Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                             

Date : 20021024

Dossier : T-2799-96

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 24 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                              KIRRBI AG et LEGO CANADA INC.

                                                                                                                             demanderesses/

       défenderesses reconventionnelles

                                                                          - et -

                                RITVIK HOLDINGS INC. / GESTIONS RITVIK INC.

            (faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.)

                                                                                                                                 défenderesse/

         demanderesse reconventionnelle

                             JUGEMENT COMPLÉMENTAIRE SUR LES DÉPENS

VU le jugement qui a été rendu dans le présent dossier le 24 mai 2002 et qui a été déposé le 30 mai 2002 et qui comprend les paragraphes suivants :

170. En principe, j'estime que les dépens doivent suivre le sort du principal. Je ne pense pas qu'une ordonnance d'adjudication des dépens soit justifiée à l'égard de la demande reconventionnelle. Les avocats sont convenus que le règlement des questions relatives au calcul des dépens devrait être ajourné, à moins qu'ils ne puissent s'entendre à ce sujet.


[171] Je sursois à la décision concernant les dépens afférents à la demande reconventionnelle de Ritvik et le calcul des dépens découlant du rejet de l'action des demanderesses. Une fois qu'aura été prononcé le jugement en la présente espèce et que les présents motifs auront été communiqués, les avocats disposeront d'un délai raisonnable pour examiner lesdits jugements et motifs et pour présenter des mémoires sur la question des dépens - dans le cas oùils ne pourraient parvenir à un accord sur cette question -, après quoi, s'il y a lieu, sera rendu un jugement complémentaire relativement aux dépens.

ATTENDU que les avocats ont informéla Cour qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre sur la totalité des questions relatives aux dépens et ayant présenté à la Cour leurs observations à ce sujet conformément à lchéancier qui a été établi d'un commun accord;

AYANT TENU COMPTE des observations qui ont été formulées au sujet des dépens pour le compte des parties, ainsi que des dispositions suivantes des Règles de la Cour fédérale (1998), en l'occurrence les paragraphes 400(1) et 400(3) et plus particulièrement les alinéas a), c), e), g) et k) de ce paragraphe, les paragraphes 400(5), (6) et (7), les articles 403, 405 et 407 et le paragraphe 420(2);

ATTENDU que les avocats n'ont pas expressément réclamé la tenue d'une audience sur la question des dépens :

LA COUR, SANS COMPARUTION DES AVOCATS, ORDONNE LES MESURES SUIVANTES :


1.         Sous réserve des dispositions contraires ci-après prévues, la défenderesse Ritvik Holdings Inc. / Gestions Ritvik Inc. (faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.) a droit aux dépens de la présente action, qui devront être taxés conformément aux directives qui suivent :

2.         Chacune des parties supportera ses propres dépens en ce qui concerne la demande reconventionnelle de Ritvik Holdings Inc. / Gestions Ritvik Inc. (faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.);

3.         La taxation des dépens de la défenderesse aura lieu conformément aux directives suivantes :

a)         l'officier taxateur taxera les dépens de la défenderesse en accordant le nombre maximal d'unités prévu à la colonne IV du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) au titre des honoraires d'un (1) premier avocat et de deux (2) seconds avocats pour la préparation et la présence à l'instruction et des honoraires d'un (1) premier avocat et d'un (1) second avocat pour la préparation et la présence à l'enquête préalable;

            b)         la défenderesse a droit au remboursement de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes que Me Brahm Segal, l'avocat interne de la défenderesse, a engagés pour l'enquête préalable et pour la préparation et sa présence à l'instruction;

            c)         aucune somme spéciale ne sera accordée à la défenderesse du fait de l'offre de règlement qu'elle a signifiée à la demanderesse le 17 août 1999;


            d)         chacune des parties supportera ses propres dépens relativement à la seconde requête en jugement sommaire que la défenderesse a signifiée à la demanderesse le 21 juillet 2000;

            e)         la défenderesse a droit au remboursement de tous les débours et frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes de ses six (6) témoins experts.

4.        Chacune des parties supportera ses propres dépens en ce qui concerne la requête visant à établir lchéancier de l'instruction de la première requête en jugement sommaire, selon les modalités de l'ordonnance rendue par la Cour le 15 décembre 1997, et la requête en modification des actes de procédure, selon les modalités de l'ordonnance rendue par la Cour le 9 janvier 2002;

5.        Les demanderesses ont droit aux dépens de la première requête en jugement sommaire, ainsi qu'il est prévu dans l'ordonnance prononcée par la Cour le 23 juin 1998, et les dépens en question devront être taxés conformément aux directives suivantes :

a)         l'officier taxateur taxera les dépens des demanderesses en accordant le nombre maximal d'unités prévu à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) au titre des honoraires d'un (1) premier avocat et d'un (1) second avocat pour la préparation et la présence lors du contre-interrogatoire relatif à l'instruction de la requête en question;


            b)         les demanderesses ont droit au remboursement de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables pour leur témoin expert, M. Alex Manu, pour la préparation de son affidavit d'expert et pour sa présence lors du contre-interrogatoire du témoin de la défenderesse, M. Barber;

6.         Les demanderesses ont droit à leurs dépens relativement à la requête du 10 mai 2000, conformément aux dispositions de l'ordonnance du 15 mai 2000.

                                                                    « Frederick E. Gibson »     

                                                                                                    Juge                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                              Date : 20021024

                                                                       Dossier : T-2799-96

                                           Référence neutre : 2002 CFPI 1109

ENTRE :

                      KIRRBI AG et LEGO CANADA INC.

                                                                             demanderesses/

    défenderesses reconventionnelles

                                                  - et -

        RITVIK HOLDINGS INC. / GESTIONS RITVIK INC.

(faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.)

                                                                                 défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

MOTIFS DU JUGEMENT COMPLÉMENTAIRE SUR LES DÉPENS

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]         Aux termes d'un jugement rendu le 24 mai 2002 qui a été déposé le 30 mai 2002, j'ai rejetéla présente action et la demande reconventionnelle s'y rapportant et j'ai précisé qu'un jugement complémentaire serait prononcé au besoin au sujet des dépens. Comme on pouvait s'y attendre, les avocats des parties n'ont pas réussi à s'entendre sur tous les aspects de la question des dépens. En conséquence, au vu des observations écrites présentées au nom des parties, j'ai décidé de rendre un jugement complémentaire au sujet des dépens. Une copie de ce jugement complémentaire est annexée aux présents motifs.

[2]         Les avocats ont réussi à s'entendre, ou du moins ntaient pas en profond désaccord, sur certains des aspects du jugement que j'ai rendu au sujet des dépens. Les présents motifs concernent uniquement cinq (5) des questions visées par le jugement relatif aux dépens à lgard desquelles les avocats étaient en profond désaccord. Voici ces questions :

a)         le barème selon lequel les dépens de la défenderesse devraient être taxés;

            b)         le remboursement à la défenderesse de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes que son avocat interne a engagés pour l'enquête préalable et pour sa préparation et sa présence à l'instruction;

            c)         le double des dépens, à l'exclusion des débours, par suite de l'offre de règlement;

            d)         les dépens de la seconde requête en jugement sommaire dont la défenderesse s'est finalement désistée;

            e)         les honoraires et débours des témoins experts de la défenderesse.

Chacune de ces questions sera abordée séparément.


ANALYSE

            a)         Le barème selon lequel les dépens de la défenderesse devraient être taxés

[3]         L'avocat de la défenderesse soutient que l'officier taxateur devrait taxer les dépens de la présente action en accordant à la défenderesse le nombre maximal d'unités prévu à la colonne V du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) au titre des honoraires d'un (1) premier avocat et de deux (2) seconds avocats pour la préparation et la présence à l'instruction et des honoraires d'un (1) premier avocat et d'un (1) second avocat pour la préparation et la présence à l'enquête préalable.

[4]         L'avocat des demanderesses affirme pour sa part que l'officier taxateur devrait taxer les dépens des demanderesses pour la présente action en accordant le nombre maximal d'unités prévu à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).


[5]         Le paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)[1] (les Règles) prévoit que la Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer. Le paragraphe 400(3) énumère une série de facteurs détaillés mais non exclusifs dont la Cour peut tenir compte dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 400(1). Au vu des faits de la présente affaire, j'estime que les facteurs suivants revêtent une importance particulière : premièrement, le résultat de l'instance. Ainsi que je l'ai signalé au paragraphe [170] des motifs que j'ai antérieurement prononcés dans la présente affaire :

170. En principe, j'estime que les dépens doivent suivre le sort du principal [...]

Deuxièmement, l'importance et la complexité des questions en litige - et je suis convaincu que les questions qui ont été analysées au cours des dix-neuf (19) jours que la Cour a consacrés à l'instruction de la présente affaire sont à la fois importantes et complexes -; troisièmement, le fait qu'une offre écrite de règlement a été faite pour le compte de la défenderesse; en quatrième lieu, la charge de travail qui, j'en suis convaincu, était considérable et, finalement, la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été entreprise avec trop de circonspection.

[6]         Dans le jugement Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceutical International Ltd.[2], le juge Reed écrit ce qui suit, à la page 372, sous la rubrique « Barème des dépens » :

La demanderesse sollicite des dépens supérieurs au niveau prévu à la colonne III du tarif B (le niveau auquel les dépens sont taxés sauf si la Cour ne l'ordonne autrement). Le niveau des dépens prévus à la colonne III s'applique à une affaire de complexité moyenne. Roger Hughes fait remarquer dans les feuilles mobiles du Federal Court of Canada Service que [TRADUCTION] « la colonne III vise à couvrir à peu près la moitié d'un mémoire modeste » . La demanderesse propose plusieurs autres solutions en remplacement du niveau des dépens de la colonne III : [...] [dont ] le taux maximal de la colonne V du tableau du tarif B. Si un niveau du tarif B est jugé adéquat, la demanderesse sollicite qu'une directive soit donnée pour que les dépens admissibles comprennent les honoraires de deux avocats principaux et d'un avocat en second.


[7]         Le juge Reed a ensuite examiné certains des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, y compris notamment chacun de ceux que j'ai déjà mentionnés. Elle a conclu que les circonstances de l'espèce justifiaient une taxation des dépens suivant le maximum de la fourchette prévue à la colonne V. Elle s'est également dite convaincue qu'il y avait lieu d'accorder les honoraires, à l'instruction, de deux (2) avocats principaux et d'un (1) avocat en second, compte tenu du fait que la partie qui succombait avait elle-même trois (3) avocats pour la représenter devant le tribunal. « La nature de l'affaire justifiait ce nombre. »

[8]         Par contraste, dans le jugement Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser[3], le juge MacKay en est arrivé à une conclusion différente après avoir, lui aussi, tenu compte de plusieurs des facteurs énumérés au paragraphe 400(3). Voici ce qu'il a écrit, au paragraphe 17 de ses motifs au sujet notamment de la charge de travail nécessitée par ce dossier :

À mon avis, ces considérations ne justifient pas, en l'espèce, des dépens plus élevés que les dépens partie-partie normaux qui sont représentés par la colonne III dans le tarif B. Dans la mesure où le volume de travail était plus grand que d'habitude et que les dépenses réelles étaient beaucoup plus grandes que ce qui est recouvrable en vertu de la colonne III, ces facteurs faisaient substantiellement partie des conséquences nécessaires de la nature du brevet en cause et des problèmes de preuve en découlant pour établir la violation. On ne devrait pas s'attendre à ce que les frais reflétant ces conséquences soient assumés par les défendeurs en l'espèce. À mon avis, ils constituent un aspect des dépenses d'entreprise des demanderesses. Quelques inventions peuvent être naturellement plus coûteuses à défendre que d'autres.


[9]         Vu l'ensemble des faits de la présente affaire, je préfère en principe la thèse du juge Reed. J'en serais peut-être arrivé à une conclusion différente si les demanderesses avaient obtenu gain de cause, comme c'était le cas dans les affaires dont le juge Reed et le juge MacKay étaient saisis. Dans ces conditions, j'ai décidé d'adopter une solution de compromis entre celle proposée par le juge Reed et celle qu'a retenue le juge MacKay. Voici les facteurs qui m'ont influencé à cet égard : premièrement, je ne suis pas convaincu que l'offre de règlement écrite de la défenderesse devrait jouer en sa faveur. Je reviendrai sur cet aspect plus loin dans les présents motifs. En second lieu, je ne suis pas d'accord avec l'avocat de la défenderesse pour dire que la présente instance a été de quelque façon que ce soit irrégulière, vexatoire ou inutile ou qu'elle a été introduite avec trop de circonspection. Autrement dit, je ne suis pas convaincu que l'on puisse dire que les demanderesses cherchent, par le biais de la présente action, à « abuser » de leurs droits en matière de propriété intellectuelle en prolongeant la durée de la protection d'un brevet expiré sous le couvert de la protection accordée à une marque de commerce.

[10]       En conséquence, j'adopte une solution de compromis entre les solutions proposées par chacune des parties en ordonnant que les dépens de la défenderesse soient calculés en fonction du nombre maximal d'unités prévu à la colonne IV du tableau du tarif B des Règles.

[11]       Tout comme dans l'affaire Apotex c. Syntex, précitée, je suis convaincu que la somme réclamée pour les honoraires de plus d'un (1) avocat tant à l'instruction qu'à l'enquête préalable est justifiée. Comme dans cette affaire, chacune des parties était représentée en l'espèce par au moins trois (3) avocats, du moins lors de l'instruction. Cet aspect des points litigieux relatifs aux dépens n'a pas vraiment été contesté.


b)                   Remboursement à la défenderesse de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes que son avocat interne a engagés pour l'enquête préalable et pour sa préparation et sa présence à l'instruction

[12]       L'avocat des demanderesses affirme qu'il existe des décisions importantes et pertinentes suivant lesquelles il n'y a pas lieu d'accorder des dépens pour la participation d'un avocat interne. Il cite à cet égard l'arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc.[4], dans lequel le juge Mahoney écrit :

À mon avis, il [l'avocat américain] ne fait qu'une seule et même personne avec son employeur. Je ne connais aucun précédent qui appuie la proposition qu'une adjudication de dépens entre parties englobe les frais de déplacement et de subsistance qu'a engagés la partie qui a obtenu gain de cause pour donner des directives à l'avocat et pour comparaître à l'audience, aussi nécessaires qu'elles aient pu être. Ces débours ne devraient pas être accordés.

Dans le même sens, voir l'arrêt TWR Inc. c. Walbar of Canada Inc.[5].

[13]       Depuis que les décisions précitées ont été rendues, les Règles de la Cour fédérale ont été remaniées en profondeur et leur philosophie et leur objet en matière de dépens ont été modifiés, ce qui revêt une grande importance dans le cas qui nous occupe. Le passage précité des motifs rédigés par Mme le juge Reed dans l'affaire Apotex c. Syntex, précitée, illustre bien ce « changement de cap » . Je suis convaincu que les dispositions actuelles des Règles se rapprochent en fait davantage de l'article suivant de la Loi sur les procureurs[6] de l'Ontario :


36. Les dépens adjugés à une partie à une instance ne doivent pas être refusés ni réduits lors de la liquidation des dépens que parce qu'ils ont rapport aux services d'un procureur ou d'un avocat-conseil qui est un employé salarié de la partie.

[14]       Compte tenu des brèves considérations qui précèdent, j'ai décidé d'accorder àla défenderesse le remboursement de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes que son avocat interne a engagés pour l'enquête préalable et pour sa préparation et sa présence à l'instruction.

c)         Le double des dépens, à l'exclusion des débours, par suite de l'offre de règlement

[15]       Le préambule du paragraphe 420(2) et de l'alinéa 420(2)b) des Règles est ainsi libellé :


420.(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur :

...

b) n'obtient pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement.


420.(2) Unless otherwise ordered by the Court, where a defendant ,makes a written offer to settle that is not revoked,

...

b) if the plaintiff fails to obtain judgment, the defendant shall be entitled to party-and-party costs to the date of the service of the offer and to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment.



[16]       L'avocat de la défenderesse signale que, peu de temps après que sa cliente eut obtenu de la part de LEGO, lors de l'enquête préalable, l'aveu que la face supérieure de son bloc LEGO de base est fonctionnel et que les saillies sur la face supérieure sont plus particulièrement fonctionnelles, elle a offert de régler la présente action en se désistant de son action, le tout sans frais. L'avocat de la défenderesse cite le jugement Visx, Inc. c. Nidek Co.[7] à l'appui de sa thèse que cette offre n'équivalait pas à une simple offre de renonciation aux dépens mais plutôt à un « compromis légitime » et qu'elle tombait par conséquent sous le coup de l'alinéa 420(2)b).

[17]       J'ai décidé de ne pas retenir la solution préconisée par la défenderesse. Je suis convaincu qu'un aveu portant sur la fonctionnalité d'un objet n'a pas une importance assez grande pour faire d'une offre de renonciation aux dépens à la suite d'un désistement un « compromis légitime » , comme le démontre bien le fait qu'environ un (1) an après que cette offre eut été faite en son nom, la défenderesse a présenté une seconde requête en jugement sommaire en se fondant sur la question de la fonctionnalité et qu'elle n'a pas donné suite à cette requête, puisqu'elle s'en est finalement désistée. Une fois de plus, compte tenu du bref résumé qui précède des éléments dont j'ai tenu compte, j'ai décidé de ne pas accorder à la défenderesse le double des dépens entre parties pour la période qui a suivi la rédaction de l'offre écrite de renonciation aux dépens à la suite du désistement de l'action.

d)         Les dépens de la seconde requête en jugement sommaire dont la défenderesse s'est finalement désistée


[18]       La défenderesse souligne, comme il a déjà été précisé dans les présents motifs, que la seconde requête en jugement sommaire qu'elle a présentée en se fondant sur l'aveu de fonctionnalité aurait fort bien pu sceller le sort de la présente action et qu'elle ne s'en est désistée qu'après que l'avocat des demanderesses eut estimé que l'instruction de cette requête nécessiterait beaucoup de temps et que l'abandon de cette requête était donc justifié lorsque des dates d'instruction accélérée ont été proposées au nom de la Cour. L'avocat de la défenderesse fait valoir que, dans ces conditions, la défenderesse a droit aux dépens extrajudiciaires pour la requête dont elle s'est désistée. En revanche, l'avocat des demanderesses soutient que son estimation du temps requis pour l'instruction de la requête en jugement sommaire n'était pas déraisonnable et qu'à l'époque, il était loin d'être certain que la requête serait accueillie.

[19]       Je suis convaincu que la solution proposée pour le compte des demanderesses devrait être retenue sur cette question. Rien ne me permet de conclure de façon raisonnable que l'avocat des demanderesses a surestimé, et encore moins excessivement surestimé, le temps que nécessiterait l'instruction de la requête en jugement sommaire sur la question de la fonctionnalité. Cette question était cruciale lors de l'instruction que j'ai présidée et elle nécessitait l'évaluation d'importants témoignages d'experts des deux parties. Je conclus que chacune des parties devrait supporter ses propres dépens en ce qui concerne la seconde requête en jugement sommaire dont la défenderesse s'est désistée.

            e)         Les honoraires et débours des témoins experts de la défenderesse


[20]       Les deux parties ont longuement fait témoigner des experts au procès. Bien que les demanderesses se soient fondées sur le témoignage d'un moins grand nombre d'experts que la défenderesse, à au moins deux reprises avant l'instruction, les demanderesses ont demandé à la Cour l'autorisation de faire entendre un plus grand nombre de témoins experts que celui qui serait normalement permis au procès. Bien que cette autorisation ait été refusée, l'insistance avec laquelle les demanderesses ont réclamé cette mesure montre qu'elles reconnaissaient bien l'influence qu'exercerait le témoignage des experts sur le résultat final.

[21]       Comme mes motifs du jugement le démontrent, je considère que le témoignage des experts que la défenderesse a fait entendre est pertinent, convaincant et, dans une large mesure, déterminant lorsqu'on le compare au témoignage des experts qui ont comparu pour le compte des demanderesses. Le fait que les honoraires et les débours qui ont été engagés pour permettre à la Cour de bénéficier de ces témoignages étaient très élevés ne devrait pas jouer un rôle déterminant. Il est acquis aux débats que les enjeux sont élevés pour les deux parties. Je conclus qu'on ne devrait pas reprocher à la défenderesse d'avoir fait de son mieux à l'instruction pour faire entendre des témoins experts utiles, crédibles et compétents, malgré les frais qui, j'en suis convaincu, étaient peu élevés par rapport aux sommes en jeu.

[22]       Dans le jugement Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd.[8], le juge Rouleau écrit, à la page 65 :

[...] la Cour ne devrait pas rejeter comme superflues les dépenses afférentes à un témoin, à moins qu'elle n'estime que la partie ne pouvait pas raisonnablement penser que la déposition de ce témoin était pertinente et de nature à appuyer sa cause. La Cour doit se fonder sur ce qui pouvait paraître rationnel aux yeux des parties à l'époque du procès.


[23]       Compte tenu de ce critère - qui s'applique tout à fait selon moi aux témoins experts de la défenderesse, dont la déposition était pertinente et de nature à appuyer la cause de la défenderesse -, je conclus que la déposition de ces témoins et, partant, leur comparution au procès en vue d'être contre-interrogés, pouvait paraître entièrement rationnelle aux yeux de la défenderesse, peu en importe le coût.

[24]       Je suis donc convaincu que la défenderesse a droit au remboursement de tous les débours et frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes de ses six (6) témoins experts.

CONCLUSION

[25]       En conséquence, un jugement complémentaire conforme à celui qui est joint aux présentes sera rendu au sujet des dépens.

                                                                    « Frederick E. Gibson »     

                                                                                                    Juge                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                     

PIÈCE JOINTE

Date : 20021024

Dossier : T-2799-96

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 24 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                      KIRRBI AG et LEGO CANADA INC.

                                                                             demanderesses/

    défenderesses reconventionnelles

                                                  - et -

        RITVIK HOLDINGS INC. / GESTIONS RITVIK INC.

(faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.)

                                                                                 défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

     JUGEMENT COMPLÉMENTAIRE SUR LES DÉPENS

VU le jugement qui a été rendu dans le présent dossier le 24 mai 2002 et qui a été déposé le 30 mai 2002 et qui comprend les paragraphes suivants :


170. En principe, j'estime que les dépens doivent suivre le sort du principal. Je ne pense pas qu'une ordonnance d'adjudication des dépens soit justifiée à l'égard de la demande reconventionnelle. Les avocats sont convenus que le règlement des questions relatives au calcul des dépens devrait être ajourné, à moins qu'ils ne puissent s'entendre à ce sujet.

[171] Je sursois à la décision concernant les dépens afférents à la demande reconventionnelle de Ritvik et le calcul des dépens découlant du rejet de l'action des demanderesses. Une fois qu'aura été prononcé le jugement en la présente espèce et que les présents motifs auront été communiqués, les avocats disposeront d'un délai raisonnable pour examiner lesdits jugements et motifs et pour présenter des mémoires sur la question des dépens - dans le cas oùils ne pourraient parvenir à un accord sur cette question -, après quoi, s'il y a lieu, sera rendu un jugement complémentaire relativement aux dépens.

ATTENDU que les avocats ont informé la Cour qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre sur la totalité des questions relatives aux dépens et ayant présenté à la Cour leurs observations à ce sujet conformément à lchéancier qui a été établi d'un commun accord;

AYANT TENU COMPTE des observations qui ont été formulées au sujet des dépens pour le compte des parties, ainsi que des dispositions suivantes des Règles de la Cour fédérale (1998), en l'occurrence les paragraphes 400(1) et 400(3) et plus particulièrement les alinéas a), c), e), g) et k) de ce paragraphe, les paragraphes 400(5), (6) et (7), les articles 403, 405 et 407 et le paragraphe 420(2);

ATTENDU que les avocats n'ont pas expressément réclamé la tenue d'une audience sur la question des dépens :


LA COUR, SANS COMPARUTION DES AVOCATS, ORDONNE LES MESURES SUIVANTES :

1.         Sous réserve des dispositions contraires ci-après prévues, la défenderesse Ritvik Holdings Inc. / Gestions Ritvik Inc. (faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.) a droit aux dépens de la présente action, qui devront être taxés conformément aux directives qui suivent :

2.         Chacune des parties supportera ses propres dépens en ce qui concerne la demande reconventionnelle de Ritvik Holdings Inc. / Gestions Ritvik Inc. (faisant maintenant affaires sous la raison sociale de Mega Bloks Inc.);

3.         La taxation des dépens de la défenderesse aura lieu conformément aux directives suivantes :

a)         l'officier taxateur taxera les dépens de la défenderesse en accordant le nombre maximal d'unités prévu à la colonne IV du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) au titre des honoraires d'un (1) premier avocat et de deux (2) seconds avocats pour la préparation et la présence à l'instruction et des honoraires d'un (1) premier avocat et d'un (1) second avocat pour la préparation et la présence à l'enquête préalable;


            b)         la défenderesse a droit au remboursement de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes que Me Brahm Segal, l'avocat interne de la défenderesse, a engagés pour l'enquête préalable et pour la préparation et sa présence à l'instruction;

            c)         aucune somme spéciale ne sera accordée à la défenderesse du fait de l'offre de règlement qu'elle a signifiée à la demanderesse le 17 août 1999;

            d)         chacune des parties supportera ses propres dépens relativement à la seconde requête en jugement sommaire que la défenderesse a signifiée à la demanderesse le 21 juillet 2000;

            e)         la défenderesse a droit au remboursement de tous les débours et frais de déplacement et d'hébergement raisonnables et de tous les frais connexes de ses six (6) témoins experts.

4.        Chacune des parties supportera ses propres dépens en ce qui concerne la requête visant à établir lchéancier de l'instruction de la première requête en jugement sommaire, selon les modalités de l'ordonnance rendue par la Cour le 15 décembre 1997, et la requête en modification des actes de procédure, selon les modalités de l'ordonnance rendue par la Cour le 9 janvier 2002;


5.        Les demanderesses ont droit aux dépens de la première requête en jugement sommaire, ainsi qu'il est prévu dans l'ordonnance prononcée par la Cour le 23 juin 1998, et les dépens en question devront être taxés conformément aux directives suivantes :

a)         l'officier taxateur taxera les dépens des demanderesses en accordant le nombre maximal d'unités prévu à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) au titre des honoraires d'un (1) premier avocat et d'un (1) second avocat pour la préparation et la présence lors du contre-interrogatoire relatif à l'instruction de la requête en question;

            b)         les demanderesses ont droit au remboursement de tous les frais de déplacement et d'hébergement raisonnables pour leur témoin expert, M. Alex Manu, pour la préparation de son affidavit d'expert et pour sa présence lors du contre-interrogatoire du témoin de la défenderesse, M. Barber;

6.         Les demanderesses ont droit à leurs dépens relativement à la requête du 10 mai 2000, conformément aux dispositions de l'ordonnance du 15 mai 2000.

                                                                    « Frederick E. Gibson »     

                                                                                                    Juge                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2799-96

INTITULÉ :               Kirkbi Ag and Lego Canada Inc. c. Ritvik Holdings

Inc./Gestions Ritvik Inc. (faisant maintenant affaires sous la          raison sociale de Mega Bloks Inc.)

                                                     

INSTANCE RELATIVE AUX DÉPENS JUGÉE SUR DOSSIER

MOTIFS DU JUGEMENT COMPLÉMENTAIRE SUR LES DÉPENS : Le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                   Le 24 octobre 2002

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Daniel Bereskin

Robert H.C. MacFarlane

Michael E. Charles

Christine M. Pallotta                                          POUR LES DEMANDERESSES

Ronald E. Dimock

Dino P. Clarizio

Henry Lue                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bereskin Parr

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

Dimock Stratton Clarizio, s.r.l.

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DÉFENDERESSE



[1]         DORS/98-106.

[2]         (1999), 2 C.P.R. (4th) 368 (C.F. 1re inst.), conf. en partie à (2001), 12 C.P.R. (4th) 413 (C.A.F.).

[3]         (2002), 19 C.P.R. (4th) 524 (C.F. 1re inst.), appel en instance quant à l'adjudication des dépens.

[4]         (1991), 39 C.P.R. (3d) 90 (C.A.F.).

[5]         (1992), 43 C.P.R. (3d) 449, à la page 460 (C.A.F.).

[6]         R.S.O. 1990, c. s. 15.

[7]         (2001), 16 C.P.R. (4th) 350 (C.F. 1re inst.).

[8]         (1993), 50 C.P.R. (3d) 59 (C.F. 1re inst.).


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.