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Date : 20031121

Dossier : T-863-02

Référence : 2003 CF 1374

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2003

Présent:    L'honorable juge Blais

ENTRE :

                              ANDRÉLÉONELLI

                                                                Demandeur

                                    et

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                    

                                                                Défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, André Léonelli [ « le demandeur » ] sollicite l'annulation de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [ « le Tribunal » ] rendue le 3 avril 2002 qui confirmait la décision du Tribunal rendue le 19 juin 2001. Le demandeur prie la Cour d'ordonner au Tribunal de lui accorder la pleine pension d'invalidité ou, subsidiairement, de renvoyer le dossier au Tribunal pour jugement conforme aux instructions que la Cour juge appropriées.


FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 11 mai 1958. Il a été membre des forces régulières des Forces armées canadiennes du 11 septembre 1975 au 11 juillet 1993.

[3]                 En mars 1994, le demandeur fait une demande de pension d'invalidité aux termes du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R. (1985), ch. P-6, pour les motifs d'instabilité ligamentaire des chevilles droite et gauche et de chondromalacie aux genoux droit et gauche. Le demandeur soutient que les troubles dont il souffre aux chevilles et aux genoux sont directement liés à ses fonctions au cours de son service militaire.

[4]                 L'examen médical du demandeur lors de son enrôlement dans les Forces armées, daté du 28 août 1975, montre que le demandeur jouit alors d'une excellente santé et qu'il ne souffre d'aucune invalidité, affection, blessure ou maladie ayant un lien avec la pathologie alléguée dans la demande de pension.


[5]                 Au cours de son service militaire, le demandeur a servi dans l'infanterie de septembre 1975 à août 1982, où un entraînement rigoureux exigeait de longues marches avec des poids considérables sur le dos. Le demandeur a également effectué de nombreux sauts en parachute entre les mois de novembre 1976 et novembre 1978, occasionnant des chocs à absorber pour les genoux lors des atterrissages.

[6]                 Dans le cadre de ses fonctions militaires, le demandeur a subi divers traumatismes aux chevilles et aux genoux, notamment des entorses à répétition et une chute sur la glace le 14 décembre 1976 pour laquelle il a consulté les services médicaux de l'armée.

[7]                 De 1983 à 1994, le demandeur a travaillé pour les Forces armées à titre de technicien en système de sécurité pour avions et hélicoptères. Ce travail nécessitait une posture agenouillée ou accroupie pour des périodes prolongées.

[8]                 Depuis 1987, le demandeur se plaint régulièrement de douleurs aux genoux et consulte à cet effet.


DÉCISIONS ANTÉRIEURES

15 avril 1996

[9]                 Le Ministère des anciens combattants refuse d'accorder une pension d'invalidité au demandeur, parce que rien ne prouve que les troubles aux chevilles et aux genoux dont se plaint le demandeur ont été causés, aggravés, sont consécutifs ou rattachés aux fonctions militaires du service des Forces régulières.

Dans la décision, le Ministère reconnaît que les carnets de visites médicales constatent dès 1979 une « instabilité des deux chevilles secondaire à des entorses répétées (parachutisme) » et qu'en 1991, après avoir constaté des problèmes aux genoux depuis sept ou huit ans, un diagnostic de chondromalacie de la rotule gauche est posé.

19 novembre 1996


[10]            Le comité de révision du Tribunal est saisi, en vertu des articles 18 et 21 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel),1995, ch. 18 [ « LTAC(R & A) » ], d'une demande de réexamen. Le demandeur présente les rapports médicaux afférents à son service militaire, ainsi qu'un rapport des activités professionnelles du demandeur dans les Forces de 1975 à 1984, et le rapport médical du Dr Jacques Fortin, physiatre, qui attribue au parachutisme les troubles d'articulations, notamment aux genoux et aux chevilles, qu'il constate chez le demandeur.

[11]            Le comité passe en revue la preuve et conclut que l'affection aux chevilles est directement reliée aux exigences des métiers exercés par le demandeur au cours de son service dans les Forces régulières, et que par conséquent, l'affection aux chevilles ouvre droit à une pension complète.

[12]            Par contre, pour ce qui est de la chondromalacie des genoux, le comité de révision est d'avis que le service dans les Forces n'est qu'un facteur aggravant, et que d'autres facteurs jouent dans l'étiologie du problème, notamment le vieillissement et la corpulence du demandeur. Conformément au paragraphe 21 (2.1) de la Loi sur les pensions, le comité accorde la proportion, calculée en cinquièmes, de l'aggravation qui est attribuable au service. En l'occurrence, le comité accorde deux cinquièmes de la pension totale pour les genoux.

17 juin 1997


[13]            Le comité d'appel est saisi d'une nouvelle preuve, à savoir une nouvelle opinion du Dr Jacques Fortin qui attribue plus directement les problèmes de genoux aux sauts en parachute. Par ailleurs, le demandeur soutient qu'il n'existe aucune preuve médicale selon laquelle le problème serait dû à l'âge ou au poids du demandeur.

[14]            Le Tribunal constate que dans son témoignage devant le comité de révision, le demandeur n'a pas fait référence aux sauts en parachute qui auraient causé ou aggravé l'affection aux genoux. Il conclut que le droit à la pension de deux cinquièmes de la pleine pension représente de façon adéquate le rôle de l'incident du 14 décembre 1976 (chute sur glace) et des exigences du service dans l'aggravation de la chondromalacie des genoux. Il maintient donc la décision antérieure.

18 juin 1998

[15]            Le comité d'appel, appelé à se prononcer sur la suffisance des décisions antérieures qui n'expliquent pas complètement comment on en arrive à la proportion deux cinquièmes/trois cinquièmes pour déterminer la pension à laquelle le demandeur a droit, explique que les facteurs suivants jouent dans cette attribution: le fait qu'il n'y a « aucune évidence médicale au dossier de trauma significatif aux genoux » et « le processus naturel du vieillissement » . Le Tribunal confirme donc encore une fois la décision antérieure.

19 août 1999


[16]            Pour cette demande de réexamen, le comité d'appel tient compte de l'opinion du Dr Denis Duranleau, qui a fait subir un examen de résonance magnétique au demandeur en 1999. Le rapport radiologique montre qu'il y a traumatisme au genou gauche. Le Dr Duranleau est d'avis que les traumatismes répétés [soit les tâches du patient dans les Forces armées, par exemple, sauts en parachute] peuvent être à l'origine des anormalités dans le genou gauche constatées par la résonance magnétique. Le Dr Duranleau ajoute : « Nous ne croyons pas que les trouvailles radiologiques actuelles soient uniquement le processus de vieillissement chez ce patient qui n'a qu'environ 40 ans » .

[17]            Le Tribunal, dans sa décision, déclare ce qui suit:

Même en acceptant le rapport du Dr Duranleau qui note une relation entre l'affection du genou gauche et le service militaire de monsieur Léonelli, le Tribunal n'a pu trouver aucune preuve objective démontrant qu'il subit un traumatisme sérieux durant sa période de service dans les forces régulières. Au contraire, la preuve au dossier indique qu'il n'a jamais subi un traumatisme aux genoux durant les sauts de parachute qu'il a fait au cours de son service.

[18]            Le Tribunal confirme la décision antérieure.


12 avril 2000

[19]            L'avocat-conseil du demandeur présente une demande de réexamen, fondée sur une nouvelle preuve, soit l'opinion du Dr Pierre Legendre, chirurgien-orthopédiste, datée du 11 janvier 2000. Dans sa lettre, le Dr Legendre indique que les symptômes du demandeur sont compatibles avec un diagnostic de chondromalacie patellaire, diagnostic d'ailleurs confirmé par la résonance magnétique.

[20]            D'après le Dr Legendre, la chondromalacie n'est pas une maladie dégénérative; elle peut se produire à tout âge. De plus, la littérature médicale ne rapporte aucun lien entre la chondromalacie et l'obésité. Enfin, il n'est pas nécessaire de constater des macro-traumatismes pour poser ce diagnostic. Dans le cas du demandeur, ses fonctions de technicien en système de sécurité l'obligeaient souvent à s'agenouiller ou s'accroupir, ce qui implique une pression exagérée au niveau des cartilages entre l'articulation de la rotule et du fémur. Le Dr Legendre écrit: "Ceci nous apparaît suffisant pour expliquer le problème de chondromalacie patello-fémorale présenté par [le demandeur]".


[21]            Le comité d'examen choisit de s'appuyer sur les lignes directrices médicales du Ministère pour écarter la preuve du Dr Legendre. Le comité cite les lignes directrices, puis se prononce. Citant les lignes directrices, après que celles-ci indiquent qu'il y a trois types de chondromalacie rotulienne: endogène, causée par un traumatisme ou ostéo-arthitique:

(...) Le deuxième type est habituellement causé par un traumatisme grave direct ou par un traumatisme mineur répété au genou...

[22]            Le comité en tire la conclusion suivante: "Encore une fois, le Tribunal, après avoir bien examiné le dossier [du demandeur], n'a pu trouver aucune preuve objective démontrant qu'il a subi un traumatisme sérieux durant sa période de service (...)". Le Tribunal confirme la décision antérieure.

19 juin 2001

[23]            Le protonotaire Morneau de la Cour fédérale, le 1er décembre 2000, rend une décision qui infirme la décision du Tribunal du 12 avril 2000 et qui renvoie le dossier au Tribunal pour réévaluation de toute la preuve, le Tribunal devant constituer une nouvelle formation et devant notamment tenir compte du rapport d'expert du Dr Pierre Legendre daté du 11 janvier 2000.


[24]            Le comité d'appel rend donc une décision en tenant compte de l'ordonnance du protonotaire. Il repasse la preuve du Dr Duranleau et surtout celle du Dr Legendre, puis cite le Larousse médical pour définir la chondromalacie. Ce dernier ouvrage sert aussi semble-t-il à justifier la position du Ministère, à savoir que l'obésité joue un rôle important dans le problème de genoux du demandeur.

[25]            Le comité d'appel rappelle aussi les directives médicales du Ministère selon lesquelles la chondromalacie rotulienne est souvent un syndrome de surutilisation, qu'on voit par exemple dans les sports et le conditionnement physique.

[26]            Le comité est d'avis que le lien que fait le Dr Legendre entre les fonctions occupées par le demandeur au cours de son service et la chondromalacie est hypothétique. Le Tribunal reconnaît que les articulations du demandeur ont pu être surutilisées dans le cadre des ses fonctions; toutefois, affirme le Tribunal, "La chondromalacie est un syndrome douloureux dont l'origine est endogène". Par ailleurs, poursuit le Tribunal, "l'obésité constitue une source de dommages aux articulations des membres inférieurs, tel qu'en fait foi la littérature médicale".

[27]            Le comité explique ensuite pourquoi on accorde une pension au demandeur pour l'affection aux genoux dans une proportion de deux cinquièmes:

Compte tenu du service militaire du requérant (Fantassin), le Tribunal, constatant l'étendue des dommages aux deux genoux du réclamant, en particulier le genou droit, conclut que les instances antérieures ont effectivement appliqué le bénéfice du doute en considérant que l'affection dont souffre le réclamant a été modérément aggravée par son service, et qu'un pourcentage de deux cinquièmes représente adéquatement le lien de causalité entre l'affection dont souffre le réclamant présentement et son service militaire, et ce strictement quant à l'affection réclamée. Les genoux du réclamant sont à ce point affectés qu'il est difficile de déterminer l'ampleur du lien de causalité entre la posture de travail et l'actualisation de l'affection.


Trois cinquièmes sont retenus pour la nature endogène de la chondromalacie, le rôle néfaste qu'a pu joué [sic] l'obésité dans la manifestation ou l'aggravation des affections à l'étude et/ou tout autre événement sûrement survenu et ce à la simple lecture des rapports radiologiques au dossier.

3 avril 2002

[28]            Le Dr Legendre indique, dans une lettre adressée aux avocats du demandeur le 21 décembre 2001, qu'il n'est pas d'accord avec le Tribunal pour ce qui est de l'origine "endogène" de la chondromalacie. À la fois dans le Larousse médical cité par le Tribunal et dans les propres directives médicales du Ministère, la chondromalacie est décrite comme une conséquence de traumatisme, soit grave, soit à répétition, comme dans le cas de la pratique de sports.

[29]            Le Dr Legendre écrit que l'obésité du demandeur n'est pas, selon les connaissances médicales actuelles, un facteur dans l'apparition ou dans l'aggravation de la chondromalacie du demandeur. Pour le Dr Legendre, il ne fait aucun doute qu'il y a un lien direct entre la surutilisation des genoux et la chondromalacie patello-fémorale du demandeur.

[30]            Cette nouvelle preuve sert de fondement pour une demande de réexamen par un comité d'appel, constitué de façon identique au comité dont l'opinion est critiquée par le Dr Legendre.

[31]            Le comité d'appel, conscient des règles d'interprétation généreuses que prévoit la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), mentionne ces dispositions, puis fait un historique exhaustif des décisions jusqu'ici. Le comité d'appel cite un ouvrage de Yves Ouellette, Les tribunaux administratifs, où l'auteur parle de la difficulté à laquelle est confronté le tribunal administratif qui doit trancher entre deux expertises médicales contradictoires.

[32]            Le comité ne fait nulle mention de la lettre du Dr Legendre du 21 décembre 2001. Après sa revue des décisions antérieures, et la citation de l'ouvrage de M. Ouellette, le comité conclut, en mentionnant pour la première fois la lettre du Dr Legendre:

Pour ces raisons, la demande de réexamen est refusée puisqu'il n'y a aucune erreur de droit ou de fait et la nouvelle preuve invoquée n'a pas de valeur probante significative.

QUESTION EN LITIGE

[33]            Le comité d'appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

a-t-il commis une erreur de fait ou de droit dans sa décision du 3 avril 2002 qui justifierait l'intervention de la Cour fédérale?


LÉGISLATION

[34]            La Loi sur la Cour fédérale donne compétence à la Cour pour intervenir dans une décision d'un office fédéral à l'article 18.1 :



(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

Grounds of review

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


[35]            La LTAC(R & A) établit les règles de preuve qui doivent s'appliquer lorsqu'une demande de pension est présentée au Ministère des anciens combattants :


3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall                                   

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


[36]            La Loi sur les pensions, quant à elle, prévoit une présomption que l'invalidité d'un militaire qui entre sans invalidité dans l'armée est rattachée à son service dans les Forces armées canadiennes :



21. (...)

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

a) d'exercices d'éducation physique ou d'une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu'ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l'intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

g) de l'exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l'environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.

21. (...)

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and

(g) the performance by the member of any duties that exposed the member to an environmental hazard that might reasonably have caused the disease or injury or the aggravation thereof.


[37]            Par ailleurs, toujours à l'article 21, la seule aggravation est compensée selon le système suivant :                                                   


(2.1) En cas d'invalidité résultant de l'aggravation d'une blessure ou maladie, seule la fraction -- calculée en cinquièmes -- du degré total d'invalidité qui représente l'aggravation peut donner droit à une pension.

(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.


[38]            L'aggravation se produirait si l'invalidité existait déjà au moment où la personne s'est enrôlée; sinon, son état de santé est présumé ne pas comporter d'invalidité, sauf preuve du contraire.                                   



(9) Sous réserve du paragraphe (10), lorsqu'une invalidité ou une affection entraînant incapacité d'un membre des forces pour laquelle il a demandé l'attribution d'une compensation n'était pas évidente au moment où il est devenu membre des forces et n'a pas été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement, l'état de santé de ce membre est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l'examen médical, sauf dans les cas suivants :

a) il a été consigné une preuve que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement;

b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.

(9) Subject to subsection (10), where a disability or disabling condition of a member of the forces in respect of which the member has applied for an award was not obvious at the time he or she became a member and was not recorded on medical examination prior to enlistment, that member shall be presumed to have been in the medical condition found on his or her enlistment medical examination unless there is

(a) recorded evidence that the disability or disabling condition was diagnosed within three months after the enlistment of the member; or

(b) medical evidence that establishes beyond a reasonable doubt that the disability or disabling condition existed prior to the enlistment of the member.


ANALYSE                   

Norme de contrôle

[39]            Ce n'est pas la première fois que notre Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal. La norme de contrôle est bien établie, et je crois qu'il suffit de reprendre ici les propos du juge Teitelbaum dans la décision Cundell c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 38 (C.F. 1ère inst.), aux paragraphes 32 et 33, pour la préciser :

[32]          La norme de contrôle applicable en l'espèce a récemment été confirmée par la Cour dans une décision rendue en 1999 par le juge Cullen, soit MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346, où il écrivait au paragraphe 21 de ses motifs :

Lorsque la Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut pas substituer sa propre décision à la décision de l'office ou du tribunal qui est à l'étude. Comme le cadre législatif confère une compétence exclusive au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et comme la clause privative rend ses décisions définitives et exécutoires, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[33]          Il incombe au demandeur de démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit ou qu'il est arrivé à une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : Hall c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890.

L'évaluation de la preuve par le Tribunal


[40]            Il est de jurisprudence constante que le Tribunal doit tenir compte des dispositions d'interprétation prévues par la LTAC(R & A) aux articles 3 et 39, ainsi que des dispositions sur la présomption de l'invalidité rattachée au service militaire que l'on trouve à l'article 21 de la Loi sur les pensions.

[41]            Dans l'affaire Moar c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1555, le juge Heald examine le paragraphe 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, L.R.C. (1985), ch. 20 (3e suppl.), depuis remplacé par l'article 39 de la LTAC(R & A). Le juge Heald écrit au paragraphe 14 de ses motifs :

Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la crédibilité des conclusions du Dr McKenna. S'il avait trouvé son témoignage peu digne de foi, il aurait dû le dire, avec motifs à l'appui. Faute par lui de conclure au manque de crédibilité, l'alinéa 10(5)b) fait que le Tribunal aurait dû ajouter foi au témoignage du Dr McKenna.

Autrement dit, à défaut de contredire la preuve de l'expert, le Tribunal ne peut qu'accepter la conclusion de l'expert qui est favorable au demandeur.

[42]            En l'espèce, le Tribunal ne se prononce jamais sur la crédibilité de l'avis du Dr Legendre. Le Tribunal reconnaît que les facteurs de surutilisation des genoux inhérents aux fonctions du demandeur ont pu aggraver sa condition. Le Dr Legendre voit dans ces fonctions un facteur de causalité; le Tribunal y voit un facteur d'aggravation, quantifiable aux deux cinquièmes en vertu du paragraphe 21 (2.1) de la LTAC(R & A).


[43]            Le Tribunal ne donne pas de motifs, ni dans la décision contestée ni dans les décisions antérieures, pour imputer la chondromalacie des genoux partiellement à des facteurs endogènes, partiellement à des facteurs reliés au service. Pourtant, l'expert le dit clairement : il n'y a aucune raison de croire que des facteurs endogènes sont à l'oeuvre, ni aucune raison de croire que le poids du demandeur joue un rôle quelconque dans la condition de ses genoux.

[44]            En raison de l'article 39, le Tribunal ne peut pas simplement écarter la preuve qui lui est présentée pour y substituer sa propre opinion. C'est là un clair excès de sa compétence, et partant, une erreur de droit qui permet à la Cour d'intervenir. Dans la décision contestée, le Tribunal écarte tout simplement la preuve du Dr Legendre en indiquant qu'elle « n'a pas de valeur probante significative » , sans expliquer davantage. Le Tribunal ne peut ainsi écarter une preuve favorable sans donner ses motifs. Cela revient à priver le demandeur de l'avantage que le législateur entendait clairement lui conférer par le biais de l'article 39.

[45]            Si la LTAC(R & A) donne au Tribunal compétence exclusive en matière de droits aux pensions, et ajoute à cette compétence une clause privative qui prévoit que la décision du Tribunal est finale et exécutoire, elle n'attribue pas pour autant une compétence médicale aux membres du Tribunal.


[46]            Les membres du Tribunal ne sont pas des médecins, ils ne peuvent écarter de leur propre chef ce que disent les experts, ni surtout substituer leur propre opinion qui ne s'appuie ni sur la preuve, ni sur les propres documents qu'ils invoquent. Le caractère endogène de la chondromalacie n'apparaît que comme l'une des formes de cette affection chez l'enfant et le jeune adulte, d'après les directives médicales du Ministère. Rien dans la preuve ne permet d'établir que cette hypothèse s'applique à M. Léonelli. Au contraire, la preuve d'expert non réfutée attribue aux aléas du service la condition actuelle de ses genoux : parachutisme, chute sur glace, surutilisation dans les postures requises pour son travail de technicien. Le Larousse médical et les directives médicales parlent du phénomène de surutilisation comme étant à l'origine du syndrome; parfois, il peut y avoir un traumatisme important qui aurait contribué. Ces énoncés ne contredisent pas ce que dit le Dr Legendre, bien au contraire.

[47]            Comme le soulignait l'arrêt Moar, supra, le Tribunal peut faire appel à un expert médical indépendant (maintenant en vertu de l'article 38(1)). Qui plus est, toujours selon Moar, il a l'obligation de le faire s'il entend contredire une preuve dont il est saisi et qui est par ailleurs jusque là non contredite. Sinon, si cette preuve est favorable au demandeur, il est tenu de l'accepter, aux termes de l'article 39. Encore une fois, de ne pas agir ainsi constitue une erreur de droit.

[48]            Cela suffit, à mon avis, pour disposer de la présente demande de contrôle judiciaire. La demande est accueillie. Je tiens, toutefois, à mentionner quelques considérations, parce qu'elles sont pertinentes, aux instructions que j'ajoute au renvoi au Tribunal.

[49]            La présomption en vertu des paragraphes 21(3) et (9) de la Loi sur les pensions n'a pas été abordée par le Tribunal. Pourtant, elle fait partie de la Loi, et doit entrer en ligne de compte lorsque le Tribunal évalue la demande de pension. Aux termes de ces dispositions, la Loi présume que l'invalidité qui survient au cours des activités normales ou sportives du militaire est rattachée ou consécutive à ces activités. En outre, le constat de l'absence de l'invalidité dans l'examen médical au moment de l'enrôlement suffit pour établir qu'effectivement la personne ne souffrait pas d'invalidité au départ, sauf s'il existe une preuve que l'invalidité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi l'enrôlement, ou si l'on peut faire la preuve hors de tout doute raisonnable que l'invalidité était un état pré-existant.


[50]            Dans l'affaire Hallc. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890, le juge Reed parle de l'importance d'un lien de causalité pour établir une invalidité ouvrant droit à une pension. Dans cette affaire, le requérant avait été membre des Forces de réserve pendant un an (1983-1984). Au cours de cette année, dans le cadre d'un exercice en skis, il était tombé dans une crevasse. Plus de dix ans plus tard, il réclamait une pension pour les séquelles de cet accident. Rien n'avait été enregistré pendant le service militaire de M. Hall, et il avait signé à sa libération un document où il déclarait n'avoir subi aucune blessure de nature à causer une invalidité.

[51]            La situation de M. Léonelli est tout à fait différente. Son service a duré 18 ans. Les sauts en parachute, une chute sur la glace en 1976, son travail de technicien en système de sécurité sont documentés. À sa libération, il avait déjà des problèmes aux genoux. La nature de la preuve n'est tout simplement pas comparable à ce que l'on trouve comme situation factuelle dans l'affaire Hall.

[52]            Avec égards, je ne crois pas qu'il incombe ici au demandeur de faire la preuve du lien de causalité. La clause déterminative du paragraphe 21(3) ( « ...est réputée, sauf preuve contraire... » ) suffit pour renverser le fardeau de la preuve. C'est à celui qui s'oppose à la demande de prouver que la blessure ou la maladie n'est pas rattachée au service.


[53]            Le Tribunal, depuis le début, voit dans l'état des genoux du demandeur une aggravation de sa condition, aggravation pour laquelle le Tribunal n'accorde qu'une fraction, en cinquièmes, de la pension aux termes du paragraphe 21(2.1). Il n'existe aucune preuve que la chondromalacie dont souffre M. Léonelli existait préalablement à son enrôlement, ou qu'elle serait survenue sans les conditions dans lesquelles s'est trouvé M. Léonelli au cours de son service. Vu la présomption des paragraphes 21(3) et (9), vu le témoignage expert qui figure au dossier, le Tribunal est tenu de conclure, à moins de preuve contraire, que la chondromalacie est survenue au cours du service, et qu'elle y est donc rattachée et consécutive.

[54]            Le défendeur soutient que la Cour ne peut intervenir par rapport aux décisions antérieures, et invoque à l'appui de cet argument la décision dans l'affaire MacKay. Il ne s'agit pas de revenir sur les décisions antérieures. Le fait est que le comité d'appel réitère ses conclusions de fait dans la décision du 3 avril 2002; la Cour peut donc, à mon sens, se prononcer sur le fondement de ces conclusions.

[55]            Le Tribunal dans sa décision du 3 avril 2002 passe d'abord en revue les différents articles de la loi applicables pour ensuite faire une revue des décisions rendues dans le présent dossier depuis 1996 jusqu'au 19 juin 2001. Le Tribunal parle ensuite de la lourde tâche du tribunal administratif qui doit trancher entre des avis d'experts souvent contradictoires. Tel n'est pas le cas ici. Aucune preuve crédible n'a été présentée pour contredire la preuve du Dr Legendre.


[56]            Fait important à noter, bien qu'il cite plusieurs décisions sans les commenter, le Tribunal oublie, volontairement ou involontairement, la décision rendue par le protonotaire Morneau en date du 1er décembre 2000, laquelle casse la décision du Tribunal du 12 avril 2000, renvoie le dossier au Tribunal pour réévaluation et précise particulièrement la nécessité d'examiner le rapport d'expert du Dr Pierre Legendre.

[57]            Il apparaît inconcevable, ou pour le moins curieux, que le Tribunal fasse plusieurs références à des décision antérieures à la décision du protonotaire et néglige le fait que la décision du protonotaire Morneau ébranlait sérieusement les conclusions antérieures à décembre 2000. En effet, l'ordonnance obtenue avec le consentement des deux parties précisait comme directive au Tribunal que le rapport du Dr Legendre soit pris en compte dans une nouvelle analyse par le Tribunal.


[58]            Le fait pour le Tribunal, d'une part, de ne pas mentionner la décision rendue par le protonotaire Morneau dans la révision effectuée dans sa décision du 19 juin 2001, et d'autre part, de faire référence aux décisions antérieures qui avaient été infirmées par la décision du protonotaire Morneau, tend à démontrer que le Tribunal n'a absolument pas tenu compte de la décision du protonotaire Morneau et de l'importance que ce dernier accordait au rapport du Dr Legendre. Le fait que le Tribunal n'ait pas pris la peine de présenter le moindre motif justifiant le rejet du rapport du Dr Legendre du 11 janvier 2000, et son complément d'expertise du 21 décembre 2001, ainsi que l'absence d'expertise contradictoire quant à ce rapport sont éloquents et m'incitent à conclure à la nécessité que malgré l'article 32 de la LTAC(R & A), il y va de l'intérêt de la justice et de l'intérêt de toutes les parties que l'affaire soit entendue par une nouvelle formation du Tribunal.


                                                               O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE QUE:

[1]                 La décision du 3 avril 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée au Tribunal pour un réexamen, avec les instructions suivantes :

1)        Le Tribunal est tenu soit d'accepter les conclusions du Dr Legendre quant à la causalité de la chondromalacie des genoux chez le demandeur soit d'obtenir un avis expert aux termes de l'article 38 de la LTAC(R & A);

2)         Les présomptions de la Loi prévues aux articles 3 et 39 de la LTAC(R & A) et aux paragraphes 21(3) et (9) de la Loi sur les pensions doivent être appliquées avec rigueur;

3)         Une nouvelle formation doit entendre l'appel de la décision du 3 avril 2002.

[2]                 Le tout avec dépens en faveur du demandeur incluant le coût des expertises médicales.

                  « Pierre Blais »                   

     J.C.F.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-863-02

INTITULÉ :                                        André Léonelli c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :              15 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                      21 novembre 2003

COMPARUTIONS :

Alain Trudel                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mariève Sirois-Vaillancourt                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lajoie, Beaudoin, Héon

225, rue des Forges

bureau 207, c.p. 606

Trois-Rivières, Qc

G9A 5J4                                                

(819) 374-4617

fax (819) 376-6690                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest

Tour est, 5e étage

Montréal, Qc

H2Z 1X4


(514) 496-9234

fax (514) 283-3856                                                                        POUR LE DÉFENDEUR


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