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Date : 20040507

Dossier : IMM-1909-03

Référence : 2004 CF 677

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                        ANGELICA QUINTANAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), le 10 mars 2003, a conclu que la demanderesse, qui faisait soi-disant l'objet de mauvais traitements de la part de son ami criminel avec lequel elle vivait à Mexico, n'est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce que la preuve qu'elle a présentée n'était pas digne de foi et parce qu'elle avait à sa disposition une protection de l'État adéquate au Mexique.


LES FAITS

[2]                La demanderesse, citoyenne du Mexique qui était alors âgée de 29 ans est entrée au Canada le 16 mai 2002 et a présenté une demande d'asile le 23 mai 2002. Elle fonde sa demande sur son appartenance à un groupe social, celui des femmes qui font l'objet de mauvais traitements de la part de leur conjoint. Elle prétend qu'elle a été maltraitée physiquement, psychologiquement et sexuellement par son ancien amoureux, Edgar Colin, durant une relation qui a commencé en 1998 et à laquelle elle a mis fin au début d'avril 2002. Elle prétend en outre que M. Colin appartient à un gang qui fait des enlèvements et qui vend de la drogue. Elle craint que M. Colin ou l'un des membres de son gang essaie de la tuer si elle retourne au Mexique parce qu'elle en sait trop au sujet de leurs activités criminelles et parce qu'il est obsédé par elle.

[3]                La demanderesse prétend que le 24 avril 2001, M. Colin a organisé l'enlèvement de sa soeur et de son beau-frère afin de la forcer à reprendre leur relation. La demanderesse prétend que sa soeur et son beau-frère ont été libérés tôt le matin suivant leur enlèvement après qu'elle se fut pliée à la demande de M. Colin. Elle prétend que sa soeur et son beau-frère ont été battus et torturés par leurs ravisseurs et que l'une des conditions de leur libération était qu'eux et les membres de la famille se présentent tous au poste de police le lendemain pour déclarer qu'ils étaient en sécurité et qu'aucun crime n'avait été commis. Il appert que l'enlèvement a été mentionné dans les parutions du 25 avril 2001 de deux journaux mexicains, La Segunda et El Excelsior.

[4]                À la suite du présumé enlèvement, aucun des membres de la famille de la demanderesse n'a essayé de signaler aux policiers les activités criminelles de M. Colin, de même que son comportement soi-disant menaçant envers la demanderesse. La demanderesse a continué à vivre avec M. Colin pendant une autre année avant de quitter le Mexique. Elle prétend que depuis son départ, M. Colin s'est informé de ses allées et venues, mais qu'il n'a pas tenté de faire du mal aux membres de sa famille au Mexique.

[5]                En rejetant la demande, la Commission a conclu que bien que la prétention de violence familiale faite par la demanderesse soit vraisemblable, son témoignage à l'égard des événements qui avaient suivi le présumé enlèvement n'était pas digne de foi. En particulier, la Commission n'a pas cru que la soeur de la demanderesse avait été enlevée par M. Colin afin de forcer la demanderesse à reprendre leur ancienne relation. À la page 3 de ses motifs, la Commission a déclaré ce qui suit :

Toutefois, le tribunal ne conclut pas que le témoignage de la demandeure d'asile portant sur son comportement après lvénement important du 24 avril est digne de foi. De l'avis du tribunal, il n'est pas raisonnable de croire qu'après un événement aussi grave qu'un enlèvement de la soeur et du beau-frère de la demandeure d'asile au cours duquel ils ont étésauvagement battus, sa famille accepterait que la demandeure d'asile retourne vivre avec ce criminel connu.

La demandeure d'asile s'est fait demander en long et en large pourquoi sa famille donnerait son accord à cette situation et le tribunal estime que ses explications ne sont pas dignes de foi. Il ne semble pas raisonnable de croire que sa famille l'inciterait à se sacrifier pour leur sécurité.

[6]                La Commission n'a pas cru non plus que les policiers n'auraient rien fait après avoir pris connaissance de ce qui semblait être une véritable preuve d'un enlèvement. À la page 5 de ses motifs, la Commission déclare ce qui suit :


Rafael s'est fait raser la tête et les sourcils pendant son enlèvement. Le tribunal estime qu'il est déraisonnable de croire que des gens qui avaient été battus et, au dire de la demandeure d'asile, torturés pendant un certain nombre d'heures, et que Rafael, avec sa nouvelle apparence, parviendraient à persuader la police, seulement quelques heures plus tard, qu'ils étaient corrects, qu'ils n'avaient pas ététraumatisés et qu'ils n'avaient pas étévictimes d'un enlèvement. La demandeure d'asile n'a fourni aucune preuve documentaire à l'appui de son affirmation qu'un rapport avait été fait à la police ou retiré. Le tribunal conclut qu'il n'est pas raisonnable de croire, même dans le contexte mexicain, que la police n'aurait pas certains doutes compte tenu du fait qu'elle a reçu des renseignements sur des voitures et des hommes armés et sur un soi-disant enlèvement, et que les détails d'un enlèvement étaient parvenus au journal local.

[7]                La Commission a en outre conclu que le témoignage de la demanderesse à l'égard de la détermination de M. Colin à faire du mal à sa famille, afin de la forcer à rester avec lui, était contradictoire. La Commission mentionne ce qui suit à la page 6 :

Toutefois, la demandeure d'asile a témoigné que de son départ du Mexique le 16 mai 2002 à aujourd'hui, plus de neuf mois plus tard, rien n'a prouvéque Edgar a fait des tentatives de porter préjudice à des membres de sa famille pour tenter de la convaincre de retourner avec lui.

Le tribunal ne conclut pas qu'il s'agit d'une preuve de poursuite déterminée ou d'intention déterminée de porter préjudice à la famille de la demandeure d'asile pour la convaincre de vivre avec lui.

[8]                Finalement, la Commission a conclu que la demanderesse, même si son témoignage à l'égard du comportement de son conjoint était digne de foi, n'avait pas réussi à réfuter la présomption selon laquelle l'État offre une protection parce que la corruption au Mexique n'est pas répandue au point qu'on ne se soit pas attendu à ce que la demanderesse fasse au moins des efforts pour obtenir de la protection. À la page 8, la Commission déclare ce qui suit :

                Toutefois, le Mexique est un État démocratique, qui contrôle son territoire, et il existe une présomption de protection accordée par ltat.


La preuve documentaire révèle que d'importantes mesures ont été prises au Mexique pour améliorer le taux d'arrestation et de condamnation dans les cas de violence faite aux femmes. Elle indique également que les policiers suivent une formation, que des modifications importantes sont apportées à la loi concernant la criminalisation des voies de fait sur les femmes, et que les policiers sont davantage enclins à donner suite aux plaintes dans les situations de séparation ou de divorce. La violence familiale constitue un problème contre lequel le gouvernement mexicain lutte efficacement en prenant diverses mesures.

[...]

[...] Toutefois, la preuve documentaire citée par le conseil, indique effectivement que les forces policières de la ville de Mexico ont participé activement à poursuivre les policiers corrompus d'autres régions pour leur implication dans des activités comme des enlèvements. Ltendue de la corruption à Mexico n'est pas telle que l'on ne s'attende pas à ce que la demandeure d'asile n'a pas au moins fait des efforts pour avoir accès à la protection de ltat qui est accessible.

En conséquence, la preuve documentaire révèle que ltat du Mexique prend des mesures pour régler ces problèmes de violence faite aux femmes et de corruption policière. Il existe différents niveaux de forces policières auxquels la demandeure d'asile aurait pu faire appel si un rapport à la police locale n'avait pas ététraité avec satisfaction et la demandeure d'asile a omis de faire cette démarche.

ANALYSE

[9]                Les questions en litige suivantes sont soulevées dans la présente demande :

(1)         La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables sur lesquelles elle s'est fondée pour conclure que la demanderesse n'était pas digne de foi?

(2)        La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'appliquer ses directives intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe), ou de les mentionner, lors de l'examen de la preuve présentée par la demanderesse?

(3)        La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle l'État offre une protection adéquate aux femmes qui comme la demanderesse font l'objet de mauvais traitements au Mexique?


La position de la demanderesse

[10]            La demanderesse prétend que la Commission a omis d'examiner ses explications en prenant en compte ses Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La demanderesse fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte de la culture mexicaine et du fait qu'il était accepté que les femmes subissent de la violence. La demanderesse prétend que la Commission a montré une conception fondamentalement erronée du [TRADUCTION] « syndrome de l'épouse maltraitée » lorsqu'elle a rejeté sa crédibilité. La demanderesse prétend que la corruption policière est la norme dans la société mexicaine et que sa sécurité ne peut pas être assurée au Mexique. Elle fait valoir que la preuve documentaire démontre que des fonctionnaires de haut rang dans les forces policières font partie du gang « El Mocha Orejas » , auquel appartient son conjoint, et protègent ce gang.

La position du défendeur

[11]            Le défendeur prétend que la Commission peut rejeter des explications qu'elle juge ne pas être dignes de foi en se fondant sur des incohérences, des contradictions ou des invraisemblances. Le défendeur prétend que la Commission a énoncé des motifs suffisants pour le rejet de la crédibilité de la demanderesse et a correctement conclu que la demanderesse n'avait pas réussi à réfuter la présomption selon laquelle l'État offrait une protection.


La première question en litige - Les conclusions de fait pertinentes à la crédibilité

La Commission n'estimait pas que la preuve de la demanderesse à l'égard de plusieurs aspects de son récit, par exemple à l'égard de ce qui suit, était digne de foi :

1.         Pourquoi le membre de la famille de Rafael (le beau-frère) qui avait au départ signalé l'enlèvement aux policiers consentirait-il à dire aux policiers le lendemain qu'il n'y avait pas eu d'enlèvement ou comment Rafael qui avait été battu, torturé et dont les cheveux et les sourcils avaient été rasés, serait-il capable de convaincre les policiers quelques heures plus tard qu'il n'était pas la victime d'un crime?

2.          Comment la demanderesse pouvait-elle être totalement sous la maîtrise d'Edgar alors qu'il était absent de l'appartement pendant environ dix jours chaque mois (soi-disant pour des transactions de stupéfiants)?

3.          Comment la demanderesse avait-elle pu quitter Edgar et le Mexique le 16 mai 2002 si elle croyait qu'il était déterminé à faire du mal aux membres de sa famille si elle le quittait? En fait, la preuve démontre qu'Edgar n'a eu aucune communication menaçante avec les membres de la famille depuis le départ de la demanderesse;


4.          Comment Edgar pouvait-il encore vivre dans l'appartement du père de la demanderesse, sans avoir payé de loyer depuis qu'elle était arrivée au Canada en mai 2002, et pourquoi le père, qui n'avait que des revenus de sa pension, n'aurait-il pris aucune mesure pour au moins savoir si Edgar vit toujours dans l'appartement ou si l'appartement est vacant?

Les motifs ayant conduit à la conclusion selon laquelle la demanderesse n'est pas digne de foi sont fondés sur les inférences de la Commission selon lesquelles ces faits sont peu vraisemblables. Des conclusions quant à la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire quand les faits allégués débordent le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s'attendre. Voir la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7, M. le juge Muldoon. Je n'ai pas à trancher la question de savoir si ces conclusions quant à l'invraisemblance sont erronées parce que je suis d'avis que le principal motif pour lequel la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi était son récit à l'égard de l'enlèvement, notamment quant à la réaction des membres de la famille à l'enlèvement. C'est l'événement important à l'égard de l'appréciation de la crédibilité de la demanderesse effectuée par la Commission.

[12]            Premièrement, la Commission ne croyait pas que l'enlèvement n'aurait pas été signalé aux policiers et que le conjoint de la demanderesse n'aurait pas été poursuivi par les membres de sa famille. La Commission a conclu qu'il n'était pas raisonnable de croire que les membres de la famille de la demanderesse lui auraient permis de retourner vivre avec son conjoint afin qu'eux soient protégés. À cet égard, la Commission n'a pas cru le récit de l'enlèvement parce que les membres de la famille de la demanderesse, non la demanderesse, n'avaient pas poursuivi les démarches quant à l'enquête policière se rapportant à l'enlèvement. La Commission a déclaré ce qui suit à la page 3 de ses motifs :


[...] De l'avis du tribunal, il n'est pas raisonnable de croire qu'après un événement aussi grave qu'un enlèvement de la soeur et du beau-frère de la demandeure d'asile au cours duquel ils ont étésauvagement battus, sa famille accepterait que la demandeure d'asile retourne vivre avec ce criminel connu.

       La demandeure d'asile s'est fait demander en long et en large pourquoi sa famille donnerait son accord à cette situation et le tribunal estime que ses explications ne sont pas dignes de foi. Il ne semble pas raisonnable de croire que sa famille l'inciterait à se sacrifier pour leur sécurité.[Non souligné dans l'original.]

Cette conclusion est un rapport inexact du témoignage de la demanderesse. Son témoignage établissait que les membres de sa famille ne voulaient pas qu'elle retourne vivre avec son conjoint. La demanderesse a témoigné qu'ils [TRADUCTION] « n'avaient jamais consenti » à ce qu'elle retourne auprès d'Edgar après l'enlèvement, mais qu'elle pensait que ce serait plus facile pour elle de retourner auprès d'Edgar et de le calmer. Par conséquent, la conclusion selon laquelle « sa famille l'inciterait à se sacrifier pour leur sécurité » est clairement erronée et manifestement déraisonnable.

[13]            Deuxièmement, la Commission a déclaré que le récit de la demanderesse comportait des « contradictions internes » . La Commission a déclaré ce qui suit aux pages 3 et 4 de ses motifs :

Le témoignage de la demandeure d'asile recelait des contradictions internes concernant la réaction et la motivation de sa soeur. Dans son Formulaire de renseignements personnels, la demandeure d'asile mentionne que lorsqu'elle parlait à sa soeur au téléphone pendant l'enlèvement, celle-ci pleurait, mais a dit à la demandeure d'asile de ne pas céder aux exigences ou au chantage d'Edgar. [...]

Toutefois, dans son témoignage de vive voix, la demandeure d'asile fait valoir que sa soeur et le reste de sa famille étaient assez prêts à permettre à la demandeure d'asile de retourner avec Edgar pour les protéger. La demandeure d'asile n'a pu expliquer cette contradiction inhérente de façon satisfaisante, sa seule explication étant qu'elle a dit à sa famille qu'elle pouvait s'occuper d'Edgar. [Non souligné dans l'original.]


En fait, la demanderesse a témoigné que les membres de sa famille [TRADUCTION] « n'avaient jamais consenti » à ce qu'elle retourne vivre avec Edgar après l'enlèvement. Elle a témoigné qu'il était plus facile pour elle de continuer à vivre avec Edgar et de [TRADUCTION] « le calmer » que de signaler Edgar aux policiers et de subir des représailles de sa part. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle les membres de la famille étaient « assez prêts à permettre à la demandeure d'asile de retourner avec Edgar » est manifestement déraisonnable, comme l'est la conclusion selon laquelle le récit de la demanderesse comportait des « contradictions internes » .

[14]            J'ai conclu que ces deux conclusions de fait manifestement déraisonnables sont d'une importance primordiale et surpassent les quatre autres motifs pour lesquels la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi. Le récit de l'enlèvement est le pivot de la crédibilité de la demanderesse. Parfois, la vérité est plus étrange que la fiction. Par conséquent, la conclusion quant à la crédibilité tirée par la Commission est fondée sur deux conclusions de fait manifestement déraisonnables et requiert qu'il soit statué à nouveau sur l'affaire.

Deuxième question en litige - Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[15]            Devant la Commission, la demanderesse n'a pas soulevé les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne créent pas un nouveau motif permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Elles requièrent que la Commission soit attentive aux facteurs y énoncés qui peuvent expliquer les réactions d'une femme qui fait l'objet de mauvais traitements.

[16]            Bien qu'elle n'ait pas mentionné les Directives dans sa décision, j'ai examiné la décision afin d'établir si la Commission était consciente du fait que les femmes qui font l'objet de mauvais traitements ne signalent pas aux policiers le fait qu'elles sont battues et les autres crimes commis par leur conjoint par crainte de représailles. J'ai en outre examiné la question de savoir si la Commission était consciente de l'empressement qu'ont les femmes qui font l'objet de mauvais traitements à retourner auprès de leur persécuteur. Il appartient à la Commission de montrer qu'elle a des connaissances spéciales à l'égard de la persécution fondée sur le sexe et de les appliquer d'une manière compréhensive et sensible lorsqu'elle traite de questions liées à la violence familiale. Voir les décisions Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 F.T.R. 294 (1re inst.), et Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 171 F.T.R. 240 (1re inst.). Dans la présente affaire, les principales conclusions de fait se rapportent à la réaction des membres de la famille auxquels les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne s'appliquent pas. Par conséquent, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis une erreur en omettant d'appliquer ou de mentionner ces Directives lorsqu'elle a apprécié la preuve.

Troisième question en litige - La disponibilité de la protection de l'État


[17]            Le tribunal a conclu que la demanderesse n'a pas réfuté la présomption selon laquelle l'État offre une protection et selon laquelle la preuve documentaire à l'égard du Mexique révèle qu'il y a eu d'importantes mesures mises en oeuvre au Mexique en vue d'augmenter le taux d'arrestations et de condamnations des hommes qui font subir de mauvais traitements aux femmes. La demanderesse a prétendu devant la Cour que cette conclusion de fait était manifestement déraisonnable, c'est-à-dire que la preuve démontre qu'aucune [TRADUCTION] « mesure importante n'a été mise en oeuvre au Mexique en vue d'augmenter le taux d'arrestations et de condamnations des hommes qui font subir de mauvais traitements aux femmes » . Les deux parties ont renvoyé la Cour aux mêmes documents qui n'appuient pas la conclusion de la Commission. Par exemple, l'élément de preuve auquel les deux parties ont renvoyé la Cour démontre que, en date du 21 juillet 2001, le centre qui s'occupe de la violence dans la famille au bureau du procureur général du district fédéral [TRADUCTION] « avait fourni à 13 822 victimes de l'aide médicale, psychologique et juridique; cependant, seulement 16 de ces cas ont fait l'objet de poursuites » . La preuve documentaire démontre que les policiers ne protègent pas les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique et ne poursuivent pas les responsables de tels traitements.

[18]            Je suis d'avis que la demanderesse a présenté suffisamment de preuve pour réfuter la présomption selon laquelle il existe une protection de l'État adéquate pour les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique. J'ai invité le défendeur à présenter après l'audience des éléments de preuve démontrant qu'il existe une protection de l'État adéquate, mais il a simplement renvoyé la Cour à la preuve documentaire qui confirmait que les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique n'obtiennent pas une protection adéquate des policiers. Par conséquent, la décision de la Commission à l'égard de la disponibilité de la protection de l'État doit être annulée.


La possibilité de refuge intérieur

[19]            La Commission n'a tiré aucune conclusion à l'égard de la question de savoir si la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans l'une des villes principales au Mexique. La demanderesse est une jeune femme qui a fait des études universitaires et elle pourrait trouver un emploi. Un nouveau tribunal de la Commission doit décider si la demanderesse a une PRI raisonnable ou si elle a, si on croit qu'elle entretient une relation amoureuse avec un criminel, une crainte légitime de n'être en sécurité nulle part au Mexique.

DÉCISION

[20]            Compte tenu de mes conclusions, la présente affaire sera renvoyée à la Commission à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue sur :

1.          la crédibilité de la demanderesse en prenant en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe;

2.          la question de savoir si le Mexique offre une protection de l'État adéquate aux femmes qui subissent des agressions et qui font l'objet de mauvais traitements de la part de leur époux ou de leur conjoint de fait;

3.         la question de savoir si la demanderesse a une possibilité de refuge intérieur raisonnable au Mexique qui ferait qu'elle n'ait pas à demander l'asile au Canada.

QUESTION CERTIFIÉE

[21]            L'avocate de la demanderesse a proposé la question suivante aux fins de la certification :


[TRADUCTION]

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a omis de mentionner expressément ses Directives à l'égard des « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » ?

Cette question ne serait pas déterminante dans la présente demande compte tenu de ma décision selon laquelle la Commission a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables indépendamment de ces Directives. Pour ce motif, la question proposée ne sera pas certifiée. Les parties n'ont pas proposé une autre question aux fins de la certification. La Cour partage l'opinion des parties selon laquelle la présente affaire ne soulève aucune autre question aux fins de la certification.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1909-03

INTITULÉ :                                        ANGELICA QUINTANAR

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 26 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Julie Taub                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Sonia Barrette                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Julie Taub

Ottawa (Ontario)                                               POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)                                               POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040507

                                            Dossier : IMM-1909-03

ENTRE :

ANGELICA QUINTANAR                     

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 


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