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                                                                                                                              Date : 20050503

                                                                                                                  Dossier : IMM-3232-04

                                                                                                              Référence : 2005 CF 604

ENTRE :

                                             TEERADECH PRAMAUNTANYATH

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire présentée par M. Teeradech Pramauntanyath (le demandeur) a été rejetée. Il s'agit là d'un second rejet - la première décision rejetant sa demande a été annulée par la Cour à cause d'une question de procédure, qui n'a aucun rapport avec le bien-fondé de la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[2]                La juge Mactavish a ordonné que la requête du demandeur visant à obtenir l'autorisation de présenter une demande de résidence permanente sans quitter le Canada soit tranchée par un agent d'immigration différent.

[3]                L'élément crucial de la décision du second agent d'immigration (du point de vue du demandeur) se trouve dans la section « Décisions et motifs » de la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire - Notes au dossier :


[traduction] Même si son établissement au Canada est bien documenté et si on lui a accordé une grande importance, je ne suis pas persuadé que son entreprise commerciale et son intégration sont convaincantes et que le fait d'avoir à présenter une demande de l'extérieur du Canada, en suivant la procédure ordinaire, entraînerait des difficultés excessives et injustifiées.

[4]                Le reste de l'analyse de l'agent porte sur la capacité du demandeur de faire face, en Thaïlande, aux conséquences de son retour dans ce pays. Il est fait mention en passant de la séparation de ses amis canadiens, mais il n'est pas question de l'effet sur le demandeur, ses associés et ses employés, ou sur son entreprise de restauration et son investissement.

CONTEXTE

[5]                Le demandeur, muni d'un visa d'étudiant, a quitté la Thaïlande à destination du Canada en février 1999. Il a prolongé indûment son séjour après l'expiration de son visa et a commencé à travailler dans le secteur de la restauration.

[6]                En avril 2000, le demandeur et deux associés ont ouvert le restaurant « Real Thailand » ; le demandeur est propriétaire du tiers de cet établissement et il y exerce les fonctions de chef principal.

[7]                Il semble que le restaurant ait assez de succès, ses revenus dépassant un million de dollars et 15 à 20 personnes y travaillant (la répartition entre les employés à temps plein et les employés à temps partiel n'est pas établie). Le restaurant a fait l'objet de critiques favorables dans des journaux et des revues, ce qui donne à penser que la qualité de la nourriture que l'on y sert est un attrait important.

[8]                Les activités du restaurant sont réparties entre les associés; l'un d'eux est chargé du personnel de service, le deuxième s'occupe des questions financières et le demandeur est chargé de surveiller et de maintenir la qualité de la nourriture, de former le personnel de cuisine, de préparer les menus et de créer de nouveaux plats.


[9]                L'un des points essentiels des observations et des éléments de preuve du demandeur reposant sur des motifs d'ordre humanitaire était que sa présence était indispensable au succès du restaurant et que son renvoi du Canada (même temporaire) aurait une incidence néfaste sur lui-même, sur son entreprise, sur ses associés ainsi que sur les employés.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Selon le demandeur, les questions en litige sont les suivantes :

a)          l'agent a-t-il omis de prendre en considération l'effet néfaste que son renvoi aurait sur l'entreprise;

b)          en supposant que l'agent ait bel et bien tenu compte de cet effet néfaste, la décision est-elle déraisonnable vu les circonstances.

MOTIFS

[11]            Le défendeur a soulevé à juste titre la question de la déférence dont une cour effectuant un contrôle judiciaire doit faire preuve à l'égard de la décision hautement discrétionnaire de l'agent d'immigration concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. L'auteur d'une telle demande sollicite en fait un examen spécial et une dispense de l'application d'une disposition importante du régime d'immigration canadien, qui exige que les demandes de résidence permanente soient présentées de l'extérieur du pays.

[12]            Plusieurs décisions de la Cour traitent du contrôle judiciaire de décisions fondées sur des motifs d'ordre humanitaire. Tout récemment, le juge Blais, dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 C.F. 413, et le juge Rouleau, dans Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 125, ont souligné les limites que comporte selon eux le contrôle judiciaire par la Cour d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.


[13]            Malgré cette mise en garde, les parties conviennent, tout comme la Cour, que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[14]            Il est question dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 63, de l'analyse de la norme dite de la « décision raisonnable » :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.

[15]            Appliquant cette norme, l'agent a tenu compte dans sa décision du « degré d'établissement » ainsi qu'il est mentionné dans les Lignes directives. Ce facteur, même s'il n'est pas décisif dans une décision liée à des motifs d'ordre humanitaire, est important. En l'espèce, le demandeur obtiendrait un résultat positif aux cinq (5) questions à examiner en ce qui a trait aux critères établis dans les Lignes directives.

[16]            L'agent semble avoir pris en considération de manière favorable l'établissement de l'entreprise de restauration, l'intégration économique et sociale du demandeur, son expérience canadienne, son travail à titre de bénévole, les lettres de recommandation de même que son établissement au Canada. Malgré tout cela, il conclut : [Traduction] « Je ne suis pas persuadé que son entreprise commerciale et son intégration soient convaincantes » .

[17]            Compte tenu de l'analyse de la « décision raisonnable » citée précédemment, la Cour ne peut trouver le fondement probant ou le processus logique qui étaye la conclusion de l'agent. La décision ne résiste pas à un « examen assez poussé » .


[18]            La décision ne traite pas de l'aspect le plus fondamental de l'argumentation du demandeur, savoir que son renvoi aurait une incidence néfaste sur lui-même, sur son entreprise ainsi que sur ses associés et ses employés. En toute équité, le demandeur a droit à de « vrais » motifs qui traitent de son argument principal et de sa preuve.

[19]            Il se peut fort bien que l'agent n'ait pas souscrit à la thèse centrale du demandeur, mais il est impossible pour la Cour de déterminer si cette thèse a été prise en considération ou, si elle l'a été, pour quels motifs l'agent l'a rejetée. Il y a peut-être des motifs valables, mais il est tout simplement impossible de savoir lesquels, notamment lorsque les faits favorisent autant le demandeur.

[20]            En conséquence, la Cour conclut qu'il convient d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire à un autre agent d'immigration pour décision.

[21]            Il n'y a pas de question à certifier.



              (signé) « Michael L. Phelan »

                                 Juge


Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3232-04

INTITULÉ :                                                    TEERADECH PRAMAUNTANYATH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Allison Phillips                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               POUR LE DÉFENDEUR

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