminaire, mais ils feraient habituellement l’objet d’un engagement exprès (ou implicite) de confidentialité. Ainsi, dans le cadre d’une instance, de tels renseignements ne seraient rendus publics qu’à l’instruction.

[12] La Cour fédérale a changé la procédure relative au jugement déclaratoire (lequel constitue la réparation la plus souvent demandée) qui peut désormais être obtenu au moyen de la procédure de contrôle judiciaire, et non plus de l’action. Par conséquent, la preuve par affidavit (habituellement le type de preuve présentée lors de l’instruction d’une action) est accessible dès qu’elle est déposée au greffe. Jusqu’à un certain point, le changement de type de procédure a fait en sorte que les protections d’avant instruction relatives à la divulgation ont été perdues.

[Je souligne.]

[82]  M. Rémillard disposait de plusieurs possibilités. Par exemple, si une partie souhaite bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre en matière d’enquête et de garanties procédurales, elle peut toujours demander à la Cour d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, ainsi que le prévoit le paragraphe 18.4(2) de la Loi (Association des Crabiers Acadiens Inc. c Canada (Procureur général), 2009 CAF 357 au para 39 [Association des Crabiers Acadiens]). (Je discuterai plus loin la question du recours au paragraphe 18.4(2) de la Loi).

(vi)  Effet préjudiciable allégué

[83]  Je retiens la thèse avancée par M. Rémillard, concernant l’importance de la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF; le dossier certifié contenant les éléments de preuve présentés au tribunal en question et transmis au Greffe en vertu de cette procédure permet au justiciable de « se prévaloir efficacement de leur droit de contester des décisions administratives du point de vue du caractère raisonnable » (Hartwig au para 24; Lukács au para 6; Slansky au para 275). Sans ces informations, il ne peut pas exercer son droit à un contrôle judiciaire de façon efficace.

[84]  Toutefois, je rejette l’idée que la procédure prévue aux articles 317 et 318 des RCF a un effet préjudiciable injustifié sur le droit du justiciable de contester une décision de l’administration publique. Comme nous le verrons, les RCF offrent des options aux demandeurs souhaitant maintenir la confidentialité de leurs renseignements.

(vii)  Caractère supposément anachronique de la procédure

[85]  Enfin, M. Rémillard soutient correctement que, sur le plan des motifs de politique judiciaire, la transmission automatique et obligatoire à la Cour de l’ensemble du dossier du contribuable est archaïque, et comme l’a observé M. le juge Dubé en première instance dans Gernhart c Canada, 132 FTR 2, [1997] 2 CTC 23 au paragraphe 12 : « il n’est plus nécessaire, pour administrer la justice, que tout le dossier du contribuable devienne le dossier de la Cour ».

[86]  Cependant, en l’espèce, la transmission ne vise pas l’ensemble du dossier du contribuable et celle-ci n’est pas obligatoire ou automatique. En effet, l’article 317 des RCF ne permet la transmission de documents contenus dans le dossier certifié qu’à la demande d’une partie et limite la transmission de ces documents à ce qui est indiqué dans la demande de transmission et uniquement les « éléments matériels pertinents quant à la demande » (article 317 des RCF; voir aussi Société canadienne de perception de la copie privée c Cano Tech Inc., [2006] 3 RCF 581 (confirmé en appel 2007 CAF 14) [Cano Tech]).

[87]  Dans l’ensemble, je conclus que la transmission des documents pertinents du dossier certifié du tribunal au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF est soumise au principe de publicité des débats judiciaires. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’arrêt Kirikos au paragraphe 19, ce principe « signifie qu’au Canada, sauf indication contraire, toutes les procédures judiciaires, y compris les documents faisant partie des dossiers d’un tribunal, restent accessibles au public ».

[88]  En l’occurrence, il en va de même selon les RCF en ce qui a trait aux documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF, et il n’y a aucun motif de politique judiciaire militant en faveur de l’élargissement de l’application du principe d’engagement implicite de confidentialité à ces documents; cela serait injustifiable, car contraire au principe fondamental de publicité des débats judiciaires consacré par les arrêts MacIntyre et Edmonton Journal.

b)  L’effet de la LIR

[89]  M. Rémillard soutient que l’article 241 de la LIR est une règle de droit qui protège la confidentialité des renseignements fiscaux une fois transmis au Greffe. L’article 241 de la LIR se lit comme suit :

Communication de renseignements

 

Provision of information

241(1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

 

241(1) Except as authorized by this section, no official or other representative of a government entity shall

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

 

(a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

 

(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

 

(c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section.

Communication de renseignements dans le cadre d’une procédure judiciaire

 

Evidence relating to taxpayer information

(2) Malgré toute autre loi ou règle de droit, nul fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale ne peut être requis, dans le cadre d’une procédure judiciaire, de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, relativement à un renseignement confidentiel.

 

(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or other law, no official or other representative of a government entity shall be required, in connection with any legal proceedings, to give or produce evidence relating to any taxpayer information.

Communication de renseignements en cours de procédures

 

Communication where proceedings have been commenced

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent :

 

(3) Subsections 241(1) and 241(2) do not apply in respect of

a) ni aux poursuites criminelles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou sur acte d’accusation, engagées par le dépôt d’une dénonciation ou d’un acte d’accusation, en vertu d’une loi fédérale;

 

(a) criminal proceedings, either by indictment or on summary conviction, that have been commenced by the laying of an information or the preferring of an indictment, under an Act of Parliament; or

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l’imposition ou la perception d’un impôt, d’une taxe ou d’un droit.

 

(b) any legal proceedings relating to the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or any other Act of Parliament or law of a province that provides for the imposition or collection of a tax or duty.

[…]

[…]

 

Communication de renseignements

 

Information may be communicated

 

(3.4) Le ministre peut communiquer au public, ou autrement mettre à sa disposition, de la façon qu’il estime indiquée, les renseignements confidentiels suivants :

 

(3.4) The Minister may communicate or otherwise make available to the public, in any manner that the Minister considers appropriate, the following taxpayer information:

a) le nom de chacune des organisations pour lesquelles un particulier peut avoir droit à une déduction en vertu du paragraphe 118.02(2);

 

(a) the names of each organization with respect to which an individual can be entitled to a deduction under subsection 118.02(2); and

b) la date du début et, le cas échéant, de la fin de la période pendant laquelle l’alinéa a) s’applique relativement à une organisation.

 

(b) the start and, if applicable, end of the period in which paragraph (a) applies in respect of any particular organization.

Communication de renseignements

 

Information may be communicated

(3.5) Le ministre peut communiquer au public, ou autrement mettre à sa disposition, de la façon qu’il estime indiquée, le nom de toute personne ou société de personnes qui a fait une demande en application de l’article 125.7.

 

(3.5) The Minister may communicate or otherwise make available to the public, in any manner that the Minister considers appropriate, the name of any person or partnership that makes an application under section 125.7.

[…]

 

[…]

Divulgation d’un renseignement confidentiel

 

Disclosure to taxpayer or on consent

(5) Un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale peut fournir un renseignement confidentiel :

(5) An official or other representative of a government entity may provide taxpayer information relating to a taxpayer

 

a) au contribuable en cause;

 

(a) to the taxpayer; and

b) à toute autre personne, avec le consentement du contribuable en cause.

 

(b) with the consent of the taxpayer, to any other person.

[…]

 

[…]

Définitions

 

Definitions

(10) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

(10) In this section

renseignement confidentiel

 

taxpayer information

Renseignement de toute nature et sous toute forme concernant un ou plusieurs contribuables et qui, selon le cas :

 

means information of any kind and in any form relating to one or more taxpayers that is

a) est obtenu par le ministre ou en son nom pour l’application de la présente loi;

 

(a) obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act, or

b) est tiré d’un renseignement visé à l’alinéa a).

 

(b) prepared from information referred to in paragraph (a),

N’est pas un renseignement confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l’identité du contribuable en cause. Par ailleurs, pour l’application des paragraphes (2), (5) et (6) au représentant d’une entité gouvernementale qui n’est pas un fonctionnaire, le terme ne vise que les renseignements mentionnés à l’alinéa (4)l). (taxpayer information)

 

but does not include information that does not directly or indirectly reveal the identity of the taxpayer to whom it relates and, for the purposes of applying subsections (2), (5) and (6) to a representative of a government entity that is not an official, taxpayer information includes only the information referred to in paragraph (4)(l). (renseignement confidentiel)

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[90]  Il ne fait aucun doute que, entre les mains du Ministre, les renseignements fiscaux des contribuables doivent être traités de manière confidentielle. L’importance de cette confidentialité a été soulignée par la Cour suprême dans l’arrêt Slattery (Syndic de) c Slattery, [1993] 3 RCS 430 [Slattery], ou le juge Iacobucci a observé à la page 444 :

L'article 241 traduit l'importance d'assurer le respect des intérêts du contribuable en matière de vie privée, particulièrement en ce qui concerne sa situation financière. L'accès à des renseignements financiers ou connexes sur les contribuables doit donc être pris au sérieux et ces renseignements ne peuvent être communiqués que dans les situations prévues. Ce n'est que dans ces situations exceptionnelles que l'intérêt relatif à la vie privée doit céder le pas à l'intérêt de l'État.

Comme je l'ai déjà mentionné, le Parlement a reconnu qu'en préservant le caractère confidentiel des déclarations d'impôt sur le revenu et d'autres renseignements obtenus, on encourage la production volontaire de déclarations d'impôt sur le revenu sur laquelle repose notre régime fiscal. Les contribuables sont tenus de déclarer leurs revenus et leurs dépenses et de calculer l'impôt qu'ils doivent à Revenu Canada. En insufflant chez les contribuables la confiance que les renseignements personnels qu'ils révèlent ne seront pas communiqués dans d'autres contextes, le Parlement encourage la communication volontaire de ces renseignements.  Le contraire est également vrai:  si les contribuables n'ont pas cette confiance, ils peuvent hésiter à communiquer volontairement tous les renseignements requis (Edwin C. Harris, Canadian Income Taxation (4e éd. 1986), aux pp. 26 et 27).

[Je souligne.]

[91]  Mais je ne peux souscrire à la thèse selon laquelle les Renseignements, en fait tous les renseignements fiscaux des contribuables, deviennent intrinsèquement confidentiels aux termes de l’article 241 de la LIR, conservant ainsi un caractère confidentiel entre les mains des tiers auxquels les documents ont été transmis (comme le permet d’ailleurs l’article 241 de la LIR), obligeant ainsi le Ministre à s’assurer qu’ils seront clairement désignés comme étant confidentiels au moment de leur transmission au Greffe (paragraphe 152(1) des RCF) et traités comme tel par ces tiers en fonction des obligations de fiduciaire du Ministre envers les contribuables.

[92]  L’article 241 de la LIR ne rend pas les renseignements fiscaux des contribuables intrinsèquement confidentiels en raison de la nature même des documents. Cette disposition n’a pas le même effet que, par exemple, l’alinéa 83(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], ou même les paragraphes 658(1) et 955(1) de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46, qui disposent que :

Caractère confidentiel des renseignements

 

Confidential information

658(1) Sous réserve du paragraphe (2), sont confidentiels et doivent être traités comme tels les renseignements concernant l’activité commerciale et les affaires internes de la banque, de la banque étrangère autorisée ou de l’organisme externe de traitement des plaintes ou concernant toute personne faisant affaire avec eux — ainsi que les renseignements qui sont tirés de ceux-ci —, obtenus par le commissaire ou par toute autre personne exécutant ses directives, dans le cadre de l’exercice des attributions visées au paragraphe 5(1) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada.

 

658(1) Subject to subsection (2), information regarding the business or affairs of a bank, authorized foreign bank or external complaints body or regarding persons dealing with any of them that is obtained by the Commissioner or by any person acting under the Commissioner’s direction, in the course of the exercise or performance of powers, duties and functions referred to in subsection 5(1) of the Financial Consumer Agency of Canada Act, and any information prepared from that information, is confidential and shall be treated accordingly.

Communication autorisée

 

Disclosure permitted

(2) S’il est convaincu que les renseignements seront traités comme confidentiels par leur destinataire, le commissaire peut les communiquer :

 

(2) If the Commissioner is satisfied that the information will be treated as confidential by the agency, body or person to whom it is disclosed, subsection (1) does not prevent the Commissioner from disclosing it

 

[…]

 

[…]

Caractère confidentiel des renseignements

 

Confidential information

955(1) Sont confidentiels et doivent être traités comme tels les renseignements concernant l’activité commerciale et les affaires internes de la société de portefeuille bancaire ou concernant une personne faisant affaire avec elle et obtenus par le surintendant ou par toute autre personne agissant sous ses ordres, dans le cadre de l’application d’une loi fédérale, de même que ceux qui sont tirés de tels renseignements.

 

955(1) All information regarding the business or affairs of a bank holding company, or regarding a person dealing with a bank holding company, that is obtained by the Superintendent, or by any person acting under the direction of the Superintendent, as a result of the administration or enforcement of any Act of Parliament, and all information prepared from that information, is confidential and shall be treated accordingly.

 

Communication autorisée

 

Disclosure permitted

(2) S’il est convaincu que les renseignements seront considérés comme confidentiels par leur destinataire, le surintendant peut toutefois les communiquer :

 

(2) Nothing in subsection (1) prevents the Superintendent from disclosing any information

[…]

 

[…]

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[93]  La LIR ne comporte pas de disposition de ce type. L’article 241 de la LIR interdit simplement la diffusion des renseignements fiscaux des contribuables et impose au Ministre l’obligation positive de traiter ces documents de manière confidentielle pendant qu’ils sont en sa possession, sous réserve, en ce qui concerne la présente affaire, des paragraphes 241(3) et 241(5) de la LIR.

[94]  En citant l’arrêt Slattery, M. Rémillard soutient que le Ministre est soumis à une obligation de fiduciaire de confidentialité : il doit non seulement traiter les Renseignements comme confidentiels, mais aussi prendre les mesures nécessaires pour préserver leur confidentialité si l’information tombe par inadvertance entre les mains d’un tiers, et il doit même s’assurer que ces informations demeurent confidentielles une fois qu’elles sont divulguées à des tiers comme le permet la LIR.

[95]  Lorsque j’ai demandé aux avocats de M. Rémillard d’expliquer cette position, ils ont toutefois concédé que ni le paragraphe 241(3) de la LIR ni l’article 318 des RCF ne prévoient de mécanisme permettant au Ministre de fixer des conditions d’utilisation des informations qui ont été divulguées conformément à la LIR. En outre, il n’existe pas de règle de droit spécifique en vertu de la LIR permettant de signaler les documents comme étant confidentiels aux fins du paragraphe 152(1) des RCF.

[96]  De surcroît, je ne pense pas que l’arrêt Slattery soit utile à M. Rémillard. La question qui était soulevée dans cet arrêt était de savoir dans quelle mesure le Ministre était autorisé à divulguer des informations en vertu de l’article 241 de la LIR. L’étendue de cette autorisation n’est pas en cause en l’espèce.

[97]  De plus, il n’est mentionné nulle part dans l’arrêt Slattery que les renseignements fiscaux des contribuables sont intrinsèquement confidentiels et le demeurent lorsqu’ils sont entre les mains d’un tiers, et encore moins lorsque ce tiers est une institution publique soumise à une obligation de publicité des débats.

[98]  Je reconnais que tant que les Renseignements restent entre les mains du Ministre, celui-ci est soumis à l’obligation légale de ne pas les fournir « sciemment » à « quiconque ». Cependant, il ne m’a été cité nulle disposition de la LIR ni nulle jurisprudence, qui appuie la thèse selon laquelle l’article 241 de la LIR étend le traitement confidentiel des documents une fois qu’ils sont légitimement entre les mains du Greffe.

[99]  Je retiens l’idée que les informations recueillies par le Ministre dans le cadre de sa compétence administrative ne peuvent être communiquées à quiconque, sauf dans le cadre très limité des exceptions pertinentes prévues par les paragraphes 241(3) et 241(5) de la LIR. M. Rémillard ne remet pas en cause la transmission par le Ministre au Greffe des Renseignements en vertu de l’article 318 des RCF. D’ailleurs, le paragraphe 241(3) de la LIR le permet dans la mesure où cela est prévu en matière de procédure judiciaire.

[100]  Cependant, soutient M. Rémillard, le paragraphe 241(3) de la LIR est limité à la communication, et cela ne signifie pas que, dès qu’il y a contentieux, toutes les informations deviennent publiques. Je retiens la substance du principe avancé par M. Rémillard, mais pas sa formulation.

[101]  Ce n’est pas l’application du paragraphe 241(3) de la LIR qui dicte la manière dont les documents ainsi transmis aux tiers doivent être traités et, plus précisément, si ceux-ci doivent traiter ces documents de manière confidentielle. Ce sont plutôt les dispositions législatives et les principes de droit qui visent précisément ces tiers qui encadrent la manière dont ils doivent traiter les informations. En l’espèce, les dispositions de l’article 241 de la LIR ne visent que le Ministre.

[102]  J’ai demandé à l’avocat de M. Rémillard s’il pouvait citer une règle de droit qui sanctionnerait quiconque qui téléchargeait vers Internet des renseignements fiscaux des contribuables laissés par inadvertance par un agent du Ministre, par exemple, sur une table dans un restaurant ou un café-bar. À l’exception de la Charte et la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, – qui sont inapplicable dans le présent contexte – nulle règle de droit qui attribuerait un caractère confidentiel aux renseignements en cause ne m’a été citée.

[103]  M. Rémillard soutient que le paragraphe 241(3) de la LIR appelle à la prudence: on ne saurait valablement soutenir que ce texte rend publics tous les Renseignements suivant leur divulgation. Effectivement, une fois les Renseignements transmis, la perte de confidentialité ne découle pas du pouvoir du Ministre de divulguer les Renseignements en vertu du paragraphe 241(3) de la LIR. Elle résulte plutôt de l’effet de cette divulgation visant le Greffe – « par effet de la loi [ils deviennent] accessible au grand public » (Gernhart); en ce qui concerne les Renseignements transmis en vertu de l’article 318 des RCF, comme je l’ai signalé précédemment, sauf motif de politique judiciaire, règle de droit spécifique, ou mécanisme prévu par les RCF, les documents en possession du Greffe et conservés dans le dossier de la Cour ou dans une de ses annexes sont assujettis au principe de publicité des débats et sont accessibles au public.

[104]  M. Rémillard fait valoir que la LIR définit les renseignements confidentiels, et attire notre attention sur le paragraphe 241(10) de la LIR. Cependant, ce texte ne dit pas que l’information qui y est énumérée est confidentielle en raison de la nature intrinsèque des informations fiscales. Si tel était le cas, on trouverait dans la version anglaise de texte l’expression « confidential information » plutôt que « taxpayer information ». L’expression « renseignement confidentiel » dans la version française de ce texte a une vocation purement descriptive destinée à identifier les types d’informations qui y sont énumérées, ou tout au plus, préciser que les informations sont confidentielles tant qu’elles sont dans les mains du Ministre.

[105]  M. Rémillard soulève une thèse selon laquelle les documents fiscaux transmis au Greffe doivent être traités en tout temps comme confidentiels en raison de la nécessité de protéger l’intégrité du système fiscal.

[106]  Je retiens l’idée que l’article 241 de la LIR « comporte l’établissement d’un équilibre entre […] l’intérêt du contribuable en matière de respect de sa vie privée en ce qui a trait aux renseignements relatifs à sa situation financière, et l’intérêt qu’a le Ministre à être autorisé à communiquer des renseignements » dans les cas prévus par cet article (Slattery à la p 443), mais je n’ai toutefois pas été convaincu par M. Rémillard que la protection de l’intégrité du système fiscal exige que j’élargisse le traitement confidentiel des renseignements fiscaux des contribuables au-delà de ce que prévoit la LIR.

[107]  Outre le fait qu’ils sont confidentiels, M. Rémillard soutient que ses renseignements fiscaux doivent être protégés, car une grande partie d’entre eux révèle, même indirectement, son identité et donc sont considérés comme renseignements privés. Comme je l’ai déjà signalé, la partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée, même lorsque les informations sont de nature personnelle et privée, comme des renseignements fiscaux, et je ne vois aucune raison appelant à la restriction du principe de publicité des débats en l’espèce.

[108]  M. Rémillard cite les paragraphes 241(3.4) et 241(3.5) de la LIR comme exemples de la manière dont cette loi permet la divulgation au public des renseignements relatifs aux contribuables, et fait valoir qu’aucune possibilité spécifique de divulgation au public ne figure dans l’alinéa 241(3)b), et que, par conséquent, toute information divulguée en vertu de ce texte l’alinéa 241(3)b) n’a pas pour effet de rendre cette information légitimement publique.

[109]  Je ne peux retenir le raisonnement de M. Rémillard à ce sujet. Il a déjà concédé que le paragraphe 241(3) de la LIR ne porte que sur la communication d’informations, et non sur la question de confidentialité. En tout état de cause, les objets de ces dispositions sont différents. Le paragraphe 241(3) de la LIR prévoit une exception à l’interdiction de divulgation des renseignements prévus par les paragraphes 241(1) et (2) de la LIR lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. Les paragraphes 241(3.4) et (3.5) de la LIR prévoient simplement l’élargissement de cette exception, dans tous les cas, limité aux informations qui y sont énumérées.

[110]  M. Rémillard cite l’affaire Scott Slipp Nissan Ltd. c Canada (Procureur Général), 2005 CF 1479 [Scott Slipp], qui enseigne que le caractère confidentiel des informations que le Ministre prévoit divulguer en vertu du paragraphe 241(3) de la LIR « dépend de la façon dont ils ont été obtenus et non de leur valeur ou de leur nature intrinsèques ». Par conséquent, il soutient que bien que l’information puisse déjà être dans le domaine public, le Ministre est néanmoins tenu de la traiter comme confidentielle et de ne pas la divulguer à des tiers.

[111]  Encore une fois, je ne vois pas en quoi cette décision conforte M. Rémillard dans sa position. Je reconnais que même si des renseignements confidentiels relevant du paragraphe 241(10) de la LIR ont été rendus publics, l’interdiction de divulgation de ces renseignements entre les mains du Ministre, énoncée à l’article 241 de la LIR, continue néanmoins de jouer et limite toute divulgation de cette information par le Ministre aux termes des mécanismes prévus par cet article.

[112]  Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que ces informations acquièrent une aura de confidentialité qui transcende l’application de la LIR, exigeant qu’elles soient traitées comme intrinsèquement confidentielles une fois divulguées au Greffe de la Cour comme le permet l’article 241 de la LIR (voir Cinar Corporation c Weinberg, 2005 CanLII 37468 (QC CS) au para 29; Diversified Holdings Ltd. c Canada (CA), [1991] 1 CF 595; 34 CPR (3rd) 187 à la p 190).

[113]  La décision Scott Slipp enseigne simplement que le fait que le type d’informations visé par le paragraphe 241(10) de la LIR soit rendu public par un contribuable ne donne pas carte blanche au Ministre en matière de communication de renseignements fiscaux; cette décision ne signifie pas que les restrictions prévues par l’article 241 de la LIR sur la manière dont le Ministre doit traiter ces informations tombent. La décision Scott Slipp n’enseigne pas, comme le soutient M. Rémillard, que la confidentialité des documents transmis au Greffe en vertu de la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF est maintenue à perpétuité dans la mesure où les renseignements contenus dans ces documents sont visés par le paragraphe 241(10) de la LIR.

[114]  Je note, en passant, que la version anglaise de l’article de la Loi sur la taxe d’accise en cause dans la décision Scott Slipp (comparable au paragraphe 241(10) de la LIR) définissait les informations comme « confidential information » au lieu de « taxpayer information ».

[115]  M. Rémillard cite la décision Barreiro, lequel enseigne que « la simple existence d’un litige […] n’autorise pas le ministre à divulguer des renseignements à propos d’un contribuable […] ». Je retiens cette observation, mais je ne vois pas en quoi elle conforte M. Rémillard dans sa position.

[116]  Dans la décision Barreiro, le juge Phelan était appelé à déterminer s’il convenait de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des RCF concernant les renseignements fiscaux des contribuables que le Ministre souhaitait joindre à son affidavit à titre de défendeur selon l’article 307 des RCF. Rien n’indique qu’une demande en vertu de l’article 317 des RCF ait été faite par l’une ou l’autre des parties.

[117]  Il n’est pas controversé entre les parties que le paragraphe 241(3) de la LIR autorisait la divulgation des informations sur les contribuables dans ce contexte. Le litige portait plutôt sur la question de savoir si une ordonnance de confidentialité protégeant les informations sur les contribuables devait être émise.

[118]  C’est dans ce contexte que le juge Phelan a formulé l’observation citée par M. Rémillard, et il s’est ensuite prononcé sur la question de l’ordonnance de confidentialité conformément à une jurisprudence de la Cour suprême, Sierra Club. Le juge Phelan n’a pas discuté la question de savoir si les renseignements fiscaux des contribuables divulgués par le Ministre en vertu du paragraphe 241(3) de la LIR et transmis par lui au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF demeuraient confidentiels une fois en possession du Greffe.

[119]  De plus, dans la décision Barreiro, les informations relatives aux contribuables n’avaient pas encore été divulguées par le Ministre, et je conviens que dans ces circonstances, elles doivent être traitées par le Ministre comme étant confidentielles jusqu’à ce qu’elles soient divulguées. La Cour a simplement reconnu que pour éviter que les renseignements fiscaux des contribuables soient accessibles au public une fois que le Ministre a déposé sa déclaration sous serment, une ordonnance de confidentialité était justifiée. En fait, cette décision confirme simplement que les renseignements fiscaux des contribuables peuvent, dans les circonstances appropriées, être protégés par une ordonnance de confidentialité pour éviter qu’elles ne soient soumises au principe de publicité des débats.

[120]  Enfin, il reste la question relative à l’application du paragraphe 241(5) de la LIR, soit de savoir si M. Rémillard a expressément autorisé la divulgation de ses renseignements fiscaux au Greffe par sa demande présentée en vertu de l’article 317 des RCF. M. Rémillard fait valoir que son consentement n’a pas été donné librement, et donc qu’il n’y a pas véritablement consenti, car le recours à l’article 317 des RCF était nécessaire pour qu’il puisse poursuivre sa procédure de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire de discuter cette question, car les parties s’entendent que le Ministre pouvait divulguer les informations au Greffe en vertu du paragraphe 241(3) de la LIR. Dans l’éventualité où j’ai tort quant au paragraphe 241(3), j’ai tout de même abordé la question du consentement de M. Rémillard à la divulgation des Renseignements au Greffe dans la section relative à la constitutionnalité de l’article 318 des RCF.

[121]  En conséquence, je conclus que l’article 241 de la LIR n’est pas une règle de droit en vertu duquel les renseignements fiscaux doivent être considérés comme étant confidentiels, et ne protège donc nullement la confidentialité des renseignements fiscaux une fois qu’ils sont transmis au Greffe de la Cour. Après leur transmission en vertu de l’article 318 des RCF, les renseignements fiscaux des contribuables ne demeurent pas confidentiels entre les mains du Greffe, contrairement à ce que soutient M. Rémillard.

c)  La divulgation publique des documents transmis au Greffe ne rendra pas l’article 151 des RCF purement théorique

[122]  M. Rémillard soutient que la conclusion voulant que les documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF soient soumis au principe de publicité des débats rendrait tout recours à l’article 151 des RCF complètement illusoire, car les documents seraient rendus publics avant même que le demandeur puisse en prendre connaissance et avant qu’il puisse s’adresser à la Cour afin de lui demander qu’ils soient traités de manière confidentielle. Ainsi, son droit de demander le maintien de la confidentialité des Renseignements ne serait alors que théorique, puisqu’au moment où il serait en mesure de faire une telle demande suivant l’article 151 des RCF, il y a déjà eu atteinte à son droit.

[123]  De plus, M. Rémillard fait valoir que l’article 151 des RCF ne vise que les documents ou éléments matériels qui seront déposés comme preuve, et que le recours à l’article 151 des RCF ne peut être utilisé pour protéger des informations confidentielles au stade où celles-ci sont simplement transmises au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF.

[124]  Je rejette cette thèse. Tout d’abord, le fait que les documents soient entrés dans le domaine public n’élimine pas le recours à l’article 151 des RFC. Dans la décision Bah, madame la juge Bédard a observé au paragraphe 13 :

Je considère que l’article 44 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7 de même que les règles 4 et 26(2) des Règles donnent à la Cour le pouvoir de se prononcer sur une requête en confidentialité même lorsque les documents en cause ont déjà été versés au dossier de la Cour et d’appliquer, par analogie, les principes énoncés aux règles 151 et 152 (Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 223 aux para 20, 30, 32-38, 42-46; Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 299 au para 16).

[Je souligne.]

[125]  En outre, notre Cour a trouvé par le passé des moyens d’accommoder les parties lorsqu’elles étaient confrontées au risque de voir leurs documents privés exposés en conformité avec le principe de publicité des débats. Dans l’affaire Harkat, M. Harkat a demandé à la Cour de traiter comme confidentiels des résumés de conversations auxquelles celui-ci avait participé dans le cadre d’un rapport de renseignement de sécurité le concernant. Ces résumés ne faisaient pas encore partie du dossier de la Cour, n’ayant été ni transmis, ni déposés auprès de la Cour et, par conséquent, n’aurait fait partie du dossier public que si M. Harkat avait décidé de les déposer auprès de la Cour.

[126]  M. le juge Simon Noël a suivi l’article 151 des RCF pour atténuer les risques d’atteinte à la vie privée de M. Harkat, et le préjudice qu’il aurait pu subir si certains résumés avaient été versés au dossier public de la Cour. Le juge Noël a donc donné à M. Harkat la possibilité d’examiner ces résumés avant de les placer dans le dossier de la Cour, afin que celui-ci puisse décider s’il allait présenter une requête en confidentialité en vertu de l’article 151 des RCF.

[127]  La situation à laquelle est confronté M. Rémillard en l’instance est semblable à celle qui troublait M. Harkat. En effet, M. Rémillard affirme en l’espèce que, sans la reconnaissance systématique de la confidentialité des documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF, il serait confronté au dilemme de la poule et de l’œuf en ignorant les documents mêmes sur lesquels il souhaite obtenir une ordonnance de confidentialité et ne pourrait donc pas déposer une demande en vertu de l’article 151 des RCF. Toutefois, la Cour, dans l’affaire Harkat, a reconnu au paragraphe 14 « que ce dont traite ces documents peut soulever des inquiétudes quant à la protection des renseignements personnels » et que « [p]uisque M. Harkat ignore pour l’instant le contenu des conversations, il est raisonnable de lui donner une possibilité d’examiner les résumés avant qu’il ne décide s’il y a lieu de solliciter une ordonnance de confidentialité. Agir autrement lui retirerait un tel recours. »

[128]  En conséquence, M. le juge Noël a décidé « de retarder le placement des trois résumés dans le dossier public de la Cour jusqu’à ce que M. Harkat ait eu la possibilité de les examiner et de décider comment il veut procéder » (Harkat au para 15), de la même manière que lors de la délivrance de l’Ordonnance provisoire rendue à la demande de M. Rémillard.

[129]  Dans notre cas, le demandeur a obtenu une ordonnance de confidentialité provisoire visant l’ensemble des renseignements transmis. Il a eu amplement le temps d’identifier les documents qui satisfont aux critères jurisprudentiels pour l’émission d’une ordonnance valide jusqu’à la fin du procès.

[130]  Dans l’affaire Charkaoui, Re, 2009 CF 342 (CanLII), [2010] 3 RCF 67 [Charkaoui], madame la juge Tremblay-Lamer a retenu le principe consacré par la Cour par le jugement Harkat et, malgré le fait que l’article 151 des RCF vise les documents « qui seront déposés », elle a étendu l’application de cet article, de concert avec l’article 4 des RCF, afin d’accueillir une requête en ordonnance de confidentialité concernant les documents déjà déposés dans le cadre d’une procédure de certificat de sécurité en vertu de la LIPR. Aux fins de détermination de la question de confidentialité, les documents en questions ont été reçus par la Cour, mais n’ont pas été versés au dossier public de la Cour, jusqu’à ce que la Cour se prononce.

[131]  Enfin, dans l’arrêt Lukács, la Cour d’appel fédérale a précisé que l’article 318 des RCF ne devait pas être considéré isolément et que, outre les articles 151 et 152 des RCF, la Cour disposait d’autres pouvoirs, dont « sa plénitude de compétence lors de la surveillance des tribunaux pour établir les procédures visant à atteindre certains objectifs légitimes dans des cas précis » (Lukács au para 14 citant Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, 1998 CanLII 818 (CSC), [1998] 1 RCS 626 aux paras 35 à 38; Teale c Canada (Procureur Général), 1999 CanLII 9234 (CF); Canada (Revenu national) c Derakhshani, 2009 CAF 190 aux paras 10 et 11; Canada (Revenu national) c Compagnie d'assurance vie RBC, 2013 CAF 50 aux paras 35 et 36).

[132]  Il est vrai que la Cour, dans l’arrêt Lukács, discutait d’une objection à la divulgation en vertu du paragraphe 318(2) des RCF, mais je ne vois pas pourquoi les principes consacrés par cette décision ne peuvent jouer en l’espèce. En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a donné des directives aux parties sur la manière dont elles devaient procéder pour résoudre la question de la divulgation des documents, et je ne vois pas pourquoi notre Cour ne procéderait pas de la même manière si M. Rémillard présentait la demande appropriée avant d’engager la procédure établie en vertu des règles 317 et 318 des RCF.

[133]  En conséquence, je ne peux conclure que la divulgation publique des documents transmis au Greffe en vertu de l’article 318 des RCF rend l’article 151 des RCF purement théorique.

[134]  En conclusion, les RCF sont claires et sans équivoques, les documents transmis par l’office fédéral conformément à la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF sont accessibles au public dès leur réception au Greffe par l’effet des articles 23 et 26 des RCF. De plus, les principes qui sous-tendent l’engagement implicite de confidentialité ne sont pas transposables en l’espèce, surtout considérant que plusieurs options sont offertes aux demandeurs souhaitant que les renseignements transmis demeurent confidentiels. Par ailleurs, la LIR, contrairement à d’autres règles de droit, n’attribue pas aux renseignements un caractère intrinsèquement confidentiel. Enfin, ces conclusions n’affectent en rien l’utilité et la pertinence de l’article 151 des RCF.

B.  Le cas échéant, la transmission au Greffe prévue par l’article 318 des RCF contrevient-elle de manière injustifiée à l’article 8 de la Charte?

[135]  M. Rémillard soutient que l’obligation de transmettre les Renseignements au Greffe constitue une saisie. Il invoque avec force l’arrêt Gernhart pour soutenir que la « diffusion inconsidérée d’informations fiscales à une juridiction constitue une saisie » et que cette saisie est abusive, car l’intérêt du justiciable à la confidentialité de ses renseignements fiscaux l’emporte sur les intérêts de l’État à l’authentification des dossiers certifiés par le Greffe.

[136]  Bien que les faits de l’arrêt Gernhart présentent certaines analogies avec la présente affaire, et bien que certains des principes énoncés par la Cour d’appel fédérale puissent s’appliquer à la situation dans laquelle se trouve M. Rémillard, les mécanismes juridiques en cause dans l’arrêt Gernhart sont distincts de ceux de la présente affaire.

[137]  Il faut préciser que M. Rémillard ne plaide pas que l’article 318 des RCF lui-même serait contraire à la Charte. Il attaque plutôt l’interprétation, selon lui abusive, de l’effet de la transmission des Renseignements au Greffe en vertu de cet article.

[138]  Il soutient que l’objectif de la transmission au Greffe a le même objectif anachronique qui a été jugé inutile par la Cour, et admis par le Ministre, dans l’arrêt Gernhart. Non seulement cet objectif de validation du dossier certifié serait inutile, mais, d’après lui, même si l’on accepte l’idée qu’il s’agit d’un objectif étatique très important, M. Rémillard soutient que la Cour doit tout de même atténuer l’impact de l’article 318 des RCF et ainsi préserver les droits de tous.

[139]  En fait, M. Rémillard soutient que l’article 318 des RCF doit faire l’objet d’une interprétation atténuée (reading down) suivant laquelle le mot « transmission » ne doit servir qu’à donner une assurance d’authenticité aux Renseignements transmis au Greffe, lorsque cela nécessaire, sans que ceux-ci ne deviennent accessibles au public.

[140]  Subsidiairement, M. Rémillard soutient que l’article 318 des RCF doit être déclaré inopérant et sans effet en totalité, ou, subsidiairement, de façon partielle de la façon suivante :

  • a) l’expression « au greffe » de l’alinéa 318(1)a) des RCF doit être déclarée contraire à la Charte et donc inopérante;

  • b) l’alinéa 318(1)b) des RCF doit être déclaré contraire à la Charte et donc inopérant en entier; et

  • c) le paragraphe 318(4) des RCF doit être déclaré contraire à la Charte et donc inopérant en totalité.

[141]  Ayant entendu les arguments de M. Rémillard, il me semble que la protection assurée par l’article 8 de la Charte ne lui est pas utile dans le contexte de l’article 318 des RCF; les objectifs de la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF et le principe de publicité des débats ne constituent pas des intérêts de l’État que l’article 8 de la Charte vise à moduler.

[142]  L’article 8 de la Charte dispose que :

Fouilles, perquisitions ou saisies

 

Search or seizure

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.

[143]  En exposant la philosophie de la Charte, et en particulier l’article 8, M. le juge Dickson dans l’arrêt Hunter et autres c Southam Inc., [1984] 2 RCS 145 [Hunter], a observé à la page 156 :

La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu’elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d’agir à l’encontre de ces droits et libertés; elle n’autorise pas en soi le gouvernement à agir. En l’espèce, cela signifie […] qu’en garantissant le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, l’art. 8 a pour effet de limiter les pouvoirs quelconques de fouille, de perquisition et de saisie que possèdent déjà par ailleurs le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux.

[144]  L’article 8 de la Charte ne vise pas uniquement à protéger les biens des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives; il va au-delà de la protection des biens et englobe la protection de l’attente raisonnable des personnes à la vie privée (Hunter à la p 159; R c Dyment, [1988] 2 RCS 417 à la p 429 [Dyment]).

[145]  Ce ne sont pas toutes les saisies qui violent l’article 8 de la Charte, seulement celles qui sont abusives (McKinlay Transport Ltd., [1990]1 RCS 627 aux pp 642 et 643[McKinlay]). La question préliminaire en espèce est donc de savoir si l’article 318 des RCF a pour effet de performer une « saisie » (R c Jarvis, [2002] 3 RCS 757 à la p 796 [Jarvis]).

[146]  Pour que l’action du gouvernement soit assimilée à une saisie en matière de vie privée, premièrement, l’attente ou l’expectative elle-même de l’intéressé en ce qui concerne sa vie privée doit être raisonnable. Comme l’affirme le juge Dickson, dans l’arrêt Hunter aux pages 159 et 160 :

La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu’une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l’art. 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s’attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.

[147]  Si cette attente n’est pas raisonnable dans le contexte dans lequel l’intéressé se trouve, « l’examen autorisé par l’État ou sa demande de production des documents ne correspond pas aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies dont parle l’art. 8 » (McKinlay; voir aussi Dyment à la p 426; Thomson Newspapers Ltd. c Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 RCS 425 à la p 590 [Thomson Newspapers]).

[148]  Deuxièmement, la saisie doit comporter un élément d’application d’une loi. Comme l’enseigne l’arrêt Hunter, pour que la saisie soit jugée raisonnable, l’attente raisonnable à la vie privée d’un individu doit être conciliée avec l’intérêt concurrent de l’État (le gouvernement) en matière d’application de la loi. Ainsi que l’a observé M. le juge LaForest à l’occasion de l’affaire Dyment à la page 428 :

Naturellement, un équilibre doit être établi entre les revendications en matière de vie privée et les autres exigences de la vie en société, et en particulier celles de l'application de la loi, et c'est justement ce que l’art. 8 vise à réaliser.

[149]  Par conséquent, pour qu’une saisie puisse avoir lieu, son but ultime doit se rattacher à l’application d’une loi particulière à l’égard de cette personne (voir Hunter; R c Collins, [1987] 1 RCS 265 [Collins]; Dyment; McKinlay; Thomson Newspapers; R c Edwards, [1996] 1 RCS 128 [Edwards]; R c Mills, [1999] 3 RCS 668 [Mills]; Gernhart).

[150]  De plus, la protection assurée par l’article 8 de la Charte joue non seulement en matière pénale, mais s’étend également à l’application d’une loi particulière en matière réglementaire, où les dispositions de la loi relatives à son application et aux enquêtes ne visent pas tant à punir la conduite criminelle qu’à assurer le respect de la loi elle-même (McKinlay aux pp 641 et 642; Thomson Newspapers à la p 506).

[151]  Dans l’arrêt McKinlay, rendu en même temps que l’arrêt Thomson Newspapers, la Cour suprême a conclu que la demande de renseignements fiscaux aux contribuables par Revenu Canada en vertu du paragraphe 231(3) de la LIR dans le cadre d’une vérification fiscale constituait une « saisie » puisqu’il y avait une atteinte aux attentes en matière de protection de la vie privée des contribuables, même si elle n’était pas abusive au sens de l’article 8 de la Charte.

[152]  Ce texte reconnaît le droit à la protection non seulement contre les perquisitions et les fouilles, mais aussi contre les saisies, et, comme l’a observé M. le juge LaForest dans l’arrêt Thomson Newspapers, il n’y a « pas vraiment de différence entre le fait de prendre une chose et le fait d'obliger une personne à la remettre » (p 505).

[153]  Troisièmement, il doit y avoir absence de consentement par la personne dont les informations sont saisies. En effet, « il y a saisi au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement » (Dyment à la p 431; Thomson Newspapers à la p 516).

a)  L’attente ou l’expectative de M. Rémillard à la vie privée n’était pas raisonnable en l’espèce.

[154]  M. Rémillard fonde son argument sur l’article 241 de la LIR. Selon lui, il a une attente raisonnable de vie privée à l’égard des Renseignements. Il ajoute que leur divulgation entraverait l’accès à la justice, surtout que le justiciable n’a pas le contrôle de l’information qui serait ainsi divulguée.

[155]  En réponse, le Ministre soutient que M. Rémillard n’a pas d’attente raisonnable à la protection de sa vie privée, car il aurait renoncé à cette protection lorsqu’il a consenti à la transmission des documents et parce que leur transmission permet au Ministre de faire valoir ses droits dans le cadre d’une procédure contentieuse.

[156]  L’existence d’une attente raisonnable en matière de la vie privée doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances (Edwards à la p 145).

[157]  Je reconnais que M. Rémillard avait certainement une attente raisonnable de protection de vie privée à l’égard de ses renseignements fiscaux, bien qu’à un niveau « relativement faible vis-à-vis le Ministre » (McKinlay aux pp 646 et 650). Le droit de M. Rémillard à la vie privée est protégé par les restrictions à la diffusion de ses informations fiscales prévues par l’article 241 de la LIR, quoique ces restrictions soient limitées.

[158]  Je suis aussi disposé à retenir l’idée qu’une telle attente raisonnable à la vie privée persiste lorsque l’étendue de la transmission des renseignements fiscaux va au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs de la transmission (Gernhart), lorsque la transmission elle-même a porté atteinte à l’attente selon laquelle les renseignements fiscaux ne seraient pas transmis de cette manière (Dyment), ou lorsque des renseignements privés sont divulgués sans autorité à des personnes autres qu’à celles à qui ils avaient été initialement divulgués (R c Boudreau, [1998] OJ No 3526 (QL) (Div Gén) au para 18).

[159]  Bref, le droit à la protection de la vie privée comporte l’attente raisonnable que les renseignements privés ne restent connus que des personnes auxquelles ils ont été divulgués et qu’ils ne soient utilisés que dans le but pour lequel ils ont été divulgués (Dyment aux paras 429 et 430; Mills).

[160]  Cependant, et contrairement aux faits de l’arrêt Gernhart, M. Rémillard ne se trouve pas dans une situation où le Ministre est obligé de transmettre à la Cour tous ses renseignements fiscaux, qu’ils servent ou non à quelque fin que ce soit. En l’espèce, il n’y a pas de « diffusion indiscriminée » d’information au sens où l’entendait M. le juge Saxton dans l’arrêt Gernhart au paragraphe 24 de sa décision.

[161]  L’article 317 des RCF est précis : une partie ne peut demander que la transmission des documents ou des éléments pertinents quant à la demande. De plus, l’article 318 des RCF ne prévoit que la transmission au Greffe des documents en cause (voir aussi McKinlay à la p 642).

[162]  De plus, et contrairement aux faits de l’arrêt Dyment, les règles relatives à la divulgation des renseignements fiscaux par le Ministre étaient non seulement comprises, mais attendues en cas de poursuites judiciaires. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le Ministre a manqué à son obligation de traiter les informations comme confidentielles. Contrairement à M. Dyment, M. Rémillard ne soutient pas que le Ministre a manqué à son devoir de confidentialité et n’aurait pas dû transmettre les Renseignements (l’échantillon de sang dans l’affaire Dyment) à la Cour (à la police dans l’affaire Dyment) après avoir reçu la demande de le faire en vertu de l’article 317 des RCF.

[163]  Lorsqu’une demande de contrôle judiciaire a été introduite et qu’une demande visée par l’article 317 des RCF a été émise, M. Rémillard n’est plus simplement « vis-à-vis le Ministre » et la protection des informations privées accordée au contribuable par l’article 241 de la LIR ne peut restreindre la manière dont ces informations sont diffusées par la Cour. Dans ce contexte, je ne vois pas comment il peut y avoir une attente raisonnable en matière de vie privée de la part de M. Rémillard (SPE Valeur Assurable Inc. c La Reine, 2019 CCI 174 aux paras 63 et 64).

[164]  L’article 318 des RCF est clair en ce sens que les documents en cause sont transmis au Greffe. Les articles 23 et 26 des RCF précisent que tous les documents et éléments matériels en possession du Greffe doivent être conservés au dossier de la Cour ou dans l’annexe au dossier de la Cour et que les documents qui s’y trouvent, sauf exception, sont accessibles au public.

[165]  Je ne vois pas comment M. Rémillard pourrait conserver une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée une fois qu’il a introduit sa demande ciblée au titre de l’article 317 des RCF. Même en ce qui concerne les renseignements fiscaux, la partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée, même lorsque les informations sont de nature personnelle et privée (Frenette; Gernhart).

b)  L’élément d’application de la loi

[166]  En principe, l’article 8 de la Charte est normalement invoqué dans les cas où l’État (le gouvernement) cherche à contraindre des personnes à divulguer des informations suivant un intérêt légitime de l’État, qu’il s’agisse d’appliquer des dispositions légales de nature pénale, ou d’assurer le respect de la loi elle-même. Bref, il doit y avoir un élément de procédure d’exécution ou d’application d’une loi (voir Hunter; Collins; Dyment; McKinlay; Thomson Newspapers; Edwards; Mills; Gernhart).

[167]  Cependant, ce n’est pas le cas avec M. Rémillard.

[168]  En ce qui concerne l’arrêt Jarvis, M. Jarvis ne contestait pas la constitutionnalité des dispositions de la LIR qui ont autorisé la vérification, mais plutôt l’admission en preuve devant la Cour de déclarations et documents que les agents de Revenu Canada avaient obtenus par la contrainte en vertu de ces dispositions (en mode vérification), au motif qu’il y avait eu atteinte aux droits qu’il tirait des articles 7 et 8 de la Charte dans le cadre d’une poursuite pour fraude fiscale.

[169]  Cependant, les conclusions de la Cour suprême se sont concentrées sur la manière et le contexte dans lequel les informations ont été recueillies par l’agent de Revenu Canada dans le cadre de la LIR, et non sur la procédure judiciaire visant à rendre ces preuves publiques.

[170]  Il est vrai que l’article 8 de la Charte vise à protéger les personnes des incursions abusives de l’État dans leur vie privée, mais la procédure établie par les articles 317 et 318 des RCF ne performe pas une telle incursion. En effet, l’article 318 des RCF ne vise pas une demande ou une ordonnance du gouvernement qui cherche à « s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins, et, notamment, d’assurer l’application de la loi » (Thomson Newspapers à la p 492). La procédure interjetée par M. Rémillard n’a pas de composante d’exécution en ce qui concerne l’application d’une loi. La procédure établie en vertu des articles 317 et 318 des RCF est plutôt, comme je l’ai signalé précédemment, un mécanisme par lequel les parties et la Cour peuvent obtenir le dossier dont s’est servi le décideur administratif.

[171]  Cela ne veut pas dire qu’il doit y avoir un examen ou une enquête sous-jacente en cours pour que la demande ou l’ordonnance d’information constitue une saisie. Dans l’arrêt Gernhart, M. le juge Sexton a précisé qu’une saisie « peut être effectuée en dehors du cadre d’une enquête » (Gernhart au para 22; Dyment).

[172]  En ce qui concerne l’arrêt Gernhart, la transmission des informations a eu lieu dans le cadre de l’appel interjeté par Mme Gernhart devant la Cour canadienne de l’impôt de la cotisation du ministre du Revenu national relative à sa déclaration de revenus. Cette affaire portait sur une ancienne disposition de la LIR qui prévoyait que lorsque le contribuable interjette appel d’une cotisation, le ministre du Revenu national devait transférer les copies de tous les documents fiscaux de la partie appelante à la Cour canadienne de l’impôt.

[173]  La Cour d’appel fédérale a conclu que, dans ces circonstances, la disposition visée donnait lieu à une saisie abusive. Cependant, tout comme dans l’arrêt Dyment, l’objectif de la saisie dans l’arrêt Gernhart comportait un élément d’application d’une loi.

[174]  De plus, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gernhart a constaté que le dépôt systématique de tous les documents obtenus de Mme Gernhart devant la Cour, où ils devenaient accessibles au public, ne servait aucun objectif utile (Gernhart au para 36; voir aussi Cano Tech Inc. au para 113).

[175]  En l’espèce, comme je l’ai déjà signalé, la transmission automatique au Greffe du dossier demandé suivant les articles 317 et 318 des RCF répond plutôt à un objectif utile. Il fait partie d’une procédure qui assure l’intégrité du dossier en cas de doute. Il constitue un mécanisme procédural qui assure le déroulement efficace d’une procédure de contrôle judiciaire conformément au principe fondamental de la publicité des débats.

c)  Le consentement de M. Rémillard

[176]  Dans l’arrêt Dyment, M. le juge LaForest a confirmé qu’il y a saisi lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement (Dyment à la p 421). En fait, c’était le transfert de sang par le médecin au policier, contrairement à l’attente raisonnable de M. Dyment quant au respect de sa vie privée de la part de son médecin, qui a permis à l’État de mener l’enquête en vertu de la loi en vigueur, soit le Code criminel.

[177]  Le Ministre affirme que M. Rémillard ne peut soutenir qu’il y a eu transmission contre son gré puisque la demande au titre de l’article 317 des RCF a été introduite par lui. Le Ministre opère ainsi une distinction par rapport aux faits de l’arrêt Gernhart où Mme Gernhart n’avait pas consenti à ce que ses déclarations soient transmises au greffe de la Cour.

[178]  En revanche, M. Rémillard soutient qu’il n’a jamais consenti à la diffusion des Renseignements, car pour pouvoir exercer valablement sa demande de contrôle judiciaire, il n’avait pas d’autre choix que de se servir de la procédure prévue par les articles 317 et 318 des RCF pour préparer son dossier. Bref, il ne s’agirait pas d’un véritable consentement si celui-ci dépend de la perte d’un recours.

[179]  M. Rémillard affirme qu’il y a « diffusion inconsidérée » parce que la transmission au Greffe suite à l’article 318 des RCF constitue une diffusion avant même qu’il puisse faire valoir ses droits – aussitôt qu’il se rend compte qu’un droit existe, il est aussitôt perdu – et que lorsqu’il est obligé d’invoquer la procédure des articles 317 et 318 des RCF, il est ainsi pris en otage par une règle procédurale; il doit choisir entre intenter un recours ou renoncer à l’avance à des droits sans connaître la teneur des documents ainsi transmis au Greffe.

[180]  Je rejette les arguments de M. Rémillard.

[181]  C’est lui qui a introduit ses demandes aux termes de l’article 317 des RCF. Cela signifie qu’il contrôlait le moment de cette introduction. Comme je l’ai déjà signalé, il avait la possibilité de demander à la Cour de rendre une ordonnance destinée à protéger toute information qu’il souhaitait garder privée et confidentielle. Comme l’a observé le juge Stratas à l’occasion de l’arrêt Lukács, il ne faut pas prendre en considération l’article 318 des RCF isolément. Face à un problème tel que celui auquel est confronté M. Rémillard, la Cour est en mesure de trouver une solution qui concilie, dans la mesure du possible, les objectifs d’un examen valable des décisions administratives, l’équité procédurale, et la protection de tout intérêt légitime à l’égard de la confidentialité tout en garantissant la publicité de l’affaire (Sierra Club; voir aussi Charkaoui).

[182]  Une autre possibilité consistait à demander à la Cour d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, ainsi que le prévoit le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Cette disposition constitue la réponse du législateur aux préoccupations selon lesquelles une demande de contrôle judiciaire n’offrirait pas les garanties procédurales appropriées lorsqu’un recours déclaratoire est exercé. En effet, une telle conversion est possible, notamment, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on sollicite un jugement déclaratoire (Access Information au para 20; Haig c Canada, [1992] 3 CF 611 (CAF) au para 9; Association des Crabiers Acadiens au para 39).

[183]  Il convient de préciser que ce type de demande est de nature discrétionnaire (Slansky au para 55), mais puisque M. Rémillard a exprimé de sérieuses préoccupations quant à l’absence de garanties procédurales concernant la confidentialité de sa vie privée dans le cadre d’une demande au titre de l’article 317, j’aurais pensé qu’il solliciterait une telle ordonnance outre tout autre recours ouvert aux termes des RCF. Il s’est borné à demander l’Ordonnance provisoire dans la soirée du 15 janvier 2020.

[184]  Dans l’arrêt Gernhart, M. le juge Saxton a clairement observé qu’un des problèmes posés par l’ancien article 176 de la LIR était qu’il donnait lieu à la transmission des renseignements fiscaux à la Cour de l’impôt en l’absence de l’autre partie (Gernhart au para 36). Même si dans l’arrêt Gernhart, on traitait des informations que Mme Gernhart connaissait déjà, l’article 318 des RCF prévoit que la transmission des documents ne se fait pas seulement au Greffe, mais aussi à la partie qui en fait la demande. Il était loisible à M. Rémillard de solliciter une ordonnance de confidentialité dans l’attente de l’examen des Renseignements une fois ceux-ci reçus, exactement comme il a obtenu avec l’Ordonnance provisoire.

[185]  Enfin, M. Rémillard soutient que son attente raisonnable à la vie privée vise le grand public et non le Ministre. Je ne vois pas comment l’article 8 de la Charte peut lui être utile dans ce contexte. Il est vrai que le principe de la publicité des débats judiciaires et la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte impliquent que le grand public doit pouvoir être au courant des faits relatifs à un litige judiciarisé, comme en l’espèce. Toutefois, ceci ne veut pas dire que l’article 8 de la Charte permette à M. Rémillard de revendiquer une expectative de vie privée à l’égard de la société en général. Il est évident que la Charte ne s’applique pas aux rapports entre individus.

[186]  Je conclus que la transmission des informations au Greffe en l’espèce, conformément à l’article 318 des RCF, ne constitue pas une fouille, perquisition ou saisie au sens de l’article 8 de la Charte.

[187]  Compte tenu de ma décision, il n’est pas nécessaire que j’examine la question du caractère raisonnable de la saisie, incluant la conciliation de l’intérêt du contribuable et de l’État, ni celle de savoir si la saisie est justifiée au sens de l’article premier de la Charte.

[188]  De plus, vu que l’article 318 des RCF n’est pas contraire à l’article 8 de la Charte, il n’est pas nécessaire, comme l’a demandé M. Rémillard, que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire afin de décider si l’article 318 des RCF doit faire l’objet d’une interprétation atténuée afin de le rendre conforme à la Charte (Hunter à la p 168; Gernhart au para 47).

[189]  Même si cela n’est pas nécessaire pour disposer de cette question considérant ma conclusion que l’article 318 RCF ne contrevient pas à l’article 8 de la Charte, je dois quand même noter qu’aucune représentation ne m’a été faite par M. Rémillard quant à mon pouvoir de déclarer, en vertu de l’article 24(1) de la Charte, que les Renseignements sont confidentiels de façon permanente dans l’éventualité où l’article 318 RCF serait contraire à la Charte, tel que M. Rémillard me demande de le faire dans ses conclusions.  

C.  Dans la mesure où l'article 318 des RCF est constitutionnellement opérant, les Renseignements doivent-ils faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité et de non-publication en vertu de l'article 151 des RCF?

[190]  Pour démontrer que les documents doivent faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité, M. Rémillard se fonde sur les critères consacrés par l’arrêt Sierra Club, soit la nécessité et la proportionnalité. L’argument de M. Rémillard relatif à la nécessité se décompose en trois volets, soit le risque sérieux, réel et important, l’intérêt public et l’absence de mesures alternatives raisonnables.

[191]  En réponse, le Ministre soutient que M. Rémillard n’a pas un intérêt important et qu’il n’allègue aucun préjudice sérieux. De plus, il soutient que la demande ne devrait viser que les informations dont la confidentialité est strictement nécessaire.

[192]  Ni dans ses observations écrites ni lors des débats, M. Rémillard ne m’a fait prendre connaissance de la teneur de chacun des nombreux documents qui composent les Renseignements transmis au Greffe. Il sollicite simplement une ordonnance générale, en faisant valoir que tous les documents répondent aux exigences d’une ordonnance de confidentialité telles que formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club.

[193]  Je ne suis pas disposé à rendre une ordonnance générale concernant le dossier certifié, sans préjudice du droit de M. Rémillard de demander une telle ordonnance pour des documents spécifiques à une date ultérieure. Après avoir examiné les documents, je ne suis pas convaincu qu’ils remplissent tous les conditions requises pour une ordonnance de confidentialité. Cela dit, M. Rémillard demeure toujours libre de déposer une requête distincte en vertu de l’article 151 des RCF portant spécifiquement sur les documents pour lesquels il estime que la confidentialité s’impose.

[194]  Pour les mêmes raisons que celles mentionnées ci-dessus, je ne suis pas disposé à rendre une ordonnance de non-publication, d’autant plus que les Renseignements, ou au moins une partie d’entre eux se trouvent déjà dans les mains d’un tiers, Le Journal de Montréal, et que M. Rémillard n’a apporté aucun argument spécifique pour répondre à cet enjeu en l’instance. Je ne suis pas prêt à accepter que l’émission d’une ordonnance de confidentialité implique nécessairement l’émission d’une ordonnance de non-publication, surtout lorsque les documents en question se trouvent dans les mains d’un tiers. À tout le moins, je note que M. Rémillard ne m’a même pas expliqué pourquoi les mêmes critères seraient applicables pour les deux types d’ordonnances.

 V.  Conclusion

[195]  Je dois rejeter la requête de M. Rémillard.

[196]  Dans l’éventualité du rejet de sa requête, M. Rémillard m’a demandé de maintenir en vigueur l’Ordonnance provisoire pendant la durée de tout appel éventuel. Je pense qu’il est préférable de laisser la Cour d’appel fédérale, en cas d’appel de mon jugement, de décider si celui-ci doit être suspendu, ou si l’Ordonnance provisoire doit être prolongée.

[197]  Je dois souligner que la question de la confidentialité des Affidavits est distincte de celle relative à la confidentialité des Renseignements, et que la confidentialité des Affidavits n’a pas été plaidée dans le cadre de la présente requête.

[198]  Toutefois, je suspendrai l’entrée en vigueur de ma décision pendant une période de 60 jours, en plus de la période des vacances judiciaires de Noël prévue par l’article 6 des RCF, afin de donner à M. Rémillard la possibilité de solliciter toute ordonnance nécessaire. Dans l’intervalle, l’Ordonnance provisoire sera maintenue.

 


ORDONNANCE au dossier T-1244-19

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête est rejetée.

  2. La présente ordonnance est toutefois suspendue pour une période de 60 jours à compter de la date de la présente décision, en plus de la période des vacances judiciaires de Noël.

  3. L’Ordonnance provisoire de confidentialité et de non-publication du 16 janvier 2020 est de nouveau reconduite jusqu’à l’expiration de la période de suspension de la présente ordonnance, de sorte que le Certificat et documents complémentaires transmis au Greffe de la Cour les 30 août 2019 et 4 octobre 2019, ainsi que les Affidavits reproduits au Volume I du dossier du défendeur déposé au Greffe de la Cour le 21 août 2020, en format papier et électronique, demeurent confidentiels jusqu’à l’expiration de la période de suspension de la présente ordonnance.

  4. Le tout, avec dépens payés par le demandeur au défendeur.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1244-19

 

INTITULÉ :

LUCIEN RÉMILLARD c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 août 2020; le 1 septembre 2020; et le 4 septembre 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Guy Du Pont Ad.E.

Me Élisabeth Robichaud

Me Léon Moubayed

 

Pour le demandeur

 

Me Jonathan Bachir-Legault

Me Louis Sébastien

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis Ward Phillips & Vineberg, LLP

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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