Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051109

Dossier : IMM-810-05

Référence : 2005 CF 1529

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

MOSHOOD ESHINKLOKUN ADARAMASHA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience et subséquemment consignés par écrit pour plus de clarté et de précision)

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué, le 11 janvier 2005, que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur, Moshood Eshinklokun Adaramasha, est un ressortissant nigérian de religion chrétienne. Il allègue éprouver une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Il prétend craindre le People's Democratic Party (ou Parti démocratique du peuple, PDP), dont il aurait été membre, ainsi que l'Alliance for Democracy (AD) qui gouverne son État, le Lagos. Il soutient que l'AD le pourchasse parce qu'il a beaucoup aidé à mobiliser les gens pour la cause du PDP. Par ailleurs, le PDP le considère comme un traître et le recherche pour ce motif.

[3]                La Commission était convaincue que le demandeur est bien citoyen du Nigeria, mais elle a jugé qu'une des questions principales consistait à décider si le demandeur était un membre actif du PDP et s'il était ciblé par les membres du parti de l'AD.

[4]                Dans ses motifs de décision, la Commission a conclu :

Le tribunal a des raisons valables de douter des affirmations du demandeur d'asile selon lesquelles il était membre du PDP et était visé par des membres du parti de l'AD.

Le demandeur d'asile a présenté un certain nombre de documents pour soutenir ses prétentions. Le demandeur d'asile a présenté une télécopie d'une carte du PDP pour démontrer qu'il était membre du parti. Il n'a pas présenté l'original de la carte à l'audience concernant le statut de réfugié, mais le tribunal a néanmoins acquiescé à la demande du conseil, après l'audience, de soumettre l'original de la carte. Le demandeur d'asile a témoigné que son frère/cousin était allé à Jos pour chercher ses documents et qu'il avait trouvé cette carte de membre dans son magasin et la lui avait immédiatement envoyée par télécopieur. Le tribunal prend note du fait que cette carte ne contenait pas de renseignements précis sur le demandeur d'asile, soit par exemple la date à laquelle il avait adhéré au PDP. Selon le témoignage du demandeur d'asile, il aurait adhéré au PDP en 1999, or les colonnes qui figurent sur cette carte commencent avec l'année 2001 seulement. Lorsqu'on le lui a fait remarquer, le demandeur d'asile a expliqué que c'était probablement parce qu'il avait fait renouveler sa carte après avoir déménagé à Jos. Le tribunal ne pense pas que cette explication soit raisonnable, car il n'est pas indiqué sur la carte qu'il s'agit d'un renouvellement. Le tribunal prend note du fait que, dans le coin supérieur droit de la carte, on mentionne les années 2001, 2002, 2003 et 2004 et qu'un espace est prévu pour chaque trimestre. Le demandeur d'asile a déclaré qu'il a payé des droits de 1 000 nairas tous les trimestres, mais toutes les colonnes sont vides et rien n'indique que le demandeur a acquitté ses droits. Lorsqu'on le lui a fait remarquer, le demandeur d'asile n'a d'abord fourni aucune explication. Peu de temps après, il a dit que cela servait peut-être à indiquer la présence des gens qui avaient assisté aux réunions. Or comme le demandeur d'asile soutient qu'il était membre actif depuis 1999 et qu'il avait occupé un poste de dirigeant dans sa circonscription, le tribunal estime qu'il n'est pas crédible que le demandeur ne sache pas quels renseignements sont fournis sur la carte de membre. En outre, la photographie dans le coin supérieur gauche de cette carte est totalement noircie et n'est pas reconnaissable. Le tribunal rend note du fait que ce document ne précise pas à quel moment le demandeur d'asile a adhéré au PDP, son statut actuel au sein du parti, son adresse, etc. Le tribunal estime qu'il n'est pas crédible qu'une carte de membre n'indique pas les renseignements de base nécessaires pour identifier une personne. Ce document est important et touche directement au motif de la crainte de persécution au Nigéria alléguée par le demandeur d'asile, étant donné que tous les problèmes du demandeur découlent de son appartenance au PDP. Le tribunal n'a pas en sa possession de preuve crédible ou digne de foi suffisante pour établir que le demandeur d'asile était membre du PDP. Étant donné les réserves soulevées précédemment en ce qui concerne la crédibilité, le tribunal n'accorde aucune valeur probante à cette carte.

[5]                Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle applicable à l'évaluation de documents d'identité soit celle de la décision manifestement déraisonnable. (Voir les décisions De Connick c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 207; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 102 F.T.R. 203; Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1291.)

[6]                La Commission a autorisé le demandeur à lui fournir sa carte de membre du PDP à la fin de l'audience. Celui-ci a transmis une télécopie de la carte le 29 décembre 2004, en précisant qu'il tenait l'original à la disposition de la Commission pour le cas où elle souhaiterait l'inspecter2.

[7]                La Commission ne disposait d'aucune preuve quant à la nature des cartes de membre des partis politiques au Nigeria. Elle a néanmoins, dans l'extrait précité de sa décision, tiré les conclusions suivantes :

1.          La carte ne porte aucune date indiquant à quel moment le demandeur s'est joint au parti.

            2.         La carte ne mentionne pas qu'il s'agit d'un renouvellement.

3.         À supposer que le quadrillage dans le coin supérieur droit de la carte serve à attester le paiement des droits trimestriels, la carte du demandeur ne porte la trace d'aucun paiement.

4.          La carte ne précise ni le statut du demandeur dans le parti, ni l'époque où il a adhéré au parti, ni son adresse.

5.          L'impression de la photo est totalement noircie, de sorte qu'il est impossible de s'assurer qu'elle représente bien le demandeur.

[8]                Comme la Commission ne disposait d'aucune preuve concernant l'aspect d'une carte de membre d'un parti politique nigérian, les observations 1 à 4, ci-dessus, ne sont rien de plus que des hypothèses sans fondement. La Commission impose sa propre conception des renseignements que devrait contenir une carte de membre d'un parti politique au Nigeria.

[9]                Selon le défendeur, la Commission fait tout simplement preuve de bon sens. Je ne vois pas en quoi le fait de présumer qu'une carte de membre doit indiquer l'adresse du demandeur, son statut dans le parti, l'époque de son adhésion et le fait que la carte constitue ou non un renouvellement relève du sens commun.

[10]            Quant à la photo, il s'agissait d'une copie de l'original transmise par télécopie. Si elle entretenait quelque doute à son sujet, la Commission aurait pu demander l'original. Il n'est pas très surprenant qu'une photo télécopiée d'un Africain de race noire ne permette pas de distinguer suffisamment ses traits pour qu'on puisse l'y reconnaître. La Commission ne s'est jamais prévalue de l'offre du demandeur de lui fournir l'original de la photo si elle le souhaitait.

[11]            Étant donné que la Commission a reconnu que la conclusion quant à l'appartenance du demandeur au PDP était un élément essentiel de la demande d'asile en l'espèce, je dois conclure, pour les motifs exposés ci-dessus, que la conclusion de la Commission repose sur des hypothèses ou postulats non fondés et, par conséquent, ne résiste pas au critère de la décision manifestement déraisonnable.

[12]            En conséquence, la présente demande sera accueillie.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la décision de la CISR en date du 11 janvier 2005 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

                                                                                                            « K. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-810-05

INTITULÉ :                                        MOSHOOD ESHINKLOKUN ADARAMASHA

demandeur

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                                                                            ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :                         

Kingsley Jesuorobo                               POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

Stephen Jarvis

John Pro                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Kingsley Jesuorobo

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR



            2 Dossier du tribunal, à la page 46.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.