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Date : 20050602

Dossier : T-378-04

Référence : 2005 CF 798

 

ENTRE :

 

ROBERT A. READ

demandeur

                                                                             

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]        La présente espèce porte sur la « défense de dénonciation » : les circonstances dans lesquelles un employé peut publiquement critiquer son employeur sans subir de représailles. En l'espèce, le dénonciateur est un agent de police, un membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC).

 


[2]        Robert Allan Read s'est engagé dans la GRC à Regina en 1975. Dans le cadre de cet événement important, il a non seulement reconnu être assujetti à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et à ses règlements dapplication, mais il a aussi prêté trois serments. Il a prêté un serment d'allégeance. Il a prêté un serment professionnel et un serment du secret. Il a juré de garder le secret absolu sur tous les renseignements et informations auxquels il avait accès en raison de son emploi et de n’en discuter avec personne, que ce soit oralement ou par écrit, sans y être autorisé.

 

[3]         Vingt-cinq ans plus tard, il a été accusé d’avoir désobéi à l’ordre licite de ne pas discuter avec les médias d’une enquête concernant des activités criminelles dont on soupçonnait l’existence à la section d’immigration de la mission canadienne à Hong Kong. Non seulement a-t-il discuté de ce dossier avec la presse, la radio et la télévision, mais il a révélé des secrets en leur fournissant des documents et des renseignements protégés.

 

[4]         Il a été allégué que le demandeur s’était comporté d’une façon scandaleuse qui a jeté le discrédit sur la Gendarmerie, ce qui contrevient au code de déontologie de la GRC.

 

[5]         En défense, le demandeur a prétendu n’avoir commis aucun acte illicite et être toujours resté fidèle à ses serments. Il aurait désobéi à l’ordre de ne pas s’adresser au public parce que cet ordre était illégal. Son officier supérieur était un criminel qui tentait de cacher des fautes et une incompétence graves au sein de Citoyenneté et Immigration Canada, des Affaires extérieures et de la GRC elle-même.

 


[6]          Le demandeur pensait que des éléments criminels s’étaient introduits dans le système informatique à Hong Kong et étaient en mesure de délivrer de faux visas. Notre sécurité nationale était en jeu, mais la GRC ne faisait rien pour corriger la situation. Ce n’est qu’en dernier recours que le demandeur a parlé aux médias dans l’intérêt public, pour mettre fin à cette situation inacceptable et traduire les responsables devant la justice.

 

[7]          Le caporal Read est-il un dénonciateur ou un employé déloyal?

 

[8]          En raison de la longueur des présents motifs, j’ai préparé la table des matières suivante :

 

TABLE DES MATIÈRES

1.              La décision contestée                                                                            par. 9

2.              Les faits                                                                                                par. 13 à 41

A.                 La première enquête : 1991 – 1992                                          par. 13

B.                 La deuxième enquête : 1993 – 1994                                         par. 22

C.                 La troisième enquête : 1995 – 1999                                          par. 24

D.                 La version des faits du caporal Read                                         par. 29

3.              Les questions en litige                                                               par. 42

4.              Le contrôle judiciaire                                                                            par. 43 à 59

A.                 Le fondement législatif                                                   par. 43

i)                    La Loi sur les Cours fédérales

ii)                   La Loi et le Règlement sur la GRC


B.                 La norme de contrôle judiciaire                                     par. 57

5.              La défense de dénonciation                                                                   par. 60 à 134

A.        L’arrêt Fraser c. Canada                                                        par. 60

B.         La Charte canadienne des droits et libertés                           par. 65

C.        L’empêchement d’accomplir le travail                           par. 68

D.                 La santé et la sécurité                                                                par. 69

E.                  Les actes illégaux du gouvernement                                           par. 70

i)          La GRC

ii)         Citoyenneté et Immigration Canada

iii)         Le fardeau de la preuve

F.                  L’intérêt public légitime                                                 par.105

G.                 Le préjudice causé à l’employeur                                              par. 118

H.                 Le délai d’exercice des recours                                     par. 123

i)                    Les recours internes disponibles

ii)                   La provocation

iii)         Les obligations des agents de la paix

6.              Les peines                                                                                            par. 135

7.              Conclusion                                                                                           par. 142

 


1. LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]          Un comité d'arbitrage interne de la GRC a conclu que le caporal Read avait contrevenu au code de déontologie qui fait partie du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada et a sanctionné ce dernier en le congédiant de la Gendarmerie. Le comité a statué que la défense de dénonciation ne s’appliquait pas. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant le commissaire.

 

[10]        Le dossier a ensuite été examiné par le Comité externe d’examen, qui a recommandé que l’appel du caporal Read soit accueilli. Les divulgations faites par le demandeur présentaient un intérêt public légitime puisque, pendant sept ans, la GRC n’a pas pris les mesures nécessaires pour établir si des employés de la mission à Hong Kong avaient commis une fraude en matière d'immigration.

 

[11]        Le commissaire Zaccardelli n'a pas été saisi de l’appel parce qu’il était déjà intervenu dans l'affaire. L’appel a donc été entendu par le commissaire adjoint Tom Killam, l’officier ayant le grade le plus élevé qui n’avait pas été impliqué personnellement dans le dossier.

 


[12]        Le commissaire adjoint Killam a rejeté les recommandations du Comité externe d’examen. Il a souscrit aux conclusions de fait du comité d’arbitrage et estimé que le Comité externe d’examen s’était livré à une nouvelle appréciation de la preuve. Son interprétation de la défense de dénonciation divergeait tant de celle du comité d’arbitrage que de celle du Comité externe d’examen. Il a toutefois conclu que cette défense ne s’appliquait pas, a convenu avec le comité d’arbitrage que le caporal Read avait contrevenu au code de déontologie et a confirmé le congédiement. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 

2. LES FAITS

 

A. La première enquête : 1991-1992

 

[13]        La GRC est intervenue dans ce dossier en 1991 et le caporal Read en 1996. En 1991, la GRC a eu connaissance de quatre incidents inquiétants :

a) Un couple avait reçu un appel téléphonique de la part de deux femmes qui s’étaient identifiées comme des employées de la mission et avaient offert d’accélérer le traitement de sa demande d’immigration au Canada en échange d’une somme de 10 000 $.

 

b) Peu après, deux employées de la section d’immigration qui avaient accès au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) ont été vues en train de déposer de grosses sommes en espèces dans une banque locale.

 

c) Un autre couple s’est plaint de délais excessifs dans le traitement de sa demande d’immigration. Or, malgré un accusé de réception écrit de la mission, il n’y avait pas de trace du dossier dans le STIDI.

 

d) Des tampons de visa canadiens et panaméens contrefaits ont été découverts au poste de travail d’un ancien employé.

 


[14]        Le sergent J. A. Conohan, de la Section des enquêtes spéciales de la Sous-direction des questions d’immigration et de passeport de la GRC, a été envoyé à Hong Kong pour enquêter sur ces activités anormales. Il était accompagné de David Balser, un expert en matière de sécurité informatique au ministère des Affaires extérieures. Ce dernier devait examiner le STIDI utilisé à Hong Kong et dans d’autres postes importants.

 

[15]        Même si le sergent Conohan était convaincu que les deux femmes qui avaient offert d’accélérer le traitement d’une demande travaillaient à la mission ou bien avaient des relations au sein de celle-ci, il a été incapable de les identifier. Il a disculpé pour plusieurs raisons les deux femmes qui avaient été vues en train de déposer de grosses sommes en espèces, même si l’une d’elles s’était arrogée un pouvoir qui lui aurait permis de délivrer des visas sans être découverte. Cette situation a été attribuée à des manquements aux politiques administratives et à un malentendu avec son patron. La femme était experte en informatique, alors que son patron ne l’était pas. Il se fiait implicitement à elle, ce qui avait amené celle‑ci à croire qu’elle était autorisée à modifier son code d’accès. De plus, les deux femmes possédaient un commerce de produits de beauté et le sergent Conohan n’a trouvé aucune preuve liant les sommes en espèces à leur travail à la mission.

 

[16]        Comme il était impossible sans d’autres renseignements d’identifier un suspect, le sergent a fermé les dossiers.

 


[17]        Pour ce qui est des demandes d'immigration qui n'avaient pas été inscrites dans le STIDI, il a été établi que les demandeurs avaient été les victimes d'un consultant en immigration local et que les documents qu'ils possédaient étaient des faux. Des accusations de nature criminelle ont été portées à Hong Kong, mais elles ont finalement été abandonnées parce que la mission ne pouvait produire de témoin.

 

[18]        Quant aux tampons de visa contrefaits, l'affaire a été confiée à la police locale parce que la suspecte était une employée recrutée sur place et ne travaillait plus pour la mission.

 

[19]        À Hong Kong, le sergent Conohan a enquêté sur d'autres affaires et a rencontré un certain Brian McAdam, qui travaillait à la section d'immigration. M. McAdam soupçonnait que des organisations criminelles asiatiques, des triades, avaient pénétré le STIDI et avaient un agent parmi les employés de la mission. Ces soupçons ont été dûment signalés. M. McAdam occupe une place prépondérante dans les rapports ultérieurs.

 

[20]        Le rapport de M. Balser faisait état de graves problèmes dans le STIDI ainsi que dans la manière dont celui-ci comptabilisait ou non les formulaires de visa imprimés. Même si le rapport était adressé aux Affaires extérieures, une copie de celui-ci a été jointe au rapport du sergent Conohan. On a considéré quil sagissait de problèmes dordre administratif et non pas de nature criminelle.

 


[21]        Il semble que le rapport du sergent Conohan a été accepté sans faire l'objet d'un examen complet, en dépit du fait qu'un an plus tard, l'agent de liaison adjoint de la GRC à la mission de Hong Kong a signalé que la femme qui avait haussé elle‑même sa cote de sécurité avait quitté son emploi et que, daprès les rumeurs qui circulaient, elle se cachait à cause de dettes de jeu envers des triades asiatiques.

 

B. La deuxième enquête : 1993-1994

 

[22]        Une deuxième enquête a été entreprise en 1993, en raison de certaines informations laissant entendre quun Canadien à la mission de Hong Kong avait accepté une montre en or coûteuse d'une famille de riches industriels de Hong Kong. L'enquête a été menée par le sergent Pushniak - devenu plus tard sergent d'état major. Des entrevues ont d'abord été effectuées par téléphone avec plusieurs Canadiens à Hong Kong et, en personne, avec des Canadiens qui étaient rentrés à Ottawa. Brian McAdam a été l'une des personnes interrogées. M. McAdam ainsi que d'autres personnes ont révélé qu'à de nombreuses reprises des Canadiens avaient reçu des cadeaux coûteux et de l'argent de la même famille, y compris un accueil somptueux à la piste de courses. Des enveloppes remplies d'argent auraient été remises pour faire des paris. Des témoins ont fourni des renseignements contradictoires sur ce à quoi l’argent a réellement servi.

 

[23]        Le sergent Pushniak a recommandé l'envoi de deux enquêteurs à Hong Kong. Cette recommandation a été rejetée. Il pensait que les Affaires extérieures avaient fait pression sur la GRC et il a décidé de fermer le dossier parce qu'il estimait que le fait d'interroger l’un après l’autre des Canadiens à leur retour à Ottawa donnait à chacun de ceux‑ci la possibilité d’accorder leurs violons. Il a constaté qu’il y avait déjà des indices indiquant que c’était le cas.

 


C. La troisième enquête : 1995-1999

 

[24]        La troisième enquête a commencé en mai 1995. Le même Brian McAdam a répété ses accusations antérieures et était d'avis quelles devaient faire l'objet d'une enquête publique. Il a écrit à David Kilgour, député et alors président de la Chambre des communes, lequel a écrit à son tour au premier ministre à propos de ce que M. McAdam pensait être une « culture d'irresponsabilité ». La demande denquête publique de M. Kilgour a été rejetée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui sest néanmoins engagé à ce que la GRC fasse l'enquête nécessaire.

 

[25]        L'enquête a tout dabord été dirigée par le sergent d'état-major Pushniak. En raison de réaffectations de personnel, l'inspecteur - plus tard surintendant - Jean Dubé, officier responsable de la Section des crimes de guerre, a été en outre chargé - à titre dofficier responsable - de la Section de l'immigration et des passeports.

 


[26]        M. Dubé n'était pas particulièrement emballé par l'idée de poursuivre l'enquête. L'agent de liaison de la GRC à Hong Kong avait signalé que M. McAdam était un employé très mécontent. Le surintendant Dubé a interrogé M. McAdam et a estimé que ses accusations étaient très vagues. Il hésitait à poursuivre une enquête ancienne, étant donné quune directive très claire émise deux années auparavant avait apparemment mis fin à la tendance de certains employés de la mission de fréquenter les gens riches et célèbres de Hong Kong. Le surintendant Dubé sinquiétait davantage des passeports volés dans un autre pays et aurait préféré utiliser différemment ses ressources.

 

[27]        Quoi qu'il en soit, en 1996, il a confié le dossier au caporal Read, qui avait de l'expérience comme enquêteur, mais pas dans ce domaine. Le caporal Read s’était joint récemment à la Section des crimes de guerre. Le surintendant lui a confié la tâche restreinte danalyser les allégations afin de les préciser et de recommander des mesures quant au déroulement de l'enquête.

 

[28]        Le surintendant Dubé a reçu rapidement des plaintes selon lesquelles le caporal Read intimidait des témoins potentiels. Il sest rendu compte que le caporal Read manquait d'objectivité et sautait constamment à des conclusions qui n'étaient pas étayées par la preuve. Il a recommandé quil soit remplacé par un enquêteur plus expérimenté et d'un rang supérieur. Le caporal Read a reçu pour instruction de ne plus interroger de témoins et, en septembre 1997, le dossier lui a été retiré. Il a été remplacé par le sergent Sergio Pasin.

 

D. La version des faits du caporal Read

 


[29]        Le caporal Read était absolument convaincu que les théories de M. McAdam reposaient sur des faits pouvant être démontrés. Les événements qui avaient fait l'objet de l'enquête du sergent Conohan étaient liés entre eux et il y avait eu, au sein de Citoyenneté et Immigration Canada, un camouflage dimportantes activités criminelles avec la complicité du sergent Conohan et de David Balser. Si la vérité éclatait, le gouvernement serait très embarrassé dans la mesure où la corruption de hauts fonctionnaires serait portée à la connaissance du public. Des têtes tomberaient.

 

[30]        Le caporal Read dit :

[Traduction] 10.      Lenquête est à la fois simple et complexe, et mes conclusions (même si elles sont étayées par des preuves solides) sont difficiles à croire, c'est-à-dire que des haut fonctionnaires ont compromis l'intérêt national afin de protéger leurs propres carrières, en dissimulant des preuves concernant une faille majeure dans leur système informatique qui exposait le Canada à ladmission clandestine et organisée d'immigrants illégaux, y compris de têtes dirigeantes d'organisations criminelles. Il a fallu à lauteur du présent document six mois d'efforts constants pour rassembler les divers éléments. Il est impossible de voir les liens sans lire à plusieurs reprises le dossier et les documents de référence, et sans réfléchir à la logique des mesures prises par les supérieurs de McAdam. En ce qui concerne la partie simple du dossier, voir le rapport de Balser (onglet A), page 10, Recommandation 9; il s'agit là du motif du camouflage des faits.

 

[31]        Le surintendant Dubé a eu du mal à croire ces conclusions. Le caporal Read na pas voulu reconnaître le bien-fondé de la décision du surintendant Dubé de l'écarter du dossier et il a refusé de collaborer avec son remplaçant, le caporal Pasin.

 

[32]        Le caporal Read était lui‑même convaincu que le surintendant Dubé faisait partie du complot visant à camoufler le problème et il sest plaint à plusieurs de ses supérieurs, dont l'un au moins a critiqué son analyse. Les autres ne partageaient pas non plus l'enthousiasme du caporal Read. En conséquence, le surintendant Dubé et trois autres officiers supérieurs ont été accusés de corruption.

 


[33]        Il est important de souligner quaucune mesure disciplinaire na alors été prise contre le demandeur. Le surintendant Dubé la réprimandé parce quil avait montré à M. McAdam une copie du rapport Balser, lequel était protégé, et dans son évaluation défavorable de rendement de mars 1998, il na pas mentionné directement les accusations portées par le caporal Read. Il a reproché au caporal Read davoir dû réaffecter des dossiers de crimes de guerre dont il avait la responsabilité en raison de son obsession à l'égard du dossier d'immigration de Hong Kong. Le caporal Read avait été chargé d'aider la Section des crimes de guerre à préparer des dossiers dinformation demandés par le ministère de la Justice relativement à des litiges en Cour fédérale concernant plusieurs dossiers de crimes de guerre. Il ne sest pas beaucoup occupé de ces dossiers ni d'autres dossiers d'enquête en raison du temps quil a consacré au dossier de Hong Kong, souvent en faisant des heures supplémentaires bénévoles.

 

[34]        En réponse, le caporal Read a écrit que, jusqu'alors, ses plaintes n'avaient servi à rien.

[Traduction] En fait, je devais (1) soit accepter les réponses évasives de mes supérieurs, (2) soit porter ma plainte devant la Commission des plaintes du public contre la GRC. L'enquête McAdam-STIDI est politiquement explosive, et c'est la raison pour laquelle je crois que mes officiers supérieurs, des hommes honorables et des patriotes, saffairent à camoufler un scandale important au sein de la fonction publique fédérale.

 

[35]        Le demandeur a effectivement porté l'affaire devant la Commission des plaintes du public ainsi que devant le vérificateur général. Les détails de ces démarches sont analysés sous la rubrique « La défense de dénonciation - Les actes illégaux du gouvernement ».

 


[36]        Le demandeur craignait que le surintendant Dubé use de représailles contre lui en l’accusant injustement d’une faute professionnelle relativement à des documents qui avaient été fournis par M. McAdam. La question de la « boîte de McAdam » mijotait depuis un certain temps. M. McAdam avait rassemblé des documents du domaine public, c'est-à-dire des documents non protégés, sur les triades asiatiques. Il les a prêtés à la GRC qui les lui renvoya finalement par l'intermédiaire du caporal Read. M. McAdam a informé le sergent Pasin que les documents qui lui avaient été renvoyés comprenaient un document protégé, qui ne lui appartenait pas. Par précaution, le caporal Read est allé jusqu'à écrire qu'il ne travaillerait avec le sergent Pasin que s'il y était autorisé par son officier supérieur d'alors, le surintendant St-Cyr.

 

[37]        Le 20 août 1999, le surintendant St-Cyr a convoqué le caporal Read à son bureau. Le sergent Pasin était présent et il a commencé à interroger le demandeur afin de savoir si la boîte de M. McAdam contenait des documents protégés et si une liste des documents avait été dressée. Convaincu qu'il avait été piégé, le demandeur a quitté la réunion et, au cours des jours suivants, il a rencontré plusieurs membres des médias, remettant à nombre dentre eux des documents protégés quil avait en sa possession, y compris le rapport Balser et une copie de sa plainte à la Commission des plaintes du public contre la GRC accompagnée des annexes pertinentes. Il n'avait pas été autorisé à donner communication de ces documents par la GRC ou par les Affaires extérieures, désormais appelé ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Les renseignements protégés ainsi divulgués ont été communiqués au public par divers médias.

 

[38]        L’un des comptes rendus les plus détaillés a été publié le 26 août 1999 dans The Vancouver Province. L’article résume fort bien les éléments essentiels de l’enquête et cite tant le caporal Read que M. McAdam.

 


[39]        Le Province a reconnu être en possession d’une copie du rapport Balser. Le caporal Read aurait prétendu que M. Balser lui avait affirmé avoir reçu l’ordre d’« obscurcir » son rapport, lequel [Traduction] « est décrit par des sources bien au fait des allégations comme étant rédigé dans un "jargon bureaucratique inintelligible" ». L’article se termine par une déclaration du caporal Read : [Traduction] « Pourquoi ne font-ils rien?  »

 

[40]        L’enquête en cours du sergent Pasin était mentionnée. Son rapport ne serait pas terminé avant quelques mois, étant donné qu’il ne s’agissait que d’un des nombreux dossiers dont il s’occupait.

 

[41]        C’est seulement à ce moment‑là qu’il a été question de manquements au code de déontologie.

 

3. LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[42]        Étant donné que la Cour est saisie de la présente affaire par voie de contrôle judiciaire, il ne s’agit pas tant d’établir s’il était justifié pour le caporal Read de porter la question à la connaissance du public, que de déterminer s’il était justifié pour le commissaire adjoint Killam de conclure qu’il avait eu tort de le faire. La Cour doit examiner le fondement juridique du contrôle judiciaire des décisions du commissaire de la GRC ainsi que la norme applicable à ce contrôle.

 


4. LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

A. Le fondement législatif

 

i) La Loi sur les Cours fédérales

 

[43]        Une demande de contrôle judiciaire se fonde sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications, lequel autorise quiconque est directement touché par une décision ou une ordonnance d'un office fédéral à présenter une demande à la Cour. Il est depuis longtemps établi quune décision ou une ordonnance du commissaire de la GRC peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour.

 

[44]        La Cour peut accorder une réparation si, notamment, le commissaire a rendu une décision ou une ordonnance entachée dune erreur de droit, ou s'il a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

 

[45]        Si elle est convaincue que le caporal Read a droit à réparation, la Cour jouit de plusieurs pouvoirs, notamment elle peut déclarer la décision nulle, lannuler ou linfirmer, et la renvoyer ou non pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées.

 


[46]        L'article 18.1 de la Loi énumère d'autres motifs de contrôle ainsi que d'autres pouvoirs de la Cour quil nest pas nécessaire dexaminer en l'espèce.

 

ii) La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

 

[47]        Les questions de discipline sont traitées aux articles 37 à 47.17 de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10. L'article 38 autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements appelés code de déontologie pour régir la conduite des membres.

 

[48]        Le code de déontologie se trouve aux articles 37 et suivants du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361.

 

[49]        Les allégations invoquées contre le caporal Read découlent du paragraphe 39(1) du Règlement, dont voici le texte :

 

39.(1) Le membre ne peut agir ni se comporter d'une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie.

 

 

39. (1)A member shall not engage in any disgraceful or disorderly act or conduct that could bring discredit on the Force. 

 


[50]        D'autres dispositions prévoient qu'un membre doit obéir aux ordres légitimes; il ne peut publiquement critiquer l'administration, le fonctionnement ou les objectifs de la Gendarmerie à moins qu'il n'y soit autorisé par la loi; il ne peut sciemment ou volontairement faire une déclaration ou un rapport faux, trompeur ou inexact à un membre qui lui est supérieur en grade relativement à une enquête ou à la conduite d'un autre membre; il ne peut sciemment négliger aucune des fonctions qui lui sont confiées.

 

[51]        Les mesures disciplinaires peuvent être simples ou graves. En l’espèce, les mesures étaient graves parce qu’il est apparu à un officier compétent que le caporal Read avait contrevenu au code de déontologie et que, compte tenu de la gravité de la contravention et des circonstances, des mesures disciplinaires simples ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie.

 

[52]        Le comité d'arbitrage formé de trois membres a été saisi de l’affaire. L'article 43 de la Loi exige que les trois membres du comité soient des officiers de la GRC, dont au moins un est un diplômé d'une école de droit reconnue par le barreau d'une province.

 

[53]        La décision du comité d'arbitrage peut être portée en appel devant le commissaire qui, avant d'étudier l’appel, le renvoie habituellement devant le Comité externe d'examen de la GRC. Aucun membre de la Gendarmerie ne peut faire partie du Comité. Aucune compétence particulière n'est exigée, mais il est bien établi que le président qui a rédigé le rapport est un avocat.

[54]        Enfin, l'article 5 de la Loi exige que le commissaire soit un officier de la Gendarmerie. Il n’est toutefois pas nécessaire que le commissaire ait une formation juridique.

 


[55]        En vertu de l’article 45.16 de la Loi, le commissaire doit tenir compte des conclusions ou des recommandations exposées dans le rapport du Comité externe d’examen. Le commissaire n'est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans le rapport du Comité, mais s'il choisit de s'en écarter, il doit motiver son choix par écrit. Le commissaire adjoint Killam ne souscrivait pas aux recommandations du Comité externe d'examen et il a motivé sa décision.

 

[56]        La dernière étape de la procédure est le contrôle judiciaire devant la Cour. Le paragraphe 45.16(7) de la Loi porte :

 

La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l'article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

 

A decision of the Commissioner on an appeal under section 45.14 is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.

 

B. La norme de contrôle judiciaire

 


[57]        Dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle judiciaire, la Cour fédérale s’inspire, à l’instar de tout autre tribunal canadien, des principes de droit administratif énoncés par la Cour suprême du Canada. Plusieurs de ces principes ont été résumés dans deux arrêts récents, soit Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. Les arrêts Dr Q et Ryan, qui ont été rendus le même jour, consacrent le principe selon lequel il n'existe que trois normes en matière de contrôle judiciaire des décisions administratives : la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable. Il convient d'appliquer une méthode pragmatique et fonctionnelle. La Cour doit soupeser une série de facteurs afin de déterminer si une question précise devrait être soumise à un contrôle exigeant (la décision correcte), subir un examen ou une analyse en profondeur (la décision raisonnable simpliciter) ou être laissée à l'appréciation quasi exclusive du décideur (la décision manifestement déraisonnable). La cour saisie de la demande de contrôle judiciaire doit tenir compte de la présence ou de l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel, de l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige, de l'objet de la loi et de la disposition particulière, et de la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de droit et de fait.

 

[58]        La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions du commissaire de la GRC a été analysée par le juge Kelen dans Stenhouse c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 469 (QL). Je conviens avec le juge que le commissaire a de toute évidence une expertise au sujet de la GRC, ce qui va dans le sens dune certaine retenue, et que la Loi reconnaît que la GRC doit avoir le contrôle de sa discipline, ce qui se reflète dans le processus disciplinaire à trois étapes prévu dans la Loi. Cela va dans le sens dune certaine retenue face à une décision du commissaire en matière de discipline, laquelle est essentiellement fondée sur les faits. Le commissaire a l'expertise requise pour examiner les conclusions quant aux faits.

 

[59]        Toutefois, comme la ajouté le juge Kelen, sur les questions de droit, la Cour a une plus grande expertise et elle examinera la décision du commissaire selon la norme de la décision correcte. S'agissant des questions mixtes de droit et de fait, la Cour exercera une certaine retenue, c'est-à-dire que la décision ne sera pas confirmée si elle est déraisonnable.

 


5. LA DÉFENSE DE DÉNONCIATION

 

A. L’arrêt Fraser c. Canada

 

[60]        La défense de dénonciation trouve son fondement dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455, dont les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la Charte. Les principes généraux de common law énoncés dans cet arrêt indiquent l'équilibre qu'il convient d’établir entre la liberté d'expression et l'obligation de loyauté due à un employeur. Neil Fraser était chef de groupe travaillant pour Revenu Canada à Kingston. Il a critiqué ouvertement les politiques du gouvernement fédéral en matière de conversion au système métrique et l'enchâssement par écrit d'une charte des droits dans la Constitution. Malgré des suspensions au travail, ses critiques ont pris un ton de plus en plus cinglant. Il a finalement été congédié et cette décision a été confirmée par la Commission des relations de travail dans la fonction publique puis, lors d’un contrôle judiciaire, par la Cour d'appel fédérale. Au nom de la Cour suprême, le juge en chef Dickson a dit que la liberté de parole est un principe de notre constitution de common law. Toutefois, il ne s'agit pas d'une valeur absolue et l'arbitre a eu raison de conclure que ce principe devait être restreint par la valeur que représente une fonction publique impartiale et efficace.

 

[61]        Le juge en chef a statué qu’il est permis pour trois raisons aux fonctionnaires de jouir d’une certaine liberté d’expression :

 


a)              notre système démocratique est ancré sur une discussion libre et franche des questions d’intérêt public;

b)             une interdiction de toute discussion publique sur des questions d’intérêt public par tous les fonctionnaires aurait pour effet de priver beaucoup trop de gens d’un droit fondamental;

c)              le problème doit être envisagé sous l’angle du bon sens.

 

Il convient dexaminer les circonstances. Par exemple, le juge en chef a demandé « Peut-on sérieusement soutenir qu’une conductrice d’autobus municipal ne devrait pas pouvoir assister à une réunion du conseil municipal pour protester contre une décision en matière de zonage qui a un effet sur la rue où elle habite? »

 

[62]        J’estime très important le fait que Revenu Canada n'était pas le ministère responsable de la conversion au système métrique, ni du rapatriement de la constitution et de l'introduction d'une charte écrite. M. Fraser a ensuite soutenu qu’étant donné que ses critiques ne se rapportaient pas à son travail, il n'aurait pas dû être empêché de s'exprimer. La Cour n’était pas d’accord avec cet argument et elle a conclu que ses critiques se rapportaient à son emploi parce qu’il est important et nécessaire d’avoir une fonction publique impartiale et efficace. La fonction publique fait partie de l’exécutif du gouvernement et elle est responsable de l'administration et de l'application des politiques. Les employés de la fonction publique doivent être loyaux, impartiaux et avoir les connaissances requises.

 


[63]        Le manque de loyauté de M. Fraser était incompatible avec ses fonctions en tant qu’employé et, nécessairement, sans même de preuve précise à cet égard, a diminué son efficacité en tant que fonctionnaire. L'efficacité est aussi une question de perception du public, et il n'était pas déraisonnable de la part de l'arbitre de conclure que la conduite de M. Fraser pouvait ou allait susciter des inquiétudes, de la gêne et de la méfiance de la part du public à l’égard de son aptitude à accomplir ses fonctions.

[64]        Le passage le plus important se trouve à la page 470, paragraphe 41 :

              En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n'est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n'est pas non plus tenu d'endosser publiquement ses politiques. En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du gouvernement.

                                                                                                                                           [Non souligné dans l’original.]

B. La Charte canadienne des droits et libertés

[65]        La Charte canadienne des droits et libertés a été inscrite dans notre Constitution comme annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982. La défense de dénonciation de l'arrêt Fraser doit maintenant être examinée eu égard à l'article premier et à l'alinéa 2b) de la Charte, qui prévoient :

 

 


 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.           

 

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[...]

 

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

 

 2. Everyone has the following fundamental freedoms:

...

 

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

 

[66]        Dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82, la juge Tremblay-Lamer a statué que le droit non écrit à la liberté d'expression garanti par la common law a été inclus dans l'article 2 et que les limites imposées à ce droit par l'arrêt Fraser étaient raisonnables au sens de l'article premier, même si elles sont prescrites par la common law et non par une loi.

 

[67]        Le caporal Read soutient que la décision Haydon no 1 établit une quatrième raison justifiant la défense de dénonciation, c'est-à-dire l'existence d'un intérêt public légitime. J'analyserai cette prétention plus loin.

 

C. L’empêchement d’accomplir le travail

 


[68]        Il est facile de faire une distinction entre la présente espèce et larrêt Fraser. Les critiques du caporal Read ne portaient pas uniquement sur les fonctions et les responsabilités de la GRC, mais aussi sur une enquête à laquelle il avait participé personnellement. Il avait perdu sa cote de sécurité et la confiance de ses supérieurs. Il ny a aucun doute que sa capacité dexercer ses fonctions a été compromise.

Quant à l'importance que l'avocat attache à la preuve de l'incidence néfaste ou préjudiciable à l'activité de l'employé, je considère que dans toute collectivité d'employés, il faut avant tout qu'il y ait une direction, c'est-à-dire un chef auquel les membres du groupe doivent se soumettre dans leur travail sous peine de voir tous leurs efforts sombrer dans le chaos. Il s'ensuit que lorsqu'un membre important du groupe conteste l'autorité du chef légitime, il nuit d'abord au fonctionnement du groupe; si l'on prouve qu'il a ainsi défié l'autorité, on a alors une présomption de fait de mauvaise conduite. Arthur J. Stewart c. Canada (Commission de la fonction publique), [1978] 1 C.F. 133, paragraphe 8, le juge en chef Jackett.

 

Cependant, le demandeur doit avoir gain de cause sil avait le droit de dénoncer la situation.

 

D. La santé et la sécurité

 

[69]        L'arrêt Fraser a donné comme exemple dune dénonciation justifiée des politiques du gouvernement qui mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité du fonctionnaire concerné ou de tiers. Le commissaire adjoint Killam a convenu avec le Comité externe d'examen que le risque n'était que secondaire. Je conviens qu'il se peut que des criminels aient été capables d'entrer au Canada à laide de documents contrefaits et constituent une menace pour notre tissu social. Je reconnais que ce risque, du moins dans le contexte de la présente espèce, était trop faible pour justifier les mesures prises par le caporal Read.

 

E. Les actes illégaux du gouvernement

 


[70]        Jestime que cette question est au coeur de la présente affaire. Dans l'arrêt Fraser, le juge en chef Dickson a dit que la dénonciation serait acceptable « si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ». Un acte peut être illégal sans être criminel, mais un acte criminel est sans contredit un acte illégal. Le caporal Read allègue deux grandes catégories d'actes criminels : en premier lieu, ceux de fonctionnaires ne faisant pas partie de la GRC qui administraient et surveillaient les politiques d'immigration à Hong Kong et, en second lieu, ceux d'officiers de la GRC qui ont camouflé les activités illégales. J'analyserai tout dabord les allégations se rapportant à la GRC, puis celles concernant Citoyenneté et Immigration Canada et Affaires extérieures.

 

i) La GRC

 

[71]        Avant que laffaire soit entendue par le comité darbitrage, le caporal Read avait déposé en janvier 1998 une « plainte publique » auprès de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada (renommée depuis Commission des plaintes du public contre la GRC). Il s'était plaint à l'endroit de quatre officiers, mais principalement à l'endroit du surintendant Dubé. Il a joint des documents protégés à sa plainte. Un an plus tard, il a également déposé une plainte auprès du vérificateur général et y a joint encore une fois des documents protégés.

 


[72]        La pratique de la Commission des plaintes du public consistait, avant de faire enquête, à donner à la GRC la possibilité de faire des commentaires. Le sergent d'état-major Joseph Royal de la Section des enquêtes internes de la GRC a informé par lettre le caporal Read qu'il avait examiné la plainte, l'avait jugée dénuée de fondement et estimait qu'aucune autre enquête n'était nécessaire. Il a invité le caporal Read à poursuivre laffaire devant la Commission s'il le souhaitait. (Le comité darbitrage a plus tard conclu que l'enquête faite par le sergent d'état-major Royal avait été sommaire. En fait, il n'aurait pas dû effectuer lui‑même l'enquête parce qu'il considérait les quatre officiers accusés comme ses amis.)

 

[73]        Sans doute à la surprise de tous, la Commission des plaintes du public a finalement refusé dentendre la plainte parce quelle excédait sa compétence. Suivant le paragraphe 45.35(1) de la Loi, tout membre du public peut déposer auprès de la Commission une plainte concernant la conduite dun membre de la GRC dans l'exercice de ses fonctions. Par ailleurs, l'article 31 autorise tout membre de la GRC « à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice » à présenter un grief. La Commission a conclu que la plainte du caporal Read concernait « la gestion des affaires de la Gendarmerie » et n'était donc pas de son ressort.

 

[74]        Il sagissait dune décision d'un office fédéral qui aurait pu faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, mais le caporal Read a choisi de déposer une plainte auprès du vérificateur général.

 


[75]        Dans son rapport d'avril 2000 sur Citoyenneté et Immigration Canada, le vérificateur général a souligné que le Ministère était très vulnérable à la fraude et à d'autres formes dirrégularités et que le contrôle des formulaires de visas devait être amélioré parce que la valeur de ces documents sur le marché noir s’élevait à plusieurs milliers de dollars. Les systèmes informatiques n’étaient pas suffisamment protégés et les agents qui géraient ces systèmes, même sils étaient assez compétents en tant quutilisateurs, navaient pas l'expertise nécessaire dans le domaine du contrôle et de la sécurité informatiques. Il y avait un manque étonnant dencadrement. Fort judicieusement, le rapport ne fournissait pas de détails.

 

[76]        Le comité darbitrage disposait également du rapport final du sergent Pasin ainsi que d'un examen administratif par la GRC des dossiers de toutes les enquêtes concernant les allégations de corruption à la mission du Canada à Hong Kong et les allégations avancées par le caporal Read au sujet des actes répréhensibles quauraient commis le surintendant Dubé et d'autres officiers.

 

[77]        Le rapport du sergent Pasin a été produit en décembre 1999. Il établissait que des erreurs informatiques étaient à lorigine de plusieurs problèmes signalés par M. McAdam, comme la disparition de dossiers du STIDI.

 

[78]        En ce qui concerne l'utilisation inappropriée du STIDI, le sergent Pasin a fait un suivi concernant un grand nombre de demandes de visa acceptées afin de vérifier si lune d'entre elles avait fait lobjet dun traitement accéléré. Il na trouvé aucune preuve à cet égard. Par conséquent, et conformément au rapport Balser, il a conclu que le STIDI pouvait être vulnérable aux irrégularités, mais qu'il n'existait aucune preuve qu'il l'avait été effectivement.

 


[79]        Le sergent Pasin a analysé en détail les allégations de corruption et de conflits d’intérêts en ce qui concerne les cadeaux qu’auraient reçus des fonctionnaires canadiens à Hong Kong lors de festivités. Il croyait que des fonctionnaires avaient reçu de la part d’une famille de riches industriels de l’argent pour faire des paris à la piste de courses. Certains fonctionnaires ont utilisé l’argent pour faire des dons de charité, qui ont été documentés, alors que d’autres ont affirmé avoir rendu l’argent aux membres de cette famille et d’autres encore, selon toute vraisemblance, l’ont dépensé. Il n’y avait aucune preuve que des membres de cette famille ont obtenu des visas irrégulièrement. En fait, aucun d’entre eux n’a jamais essayé d’immigrer au Canada. Ils y sont venus à quelques occasions en tant que simples visiteurs.

 

[80]        Il a été allégué qu’un Canadien vivait au-dessus de ses moyens lorsqu'il est revenu au pays. Toutefois, des vérifications ont établi qu'il avait fait des placements fructueux. Rien d'irrégulier n’a été découvert.

 


[81]        Le sergent Pasin devait tenir compte de l'alinéa 121(1)c) du Code criminel suivant lequel commet une infraction un employé du gouvernement qui exige, accepte ou offre ou convient d'accepter « d'une personne qui a des relations d'affaires avec le gouvernement » une commission, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature, directement ou indirectement, à moins d'avoir obtenu un consentement écrit du chef de sa division. Le sergent a examiné la question avec le service juridique de la GRC, ainsi que l’a fait le surintendant Dubé avec le procureur de la Couronne. Tous deux ont été avisés qu'il n'était pas nécessaire pour la Couronne de prouver que le cadeau avait eu un résultat particulier, mais le cadeau ne devait toutefois pas être insignifiant et qu'il serait très difficile d’établir une corrélation entre les paiements et les relations d’affaires qu’entretenait cette famille avec le gouvernement. Il y avait de nombreuses preuves contradictoires et il serait également très difficile de démontrer que les fonctionnaires canadiens avaient tiré personnellement avantage des sommes qu'ils avaient reçues. Par conséquent, aucune accusation n'a été portée.

 

[82]        Le sergent Pasin a aussi fait plusieurs recommandations à Citoyenneté et Immigration Canada et lui a conseillé de surveiller de près certains individus nommément désignés qui pourraient demander l’admission au Canada, mais qui semblaient être interdits de territoire.

 

[83]        Peu avant que le sergent Pasin remette son rapport final, le sous‑commissaire à la lutte contre le crime organisé a ordonné un examen administratif des dossiers. L’examen a été effectué par trois enquêteurs qui ne s’étaient pas occupés auparavant de l'enquête et n'avaient aucun lien avec les enquêteurs précédents ni avec les plaignants. Leur rapport est plutôt critique à l’égard des deux premières enquêtes, dénonçant le manque de rigueur et de suivi ainsi que l’absence de supervision et de contrôle. Il est plutôt ambigu en ce qui concerne la décision de ne pas envoyer d'agents de la GRC à Hong Kong pour assurer le suivi de la deuxième enquête. Les enquêteurs ont souligné que la demande de déplacement n'était pas justifiée parce que les nouvelles allégations constituaient une « question interne » pour Citoyenneté et Immigration Canada, mais ils ont toutefois reconnu qu’on avait tenu compte des inquiétudes de l'agent de liaison de la GRC à Hong Kong quant à la possibilité que l’enquête ait des répercussions négatives sur la Commission. Même si la frustration des enquêteurs qui avaient été avertis qu'ils ne pouvaient aller à Hong Kong était évidente, leur décision de conclure l’enquête, qui se limiterait à des entrevues de suivi lorsque les fonctionnaires rentreraient au Canada, [Traduction] « aurait dû être contestée ». Il n'y avait pas de directive claire.


[84]        Le rapport précise ce qui suit en ce qui concerne le caporal Read :

[Traduction] L'équipe dexamen des dossiers remet en question la décision de confier une enquête de cette envergure à un enquêteur qui navait ni les connaissances, ni les compétences, ni les capacités requises dans une affaire d'immigration. Il est devenu évident, pendant cet examen, que le caporal Read navait pas l'expérience pertinente et la compétence analytique nécessaire pour être chargé de ce dossier.

 

[Dossier du demandeur, page 473]

 

[85]        Les enquêteurs ont souligné le caractère très rigoureux jusqu’à maintenant de l'enquête du sergent Pasin.

 

[86]        En ce qui concerne les allégations de camouflage de la part de la GRC, les enquêteurs ont estimé que le surintendant Dubé avait plusieurs raisons légitimes d’écarter le caporal Read du dossier. Ils ont signalé que la GRC avait rencontré le caporal Read au moins quatre fois au sujet des plaintes quil avait faites contre le surintendant Dubé et de sa plainte devant la Commission des plaintes du public.

 

[87]        L'équipe dexamen a conclu qu'elle n'avait trouvé aucun élément étayant les allégations de camouflage et d'entrave à la justice. Le caporal Read avait eu plusieurs raisons de sinquiéter de la lenteur du traitement de l'affaire. Toutefois, plusieurs facteurs étaient à lorigine de cette situation. Le manque de ressources du service donnait lieu à une concurrence entre les priorités. Le service était responsable des enquêtes dans plus dune centaine de missions et de consulats un peu partout dans le monde. Certains délais étaient indépendants de la volonté des enquêteurs. Citoyenneté et Immigration Canada na pas fourni en temps utile certains renseignements concernant le STIDI et des agents ont été mutés à d'autres fonctions ou chargés d'autres priorités.


[88]        Indépendamment de ces rapports, le comité darbitrage a conclu que le surintendant Dubé et le sergent Pasin étaient des témoins dignes de foi.

 

[89]        Le surintendant Dubé a exprimé à plusieurs occasions sa réticence à donner la priorité au dossier de la mission de Hong Kong. Il était responsable d'autres questions qui, si elles n'étaient pas plus importantes, étaient à tout le moins plus actuelles. L'agent de liaison de la GRC à Hong Kong avait déclaré que M. McAdam était très mécontent, ce qui est évident. Il avait personnellement interrogé M. McAdam et conclu que ses accusations étaient très vagues; une enquête approfondie, comme celle effectuée par le sergent Pasin, a établi à la satisfaction de la GRC que certains fonctionnaires à Hong Kong avaient reçu indûment des cadeaux, en contravention de la politique gouvernementale. Toutefois, la preuve n’était pas suffisante pour porter des accusations criminelles.

 

[90]        Le surintendant Dubé avait également exprimé ses inquiétudes au sujet de limpression défavorable que pouvait avoir donné et quavait effectivement donnée cette situation. En enquêtant sur la fraude, sa section a agi pour le compte de Citoyenneté et Immigration Canada, qui était parfois désigné par le terme « client ». Le surintendant Dubé avait recommandé que l'enquête soit faite par une autre section.

 

[91]        Le comité darbitrage a conclu, en des termes durs, que les accusations portées par le caporal Read étaient totalement dépourvues de fondement, une conclusion à laquelle a souscrit le commissaire adjoint Killam. Cette conclusion est amplement étayée par la preuve.


[92]        Le surintendant Dubé sest tout simplement acquitté de ses fonctions. Comme la dit lord Denning dans Metropolitan Police Commissioner, ex parte Blackburn, [1968] 1 All E.R. 763, à la page 769 :

[Traduction] Bien que les officiers supérieurs de police soient responsables en droit, ils ont, dans bien des domaines, un pouvoir discrétionnaire dans lequel on ne peut intervenir. Par exemple, il appartient au commissaire de police de la région métropolitaine ou au chef des opérations de police, selon le cas, de décider s'il y a lieu de continuer une enquête, ou de procéder à une arrestation ou encore d'engager des poursuites dans un cas donné. C'est à lui de décider de la répartition des forces de police, savoir, sur quel crime ou dans quel secteur en particulier il doit concentrer ses ressources.

 

[93]        Dans Wool c. Canada, [1981] A.C.F. no 506, le sergent d'état-major Wool a demandé une injonction qui lui permettrait de poursuivre une enquête malgré les ordres de son supérieur. La Cour a statué quun officier commandant n'avait pas à se justifier envers un sergent d'état‑major sous ses ordres. Le sergent d'état-major Wool navait aucun droit personnel si ce n’était celui quil pouvait avoir, au même titre que tout autre particulier, en ce qui concerne la bonne administration de la justice. L'officier commandant « jouit, sur le plan administratif, du pouvoir discrétionnaire de décider quelle fraction des ressources à sa disposition sera consacrée à telle ou telle enquête ».

 

[94]        Tous les éléments de preuve étayent laffirmation selon laquelle le surintendant Dubé a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes appropriés.

 

[95]        Le surintendant Dubé n'ayant rien camouflé, ses officiers supérieurs n'ont rien camouflé non plus.

 


ii) Citoyenneté et Immigration Canada

 

[96]        Daprès les conclusions tirées de la preuve, en qualité d'employé des Affaires extérieures, M. Balser n'a rien camouflé. Bien qu'il ait utilisé un « langage technique », que le caporal Read a eu de la difficulté à comprendre, le public visé n'avait pas ce problème. M. Balser n'a pas « obscurci » son rapport. On a plutôt constaté quil avait refusé, plusieurs années plus tard, de le réécrire à la demande du caporal Read. Citoyenneté et Immigration Canada a donné suite au rapport mais, selon certaines personnes qui sont censées être au courant de la situation, n'a pas fait tout ce qui aurait dû être fait.

 

[97]        Il nous reste à examiner les soupçons et les convictions de plusieurs agents de la GRC, dont le sergent Conohan, le sergent d'état-major Pushniak, le caporal Read et le sergent Pasin, relativement aux activités de nature criminelle qui se seraient déroulées à la mission de Hong Kong. Nul ne partageait le point de vue du caporal Read quant à l’étendue de ces activités criminelles. Par ailleurs, selon l'avis juridique donné au sergent Pasin et au surintendant Dubé, la preuve était insuffisante pour justifier le dépôt d'accusations criminelles. Cela naurait peut‑être pas été le cas sil y avait eu un suivi rapide de la première enquête.

 


iii) Le fardeau de la preuve

 

[98]        Des soupçons suffisent-ils? Cela nous amène à la question du fardeau de la preuve, laquelle comporte deux volets. Le premier volet est que le caporal Read prétend quil incombe à la GRC d’établir qu'il n'avait pas le droit de s'exprimer publiquement. Le second volet est quil est de toute façon inutile que les accusations concernant les actes illégaux soient fondées, il suffit quelles aient été faites ou du moins qu'elles soient corroborées par des éléments de preuve.

 

[99]        En ce qui concerne le premier volet, le fardeau de la preuve n'est pertinent qu'en cas d'insuffisance de la preuve. Or, la preuve est plus que suffisante pour fonder les conclusions de fait du comité d'arbitrage, ainsi que les conclusions du commissaire adjoint Killam au soutien de celles-ci. En ce qui concerne la provocation, le Comité externe d'examen doutait que le surintendant Dubé et le sergent Pasin n'avaient pas essayé de piéger le caporal Read. Si le Comité externe d'examen avait effectivement le droit de faire un tel commentaire, le commissaire adjoint Killam a eu raison de souligner qu'en agissant ainsi, le Comité réévaluait la preuve. Tant dans le cadre du droit administratif que dans le cadre d'un appel, une conclusion de fait - y compris une inférence tirée à partir dune conclusion portant sur d'autres faits - ne peut être annulée à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable. (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; Dr Q., précité; Ryan, précité.)

 


[100]      En ce qui concerne le fardeau relatif à la justification d'une allégation publique faite relativement à un acte illégal quaurait commis le gouvernement, il a été établi que le caporal Read croyait honnêtement que ce quil avait affirmé était vrai. Mais l'honnêteté ne suffit pas. Les allégations doivent avoir un fondement rationnel. Comme la dit il y a longtemps le juge Williams dans Toomey c. London, Brighton and South Coast Railway Cy, [1857] 3 C.B. (N.S.), à la page 150 :

[Traduction] Il ne suffit pas de dire qu'il y avait des éléments de preuves [...] un soupçon de preuve [...] ne permettrait clairement pas au juge de soumettre l'affaire au jury. Il doit y avoir des éléments de preuve permettant au jury de conclure raisonnablement et légitimement à la négligence.

 

[101]      Le caporal Read s'est adressé au public sans sinformer de l'état de l'enquête faite par le sergent Pasin. Il a estimé, absolument sans aucun motif valable, que le sergent Pasin était le laquais du surintendant Dubé parce que ceux-ci avaient travaillé ensemble dans le passé.

 

[102]      Cela ne veut pas dire qu'il est nécessaire de fournir une preuve irréfutable, des années plus tard, au moyen d'une déclaration de culpabilité au criminel. Étant donné que le caporal Read a été loin de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que ses allégations étaient fondées, il est inutile d’établir une ligne de démarcation précise.

.

[103]      Dans Grahn c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 91 N.R. 394 (C.A.F.), un fonctionnaire a accusé publiquement son employeur davoir toléré des actes frauduleux aux dépens de la caisse d'assurance-chômage et davoir commis des infractions aux lois relatives à la protection de la vie privée. Au nom de la Cour, le juge Hugessen a dit :


Il n'en reste pas moins qu'après avoir pris la décision très grave d'accuser ses supérieurs d'illégalités, le requérant devait en démontrer le bien‑fondé s'il tenait à éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions. Comme il l'a reconnu lui-même à l'audience, le dossier ne contient pas une telle preuve. Les seules allégations non confirmées du requérant ne sont certainement pas suffisantes.

 

[104]      Même si la preuve déposée par le caporal Read était peut‑être supérieure à celle produite par Grahn, il est clair quun soupçon de preuve ne suffit pas pour justifier un manquement à l'obligation de loyauté envers son employeur ainsi que la violation de ses serments.

 

F. L’intérêt public légitime 

 

[105]      Il a été allégué au nom du caporal Read que la juge Tremblay-Lamer a créé dans la décision Haydon no 1, précitée, une autre exception à l'obligation de loyauté, soit celle de « l'intérêt public légitime ».

 

[106]      L'une des conclusions que la juge a énoncées dans le résumé qu’elle a fait au paragraphe 120 de ses motifs était que « [l]orsqu'une affaire constitue une question légitime d'intérêt public et exige un débat public, l'obligation de loyauté n'est pas si absolue qu'elle viendrait interdire toute divulgation publique par un fonctionnaire. L'obligation de loyauté en common law n'impose pas le silence total ».

 

 


[107]      Pourtant, la lecture de l'ensemble de la décision montre amplement que la juge n’avait pas l’intention de créer une telle exception. Dans le paragraphe suivant du résumé, elle a ajouté : « Dans les cas qui tombent sous les exceptions de l'arrêt Fraser, l'intérêt public prime l'objectif d'une fonction publique impartiale et efficace ».

 

[108]      En outre, elle a clairement indiqué aux paragraphes 100 et 119 que « les critiques publiques des demandeurs étaient visées par la première exception du critère de l'arrêt Fraser, savoir la divulgation de politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public ».

 

[109]      Cela ne veut pas dire qu'il ne pourrait y avoir d'autre exception à l'obligation de loyauté en common law. Dans l'arrêt Fraser, le juge en chef Dickson na pas voulu dresser une liste exhaustive. Cependant, je ne considère pas que l'intérêt public légitime en général constitue une exception à l'obligation de loyauté d'un employé envers son employeur.

 

[110]      Le public a et devrait avoir un intérêt dans les affaires publiques de ce pays, y compris dans le fonctionnement des ministères. Il a été tenu compte de cet intérêt légitime dans la Loi sur l'accès à l'information, à laquelle fait contrepoids la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[111]      Il incombe aux chefs des ministères, et non à une personne qui occupe un poste semblable à celui du caporal Read, de décider ce qui doit être divulgué au public. Dans la mesure où il y a un différend, celui‑ci est tranché par la Cour fédérale en conformité avec les dispositions de la Loi.

 


[112]      Le public ne se compose pas exclusivement de coeurs tendres et de braves gens. On y trouve également des criminels qui ne souhaiteraient rien de mieux que de connaître les détails des faiblesses du STIDI, de manière à être en mesure de les exploiter.

 

[113]      Le Comité externe d'examen avait un point de vue différent. Il a dit :

[Traduction] Il s’agissait dans le présent cas du choix délibéré de la GRC de ne pas enquêter sur d’éventuelles activités criminelles, même si son attention avait été attirée sur de nombreux incidents qui permettaient de croire à l’existence dans les locaux mêmes de la mission d’un réseau d’immigration clandestine , dans lequel des employés du gouvernement du Canada pouvaient être impliqués. S'il ne s'agit pas là d'une question d'intérêt public légitime, très peu dautres questions pourront jamais être ainsi qualifiées.

 

[114]      Avec égards, la preuve établit que plusieurs décisions ont été prises par plusieurs officiers pendant plusieurs années. On peut dire, rétrospectivement, que certaines de ces décisions auraient pu être plus judicieuses, notamment entre 1991 et 1993. Lorsque le surintendant Dubé a été chargé du dossier, la piste était froide.

 

[115]      Il n’y a aucune preuve d'une manoeuvre concertée de la part de la GRC. Il convient de noter le pronom impersonnel (« it » dans l’anglais) utilisé par le Comité externe d'examen. Si on compare la Gendarmerie à une entreprise, aucune tête dirigeante de la Gendarmerie n’a ordonné de camouflage.

 

[116]      Comme l'a dit le vicomte Haldane, L.C., à la page 713 de l'arrêt Lennard's Carrying Co. c. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705 :


[Traduction] ... une compagnie est une abstraction. Dénuée de corps et d'esprit, sa volonté ne peut se manifester que par l'intermédiaire d'une personne qui, à certaines fins, peut être appelée un mandataire, mais qui est en réalité l'âme dirigeante de ladite compagnie, l'incarnation même de celle-ci. Cette personne peut relever des actionnaires réunis en assemblée générale; dans d'autres cas, l'âme dirigeante peut être le conseil d'administration lui-même [...]

 

Voir aussi les arrêts 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, [2002] 4 R.C.S. 312, [2002] A.C.S. no 82 (QL), et Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662.

 

[117]      Les décisions individuelles parfois discutables qui ont été prises au cours d'une enquête de police, et qui pourraient certes faire l’objet de discussions internes au sein de la Gendarmerie, ne constituent pas une question d'intérêt public légitime ayant fait disparaître l'obligation de loyauté du caporal Read. Si les soupçons du caporal Read présentaient un intérêt public légitime, il en découle que les inquiétudes du surintendant Dubé quant à la manière différente dont devaient être réparties les ressources limitées dont il disposait seraient elles aussi une question d'intérêt public légitime. De par leur nature même, les enquêtes de police doivent être confidentielles.

 

G. Le préjudice causé à l’employeur

 

[118]      Au paragraphe 49 de ses motifs dans la décision Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2005] 1 R.C.F. 511, 2004 CF 749, le juge Martineau a énuméré les facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer la validité de la défense de dénonciation :


Compte tenu des remarques qui précèdent, les facteurs suivants sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si un fonctionnaire qui fait en public des critiques manque à son obligation de loyauté envers l'employeur : le niveau du poste occupé par l'employé au sein de la hiérarchie gouvernementale; la nature et le contenu de l'expression; la visibilité de l'expression; le caractère délicat de la question; l'exactitude de la déclaration; les démarches que l'employé fait pour connaître les faits avant de prendre la parole; les efforts que l'employé fait pour informer l'employeur de ses préoccupations; la mesure dans laquelle la réputation de l'employeur est ternie et les incidences sur la capacité de l'employeur d'exercer ses activités.

 

[119]      Les deux décisions Haydon no 1 et Haydon no 2 divergent à cet égard. Dans Haydon no 1, la Dre Haydon s'est exprimée sur une question de santé publique dans un domaine à l'égard duquel elle avait une expertise particulière. Il a été jugé que ses remarques ne pouvaient pas faire l’objet d’une sanction parce qu’elles étaient visées par un moyen de défense prévu par l'arrêt Fraser. Dans Haydon no 2, une sanction a été prise contre la Dre Haydon parce qu’elle avait contesté publiquement la position de Santé Canada à l'égard de l'importation de boeuf brésilien. Santé Canada estimait qu'il s'agissait d'une question de santé publique, alors que la Dre Haydon considérait qu'il s'agissait d'une question politique découlant d'un litige commercial entre les deux pays. La Dre Haydon s'est exprimée aussi au sujet d’un domaine pour lequel elle n’avait aucune expertise particulière. La sanction qui lui avait été infligée a résisté au contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale.

 

[120]      En ce qui concerne le caporal Read, le résultat est le même selon que l'on traite l’atteinte à la réputation de l'employeur comme une question distincte ou comme un élément du principal moyen de défense invoqué par Neil Fraser, soit que ses critiques n'étaient pas liées à son emploi. Le caporal Read s’est exprimé sur une question à l'égard de laquelle il avait été impliqué personnellement. Le juge Martineau établit un lien entre les remarques dommageables et la preuve de l’empêchement pour la personne d’accomplir son travail. Il a conclu que les remarques avaient été dommageables aux relations entre le Canada et le Brésil. (Voir aux paragraphes 53 et suivants.)


[121]      Il n'y aucun doute que les remarques faites par le caporal Read l’ont empêché d’accomplir son travail et qu'elles étaient susceptibles de nuire à son employeur. Comme il a été noté dans l'arrêt Fraser, précité, la preuve peut être obtenue par déduction. Il n’était pas nécessaire pour la GRC de démontrer que quelqu’un a effectivement cru le caporal Read lorsqu’il a accusé quatre de ses officiers supérieurs d'avoir commis des actes criminels.

 

[122]      La décision Haydon no 2 est actuellement en appel.

 

H. Le délai dexercice des recours

 

i)                    Les recours internes disponibles

 

[123]      En outre, même si le caporal Read avait été par ailleurs justifié de s'adresser au public, ce qui n'était pas le cas, il ne pouvait pas le faire parce qu'il n'avait pas épuisé tous les recours internes. En principe, un employé loyal donnera à son employeur une possibilité raisonnable de corriger le problème (voir Haydon no 2, au paragraphe 47).

 

[124]      Comme l'a indiqué la Commission des plaintes du public contre la GRC, le demandeur pouvait avoir recours à une procédure de grief.

 


[125]      Plus particulièrement, le 17 août 1999, soit trois jours avant la rencontre fatidique avec le sergent Pasin, le caporal Read a reçu un courriel du commissaire adjoint Cummins, le conseiller en matière d’éthique de la GRC, auquel il avait demandé dexaminer le dossier et qui lui avait répondu que ses conclusions étaient indéfendables. Dans ce courriel, le commissaire adjoint Cummins a mentionné que le surintendant principal Lentin, agent de la Police criminelle de la Division «A », était en vacances jusqu'à la fin du mois. Il a donc rencontré plutôt le commandant Mercier et lui a expliqué la situation ainsi que le point de vue du caporal Read à cet égard. Le commandant Mercier a demandé au commissaire adjoint dinformer le caporal Read que son bureau demeurait ouvert s'il souhaitait lui parler, mais qu'autrement laffaire serait examinée avec le surintendant principal Lentin à son retour de vacances.

 

[126]      Par conséquent, lorsque le caporal Read s'est adressé à la presse immédiatement après le 20 août, il savait parfaitement qu'il aurait pu parler une semaine plus tard avec le commandant adjoint Mercier et le surintendant principal Lentin.

 

ii)                   La provocation

 

[127]      Sil est peut‑être vrai que le caporal Read pouvait être déçu parce que ses supérieurs ne voyaient pas les choses de la même façon que lui, cela ne pouvait justifier sa décision de rendre l'affaire publique. Même si l'on affirmait que la GRC a contrevenu à son obligation de le tenir au courant de l'enquête, ce qui n'était certainement pas le cas, le caporal Read disposait des autres recours indiqués plus haut. Et même s'il n'avait pas disposé de ces recours, ce qu'il a fait n'aurait pas davantage été justifié.

 


[128]      Malgré ce que le caporal Read pouvait penser, le surintendant Dubé et le sergent Pasin n'essayaient pas de le piéger. Comme le caporal Read l'a plus tard reconnu dans un exposé conjoint des faits, le sergent Pasin enquêtait sur une déclaration de M. McAdam selon laquelle les documents que le caporal Read lui avait rendus après qu'il les eut prêtés à la GRC comprenaient un document qu'il n'avait pas fourni à l'origine. On peut fort bien comprendre pourquoi le sergent Pasin a demandé au caporal Read s'il avait dressé une liste des documents envoyés à M. McAdam. Si l'un des documents, qui était protégé, se trouvait par erreur dans la boîte, peut‑être y avait‑il dans cette boîte d'autres documents que M. McAdam n'avait pas communiqués, ou dont il ne s’était pas rendu compte de la présence.

 

[129]      Le caporal Read avait l'obligation de collaborer, une obligation à laquelle il s'est soustrait. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait pensé qu'il pourrait faire l'objet d'un rapport.

 

[130]      Avant de s'adresser au public, le caporal Read a écrit qu'il était prêt à attendre un an de plus et il venait tout juste de recevoir lassurance que des officiers supérieurs étaient prêts à le rencontrer de nouveau. Cest ce qui a incité le comité darbitrage à croire qu'il s'était adressé au public pour disposer d'un « argument de négociation » afin dempêcher le surintendant Dubé dalléguer qu'il avait contrevenu au code de déontologie. En contre-interrogatoire, le caporal Read a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Q.      Et vous avez dit à plusieurs personnes, y compris Pat Cummins, par exemple, et le surintendant St‑Cyr, que si vous vous sentiez coincé, vous vous adresseriez à la presse; est-ce vrai?

 


R.       Oui, je lai dit, oui.

 

Q.      N'est-ce pas un moyen de pression? Nest‑ce pas un argument de négociation avec la GRC, caporal Read?

 

R.       C'est un moyen de pression. C'est un argument de négociation.

 

Q       Est-ce que les moyens de pression ou de négociation font partie du grand et noble concept de dénonciation?

 

R.       Ça fait partie du concept de légitime défense.

 

Q.      Est-ce que ça fait partie du noble concept de dénonciation?

 

R.       Eh bien, quand je me sens attaqué, le bon sens me dit de prendre des mesures pour me protéger. (Transcription 8 février 2002, page 5)

 

[131]      Étant donné que le caporal Read avait déjà contrevenu à ses obligations en montrant à M. McAdam une copie du rapport Balser, qu'aucune mesure n'avait été prise contre lui hormis une évaluation de rendement défavorable et un changement d'affectation, et que les officiers Cummins, Mercier et Lentin - qu'il avait tous accusés d'avoir commis des actes criminels - souhaitaient toujours lui parler, le caporal Read sest adressé au public beaucoup trop tôt, même s'il avait été justifié de le faire. Enfin, le courriel de M. Cummins n'était absolument pas menaçant :

[Traduction] Le commandant a demandé que je vous transmette ce message, et j'ai promis de le faire, mais je pensais que je vous rencontrerais, soit ici dans limmeuble, soit à votre domicile lors d'une de mes promenades à pied dans le voisinage. Je regrette le retard dans la transmission de cette information et j'espère que cela n'a pas causé d'inquiétudes inutiles.

 

[132]      Compte tenu de la provocation à laquelle elle avait dû faire face, la GRC a fait preuve d'une retenue remarquable.

 

iii)        Les obligations des agents de la paix

 


[133]      Le comité darbitrage et le commissaire adjoint Cummins étaient d'avis qu'un agent de police doit être plus prudent quun fonctionnaire ordinaire. Par contre, le Comité externe dexamen a estimé qu'un agent de la paix était justifié de sadresser au public le plus rapidement possible.

 

[134]      Compte tenu de ce que jai déjà dit, il nest pas nécessaire en lespèce dexaminer si les agents de la paix et les fonctionnaires ont une obligation de loyauté différente, ce qui aurait des conséquences sur la défense de dénonciation. Cette question sera tranchée à un autre moment.

 

6. LES PEINES

 

[135]      Le comité darbitrage a ordonné au caporal Read de démissionner de la Gendarmerie et, sil ne sexécutait pas dans les quatorze jours suivants, il a ordonné son congédiement. Cette décision était conforme au paragraphe 45.12(3) de la Loi qui prévoit quatre peines possibles en cas de mesures disciplinaires graves. Dans le cas d’un officier, le comité peut :

 

a)       recommander qu’il soit congédié de la Gendarmerie;

b)       lui ordonner de démissionner de la Gendarmerie, et s’il ne s’exécute pas dans les quatorze jours suivants, recommander son congédiement;

c)       recommander sa rétrogradation;

d)             recommander la confiscation de sa solde pour une période maximale de dix jours de travail.


 

[136]      Le Comité externe d'examen de la GRC a recommandé au commissaire d'accueillir l'appel du caporal Read et ne s'est pas prononcé sur la peine prévue dans la décision du comité.

 

[137]     Le commissaire adjoint Killam en est arrivé à la même décision que le comité darbitrage.

 

[138]     Une analyse approfondie des éléments de preuve favorables et défavorables au caporal Read a été faite. Cette dénonciation injustifiée semble être le seul incident important au cours dune période de près de 25 ans. Par contre, cet unique incident a duré pendant plusieurs années. Le comité a tenu compte des opinions subjectives du caporal Read, de l'honnêteté de ces opinions et de l'absence de gain personnel. Il a également estimé, après réflexion, que le caporal Read aurait peut‑être dû être surveillé de plus près dès le début et que, malgré son refus de collaborer à lenquête du sergent Pasin, il avait été plutôt maladroit de la part du surintendant Dubé dorganiser une rencontre surprise entre le sergent Pasin et le caporal Read qui pensait quon le laissait tranquille. Le comité a toutefois souligné que dautres officiers supérieurs avaient ressenti de la frustration en ce qui concerne le dossier de Hong Kong mais n'avaient pas fait de divulgations dans les médias. Le dossier de Hong Kong navait rien dexceptionnel pour la Section de l'immigration et des passeports qui s'occupait de nombreux dossiers à caractère international. Au bout du compte, le commissaire adjoint Killam a toutefois convenu avec le comité que le caporal Read n'avait pas démontré qu'il était suffisamment digne de foi pour conserver son emploi.

 


[139]      Certains pourraient considérer que la décision quant à la peine était sévère. On aurait pu croire que, malgré le fait que le caporal Read avait perdu sa cote de sécurité, un poste aurait été disponible pour un agent expérimenté tel que lui, même s'il avait, en toute bonne foi, accusé à tort ses supérieurs d'avoir commis des actes criminels.

 

[140]      La réponse se trouve toutefois dans l'arrêt Ryan, précité, de la Cour suprême. La décision quant à la peine était une question mixte de droit et de fait. Le commissaire adjoint Killam a droit à la retenue conformément à la norme de la décision raisonnable simpliciter. « Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. » (Ryan, par. 48). La Cour suprême a aussi noté dans l’arrêt Ryan qu’une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu’elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal (au par. 46).

 

[141]      Le législateur a décidé que le décideur ultime en matière de discipline est le commissaire, lequel doit tenir compte des avis qu'il a reçus du Comité externe d'examen, toujours sous réserve de la possibilité dun contrôle judiciaire. Les motifs de la décision sont énoncés clairement et je ne peux conclure quils sont déraisonnables. Par conséquent, la décision doit être confirmée.

 

7. CONCLUSION

 


[142]      Le caporal Read avait une obligation de loyauté envers la GRC. Il a rendu publics des documents et des renseignements protégés, en violation de cette obligation. La défense de dénonciation ne peut pas être invoquée en l'espèce. La preuve n’était tout simplement pas suffisante pour étayer ses allégations. Les restrictions apportées à son droit de s'exprimer en public, lesquelles sont établies depuis longtemps en common law et sont prévues dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et ses règlements d'application, sont raisonnables eu égard à l'article premier de la Charte. La nécessité d'une force de police impartiale et efficace prime. La décision du commissaire adjoint Killam selon laquelle le caporal Read a contrevenu au code de déontologie de la GRC résiste au contrôle judiciaire, tout comme la peine qui lui a été infligée, soit le congédiement de la Gendarmerie.

 

[143]      Les deux parties ont demandé que les dépens leur soient adjugés. Le caporal Read a soutenu que s'il nobtenait pas gain de cause, aucuns dépens ne devraient être adjugés. Les deux parties étaient représentées chacune par deux avocats à l'audience et elles ont convenu toutes deux que la présence dun représentant additionnel était justifiée.

 

[144]      Je ne vois pas pourquoi les dépens - taxés conformément au milieu de la colonne III avec des honoraires de 50 % pour le second avocat à l'audience - ne devraient pas suivre le sort de la cause.

 

               Sean Harrington              

Juge         


Ottawa (Ontario)

Le 2 juin 2005

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                              T-378-04

 

INTITULÉ :                                                  ROBERT A. READ

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE LAUDIENCE :                                      OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE LAUDIENCE :                                    18 AU 20 AVRIL 2005

 

MOTIFS DE LORDONNANCE :            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                            LE 2 JUIN 2005

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

Paul Champ                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

 

Patrick Bendin

Michael Roach                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Allen, Cameron,

Ballantyne & Yazbeck, LLP

Ottawa (Ontario)                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

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