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     Date: 20000616

     Dossiers: IMM-2664-00

     IMM-2775-00

ENTRE :


JANET DELRITA CUMMINGS SIMOES

Camille Resheka Perch et Kerchelle Kelly-Ann Simoes par leur tutrice à l'instance

Janet Delrita Cummings Simoes

     demanderesses


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      La demanderesse, qui est citoyenne jamaïcaine, présente une requête en vue d'obtenir une ordonnance sursoyant à son expulsion en attendant le règlement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qu'elle a présentée ou en attendant l'examen de la demande de contrôle judiciaire qu'elle a présentée en vue d'obtenir la réparation suivante : un jugement déclaratoire1 enjoignant au défendeur de tenir compte des intérêts de ses deux enfants canadiens avant qu'il soit décidé d'exécuter la mesure de renvoi dont elle est frappée ou une ordonnance2 annulant la décision de l'agent chargé du renvoi de ne pas reporter son renvoi, en attendant l'examen de la question des intérêts de ses enfants.

[2]      La mère3, deux soeurs et plusieurs cousins de la demanderesse vivent au Canada. La demanderesse a également un fils âgé de dix-sept ans en Jamaïque, mais à part le fait qu'elle communique parfois avec lui, elle déclare, dans son affidavit, qu'elle a [TRADUCTION] « rompu tous les liens avec la Jamaïque et qu'il n'y a rien qui [l']amène à retourner dans ce pays » .

[3]      La demanderesse a été admise au Canada le 1er juillet 1990 à titre de visiteur. En 1992, elle a épousé un citoyen canadien qui a accepté de la parrainer. Toutefois, son mari4 a subséquemment retiré son parrainage et il n'a pas été donné suite à la demande que la demanderesse a présentée au Canada. À l'heure actuelle, la demanderesse est séparée de son mari. La demanderesse a ensuite revendiqué le statut de réfugié au mois de novembre 1996, mais sa revendication a été rejetée le 14 juin 1999 pour le motif que la preuve qu'elle avait soumise était incohérente, contradictoire et non crédible. En outre, la demande que la demanderesse a présentée à titre de membre de la catégorie des DNRSRC a été rejetée le 24 décembre 1999; la demanderesse a reçu cette décision le 26 janvier 2000, et on lui a alors signifié une convocation lui enjoignant de se présenter pour être renvoyée, le 23 février 2000.

[4]      La demanderesse ne s'est pas présentée à une entrevue qui devait avoir lieu le 3 février 2000, au cours de laquelle des dispositions devaient être prises aux fins du renvoi, le 23 février 2000. Un deuxième rendez-vous a été pris pour le 28 avril 2000, mais la demanderesse ne s'est pas présentée parce qu'elle était malade. Un autre rendez-vous devait avoir lieu le 1er mai 2000; la demanderesse s'est alors présentée avec son avocat (elle a depuis lors changé d'avocat), qui a demandé que l'exécution de la mesure de renvoi soit reportée à cause d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui avait récemment été présentée (le 24 avril 2000).

[5]      L'agent chargé d'exécuter la loi n'a pu constater l'existence d'aucun motif justifiant le report de l'exécution du renvoi, étant donné que la demanderesse savait depuis le 26 janvier 2000 qu'elle allait bientôt être renvoyée et qu'elle avait présenté la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire quatre mois plus tard seulement. L'agent a alors délivré une autre convocation enjoignant à la demanderesse de se présenter pour prendre l'avion à destination de la Jamaïque le 10 mai 2000. Le 10 mai 2000, la demanderesse a informé les autorités de l'Immigration qu'elle ne pouvait pas partir à cause de son état de santé. Une autre rencontre entre la demanderesse et l'agent chargé d'exécuter la loi devait avoir lieu le 23 mai 2000, date à laquelle le nouvel avocat de la demanderesse a de nouveau sollicité le report du renvoi. Les notes prises par l'agent à la suite de la rencontre du 23 mai se lisent en partie comme suit :

     [TRADUCTION]
     -L'intéressée a de nouveau été informée que la mesure de renvoi devait être exécutée.
     -L'avocat a demandé s'il était possible de reporter le renvoi à cause i) de l'état de santé de sa cliente et ii) du fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avait été soumise au mois d'avril 2000. J'ai informé l'intéressée et son avocat qu'en ce qui concerne le premier motif, si l'intéressée pouvait produire une note de son médecin attestant qu'elle n'était absolument pas en mesure de voyager à cause de son état de santé, je tiendrais compte de ce facteur en reportant le renvoi. En ce qui concerne le deuxième motif, j'ai informé l'intéressée et son avocat qu'à cause de la présentation récente de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, il ne s'agissait pas d'un facteur dont il fallait tenir compte aux fins du report du renvoi.
     -L'avocat a également demandé si l'intérêt des enfants avait été pris en considération. J'ai informé l'intéressée et son avocat qu'il en avait de fait été tenu compte. J'ai souligné que depuis l'entrevue initiale qu'elle avait eue au mois de janvier, l'intéressée avait continuellement changé d'idée au sujet de ce qu'elle voulait faire de ses enfants (à savoir, les laisser au Canada ou les amener en Jamaïque).
     [...]
     -Une rencontre a été organisée, celle-ci devant avoir lieu le lundi 29 mai 2000. [...]

[6]      Lors de cette dernière rencontre, le 29 mai 2000, l'agent a informé la demanderesse qu'il ne pouvait constater l'existence d'aucun motif suffisant justifiant le report du renvoi et il lui a signifié une convocation lui enjoignant de se présenter en vue d'être renvoyée le 31 mai 2000.
[7]      Dans la requête dont j'ai été saisi, la demanderesse sollicite le sursis à l'exécution de cette mesure de renvoi et soutient qu'il y a deux questions sérieuses connexes à trancher. En premier lieu, la demanderesse soutient que l'agent chargé d'exécuter la loi aurait dû reporter le renvoi à cause de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui était en instance et de l'intérêt de ses deux enfants canadiens. Au cours de l'audition de la requête, l'avocat de la demanderesse a soutenu que l'agent chargé de l'exécution avait commis une erreur en ne reportant pas la mesure de renvoi qui avait été prise étant donné que la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui était en instance intéressait des enfants canadiens. À cet égard, il a cité l'arrêt Baker c. Canada [1999] 2 R.C.S. 817, à l'appui du principe selon lequel il faudrait toujours tenir compte de l'intérêt des enfants.
[8]      Toutefois, l'avocat a également concédé qu'il n'incombe pas à l'agent chargé de l'exécution de tenir compte de l'intérêt des enfants5 et que le fait que l'agent a de fait tenu compte de leurs intérêts6 constitue une erreur susceptible de révision devant cette cour.
[9]      À mon avis, cet argument est incohérent, et ce, pour le motif fondamental suivant : comment peut-il y avoir une question grave en ce qui concerne l' « obligation » de l'agent chargé d'exécuter la loi de reporter l'exécution de la mesure étant donné qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire intéressant des enfants canadiens est en instance, alors que l'avocat de la demanderesse soutient en même temps que l'agent ne peut pas tenir compte des intérêts des enfants et qu'en le faisant, il a commis une erreur?
[10]      À cet égard, la présente affaire est semblable à l'affaire Marcus Fabian Emmanuel et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, dossier de la Cour IMM-2465-00, en date du 17 mai 2000, qui portait sur la suspension d'une convocation enjoignant au demandeur de se présenter en vue d'être renvoyé. Dans cette affaire-là, les demandeurs avaient soutenu qu'une question grave se posait à l'égard de l'application de l'arrêt Baker à un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi. Le juge Dawson a rejeté cet argument et a fait remarquer ce qui suit, aux paragraphes 11 et 12 :
         Pour établir l'existence d'une question grave, on doit démontrer que la question est soulevée par la demande fondamentale et qu'elle est étayée par des éléments de preuve.
         En l'espèce, la demande fondamentale cherche à obtenir une ordonnance en annulation de la convocation relative au renvoi du demandeur et non de la mesure d'expulsion. À mon avis, la convocation ne soulève pas, dans les circonstances, de question grave pour ce qui est de l'applicabilité de l'arrêt Baker.

[11]      Je souscris entièrement à l'avis exprimé par le juge Dawson. À mon avis, l'arrêt Baker n'oblige pas l'agent chargé du renvoi à effectuer un examen approfondi de l'intérêt des enfants, et notamment du fait que les enfants sont Canadiens. Cela relève clairement du mandat d'un agent qui examine les raisons d'ordre humanitaire. « Inclure » pareil mandat au stade du renvoi donnerait en fait lieu à la présentation d'une demande préalable à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas, à mon avis, ce que la loi exige. L'article 48 de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit : « Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent » . Les articles 49 et 50 traitent des cas de sursis à l'exécution prévus par la loi : par exemple, lorsque le demandeur a interjeté appel et qu'aucune décision n'a encore été rendue, ou lorsque d'autres procédures ont été engagées.

[12]      À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face7. Ainsi, en l'espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l'agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l'enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n'avait pas terminé son année scolaire8.

[13]      En ce qui concerne les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui sont en instance, à coup sûr, le fait que pareille demande ne soit toujours pas réglée n'empêche pas l'exécution d'une mesure de renvoi valide9. Comme le juge Noël l'a avec raison fait remarquer : « Décider autrement reviendrait en fait à permettre aux demandeurs de surseoir automatiquement et unilatéralement à l'exécution de mesures de renvoi valablement prises en déposant la demande appropriée et ce, selon leur volonté et à leur loisir. Cette conséquence n'est certainement pas celle visée par le législateur. » 10

[14]      En ce qui concerne les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire mettant en cause des enfants canadiens, je ne puis souscrire à l'avis exprimé par la demanderesse -- à savoir, que l'agent chargé du renvoi doit reporter le renvoi d'un parent dont les enfants sont canadiens en attendant le règlement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qu'ils ont présentée. La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire enjoignant à l'agent chargé d'exécuter la loi de tenir compte de l'intérêt de ses enfants avant d'exécuter la mesure de renvoi. Comme je l'ai mentionné, l'article 48, qui s'applique à l'agent chargé du renvoi, ne peut pas être ainsi interprété. À cet égard, la Cour d'appel fédérale a fait les remarques suivantes, dans l'arrêt Langner c. MEI, (1995) 184 N.R. 230, à la page 232 :

     Les appelants, procédant par action en jugement déclaratoire, demandent rien de moins à cette Cour, essentiellement, que de déclarer que le seul fait que des personnes, qui n'ont par ailleurs aucun droit de demeurer au Canada, aient eu un enfant au Canada, empêche le gouvernement canadien de mettre à exécution une ordonnance d'expulsion validement prononcée contre elles. Bref, il suffirait d'avoir un enfant en territoire canadien et d'invoquer les droits de citoyenneté canadienne de cet enfant, pour contourner les lois canadiennes d'immigration et obtenir indirectement ce qu'il n'était pas possible d'obtenir directement dans le respect des lois.

En outre, en ce qui concerne le fait de séparer les enfants de leurs parents, la Cour d'appel a dit ce qui suit, à la page 234 :

     De plus, un enfant n'a pas de droit constitutionnel à n'être jamais séparé de ses parents: il suffit de penser à l'emprisonnement, à l'extradition, voire au divorce, pour constater que le droit de l'enfant est d'être là où son meilleur intérêt demande qu'il soit, et ce n'est pas nécessairement dans le meilleur intérêt d'un enfant qu'il soit en compagnie de ses parents.

[15]      En effet, cela confirme que l'intérêt de l'enfant est une considération importante, mais pas une considération qui en soi et à elle seule peut empêcher l'application de la loi -- par exemple, sous la forme d'une mesure de renvoi. C'est ce que montre la Convention relative aux droits de l'enfant, R.T. Can. 1992 no 3, qui non seulement traite, au paragraphe 3(1)11, de l'intérêt des enfants, mais qui prévoit aussi la possibilité que les enfants soient séparés de leurs parents dans le contexte d'une détention, d'une expulsion, d'un emprisonnement ou d'un décès. Comme le prévoit le paragraphe 9(4) de la Convention :

     Lorsque la séparation [des enfants et de leurs parents] résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l'emprisonnement, l'exil, l'expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu'en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l'un d'eux, ou de l'enfant, l'État partie donne sur demande aux parents, à l'enfant ou, s'il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l'enfant. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d'une telle demande n'entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées.

À mon avis, il est clair que la Convention vise à protéger le bien-être de l'enfant plutôt qu'à empêcher un gouvernement d'expulser ou d'emprisonner un parent. Bref, l'existence d'un enfant ne peut pas empêcher un gouvernement d'appliquer ses lois d'une façon aussi absolue que l'affirme la demanderesse. À cet égard, j'estime donc qu'il n'y a pas de question sérieuse.

[16]      Quant à la seconde question sérieuse connexe, la demanderesse soulève le point suivant : les droits reconnus aux enfants à l'article 7 de la Charte sont-ils en cause et, dans l'affirmative, l'intérêt des enfants aurait-il dû être pris en considération avant l'exécution de la mesure de renvoi? À cet égard, la demanderesse affirme que le fait que la Cour suprême a accordé l'autorisation de pourvoi dans l'affaire Francis (tuteur à l'instance) c. MCI, (1999), 179 D.L.R. (4th) 421 (C.A. Ont.), qui portait sur l'intérêt des enfants dans le contexte d'une mesure d'expulsion, confirme qu'il existe une question sérieuse en l'espèce. Dans l'arrêt Francis, la Cour d'appel de l'Ontario avait infirmé la décision12 par laquelle le juge de première instance avait annulé une mesure d'expulsion dont la mère des demandeurs était frappée en attendant le règlement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et avait déclaré que l'intérêt des deux enfants de la demanderesse exigeait qu'ils restent au Canada avec leur mère13. La Cour d'appel avait également statué qu'il n'était pas nécessaire pour la Cour de recourir à sa compétence parens patriae pour examiner la question de l'intérêt des enfants, comme le juge de première instance l'avait fait, étant donné que dans l'arrêt Baker, il avait clairement été décidé qu'il faut tenir compte de ces intérêts dans le contexte d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire14.

[17]      La demanderesse soutient que, dans l'affaire Francis, la Cour suprême a accordé l'autorisation de façon à examiner la question de savoir si les droits reconnus aux enfants canadiens par l'article 7 de la Charte sont en cause lorsqu'une mesure d'expulsion est prise contre leurs parents non canadiens. Je ne suis pas convaincu que le fait que la Cour suprême a accueilli la demande d'autorisation de pourvoi dans l'affaire Francis laisse nécessairement entendre qu'il existe une question sérieuse corrélative similaire en l'espèce. L'examen des décisions rendues tant en première instance qu'en appel ainsi que de la décision par laquelle la Cour suprême a accordé l'autorisation montre que la Cour était saisie de plusieurs questions, comme celle de la compétence parens patriae que possède une cour de compétence générale, le droit de l'enfant d'exercer des recours constitutionnels devant une cour supérieure provinciale et la question de savoir si la Cour d'appel avait commis une erreur en adoptant l'arrêt Baker sans examiner la question des droits reconnus aux enfants par la Charte. Toutefois, étant donné que la Cour suprême n'a pas précisé les motifs pour lesquels elle accueillait la demande d'autorisation de pourvoi, je ne suis pas prêt à présumer, compte tenu de la multitude de questions dont la Cour est saisie, quelles sont les questions qui sont considérées comme ayant une importance nationale. Par conséquent, je préfère me montrer prudent et reconnaître que, compte tenu de l'appel Francis, il existe une question sérieuse.

[18]      Toutefois, même s'il existe une question sérieuse, la demanderesse n'a pas réussi à me convaincre qu'elle subira un préjudice irréparable si cette requête n'est pas accueillie. Dans son affidavit, la demanderesse déclare croire que ses enfants et elles feront face à des difficultés s'ils vont en Jamaïque : elle ne pourra pas trouver d'emploi et, si elle en trouve un, elle ne pourra pas gagner suffisamment d'argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants; si ses enfants l'accompagnent, personne ne prendra soin d'eux pendant qu'elle travaille ou pendant qu'elle cherche du travail; ses enfants pourraient être malades compte tenu des conditions de vie; ils ne bénéficieront pas de soins médicaux étant donné qu'ils n'auront pas les moyens d'avoir recours à des soins médicaux privés; sa fille de huit ans perdra son année scolaire si elle part un mois avant la fin du semestre; ses enfants ne pourront pas s'instruire d'une façon appropriée en Jamaïque; de plus, ils seront privés de l'appui émotionnel que fournissent les membres de la famille qui sont au Canada. La demanderesse déclare également qu'elle craint de retourner en Jamaïque parce qu'elle croit que l'ancien ami de sa mère qui, a-t-elle allégué devant la section du statut, l'avait agressée, vit encore en Jamaïque et peut encore lui faire du mal ainsi qu'à ses enfants15. Par contre, la demanderesse déclare que si elle n'amène pas ses enfants en Jamaïque, la séparation aura pour effet de leur causer des troubles émotionnels. À cet égard, elle soumet le rapport d'un psychologue selon lequel les enfants seraient traumatisés s'ils étaient séparés de leur mère, ou encore, s'ils devaient faire face au choc culturel découlant de leur installation en Jamaïque. Enfin, la demanderesse mentionne que sa fille cadette doit subir une opération aux amygdales et qu'elle a elle-même besoin de soins médicaux continus qu'elle n'aurait pas les moyens de se payer en Jamaïque.

[19]      Malheureusement, je ne suis pas convaincu que ces allégations suffisent pour démontrer l'existence d'un préjudice irréparable. La prétention générale de la demanderesse semble être qu'étant donné que le Canada est un « meilleur endroit » où vivre, elle subira un préjudice irréparable si elle retourne en Jamaïque. Dans son affidavit, la demanderesse déclare croire que ses perspectives d'emploi en Jamaïque sont faibles ou nulles et que, même si elle obtient un emploi, elle ne sera pas en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. À mon avis, il s'agit d'une pure conjecture. En outre, je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de comparer l'emploi et la situation financière de la demanderesse au Canada et la situation dans laquelle elle risque de se trouver en Jamaïque. Dans la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, il est fait mention que la demanderesse travaille comme opératrice de saisie de données et qu'à l'heure actuelle, elle habite avec sa soeur16, mais compte tenu du dossier mis à ma disposition, je ne sais pas si la demanderesse est autonome sur le plan financier au Canada et si elle est l'unique soutien de ses deux enfants et je ne dispose d'aucun renseignement au sujet de son revenu. En particulier, la demanderesse n'a pas donné de renseignements concrets au sujet de son mode de vie et de sa situation financière. Elle n'a pas non plus dit qui s'occupe des enfants pendant qu'elle travaille. Il est donc fort difficile, sinon impossible, d'apprécier le genre de préjudice financier irréparable auquel la demanderesse ferait face en Jamaïque.

[20]      En ce qui concerne le préjudice sur le plan de la santé, je ne dispose d'aucune preuve médicale au sujet des problèmes continus de santé17 de la demanderesse ou au sujet de l'opération que sa fille doit subir aux amygdales.

[21]      En outre, à part les simples déclarations de la demanderesse à ce sujet, rien ne montre que la fille aînée devrait reprendre son année si elle accompagnait sa mère en Jamaïque avant la fin de l'année scolaire. Il est difficile de croire que la soeur de la demanderesse, avec qui la demanderesse et ses enfants habitent à l'heure actuelle, ne puisse pas s'occuper de la fille de la demanderesse jusqu'à la fin de l'année scolaire18. En outre, selon la jurisprudence de cette cour, le fait que les études d'un enfant sont interrompues, même si cela est ennuyeux, ne constitue pas toujours un préjudice irréparable19.

[22]      Par conséquent, la demanderesse n'a pas établi, à mon avis, que ses enfants et elle subiraient un préjudice irréparable si elle était renvoyée en Jamaïque. Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée sur ce point, je n'ai pas à examiner le troisième volet du critère énoncé dans la décision Toth20, à savoir la prépondérance des inconvénients.

[23]      Pour tous les motifs susmentionnés, cette requête visant au sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est par les présentes rejetée.


                                     « Marc Nadon »

                                 ____________________________

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario),

le 16 juin 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Nos DU GREFFE :      IMM-2664-00

     IMM-2775-00

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Janet Delrita Cumming Simoes et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa et Toronto (Ontario)

     (par conférence téléphonique)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 8 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Nadon en date du 16 juin 2000


ONT COMPARU :

Lorne Waldman              pour les demanderesses

Diane Dagenais              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés              pour les demanderesses

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Cette instance a été engagée sous le numéro de dossier IMM-2775-00.

2      Cette instance a été engagée sous le numéro de dossier IMM-2664-00.

3      Même si le dossier ne le montre pas clairement, il semble que la demanderesse habite avec l'une de ses soeurs ainsi qu'avec sa mère, qui est citoyenne jamaïcaine, mais qui est au Canada à titre de visiteur.

4      Au cours de l'audience, j'ai été informé que le mari de la demanderesse n'était pas le père des enfants. Le dossier de la requête de la demanderesse ne renferme aucun renseignement au sujet de l'identité du père ou de ses allées et venues.

5      Cela relève clairement du mandat de l'agent qui examine la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de la demanderesse.

6      L'avocat cite le passage suivant des notes de l'agent en date du 23 mai 2000 : [TRADUCTION] « L'avocat a également demandé si l'intérêt des enfants avait été pris en considération. J'ai informé l'intéressée et son avocat qu'il en avait de fait été tenu compte. »

7      Voir Paterson c. MCI , [2000] A.C.F. no 139 (1re inst.); Jmakina c. MCI, [1999] A.C.F. no 1680; Poyanipur c. MCI, 116 F.T.R. 4.

8      J'examinerai la question de l'interruption des études dans la section portant sur le préjudice irréparable, mais pour le moment, je tiens simplement à faire remarquer qu'il s'agit d'une considération relevant du pouvoir discrétionnaire de l'agent.

9      Umukoro c. MCI, [1999] A.C.F. 436.

10      Francis c. MCI, IMM-156-97 (14 janvier 1997).

11      « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »

12      (1988), 40 O.R. (3d) 74.

13      La Cour d'appel a infirmé en entier la décision du juge McNeely, mais elle a suspendu l'ordonnance pour une période de quatre mois afin de permettre à la mère des demandeurs de rester au Canada en attendant qu'une autre demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire soit présentée.

14      La décision Baker n'avait pas encore été rendue lorsque le juge de première instance a été saisi de l'affaire.

15      La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication de la demanderesse pour le motif que son histoire n'était [TRADUCTION] « ni crédible ni digne de foi » . La Commission a également considéré d'une façon défavorable le fait que la demanderesse avait revendiqué le statut de réfugié six ans seulement après être arrivée au Canada. Étant donné que la décision de la Commission est maintenant chose jugée, je ne tiens pas compte des déclarations de la demanderesse sur ce point.

16      Je crois que la mère de la demanderesse, qui est au Canada à titre de visiteur, habite également avec la demanderesse et sa soeur.

17      La demanderesse a soumis une lettre en date du 9 mai 2000 aux autorités de l'Immigration pour leur demander de reporter l'expulsion qui devait avoir lieu le lendemain parce que, pour des raisons médicales, elle ne pouvait pas voyager; une note rédigée par un médecin et un rapport de laboratoire étaient également joints à la lettre. Dans sa lettre, la demanderesse sollicitait une prorogation d'une semaine, qui n'a pas été accordée. Aucune preuve médicale subséquente n'a été soumise.

18      De toute façon, l'argument de la demanderesse selon laquelle le fait que les études de sa fille seraient interrompues causerait un préjudice irréparable est maintenant une question théorique, puisque l'année scolaire sera terminée lorsque cette décision sera rendue.

19      Strachan c. MCI, [1998] A.C.F. 1715, John c. MCI, [1999] A.C.F. 915.

20      Toth c. MEI, (1988), 86 N.R. 302.

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