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Date : 20050505

Dossier : T-684-04

Référence : 2005 CF 608

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :                                            

                                         UNITED PARCEL SERVICE DU CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                            JOSÉE THIBODEAU

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

et

COMMISSION CANADIENNE DES

DROITS DE LA PERSONNE

intervenante

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 à l'encontre d'une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 5 mars 2004 par laquelle elle décidait, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (Loi) de statuer sur la plainte de discrimination déposée par la défenderesse contre la demanderesse après que l'arbitre des griefs, André Rousseau, ait rejeté le grief de la défenderesse.

QUESTIONS EN LITIGE    

[2]                Les questions en litiges sont les suivantes :

1.         Est-ce que la Commission a excédé sa compétence et commise une erreur juridictionnelle en décidant de statuer sur la plainte de discrimination, lorsqu'un tribunal d'arbitrage a déjà rendu une décision portant sur le même litige?

2.         La Commission a-t-elle abusé de son pouvoir discrétionnaire en prorogeant le délai d'un an prévu par l'alinéa 41(1)e) de la Loi?

[3]                Pour les raisons suivantes, je dois répondre à ces deux questions de façon négative. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                La demanderesse est une entreprise qui offre des services de livraison et de cueillette de colis et de courrier. Elle possède plusieurs places d'affaires à travers le Canada et elle est, par conséquent, régie par le Code Canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code).


[5]                La défenderesse occupait le poste de chauffeur livreur et faisait partie de l'unité de négociation représentée par l'Union des employés de transport local et industries diverses, Teamsters Québec Local 931 (le syndicat). La demanderesse et le syndicat sont liés par une convention collective.

[6]                En 1996, la défenderesse subit des blessures en raison d'un accident de la route alors qu'elle effectue des livraisons. La Commission de la santé et de la Sécurité du travail (CSST), le Bureau de révision ainsi que la Commission des lésions professionnelles se prononcent sur la consolidation et déclarent que la défenderesse ne conserve aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle de ses lésions professionnelles (décision du Bureau de révision, 22 mai 1997; décision de la Commission des lésions professionnelles, 2 juin 1998).

[7]                Le 3 novembre 1997, la défenderesse remet à son employeur un certificat médical de son médecin traitant établissant qu'elle ne doit pas lever des poids supérieurs à 10 livres. Elle demande un emploi modifié respectant ses restrictions médicales. Constatant le refus de la demanderesse, la défenderesse signe un document intitulé « cessation d'emploi » .

[8]                Le 5 octobre 1998, la défenderesse communique avec la Commission afin d'obtenir un formulaire de plainte. Après avoir consulté un avocat, elle dépose une plainte pour discrimination le 3 février 1999 auprès de l'intervenante.


[9]                Le 25 février 2001, la demanderesse consent à ce que le Syndicat dépose un grief pour contester la terminaison de l'emploi de la défenderesse, soit la même plainte que celle déposée devant la Commission, en dépit du fait que les délais prévus à la convention collective pour le dépôt d'un grief sont expirés.

[10]            En raison de l'entente survenue entre les parties, la Commission suspend le traitement de la plainte jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par l'arbitre. Elle mentionne cependant dans sa lettre que la défenderesse pourrait demander à la Commission de traiter sa plainte si elle n'était pas satisfaite du résultat. Ce serait donc à la Commission à décider de poursuivre ou non le traitement de la plainte.

[11]            Le 10 octobre 2001, le Syndicat dépose donc le grief. Deux journées sont consacrées à l'audition. La défenderesse allègue avoir été congédiée injustement et de façon discriminatoire en raison de ses restrictions médicales. La demanderesse argumente que la défenderesse a démissionné. Après avoir analysé la preuve, l'arbitre Rousseau rejette le grief au motif que la défenderesse a librement et volontairement démissionné de son emploi.

[12]            Insatisfaite de la décision de l'arbitre, la défenderesse demande à la Commission de réactiver son dossier.


DÉCISION CONTESTÉE

[13]            Le ou vers le 5 mars 2004, la Commission rend sa décision dans laquelle elle décide de statuer sur la plainte de la défenderesse en vertu du paragraphe 41(1) et de l'alinéa 41(1)e) de la Loi considérant que l'arbitre n'a pas répondu aux allégations de discrimination.

[14]            Les dispositions législatives pertinentes se retrouvent à l'annexe 1 des présents motifs.

ANALYSE

Norme de contrôle

[15]            Lorsque la Cour fédérale se prononce sur une demande de contrôle judiciaire, elle doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable. La Cour suprême du Canada a récemment établi qu'il existait trois normes de contrôle : la norme de la décision correcte, la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). Ces trois normes de contrôle se différencient par le degré de retenue qu'exerce la Cour à l'égard des décisions qu'elle révise. Afin de déterminer la norme de contrôle appropriée, la Cour doit procéder à l'analyse pragmatique et fonctionnelle telle que prononcée dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 au paragraphe 26 :


Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels -- la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité [...].

[16]            Il ressort des décisions Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1017 (1ère inst.) (QL) et Canada (Procureur général) c. Bouvier, [1996] A.C.F. no 623 (1ère inst.) (QL), que la Cour doive utiliser la norme de la décision correcte lorsqu'une décision de la Commission porte sur sa compétence. Cependant, puisque ces deux précédents n'appliquent pas l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Davies c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 188 au paragraphe 9, mentionne qu'il revient à la Cour de recourir à cette approche afin de s'assurer de la norme de contrôle appropriée.

Au lieu d'effectuer sa propre analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge des requêtes s'est fondé uniquement sur des précédents pour décider de la norme de contrôle àappliquer. Aucun des deux précédents invoqués par le juge des requêtes pour déterminer la norme de contrôle de la décision du comité d'appel n'applique l'approche pragmatique et fonctionnelle. Par conséquent, il revient à la Cour d'appliquer l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme requise de contrôle et, au besoin, pour évaluer sur ce fondement la décision du comité d'appel.

Analyse pragmatique et fonctionnelle (question no 1)

[17]            Les deux parties ainsi que l'intervenante sont d'accord que la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission sur une question de compétence est celle de la décision correcte.

[18]            Cependant, je dois tout de même procéder à déterminer à l'aide de la méthode pragmatique est fonctionnelle si cette norme s'applique en l'espèce.

-           (1) La présence ou l'absence de clause privative

[19]            La Loi ne contient aucune clause privative ni de droit d'appel à l'égard des décisions de la Commission. L'absence d'une telle clause n'implique pas une norme élevée de contrôle (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 au paragraphe 30).

-           (2) L'objet de la Loi et de la disposition

[20]            Dans l'affaire Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. 1202 (QL), 2003 CF 946, la Cour a déclaré ce qui suit concernant l'objet de la Loi et du paragraphe 41(1) :

En l'espèce, l'objet du régime législatif instauré par la Loi est d'empêcher la discrimination et de prévoir des recours en cas de discrimination. La Loi apporte toutefois certaines réserves à ce principe par le jeu de diverses dispositions qui comportent des mécanismes d'examen préalable destinés à assujettir l'admissibilité des plaintes àcertaines conditions. Ainsi, l'alinéa 41(1)e), qui nous intéresse particulièrement en l'espèce, précise que la plainte doit être formulée dans le délai prescrit.

Je crois que le paragraphe 32 de l'arrêt Dr. Q, précité, s'applique ici, « ... une disposition ou une loi qui vise essentiellement à résoudre des différends ou à statuer sur les droits de deux parties appelle moins de déférence » .


-           (3) L'expertise du tribunal

[21]            Je partage l'avis des parties ainsi que de l'intervenante à l'effet que la Commission ne possède pas une expertise plus grande que la Cour en ce qui a trait aux questions de compétence. Tel que mentionné dans Dr.Q, précité au paragraphe 28, « [u]n plus haut degré de déférence est dû uniquement lorsque l'organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise que les Cours et que la question visée relève de cette plus grande expertise : voir Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, paragraphe 50 » , ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

-           (4) La nature de la question

[22]            La compétence de la Commission est une question de droit. Sur les questions de droit, il est de jurisprudence constante que les Cours doivent faire preuve d'un contrôle plus rigoureux.

[23]            L'analyse de ses quatre facteurs pointe vers une moins grande déférence. Par conséquent, la norme de la norme de la décision correcte sera utilisée. Il s'agit de la norme qui implique un degré moindre de retenue à l'égard de la décision du tribunal et donne lieu à un examen plus poussé.


Analyse pragmatique et fonctionnelle (question no 2)

[24]            Contrairement à la norme de contrôle appropriée pour la première question en litige, je suis d'avis que la norme de contrôle qui doit être appliquée afin de répondre à la deuxième question en litige est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Dans le jugement Sociétéde développement du Cap-Breton c. Hynes, (1999), 164 F.T.R. 32 (C.F. 1ère inst.), la Cour a déclaré que les décisions prises en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi constituaient un exercice discrétionnaire de compétence administrative. Voici en quels termes elle s'est exprimée au paragraphe 15 :

Il est établi, et les parties en conviennent, que les décisions prises par la Commission en vertu du paragraphe 41e) sont un exercice discrétionnaire de compétence administrative. On n'écarte pas facilement de telles décisions, et la Cour n'interviendra pas si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale, et si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la Loi. Ceci est vrai même alors que la Cour aurait exercé différemment ledit pouvoir discrétionnaire.

[25]            Enfin, je trouve utile de réitérer les propos de la juge Heneghan dans la décision Price c. Concord, [2003] A.C.F. no 1202 (C.F., 1ère inst.) (QL) au paragraphe 40 :

Voici par ailleurs les propos qu'a tenus la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Bell Canada, précité, au paragraphe 38, au sujet de la latitude accordée à la Commission à l'article 41 ainsi que dans d'autres dispositions de la Loi, pour lui permettre de procéder à un examen préalable des plaintes dont elle est saisie :


La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme "à son avis", "devrait", "normalement ouverts", "pourrait avantageusement être instruite", "des circonstances", "estime indiqué dans les circonstances", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité [...] [paragraphe 44(2), alinéa 44(3)a) ou alinéa 44(3)b)] comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion [...] mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

Finalement, il est de jurisprudence constante que la Commission exerce une compétence spécialisée en tant qu'arbitre des faits (voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554). Or, les décisions visées à l'alinéa 41(1)e) relèvent parfaitement de cette compétence. Voilà une autre raison de faire preuve de retenue envers la décision de la Commission.

[26]            La norme de la décision manifestement déraisonnable implique un plus haut degré de retenue (Voice Construction Ltd. c. Construction and General Workers'Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S 609).

Est-ce que la Commission a excédé sa compétence et commise une erreur juridictionnelle en décidant de statuer sur la plainte de discrimination, lorsqu'un tribunal d'arbitrage a déjà rendu une décision portant sur le même litige?

Soumissions des parties

[27]            La demanderesse allègue que le tribunal d'arbitrage avait compétence exclusive pour statuer sur la plainte de la défenderesse. Elle souligne que la défenderesse a consenti, en toute connaissance de cause, à déférer sa plainte de congédiement pour motifs discriminatoires en arbitrage et qu'une fois ce choix fait, nul autre forum que le tribunal d'arbitrage n'a compétence pour décider de la plainte. Elle affirme que la Commission ne peut s'arroger la juridiction d'un tribunal d'appel.

[28]            Elle ajoute que la décision rendue par l'arbitre est finale et lie les parties. Par conséquent, elle soumet que cette décision a l'autorité de la chose jugée. Ce principe vise à éviter la multiplicité des procès et les risques de jugements contradictoires.

[29]            À l'opposé, la défenderesse et la Commission soutiennent que le tribunal d'arbitrage et la Commission possède une compétence concurrente. La défenderesse prétend que sa plainte n'a pas les caractéristiques de la chose jugée puisque les trois conditions nécessaires à l'application de ce principe ne sont pas rencontrées. En effet, il faut (1) que ce soit la même question, (2) les même parties et (3) une décision finale.

Analyse

[30]            Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185 aux paragraphes 7 à 11 (ci-après Québec c. CDLPJ ), on a précisé qu'il n'était pas facile de déterminer si la Commission ou le tribunal d'arbitrage devait trancher un litige en matière de relation de travail lorsque la loi semble attribuer compétence aux deux. La juge en chef McLachlin reprend les propos de la Cour suprême dans Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 et confirme qu'il existe trois avenues possibles :

La première possibilité est de conclure que les deux tribunaux sont compétents. Il s'agit du modèle de la compétence "concurrente" suivant lequel tout différend en matière de relations de travail peut être porté soit devant l'arbitre en droit du travail, soit devant une cour de justice ou un tribunal administratif.


La deuxième est celle du "chevauchement" des compétences. Suivant ce modèle, la compétence des tribunaux du travail à l'égard des questions relevant traditionnellement du droit du travail n'écarte par celle de tribunaux judiciaires et des autres tribunaux administratifs quant aux questions qui, bien qu'elles se posent dans le contexte du travail, débordent le cadre traditionnel du droit du travail.

La troisième est celle de la compétence "exclusive". Suivant ce modèle, la compétence appartient soit à l'arbitre en droit du travail, soit à l'autre instance mais pas aux deux.

[31]            La juge Tremblay-Lamer dans Société Radio-Canada c. Paul, [1999], 2 C.F. 3 a conclu à une compétence concurrente :

¶ 38 Dans l'arrêt Weber, la Cour suprême du Canada a statué que l'arbitre a compétence exclusive, sous réserve du contrôle judiciaire, de régler tous les désaccords découlant d'une convention collective.

¶ 39 Toutefois, il ne s'agissait pas d'un cas dans lequel le législateur avait conféré une compétence concurrente à un autre tribunal, comme c'est ici le cas.

¶ 40 Le paragraphe 41(1) de la LCDP confère clairement à la Commission des droits de la personne la compétence voulue pour instruire toute plainte découlant d'une convention collective, à moins que celle-ci ne décide que la procédure de règlement des griefs doit être épuisée.

¶ 41 Compte tenu du libellé de la Loi, il est difficile de soutenir que le législateur avait l'intention de limiter la compétence de la Commission. Je remarque que la loi renferme un certain nombre de dispositions restreignant la compétence de la Commission et que chaque restriction a été libellée en termes exprès.

[...]

¶ 43 En l'espèce, la loi est toute à fait claire : en vertu de l'article 41 de la LCDP, la Commission décide si le plaignant doit épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs, ou si l'affaire peut avantageusement être instruite en vertu d'une autre loi fédérale.

[...]

¶ 53 Je conclus donc que la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne l'emporte sur celle de l'arbitre, en ce qui concerne les actes discriminatoires, à moins que, comme le prévoit l'article 41(1)a), il apparaisse à la Commission que la victime alléguée doive épuiser la procédure de règlement des griefs qui lui est ouverte.

[32]            Cependant, cette position amène des préoccupations qui ont été soulevées par le juge Baudouin dans la cause Québec c. CDLPJ (Cour d'appel du Québec) et que j'ai souligné dans Société Radio-Canada c. Syndicat des communications de Radio-Canada, [2002] A.C.F. no 1060 (C.F. 1ère inst.) :

¶ 44 [...]

J'ajouterai, toutefois qu'il m'apparaît pour le moins étrange que le législateur, qui a pris grand soin de créer un Tribunal indépendant et spécialisé pour les droits de la personne, n'ait pas eu l'idée de lui conférer de façon claire une compétence exclusive. Le morcellement de cette compétence, puisque dans d'autres contextes ce Tribunal conservera juridiction, ne peut que favoriser l'émergence d'une jurisprudence contradictoire avec laquelle les tribunaux supérieurs, eu égard de leur pouvoir de révision, auront à faire face et être source de futurs conflits. En outre, la compétence exclusive de l'arbitre de grief en matière de discrimination, et donc d'atteinte à la Charte, ne me paraît peut-être par la meilleure façon de préserver et de garantir la protection et le respect des droits individuels, puisqu'en matière de droit du travail les problèmes de cette nature se posent souvent dans un contexte où les droits collectifs défendus et représentés par les parties syndicales sont précisément en confit direct avec les droits individuels, ce qui, dans certaines hypothèses faciles à imaginer ne maquera pas de soulever des conflits d'allégeance.

[...]

¶ 54 Malgré tout, je ne peux m'empêcher de souligner, comme l'a fait le juge Baudouin, de trouver la situation actuelle étrange. Il me semble que pour assurer une paix industrielle durable dans le monde patronal et syndical, le législateur aurait tout intérêt à confier à un seul et même organisme la juridiction pour décider des conflits en matières d'emploi et en matière des droits de la personne.

[33]            Les propos de la juge McGillis dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (1ère inst.) au paragraphe 32 sont aussi pertinents :


[...] Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement de griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne des droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d'actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d'autoriser la Commission, aux termes des articles 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l'autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. [...]

[34]            Tout récemment, la juge Gauthier dans la cause Musée des Beaux-Arts du Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada, local 70397, [2003] C.F. 1458 (1ère inst.) déclarait ce qui suit au paragraphe 46 :

Non seulement le législateur était-il conscient de la possibilité de chevauchement mais il a choisi de donner à la Commission la discrétion de décider s'il était préférable dans un cas donné que la procédure de grief soit d'abord épuisée (voir Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999], 1 C.F. 459, par. 32). C'est donc dire qu'il entendait que la Commission puisse statuer sur une telle plainte pendant ou après l'épuisement de la procédure de grief (41(1)a)). Il indique aussi que la Commission a discrétion pour décider si une plainte pourrait être avantageusement instruite (dans un premier temps ou à toutes les étapes) en vertu d'une autre loi fédérale. (41)(1)b)). Cela sous-entend nécessairement la possibilité d'une compétence concurrente. [je souligne]

[35]            Je suis d'accord aussi avec le paragraphe 49 de cette même décision :

Même en reconnaissant le rôle important de l'arbitrage en matière de relation de travail et de l'interprétation généreuse que l'on doit donner au Code du travail, la Cour ne peut mettre de côté le choix exprimé par le législateur. Elle ne peut conclure à l'absence de juridiction de la Commission de traiter une plainte qui dénonce clairement un acte discriminatoire prévu à la Loi et ce même si l'essence d'une telle plainte porte aussi sur une question visée par la convention collective.

[36]            La juge Tremblay-Lamer dans la cause Boudreault c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1055 (1ère inst.) (QL) a décidé de la façon suivante au paragraphe 14 :

[...] Si le requérant s'est prévalu des recours internes qui lui sont ouverts, la Commission ne peut refuser d'exercer sa compétence au motif que la chose est déjà jugée.


[37]            Dans la cause qui nous occupe, à la lecture de la sentence arbitrale, il est évident que l'arbitre ne s'est pas prononcé sur la question de la discrimination alléguée par la défenderesse. Il a conclu que la plaignante n'avait pas fait la preuve que sa démission n'était pas libre et volontaire. Mais qu'en est-il du refus de l'employeur d'accorder à la défenderesse un accommodement à cause de ses restrictions médicales, si elles existaient au moment de la rencontre, qui a donné lieu à sa démission. Je conçois aisément que si une preuve de discrimination est faite, des dommages peuvent être accordés sans pour autant renverser la décision de l'arbitre sur la question de la démission. Dans le processus du traitement de la plainte, la Commission aura à considérer entre autres le certificat du médecin traitant en rapport avec les décisions de la CSST, du Bureau de révision et de la Commission des lésions professionnelles.

[38]            Ce que la demanderesse demande à la Cour actuellement est d'arrêter le processus que veut enclencher la Commission afin de traiter la plainte de la défenderesse. Il m'est impossible compte tenu des dispositions de la Loi et du contexte factuel présent de donner raison à la demanderesse.

[39]            Puisque l'arbitre n'a pas traité de la question de discrimination, la Commission avait raison de conclure qu'elle avait compétence pour statuer sur la plainte de la défenderesse.


La Commission a-t-elle abusé de son pouvoir discrétionnaire en prorogeant le délai d'un an prévu par l'article 41(e) de la Loi?

[40]            Tel qu'il a déjà été mentionné ci-dessus lors de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la Commission possède un pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 41(1)e). Dans Hynes, précité, il a été établi que la Cour n'interviendra que si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi, de façon non conforme aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale ou si la décision est fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la Loi.

[41]            En l'espèce, la demanderesse s'est présenté devant la Commission pour la première fois en octobre 1998, soit un mois avant l'expiration du délai prévu au paragraphe 41(1). La plainte a été déposée trois mois après l'expiration du délai d'un an prévu à la Loi. Après avoir considéré les cinq critères établis dans l'affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société Radio-Canada (re Vermette) (1996), 120 F.T.R. 81 (C.F. 1ère inst.), pages 99 à 101: (1) la période de temps écoulé entre l'acte prétendument discriminatoire et la date à laquelle la plainte fut déposée; (2) la période de temps écoulé entre l'acte prétendument discriminatoire et la date à laquelle la demanderesse fut informée de la plainte de la défenderesse; (3) les raisons justifiant le délai; (4) les raisons invoquées par la Commission pour statuer sur la plainte nonobstant le délai de plus d'un an; et (5) le préjudice causé à la demanderesse,

je suis d'avis que la Commission n'a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire.

[42]            Je considère aussi que la Commission avait le droit de considérer la plainte de la défenderesse même si cette dernière a demandé qu'elle soit réactivée qu'en 2003 suite à la décision rendue par le tribunal d'arbitrage. En effet, en 2001 la Commission n'avait pas refusé de traiter la plainte de la défenderesse mais avait plutôt accepté de la suspendre au profit du système d'arbitrage en espérant que les parties puissent arriver à une solution juste et équitable et de façon expéditive. En agissant de la sorte, la Commission préservait les droits de la défenderesse dans l'éventualité où l'arbitre n'aurait pas considéré la question de la discrimination, tel qu'il fût démontré ici.

[43]            Somme toute, je suis d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa discrétion en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

                « Michel Beaudry »                       

Juge


ANNEXE 1

DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

Loi canadienne sur les droits de la personne



Irrecevabilité

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts ;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Refus d'examen

(2) La Commission peut refuser d'examiner une plainte de discrimination fondée sur l'alinéa 10a) et dirigée contre un employeur si elle estime que l'objet de la plainte est traité de façon adéquate dans le plan d'équité en matière d'emploi que l'employeur prépare en conformité avec l'article 10 de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Définition de « employeur »

(3) Au présent article, « employeur » désigne toute personne ou organisation chargée de l'exécution des obligations de l'employeur prévues par la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Commission to deal with complaint

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

Commission may decline to deal with complaint

(2) The Commission may decline to deal with a complaint referred to in paragraph 10(a) in respect of an employer where it is of the opinion that the matter has been adequately dealt with in the employer's employment equity plan prepared pursuant to section 10 of the Employment Equity Act.

Meaning of "employer"

(3) In this section, "employer" means a person who or organization that discharges the obligations of an employer under the Employment Equity Act.


Code canadien du travail



Clause de règlement définitif sans arrêt de travail

57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d'une clause prévoyant le mode -- par arbitrage ou toute autre voie -- de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu'elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.

Nomination d'un arbitre

(2) En l'absence de cette clause, tout désaccord entre les parties à la convention collective est, malgré toute disposition de la convention collective, obligatoirement soumis par elles, pour règlement définitif :

a) soit à un arbitre de leur choix;

b) soit, en cas d'impossibilité d'entente sur ce choix et sur demande écrite de nomination présentée par l'une ou l'autre partie au ministre, à l'arbitre que désigne celui-ci, après enquête, s'il le juge nécessaire.

Idem

(3) Lorsque la convention prévoit, comme mécanisme de règlement, le renvoi à un conseil d'arbitrage, tout désaccord est, malgré toute disposition de la convention collective, obligatoirement soumis à un arbitre conformément aux alinéas (2)a) et b) dans les cas où l'une ou l'autre des parties omet de désigner son représentant au conseil.

Demande au ministre

(4) Lorsque la convention collective prévoit le règlement définitif des désaccords par le renvoi à un arbitre ou un conseil d'arbitrage et que les parties ne peuvent s'entendre sur le choix d'un arbitre -- ou dans le cas de leurs représentants au conseil d'arbitrage, sur le choix d'un président --, l'une ou l'autre des parties -- ou un représentant -- peut, malgré toute disposition de la convention collective, demander par écrit au ministre de nommer un arbitre ou un président, selon le cas.

Nomination par le ministre

(5) Le ministre procède à la nomination demandée aux termes du paragraphe (4), après enquête, s'il le juge nécessaire.

Présomption

(6) L'arbitre ou le président nommé ou choisi en vertu des paragraphes (2), (3) ou (5) est réputé, pour l'application de la présente partie, avoir été nommé aux termes de la convention collective.

Provision for final settlement without stoppage of work

57. (1) Every collective agreement shall contain a provision for final settlement without stoppage of work, by arbitration or otherwise, of all differences between the parties to or employees bound by the collective agreement, concerning its interpretation, application, administration or alleged contravention.

Where arbitrator to be appointed

(2) Where any difference arises between parties to a collective agreement that does not contain a provision for final settlement of the difference as required by subsection (1), the difference shall, notwithstanding any provision of the collective agreement, be submitted by the parties for final settlement

(a) to an arbitrator selected by the parties; or

(b) where the parties are unable to agree on the selection of an arbitrator and either party makes a written request to the Minister to appoint an arbitrator, to an arbitrator appointed by the Minister after such inquiry, if any, as the Minister considers necessary.

Idem

(3) Where any difference arises between parties to a collective agreement that contains a provision for final settlement of the difference by an arbitration board and either party fails to name its nominee to the board in accordance with the collective agreement, the difference shall, notwithstanding any provision in the collective agreement, be submitted by the parties for final settlement to an arbitrator in accordance with paragraphs (2)(a) and (b).

Request to Minister for appointment of arbitrator or arbitration board chairperson

(4) Where a collective agreement provides for final settlement, without stoppage of work, of differences described in subsection (1) by an arbitrator or arbitration board and the parties or their nominees are unable to agree on the selection of an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be, either party or its nominee may, notwithstanding anything in the collective agreement, make a written request to the Minister to appoint an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be.

Appointment by Minister

(5) On receipt of a written request under subsection (4), the Minister shall, after such inquiry, if any, as the Minister considers necessary, appoint an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be.

Effect of appointment by Minister

(6) Any person appointed or selected pursuant to subsection (2), (3) or (5) as an arbitrator or arbitration board chairperson shall be deemed, for all purposes of this Part, to have been appointed pursuant to the collective agreement between the parties.



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                         T-684-04

INTITULÉ :                                        UNITED PARCEL SERVICE DU CANADA c. JOSÉE THIBODEAU et COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 13 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                   le 5 mai 2005


COMPARUTIONS :

Denis Manzo                                         POUR LA DEMANDERESSE            

Gérard Dugré

Robert Péloquin                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Ikram Warsame                                     POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FRASER MILNER CASGRAIN s.r.l. POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                               

Stéphane Poulin                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

Ikram Warsame                                     POUR L'INTERVENANTE

Commission canadienne des droits

de la personne             


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