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Date : 20200312


Dossier : T‑1203-18

Référence : 2020 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

SANDPIPER DISTRIBUTING INC.

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

ZACHARIAS RINGAS ET RINGAS ENTERPRISES INC.

(exerçant ses activités sous la dénomination OLD WORLD MERCHANTS)

défendeurs/demandeurs reconventionnels

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Après 13 mois de va-et-vient au cours desquels cette affaire n’a pas progressé au-delà de l’étape des actes de procédure, Sandpiper Distributing Inc a abandonné son action. Habituellement, l’article 402 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), autoriserait sans délai les défendeurs [Ringas] aux dépens de l’action sur une base partie-partie, soit suivant la taxation, soit suivant l’adjudication d’une somme globale. Cependant, chaque partie cherche à obtenir une ordonnance différente, en s’appuyant sur le comportement de la partie adverse. Ringas demande le recouvrement de la totalité de ses frais, tandis que Sandpiper demande les frais afférents à l’action, malgré le désistement de l’instance.

[2]  Voici les motifs pour lesquels (1) j’accorde à Ringas les dépens afférents à l’action principale abandonnée d’un montant total de 1 158,64 $, payable sans délai; (2) je fixe les dépens précédemment accordés à Sandpiper pour sa requête en radiation initiale à un montant total de 1 108,81 $, et (3) j’accorde à Sandpiper les dépens afférents aux requêtes en l’espèce, que je fixe à 3 627,44 $, payable immédiatement. Par souci de clarté, l’adjudication de dépens rendue en janvier 2019 par la protonotaire Tabib au montant de 2 500 $, payable sans délai à Sandpiper, demeure inchangée et en suspens.

II.  Historique du litige

[3]  Pour comprendre les allégations de chaque partie concernant la conduite de l’autre partie ainsi que la portée de leurs demandes de dépens respectives, il faut comprendre à la fois la nature de la demande et l’historique long, mais largement stérile, de ce litige.

A.  La nature de la demande

[4]  Dans sa demande, Sandpiper revendiquait les droits de marque sur la marque de commerce EUROSCRUBBY et le droit d’auteur sur les dessins connexe. La dirigeante de Sandpiper, Donna King, et M. Ringas sont d’anciens conjoints qui travaillaient tous les deux pour Sandpiper jusqu’à leur séparation en 2016. Bien que l’accord de séparation du couple n’ait pas été déposé en preuve, les parties conviennent que l’accord donnait à M. Ringas le droit d’utiliser les marques EUROSCRUBBY au Royaume-Uni et en Europe, mais pas au Canada, où Sandpiper continue de faire valoir ses droits. Sandpiper allègue essentiellement que M. Ringas a violé les droits canadiens de Sandpiper sur les marques et dessins d’EUROSCRUBBY en vendant et en expédiant, à partir du Canada, des produits EUROSCRUBBY vers des pays non européens, y compris les États-Unis.

[5]  Ringas a présenté une défense relativement à la demande et a introduit une demande reconventionnelle. En plus de nier la contrefaçon, Ringas a formulé des allégations concernant (i) les paiements de Mme King aux membres de sa famille dans le cadre de l’exploitation de Sandpiper et sa séparation d’avec Mme King qui en a découlé; (ii) l’utilisation par Ringas d’une marque de commerce différente (SCRUB-WOW), et (iii) la motivation personnelle de Mme King pour engager le litige. Ces allégations constituent la toile de fond des diverses étapes du litige qui nous amènent à ces requêtes en dépens.

B.  Les étapes du litige

[6]  Bien que la présente action n’ait pas encore atteint l’étape de l’interrogatoire préalable, elle a fait l’objet d’un certain nombre de requêtes, d’appels et d’ordonnances de la Cour. Pour les besoins des présentes requêtes, les étapes pertinentes sont les suivantes :

[7]  Le 29 juillet 2019, Sandpiper s’est désistée de son action. Au moment du désistement, la requête de Ringas en appel de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable était en suspens. Après avoir reçu des observations des parties sur l’incidence du désistement, la juge Walker a rejeté l’appel du fait de son caractère théorique et a refusé d’adjuger des dépens relativement à l’appel : Sandpiper Distributing Inc c Ringas, 2019 CF 1264, aux paragraphes 33, 44 à 47 [l’ordonnance de rejet de l’appel].

[8]  Également au moment du désistement, les deux requêtes sur les actes de procédure – la requête en modification de Ringas et la requête incidente en radiation de Sandpiper – avaient été ajournées à la demande des parties. Ces requêtes restent pertinentes pour la demande reconventionnelle en instance; leur audition est actuellement prévue pour le 1er avril 2020.

C.  Les trois requêtes relatives aux dépens en litige

[9]  Le 25 septembre 2019, Ringas a déposé une requête visant à obtenir les dépens afférents à l’action principale abandonnée, sous forme d’une somme globale représentant 100 % des honoraires et débours qu’elle avait engagés. Elle a également demandé des ordonnances « interlocutoires » interdisant à Sandpiper de céder la marque de commerce EUROSCRUBBY et de vendre des biens ou des actifs sans l’autorisation de la Cour. Un affidavit à l’appui de M. Ringas indiquait, entre autres, que Ringas avait engagé 114 736,98 $ en honoraires, plus 5 219,40 $ en débours, pour se défendre contre l’action. L’affidavit joint des documents concernant certains des débours, mais Ringas n’a produit aucune preuve des frais engagés au‑delà de la déclaration concernant le total, aucune ventilation des frais engagés lors des diverses étapes du litige et aucun mémoire de frais.

[10]  Le 11 octobre 2019, Sandpiper a répondu à la requête de Ringas en matière de dépens et a déposé sa propre requête incidente, par laquelle elle réclamait qu’on lui accorde les dépens afférents à l’action. Sur la base de l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales, Sandpiper demande 3 750 $ au titre des honoraires et 252,40 $ au titre des débours pour l’action, y compris la préparation de la demande et la tenue de conférences de gestion de l’instance (CGI). Sandpiper demande également 1 650 $ au titre des honoraires et 231,25 $ au titre des débours, ce qui représente les coûts de sa requête initiale menant à l’ordonnance de radiation, et le paiement du montant de 2 500 $ au titre des dépens prévus dans l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable, de sorte que, avec les taxes, la réclamation totale de Sandpiper s’élève à 9 473,52 $.

[11]  Le 5 novembre 2019, Ringas a déposé une autre requête pour obtenir les dépens de l’action abandonnée. La deuxième requête et l’affidavit à l’appui sont en grande partie une répétition de la requête initiale en dépens de Ringas, quoique a) elle ne demande pas les ordonnances interlocutoires sollicitées dans la requête initiale, et b) l’affidavit à l’appui déposé avec la requête comprend des éléments de preuve supplémentaire répondant aux questions soulevées dans la requête incidente de Sandpiper et dans la réponse de Sandpiper à la première requête de Ringas relative aux dépens. Les observations écrites déposées avec cette requête supplémentaire en matière de dépens indiquent qu’elle est censée constituer une [traduction« requête incidente en réponse » à la requête de Sandpiper en matière de dépens.

[12]  En réponse aux préoccupations soulevées par Sandpiper concernant la [traduction« requête incidente en réponse » de Ringas, la protonotaire Tabib a émis une directive le 28 novembre 2019. Cette directive prévoyait que Sandpiper pouvait déposer un dossier en réponse, qui pourrait comprendre des arguments concernant la prétendue duplication ou nature abusive de la requête incidente et le caractère approprié des observations en réponse. Elle a également déclaré qu’aucun autre document, hormis ce dossier en réponse, ne devait être déposé relativement aux requêtes en dépens. Sandpiper a déposé son dossier de réponse à la requête incidente de Ringas le 11 février 2020. Bien que Ringas se soit plaint à l’audience au sujet du moment où ce dossier de réponse a été produit, aucun ajournement n’a été demandé pour que ce dossier fasse l’objet d’un examen, et il a été déposé conformément à l’article 365 des Règles.

III.  Les questions en litige

[13]  Je considère que les questions qui doivent être tranchées sont les suivantes : i) la question de savoir si je dois accorder l’injonction demandée par Ringas; (ii) quels dépens de l’action principale abandonnée devraient être payables à la suite de l’abandon et qui devrait payer ces dépens; et (iii) quels dépens devraient être payables sur les présentes requêtes.

IV.  La requête en injonction

[14]  Ringas demande ce qu’elle appelle des ordonnances « interlocutoires » interdisant à Sandpiper de vendre l’enregistrement de la marque de commerce EUROSCRUBBY, ou tout autre bien ou actif, sans l’autorisation de la Cour. Pour les motifs qui suivent, je rejette cet aspect de la requête de Ringas.

[15]  Je commence par préciser que les ordonnances demandées ne semblent pas être « interlocutoires », en ce sens qu’elles ne sont pas des ordonnances en vigueur en attendant une autre audience prévue de la Cour, comme un procès sur le fond de l’affaire. Au contraire, les ordonnances gèleraient effectivement les actifs de Sandpiper jusqu’à ce qu’elle paie les dépens demandés, ce qui en ferait une forme d’ordonnance définitive conditionnelle.

[16]  Par conséquent, je ne partage pas l’avis de Ringas selon lequel le critère approprié pour l’ordonnance requise est celui énoncé dans RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Entre autres choses, on ne sait pas quelle serait la « question sérieuse à juger », car aucune autre audience sur le fond de l’action principale n’est envisagée. L’allégation de Ringas selon laquelle l’action de Sandpiper était dénuée de fondement n’est pas une « question sérieuse à juger » pour les besoins des dépens de l’action principale abandonnée, même si elle demeure en litige dans la demande reconventionnelle en cours. L’ordonnance ne vise pas non plus véritablement l’obtention d’une injonction Mareva, comme Sandpiper l’a fait valoir, étant donné que ce type d’injonction présuppose également qu’une décision soit ultérieurement rendue relativement à une action.

[17]  L’ordonnance demandée a plutôt pour objet de contribuer à un certain aspect de l’exécution du jugement : R c Consolidated Fastfrate Transport Inc (1995), 24 OR (3d) 564 (CA), (sub nom R c Fastfrate, 1995 CanLII 1527 (CA ON)). En d’autres termes, elle demande de l’aide pour faire exécuter l’adjudication des dépens résultant du désistement, dont le paiement selon l’article 402 des Règles « peut en être poursuivi par exécution forcée comme s’ils avaient été adjugés par jugement rendu en faveur de la partie ». La partie 12 des Règles des Cours fédérales contient diverses dispositions expressément consacrées à l’exécution des ordonnances de la Cour, y compris les mandats. Ringas n’a ni renvoyé à ces dispositions, ni établi leur applicabilité.

[18]  Quoi qu’il en soit, les principaux motifs pour lesquels Ringas sollicite l’ordonnance de gel des avoirs sont les suivants : a) Sandpiper n’a aucun actif autre que la marque de commerce EUROSCRUBBY, et b) étant donné la conduite de Sandpiper et de Mme King lors de l’instance, [traduction« il est hautement improbable que la demanderesse et Donna King honorent toute ordonnance de la Cour concernant le paiement des honoraires et débours des défendeurs ». Selon la preuve dont la Cour dispose, aucun de ces motifs n’est fondé.

[19]  En ce qui concerne le premier motif, la seule preuve de Ringas est la déclaration suivante de M. Ringas : [traduction« Selon ma connaissance de l’entreprise de la demanderesse et de ses actifs, la demanderesse n’a qu’un seul actif ayant de la valeur, soit la marque de commerce EUROSCRUBBY ». À première vue, cette affirmation manque de détails qui permettraient à la Cour de s’y fier, en particulier compte tenu du témoignage de M. Ringas selon lequel il a quitté Sandpiper en 2016. Je conviens avec Sandpiper que, dans les circonstances, le fait que M. Ringas n’ait pas été contre-interrogé au sujet de cet énoncé ne signifie pas que la Cour doit l’accepter comme établissant le manque d’actifs de Sandpiper ou l’incapacité financière de cette dernière à payer une adjudication de dépens. Cela est particulièrement vrai à la lumière de la demande contradictoire de Ringas en vue d’obtenir une ordonnance interdisant à Sandpiper de vendre ses autres [traduction« biens et actifs » en plus de la marque de commerce, ainsi que des observations de Ringas selon lesquelles Sandpiper est un [traduction« plaideur commercial averti qui a les moyens de payer pour les choix juridiques qu’elle a faits », que la marque de commerce a de la valeur et qu’elle rapporte beaucoup d’argent à Sandpiper.

[20]  En ce qui concerne le dernier motif, M. Ringas déclare [traduction:« Je crois fermement que Donna King n’honorera aucune ordonnance de la Cour concernant le paiement des honoraires et des débours des défendeurs ». M. Ringas n’a pas expliqué sur quoi cette croyance s’appuyait. Encore une fois, le fait que cet énoncé de croyance n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire n’est ultimement d’aucune importance : même si M. Ringas croit que cela est vrai, il ne fournit pas à la Cour un fondement lui permettant de rendre une ordonnance de la nature recherchée. Indépendamment de la croyance ou du fondement de celle-ci, aucun fait n’a été présenté pour justifier une conclusion selon laquelle Sandpiper n’honorera pas l’adjudication des dépens. Bien que Ringas ait fait valoir que la conduite de Sandpiper rend peu probable qu’elle honorera une adjudication des dépens, rien dans l’historique du litige ne soutient une telle conclusion. Je traiterai plus tard de ces allégations concernant la conduite de Sandpiper, lorsque j’aborderai les questions liées aux dépens.

[21]  Je fais deux dernières observations. Premièrement, il ne revient pas à Ringas d’alléguer que Sandpiper n’honorera pas une adjudication des dépens, et de demander une réparation extraordinaire en conséquence, alors que Ringas elle-même n’a pas payé le montant de 2 500 $ adjugé à titre de dépens dans l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable, montant payable sans délai depuis janvier 2019, et dont l’appel a été rejeté en octobre 2019. Deuxièmement, bien que l’adjudication des dépens demandée concerne l’action principale, les deux parties restent parties à la demande reconventionnelle, de telle sorte que toute adjudication de dépens non réglée pourrait et serait sans aucun doute examinée par la Cour dans le cadre de cette procédure en cours.

[22]  Par conséquent, je rejette la requête de Ringas visant à empêcher Sandpiper de se départir de la marque de commerce EUROSCRUBBY ou de tout autre bien ou propriété. J’en viens maintenant à l’essentiel des requêtes des parties, leurs demandes de dépens respectives.

V.  Les dépens de l’action

[23]  Les deux parties conviennent, comme moi, que je devrais accorder une somme globale pour les dépens de l’action principale, plutôt que de renvoyer la question pour taxation ultérieure : paragraphe 400(4) des Règles. Les deux parties conviennent également que l’article 400 des Règles accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’examen et à l’adjudication des dépens : Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, au par. 10.

[24]  Comme il a été mentionné précédemment, Ringas demande que des dépens lui soient accordés sous forme d’une somme globale majorée représentant une indemnisation intégrale pour ses dépens. Sandpiper demande que les dépens de l’action lui soient payables sur une base majorée au titre du tarif. Elle demande également la quantification des dépens de l’ordonnance de radiation et le paiement des dépens adjugés dans l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable.

[25]  Il y a donc deux questions principales à trancher : qui devrait payer les dépens et quel devrait en être le montant?

A.  Qui doit payer les dépens de l’action?

[26]  Sandpiper s’est désistée de l’action principale. L’article 402 des Règles prévoit que Ringas a donc droit aux dépens sans délai, « [s]auf ordonnance contraire de la Cour ». Cela est conforme avec le fait qu’il est reconnu, à l’alinéa 400(3)a) des Règles, que le « résultat de l’instance » est un facteur à prendre en considération dans l’adjudication des dépens. Sandpiper demande que Ringas ne se voie pas adjuger des dépens au titre de l’article 402 des Règles et, dans sa requête incidente, demande que ce soit plutôt elle qui obtienne les dépens. Sandpiper invoque la conduite de Ringas dans l’instance pour justifier une telle « ordonnance contraire », notamment les agissements suivants :

[27]  Étant donné qu’une requête supplémentaire en radiation des parties de la déclaration modifiée est toujours en suspens, je ne pense pas que je devrais accorder de poids, dans le cadre de la présente requête, à l’allégation selon laquelle l’acte de procédure en l’espèce n’est pas conforme à l’ordonnance de radiation. Je ne crois pas non plus que je devrais tenir compte des accusations concernant les mauvaises motivations de Sandpiper et de Mme King pour introduire la demande, car a) il n’a jamais été possible d’établir ces allégations dans l’action principale compte tenu du désistement, et b) ces allégations doivent encore être tranchées dans la demande reconventionnelle, soit dans le contexte de la requête en radiation, soit ultérieurement dans l’instance.

[28]  En ce qui concerne la question des discussions sur le règlement, chaque partie allègue que le comportement de l’autre était déraisonnable. Sandpiper allègue que les offres de Ringas, dont beaucoup étaient à court terme et d’une valeur extrêmement élevée, étaient déraisonnables. Ringas allègue que Sandpiper a, à tort, omis de participer à des discussions quant à un règlement, malgré qu’elle eut rapidement la possibilité de le faire suivant les propositions de Ringas, et qu’elle n’a finalement rien accompli et que certaines des offres de Ringas étaient plus avantageuses que le résultat auquel elle est finalement parvenue.

[29]  Aucune des offres ne déclenche l’application de l’article 420 des Règles, car Ringas n’a pas obtenu un meilleur résultat par le désistement que toute offre encore sujette à être acceptée. Néanmoins, la Cour peut considérer « toute offre écrite de règlement » dans son appréciation de la question des dépens, même si elle ne déclenche pas l’application de l’article 420 des Règles : alinéa 400(3)e) des Règles.

[30]  Après avoir examiné les échanges d’offres de règlement entre les parties, je ne suis pas convaincu que le comportement de l’une ou de l’autre partie au cours des discussions sur le règlement justifie une sanction. Les parties ont échangé une grande variété d’offres de règlement au cours du litige. Par définition, aucune de ces offres n’était acceptable pour l’autre partie, puisqu’aucun règlement n’a été conclu. Cependant, même si cela est sans aucun doute frustrant pour chaque partie, je ne considère pas que les offres échangées par les parties témoignent d’une mauvaise foi de la part de l’une ou l’autre partie, ou d’une autre conduite qui justifierait soit une annulation de l’adjudication des dépens, soit une majoration des dépens adjugés.

[31]  En ce qui concerne les dépens de 2 500 $ adjugés dans l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable qui étaient payables sans délai, je conviens avec Sandpiper qu’en l’absence d’un accord ou d’une suspension d’instance en attendant l’appel, cette ordonnance était en vigueur et que les dépens auraient dû être payés, même si l’appel était en instance. Cependant, dans les circonstances, à savoir que l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable a été portée en appel, y compris en ce qui concerne les dépens, et que le rejet de cet appel a eu lieu après le désistement qui a déclenché d’autres conséquences en matière de dépens, j’accorde un poids limité à cette question pour mon examen de la question de savoir si les dépens devraient être assumés par Ringas, qui a eu gain de cause à la suite du désistement.

[32]  Les autres questions soulevées par Sandpiper ont plus de poids. Fait important, Ringas allègue que la protonotaire Tabib a fait preuve de partialité envers eux et que cela était pertinent pour l’adjudication des dépens. L’allégation de partialité formulée par Ringas met surtout l’accent sur le déroulement et l’issue de la requête concernant l’interrogatoire préalable, faisant valoir qu’il s’agissait d’une [traduction« situation de procès par embuscade » et, plus généralement, que Sandpiper [traduction« avec l’aide de la protonotaire Tabib a réussi à résister et à saboter » la requête en jugement sommaire de Ringas et ses tentatives pour obtenir des éléments de preuve de Sandpiper.

[33]  Je suis entièrement d’accord avec l’appréciation faite par la juge Walker dans ses motifs de l’ordonnance de rejet de l’appel, selon laquelle [traduction« les défendeurs ont porté des accusations de faute grave contre la protonotaire Tabib sans aucune preuve » : ordonnance de rejet de l’appel, au par. 39. Plus précisément, les accusations de partialité découlant de la requête concernant l’interrogatoire préalable et de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable sont en fait les mêmes que celles soulevées devant la juge Walker : ordonnance de rejet de l’appel, aux par. 37 à 41. Bien que Ringas n’ait apparemment pas demandé à la Cour de se prononcer quant aux conclusions concernant la partialité au stade de l’appel, la conclusion de la juge Walker concernant la nature de ces allégations de partialité était claire.

[34]  Bien que les observations initiales de Ringas sur les dépens aient été présentées avant l’ordonnance de rejet de l’appel rendue par la juge Walker, l’avocat a clairement indiqué à l’audience tenue devant moi que Ringas maintenait les allégations de partialité, même après cette décision. Je juge que les allégations de partialité persistantes et non étayées de Ringas contre un officier de justice sont un facteur important pour évaluer si des dépens doivent être adjugés en faveur de Ringas ou non et, dans l’affirmative, le montant de ces dépens : Jaffal c Davidson, 2016 CAF 226, aux par. 6 et 7. En revanche, je note que l’allégation de partialité soulevée dans le cadre de l’appel de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable a déjà été traitée par la juge Walker, y compris en ce qui concerne les répercussions sur les dépens, et que les allégations de partialité n’étaient pas particulièrement essentielles à la demande de dépens de Ringas ou à ses observations sur le droit ou le montant.

[35]  Les allégations portées contre l’avocat de Sandpiper sont également inappropriées. Bien que Ringas ait vigoureusement nié avoir allégué que l’avocat a fait preuve d’inconduite, elle a répété des allégations selon lesquelles une conduite inappropriée de Sandpiper – soit, intenter une action qui serait un abus de procédure fondé sur aucune preuve de contrefaçon – aurait été adoptée suivant les conseils de l’avocat. Cela équivaut à une allégation d’inconduite. Je ne prendrai aucune décision quant à la question de savoir si la déclaration était fondée sur des motifs inappropriés; il s’agit d’une question toujours en litige dans la demande reconventionnelle. Cependant, on ne m’a présenté aucun élément de preuve selon lequel la conduite de l’avocat de Sandpiper ait été inappropriée à quelque moment que ce soit, et rien ne me permet d’inférer une telle chose.

[36]  Ringas a également nié avoir allégué que Sandpiper [traduction« ne se conformera pas » à une ordonnance relative aux dépens. Ce déni par Ringas était fondé sur l’insistance qu’elle avait seulement allégué qu’il était [traduction« hautement improbable » que Sandpiper se conforme à une ordonnance relative aux dépens. Il s’agit d’une distinction sans importance. Ringas a clairement allégué qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que Sandpiper honore une ordonnance de la Cour quant aux dépens sur la base de sa conduite, et a formulé cette allégation avec peu ou pas de preuves à l’appui.

[37]  Sandpiper a soulevé certains motifs fort pertinents concernant la conduite de Ringas dans le litige, que je prends en considération en me référant aux alinéas 400(3)i), k) et o) des Règles. Néanmoins, dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens à Sandpiper plutôt qu’à Ringas. Il n’en demeure pas moins que Sandpiper a intenté une action contre Ringas qui a dû engager des frais pour se défendre et qu’elle s’est désistée de cette action sans qu’une décision sur le fond ne soit rendue. J’accorderai donc les dépens de l’action principale ayant fait l’objet d’un désistement à Ringas, conformément à l’article 402 des Règles. Cependant, je pense qu’il convient d’examiner les motifs soulevés par Sandpiper dans le contexte de l’évaluation du montant des dépens et de la taxation des dépens relatifs aux requêtes.

B.  Combien?

[38]  Ringas demande une indemnisation intégrale de tous les frais qu’elle a engagés tout au long de cette action. Cela soulève des questions sur (1) la question de savoir si les frais peuvent être recouvrés à la suite du désistement, et ce, pour toutes les différentes étapes de l’action; (2) la question de savoir si des dépens majorés sont appropriés dans les circonstances; et (3) le montant des dépens qui devrait être accordé pour le désistement. La requête de Sandpiper soulève également une autre question : (4) le montant des dépens attribuables à la requête en radiation initiale.

(1)  La pertinence des différentes étapes de l’action

[39]  Des ordonnances antérieures de la Cour ont déjà traité des dépens quant à certaines étapes de l’instance. Ces ordonnances ne sont pas visées par le présent appel, et le désistement ne me donne pas le pouvoir de les réexaminer ou de les modifier : Ciba-Geigy Canada Ltd. c Novopharm Ltd., 1999 CanLII 9253 (CF), au par. 32. Il est donc nécessaire de déterminer les questions qui font ou ne font pas bel et bien l’objet de ces requêtes.

a)  La première demande de Sandpiper dans le dossier de la Cour n° T‑933‑18

[40]  Sandpiper a d’abord intenté une action contre Ringas dans le dossier de la Cour T-933-18 en mai 2018. Après correspondance de l’avocat de Ringas, Sandpiper s’est désistée de cette action et a entamé la présente procédure le même jour. Bien que Ringas ait fait référence à l’introduction et au désistement de la première action lorsqu’elle traitait des comportements de Sandpiper, elle a confirmé qu’elle ne réclamait pas de dépens pour le premier désistement dans le cadre de la présente requête. Je ne vois rien, dans le dépôt initial d’une demande, suivi d’un désistement précoce et du dépôt d’une demande de remplacement, qui suggère intrinsèquement une inconduite de la part de Sandpiper. Étant donné qu’aucune demande relative aux dépens n’est présentée quant à la première action, et que la présente requête ne serait en aucun cas un véhicule approprié pour soumettre une telle demande, je n’examinerai pas la première demande plus en détail.

b)  La requête initiale de Sandpiper en radiation et la requête en annulation de l’ordonnance de radiation

[41]  Les dépens de la requête initiale de Sandpiper en radiation de certaines parties de la défense et de la demande reconventionnelle ont été déterminés par la protonotaire Tabib dans l’ordonnance de radiation. La protonotaire Tabib a ordonné que [traduction« les dépens de cette requête soient accordés à la demanderesse ». Il existe un différend quant à savoir si cette adjudication des dépens est toujours en vigueur.

[42]  Comme je l’ai indiqué, Ringas a présenté une requête en annulation de l’ordonnance de radiation. À la suite d’une conférence préparatoire le 4 février 2019, la protonotaire Tabib a ordonné à Ringas de décider si elle allait de l’avant avec cette requête, ou si elle abandonnerait la requête et procéderait en fonction de la défense et demande reconventionnelle modifiée.

[43]  Le lendemain, l’avocat de Sandpiper a écrit à l’avocat de Ringas pour lui dire que si Ringas abandonnait la requête, Sandpiper [traduction« ne réclamera pas ses dépens conformément à l’article 402 des Règles des Cours fédérales relativement à la requête des défendeurs en annulation de l’ordonnance du 5 octobre 2018. » Le lendemain, Ringas a avisé la Cour qu’elle abandonnerait la requête en annulation et procéderait sur la base de la défense et demande reconventionnelle modifiée.

[44]  Ringas a soutenu devant moi qu’elle croyait comprendre que les avocats avaient convenu que Sandpiper avait renoncé à sa demande de dépens relativement à la requête en annulation et aux dépens adjugés dans l’ordonnance de radiation sous-jacente. Il a été fait référence aux discussions qui ont eu lieu lors de la CGI du 4 février 2019 pour définir le contexte de l’accord sur les dépens.

[45]  Aucune preuve du contenu de la CGI du 4 février 2019 n’a été présentée pour me permettre de jauger la nature de l’accord entre les parties, au-delà de la correspondance qui a été déposée. Cette correspondance montre clairement que l’offre de Sandpiper était qu’elle ne réclamerait pas ses frais conformément à l’article 402 des Règles en ce qui concerne la requête en annulation. Rien dans la correspondance de l’une ou l’autre partie ne fait référence aux dépens adjugés dans l’ordonnance de radiation, et l’article 402 des Règles ne traite que des dépens d’une requête abandonnée, et non des dépens d’une ordonnance sous-jacente que la requête pourrait chercher à annuler. Je ne suis donc pas disposé à imputer à Sandpiper un accord de renonciation aux dépens déjà accordés dans l’ordonnance de radiation.

[46]  Je conclus donc que a) les dépens de la requête en radiation initiale, bien que leur montant ne soit pas fixé, ont déjà été déterminés par l’adjudication des dépens de la protonotaire Tabib et restent en vigueur, et b) les dépens de la requête abandonnée en annulation de l’ordonnance de radiation ont fait l’objet d’un accord entre les parties, selon lequel aucuns dépens ne seraient demandés.

[47]  Je constate que l’adjudication des dépens de la protonotaire Tabib dans l’ordonnance de radiation prévoyait simplement que les dépens étaient adjugés à Sandpiper. Selon mon interprétation, cela signifie qu’ils étaient payables à Sandpiper peu importe le résultat final (c’est-à-dire, quelle que soit l’issue de la cause), et les parties n’ont pas fait valoir le contraire. Cependant, l’ordonnance de radiation ne prévoyait pas que les dépens étaient payables sans délai. Étant donné que l’ordonnance de radiation concernait à la fois l’action et la demande reconventionnelle, qui reste en suspens, je considère qu’il convient de procéder à une taxation des dépens de la requête en radiation initiale, mais de reconnaître que ces dépens seront payables lorsqu’une décision définitive sera rendue quant à la demande reconventionnelle.

[48]  Je remarque également qu’aucune des parties n’a présenté de demande de dépens concernant précisément la [traduction« requête en rejet de la requête de la partie demanderesse » présentée par Ringas en même temps que la requête en annulation de l’ordonnance de radiation. À mon avis, cette requête, qui visait l’obtention d’une ordonnance rejetant la requête en radiation de Sandpiper, n’a pas été présentée correctement. La façon appropriée de demander le rejet d’une requête est de répondre à la requête, et non de présenter une requête distincte en rejet de la requête : Greens At Tam O’Shanter Inc. (The) c Canada, 1999 CanLII 7512 (CF), au par. 8; voir également David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), par analogie aux requêtes en radiation d’un avis de requête introductive (maintenant appelé avis de demande). Quoi qu’il en soit, rien ne semble s’être produit à l’égard de cette requête, si ce n’est la signification de l’avis de requête, et elle est effectivement incluse dans la requête en annulation de l’ordonnance de radiation, qui a été abandonnée. Je ne relève pas de frais liés précisément à cette requête.  

c)  La requête en jugement sommaire de Ringas

[49]  Ringas a signifié un avis de requête en jugement sommaire en décembre 2018. L’ordonnance de la protonotaire Tabib du 4 février 2019 stipule que Ringas a informé la Cour lors de la CGI tenue ce jour-là qu’elle ne donnerait pas suite à sa requête en jugement sommaire à ce moment-là, ou du moins jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à la requête visant à ajouter Mme King à titre de partie défenderesse à la demande reconventionnelle.

[50]  L’avis de requête pour jugement sommaire n’a pas été déposé dans le cadre des requêtes relatives aux dépens. Cependant, tous les aspects de la requête concernant l’action principale ont été rendus théoriques, ou effectivement tranchés en faveur de Ringas, par le désistement de l’action principale. Si un jugement sommaire ou un procès sommaire est demandé ultérieurement à l’égard de la demande reconventionnelle, il devra sans doute y avoir un nouvel avis de requête ou des modifications importantes à l’avis de requête existant pour tenir compte de la situation qui prévaudra à ce moment-là. Je suis donc convaincu qu’il me revient de trancher la question des dépens relatifs à l’avis de requête en jugement sommaire dans le cadre des présentes requêtes, dans le contexte des dépens relatifs à l’action principale ayant fait l’objet d’un désistement.

d)  La requête concernant l’interrogatoire préalable et l’appel de Ringas

[51]  L’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable rendue par la protonotaire Tabib traite des dépens de la requête de Ringas concernant l’interrogatoire préalable. La protonotaire Tabib a adjugé des dépens en faveur de Sandpiper sous forme de somme globale de 2 500 $, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause. Ces dépens n’ont pas été payés.

[52]  Lorsqu’elle a rejeté l’appel interjeté par Ringas relativement à l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable, la juge Walker n’a adjugé aucuns dépens en appel, mais n’a pas modifié l’ordonnance existante quant aux dépens rendus par la protonotaire Tabib. Ringas fait valoir que, puisque la juge Walker a rejeté l’appel en raison de son caractère théorique étant donné le désistement, l’ordonnance sous-jacente, y compris son adjudication de dépens, ne peut être considérée comme encore en vigueur. Je ne peux souscrire à cet argument. L’ordonnance de la juge Walker rejetant l’appel a pour effet de maintenir inchangée l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable rendue par la protonotaire Tabib, ce qui inclut notamment l’ordonnance relative aux dépens. Outre le fait qu’il s’agit d’un principe général applicable aux appels, je suis conforté à cet égard par le fait que la juge Walker a expressément refusé d’examiner l’appel théorique en se fondant uniquement sur l’adjudication de dépens non payée : ordonnance de rejet de l’appel, au par. 44.

[53]  Je conclus donc qu’en l’espèce, aucuns des dépens adjugés quant à la requête concernant l’interrogatoire préalable, à l’ordonnance relative à ces dépens dans l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable (sauf quant à leur paiement) et aux dépens relatifs à l’appel de l’ordonnance de l’interrogatoire préalable ne sont en litige à titre de dépens relatifs au désistement.

e)  Les requêtes portant sur les actes de procédure

[54]  La requête de Ringas visant à modifier sa défense et demande reconventionnelle modifiée et la requête incidente de Sandpiper visant à radier une partie de cet acte de procédure restent en suspens. Du moins, certaines parties de ces requêtes n’ont pas été rendues théoriques par le désistement, car elles sont pertinentes dans le contexte de la demande reconventionnelle en cours. Elles devraient être entendues dans un proche avenir et un processus est apparemment en place pour que les parties informent la Cour des aspects, le cas échéant, des requêtes qui seront retirées à la suite du désistement de l’action principale. Les parties ont toutes deux reconnu que je ne devrais pas adjuger de dépens à l’égard de ces requêtes, puisque qu’elles n’ont pas encore été entendues, et je suis du même avis. La question des dépens liés à ces requêtes, y compris tous les aspects qui pourraient être abandonnés en raison du désistement, sera donc tranchée à l’audition des requêtes.

f)  Conférences de gestion de l’instance

[55]  Les CGI ont eu lieu les 11 et 20 décembre 2018, ainsi que les 4 février et 7 mars 2019. Aucune de ces conférences ne s’est soldée par des ordonnances relatives aux dépens. Parmi celles-ci, la CGI du 7 mars 2019 semble s’être rapportée en partie à l’appel de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable (et pourrait être considérée comme comprise dans l’adjudication des dépens de cet appel), et en partie aux requêtes portant sur les actes de procédure en cours (qui n’ont pas été tranchées). Je considère donc approprié que les dépens liés à la CGI du 7 mars 2019, le cas échéant, soient reportés à la décision quant aux requêtes portant sur les actes de procédure.

g)  Que reste-t-il?

[56]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que je n’ai pas à trancher, dans le contexte des présentes requêtes, la question des dépens de la première demande abandonnée, de l’ordonnance de radiation (sauf en ce qui concerne le montant), de la requête en annulation de l’ordonnance de radiation et de la requête connexe pour rejeter la requête en radiation, de la requête concernant l’interrogatoire préalable et de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable, de l’appel de l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable, des requêtes portant sur les actes de procédure en instance et de la CGI du 7 mars 2019. Il ne s’agit pas de dépens se rapportant à l’action principale et à son désistement.

[57]  Hormis ce qui précède, il ne reste qu’à trancher la question des dépens relatifs à l’action principale. D’après le dossier dont je suis saisi, cela comporte les dépens des actes de procédure initiaux (reconnaissant que la défense et la demande reconventionnelle restent pertinentes pour la demande reconventionnelle en cours); l’avis de requête en jugement sommaire, et les CGI des 11 décembre 2018, 20 décembre 2018 et 4 février 2019.

[58]  Ringas soutient que je devrais approcher la question des dépens de l’action de façon holistique, plutôt que de manière fragmentaire ou étape par étape. S’appuyant sur les principes généraux de l’équité et de la justice, Ringas suggère que tous les frais qu’ils devaient engager dans l’action découlaient du fait que Sandpiper avait [traduction« déclenché la guerre », pour laquelle ils ont ensuite été appelés à se défendre. Ringas soutient que, puisque Sandpiper a retiré sa demande, je devrais considérer les dépens de la procédure plus largement, même si cela pourrait avoir pour effet d’englober les dépens associés à des étapes déjà couvertes par des adjudications de dépens antérieures.

[59]  Je ne peux pas retenir cet argument, et ce, pour deux motifs. Premièrement, bien que l’article 400 des Règles prévoit un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’examen et à l’adjudication des dépens, ce pouvoir discrétionnaire ne comprend pas une capacité générale de rouvrir des adjudications de dépens qui ont déjà été faites : Ciba-Geigy, au par. 32. La prise en compte des frais liés aux étapes du litige ayant déjà fait l’objet d’une adjudication des dépens, notamment l’examen d’honoraires déjà pris en compte par d’autres officiers de justice et l’atteinte d’un résultat différent quant à la manière de les traiter, constituerait effectivement une réouverture des adjudications.

[60]  Deuxièmement, même lorsque la partie ayant entamé le litige n’a pas eu gain de cause, les étapes de ce litige peuvent faire l’objet d’une adjudication de dépens qui est défavorable à la partie ayant eu gain de cause. Cela n’est ni injuste ni inéquitable. Au contraire, cela est chose courante et reconnaît le fait que la partie ayant eu gain de cause peut avoir pris des mesures au cours de l’action qui ont augmenté les frais liés au litige et pour lesquels l’autre partie devrait être indemnisée. D’un point de vue stratégique, de telles adjudications de dépens peuvent influer sur les comportements en matière de litige de toutes les parties au litige, quelle que soit la partie qui a ultimement gain de cause. Autrement dit, le simple fait d’être un défendeur dans un procès sans succès – même abandonné ou frivole – ne donne pas à ce défendeur carte blanche pour introduire des étapes interlocutoires infructueuses ou inutiles dans le litige, et ainsi faire augmenter indûment les frais.

[61]  Ces principes sont pris en compte dans les différents types d’adjudications de dépens qui sont dans l’arsenal de la Cour en matière interlocutoire : les dépens peuvent être adjugés suivant l’issue de la cause (la partie qui remporte l’action principale a droit aux dépens), à une partie à la cause (cette partie a droit aux dépens, mais seulement si elle obtient gain de cause), ou à une partie quelle que soit l’issue de la cause (cette partie a droit aux dépens quel que soit la partie obtenant gain de cause à l’issue de l’action principale). Ils peuvent également être réservés au juge de première instance, ou il peut n’y avoir aucune adjudication de dépens. La détermination du type d’adjudication des dépens approprié a lieu à l’étape interlocutoire et ne fait pas l’objet d’une remise en question à l’issue de la procédure.

(2)  La demande d’adjudication de dépens majorés de Ringas

[62]  Ringas fait valoir que les dépens devraient être accordés selon un barème supérieur compte tenu de la conduite de Sandpiper dans l’action. En particulier, Ringas s’appuie sur des allégations selon lesquelles Sandpiper :

[63]  Aucun de ces motifs n’est convaincant.

[64]  Bien que Sandpiper ait effectivement soulevé des allégations de violation de marque de commerce et de droit d’auteur qui n’ont pas été prouvées dans l’action, il s’agit là du fondement de l’adjudication des dépens quant au désistement, et ne constitue pas en soi un motif d’adjudication de dépens majorés. À première vue, la Cour fédérale a compétence sur l’objet des réclamations en matière de propriété intellectuelle qui ont été faites, et ces réclamations n’ont pas été soulevées de manière « incendiaire » ou inappropriée. Les allégations de Ringas selon lesquelles la réclamation a été introduite dans le but ultime d’essayer de [traduction« saigner à blanc Ringas » et/ou de [traduction] de « faire chanter » Ringas de façon à le pousser à renégocier l’accord de séparation seront tranchées dans le cadre de la demande reconventionnelle. Je ne propose pas d’évaluer ces allégations dans le cadre des présentes requêtes, ni ne dispose des éléments de preuve nécessaires pour le faire.

[65]  De plus, selon les faits dont je dispose, rien n’indique que Sandpiper a mené le litige d’une manière inappropriée, abusive ou trop agressive. Ringas a renvoyé au grand nombre de requêtes dans l’action; toutefois, ce sont les défendeurs eux-mêmes qui ont présenté la plupart de ces requêtes, et elles ont été traitées. Les seules requêtes introduites par Sandpiper semblent être la requête en radiation initiale, qui a été tranchée par la Cour, y compris en ce qui concerne les dépens, et la requête incidente en radiation postérieure découlant de la défense et demande reconventionnelle modifiée de Ringas, qui reste en suspens. Je ne peux attribuer aucune conduite inappropriée à Sandpiper du fait de son opposition à la requête de Ringas en annulation de l’ordonnance de radiation (qui a été abandonnée), à sa requête en jugement sommaire (qui est finalement devenue la requête concernant l’interrogatoire préalable), à sa requête concernant l’interrogatoire préalable (qui a été rejetée), à sa requête en appel l’ordonnance concernant l’interrogatoire préalable (qui a été rejetée pour son caractère théorique), ou à sa requête en modification (qui est toujours en suspens).

[66]  Ringas a insisté sur le fait que Mme King n’a jamais été présentée comme témoin dans l’instance, ce qui, selon les défendeurs, aurait permis un contre-interrogatoire qui aurait démontré que la réclamation était sans fondement. Cependant, l’action n’avait pas encore atteint le stade de l’interrogatoire préalable au cours duquel des éléments de preuve sur le fond seraient attendus. Cela semble être dû en grande partie aux distractions occasionnées par la requête de Ringas en annulation de l’ordonnance de radiation, la requête en jugement sommaire la requête concernant l’interrogatoire préalable et la requête en modification, qui ont fait en sorte que l’affaire était toujours à l’étape des plaidoiries lorsqu’elle a fait l’objet d’un désistement. Les questions soulevées dans ces requêtes étaient de nature procédurale, de sorte que le dépôt d’éléments de preuve par un auxiliaire juridique sur des faits non controversés était acceptable : AB Hassle c Apotex Inc., 2008 CF 184, au par. 46. Quoi qu’il en soit, si Ringas voulait s’opposer à la preuve présentée relativement à l’une des requêtes, elle aurait dû le faire dans le cadre de la requête en question, afin que cette affaire puisse être réglée à ce moment-là.

[67]  En ce qui concerne la correspondance et les échanges en vue du règlement, je répète mes observations ci-dessus et mentionne que, selon moi, la conduite de Sandpiper dans les discussions en vue d’un règlement ne justifie pas une adjudication de dépens majorés.

[68]  Pour évaluer le bien-fondé d’une adjudication de dépens majorés, je dois également tenir compte du facteur énoncé à l’alinéa 400(3)b) des Règles, soit « les sommes réclamées et les sommes recouvrées ». Bien que la déclaration précise qu’elle ne devait pas être instruite à titre d’action simplifiée, elle confirmait que la réparation monétaire demandée n’excédait pas 50 000 $. C’est dans cette optique que le caractère raisonnable du choix de Ringas d’engager plus de 100 000 $ en frais juridiques pour se défendre relativement à la réclamation et du fait qu’elle s’attendait à recouvrer ce montant en cas de désistement.

[69]  Quant à l’argument selon lequel Sandpiper est un plaideur commercial averti, Ringas note à juste titre que la Cour a reconnu qu’une adjudication de dépens par somme globale majorée peut être appropriée dans certains cas : Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2011 CF 1143, au par. 36b); Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119, aux par. 30 et 31. Bien qu’il n’y ait pas de critères clairement définis pour une telle adjudication, les facteurs pertinents incluent la question de savoir si les parties sont des plaideurs commerciaux avertis ayant les moyens de payer; la nature et le fond de l’affaire; et les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles : Sport Maska Inc. c Bauer Hockey Ltd., 2019 CAF 204, aux par. 50 et 51, et Whalen, aux par. 30 et 31.

[70]  En l’espèce, Ringas a présenté des éléments de preuve et des observations contradictoires sur le point de savoir si Sandpiper est un plaideur commercial averti ayant les moyens de payer. M. Ringas a énoncé sa croyance selon laquelle la marque de commerce EUROSCRUBBY était le seul actif de l’entreprise, tout en faisant valoir que la marque de commerce avait de la valeur et générait des revenus considérables. Ringas allègue également que Sandpiper a intenté un litige abusif visant à faire avancer une action en droit de la famille en vue de renégocier un accord de séparation sous le couvert d’une action en propriété intellectuelle; cela n’est guère une conduite associée à des « plaideurs commerciaux avertis ». En tout état de cause, quel que soit le degré d’expérience commerciale de Sandpiper, je conclus qu’aucun autre facteur ne justifie l’octroi de dépens majorés en l’espèce, et encore moins de l’indemnité intégrale demandée par Ringas. En conséquence, je refuse d’accorder des dépens majorés.

[71]  De plus, comme je l’ai indiqué au début, Ringas n’a déposé aucun mémoire de dépens et aucune ventilation des frais qu’elle avait engagés lors des diverses étapes du litige. M. Ringas a fait une déclaration dans son affidavit déposé avec la [traduction« requête incidente en réponse » de Ringas selon laquelle il ne pouvait pas fournir des copies de ses factures juridiques, parce que ces factures sont [traduction« très détaillées et révèlent nos discussions qui sont protégées par le privilège client-avocat ». Je ne suis pas d’accord avec sa déclaration, et ce, pour deux raisons. Premièrement, ce sont des éléments de preuve qui auraient dû être déposés lors de la première requête de Ringas et qui ont été présentés de façon irrégulière en réponse aux préoccupations soulevées par Sandpiper, sans autorisation. Deuxièmement, et en tout état de cause, le fait que des factures détaillées puissent inclure des questions protégées par le privilège client-avocat n’exempte pas une partie de produire une preuve adéquate de ses frais. Diverses méthodes peuvent être utilisées en ce sens pour éviter une renonciation au privilège, y compris le résumé des factures et le caviardage, selon le cas. Il est tout simplement insuffisant dans ces circonstances d’indiquer un montant total couvrant une période de 13 mois pour ensuite affirmer qu’aucun autre détail ne peut être donné pour des raisons de privilège.

[72]  Sandpiper soutient donc, à juste titre, que la Cour n’a aucun moyen d’évaluer les montants que Ringas a réellement engagés pour les quelques étapes qui sont toujours en litige, ni d’établir si ces montants étaient raisonnables. Même si j’étais enclin à adjuger des dépens majorés à Ringas, je ne dispose pas de la preuve qui me permettrait de le faire.

(3)  Le montant des dépens accordés pour le désistement

[73]  L’observation de Sandpiper selon laquelle le défaut de Ringas de déposer un mémoire de dépens ou des pièces justificatives adéquates devrait l’empêcher d’obtenir une adjudication de dépens, même une adjudication au titre du tarif, n’est pas sans fondement. Cependant, je suis convaincu que j’ai suffisamment d’informations pour évaluer les dépens des quelques étapes restantes qui sont pertinentes et qu’il serait injuste dans les circonstances actuelles de priver Ringas de sa demande en vue d’obtenir les dépens afférents à ces étapes en raison du manque de preuve. Outre sa demande de dépens majorés sous forme d’une indemnisation complète, que j’ai rejetée, Ringas n’a présenté aucun argument en faveur d’une attribution de frais majorés au titre du tarif. Je conclus que les frais devraient être calculés en utilisant la colonne III du tarif B comme point de départ : article 407 des Règles; Wihksne c Canada (Procureur général), 2002 CAF 356, aux par. 11 et 12.

[74]  Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les dépens en cause sont limités aux frais afférents aux actes de procédure initiaux, à l’avis de requête en jugement sommaire et aux CGI des 11 décembre 2018, 20 décembre 2018 et 4 février 2019. En l’absence d’un mémoire de frais de Ringas, Sandpiper a utilement préparé un projet de mémoire de frais qui, selon elle, reflète une réclamation de dépens appropriée, compte tenu des étapes prises en compte, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III. J’accepte ce projet de mémoire de frais, sous réserve des ajustements suivants :

[75]  Le total restant est un droit initial à 8,8 unités (3 pour les actes de procédure; 1 unité pour la requête en jugement sommaire, et 4,8 unités pour les CGI). Cependant, je réduirais même ce montant modeste de moitié pour tenir compte des allégations inappropriées de partialité et d’inconduite que Ringas a continué de formuler dans le cadre de la présente requête. J’ajouterai à ce total les débours mentionnés qui se rapportent spécifiquement à ces étapes. Encore une fois, en l’absence de tout autre argument de Ringas, e juge que cela se limite aux frais de service et de messagerie associés à la défense et à la demande reconventionnelle, qui se chiffrent à 99,86 $, plus les frais de dépôt de 300 $ pour l’avis de requête en jugement sommaire.

[76]  J’adjuge donc partiellement à Ringas les dépens de l’action et du désistement, fixés à 660 $, montant auquel s’ajoute 399,86 $ au titre des débours. Avec la TVH sur les frais et les débours imposables, je calcule le total à 1 158,64 $. Conformément à l’article 402 des Règles, ces dépens sont payables sans délai.

(4)  Le montant des dépens attribuable à la requête en radiation

[77]  Sandpiper demande que je fixe les dépens de sa requête en radiation initiale en fonction du tarif. Elle suggère qu’ils devraient être taxés selon le montant maximal prévu à la colonne V, compte tenu de la conduite de Ringas. Cependant, la protonotaire Tabib a simplement adjugé les dépens de la requête à la demanderesse sans précision quant à leur échelle, ce qui, selon mon interprétation, signifie la colonne III, et constitue une décision à cet effet : article 407 des Règles; Apotex Inc. c Merck & Co., Inc., 2006 CAF 324, au par. 15. En outre, au moment où l’ordonnance relative aux dépens a été rendue, les divers motifs de conduite invoqués par Sandpiper en l’espèce n’avaient pas encore eu lieu. Je fixerai donc les dépens de la requête en radiation au milieu de la colonne III. Selon le mémoire de frais déposé par Sandpiper, cela équivaut à des frais de 750 $ (5 unités) et à des débours de 231,25 $, pour un total de 1 108,81 $, TVH incluse.

VI.  Les dépens afférents aux présentes requêtes

[78]  Après avoir abordé la question des dépens de l’action principale abandonnée, il nous reste à trancher celle des dépens des présentes requêtes. Ringas demande que les dépens des requêtes combinées soient fixés en sa faveur à 2 500 $, quelle qu’en soit l’issue. Sandpiper a fait valoir que les dépens devraient suivre l’issue de la cause en ce qui concerne la requête de Ringas relative aux dépens et la requête incidente de Sandpiper relative aux dépens, mais réclame ses dépens en fonction du maximum de la fourchette prévue à la colonne V pour ce qui est de la deuxième « requête incidente en réponse » de Ringas, en tout état de cause, étant donné le caractère redondant et inapproprié de cette requête.

[79]  Aucune des parties n’a mentionné que les offres de règlement concernant les requêtes auraient une incidence sur les dépens afférents aux requêtes. J’estime que les éléments suivants sont particulièrement pertinents pour les besoins de l’adjudication des dépens dans le contexte des présentes requêtes :

[80]  Compte tenu de ces facteurs, et dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par les articles 400 et 401 des Règles, j’adjuge les dépens liés aux présentes requêtes de la façon suivante :

VII.  Conclusion

[81]  Comme il ressort de ce qui précède, les présentes requêtes relatives aux dépens sont devenues inutilement longues et complexes compte tenu de ce qui était réellement en jeu, à savoir les dépens relatifs à quelques petites étapes de l’instance qui n’avaient pas été précédemment réglés par des adjudications de dépens déjà rendues par la Cour. Cela a pour conséquence que les frais liés aux requêtes sont plus élevés que les dépens qui ont été obtenus et qui auraient dû être demandés dans le cadre des requêtes. J’attribue ce résultat quelque peu anormal en grande partie à la stratégie adoptée par Ringas, qui consistait à demander le recouvrement intégral de ses frais en dépit d’ordonnances de dépens à l’effet contraire en vigueur et à soulever des questions aucunement pertinentes pour les besoins de la décision à rendre, questions ayant nécessité que les parties présentent des arguments par écrit et de vive voix.

[82]  Ultimement, les dépens suivants sont ou demeurent payables dans la présente instance :

[83]  Ringas a fait valoir à l’audience des présentes requêtes que le fait que Sandpiper cherche à obtenir ou obtienne des dépens en sa faveur signifiait que Ringas se faisait demander de payer pour la [traduction« la chance d’avoir été poursuivie en justice ». Je ne vois pas cela de cette façon. Qu’une partie intente une action ou y réponde, la manière dont elle agit durant le litige a une incidence sur les frais engagés par chaque partie et est donc pertinente pour les besoins de la taxation des dépens, tant pendant qu’à la fin du litige. Les agissements de Ringas dans le litige et dans le cadre des présentes requêtes ont augmenté les frais des deux parties bien au-delà de ce qui était nécessaire. Les adjudications de dépens qui en ont découlé reflètent cette situation.




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