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Date : 19990729

Dossier : IMM-4248-98

ENTRE :

                                                  ANIL KUMAR MADAN,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS:

[1]         Anil Kumar Madan est un citoyen de l'Inde qui réside en Arabie Saoudite. Il s'est adressé au Haut-commissariat du Canada au Pakistan pour présenter sa demande d'entrée au Canada comme résident permanent, dans la classe des immigrants indépendants.

[2]         Dans sa demande, M. Madan a précisé que la profession qu'il comptait exercer au Canada est celle de directeur financier. En juillet 1998, l'agent des visas a rejeté la demande de visa de M. Madan, au motif qu'il n'avait pas reçu le nombre de points d'appréciation normalement requis pour être admis dans la classe des immigrants indépendants.

[3]         Plus précisément, l'agent des visas n'a donné aucun point d'appréciation à M. Madan pour l'expérience, au motif qu'il n'était pas convaincu, au vu de la documentation qu'on lui avait soumise, que le demandeur exerçait les fonctions d'un directeur financier telles que décrites dans la Classification nationale des professions.

[4]         Dans sa présentation écrite, l'avocat présente deux arguments pour appuyer la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas. Le premier argument porte que la conclusion tirée par l'agent des visas, savoir que l'expérience de travail de M. Madan n'était par reliée aux fonctions d'un directeur financier, était déraisonnable. De plus, le rejet de la demande de visa était contraire à l'équité procédurale, l'agent des visas n'ayant pas recherché auprès du demandeur une explication plus approfondie et une clarification quant à la nature précise des fonctions de son emploi, lui permettant ainsi de déterminer de façon précise si elles se situaient dans le cadre de la description des fonctions d'un directeur financier que l'on trouve dans la CNP.

[5]         L'avocat n'a présenté aucun argument à l'audience sur cette question. Au vu de la documentation présentée à l'agent des visas, qui comprenait des lettres assez vagues de ses employeurs, il est clair que ce dernier pouvait conclure que les fonctions de M. Madan n'étaient pas celles d'un directeur financier.

[6]         Il est bien établi qu'un demandeur de visa a l'entière responsabilité de présenter à l'agent des visas toute la documentation qui pourrait permettre à ce dernier de rendre une décision favorable. Les agents des visas n'ont par conséquent aucune obligation générale en droit de demander des détails ou des renseignements additionnels avant de rejeter une demande de visa au motif que la documentation soumise ne suffisait pas à les convaincre que le demandeur répondait aux critères de sélection pertinents.

[7]         En conséquence, la demande de contrôle judiciaire ne peut être reçue sur la base de ce premier argument.

[8]         Le deuxième motif sur lequel l'avocat s'est fondé pour demander le contrôle judiciaire porte que l'agent des visas a commis une erreur de droit en n'évaluant pas M. Madan pour la profession de comptable, profession qui ressortait clairement de son expérience de travail. Afin d'évaluer cet argument, il est nécessaire d'examiner plus à fond le contexte de cette affaire.

[9]         Les notes CAIPS de l'agent des visas, probablement rédigées peu de temps après l'évaluation de la demande de M. Madan, portent que :

                        [traduction]

Le demandeur fait un peu de comptabilité. Toutefois, il ne rencontre pas les FEF prévus pour un comptable.

[10]       J'en déduis que l'agent des visas a songé à évaluer M. Madan par rapport à la profession de comptable. Ceci ne serait pas surprenant, compte tenu des lettres des employeurs présentées avec la demande.

[11]       Ainsi, une des lettres de référence le décrivait comme [traduction] « chef comptable/gérant adjoint pour l'un de nos clients, M.T.C. Ltd. » . Une lettre en provenance de M.T.C. Ltd. confirme que [traduction] « l'emploi principal » de M. Madan était celui de chef comptable, et elle souligne [traduction] « son exactitude et son efficacité en comptabilité » . Une troisième lettre, écrite en 1979 au nom d'une compagnie en Inde pour laquelle M. Madan travaillait alors, déclare qu'il y travaillait comme comptable : [traduction] « il est responsable de finaliser les comptes jusqu'à la préparation des bilans annuels, états des profits et pertes, rapprochements bancaires, et comptes particuliers » .

[12]       Je déduis aussi des notes CAIPS que l'agent des visas a décidé de ne pas évaluer la demande de façon formelle par rapport à la profession de comptable, puisque M. Madan n'avait pas le niveau d'études et de formation prévu dans la CNP pour cette profession. Cette déduction s'appuie sur la déclaration que l'on trouve dans l'affidavit de l'agent des visas portant [traduction] « qu'il avait noté que M. Madan n'avait pas de diplôme en comptabilité » .

[13]       Dans le même affidavit, l'agent des visas a aussi déclaré, après avoir conclu que les fonctions de M. Madan ne correspondaient pas à celles d'un directeur financier,

                        [traduction]

J'ai comparé la définition [des fonctions d'un directeur financier] avec celle de comptable (CNP 1111), et constaté que l'expérience du demandeur correspond à celle d'un comptable. Toutefois, ni le demandeur ni son avocat ne m'ont demandé d'évaluer la demande face aux exigences de la profession de comptable. De plus, la profession de directeur financier n'est pas similaire à celle de comptable.

En d'autres mots, l'agent des visas n'a pas évalué le demandeur comme comptable parce qu'on ne lui avait pas demandé et parce que la profession de comptable n'est pas similaire à celle de directeur financier.

[14]       Il faut noter un autre fait ici. On trouve en annexe à la demande de visa présentée au nom de M. Madan par Sun Enterprises Inc. de Toronto, la note suivante, que je crois avoir été écrite par la personne chez Sun qui a présenté la demande :

                        [traduction]

                             PROFESSION VISÉE : DIRECTEUR FINANCIER

                                                                   SUPPLÉMENT À L'ARTICLE 17

Compte tenu des fonctions du demandeur, de son expérience, et de ses études et formation, je présente cette demande sous la catégorie de directeur financier - puisqu'on constate dans la lettre de refus qu'il avait été évalué sous le chef « fonctions de comptable en général » . Nous sommes confiants que la justification présentée sous la nouvelle catégorie de « directeur financier » est bien motivée.

« L'article 17 » renvoie à l'endroit sur la demande de visa où le demandeur doit indiquer quelle est sa « profession visée au Canada » .

[15]       Comme la note de Sun l'indique, M. Madan avait déjà présenté, auprès de l'ambassade du Canada en Arabie Saoudite, une demande de visa qui a été rejetée.

[16]       Il ressort clairement de la lettre de décision préparée par l'agent des visas suite à la demande de M. Madan que ce dernier se présentait alors sous la profession de « comptable en général » . Il y a peu de points d'appréciation accordés pour cette profession, tant sous le chef de la demande professionnelle que sous celui de la préparation professionnelle spécifique. À ce moment-là, l'agent des visas a aussi évalué la demande de M. Madan vis-à-vis la profession similaire de « teneur de livres » , pour laquelle le demandeur avait des qualifications et de l'expérience. Toutefois, le demandeur n'a pas reçu le nombre suffisant de points d'appréciation pour obtenir une décision favorable dans aucune de ces deux professions. Sa demande a été rejetée.

[17]       L'avocat présente deux arguments en se fondant sur ces faits. Premièrement que si, dans la mesure où les notes CAIPS l'indiquent, l'agent des visas a évalué la profession de comptable et conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux facteurs études et formation, il a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions pertinentes de la CNP. Deuxièmement que si, comme l'affidavit de l'agent des visas semble l'indiquer, ce dernier n'a pas évalué la demande vis-à-vis la profession de comptable parce que le demandeur ne l'avait pas mentionné, il a commis une erreur de droit parce que cette profession est comprise dans l'expérience de travail de M. Madan.

1. Les comptables et les FEF

[18]       La profession pertinente dans la CNP est « 1111 - Vérificateurs et comptables » . On donne les exemples suivants de titres qui font partie de ce groupe :

Comptable, Comptable agréé (C.A.), Comptable général licencié (C.G.A.), Comptable en management accrédité (C.M.A.), Vérificateur, Vérificateur interne.

[19]       L'article 1111 précise les conditions d'accès à la profession pour un C.A., un C.G.A., un C.M.A. et pour les vérificateurs. Il n'y a pas d'exigence précise pour les comptables en tant que tels.

[20]       L'article 1111.2, « Comptables » , donne sous la rubrique « Études/formation » les chiffres suivants : « 5+, 6+, 7+ R » . Ces chiffres se rapportent aux programmes de formation professionnelle ou spécialisée (5), aux diplômes d'études collégiales ou techniques (6), et aux diplômes d'études universitaires de premier cycle (7). Le « + » indique qu'il y a des exigences additionnelles en sus des études et de la formation, notamment une large expérience et des capacités avérées. « R » veut dire qu'il y a des exigences réglementaires visant ce groupe.

[21]       L'avocat du demandeur soutient qu'il n'y a aucun FEF dans la CNP pour les comptables. Le demandeur aurait droit à un 7+ pour les FEF pertinents (baccalauréat, large expérience et capacités avérées). Par conséquent, l'agent des visas a commis une erreur de droit en concluant que M. Madan ne répondait pas aux FEF prévus pour un comptable et qu'en conséquence il ne pouvait tenir compte de l'expérience de travail de ce dernier.

[22]       Je ne suis pas convaincu que c'est la seule interprétation qu'on puisse donner aux dispositions pertinentes de la CNP. Le fait qu'il n'y a pas de FEF pour les comptables peut simplement vouloir dire que « comptable » est un terme générique recouvrant les professions spécifiques dont on trouve la liste à l'article 1111 (C.A., C.G.A. et C.M.A.), et qu'il n'y aurait donc pas de profession de comptable simpliciter. Ceux dont le travail comprend de la comptabilité, mais qui n'ont pas le titre de C.A., C.G.A. ou C.M.A., peuvent demander à être évalués sous les catégories de la CNP de « comptable en général » ou « teneur de livres » , comme le demandeur l'avait fait dans sa première demande de visa.

[23]       Cette interprétation de la CNP indique que l'agent des visas avait raison de conclure que le demandeur ne répondait pas aux FEF prévus pour un comptable. Ceci parce que M. Madan n'était pas accrédité au sein d'une des trois professions nommées dans la catégorie générique de comptable. Si dans son affidavit l'agent des visas a voulu dire que M. Madan ne se qualifiait pas comme comptable parce qu'il n'avait pas un diplôme universitaire en comptabilité, je crois que son interprétation de la CNP n'est pas juste.

[24]       De toute façon, les agents des visas ont un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu'il s'agit de déterminer si un demandeur répond aux critères pour une profession donnée, y compris dans leur interprétation des dispositions de la CNP. Leur connaissance et leur compréhension de ce document est au moins égale, sinon supérieure, à celle du tribunal chargé du contrôle.

[25]       De plus, bien que la CNP soit intégrée par référence au Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, en vertu du paragraphe 8(1) et de l'annexe I, elle n'a pas été conçue pour fixer les droits et devoirs en droit et elle n'est donc pas rédigée dans un style juridique. Par conséquent, lorsqu'on la soumet à une analyse juridique, ses dispositions seront souvent jugées être ambiguës ou vagues, comme en l'instance.

[26]       Par conséquent, l'agent des visas n'aurait commis une erreur de droit en concluant que le demandeur ne répondait pas aux FEF pour les comptables que si cette décision était déraisonnable, ou manifestement déraisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.S.C., motifs du 9 juillet 1999). Compte tenu de la rédaction ambiguë du texte et de la nature technique et non juridique des questions qui y sont traitées, ainsi que du fait que le demandeur peut toujours présenter une nouvelle demande, je ne peux qualifier la conclusion de l'agent des visas de si déraisonnable qu'elle constituerait une erreur de droit justifiant l'annulation de la décision de rejeter la demande de visa.

2. L'obligation d'évaluer pour d'autres professions

[27]       Le deuxième argument de l'avocat du demandeur est que l'agent des visas a commis une erreur de droit parce qu'il n'a pas évalué pleinement la demande en ne considérant pas la profession de comptable. Le demandeur avait des qualifications et de l'expérience dans cette profession, et elle est comprise dans son expérience de travail.

[28]       Évidemment, cette question ne peut être soulevée que si l'agent des visas n'a pas évalué le demandeur vis-à-vis la profession de comptable, et que si le terme « comptable » recouvre une profession distincte dans la CNP. Aux fins de la discussion, je présumerai que l'on peut évaluer quelqu'un vis-à-vis la catégorie professionnelle générique de comptable.

[29]       Comme je l'ai indiqué plus tôt, une lecture des notes CAIPS peut indiquer que l'agent a évalué cette profession, mais qu'il n'a pas été plus loin compte tenu de sa conclusion que le demandeur ne satisfaisait pas aux FEF prévus. Il est néanmoins possible de déduire de l'affidavit de l'agent des visas que ce dernier n'a pas fait d'évaluation vis-à-vis cette profession, puisqu'il a déclaré que ni le demandeur ni son avocat n'avait mentionné qu'il voulait que la demande soit évaluée vis-à-vis la profession de comptable. L'agent des visas a aussi déclaré que cette profession n'est pas similaire à celle de directeur financier.

[30]       Comme les avocats l'ont admis, la jurisprudence en cette cour vient appuyer le point de vue suivant et son contraire, savoir que les agents des visas ont l'obligation en droit d'évaluer une demande en tenant compte de toute profession comprise dans l'expérience de travail du demandeur et pour laquelle ce dernier a des qualifications et de l'expérience, même si ladite profession n'a pas été indiquée dans la case « profession visée » du formulaire de demande et que le demandeur n'a jamais mentionné à l'agent qu'il voulait qu'on la prenne en considération.

[31]       À mon avis, l'agent des visas n'a pas commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour en ne faisant pas une évaluation complète de la demande vis-à-vis la profession de comptable. Premièrement, comme je l'ai déjà dit, l'agent des visas a conclu que le demandeur n'avait pas les FEF prévus pour cette profession. Il aurait donc été inutile qu'il aille plus loin.

[32]       Deuxièmement, le représentant du demandeur a clairement indiqué dans la note attachée au formulaire de demande de visa que ce dernier demandait à être évalué vis-à-vis la profession de directeur financier et non celle de comptable en général, profession que le demandeur avait indiqué viser dans sa demande antérieure qui a été rejetée.

[33]       Dans les circonstances, on ne peut décrire comme déraisonnable le fait que l'agent des visas a présumé que le demandeur avait fait un choix délibéré d'être évalué dans une profession autre que la comptabilité. Par conséquent, il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que l'agent fasse une évaluation que le demandeur ne semblait pas rechercher, même si l'agent des visas considérait que le travail du demandeur avait un contenu de comptabilité.

[34]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                    John M. Evans

                                                                                                                                       JUGE                      

TORONTO (ONTARIO)

Le 29 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier



                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                Noms des avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :        IMM-4248-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :ANIL KUMAR MADAN

            et

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :        LE MERCREDI 28 JUILLET 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                                                             JEUDI 29 JUILLET 1999

ONT COMPARU :                                                     M. Harvey Savage

                                                                                                pour le demandeur

                                                                                    M. Michael Beggs

                                                                                                pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                   Harvey Savage

                                                                                    Barrister & Solicitor

                                                                                    393, ave. University,

                                                                                    pièce 2000

                                                                                    Toronto (Ontario)

                                                                                    M5G 1E6

            pour le demandeur

                                                                                  Morris Rosenberg

                                                                                    Sous-procureur général du Canada

                                                                                                pour le défendeur


                                                                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                  Date : 19990729

                                                           

                                                                                                                       Dossier : IMM-4248-98

                                                                        Entre :

                                                            ANIL KUMAR MADAN,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                        et

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                            défendeur.

                                               

                                                                                                                              

                 

                                                                                                                                                                                                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                

           

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