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                                                                                                                     Date : 20050318

                                                            Dossiers : T-465-01, T-650-02, T-888-02, T-889-02

                                                                                                      Référence : 2005 CF 384

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                       LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

LE DIRECTEUR EXÉCUTIF DU BUREAU CANADIEN

D'ENQUÊTE SUR LES ACCIDENTS DE TRANSPORT ET

DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

                                                                                                                                      intimé

                                                                       et

NAV CANADA

intimée

                                                                       et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                Dans chacune des quatre demandes déposées devant la Cour, le demandeur, commissaire à l'information du Canada (le commissaire), sollicite, en vertu de l'alinéa 42(1)a) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la LAI), le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'intimé, le directeur exécutif du Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (le BST), a refusé de communiquer les renseignements qui lui étaient demandés. Le commissaire sollicite en outre de la Cour une ordonnance déclarant que le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R-2, est contraire à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[2]         Les renseignements dont le commissariat demande la communication se composent d'enregistrements et de transcriptions de conversations entre le contrôle de la circulation aérienne (ATC) et le personnel de vol (les communications ATC). Les demandes portées devant la Cour ont pour origine quatre accidents d'avion, collisions ou écrasements. Suit une brève description des incidents en cause, des demandes de renseignements et des décisions rendues à cet égard par le BST :

1. L'incident de Clarenville

Le dossier T-465-01 a trait à la demande déposée auprès du BST par M. Peter Walsh, collaborateur de CBC TV, qui sollicite l'accès à :

[traduction]

Tous les documents concernant l'enquête sur l'écrasement d'un appareil Pilatus PC-12 de la Kelner Airways près de Clarenville (T.-N.), le 19 mai 1998, y compris le rapport final comprenant les notes d'information à l'intention du ministre, la déclaration du témoin et la copie audio des conversations avec le contrôle de la circulation aérienne, telles que captées par l'enregistreur de conversations du poste de pilotage.


Par une décision définitive en date du 11 décembre 2000, le BST rejetait la demande de renseignements et confirmait la position exposée par le BST, le 20 septembre 2000, dans une lettre au commissaire.

2. L'incident de Penticton

Le dossier T-650-02 a trait à une demande déposée par Mme Anna M. Feglerska, avocate des assureurs intervenant au nom de la succession du pilote du Mooney M20 qui est mort dans l'accident. Le BST a refusé la demande d'accès qui lui était adressée et qui visait :

[traduction]

Les bandes et transcriptions des communications en phonie entre Nav Canada et les pilotes des deux avions [le Cessna 177RG (C-GWYY) et le Mooney M20 C (C-GAR)] qui se sont heurtés en vol près de Penticton (Colombie-Britannique) le 20 août 1999.

Les motifs du refus que le BST a opposé à cette demande, ainsi que le texte des demandes déposées dans le cadre des dossiers T-888-02 et T-889-02 sont exposés dans une lettre du BST en date du 31 janvier 2002.

3. L'incident de Fredericton

Le dossier T-888-02 a trait à la demande transmise au BST par un journaliste, M. Dean Beeby. Le BST a refusé de donner accès aux :

[traduction]

Enregistrements des communications radio en rapport avec l'enquête sur l'atterrissage d'un Fokker 28 de la compagnie Air Canada-Canadian à l'aéroport de Fredericton le 28 novembre 2000, y compris les communications entre l'ATC Moncton, la tour de contrôle de Fredericton et les pilotes.


Encore une fois, les motifs du refus opposé par le BST sont exposés dans une lettre du BST en date du 31 janvier 2002. La position du Bureau concernant cet incident ainsi que l'incident visé dans le dossier T-889-02 a été confirmée par une lettre du refus de BST en date du 14 mars 2002.

4. L'incident de St. John's

Dans le dossier T-889-02, la demande est déposée devant la Cour avec le consentement de M. Dean Beeby, auteur de la demande d'accès initiale. Le BST a refusé à celui-ci l'accès à :

[traduction]

L'ensemble des enregistrements du contrôle de la circulation aérienne remis au Bureau dans le cadre de l'enquête sur l'accident survenu le 1er août 1999 à l'aéroport de St. John's (Terre-Neuve), lorsqu'un appareil Fokker 28 des lignes InterCanadian, s'est présenté trop long sur la piste d'atterrissage.

Dans chacune de ces affaires, les motifs invoqués par le BST sont les mêmes. D'abord, le BST estime que les communications de l'ATC constituent des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Deuxièmement, le BST estime que la communication des renseignements demandés ne se justifie pas au regard du paragraphe 19(2) de la LAI.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]         Voici les questions soulevées dans le cadre de ces demandes :


1. Les communications ATC constituent-elles des « renseignements personnels » au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, 1980-81-82-83, ch. 111, annexe II « 1 » (la Loi sur la protection des renseignements personnels), dont la divulgation est interdite par le paragraphe 19(1) de la LAI?

2. Est-ce à tort que le BST a jugé que la divulgation des communications ATC ne se justifie pas au regard du paragraphe 19(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels de la LAI?

3. Le paragraphe 20(1) de la LAI interdit-il la divulgation des communications ATC?

4. Les renseignements personnels figurant dans les communications ATC peuvent-ils, sans problème sérieux, être prélevés des autres informations comme l'article 25 de la LAI en prévoit la possibilité?

5. Le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R-2, porte-t-il atteinte à l'alinéa 2b) de la Charte qui garantit la liberté d'expression et, si oui, une telle atteinte est-elle justifiée au sens de l'article premier de la Charte?


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[4]         Le litige porte essentiellement sur le point de savoir si les communications ATC contiennent des « renseignements personnels » selon la définition qu'en donne l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et si ces renseignements bénéficient d'une exemption au titre du paragraphe 19(1) de la LAI. Selon la définition qu'en donne l'article 3, il faut entendre par « renseignements personnels » :

art. 3 « renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable [...]

[5]         Voici le texte du paragraphe 19(1) de la LAI :


Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.                                    

Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.


[6]         Le paragraphe 19(2) de la LAI prévoit les circonstances dans lesquelles le responsable d'une institution fédérale peut communiquer des renseignements contenant des renseignements personnels :



(2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l'individu qu'ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c)    la communication est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

(a)    the individual to whom it relates consents to the disclosure;

(b)    the information is publicly available; or

(c)    the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.


[7]         Selon le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, des renseignements personnels peuvent être communiqués si, « de l'avis du responsable de l'institution, des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée » .

[8]         Et enfin, l'article 25 de la LAI, qui prévoit que les renseignements visés peuvent être scindés en deux catégories, celle des renseignements personnels et celle des autres renseignements, ce qui permet de communiquer les renseignements ne revêtant aucun caractère personnel.



25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.


25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.            

ANALYSE

Question no 1 : Les communications ATC constituent-elles des « renseignements personnels » au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

[9]         Les parties conviennent que la question essentielle en l'espèce est celle de savoir si les renseignements en cause constituent effectivement des renseignements personnels. Elles conviennent également que la norme applicable à l'examen de la décision du BST est celle de son caractère correct (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (GRC), [2003] 1 R.C.S. 66, aux par. 14 à 19).

[10]       Le BST et NAV Canada font tous deux valoir que les communications ATC constituent des renseignements personnels. Le commissaire estime par contre que ce n'est pas le cas. Aucune disposition de la LAI ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique de manière précise à ce genre de renseignements. Ajoutons qu'on ne trouve, dans la jurisprudence citée en l'espèce, rien qui porte directement sur la question. Par conséquent, la question de savoir si les communications ATC sont des renseignements personnels au sens de l'article 3 devra être tranchée au regard des principes généraux et d'une pointe de bon sens.


[11]       Selon l'article 3, les renseignements personnels sont des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable » . Cette définition comporte trois éléments :

·            les renseignements en question doivent « concerner » un individu;

·            cet individu doit être identifiable; et

·            l'information en question doit être consignée sous une forme ou sous une autre.

[12]       Se prononçant au nom de la minorité de la Cour, mais soutenu dans son interprétation de l'article 3 par la majorité de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, aux paragraphes 68 et 69, le juge La Forest s'est exprimé en ces termes au sujet de la définition :

[...] Selon son sens clair, cette définition est indéniablement large. En particulier, elle précise que la liste des exemples particuliers qui suit la définition générale n'a pas pour effet d'en limiter la portée. Comme l'a récemment jugé notre Cour, cette phraséologie indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d'interprétation. L'énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale; voir Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, aux pp. 289 à 291. En conséquence, si un document de l'administration fédérale est visé par cette disposition liminaire, il importe peu qu'il ne relève d'aucun des exemples donnés.


Comme l'a souligné le juge en chef adjoint Jerome dans Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), précité, à la p. 557, la formulation de cet article est « délibérément large » et « illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l'identité des individus » . Elle semble destinée à viser tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d'exceptions précises; voir J. Alan Leadbeater, « How Much Privacy for Public Officials? » , allocution prononcée devant l'Association du Barreau canadien (Ontario), le 25 mars 1994, à la p. 17. Une telle interprétation s'accorde avec le texte clair de la Loi, avec son historique législatif et avec le statut privilégié et fondamental du droit à la vie privée dans notre culture sociale et juridique. [Non souligné dans l'original.]

[13]       Cette opinion du juge La Forest a été citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans son récent arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (GRC), [2003] 1 R.C.S. 66, au paragraphe 23.

[14]       Je relève en outre qu'au paragraphe 94 de l'arrêt Dagg, le juge La Forest précise que :

[L]es renseignements qui concernent principalement des personnes elles-mêmes ou la manière dont elles choisissent d'accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels » . [Non souligné dans l'original.]


[15]       L'interprétation large de l'article 3 n'entraîne pas nécessairement que la Loi sur la protection des renseignements personnels s'oppose à la communication du moindre propos tenu par un individu. Même si dans un cas précis le renseignement en question correspond à la définition de renseignements personnels, il se peut néanmoins qu'il ne soit pas protégé en raison de diverses dispositions tant de la Loi sur la protection des renseignements personnels que de la LAI. Ainsi, les renseignements qui relèvent de la description figurant aux alinéas 3j), k), l) ou m) de la définition (qui ne nous concernent pas en l'espèce) ne sont pas, au regard de certaines dispositions de la LAI, considérés comme des renseignements personnels. Ajoutons que bien qu'ils soient personnels, certains renseignements peuvent néanmoins être communiqués en vertu de l'article 19 de la LAI.

[16]       Je considère que les dispositions législatives applicables établissent à un équilibre qui est à la fois judicieux et pratique. Le législateur a reconnu le besoin de protéger la vie privée des personnes, définissant en même temps un certain nombre d'éléments permettant de parvenir à un équilibre entre le souci de protéger la vie privée et le besoin, parfois important, d'autoriser dans certains cas la communication des renseignements en question. L'intérêt public est bien servi si l'on interprète largement ce qu'il convient d'entendre par « renseignements personnels » et que l'on s'interroge, avec une même largeur de vue, sur la question de savoir si le renseignement en question devrait néanmoins être communiqué.

[17]       C'est en tenant compte de ces principes que j'en arrive maintenant aux faits de l'affaire. Il n'y a aucun doute que les communications ATC ont fait l'objet d'enregistrements. Les parties s'opposent sur les deux autres éléments de la définition. Je vais les examiner tour à tour.


Les communications ATC concernent-elles un individu?

[18]       Selon le commissaire, les communications ATC ne sont qu'un simple échange de renseignements concernant une prestation de services. Il s'agit, d'après lui, de « transactions » enregistrées dans un système conçu pour que l'on puisse les retrouver. Les communications ATC assurées par NAV Canada sont, quant à leur contenu, réglementées par la Loi sur l'aéronautique, ainsi que par l'article 6 du Règlement sur la radiocommunication, DORS/96-484. Les communications elles-mêmes doivent se limiter à la sécurité et à la navigation de l'aéronef, aux activités de l'appareil et à l'échange de messages pour le compte du public. Ces messages sont très strictement réglementés et transmis sur des fréquences réservées au service aéronautique. Ceux qui utilisent ces fréquences ont tenus, aux termes de la Loi, de ne pas s'identifier nommément. Tout cela est exact.

[19]       Le commissaire fait remarquer que les documents en cause contiennent des renseignements relatifs à la situation de l'aéronef, aux conditions météorologiques, à diverses questions concernant le contrôle de la circulation aérienne, les propos tenus par les pilotes et les contrôleurs. Dans l'une des communications en cause, quelques lignes seulement comportent la mention de noms ou d'autres renseignements qui, de l'aveu du commissaire, revêtent effectivement un caractère personnel.


[20]       J'estime, comme le commissaire, que les enregistrements sont effectivement des « transactions » et que les renseignements en cause sont de nature presque exclusivement technique. Je considère, cependant, que les communications ATC, prises dans le contexte qui leur est propre, ne se limitent cependant pas à cela. Le fait qu'il s'agisse de transactions, et que les communications contiennent des données factuelles, n'exclut pas qu'il puisse s'agir de renseignements personnels ou de renseignements concernant des individus.

[21]       En l'occurrence, deux catégories d'individus sont en cause : l'équipe des contrôleurs de la circulation aérienne et les spécialistes de l'information de vol qui travaillent à terre, et le personnel naviguant. Afin de préciser la nature des communications en question, je me suis penchée sur leur objet.

[22]       Le Canada est signataire de la Convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago (Illinois) le 7 décembre 1944 (la Convention de l'OACI). L'on trouve à l'annexe 10, volume II de la Convention de l'OACI, une disposition qui prévoit la consignation des communications ATC. Ces normes sont reprises à la partie VIII - sous-partie 2 du Règlement de l'aviation canadien, DORS /96-433.


[23]       La plupart du temps - heureusement - les vols se déroulent sans incident. Dans ces cas, les enregistrements sont conservés pendant 30 jours, puis détruits. Dans de très rares cas, cependant, il peut se produire un « événement aéronautique » c'est-à-dire, selon la définition prévue à l'article 2 de la Loi sur le BST :


Tout accident ou incident lié à l'utilisation d'un aéronef. Y est assimilée toute situation dont le Bureau a des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait, à défaut de mesure corrective, provoquer un tel accident ou incident.

(a)            any accident or incident associated with the operation of an aircraft, and

(b)            any situation or condition that the Board has reasonable grounds to believe could, if left unattended, induce an accident or incident described in paragraph (a).


[24]    En pareilles circonstances, les communications ATC revêtent une très grande importance. NAV Canada signale l'incident au BST. Le BST peut alors entamer une enquête au sujet de l'incident, ce qui est effectivement le cas pour chacun des incidents en cause dans la présente affaire. Les enregistrements ATC ayant trait à ces incidents sont alors remis aux enquêteurs du BST. Aux mains du BST, ces enregistrements deviennent quelque chose de plus que de simples « transactions » ; ils sont en effet utilisés par le BST aux fins de son enquête. Aux termes mêmes de la Loi sur le BST :



7. (1) Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité des transports :

a)       en procédant à des enquêtes indépendantes, y compris des enquêtes publiques au besoin, sur les accidents de transport choisis, afin d'en dégager les causes et les facteurs;

b)       en constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par de tels accidents;

c) en faisant des recommandations sur les moyens d'éliminer ou de réduire ces manquements;

d)       en publiant des rapports rendant compte de ses enquêtes et présentant les conclusions qu'il en tire.

(2) Dans ses conclusions, le Bureau n'est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales; ses conclusions doivent toutefois être complètes, quelles que soient les inférences qu'on puisse en tirer à cet égard.     [Non souligné dans l'original.]                                                        

7. (1) The object of the Board is to advance transportation safety by

(a)      conducting independent investigations, including, when necessary, public inquiries, into selected transportation occurrences in order to make findings as to their causes and contributing factors;

(b)      identifying safety deficiencies as evidenced by transportation occurrences;

(c)      making recommendations designed to eliminate or reduce any such safety deficiencies; and,

(d)      reporting publicly on its investigations and on the findings in relation thereto.

(2) In making its findings as to the causes and contributing factors of a transportation occurrence, it is not the function of the Board to assign fault or determine civil or criminal liability, but the Board shall not refrain from fully reporting on the causes and contributing factors merely because fault or liability might be inferred from the Board's findings. [emphasis added]


[25]       Dans le cadre de la mission qui lui est confiée, le BST doit se pencher sur la manière dont les individus en cause ont accompli les tâches qui leur incombent. Quelle est la cause de l'accident? Y a-t-il eu des manquements à la sécurité? Plus précisément, les actions des contrôleurs ou des pilotes en cause ont-elles contribué à l'accident? Les communications ATC sont un des moyens importants d'évaluer le comportement individuel des personnes concernées. Les communications ATC servent à évaluer la manière dont les contrôleurs de la circulation aérienne et le personnel naviguant ont choisi d'accomplir les tâches qui leur sont confiées. Très simplement, on peut dire que l'unique raison d'être des communications ATC est de permettre, justement, d'évaluer, en cas d'incident, le comportement ou l'action des personnes ayant pris part à ces communications.


[26]       Pour ces motifs, je conclus que ces communications « concernent » les individus en cause.

Les individus en cause sont-ils identifiables?

[27]       Le commissaire fait valoir que les contrôleurs ne peuvent pas être identifiés à moins que quelqu'un ait accès aux registres de NAV Canada dans lesquels sont consignés les postes de travail et le nom des personnes qui les assurent. Cela, cependant, n'est confirmé ni par le bon sens ni par les éléments de preuve produits devant la Cour. Ce n'est qu'en cas d'incident malencontreux que le BST se penche sur les communications ATC. Lorsqu'un avion s'écrase ou évite de peu une collision, la presse et le public s'intéressent en général de près à l'incident. Il est peu réaliste de penser qu'en pareil cas personne ne fera le lien entre les pilotes ou, dans certains cas, les contrôleurs de l'air et l'accident.


[28]       Selon la pratique en cours, les contrôleurs de l'air n'utilisent pas, dans leurs communications, de noms propres. Mais le nom n'est pas la seule manière d'identifier quelqu'un. Mme Kathleen Fox, vice-présidente adjointe des services de la circulation aérienne à NAV Canada, travaille depuis 30 ans dans le domaine du contrôle de la circulation aérienne. Dans son affidavit et lors de son contre-interrogatoire sur cet affidavit, elle a déclaré que l'écoute des bandes ATC permettrait d'identifier l'aéronef, ainsi que le lieu de travail et le sigle professionnel du contrôleur en question. Rappelons que les voix du contrôleur et du pilote peuvent également être entendues, et donc identifiées. Lors du contre-interrogatoire sur son affidavit, on lui a demandé si d'autres indices permettraient d'identifier ou de situer les personnes en cause. Mme Fox a répondu que :

[traduction] D'abord, il y a l'identification de l'avion. Son numéro d'immatriculation ou le numéro du vol. Il y a également la manière dont l'interlocuteur s'identifie en tant que [le nom de la tour de contrôle]. Puis il y a également les initiales du contrôleur ou du spécialiste qui communique par interphone. Il y a, bien sûr, la voix, et ceux qui connaissent la personne vont reconnaître sa voix. Cela est particulièrement vrai si les gens savent où la personne en cause travaillait et quel jour et à quelle date l'incident a eu lieu. Tous ces éléments peuvent permettre d'identifier les individus concernés.

[29]       À l'occasion d'une demande de renseignements ayant trait aux communications ATC lors d'un accident antérieur, en l'occurrence la perte tragique du vol 111 de la Swiss Air au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, le commissaire avait lui-même déclaré :

[traduction] Je considère que les voix, ainsi que les traits caractéristiques liés au ton et à l'émotion des communications constituent des renseignements en ce qui concerne les trois contrôleurs de la circulation aérienne et les deux pilotes. La divulgation de ces renseignements établirait un lien entre les renseignements et des individus identifiables. Cela établirait également un lien entre le contenu du compte rendu qui a été publié et des individus identifiables. [Non souligné dans l'original.]

[30]       Le fait que les contrôleurs peuvent être identifiés a été confirmé par M. Ron Brown, dont le père a été tué lors de l'écrasement d'un petit avion en Colombie-Britannique (dans un accident n'ayant rien à voir avec les quatre dont il s'agit ici). Dans une lettre écrite à NAV Canada pour demander accès aux enregistrements, M. Brown a identifié le contrôleur en service au moment de l'accident.


[31]       Je suis convaincue que les individus ayant pris part aux communications ATC sont identifiables. Ils ne peuvent peut-être pas être identifiés avec une parfaite précision, mais de manière suffisamment précise pour répondre à la définition de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Les individus en question avaient-ils une expectative raisonnable de confidentialité?

[32]       Le commissaire affirme que, selon la démarche retenue par le juge La Forest dans l'arrêt Dagg, pour que des renseignements soient considérés comme personnels, il faut que les individus qui ont tenu les propos en cause aient eu une expectative raisonnable de confidentialité. Partant de cette idée, le commissaire fait valoir que les contrôleurs ne sauraient avoir d'expectative de confidentialité étant donné qu'ils savent sûrement que : a) le BST pourra utiliser et rendre publics les renseignements contenus dans les communications ATC, soit dans le cadre de son enquête soit dans le rapport d'accident; et que b) les personnes équipées de scanners peuvent, de manière parfaitement licite, capter en temps réel les communications qui ont lieu.


[33]       Sur ce point, il convient d'écarter les arguments avancés par le commissaire, et cela pour deux raisons. La première est que le commissaire ajoute, tant à son interprétation de l'article 3 qu'à celle de son analyse des propos du juge La Forest, des mots qui ne s'y trouvent pas. En effet, la définition que la Loi donne de « renseignements personnels » ne prévoit aucunement l'exigence que les parties aient, en matière de vie privée, une attente raisonnable. De plus, au paragraphe 71 de l'arrêt Dagg, le juge La Forest déclare, au sujet de cette « attente raisonnable en matière de vie privée » , que ce concept n'est pas un élément strictement nécessaire à son analyse. La question de savoir si quelqu'un entretient, en ce qui concerne des renseignements qui lui sont personnels, certaines attentes concernant le respect de ce caractère personnel, peut très bien être prise en compte subséquemment, lorsqu'il s'agit de décider si, malgré le caractère personnel des renseignements en cause, ceux-ci devraient néanmoins être communiqués au titre du paragraphe 19(2) de la LAI. Il n'est cependant pas nécessaire d'en tenir compte pour décider si un renseignement donné est effectivement un « renseignement personnel » au sens de l'article 3.

[34]       La seconde raison d'écarter l'argument est que, même si cette attente raisonnable constituait une exigence en l'espèce, j'estime que les contrôleurs de la circulation aérienne et les pilotes - c'est-à-dire les parties aux communications en cause - ne s'attendraient aucunement à ce que des étrangers aient accès aux communications ATC comme le souhaite le commissaire. Il est clair que tant les contrôleurs que les pilotes savent et acceptent que tout incident va faire l'objet d'une enquête, que les communications ATC vont, dans le cadre de cette enquête, être examinées de près et que les résultats de l'enquête pourraient faire allusion aux communications ATC, et même les citer. Mais on est loin d'admettre ainsi l'absence de toute attente au niveau de la confidentialité de ces communications.


[35]       Une telle utilisation des communications ATC relève du genre de renseignements évoqués par le juge La Forest dans l'arrêt Dagg, au paragraphe 75 :

Pour déterminer si un particulier a une attente raisonnable en matière de vie privée relativement à un renseignement donné, il est important de tenir compte du but dans lequel ce renseignement a été divulgué; voir Dyment, précité, aux pp. 429 et 430, le juge La Forest; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, aux pp. 292 et 293. En général, lorsqu'une personne divulgue des renseignements la concernant, elle le fait pour des raisons précises. Dans certains cas, on le fait pour recevoir un service ou bénéficier d'un avantage. Dans d'autres cas, on le fait parce qu'on est légalement tenu de le faire. Dans aucun de ces cas ne s'attend-on à ce que les renseignements divulgués soient rendus publics ou communiqués à des tiers sans qu'on y consente. Comme je l'ai fait remarquer dans Dyment, précité, aux pp. 429 et 430, « les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l'individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu'ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués » .

[Non souligné dans l'original.]

[36]       Les communications ATC ne perdent pas leur caractère personnel du simple fait que la loi prévoit leur enregistrement et la remise des bandes à la demande du BST. Les contrôleurs et les pilotes sont, selon moi, tout à fait en droit de s'attendre à ce que le BST n'utilise les communications ATC qu'aux fins prévues au moment de leur remise. Le BST ne s'est pas procuré les renseignements en question afin de pouvoir les communiquer au public; le BST n'est pas une maison d'édition chargée de publier les communications ATC.

[37]       L'examen du dossier fait ressortir de nombreux indices du caractère confidentiel des communications ATC.


·      Selon sa politique constante, NAV Canada préserve le caractère confidentiel des communications ATC et n'en permet pas l'accès au public.

·      Les conventions collectives régissant les rapports entre les syndicats et NAV Canada contiennent une clause interdisant tout emploi des bandes magnétiques dépassant ce qui est prévu par la loi. Les manuels de formation de NAV Canada exigent le respect du caractère confidentiel de ces communications.

            ·      La politique du BST (comme nous le verrons de manière plus détaillée un peu plus loin, à partir du paragraphe 59) est de maintenir la confidentialité des communications ATC.

            ·      Comme nous l'avons vu, les enquêtes sur les accidents d'avion se déroulent selon la procédure définie par la Convention de l'OACI. Selon l'article 5.12 de la convention, les États procédant à l'enquête ne doivent pas, sauf dans certaines circonstances où l'intérêt public doit l'emporter sur la confidentialité, donner accès aux communications ATC à des fins autres que celles de l'enquête. Dans une large mesure, la mission d'enquête confiée au BST aux termes mêmes de la loi habilitante de cet organisme, reprend les termes des dispositions pertinentes de la Convention de l'OACI.


            ·      Un examen de la pratique internationale en la matière montre que c'est la non-divulgation de ce genre de renseignements qui est la norme.

[38]       Le commissaire a beaucoup insisté sur le fait qu'avec un scanner, toute personne peut capter les communications ATC. On trouve des personnes, en effet, qui semblent s'intéresser de près aux conversations entre le personnel au sol et le personnel naviguant. Rappelons cependant qu'aux termes du paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication « il est interdit d'intercepter et soit d'utiliser, soit de communiquer » les communications ATC. Même si j'admets que des tiers peuvent de manière parfaitement licite capter les conversations ATC (hypothèse que j'ai du mal à admettre), tout autre usage de ces communications ou leur divulgation entraînerait une violation du paragraphe 9(2). Cela renforce l'attente que la confidentialité de ces conversations sera préservée.

[39]       Disons pour conclure que, à l'inverse de ce qu'affirme le commissaire, il ne s'agit aucunement en l'espèce de « bande sonore de renseignements relatifs à des affaires d'intérêt public » . Au contraire, toute divulgation des communications ATC ne doit se faire que de manière limitée et contrôlée. J'estime par conséquent que les parties aux communications ATC peuvent raisonnablement s'attendre à voir respecter le caractère confidentiel de ces conversations.


Conclusion

[40]       Sur ce point, je considère que c'est avec raison que le BST a décidé que les communications ATC constituent des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Question no 2 : Les renseignements personnels en cause devraient-ils être communiqués?

[41]       Conclure que les renseignements en cause constituent des renseignements personnels n'épuise cependant l'analyse. Bien que le paragraphe 19(1) de la LAI interdise au responsable d'une institution fédérale de donner communication de documents contenants des renseignements personnels, le paragraphe 19(2) de la LAI prévoit un certain nombre de situations dans lesquelles ce responsable est autorisé à communiquer les renseignements en cause. Voici, en résumé, les exceptions prévues au paragraphe 19(2) :

·      l'individu que les renseignements concernent y consent (al. 19(2)a));

·      le public a accès aux renseignements en question (al. 19(2)b)); ou

·      la divulgation est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (al. 19(2)c)).


[42]       Dans chacun de ces cas, le paragraphe 19(2) prévoit que le responsable d'une institution fédérale peut donner communication des renseignements en cause. En l'espèce, la première des exceptions prévues ne s'applique pas, et n'a d'ailleurs pas été plaidée devant la Cour.

L'alinéa 19(2)b) est-il applicable en l'espèce?

[43]       Le second cas où le BST serait autorisé à communiquer des renseignements personnels est lorsque le public y a déjà accès (al. 19(2)b) de la LAI). Les parties conviennent en l'occurrence que la norme de contrôle applicable est celle du caractère correct de la décision, c'est-à-dire que je dois être persuadée que c'est à juste titre que le BST a conclu que le public n'a pas accès aux communications ATC au sens de 19(2)b) de la LAI. Le commissaire affirme au contraire que le public y a accès et qu'on se trouve dans le cas de figure prévu à l'alinéa 19(2)b).

[44]       Pour décider si l'alinéa 19(2)b) autorise en l'occurrence le BST à communiquer les renseignements en question, je dois d'abord chercher à savoir si, en ce qui concerne les communications ATC ici en cause, « le public y a accès » .


[45]       Considérons d'abord l'argument avancé par le commissaire lorsqu'il affirme que le public a effectivement accès aux communications en question étant donné que certaines personnes sont en mesure de les intercepter ou de les capter. Je vais, encore une fois, faire abstraction de la thèse du commissaire selon laquelle il est parfaitement licite de capter les communications ATC en utilisant des scanners.

[46]       Je précise d'abord que j'ignore si quelqu'un a capté les communications en question à l'aide de scanners radio. On a produit devant la Cour des preuves démontrant l'emploi assez répandu de scanners, mais rien ne démontre que les communications ATC ici en cause (autres que les communications ATC de Clarenville, comme nous le verrons un peu plus loin) aient été captées.


[47]       J'ajoute que même si en l'espèce les communications ATC avaient été captées, je ne pense pas que le fait qu'un ou plusieurs individus aient écouté ces communications alors même qu'elles se déroulaient, suffise à faire tomber ces communications dans le domaine public. D'après moi, pour que des renseignements appartiennent au domaine public, il faut que le public, justement, y ait un accès permanent. Ainsi, dans l'affaire Bande indienne de Témiscamingue c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1997] A.C.F. no 676 (1re inst.), au paragraphe 34, la Cour a jugé que des documents qui n'avaient jamais été divulgués auparavant appartenaient au domaine public étant donné qu' « ils ont été à la disposition du public qui fréquente le Registre, y effectue des recherches et y présente des demandes précises en vertu du système qui existe depuis l'établissement du Registre » . Or, dans les affaires soumises en l'occurrence à la Cour, il n'est aucunement question de registre ou de dépôt où le public est admis pour examiner ces enregistrements ou la transcription des communications ATC. J'estime donc que des renseignements qui ont été écoutés une seule fois, sans que l'on puisse démontrer qu'ils puissent être écoutés à plusieurs reprises ou en permanence, ne font pas partie du domaine public et que le public n'y a pas accès.

[48]       Je relève, ensuite, que l'article en question est rédigé au présent de l'indicatif. En effet, la disposition permet au responsable d'une institution fédérale de communiquer des renseignements si le public y « a » accès. Même si je devais décider que, en ce qui concerne les communications ATC, le public y avait accès à l'époque où elles se sont déroulées, on ne peut pas dire qu'il y ait actuellement accès ou que ces communications soient tombées dans le domaine public. Cela vaut pour l'ensemble des communications ATC, à l'exception peut-être de celles qui concernent l'accident de Clarenville.

[49]       Le cas de l'accident de Clarenville est à coup sûr différent. À deux reprises, en effet, le BST, en réponse à une demande déposée en vertu de la LAI, a communiqué les enregistrements audio et la transcription des communications ATC. La demande de communication dont la Cour est saisie en l'espèce était la troisième demande visant la divulgation de communications ATC.


[50]       Les parties auxquelles ont été communiqués les renseignements concernant l'accident de Clarenville sont des journalistes. Un des journalistes, producteur et directeur du programme d'actualités W-Five, diffusé par la chaîne CTV, a fondé une séquence d'émission en partie sur les communications ATC et l'autre journaliste a repris certains de ces renseignements dans un livre qu'il a publié. En ce qui concerne les communications ATC de Clarenville, les renseignements figurant dans les bandes magnétiques et la transcription des communications ont fait l'objet d'une large diffusion. Si ni l'un ni l'autre de ces deux journalistes n'a jusqu'ici diffusé dans leur intégralité les bandes magnétiques ou les transcriptions, il est possible qu'ils en aient conservé des copies et que celles-ci puissent à tout moment être divulguées. On ne saurait donc conclure, en ce qui concerne les communications ATC de Clarenville, que le public n'y a pas accès. J'estime pour cela que le public a effectivement accès aux communications ATC de Clarenville et que celles-ci correspondent donc au cas prévu à l'alinéa 19(2)b).

[51]       Si mon appréciation des communications ATC à Clarenville est juste, le BST pouvait à bon droit donner suite à la demande de divulgation des communications ATC. Il convient maintenant de se demander si le BST était tenu d'exercer cette faculté et de communiquer les renseignements demandés.


[52]       Invoquant le jugement rendu par la Cour dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre des travaux publics et des Services gouvernementaux), [1997] 1 C.F. 164, aux paragraphes 43 et 44 (Travaux publics), le commissaire soutient que, à partir du moment où il est démontré que le public a accès à certains renseignements, le BST n'a aucun pouvoir discrétionnaire de refuser la communication des renseignements en cause. Le commissaire cite plus particulièrement les propos du juge Richard (plus tard juge en chef) :

[...] La Loi vise non seulement à reconnaître l'existence d'un droit d'accès à l'information, mais énonce que « les exceptions indispensables à ce droit doivent être précises et limitées » . Dans la présente affaire, il est difficile de savoir pourquoi le Parlement, dans ces circonstances, accorderait un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de communiquer les renseignements. Effectivement, pourquoi le ministre devrait-il avoir un intérêt prépondérant à lgard de renseignements qui font partie du domaine public et dont la communication a fait l'objet d'un consentement? L'octroi du pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des renseignements auxquels le public a accès ou qui ont fait l'objet d'un consentement ne dessert aucun intérêt public. En conséquence, il n'est pas utile d'interpréter les exemptions des alinéas 19(2)a) et b) comme des exemptions discrétionnaires. La Loi sur l'accès à l'information renferme une panoplie d'exemptions. Les renseignements provenant des États étrangers, les renseignements commerciaux et les renseignements liés à la sécurité nationale ne sont que quelques exemples de renseignements faisant l'objet d'une exemption aux termes de la Loi sur l'accès à l'information et je ne vois aucune raison d'en ajouter d'autres.

À l'inverse, si le paragraphe 19(2) est de nature discrétionnaire, pourquoi le législateur aurait-il utilisé le langage superflu qui se trouve aux alinéas a) et b)? Pourquoi n'aurait-il pas dit simplement que le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de tout document lorsque la communication est conforme à l'intérêt public? Effectivement, si les alinéas 19(2)a) et b) sont de nature discrétionnaire, pourquoi les commenter? [...] Le Parlement visait certainement une fin utile lorsqu'il a inclus les alinéas 19(2)a) et b).

À mon avis, l'objet de ces deux dispositions est d'obliger : elles visent à obliger le responsable de l'institution fédérale concernée à donner communication des renseignements lorsque la partie intéressée y consent ou que lesdits renseignements font partie du domaine public.

[53]      Ces observations sont sensées, et me semble, de prime abord, s'appliquer en l'espèce. Selon le commissaire, si je m'en tiens à cet arrêt il me faudra conclure que l'alinéa 19(2)b) oblige effectivement le BST à communiquer les documents en question. Autrement dit, on demande à la Cour de donner au mot « peut » , employé à l'alinéa 19(2)b), valeur de directive.


[54]       Je ne pense pas, cependant, que ce serait un résultat qu'il convienne de retenir en l'espèce. L'enregistrement des communications ATC de Clarenville avait été remis sans que l'on cherche à savoir s'il contenait ou non des renseignements personnels et s'il convenait ou non de les communiquer. Rappelons que le BST avait conclu a posteriori qu'il s'agissait effectivement de renseignements personnels qui n'auraient pas dû être communiqués. Si la conclusion à laquelle le BST est parvenu ultérieurement est juste, les deux premières divulgations n'auraient jamais dû avoir lieu. Conviendrait-il d'obliger le BST à ajouter à son erreur initiale en divulguant à nouveau les renseignements? Je considère qu'en l'occurrence le BST pouvait exercer raisonnablement le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'emploi du mot « peut » au paragraphe 19(2) et refuser de communiquer à nouveau les enregistrements et transcriptions. Interprétant le mot « peut » employé à l'alinéa 19(2)b) comme indice d'un pouvoir discrétionnaire, je rappelle comment, au paragraphe 108 de l'arrêt Dagg, le juge La Forest s'est exprimé sur la question :

Bien entendu, le par. 19(2) de la Loi sur l'accès à l'information prévoit que le responsable d'une institution fédérale peut divulguer des renseignements personnels dans certains cas. En général, l'emploi du terme « peut » , en particulier lorsqu'il s'oppose, comme en l'espèce, à l'expression « est tenu de » , indique qu'une instance décisionnelle administrative a la faculté, et non l'obligation, d'exercer un pouvoir qu'elle tient de la loi [...]

[55]       Alors même que le refus de communiquer les renseignements en question pourrait, sur le plan pratique, n'être d'aucun effet dans l'hypothèse où les journalistes décideraient eux-mêmes de divulguer les enregistrements magnétiques et les transcriptions, je ne suis pas disposée, compte tenu des circonstances, à ordonner au BST de le faire.


[56]       Sur cette question, le commissaire a livré une autre observation. Les communications ATC concernant l'accident de Penticton semblent avoir été produites devant la Cour suprême de Colombie-Britannique dans le cadre de l'affaire Sabourin Estate v. Watterodt Estate, 2004 BCSC 243. La Cour dans cette affaire se penchait sur la question de la responsabilité découlant de l'incident. Le jugement rendu contient des extraits de la transcription des communications. J'estime, cependant, que cela ne permet pas de conclure qu'en ce qui concerne les communications ATC le public « y a accès » . Dans le cadre d'actions civiles ou pénales, les tribunaux ont presque toujours accès, de diverses manières, aux renseignements personnels pertinents. J'ajoute qu'en l'occurrence le commissaire n'a fourni à la Cour aucun détail concernant la manière dont ces éléments de preuve ont été produits devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, ni quant à la manière dont la Cour en a tenu compte. Certes, le jugement en question fait allusion aux communications ATC et en cite certains passages, mais il se peut très bien que les enregistrements audio, voire les transcriptions, fassent l'objet d'une ordonnance de confidentialité. Il serait regrettable que, s'agissant de renseignements revêtant un caractère personnel et soumis à une obligation de non-divulgation, le public y ait accès, la divulgation en étant enjointe simplement parce que les renseignements en cause ont été cités dans le cadre d'une action civile.

L'alinéa 19(2)c) de la LAI est-il applicable en l'espèce?


[57]       Vu les circonstances de la présente affaire, la seule chose permettant au BST de divulguer les communications ATC serait si cette divulgation pouvait se fonder sur l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À cet égard, le commissaire fait valoir des arguments fondés sur deux aspects de cette disposition.

1.          Les alinéas 8(2)a) et b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont-ils applicables en l'espèce?

[58]       Le commissaire soutient d'abord que les alinéas 8(2)a) et b) s'appliquent effectivement aux faits de la cause. Aux termes de ces dispositions, le responsable d'une institution peut communiquer des renseignements personnels :

a) aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

b)    aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication.


[59]       Sur ce point, le commissaire fait essentiellement valoir que dans la mesure où le BST peut communiquer les renseignements en cause dans le cadre de son enquête, ou du rapport rédigé sur un accident donné, la communication des renseignements par le BST est autorisée aussi bien par l'une que par l'autre de ces deux dispositions. Le commissaire cite une pratique antérieure du BST qui consistait à divulguer les communications ATC enregistrées dans des conditions analogues, y trouvant confirmation qu'une telle divulgation relève effectivement des deux exceptions prévues. Je ne suis pas de cet avis.

[60]       Nul ne conteste que le BST peut faire état des communications ATC dans ses rapports d'enquête. Dans ce cas-là, la divulgation est directement autorisée par alinéa 8(2)a) ou b). Le commissaire s'empresse de conclure qu'une disposition législative autorisant une institution fédérale à communiquer des renseignements dans le cadre de la mission qui lui est confiée par son texte habilitant, oblige l'institution à communiquer les renseignements en question au public en général. Une telle conclusion ne s'impose aucunement. Je dirais même que le libellé de ces deux dispositions cerne de manière très précise les limites d'une telle divulgation. L'emploi des communications ATC par le BST et, si nécessaire, leur citation dans les rapports du BST correspond aux buts ayant porté le BST à se procurer les communications au départ. De nouvelles divulgations ne répondraient aucunement à ces mêmes objectifs.


[61]       Deuxièmement, le commissaire fait valoir que, jusqu'à l'époque où les contrôleurs de la circulation aérienne et les fonctions qu'ils exercent ont été transférées à NAV Canada, le BST avait pour politique de divulguer les communications ATC. L'argument semble tenir pour acquis que les divulgations antérieures étaient conformes au but ayant à l'origine motivé leur obtention. J'estime, encore une fois, qu'il y a là un saut de logique qui ne se justifie pas. Quoi qu'il en soit, il ne ressort pas du dossier que c'est actuellement, ou que cela ait jamais été, la politique du BST de divulguer les informations obtenues de NAV Canada.

[62]      Quant à la pratique du BST, M. Kenneth Johnson, ancien directeur exécutif du BST, contre-interrogé sur son affidavit, s'est exprimé en ces termes :

[traduction] Mais, d'une manière générale, la diffusion des renseignements se limite aux personnes qui sont, de par leurs fonctions, appelées à en prendre connaissance. Même au niveau du fonctionnement du Bureau, je dois dire que dans les 20 ans que j'y ai passés, le Bureau n'a écouté les enregistrements des conversations dans les postes de pilotage que deux ou trois fois. Et il s'est produit aussi deux ou trois fois que, lors d'une réunion du Bureau, on donne lecture de la transcription d'un enregistrement des communications du contrôle de la circulation aérienne. En effet, d'une manière générale, la diffusion de ces renseignements est très restreinte et limitée à ceux qui ont besoin d'en prendre connaissance.

Avant 1984, et de 1984 à 1990, plusieurs enquêtes publiques ont été menées au Bureau de la sécurité aérienne. Je ne me souviens pas qu'à l'époque les enregistrements de communications du contrôle de la circulation aérienne aient soulevé des problèmes. C'est en fonction de considérations de sécurité que le Bureau peut décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de divulguer certains renseignements [...] En cas de besoin, il le pouvait, ou il aurait pu.

Chemin faisant, nous en étions venus à penser que les contrôleurs de la circulation aérienne étaient des fonctionnaires mais, plus tard, nous nous sommes aperçus que c'était faux. Les garanties dont ils bénéficient ne sont pas les mêmes que celles dont bénéficient les fonctionnaires, et la question s'est effectivement posée. Il nous semblait que les communications ATC pouvaient être divulguées dans le cadre d'une demande fondée sur la LAI.

Vers la fin de cette période, nous avons donc un petit peu modifié notre pratique. C'est en partie ce qui a entraîné les modifications adoptées en 1998. Lorsque les contrôleurs de la circulation aérienne sont passés à NAV Canada, les employés n'étaient plus des fonctionnaires et nous avons dû, encore une fois, changer notre mode de fonctionnement. Les communications devenaient alors des renseignements personnels qui n'avaient pas à être divulgués.

Q. 227 Selon vous, donc, avant la modification apportée en 1988, la pratique en vigueur au Bureau de la sécurité aérienne était de divulguer les communications du contrôle de la circulation aérienne?


R. Vers la fin. Vers la fin.

[63]       Si j'ai bien compris la déposition de M. Johnson, la divulgation des communications ATC était non pas la règle mais l'exception. S'il est possible qu'avant la création de NAV Canada on ait, pendant quelque temps, eu pour pratique de divulguer les communications ATC, à une époque où les contrôleurs de la circulation aérienne étaient des fonctionnaires, à l'heure actuelle, selon la politique en vigueur, les bandes et les transcriptions constituent des renseignements personnels qui n'ont pas à être divulgués.

[64]       Bref, j'estime que, compte tenu des circonstances de cette affaire, ni l'alinéa 8(2)a) ni l'alinéa b) n'autorise la divulgation des renseignements en question.

2.          Le pouvoir discrétionnaire prévu au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels a-t-il été correctement exercé?

[65]       Le commissaire fait en outre valoir que le BST n'a pas correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît l'alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Rappelons que cette disposition autorise le BST à communiquer des renseignements lorsque, à son avis, « des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée » .


[66]       Se prononçant dans le cadre de l'affaire Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147, à la page 149 (conf. [1993] A.C.F. no 475), le juge Strayer a précisé le travail auquel doit se livrer le juge dans le cadre du contrôle judiciaire exercé dans ce genre de situation.

Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d'un établissement prenne deux décisions : 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulgués; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s'il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle-ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu'elles assument, sont mieux placées pour juger la question [...]

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d'exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l'entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé. [Non souligné dans l'original.]

[67]       Je conclus en l'occurrence que c'est à juste titre que le BST a décidé que les communications ATC correspondent à la définition de documents qui n'ont pas à être divulgués. Cela règle la première question évoquée par le juge Strayer. Je passe maintenant à la deuxième décision prise par le BST qui, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, a estimé ne pas devoir divulguer les renseignements personnels en question.


[68]       Au paragraphe 110 de l'arrêt Dagg, le juge La Forest souscrit à cette approche du contrôle judiciaire de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Comme le juge La Forest le fait remarquer au paragraphe 109 de l'arrêt Dagg, « [i]l est difficile d'imaginer un texte législatif qui énonce un pouvoir discrétionnaire plus général » . Cela ne veut bien sûr pas dire que cette décision échappe à tout contrôle judiciaire. Aux termes de l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, je ne dois cependant intervenir que lorsque :

·      le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi n'a pas été exercé de bonne foi;

·      ce pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé conformément aux principes de justice naturelle;

·      on s'est fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.

[69]       Le commissaire ne prétend pas que le BST ait agi de mauvaise foi ou que le tribunal ait enfreint les principes de justice naturelle. Il semble plutôt affirmer que le BST n'a pas tenu compte des aspects suivants :


            ·      Le fait que les communications ATC ne comportent aucun « droit à la vie privée » étant donné que ces communications sont transmises par les ondes publiques, qu'elles ne contiennent aucun renseignement personnel et que les parties en cause savent que ces communications peuvent éventuellement être divulguées par le BST; et

·      Le public a manifesté un intérêt sensible pour la divulgation de ces communications, comme permettent de le constater aussi bien le dossier que les pratiques adoptées en ce domaine dans d'autres juridictions.

[70]       Afin de savoir quels sont au juste les éléments dont le BST a tenu compte, j'ai examiné les diverses lettres envoyées par le Bureau pour expliquer son refus de communiquer les renseignements en cause, ainsi que l'affidavit de M. David Kinsman, directeur exécutif du BST à qui revenait les décisions en question. M. Kinsman affirme que, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui reconnaît l'alinéa 19(2)c), il a tenu compte des facteurs suivants :

a)    le fait que la Loi sur le BST accorde aux communications ATC un [traduction] « certain degré de confidentialité » ;

b)    la pratique internationale en matière de communications ATC, aux termes des conventions internationales et de ce qui se fait dans les autres pays;

c)    la mission du BST;


d)    le fait que le BST a, dans le cadre d'une enquête, le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements lorsqu'il le juge nécessaire, et peut faire directement état du contenu même des enregistrements ou des transcriptions, résumer les communications ATC ou [traduction] « même reproduire en tout ou en partie un enregistrement des communications ATC s'il estime qu'il y a lieu de le faire » ;

e)    le fait que les communications sont effectivement transmises sur des fréquences radio publiques et qu'il est possible de les capter;

f)     l'article 9 de la Loi sur la radiocommunication, qui érige en infraction le fait d'utiliser ou de divulguer des communications ATC qui ont été interceptées; et

g)    les dispositions de la convention collective conclue entre NAV Canada et ses employés et portant sur la confidentialité de ces communications.

[71]      Compte tenu de ces divers facteurs, le BST a conclu que :

a)    en ce qui concerne la sécurité des aéronefs et des transports aériens, l'intérêt public est sauvegardé par l'enquête et le rapport rédigé par le BST conformément à la mission qui lui est confiée aux termes de la Loi sur le BST;


b)    la divulgation des communications ATC comporterait une certaine atteinte à la vie privée des individus dont la voix et les propos figurent sur les enregistrements et les transcriptions; et

c)    compte tenu des divers facteurs, en ce qui concerne la divulgation des renseignements en cause, l'intérêt public ne l'emporte pas nettement sur l'atteinte à la vie privée.

[72]       Bref, le BST a tenu compte de tout un éventail de facteurs, dont aucun ne peut être considéré comme dénué de pertinence ou étranger au but défini dans la loi. Ainsi, le BST était au courant, et a tenu compte du fait que les personnes équipées de scanners avaient accès aux renseignements en cause. Le BST était au courant des pratiques retenues en ce domaine dans d'autres juridictions, et en a tenu compte. Le BST a tenu compte du fait qu'en cas de besoin il lui était loisible de divulguer l'intégralité des communications ATC dans le cadre d'une enquête.

[73]       En fait, le commissaire me demande maintenant de jauger à nouveau les éléments de preuve sur lesquels le BST s'est fondé. Je m'y refuse. Il n'y a d'après moi pas lieu d'intervenir dans la décision par laquelle le BST a refusé d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 19(2)c) de la LAI.


Question no 3 : Le paragraphe 20(1) de la LAI interdit-il la divulgation des communications ATC?

[74]       Selon l'alinéa 20(1)b) de la LAI, une institution fédérale doit refuser de communiquer un document émanant d'un tiers si ce document contient « des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers » .

[75]       NAV Canada fait valoir que les communications ATC correspondent aux critères prévus à l'alinéa 20(1)b) de la LAI, en tant qu'information commerciale ou technique, et que ces renseignements n'ont donc pas à être divulgués. Le commissaire ne partage pas cet avis. J'ai conclu que c'est à bon droit que le BST a décidé qu'il s'agit en l'espèce de renseignements personnels et que le Bureau n'a donc commis aucune erreur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui reconnaît le paragraphe 19(2). Par conséquent, les communications ATC n'ont pas à être divulguées. J'estime qu'il n'y a donc pas lieu de nous arrêter sur la question.

Question no 4 : Les renseignements personnels contenus dans les communications ATC peuvent-ils être prélevés des autres renseignements, comme le prévoit l'article 25 de la LAI?


[76]       Le commissaire soutient que certains des renseignements pourraient être prélevés sur les communications ATC comme l'article 25 de la LAI en prévoit la possibilité. En ce qui concerne les questions précédentes, j'ai conclu que les communications ATC sont, par leur nature même, des renseignements personnels. Aucune partie de ces renseignements ne saurait donc être prélevée et il n'y a pas lieu d'examiner la question.

Question no 5: Le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication porte-t-il atteinte à l'alinéa 2b)de la Charte?

[77]       Selon le commissaire, le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication est contraire à l'alinéa 2b) de la Charte. Il a déposé auprès de la Cour et notifié à l'ensemble des parties et aux procureurs généraux des provinces et des territoires un avis de question constitutionnelle. Sur ce point, le commissaire fait essentiellement valoir que :

            ·                        L'alinéa 2b) de la Charte englobe la liberté de penser, de croyance, d'opinion et d'expression - y compris la liberté de la presse. Dans l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, au paragraphe 3, le juge Cory a rappelé qu' « il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques » .


·                        Or, la liberté d'expression comprend toute activité ou communication qui transmet ou tente de transmettre une signification et le public a le droit d'avoir accès à ces informations, de les commenter ou d'en apprécier l'exactitude.

·                        L'article 9(2) de la Loi sur la radiocommunication interdit l'emploi ou la diffusion de radiocommunications diffusées sur les fréquences publiques. De telles communications transmettent de toute évidence une signification. Ainsi, le paragraphe 9(2) porterait manifestement atteinte au droit qu'a tout individu d'informer librement les autres de ce qu'il a pu apprendre d'une source publique non interdite.

[78]       Selon une mise en garde formulée par la Cour suprême, les questions relevant de la Charte ne doivent être tranchées que lorsque c'est nécessaire, la Cour insistant en outre sur le fait que ce genre de question doit être tranché au vu de preuves solides. Voir, par exemple, Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, aux paragraphes 6 à 12, où il est rappelé que l'on ne doit pas se prononcer sur des points de droit lorsque cela n'est pas nécessaire (s'agissant particulièrement des questions d'ordre constitutionnel), et l'arrêt R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, au paragraphe 38, où la Cour rappelle l'importance d'un fondement factuel lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition législative.


[79]       J'estime que la question constitutionnelle soulevée en l'occurrence n'a pas vraiment sa place dans la présente affaire. Les demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie mettent uniquement en cause le refus par le BST de divulguer des communications ATC. Cette décision n'exigeait aucunement du BST qu'il applique la disposition en question. Le dossier ne contient rien qui me porte à penser que le paragraphe 9(2) a pu déterminer la décision du BST. Il semble même que dans les décisions en question, le paragraphe 9(2) ait joué un rôle tout à fait mineur; ce n'est qu'un des facteurs dont le BST a tenu compte pour conclure qu'il n'y avait pas lieu de divulguer les renseignements en cause.

[80]       Je constate en outre une interaction entre le paragraphe 9(2) et certaines dispositions de la Loi d'interprétation. Les communications ATC relèvent à la fois de la définition d'une radiocommunication et de la définition d'une télécommunication inscrites dans la Loi d'interprétation :


35. (1) « radiocommunication » ou « radio » Toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d'ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à

3 000 GHz transmises dans l'espace sans guide artificiel.

« télécommunication » La transmission, l'émission ou la réception de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout procédé technique semblable.

                                

35. (1) In every enactment, "radio" or "radiocommunication" means any transmission, emission or reception of signs, signals, writing, images, sounds or intelligence of any nature by means of electromagnetic waves of frequencies lower than 3 000 GHz propagated in space without artificial guide.

"telecommunications" means the emission, transmission or reception of signs, signals, writing, images, sounds or intelligence of any nature by any wire, cable, radio, optical or other electromagnetic system, or by any similar technical system;



[81]       Ce rapport n'a pas été évoqué par le commissaire. Je m'interroge sur la question de savoir si une décision relative à la constitutionnalité du paragraphe 9(2) n'aurait pas des conséquences inattendues au niveau de cette définition et de la portée du jugement rendu par la Cour.

[82]       D'ailleurs, dans les cas où les communications ATC ont été considérées comme des « renseignements personnels » uniquement destinés aux personnes ayant pris part à la communication, il semble que de telles informations correspondent également de la définition de communication privée figurant à la partie VI, article 183 du Code criminel du Canada :


« communication privée » Communication orale ou télécommunication dont l'auteur se trouve au Canada, ou destinée par celui-ci à une personne qui s'y trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elle ne soit pas interceptée par un tiers. La présente définition vise également la communication radiotéléphonique traitée électroniquement ou autrement en vue d'empêcher sa réception en clair par une personne autre que celle à laquelle son auteur la destine.

"private communication" means any oral communication, or any telecommunication, that is made by an originator who is in Canada or is intended by the originator to be received by a person who is in Canada and that is made under circumstances in which it is reasonable for the originator to expect that it will not be intercepted by any person other than the person intended by the originator to receive it, and includes any radio-based telephone communication that is treated electronically or otherwise for the purpose of preventing intelligible reception by any person other than the person intended by the originator to receive it;


[83]       La partie VI, article 183 du Code criminel comprend également la définition du mot « intercepter » , cette définition englobant le fait d'écouter simplement :



« intercepter » S'entend notamment du fait d'écouter, d'enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d'une communication ou de sa substance, son sens ou son objet.             

intercept includes listen to, record or acquire a communication or acquire the substance, meaning or purport thereof;


[84]       Et enfin, la partie VI, paragraphe 184(1) du Code criminel incrimine le fait d'intercepter une communication privée :


184(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, au moyen d'un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée.                                                                                 

s. 184(1) Every one who, by means of any electro-magnetic, acoustic, mechanical or other device, wilfully intercepts a private communication is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years.


[85]       En déclarant inconstitutionnel le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication, ne risquerais-je pas - sans le vouloir - d'affecter ces dispositions du Code criminel? Il me semble que oui. Je ne dispose pas en l'occurrence d'éléments suffisants pour me prononcer sur ces questions plus vastes. Je considère que la Cour ne pourrait porter un jugement sur la valeur constitutionnelle du paragraphe 9(2) que si elle était saisie directement de la question.

[86]       Pour ces motifs, je considère qu'il n'y a pas lieu de plaider cette question constitutionnelle dans le cadre de la présente affaire.

RÉSUMÉ

[87]      En résumé, je conclus que :


1. C'est à juste titre que le BST a décidé que les communications ATC ici en cause sont des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et qu'elles ne peuvent donc pas être divulguées en vertu du paragraphe 19(1) de la LAI.

2. Hormis les communications ATC relatives à l'accident de Clarenville, le public n'a pas accès aux communications ATC.

3. Le BST n'a commis aucune erreur en refusant de divulguer les communications de Clarenville, en vertu du pouvoir discrétionnaire reconnu au responsable d'une institution fédérale par le paragraphe 19(2) qui prévoit que ce dernier peut communiquer les documents auxquels le public a accès.

4. Le BST a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire pour décider si le sous-alinéa 8(2)m)(i) l'autorisait à divulguer les communications ATC.

5.    Compte tenu de ces conclusions, il n'y a pas lieu pour moi d'examiner les questions de savoir :

a)                si les communications ATC sont des informations commerciales ou techniques au sens de l'alinéa 20(1)b) de la LAI;


b)                si certaines des informations pourraient être prélevées des autres informations en vertu de l'article 25 de la LAI.

6.    La Cour n'ayant pas été adéquatement saisie de la question constitutionnelle, il n'y a pas lieu pour moi de me pencher sur le point de savoir si le paragraphe 9(2) de la Loi sur la radiocommunication porte atteinte aux garanties inscrites à l'alinéa 2b) de la Charte.

[88]       Des ordonnances seront rendues rejetant les demandes du commissaire dans chacun de ces dossiers.

[89]      Les parties auront jusqu'au 8 avril 2005 pour tenter de parvenir à un accord sur la question des dépens. Au cas où elles ne parviendraient pas à s'entendre, les parties pourront au plus tard à cette date présenter sur ce point des observations à la Cour, celles-ci ne devant toutefois pas dépasser trois pages. Les parties auront alors jusqu'au 15 avril 2005 pour répondre si elles le souhaitent.

« Judith A. Snider »

                                                                                                                                         Juge                          


Traduction certifiée conforme       

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                     T-465-01

T-650-02

T-888-02

T-889-02

INTITULÉ :                                       LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

c. LE DIRECTEUR ADMINISTRATIF DU BUREAU CANADIEN D'ENQUÊTE SUR LES ACCIDENTS DE TRANSPORT ET DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :               Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 18 janvier 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Snider

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 mars 2005

COMPARUTIONS :

Daniel Brunet                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Patricia Boyd

Barbara McIsaac, c.r.                                                   POUR L'INTIMÉ

Gregory Tzemenakis

Brian Crane, c.r.                                                           POUR L'INTIMÉE NOUVELLEMENT

Graham Ragan                                                               CONSTITUÉE

Christopher Rupar                                                         POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du commissaire à l'information                     POUR LE DEMANDEUR

du Canada

McCarthy Tétrault LLP                                                 POUR L'INTIMÉ

Gowling Lafleur Henderson LLP                                    POUR L'INTIMÉE NOUVELLEMENT

CONSTITUÉE

John H. Sims, c.r.                                                        

Sous-procureur général du Canada                               POUR L'INTERVENANT


Date : 20050318

Dossier : T-465-01

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                             LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE DIRECTEUR ADMINISTRATIF DU BUREAU CANADIEN

D'ENQUÊTE SUR LES ACCIDENTS DE TRANSPORT ET

DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

                                                                                                                                                  intimé

                                                                             et

NAV CANADA

intimée

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    La demande est rejetée; et


2.    Les parties auront jusqu'au 8 avril 2005 pour tenter de parvenir à un accord sur la question des dépens. Au cas où elles ne parviendraient pas à s'entendre, les parties pourront au plus tard à cette date présenter sur ce point des observations à la Cour, celles-ci ne devant toutefois pas dépasser trois pages. Les parties auront alors jusqu'au 15 avril 2005 pour répondre si elles le souhaitent.

                        « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Date : 20050318

Dossier : T-650-02

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                             LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE DIRECTEUR ADMINISTRATIF DU BUREAU CANADIEN

D'ENQUÊTE SUR LES ACCIDENTS DE TRANSPORT ET

DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

                                                                                                                                                  intimé

                                                                             et

NAV CANADA

intimée

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    La demande est rejetée; et


2.    Les parties auront jusqu'au 8 avril 2005 pour tenter de parvenir à un accord sur la question des dépens. Au cas où elles ne parviendraient pas à s'entendre, les parties pourront au plus tard à cette date présenter sur ce point des observations à la Cour, celles-ci ne devant toutefois pas dépasser trois pages. Les parties auront alors jusqu'au 15 avril 2005 pour répondre si elles le souhaitent.

« Judith A. Snider »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Date : 20050318

Dossier : T-888-02

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                             LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE DIRECTEUR ADMINISTRATIF DU BUREAU CANADIEN

D'ENQUÊTE SUR LES ACCIDENTS DE TRANSPORT ET

DE LA SÉCURITÉ DES TRANSPORTS

                                                                                                                                                  intimé

                                                                             et

NAV CANADA

intimée

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée; et


2.          Les parties auront jusqu'au 8 avril 2005 pour tenter de parvenir à un accord sur la question des dépens. Au cas où elles ne parviendraient pas à s'entendre, les parties pourront au plus tard à cette date présenter sur ce point des observations à la Cour, celles-ci ne devant toutefois pas dépasser trois pages. Les parties auront alors jusqu'au 15 avril 2005 pour répondre si elles le souhaitent.

                                                                                                   « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

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