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                                                                                                                                  Date: 20000519

                                                                                                                            Dossier: T-2181-99

ENTRE :

ROBERT ARTHUR LEE

                                                                                                                                          demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

(GENDARMERIE ROYALE DU CANADA)

et LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA, J.P.R. MURRAY

                                                                                                                                          défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         Au mois de décembre 1998, le demandeur, qui détenait à ce moment-là le grade de caporal au sein de la Gendarmerie royale du Canada, a plaidé coupable à deux allégations de conduite honteuse dans le cadre des procédures disciplinaires prévues aux articles 37 à 45.17 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-9 (la Loi). Parmi les peines que le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (le commissaire) a confirmées, le demandeur a été rétrogradé au grade de gendarme. Le demandeur s'oppose à la rétrogradation et, au moyen de la présente demande, il sollicite son annulation.


[2]         La procédure disciplinaire prévue par la Loi comporte en premier lieu une audience devant un comité d'arbitrage, au cours de laquelle une preuve est présentée au sujet des allégations, et si celles-ci sont fondées, au sujet de la peine à imposer. La décision du comité d'arbitrage peut être portée en appel devant le commissaire. Toutefois, avant d'examiner l'appel, le commissaire doit renvoyer l'affaire à un comité externe d'examen pour que celui-ci énonce les conclusions et recommandations dont il doit tenir compte avant de rendre une décision en appel. En plus des recommandations, le commissaire doit tenir compte du dossier de l'audience devant le comité d'arbitrage, du mémoire d'appel et de toute observation écrite qui est faite. Le commissaire n'est pas lié par les recommandations du Comité externe d'examen, mais s'il ne suit pas les recommandations, il doit motiver sa décision.

[3]         Devant le comité d'arbitrage, le demandeur a plaidé coupable aux allégations suivantes et, ce faisant, il a admis les détails ci-après énoncés :

[TRADUCTION]

Première allégation :

Le 8 mars 1997 ou vers cette date, à Vancouver (Colombie-Britannique) où près de Vancouver, le caporal R.A. Lee s'est conduit d'une façon honteuse qui jette le discrédit sur la Gendarmerie, en violation du règlement 39(1) du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada, qui constitue le paragraphe 39(1) du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada (1988).

Détails :

1.              Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada affecté à la division « E » .

2.              Pendant que vous étiez en repos, le 8 mars 1997 ou vers cette date, vous conduisiez un véhicule automobile de police non balisé en direction sud le long du pont de la rue Cambie, à Vancouver (Colombie-Britannique).

3.              Pendant que vous conduisiez le véhicule automobile, vous aviez les facultés affaiblies par l'alcool.


Troisième allégation :

Le 8 mars 1997 ou vers cette date, à Vancouver (Colombie-Britannique) ou près de Vancouver, le caporal R.A. Lee s'est conduit d'une façon honteuse qui jette le discrédit sur la Gendarmerie, en violation du règlement 39(1) du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada, qui constitue le paragraphe 39(1) du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada (1988).

Détails :

1.              Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada affecté à la division « E » .

2.              Pendant que vous étiez en repos, le 8 mars 1997 ou vers cette date, vous conduisiez un véhicule automobile de police non balisé en direction sud le long du pont de la rue Cambie, à Vancouver (Colombie-Britannique).

3.              Des policiers de la ville de Vancouver vous ont arrêté à un poste de contrôle routier et vous ont demandé de vous ranger au bord de la rue.

4.              Vous avez alors accéléré en dépassant le poste de contrôle et en vous éloignant du pont de la rue Cambie.

5.              Les membres du service de police de Vancouver se sont mis à votre poursuite.

6.              Pendant que vous étiez poursuivi, vous avez conduit votre véhicule automobile [vous avez franchi une intersection] sur un feu rouge et vous avez alors heurté un véhicule à l'intersection.

7.              Après l'accident, vous avez continué à circuler dans les rues de la ville sans vous arrêter. Pendant que vous poursuiviez votre route dans votre véhicule, vous avez excédé la vitesse limite indiquée et vous n'avez pas tenu compte des lois régissant la conduite d'un véhicule automobile en Colombie-Britannique.[1]


[4]         En ce qui concerne la peine à imposer, le demandeur a présenté devant le comité d'arbitrage une preuve à l'appui de l'assertion selon laquelle au moment où il avait ainsi agi, il était atteint d'un syndrome de stress post-traumatique (le SSPT) par suite de son service dans un contingent de maintien de l'ordre des Nations Unies qui était déployé en Croatie et en Bosnie-Herzégovine en 1992 et en 1993 et d'événements traumatiques auxquels il avait subséquemment dû faire face en sa qualité d'agent d'infiltration anti-drogue. De fait, le demandeur a produit un avis médical qui étayait son assertion, à savoir que sa conduite indigne était attribuable au SSPT dont il était atteint et que l'on devrait accorder énormément d'importance à cet élément ainsi qu'au fait que le pronostic était excellent, en tant que facteurs atténuants.

[5]         Le comité d'arbitrage a conclu que si ce n'avait été de la preuve d'expert fournie au sujet du SSPT, il y aurait lieu de congédier le caporal Lee, mais il a imposé les peines suivantes : un avertissement; la rétrogradation au grade de gendarme; des recommandations selon lesquelles le demandeur devait continuer à se présenter à des séances de counselling et à suivre un traitement postcure et qu'il devrait être muté à d'autres fonctions que celles de la lutte anti-drogue.

[6]         Le demandeur a porté l'affaire en appel devant le commissaire. Le Comité externe d'examen a retenu l'argument du demandeur concernant le SSPT et a recommandé que la peine imposée comprenne la confiscation de la solde pour une période de dix jours de travail au lieu d'une rétrogradation ainsi que les autres conditions imposées par le comité d'arbitrage. Toutefois, après avoir examiné tout le dossier, le commissaire a rejeté l'appel et a confirmé la rétrogradation pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]


J'ai minutieusement examiné l'affaire sous tous ses aspects. Il s'agit d'une contravention fort grave au code de déontologie. Normalement, le congédiement serait la peine indiquée étant donné que le caporal Lee s'est enfui lorsque les policiers l'ont arrêté, qu'il a par la suite été impliqué dans un accident et qu'il a quitté les lieux, alors qu'il avait les facultés affaiblies. Toutefois, je me suis laissé influencer par les circonstances atténuantes découlant du fait que le caporal Lee est atteint d'un syndrome de stress post-traumatique, qui aurait pu influer sur son jugement. Cependant, le caporal Lee avait d'autre part déjà participé à des séances de counselling pour avoir fait usage d'alcool pendant qu'il était au volant d'une voiture de police au mois de novembre 1993. Compte tenu de tous les facteurs atténuants ainsi que des facteurs aggravants, j'estime que la peine imposée par le comité d'arbitrage est appropriée. Je comprends les arguments que le Comité a avancés, mais je ne souscris pas à l'assertion selon laquelle une rétrogradation devrait uniquement être imposée à la suite d'un acte commis pendant que l'agent est de service. Tout dirigeant doit être considéré comme un modèle; or, un comportement criminel grave, que la chose se produise pendant que la personne en cause est de service ou pendant qu'elle est en repos, et indépendamment de certaines circonstances atténuantes qui peuvent avoir influé sur son comportement, constitue à mon avis un élément important lorsqu'il s'agit de déterminer si cette personne a l'aptitude voulue pour assurer la supervision au point de vue de son intégrité, de sa crédibilité et de son jugement. Trois genres d'intérêts sont en cause : 1) ceux du membre, 2) ceux de l'organisation et 3) l'intérêt public. Un organisme policier doit établir des normes strictes et doit être considéré comme appliquant ces normes d'une façon appropriée. Je crois que, dans ce cas-ci, la peine imposée établit l'équilibre entre les différents intérêts. L'appel est rejeté. Je confirme la décision par laquelle le comité d'arbitrage a donné un avertissement au caporal Lee et l'a rétrogradé immédiatement au grade de gendarme et j'approuve la recommandation selon laquelle le caporal Lee devrait être muté et qu'il devrait poursuivre les séances de counselling et le traitement postcure.

Je suis heureux de voir que le caporal Lee s'est réadapté; je l'encourage à poursuivre ses efforts et à partager avec d'autres personnes ses expériences au sujet des effets du syndrome de stress post-traumatique.[2]

[7]         Le demandeur ici en cause cherche uniquement à faire infirmer la décision par laquelle le commissaire a confirmé la décision qu'avait prise le comité d'arbitrage de le rétrograder au grade de gendarme.

[8]         En ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer, il est convenu que, par suite de la décision que la Section d'appel de cette cour a rendue dans l'affaire Procureur général du Canada c. Claude Ranson Millard (dossier A-495-98, décision en date du 2 mars 2000), la décision du commissaire peut uniquement être infirmée s'il est démontré qu'elle est manifestement déraisonnable.[3]


[9]         Le demandeur soutient que l'erreur qui rend la décision du commissaire manifestement déraisonnable découle de la conclusion que le commissaire a tirée, à savoir que le SSPT [TRADUCTION] « aurait pu influer » sur son jugement plutôt que d'avoir [TRADUCTION] « causé » l'inconduite elle-même, comme le disait l'avis médical produit devant le comité d'arbitrage.

[10]       À mon avis, cette conclusion n'est pas erronée. Le commissaire a le droit d'accorder de l'importance à l'avis d'expert qui a été versé au dossier; dans ce cas-ci, l'avis d'expert concernant le SSPT a nettement influencé le commissaire, mais pas autant que l'affirme le demandeur ou pas au point recommandé par le Comité externe d'examen.

[11]       Le second argument invoqué à l'appui de la modification de la décision du commissaire est qu'il a été porté atteinte aux droits à l'égalité reconnus au demandeur à l'article 15 de la Charte des droits et libertés parce que celui-ci avait été rétrogradé à cause du syndrome de stress post-traumatique dont il était atteint.

[12]       Comme c'était le cas devant le comité d'arbitrage et devant le Comité externe d'examen, la décision du commissaire résulte simplement de l'appréciation de facteurs atténuants et de facteurs aggravants. Je conclus que l'argument fondé sur l'article 15 concernant la rétrogradation n'est pas valable parce qu'il n'existe pas le moindre élément de preuve tendant à établir que le demandeur a été traité d'une façon différente.


[13]       Par conséquent, la demande est rejetée. Je n'adjuge pas les dépens.

« Douglas Campbell »

Juge

le 19 mai 2000,

Vancouver (Colombie-Britannique).

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-2181-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Robert Arthur Lee

c.

Sa Majesté la Reine et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 16 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Campbell en date du 19 mai 2000

ONT COMPARU :

Catherine Crockett                                            pour le demandeur

Jack Wright                                                       pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karen F. Nordlinger et associés

Avocats

Vancouver (C.-B.)                                            pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    pour les défendeurs



[1] Dossier de la demande du demandeur, p. 229-230.

[2] Ibid, p. 243-244.

[3] L'affaire Millard se rapporte à l'examen de la procédure de règlement des griefs à multiples paliers de la GRC qui a été établie en vertu de la Loi; il a été statué qu'en imposant la norme de la décision manifestement déraisonnable, « la Cour qui siège en contrôle judiciaire ne peut intervenir dans les décisions rendues par une série de tribunaux qui ont été expressément affectés à cette tâche que dans les circonstances inhabituelles » [par. 9]. Il est convenu que la procédure disciplinaire prévue par la Loi comporte un but similaire.

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