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Date : 20060124

Dossier : T-428-04

Référence : 2006 CF 69

Toronto (Ontario), le 24 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM,

DIVISION DE RATIOPHARM INC.

défendeurs

MOTIFS DES ORDONNANCES ET ORDONNANCES

[1]                Dans la présente demande fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les AC), Ratiopharm soutient que le brevet d'Abbott à l'égard d'une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine, soit le brevet canadien no 2,393,614 (le brevet 614), constitue une tentative visant à renouveler à perpétuité, ou à prolonger indûment, son brevet expiré se rapportant à l'ancienne formulation non abrégée de clarithromycine qu'Abbott commercialise sous le nom de BIAXIN.

[2]                Pendant l'audition de la demande, M. Bloom, l'avocat de Ratiopharm, a décrit le brevet en litige, à la suggestion de son collègue, M. Aitken, comme s'il s'agissait d'un [Traduction] « brevet portant sur un conifère » en raison du renouvellement à perpétuité qui le caractérise. L'argument sérieux que M. Bloom a invoqué est fondé sur la remarque suivante que le juge Binnie a faite au nom de la Cour suprême du Canada :

Il est reconnu que le marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet). Un breveté qui peut « renouveler à perpétuité » une seule invention, grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs, prolonge son monopole au-delà de ce qui a été convenu par le public.

(Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37, [Whirlpool])

En conséquence, Ratiopharm soutient que la formulation abrégée d'Abbott est invalide pour cause d'évidence, c'est-à-dire qu'une personne compétente dans le domaine de la formulation de compositions ne serait pas tenue de faire preuve de génie inventif pour en arriver à la tentative de renouvellement à perpétuité d'Abbott.

[3]                En réponse, l'avocat d'Abbott, M. Mason, aidé de M. Klee, nie vigoureusement qu'il y ait renouvellement à perpétuité en l'espèce et ajoute que la formulation brevetée en question est inventive parce qu'elle est simplifiée et que sa production est donc moins onéreuse que celle de la formulation du BIAXIN.

[4]                Dans son avis d'allégation, Ratiopharm fait également valoir que sa formulation relative à la clarithromycine ne contrefait pas le brevet se rapportant à la formulation abrégée d'Abbott. Il est convenu de part et d'autre que la question de savoir s'il y a contrefaçon du brevet relatif à la formulation abrégée dépend de l'interprétation de la revendication 1 du brevet 614, c'est-à-dire que si Abbott interprète correctement cette revendication, la formulation de Ratiopharm constitue une contrefaçon.

[5]                Par conséquent, trois questions de fond doivent être tranchées au sujet du brevet 614 : la validité, l'interprétation et la contrefaçon. Étant donné que la conclusion concernant la validité dépend de celle qui porte sur l'interprétation, les questions seront tranchées dans l'ordre suivant dans les présents motifs : l'interprétation, la contrefaçon et la validité. Il convient cependant d'examiner une question préliminaire avant de trancher les questions de fond.

I.           Le brevet 614 est-il admissible à l'inscription au registre des brevets?

[6]                Comme question préliminaire, Ratiopharm soutient essentiellement qu'Abbott n'a pas le pouvoir de présenter la demande visée en l'espèce. Cette question a été soulevée à la dernière minute, avant l'audition de la présente demande, lorsque Ratiopharm a déposé une requête en radiation en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande conformément à l'alinéa 6(5)a) du Règlement sur les AC pour le motif que le brevet 614 n'est pas admissible à l'inscription au registre des brevets (dossier no T-428-04, document 57). La requête en radiation a été débattue à titre de question préliminaire à l'audition de la présente demande.

[7]                La requête elle-même est fondée sur les motifs suivants :

1.             Le 27 octobre 2003, Abbott Laboratories. Limited a soumis au ministre une liste de brevets (formulaire IV) relativement au médicament BIAXIN présenté sous forme de comprimé pelliculé et contenant 500 mg de clarithromycine. Le formulaire IV citait le brevet canadien no 2,393,614 (le brevet 614) et indiquait que la liste de brevets était déposée en rapport avec le supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) 079097. Le brevet 614 a été ajouté au registre des brevets le 28 octobre 2003.

2.             Par voie d'une lettre datée du 9 janvier 2004, Ratiopharm a signifié à Abbott Laboratories Limited un énoncé détaillé et un avis d'allégation conformément à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement sur les AC).

3.             En réponse à l'avis d'allégation, le 27 février 2004, Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (ci-après appelées ensemble Abbott) ont engagé la demande n ° T-428-04 (la présente instance) devant la Cour fédérale conformément au Règlement sur les AC. Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Ratiopharm un avis de conformité à l'égard du médicament clarithromycine (ratio-clarithromycine) avant l'expiration du brevet 614.

4.             Les paragraphes 4(1), 4(3) et 4(4) du Règlement sur les AC sont ainsi libellés :

4(1)        La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7).

(3) Sous réserve du paragraphe (4), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d'avis de conformité.

(4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2).

5.             Dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2005), 39 C.P.R. (4th) 449 (C.S.C.), [2005] 1 R.C.S. 533 (l'arrêt Biolyse), daté du 19 mai 2005, la Cour suprême du Canada a statué que le mot « demande » au paragraphe 4(1) du Règlement sur les AC ne comprend pas un supplément à une PDN. Comme l'a dit la Cour au paragraphe 58 :

La Cour fédérale a statué de façon constante que le mot « demande » au par. 4(1) ne s'entend pas de toutes les demandes. Il n'inclut pas un supplément à une PDN. [souligné dans l'original]

6.             Compte tenu de l'arrêt Biolyse, le SPDN 079097 n'est pas une « demande » visée au paragraphe 4 du Règlement sur les AC.

Le brevet 614 n'est pas admissible à l'inscription au registre des brevets

7.             Étant donné que le SPDN 079097 n'est pas une « demande » au sens de l'article 4 du Règlement sur les AC, il ne pourrait constituer le fondement de l'inscription du brevet 614 au registre des brevets. En conséquence, le brevet 614 ne peut pas être inscrit au registre en question.

La demande devrait être rejetée conformément au paragraphe 6(5) du Règlement sur les AC

8.             Le paragraphe 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est ainsi libellé :

6(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

a)       il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l'inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d'avis de conformité;

b) il conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

9.             Étant donné que le brevet 614 n'est pas admissible à l'inscription au registre des brevets, la présente demande est frivole et vexatoire ou constitue un abus de procédure. En conséquence, la demande devrait être rejetée conformément aux alinéas 6(5)a) et 6(5)b) du Règlement sur les AC.

(Requête en radiation de Ratiopharm)

[8]                Au soutien de la requête, Ratiopharm invoque les faits suivants qui sont énoncés dans ses observations écrites et qui ne sont pas contestés :

[Traduction]

9.             Le brevet 614 n'avait pas été délivré au moment où Abbott a déposé la PDN 6HN896510. En conséquence, le brevet n'était pas admissible à l'inscription au registre des brevets sur le fondement de la PDN 6HN896510, conformément au paragraphe 4(3) du Règlement sur les AC. Étant donné que la date de dépôt de la demande relative au brevet 614 n'était pas antérieure à celle de la PDN 6HN896510, le brevet n'était pas admissible à l'inscription au registre des brevets sur le fondement de la PDN 6HN896510, conformément au paragraphe 4(4) du Règlement sur les AC.

10.           Abbott a plutôt utilisé son SPDN 079097 pour inscrire le brevet 614 au registre des brevets conformément au paragraphe 4(4) du Règlement sur les AC. La date de dépôt du brevet 614, soit le 19 juillet 2002, était antérieure à celle du SPDN 079097 (22 juillet 2002) et le formulaire IV a été soumis dans les 30 jours de la date de délivrance du brevet 614 (30 juillet 2003), conformément aux exigences du paragraphe 4(4) du Règlement sur les AC. Il ressort clairement du formulaire IV que le brevet 614 était inscrit au registre des brevets sur le fondement du SPDN 079097.

(Requête en radiation : observations écrites de Ratiopharm)

[9]                En se fondant sur les faits, Ratiopharm soutient qu'Abbott n'a pas respecté l'interprétation stricte qu'exige le Règlement sur les AC.

[Traduction]

17.           Le caractère impératif des exigences relatives aux délais de l'article 4 ressort également du paragraphe 4(6), dont le texte est le suivant :

4(6) La personne qui soumet une liste de brevets doit la tenir à jour mais ne peut ajouter de brevets à une liste que si elle le fait en conformité avec le paragraphe (4).

18.           La tactique qu'Abbott a employée pour inscrire le brevet 614 au registre des brevets va à l'encontre des exigences énoncées au Règlement sur les AC en ce qui concerne les délais. Le paragraphe 4(3) du Règlement sur les AC prévoit que la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d'avis de conformité. Le paragraphe 4(4) prévoit une exception lorsque le brevet est déposé avant la demande d'avis de conformité, mais est délivré après ladite demande. En pareil cas, le brevet peut être ajouté au registre des brevets dans les 30 jours suivant la date de sa délivrance. Dans un cas comme dans l'autre, il appert clairement du texte de l'article 4 du Règlement sur les AC que l'intention est de restreindre les brevets admissibles à l'inscription au registre des brevets à ceux qui ont été déposés avant la présentation de drogue nouvelle originale au moyen de laquelle le breveté a demandé pour la première fois aux autorités de réglementation l'autorisation de vendre la drogue au Canada.

19.           Étant donné que la date du dépôt du brevet 614 n'est pas antérieure à celle de la PDN n ° 6HN896510 d'Abbott (la présentation de drogue nouvelle originale), il ne s'agit pas d'une présentation de drogue nouvelle qui pouvait constituer le fondement de l'inscription du brevet 614 au registre des brevets.

20.           Compte tenu de l'arrêt Biolyse, le SPDN 079097 n'est pas une demande au sens de l'article 4 du Règlement sur les AC et ne pouvait constituer le fondement de l'inscription du brevet 614 au registre des brevets.

21.           Abbott tente de façon irrégulière de se prévaloir du SPDN 079097, qui a été déposé ultérieurement, comme fondement de l'inscription tardive du brevet 614 au registre des brevets.

(Requête en radiation : observations écrites de Ratiopharm)

[10]            L'argument de Ratiopharm au sujet de la remarque que le juge Binnie a faite dans l'arrêt Biolyse représente manifestement un effort visant à modifier les règles en vigueur en vertu du Règlement sur les AC en ce qui concerne l'inscription des brevets. L'argument repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle la remarque est incidente et constitue, à ce titre, une opinion mûrement réfléchie qu'il est nécessaire de suivre puisqu'elle représente de nouvelles règles de droit applicables à l'inscription des brevets au registre des brevets en vertu du Règlement sur les AC.

[11]            Pour les motifs exposés ci-après, je suis d'avis que l'argument de Ratiopharm ne peut être retenu parce que la prémisse fondamentale qui en constitue le fondement n'existe pas, la remarque n'étant pas une remarque incidente. Cette conclusion découle d'une analyse du contexte juridique dans lequel le juge Binnie a formulé sa remarque, de la façon dont la Cour d'appel fédérale a interprété l'article 4 du Règlement sur les AC avant l'arrêt Biolyse et d'une lecture de la remarque du juge Binnie dans le contexte complet de la décision qu'il a rendue.

A. Le contexte juridique

                        1. Les règles de droit actuelles concernant l'admissibilité

[12]            Les règles de droit actuelles que la Cour d'appel fédérale a élaborées au sujet de l'admissibilité d'un brevet à l'inscription au registre des brevets sont énoncées succinctement dans l'extrait suivant des observations écrites d'Abbott, modifiées par souci du respect des citations, en réponse à la requête en radiation :

[Traduction]

12.           Les circonstances dans lesquelles un brevet peut être ajouté ou « inscrit » au registre des brevets conformément à l'article 4 du Règlement sur les AC et la question précise de savoir si un SPDN peut être invoqué à cette fin font l'objet d'un ensemble de décisions raisonnées dans lesquelles il a été conclu de façon constante qu'un SPDN peut constituer le fondement de l'inscription d'un brevet au registre des brevets :

a)             Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.)

                - La juge McGillis a examiné la question pour la première fois, a fait une interprétation téléologique complexe et fouillée du Règlement sur les AC en tenant compte du contexte et a conclu qu'un SPDN est une « demande » au sens où ce mot est utilisé à l'article 4 (la règle de la décision Apotex).

b)            Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 11 C.P.R. (4th) 538 [(C.A.F.)]

                - La Cour d'appel a rejeté l'appel de la décision de la juge McGillis et a confirmé explicitement qu'une « demande » au sens de l'article 4 comprend un SPDN.

c)             Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2001), 10 C.P.R. (4th) 318 (C.F. 1re inst.)

- Après avoir omis par erreur d'ajouter un brevet au registre dans les délais prescrits, BMS a tenté d'invoquer la règle de la décision Apotex pour ajouter le brevet à l'aide d'un SPDN qui prévoyait un changement mineur du nom de la drogue en question (remplacement de Serzone par Sezone-5HT2). Saisi de ces faits, le juge Campbell a fait une interprétation téléologique de l'article 4 du Règlement sur les AC et a décidé qu'il n'était pas permis d'invoquer un SPDN pour ajouter un brevet au registre de façon à contourner les exigences relatives aux délais prévus à l'article 4. La portée de cette exception à la règle de la décision Apotex (l'exception de la décision BMS) devait subséquemment faire l'objet de nombreux litiges.

d)            Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2002), 16 C.P.R. (4th) 425 [(C.A.F.)]

                - En appel, le juge en chef a rédigé le jugement au nom de la Cour d'appel et a confirmé l'existence de l'exception de la décision BMS créée par le juge Campbell pour des motifs téléologiques. La Cour d'appel a également confirmé que la règle de la décision Apotex demeurait la règle de droit, du moins en ce qui concerne certains SPDN (à l'égard d'une nouvelle utilisation ou indication).

e)             Ferring Inc. c. Canada (Procureur général) (2003), 26 C.P.R. (4th) 155 [(C.A.F.)]

                - La Cour fédérale a réaffirmé de façon claire et explicite la règle de la décision Apotex et a statué qu'un SPDN est une « demande » au sens de l'article 4; cependant, la Cour d'appel a infirmé la décision du juge de première instance et a appliqué l'exception de la décision BMS parce que le SPDN en question a été déposé dans le cadre d'une « stratégie conçue pour contourner le délai » prescrit à l'article 4 (ici encore, un simple changement de nom) et ne pouvait donc constituer le fondement de l'inscription d'un brevet au registre.

f)             GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc. (2003), 29 C.P.R. (4th) 350 (C.F. 1re inst.)

                - Invoquant la règle de la décision Apotex, le juge Russell a statué qu'une « demande » au sens de l'article 4 du Règlement sur les AC comprenait un SPDN.

g)            Toba Pharma Inc. c. Canada (Procureur général) (2002), 21 C.P.R. (4th) 232 (C.F. 1re inst.)

                - Invoquant et appliquant l'exception de la décision BMS, le juge Blais a confirmé la décision du ministre de ne pas inscrire un brevet, étant donné que les délais stricts de l'article 4 n'avaient pas été respectés (ici encore, il s'agissait d'un simple changement de nom).

h)            Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 31 C.P.R. (4th) 321, au paragraphe 13 (C.A.F.), infirmant 2004 CF 465 (1re inst.)

                - En appel, le juge en chef, qui a rédigé le jugement de la Cour d'appel, a infirmé la décision du juge de première instance et a statué que le SPDN en cause pouvait être invoqué à bon escient comme fondement de l'inscription d'un brevet au registre des brevets. La Cour d'appel a examiné à la fois la règle de la décision Apotex (selon laquelle une « demande » comprend un SPDN) et l'exception de la décision BMS (selon laquelle certains SPDN ne sont pas des « demandes » ). Étant donné que le SPDN 055754 concernait une nouvelle indication, l'exception de la décision BMS ne s'appliquait pas et le brevet était admissible.

i)              AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2005), 40 C.P.R. (4th) 353, au paragraphe 50 [(C.A.F.)], infirmant (2004), 36 C.P.R. (4th) 58 [(C.F. 1re inst.)] (AstraZeneca)

                - Infirmant la décision du juge de première instance, la Cour d'appel a annulé un avis de conformité délivré à Apotex pour le motif que celle-ci aurait dû tenir compte de deux brevets inscrits sur le fondement de SPDN. La Cour d'appel a réaffirmé explicitement la règle de la décision Apotex (en citant de longs extraits de l'analyse de la juge McGillis) et a décidé que l'exception de la décision BMS ne s'appliquait pas parce que la demande n'était pas « administrative » . Il convient de souligner que les SPDN examinés par la Cour d'appel dans l'arrêt AstraZeneca concernaient une nouvelle utilisation (tout comme le SPDN 055745 dans la présente affaire) et une nouvelle formulation (tout comme le SPDN 079097 dans la présente affaire). Ces demandes ne sont pas visées par l'exception de la décision BMS.

j)              Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé) (2005), 40 C.P.R. (4th) 108, aux paragraphes 13 à 17 [(C.A.F.)], confirmant (2004), 38 C.P.R. (4th) 47 [(C.F. 1re inst.)]

                - Hoffman-La Roche n'a pas réussi à faire inscrire un brevet au registre des brevets à l'égard de l'Herceptin, étant donné que le SPDN était un supplément administratif et visait à ajouter une nouvelle usine de fabrication. À peine deux mois avant que la Cour suprême fasse connaître sa décision dans l'arrêt Biolyse, la Cour d'appel a réitéré explicitement la règle de la décision Apotex, mais a conclu que l'exception de la décision BMS s'appliquait dans cette affaire en raison de la nature du SPDN.

2. La question en litige dans l'arrêt Biolyse

[13]            Abbott soutient que l'arrêt Biolyse n'a rien à voir avec l'admissibilité d'un brevet à l'inscription au registre; la question à trancher dans cet arrêt concernait l'interprétation correcte du paragraphe 5(1.1) du Règlement sur les AC. Au soutien de cet argument, Abbott fournit le précis suivant au sujet du fond de l'affaire :

[Traduction]

20.           Au début de sa décision, le juge Binnie a mentionné que les faits de l'arrêt Biolyse sont importants. Dans cette affaire, un innovateur (BMS) avait obtenu un avis de conformité à l'égard d'une drogue contenant le médicament paclitaxel. BMS n'a pas inventé le paclitaxel et n'avait aucun droit de brevet sur ce composé; cependant, elle était titulaire de brevets inscrits au registre des brevets à l'égard de son produit paclitaxel.

                Référence :           Biolyse, au paragraphe 34.

21.           Biolyse voulait obtenir un avis de conformité à l'égard d'un produit contenant du paclitaxel. Comme l'a souligné le juge Binnie, le produit de Biolyse n'était pas une copie ou un produit générique susceptible d'être comparé au produit de BMS pour l'obtention d'un avis de conformité. Biolyse a plutôt mené ses propres études cliniques auprès de malades pour démontrer l'innocuité et l'efficacité de son produit paclitaxel. En fait, le ministre avait demandé à Biolyse de mener ces études et de déposer une présentation de drogue nouvelle indépendante (PDN) plutôt qu'une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) au moyen d'une comparaison avec le produit paclitaxel de BMS.

                Référence :           Biolyse, au paragraphe 31.

22.           Après avoir examiné la PDN, le ministre a délivré à Biolyse un avis de conformité indépendant l'autorisant à vendre son produit paclitaxel au Canada. Malgré le fait que BMS n'avait aucun brevet sur le paclitaxel lui-même et qu'elle n'avait même pas comparé son produit à celui de BMS à titre de copie générique, BMS a fait valoir que Biolyse aurait dû signifier un avis d'allégation conformément au Règlement sur les AC.

                Référence :           Biolyse, aux paragraphes 32 et 34.

23.           La position de BMS à cet égard reposait sur une interprétation littérale de l'article 5 du Règlement sur les AC, qui aurait exigé la remise de cet avis d'allégation par Biolyse. Cependant, la Cour suprême du Canada a statué qu'une interprétation téléologique du Règlement sur les AC menait impérativement à la conclusion contraire et elle a conclu que Biolyse n'était pas tenue de remettre un avis d'allégation à BMS.

                Référence :            Biolyse, au paragraphe 69.

(Requête en radiation : observations écrites d'Abbott)

3. Les phrases de l'arrêt Biolyse invoquées par Ratiopharm

[14]            Il est admis que Ratiopharm soutient essentiellement que les deux phrases précitées du jugement du juge Binnie ont pour effet de modifier les règles de droit énoncées par la Cour d'appel, de sorte qu'un SPDN ne peut en aucun cas donner lieu à l'enregistrement d'un brevet. Ratiopharm fonde en effet sa requête en radiation sur ces deux phrases tirées du paragraphe 58 de la décision du juge Binnie dans l'arrêt Biolyse, lequel ne représente en soi qu'un seul paragraphe des cinq paragraphes suivants de l'arrêt :

D. L'économie du Règlement ADC

57 Le mot « demande » figure à divers endroits dans le Règlement ADC. En particulier, le libellé du par. 4(1) fournit un modèle dont est inspiré le par. 5(1.1). Les termes pertinents du par. 4(1) sont les suivants :

4.(1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis ...

58 Le paragraphe 4(2) autorise la personne qui dépose la « demande » à déposer en même temps une liste de brevets « qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament » . (Une procédure prévoit l'ajout des brevets obtenus postérieurement, mais par ailleurs, le délai s'applique.) La liste de brevets devient le champ de mines que le fabricant de « copies » génériques doit traverser pour obtenir un ADC. La Cour fédérale a statué de façon constante que le mot « demande » au par. 4(1) ne s'entend pas de toutes les demandes. Il n'inclut pas un supplément à une PDN. (Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 51 (QL) (1re inst.), par. 13, 19 et 21, conf. par [2002] A.C.F. no 96 (QL), 2002 CAF 32; Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 982 (QL), 2003 CAF 274, par. 18; Toba Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1208 (QL), 2002 CFPI 927, par. 34; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2004] A.C.F. no 883 (QL), 2004 CF 736, par. 39-40.)

59 Dans ces affaires, après avoir appliqué une interprétation téléologique, la Cour fédérale a conclu qu'une interprétation du mot « demande » au par. 4(1) qui inclurait toutes les PDN permettrait à des sociétés innovatrices de passer outre aux délais applicables aux listes de brevets par le simple expédient qu'est la présentation d'un supplément à une PDN en vue d'apporter des modifications relatives à la société ou des modifications techniques à leur présentation (Bristol-Myers, par. 19). Pareil résultat serait contraire à l'économie générale du Règlement ADC. À mon avis, cette approche téléologique est la bonne.

60 Les termes correspondants au par. 5(1.1) sont les suivants :

5(1.1) ... la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ...

61 Le libellé du par. 5(1.1) reproduit fidèlement celui du par. 4(1). Il s'agit d'une disposition réciproque dans le sens où le par. 4(1) crée la liste de brevets que doit contourner la personne soumise au par. 5(1.1). Le paragraphe 5(1.1) devrait donc recevoir une interprétation téléologique semblable. L'interprétation du mot « demande » devrait également permettre d'atteindre les objectifs visés par le par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets.

4. L'objet des phrases

[15]            Ratiopharm soutient que, dans les deux phrases précitées, le juge Binnie a formulé une remarque incidente qui, étant donné qu'elle figure dans un arrêt de la Cour suprême du Canada, constitue un avis mûrement réfléchi qui lie les parties en ce qui concerne la présente demande. Pour être considérée comme une remarque incidente, une remarque figurant dans un jugement doit respecter certains critères.

[16]            Dans Celliers du Monde Inc. c. Dumont Vins & Spiritueux Inc., [1992] 2 C.F. 634 (C.A.F.), au paragraphe 12, le juge Décary donne un sens concis des expressions juridiques fondamentales obiter dictum (le singulier de dicta) et ratio decidendi. Le mot latin « obiter » signifie « incidemment, par occasion » et le mot « dictum » , « ce qui est dit » . En conséquence, l'obiter dictum s'entend de « l'opinion qu'émet un juge, sans que cette opinion soit nécessaire pour appuyer la décision qu'il rend » et est opposé à la « ratio decidendi » , laquelle s'entend de « la raison (ou les raisons) de la décision » ; par conséquent, « le motif essentiel d'un jugement ou d'un arrêt, le fondement de la décision, est une ratio decidendi; la proposition qui n'est pas essentielle au dispositif d'un jugement est plutôt un obiter dictum » (source : A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, Cowansville, Yvon Blais, 1985, aux pages 193 et 239).

[17]            Ainsi, pour qu'une remarque soit « obiter dicta » au sens où cette expression est employée dans les arguments invoqués en l'espèce, elle doit exprimer une opinion ou une proposition. À mon avis, les phrases du juge Binnie ne respectent pas ce critère et sont purement descriptives.

[18]            Selon M. Reddon, l'avocat d'Abbott, une lecture des phrases dans le contexte de l'ensemble de la décision montre que le juge Binnie ne voulait pas modifier ou infirmer les décisions de la Cour d'appel fédérale au sujet de l'admissibilité d'un brevet à l'inscription, mais utiliser l'interprétation téléologique que la Cour a faite du mot « demande » de l'article 4 du Règlement sur les AC pour étayer sa conclusion quant à la nécessité d'employer une méthode d'interprétation similaire au sujet du mot « demande » du paragraphe 5(1.1). Je souscris à cet argument; un examen sommaire de la décision appuie cette conclusion.

[19]            Au paragraphe 36 de l'arrêt Biolyse, le juge Binnie précise que la question de droit à trancher concerne l'interprétation à donner au mot « demande » du paragraphe 5(1.1) et, pour en arriver à une conclusion, il applique les cinq facteurs factuels suivants, qu'il décrit aux paragraphes 39 à 64 de sa décision :

A. Le sens ordinaire et grammatical des mots

B. Le contexte général

C. Le pouvoir de réglementation prévu à la Loi sur les brevets

D.L'économie du Règlement ADC [ou Règlement sur les AC]

E. Le mal auquel le paragraphe 5(1.1) doit remédier

[Non souligné dans l'original.]

[20]            Le quatrième facteur correspond à l'extrait complet duquel sont tirées les deux phrases invoquées par Ratiopharm. Dans la requête en radiation, Ratiopharm allègue que, dans les phrases en question, le juge Binnie [Traduction] « a statué » que le mot « demande » du paragraphe 4(1) du Règlement sur les AC ne comprend pas un SPDN (paragraphe 5) et elle réitère cette affirmation dans les arguments invoqués au soutien de la requête en disant que le juge Binnie [Traduction] « a conclu » qu'un brevet ne peut pas être inscrit au registre des brevets conformément à un SPDN (au paragraphe 11). En conséquence, Ratiopharm fait valoir que le juge Binnie a exprimé une « opinion » dans les deux phrases en question; à mon avis, cet argument est sans fondement.

[21]            Les phrases du paragraphe 58 de l'arrêt Biolyse que Ratiopharm a invoquées constituent un énoncé de fait, en l'occurrence, le contenu des décisions de la Cour d'appel qui sont citées et que le juge Binnie utilise pour tirer une conclusion concernant la question d'interprétation dont il était saisi. En conséquence, je suis d'avis que l'argument de Ratiopharm selon lequel les phrases constituent une « opinion » va à l'encontre du sens contextuel des phrases en question.

[22]            En fait, à la section « D. L'économie du Règlement ADC » , le juge Binnie a exprimé une opinion importante, mais non celle que Ratiopharm cherchait à faire valoir; le juge Binnie a conclu que la méthode d'interprétation que la Cour d'appel avait utilisée à l'égard de l'article 4 était la bonne. Il semble donc que, par déduction, le juge Binnie a reconnu qu'en utilisant la bonne méthode, la Cour a interprété correctement le mot « demande » de l'article 4 : ce mot peut englober un SPDN.

5. Éléments devant être clarifiés

[23]            Dans le cadre de sa thèse concernant l'opinion, Ratiopharm accorde une grande importance à deux éléments des phrases qu'elle invoque. J'estime que ces éléments sont accessoires et n'ont aucune conséquence lorsque chacun d'eux est clarifié par une lecture dans leur contexte.

[24]            En premier lieu, Ratiopharm soutient qu'il est nécessaire de lire littéralement la phrase « Il n'inclut pas un supplément à une PDN » du paragraphe 58 de l'arrêt Biolyse. Pour déterminer le bien-fondé de cet argument, il faut savoir si le contexte dans lequel les mots sont employés appuie une interprétation littérale, c'est-à-dire qu'il faut examiner la phrase qui précède ces mots, les décisions citées après et le paragraphe qui suit.

[25]            Les mots en question sont précédés de la phrase suivante : « La Cour fédérale a statué de façon constante que le mot "demande"au par. 4(1) ne s'entend pas de toutes les demandes » . Cette phrase informe le lecteur que ce raisonnement est exprimé dans certaines décisions. Dans les décisions mentionnées après les mots souvent cités « il n'inclut pas un supplément à une PDN » , le raisonnement est exposé : certains SPDN ne constituent pas une « demande » au sens où ce mot est employé à l'article 4. Cela signifie, comme le dit le juge Binnie au paragraphe 59, qu'une « demande » au sens de l'article 4 ne comprend pas les SPDN qui ont simplement pour effet d'apporter des modifications relatives à la société ou des modifications techniques. En conséquence, la phrase examinée est ambiguë lorsqu'elle est lue de manière littérale parce qu'elle semble aller à l'encontre des décisions qu'elle décrit. Cependant, à mon avis, l'ambiguïté est résolue par une lecture de la phrase dans son contexte; cette lecture permet de comprendre la phrase comme suit : « Il n'inclut pas un supplément à une PDN [dans certaines circonstances] » .

[26]            Pendant l'audience au cours de laquelle la question préliminaire a été débattue, M. Reddon a présenté une analyse détaillée des arguments invoqués devant la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Biolyse comme fondement d'une autre explication raisonnable au sujet de l'utilisation des expressions « présentation de drogue nouvelle » (PDN) et « supplément à une présentation de drogue nouvelle » (SPDN) dans les motifs de jugement des juges Bastarache et Binnie : l'affaire a été présentée comme s'il n'y avait aucune différence entre la PDN et le SPDN.

[27]            Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que l'emploi des expressions n'a aucune répercussion sur la conclusion de la présente analyse : contrairement à ce que Ratiopharm a soutenu, le juge Binnie n'a exprimé aucune opinion au paragraphe 58 de ses motifs, où il a simplement décidé que l'article 4 et le paragraphe 5(1.1) du Règlement sur les AC doivent recevoir une interprétation téléologique.

[28]            En second lieu, Ratiopharm fait valoir qu'une grande importance devrait être accordée à la mention de la décision Toba Pharm Inc. c. Canada dans la liste des décisions citées. Tel qu'il est mentionné plus haut, dans la décision Toba, le juge Blais a appliqué « l'exception de la décision BMS » ; cependant, juste avant de le faire, il a formulé la remarque suivante au paragraphe 28 de la décision :

En outre, une PDNS* ne saurait constituer une occasion appropriée pour le dépôt d'une liste de brevets.

Selon Ratiopharm, en citant simplement la décision Toba au paragraphe 58 de ses motifs dans l'arrêt Biolyse, le juge Binnie accepte d'une certaine façon le sens littéral de l'énoncé, c'est-à-dire que, étant donné que la décision Toba figure dans la liste de décisions citées, elle doit être considérée comme une décision appuyant l'interprétation littérale non contextuelle des mots « Il n'inclut pas un supplément à une PDN » qui précèdent la liste. Je n'accepte pas cette conclusion parce qu'elle repose sur une lecture hors contexte de la remarque que le juge Blais a faite au paragraphe 28.

[29]            Le contexte dans lequel le paragraphe 28 de la décision Toba doit être lu comprend les paragraphes 27 à 33 qui suivent :

27 Une liste de brevets avait été déposée à l'égard du sevoflurane (SEVORANE ou SEVORANE AF). La liste de brevets se rapportant à l'EVORANE n'aurait donc pu être versée au registre que si elle avait été déposée dans les trente jours suivant l'octroi du brevet relatif à l'EVORANE. Ce n'est pas ce qui a été fait; par conséquent les délais prescrits à l'article 4 du Règlement n'ont pas été respectés.

28 En outre, une PDNS ne saurait constituer une occasion appropriée pour le dépôt d'une liste de brevets. En l'espèce, la PDNS avait uniquement pour but d'indiquer un changement du nom du fabricant et du produit. Il est contraire au régime établi à l'article 4, lequel prévoit que les listes de brevets doivent être déposées dans les délais prescrits par les paragraphes 4(3), (4) et (6) du Règlement, de soumettre une liste de brevets dans le cadre d'une demande d'ADC consécutive à un changement de nom du fabricant ou du produit fondée sur la politique relative aux Changements dans le nom d'un fabricant et/ou d'un produit (mentionnée dans la lettre du 18 décembre 2001).

29 Il était donc tout à fait loisible au Ministre, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 3(1) du Règlement, de refuser ce mode de présentation d'une liste de brevets.

La jurisprudence applicable

30 La demanderesse a tenté de faire entrer les circonstances de la présente affaire dans de grandes notions juridiques qu'elle interprète de façon à étayer sa position. Ce procédé ne convainc pas la Cour, en particulier devant la jurisprudence pertinente précise citée par le défendeur.

31 La décision Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Procureur général du Canada (2001), 10 C.P.R. (4th) 318 (C.F., 1re inst.), confirmée par (2002), 16 C.P.R. (4th) 425 (C.A.F.), est très éclairante. Dans cette affaire, le juge Campbell a conclu que le dépôt d'une liste de brevets avec la PDNS afférente à un changement du nom de marque ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 4 du Règlement. Voici les faits de cette affaire tels qu'ils ont été résumés au recueil susmentionné :

[Traduction] La demanderesse a demandé un avis de conformité relativement à des comprimés du médicament chlorhydrate de nefazadone de différentes concentrations qui devraient être commercialisés sous le nom de marque Serzone [...] Par inadvertance, elle a oublié de porter une autre brevet sur la liste, le brevet 436. Après l'expiration du délai, la demanderesse a tenté par trois fois de faire inscrire ce brevet au registre, sans succès.

La demanderesse a alors cherché à faire inscrire le brevet 436 en se servant de l'art. C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870. Elle a déposé une présentation de drogue nouvelle supplémentaire pour le changement du nom de son produit de Serzone à Serzone-5HT [2]. Elle a certifié que seul le nom du produit différait dans les deux présentations. La deuxième présentation était accompagnée d'une liste de brevets qui comprenait le brevet 436. Le Ministre a délivré un nouvel avis de conformité et il a inscrit le brevet 436 au registre des brevets sous le régime du par. 4(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 puis, se ravisant, il a informé la demanderesse que le brevet 436 avait été erronément inscrit au registre, contrairement aux termes explicites du par. 4(6) du Règlement ajoutés par la modification réglementaire de 1998. Le Ministre a alors établi la date à laquelle le brevet 436 serait retiré du registre.

32 Il est vrai que dans l'affaire Bristol-Myers, précitée, le dépôt de la liste de brevets accompagnait la PDNS relative à un changement dans le nom de la marque tandis qu'en l'espèce il s'agit d'une PDNS afférente au changement du nom du fabricant et du produit, mais je suis d'avis que les faits substantiels sur lesquels la Cour a fondé son raisonnement dans la décision Bristol-Myers, précitée, sont essentiellement les mêmes. Plus précisément, ils mettent en jeu la même tentative de contourner les délais prescrits par l'article 4 du Règlement. Sur ce point, voici ce qu'a écrit le juge Campbell :

[19] Il ressort du dossier que l'intention sous-jacente du ministre en annulant la décision d'enregistrer le brevet 436 est prospective. C'est-à-dire qu'en permettant à BMS d'utiliser l'article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues en l'espèce, on permettrait à des compagnies innovatrices de passer outre au délai prescrit à l'article 4 du Règlement en modifiant les marques nominatives afin de pouvoir inscrire au registre des brevets des brevets qui ne s'y trouvaient pas auparavant et pour lesquels les délais n'ont pas été respectés.

[...]

[21] Je conviens avec le ministre qu'il est contraire à l'intention que le législateur a énoncée expressément au paragraphe 4(6) du Règlement de permettre à des compagnies innovatrices d'ajouter des brevets au registre des brevets en invoquant l'article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues comme l'a fait BMS pour soumettre une liste de brevets. Je conclus donc que ledit article ne peut pas être utilisé pour atteindre la fin poursuivie par BMS.

33 La demanderesse prétend qu'il y a eu de distinguer l'affaire Bristol-Myers, précitée, de la présente espèce à plusieurs égards, notamment à cause de la spécificité élevée des faits. J'estime toutefois que la substance de cette décision est applicable en l'espèce. Bristol-Myers et la demanderesse ont toutes deux tenté, par des voies détournées, de se soustraire aux délais prescrits par le Règlement. Cette conduite n'est pas permise.

[30]            Pour cette raison, je suis d'avis que, lue dans son contexte, la remarque du juge Blais peut aisément être comprise comme une remarque signifiant « une PDNS ne saurait [dans certaines circonstances] constituer une occasion appropriée pour le dépôt d'une liste de brevets » .

B. Conclusion

[31]            En résumé, la question à trancher est la suivante : Le brevet 614 est-il admissible à l'inscription au registre des brevets? Ma réponse est « oui » .

[32]            À la demande de l'avocat, une ordonnance concernant la requête en radiation, distincte de l'ordonnance relative à la présente demande, est rendue plus loin.

II.         Qui a le fardeau de la preuve dans une demande d'avis de conformité?

[33]            La procédure à suivre pour obtenir un avis de conformité est bien connue. Le régime législatif et les procédures détaillées qui concernent cette demande ont été expliqués dans de nombreuses décisions (voir, par exemple, Hoffman LaRoche c. Canada (1996), 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F. 1re inst.), conf. par (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 (C.A.F.)).

[34]            Conformément au Règlement sur les AC, Ratiopharm a signifié à Abbott un avis d'allégation qui constitue le fondement de la présente demande et qui soulève trois questions : l'interprétation et la validité du brevet 614 ainsi que la question de savoir si la formulation de Ratiopharm constitue une contrefaçon dudit brevet.

[35]            Il est convenu qu'Abbott doit prouver l'interprétation et la contrefaçon selon la prépondérance de la preuve. En ce qui concerne le fardeau de la preuve au sujet de la validité, étant donné que le brevet 614 est réputé être valide, comme le prévoit le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et eu égard aux décisions dans lesquelles cette question a déjà été tranchée, j'estime que Ratiopharm est tenue d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que le brevet 614 est invalide (voir AB Hassle c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. n ° 994, aux paragraphes 23 à 27 et 96; conf. par [2004] A.C.F. n ° 1856, autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. refusée; Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 37 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.), aux paragraphes 15 et16; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 36 C.P.R. (4th) 437, aux paragraphes 101 et 122 (C.F. 1re inst.); conf. par [2005] A.C.F. n ° 1147 (C.A.F.)).

III.        Renseignements de base au sujet de la formulation

[36]            Afin de mieux saisir les arguments relatifs à l'interprétation des revendications, il est important de comprendre les éléments de base de la formulation de la composition.

[37]            À l'audience, M. Mason a énoncé le premier principe d'une formulation que j'ai moi-même clarifié :

[Traduction] Une « formulation » est simplement un mélange de médicaments, en l'occurrence la clarithromycine, et d'autres constituants [Source : recueil d'Abbott, volume I, onglet 1, au paragraphe 14].

La clarithromycine est l'ingrédient médicinal actif de Biaxin. Les autres constituants sont appelés excipients. Les excipients sont des ingrédients inertes et sont mélangés au médicament d'une certaine façon et introduits dans le produit pharmaceutique, qui peut être un comprimé ou une capsule. Dans certains cas, le médicament peut être formulé soit par granulation soit par compression directe. La granulation peut être sèche ou humide.

Dans certaines formulations obtenues par granulation, des granules sont mélangés à d'autres ingrédients ou excipients, appelés excipients extragranulaires. Il y a donc d'un côté les excipients intragranulaires, c'est-à-dire la masse humide qui est produite, et de l'autre l'excipient extragranulaire, qui est le mélange sec en poudre qui recouvre la granule et qui est appelé extragranulaire. On prend ensuite tout le mélange et on le comprime pour obtenir des comprimés, si c'est la méthode retenue.

La preuve montre qu'une formulation devient plus complexe lorsqu'il y a des excipients intragranulaires et extragranulaires. On parle parfois d'emplacements ou de compartiments et certaines raisons expliquent pourquoi il est parfois nécessaire de placer les excipients à différents endroits et d'avoir certains excipients extragranulaires et certains excipients intragranulaires.

En revanche, dans la compression directe, il n'y a pas de granules. On mélange simplement le tout et le comprime pour former des comprimés. Il n'y a pas de solvants. Il n'y a ni eau ni alcool, rien d'autre n'est utilisé, simplement un mélange sec qui est pressé dans un comprimé.

Le but d'une formulation est de s'assurer que la bonne quantité du médicament est administrée au bon moment et au bon endroit tout en maintenant la stabilité de ce médicament avant son ingestion. La plupart des médicaments ne peuvent être administrés aux humains à moins d'avoir été mélangés comme il convient à des excipients dans une forme posologique.

Comme on peut le voir au paragraphe 22 de l'extrait [document d'information sur la formulation, recueil d'Abbott, volume I, onglet 1], nous avons conclu que dans la deuxième phrase :

Les excipients sont nécessaires parce que la plupart des médicaments, y compris la clarithromycine, ne peuvent être pressés seuls pour former des comprimés à cause de leurs propriétés mécaniques défavorables, notamment leur piètre compressibilité, leur faible fluidité et leur adhésivité. Les excipients sont également utilisés pour améliorer d'autres propriétés du médicament comme le goût, l'apparence et la stabilité.

Si on n'ajoute pas, par exemple, la bonne quantité de délitant, le comprimé ne se dissolvera pas comme il faut dans la bonne zone du corps. Par exemple, s'il s'agit d'un comprimé à libération immédiate, il faut que le comprimé se dissolve tout de suite dans l'estomac, alors que s'il s'agit d'un comprimé à libération prolongée, il ne doit pas se dissoudre immédiatement; il faut qu'il atteigne l'endroit prévu avant de se dissoudre.

                L'extrait que nous avons cité traite également des différents excipients et de leur fonction ainsi que de la raison pour laquelle chacun d'entre eux est important. Par exemple, on y parle d'un agent de remplissage, d'un adjuvant pour améliorer la fluidité, d'un délitant et d'un lubrifiant. Les lubrifiants jouent un rôle important parce qu'ils réduisent notamment les problèmes mécaniques de compression en facilitant le remplissage de la chambre de compression, mais ils influent également sur la dilution et la libération du médicament une fois ingéré.

                Certains lubrifiants, comme l'acide stéarique, jouent également le rôle d'agent émulsifiant et d'agent solubilisant. On parle également dans l'extrait d'autres fonctions des excipients, et je pense que ce qui importe c'est de reconnaître que tout excipient donné peut avoir plus d'une fonction et que c'est un facteur qui complique les choses. Prenons, par exemple, l'acide stéarique au paragraphe 24 [document d'information sur la formulation, recueil d'Abbott, volume I, onglet 1], les différentes fonctions sont indiquées.

                La cellulose microcristalline est un bon exemple d'excipients multifonctionnels. La cellulose microcristalline est un diluant, un agent liant, un délitant et un lubrifiant, et le rôle spécifique qu'elle joue dans une formulation peut dépendre de la quantité utilisée et de l'emplacement choisi, c'est-à-dire si c'est un compartiment intragranulaire ou un compartiment extragranulaire.

(Transcription, aux pages 5 à 9)

[38]            Comme le montre la description qui suit, Abbott fait valoir que le brevet 614 est innovateur parce qu'il abrège la formulation non abrégée de la clarithromycine d'une certaine façon : il est possible d'obtenir la même bioéquivalence en utilisant moins d'excipients.

IV.        Comment le brevet 614 devrait-il être interprété?

[39]            Dans l'arrêt Whirlpool, le juge Binnie a énoncé les principes bien établis en matière d'interprétation des brevets :

¶ 43 Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen des questions de validité et de contrefaçon [...]

[...]

¶ 49         [...]

e) [...] un brevet est plus que simplement « un autre écrit » . Les mots utilisés dans les revendications sont d'abord proposés par le demandeur, mais ils font par la suite l'objet de négociations avec le Bureau des brevets, et c'est, en fin de compte, le Commissaire aux brevets qui les accepte à titre d'énoncé exact du monopole qui peut résulter à bon droit de l'invention divulguée dans le mémoire descriptif. Une fois délivré, le brevet devient un texte visé par la définition du mot « règlement » contenue au par. 2(1) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui se lit ainsi :

« règlement » Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d'honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :


a) soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime d'une loi fédérale;

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité.

Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l'art. 12 de la Loi d'interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet » . L'intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux-mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu'une protection contre leur mauvaise interprétation [...]

[...]

g) Même si elle est une appellation qui a été appliquée à l'interprétation des revendications par l'arrêt Catnic, précité, l' « interprétation téléologique » elle-même est fort compatible, selon moi, avec ce que le juge Dickson avait affirmé, l'année précédente, dans l'arrêt Consolboard, précité, au sujet de l'interprétation des revendications (aux pp. 520 et 521) :

Il faut considérer l'ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l'invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n'est pas le moment d'être trop rusé ou formaliste en matière d'oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l'arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574: [Traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l'inventeur l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet » .

[Non souligné dans l'original.]

[40]            Les revendications du brevet doivent être lues du point de vue de la personne versée dans l'art à laquelle le brevet s'adresse et qui se sert de ses connaissances dans le domaine auquel il se rapporte (Whirlpool, aux paragraphes 48, 52 et 53).

[41]            En conséquence, la question qui se pose est de savoir si l'un des quatre experts dont les deux parties ont retenu les services n'est pas visé par la définition de la « personne versée dans l'art » .

V.         Les experts qui ont témoigné dans la présente demande sont-ils tous des « personnes versées dans l'art » ?

[42]            Abbott et Ratiopharm s'entendent sur les titres de compétences de la « personne versée dans l'art » :

[Traduction]

22.           La personne versée dans l'art à laquelle s'adresse le brevet 614 est titulaire d'un baccalauréat ès sciences en chimie, en pharmacie ou en génie chimique, ou d'un diplôme équivalent, et possède deux à cinq années d'expérience dans le domaine de la formulation, de l'analyse des formulations, de la mise au point de médicaments ou dans un domaine connexe (le formulateur compétent). Le formulateur compétent acquiert habituellement son expérience en travaillant pour une société pharmaceutique.

                                                Affidavit de Miller, paragraphe 12; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, à la page 1289

                                                Affidavit d'Amidon, paragraphe 12, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, à la page 221

Contre-interrogatoire d'Amidon, page 1398, ligne 10 à la page 1399, ligne 2; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

A. Les experts d'Abbott

[43]            Voici les titres de compétences des experts dont Abbott a retenu les services, soit MM. Stephen Byrn et Gordon Amidon :

[Traduction]

35.            [...]

a)             M. Stephen Byrn est titulaire d'un doctorat en chimie et président de l'École de pharmacie de l'Université Purdue, où il enseigne aux futurs formulateurs. M. Byrn a été membre du sous-comité sur les excipients de la United States Pharmacopoeia (USP), président du Pharmaceutical Sciences Advisory Committee de la US Food and Drug Administration (FDA) et a longuement travaillé dans le domaine de la reformulation. [...]

Référence :             Affidavit de Byrn, dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, paragraphes 1 à 5, aux pages 113 à 115, et pièce « A » , aux pages 153 à 180;

Contre-interrogatoire de Stephen Byrn mené le 21 avril 2005, aux pages 3, 4, 7, 14, 15, 18, 21 à 23, 26, 27, 33 et 34 (questions 11, 26, 47, 56, 65, 67, 76 et 98 à 100);

Contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, à la page 503 (questions 41 et 42)

b)            M. Amidon occupe la chaire Charles R. Walgreen Jr. en pharmacie et en sciences pharmaceutiques au Collège de pharmacie de l'Université du Michigan, a été président de l'American Association of Pharmaceutical Scientists et a occupé le poste d'employé spécial du gouvernement à la FDA. Il a publié plus de 200 articles scientifiques dans des revues dotées d'un comité de lecture, a co-dirigé la publication de 6 ouvrages, est le co-inventeur de 17 brevets et a siégé au comité de rédaction de nombreuses revues pharmaceutiques. M. Amidon a également dispensé des services d'expert-conseil à de nombreuses sociétés pharmaceutiques produisant des médicaments innovateurs et génériques [...]

Référence :             Affidavit d'Amidon, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, paragraphes 1 à 8, aux pages 218 à 220;

Contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, à la page 503 (questions 41 et 42)

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[44]            Ratiopharm ne nie pas que M. Amidon soit un « formulateur compétent » , mais soutient que le M. Byrn ne l'est pas parce qu'il est un universitaire :

[Traduction]

24.           M. Byrn est un universitaire connu pour son expertise dans le domaine de la chimie des médicaments à l'état solide et pour son ouvrage intitulé « Solid State Chemistry of Drugs » , qui est un traité général sur ce vaste domaine. Seulement trois pages de cette monographie traitent en fait des formulations, dont une qui fournit simplement une définition du terme.

Affidavit de Byrn, paragraphes 2 et 30; dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, aux pages 114 et 121, et pièce « A » ,

Contre-interrogatoire de Byrn, à la page 1506, questions 26 et 27; à la page 1527, questions 82 et 83; aux pages 1530 et 1531, question 92; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet E

25.           M. Byrn n'a pas d'expérience pratique dans la science de la formulation. Il n'a jamais travaillé pour une société pharmaceutique qui a mis au point ou mis en marché des produits pharmaceutiques, n'a jamais formulé personnellement une préparation pharmaceutique et, en fait, n'a jamais utilisé une machine à comprimer pour les produits pharmaceutiques.

Contre-interrogatoire de M. Byrn, à la page 1505, question 25; aux pages 1510 et 1511, questions 35 à 38; aux pages 1514 à 1520, questions 48 à 58 et 61 à 63; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet E

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[45]            Je n'accorde aucune importance à cet argument. En contre-interrogatoire, le propre expert de Ratiopharm, M. Miller, a fait les remarques suivantes au sujet de MM. Byrn et Amidon :

[Traduction]

Q             [...] dans le cadre de votre travail, soit à titre de formulateur ou de chercheur scientifique, vous est-il arrivé de tomber sur les travaux de M. Stephen Byrn ou de M. Gordon Amidon?

R             Oui, je les connais.

Q             Tous les deux?

R             Oui.

Q              Vous reconnaissez qu'ils sont tous les deux des scientifiques de renom?

R              Oui, c'est vrai.

Q              Bien considérés dans ce domaine?

R             Oui.

(Contre-interrogatoire de M. Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, à la page 7)

Il ressort de ce passage que le « domaine » décrit, dans lequel travaillent M. Miller, M. Byrn et M. Amidon, est le domaine de la formulation, de l'analyse des formulations et de la mise au point de médicaments. En effet, lors de son contre-interrogatoire, M. Amidon a déclaré que la [Traduction] « chimie des états solides fait partie du processus de développement [formulation] » (contre-interrogatoire de M. Amidon, dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D, à la page 1399, ligne 20), et « [un formulateur compétent] pourrait détenir un baccalauréat en chimie avec deux à cinq années d'expérience universitaire en chimie des états solides » (contre-interrogatoire de M. Amidon, dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D, à la page 1399, ligne 22 et à la page 1400, ligne 2).

[46]            En conséquence, je rejette les craintes soulevées par Ratiopharm au sujet des titres de compétences et je conclus que MM. Amidon et Byrn sont tous deux des experts en qualité de « formulateurs compétents » .

B. Les experts de Ratiopharm

[47]            Les compétences non contestées des experts de Ratiopharm, MM. Robert Miller et Peter Rue, à titre de formulateurs sont les suivantes :

M. Robert Miller

28.           M. Miller a plus de 25 ans d'expérience pratique directe et soutenue dans la formulation d'un principe actif pour obtenir une préparation pharmaceutique. Il dispense actuellement des services d'expert-conseil à l'industrie pharmaceutique dans les domaines de la formulation de formes posologiques et de la conception de procédés de fabrication et était autrefois responsable de la formulation de formes posologiques solides et de la conception des procédés de fabrication à Merck Frosst, à Novopharm Limitée et à Stanley Pharmaceuticals. M. Miller possède une expertise pratique dans la mise au point de formulations pharmaceutiques et les excipients utilisés dans la formulation de formes posologiques solides.

Affidavit de Miller, paragraphes 1, 4 à 6 et 9, dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, aux pages 1286 à 1288

Contre-interrogatoire de M. Miller, aux pages 498 et 499, questions 12 et 13; dossier de Ratiopharm, volume III, onglet 6

M. Peter Rue

29.           M. Rue a plus de 20 ans d'expérience pratique dans la formulation d'un principe actif pour obtenir une préparation pharmaceutique. M. Rue a travaillé pour Beecham Pharmaceuticals, Glaxo Group Research, Core Technologies Limited et Martindale Pharmaceuticals Limited. Toute sa carrière a été consacrée à la conception, à la mise au point et à l'évaluation de préparations pharmaceutiques.

                Affidavit de Rue, paragraphes 2 à 12; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet B, aux pages 1228 à 1231

Contre-interrogatoire de Rue, à la page 398, question 9; à la page 399, question 19 et à la page 409, question 70 à la page 420, question 128; dossier de Ratiopharm, volume III, onglet 5

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[48]            En conséquence, tous les experts sont en mesure de donner une opinion sur l'interprétation du brevet 614. Cependant, tel qu'il est expliqué plus loin, le poids à accorder à chaque opinion est différent.

VI.       Quelle est l'interprétation correcte du brevet 614?

            A. Le contenu du brevet 614

[49]            Il est admis que les éléments essentiels du brevet 614, qui a été ajouté au registre des brevets le 28 octobre 2002, sont les suivants :

[Traduction]

COMPOSITIONS ANTIBACTÉRIENNES DE CLARITHROMYCINE ET PROCESSUS DE PRÉPARATION CONNEXES

DOMAINE DE L'INVENTION

Cette invention concerne des compositions antibactériennes abrégées de clarithromycine et les méthodes de fabrication connexes.

RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX SUR L'INVENTION

La clarithromycine est utilisée dans la fabrication de compositions antibiotiques pour administration humaine qui sont vendues dans le commerce. Par exemple, une composition antibactérienne de clarithromycine administrable par voie orale sous forme de comprimé comprend essentiellement de la clarithromycine et un certain nombre d'excipients qui, somme toute, influent sur la biodisponibilité de l'antibiotique.

Une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine dont on aurait enlevé un ou plusieurs des excipients et qui aurait à peu près la même activité antibiotique que la clarithromycine serait une façon plus simple et moins coûteuse d'offrir un médicament commercialement accessible. En outre, une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine, qui serait de taille plus petite ou qui offrirait d'autres avantages, serait mieux tolérée par les patients. Il existe donc un besoin réel dans le domaine des formulations de disposer d'une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine.

RÉSUMÉ DE L'INVENTION

La première variante de cette invention concerne donc une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine comprenant essentiellement de la clarithromycine, de l'eau, un excipient intragranulaire et un excipient extragranulaire, où l'excipient intragranulaire est formé essentiellement de povidone, de croscarmellose sodique et de cellulose microcristalline, et où l'excipient extragranulaire est formé essentiellement de croscarmellose sodique, de cellulose microcristalline, de dioxyde de silicium colloïdal et d'une poudre impalpable de stéarate de magnésium.

Une seconde variante de cette invention concerne un processus pour fabriquer une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine, le processus comprenant les étapes suivantes :

a) la granulation d'un mélange constitué essentiellement de povidone, de clarithromycine, de croscarmellose sodique, de cellulose microcristalline et d'eau pour produire un excipient intragranulaire humide;

                b) le séchage de l'excipient intragranulaire humide pour obtenir un excipient intragranulaire sec;

c) le mélange de l'excipient intragranulaire sec et de l'excipient extragranulaire, ce dernier étant constitué essentiellement de croscarmellose sodique, de cellulose microcristalline, de dioxyde de silicium colloïdal et d'une poudre impalpable de stéarate de magnésium.

Une troisième variante de cette invention concerne un médicament comprenant essentiellement une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine.

Une quatrième variante de cette invention concerne l'utilisation d'une composition antibactérienne abrégée de clarithromycine dans la préparation d'un médicament, ce dernier étant utile dans la prophylaxie ou le traitement des infections bactériennes chez un mammifère.

DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE L'INVENTION

La composition non abrégée de clarithromycine actuellement vendue dans le commerce comprend essentiellement les constituants suivants : clarithromycine, dioxyde de silicium colloïdal, jaune D & C no 10, croscarmellose sodique extragranulaire, cellulose microcristalline extragranulaire (Avicel® PH-102), croscarmellose sodique intragranulaire, cellulose microcristalline intragranulaire (Avicel® PH-101), poudre de stéarate de magnésium, povidone, amidon prégélatinisé, alcool absolu, acide stéarique, talc et eau.

Cette invention concerne des compositions antibactériennes abrégées de clarithromycine, ci-après appelées « compositions abrégées » , qui contiennent une quantité quelconque de clarithromycine et dont est absent au moins un des constituants susmentionnés.

Dans une première variante privilégiée, les compositions abrégées contiennent la même quantité de clarithromycine que l'on retrouve actuellement dans les formulations non abrégées pour adultes et pour enfants, par exemple 250 mg de clarithromycine ou 500 mg de clarithromycine pour les formulations pour adultes et des solutions aqueuses comprenant 125 mg par 5 mL ou 250 mg par 5 mL de clarithromycine pour les formulations pour enfants.

Dans une autre première variante privilégiée, l'alcool absolu, l'acide stéarique et le talc ne sont pas inclus dans les compositions abrégées.

Dans une autre première variante privilégiée, l'alcool absolu, l'acide stéarique, le talc, l'amidon prégélatinisé et le jaune D & C no 10 n'ont pas été inclus dans les compositions abrégées.

[ ...]

REVENDICATIONS :

1. Une composition antibactérienne abrégée comprenant essentiellement de la clarithromycine, de l'eau, un excipient intragranulaire et un excipient extragranulaire, l'excipient intragranulaire consistant essentiellement en povidone, en croscarmellose sodique et en cellulose microcristalline, et l'excipient extragranulaire consistant essentiellement en croscarmellose sodique, cellulose microcristalline, dioxyde de silicium colloïdal et une poudre impalpable de stéarate de magnésium.

2. La composition de la revendication 1 où la cellulose microcristalline de l'excipient intragranulaire comprend AvicelMD PH-101, où la cellulose microcristalline de l'excipient extragranulaire comprend AvicelMD PH-102 et où le dioxyde de silicium colloïdal de l'excipient extragranulaire comprend Cab-O-SilMC M-5.

3. La composition de la revendication 1, qui est essentiellement dépourvue d'éthanol

                                [...]

                                (Dossier d'Abbott, volume I, onglet 1, aux pages 4 à 21)

            B. La question à trancher

[50]            Il est admis que l'issue de la présente demande dépend de l'interprétation à donner à la revendication 1 du brevet 614. L'argument de Ratiopharm au sujet de l'interprétation figure dans l'allégation suivante que comporte son avis d'allégation :

[Traduction] La revendication 1 prévoit un excipient extragranulaire consistant essentiellement en povidone, croscarmellose sodique et cellulose microcristalline. Le terme « consistant » est utilisé pour préciser les éléments constituants de la combinaison revendiquée à l'exclusion de tous les autres éléments, et en particulier à l'exclusion de tous les éléments présents dans la soi-disant composition « non abrégée » décrite à la page 2, lignes 17 à 22 du brevet 614, qui ne sont pas inclus dans la composition revendiquée.

[Note de la rédaction : les lignes 17 à 22 à la page 2 du brevet 614 sont libellées de la manière suivante :

La composition non abrégée de clarithromycine actuellement vendue dans le commerce comprend essentiellement les constituants suivants : clarithromycine, dioxyde de silicium colloïdal, jaune D & C no 10, croscarmellose sodique extragranulaire, cellulose microcristalline extragranulaire (Avicel® PH-102), croscarmellose sodique intragranulaire, cellulose microcristalline intragranulaire (Avicel® PH-101), poudre de stéarate de magnésium, povidone, amidon prégélatinisé, alcool absolu, acide stéarique, talc et eau.]

(Dossier d'Abbott, volume I, onglet 1, à la page 24)

En conséquence, j'estime que l'argument de Ratiopharm tenant à l'interprétation se limite à cette allégation. Cela signifie que, dans le cadre de l'élaboration de son propre argument tenant à l'interprétation et de la formulation de l'allégation conformément au Règlement sur les AC, il incombe à Abbott de prouver que seul l'argument invoqué quant à l'interprétation n'est pas fondé.

[51]            Je suis donc d'avis qu'Abbott formule de façon correcte et concise les arguments tenant à l'interprétation qui sont en jeu dans la présente demande ainsi que la question à trancher :

[Traduction]

41.           L'argument de Ratiopharm est que le terme « consistant » est utilisé dans la revendication 1 pour préciser les éléments constitutifs de la « combinaison revendiquée » à l'exclusion de tous les autres éléments. Autrement dit, Ratiopharm allègue que « consistant essentiellement en » signifie « consistant seulement dans » les ingrédients précisés à la revendication 1 et aucun autre.

42.           En revanche, les experts d'Abbott indiquent qu'une personne versée dans l'art comprendrait de toute évidence que l'expression composition antibactérienne abrégée « consistant essentiellement en » dans la revendication 1 renvoie à une composition dans laquelle au moins un des ingrédients de la composition non abrégée a été enlevé et qui contient tous les ingrédients énumérés à la revendication 1.

Référence :     Affidavit d'Amidon, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, paragraphe 33, aux pages 229 et 230

                        Affidavit de Byrn, dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, paragraphe 36, à la page 123

43.           La question est donc de savoir si une personne versée dans l'art comprendrait que le terme « consistant essentiellement en » dans la revendication 1 signifie consistant uniquement dans, comme le soutient Ratiopharm, ou si le produit, comme le soutient Abbott, peut inclure d'autres ingrédients contenus dans la composition non abrégée. La réponse à cette question tranchera la question de la contrefaçon.

[Non souligné dans l'original.]

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

            C. L'interprétation par Abbott de la revendication 1 du brevet 614

[52]            J'estime qu'Abbott a invoqué un argument bien fondé en ce qui concerne l'interprétation de la revendication 1. À mon avis, selon la norme d'interprétation énoncée dans l'arrêt Whirlpool, lorsque la revendication 1 est lue dans le contexte de l'ensemble du brevet, l'intention de l'inventeur est facile à comprendre.

[53]            La revendication 1 du brevet 614 comporte deux « expressions » qui doivent être définies : « composition antibactérienne abrégée » et « consistant essentiellement en » . En ce qui concerne l'interprétation de ces expressions, Abbott invoque le jugement Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, [1947] R.C.É. 306, à la page 359, pour soutenir que [Traduction] « le mémoire descriptif [la divulgation et les revendications] constitue en soi le dictionnaire à la lumière duquel la portée et l'effet des termes des revendications doivent être déterminés, et les mots devraient être lus en fonction des définitions de l'inventeur qui se trouvent dans le mémoire descriptif » (mémoire des faits et du droit d'Abbott, paragraphe 45).

[54]            L'expression « composition abrégée » est clairement définie dans le deuxième paragraphe de la section « Description détaillée de l'invention » du brevet 614, dont voici le texte :

L'invention concerne des compositions antibactériennes abrégées de clarithromycine, ci-après appelées « compositions abrégées » , qui contiennent une quantité quelconque de clarithromycine et dont au moins un des constituants susmentionnés a été enlevé.

Si l'on se reporte au contexte, les « constituants susmentionnés » dont il est question dans cette description entrent dans la composition de la formulation non abrégée.

[55]            À la lumière du témoignage suivant de M. Byrn, j'estime que la couleur dans la formulation non abrégée n'est pas pertinente dans la formulation d'une composition abrégée au sens donné à « composition abrégée » dans le brevet 614 :

[Traduction] En ce qui concerne l'enlèvement du revêtement colorant, tel qu'indiqué ci-dessus, une personne versée dans l'art comprendrait que l'enlèvement du colorant dans la pellicule enrobante ne constituerait pas une forme abrégée de la composition. Bien que le jaune D & C no 10 soit simplement le colorant utilisé dans la pellicule enrobante et ne sert que d'agent colorant (et pourrait être facilement et de toute évidence être remplacé ou enlevé), une personne versée dans l'art comprendrait que l'enlèvement ou l'absence uniquement de cet ingrédient ne constituerait pas une composition abrégée telle que revendiquée dans les revendications du brevet 614.

(Affidavit de M. Byrn, dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, au paragraphe 134)

[56]            Compte tenu de la définition de « composition abrégée » , j'estime que l'on peut donner un sens clair aux mots contenus dans la revendication 1, tel que le soutient Abbott. C'est-à-dire que, si l'on prend en considération tous les ingrédients de la composition non abrégée, la composition abrégée doit inclure tous les ingrédients énumérés dans la revendication 1 et au moins un de ceux qui demeurent dans la liste des choix possibles ne doit pas être inclus. Si l'on exclut la couleur, il y a treize ingrédients dans la composition non abrégée. Ainsi, après avoir inclus les neuf ingrédients énumérés dans la revendication 1, les éléments de la composition non abrégée qui restent sont : (1) l'amidon prégélatinisé, (2) l'alcool absolu (éthanol), (3) l'acide stéarique et (4) le talc.

[57]            Abbott invoque la revendication 3 pour étayer son interprétation. La revendication 3 protège une composition abrégée comprenant les ingrédients énumérés à la revendication 1, mais qui est dépourvue d'éthanol. Si on lit ensemble les revendications 1 et 3, je reconnais que l'interprétation de la revendication 3 signifie que la revendication 1 peut inclure l'éthanol comme l'un des trois ingrédients sur quatre qui peuvent être « ajoutés » à ceux énumérés dans la revendication 1. Autrement dit, je reconnais que du fait de la revendication 3, les termes « consistant essentiellement en » dans la revendication 1 ne peuvent être interprétés comme signifiant « consistant uniquement dans » .

[58]            Il a été établi dans l'arrêt Whirlpool qu'une interprétation téléologique de la revendication 1 doit être contextuelle, c'est-à-dire qu'il faut tenir compte de l'ensemble de l'exposé de l'invention du brevet 614. Je souscris à l'argument suivant qu'Abbott a invoqué au soutien de son interprétation de la revendication 1 :

[Traduction]

51.            L'exposé de l'invention du brevet 614 présente quatre variantes de l'invention revendiquée qui correspondent aux revendications dans le brevet. C'est la première variante - les revendications touchant la composition - qui est concernée dans la présente demande.

Référence :            contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, aux pages 506 et 509 (questions 58 et 74)

52.           À la rubrique « Description détaillée » , les inventeurs décrivent un certain nombre de « variantes privilégiées » de l'invention, y compris des premières variantes privilégiées. Une de ces premières variantes privilégiées est une composition abrégée dont sont absents l'alcool absolu, l'acide stéarique et le talc de la formulation non abrégée; autrement dit, dont trois et non quatre constituants sont exclus et qui contient dix composés, et non les neuf énumérés initialement dans la revendication 1.

Référence :            brevet 614, pièce A, affidavit d'Atwell, dossier d'Abbott, volume I, à la page 9, ligne 1

53.           M. Miller a confirmé en contre-interrogatoire que cette première variante privilégiée serait comprise par une personne versée dans l'art comme étant une façon d'appliquer l'invention revendiquée dans le brevet 614 :

Q :            De même, à la page suivante, on parle d'une autre première variante privilégiée. Voyez-vous le passage en haut de la page?

R :            Oui.

Q :            Encore une fois, on parle d'une autre première variante privilégiée, autrement dit de la composition?

R :            Oui.

Q :            Et une personne versée dans l'art comprendrait qu'il s'agit d'une autre première variante privilégiée de cette invention?

R :            Oui.

Q :            « Cette invention » signifiant l'invention revendiquée dans le brevet 614, est-ce exact?

R :            Oui.

Référence :             contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, à la page 511 (questions 87 à 90)

54.           Ainsi, une personne versée dans l'art qui lirait ce brevet comprendrait que l'une des versions privilégiées de l'invention consiste à enlever l'alcool absolu, l'acide stéarique et le talc. Les constituants restants dans une composition abrégée seraient ceux énumérés à la revendication 1 plus l'amidon.

55.           Selon l'interprétation proposée par Ratiopharm, la composition visée par la revendication 1 ne peut contenir de l'amidon parce que ce constituant n'est pas expressément énuméré dans la revendication 1. L'interprétation de Ratiopharm n'est donc pas compatible avec l'une des variantes privilégiées de l'invention.

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[59]            Le témoignage de M. Amidon appuie également l'interprétation d'Abbott, notamment l'argument d'Abbott selon lequel une personne versée dans l'art donnerait aux revendications 1 et 3 leur sens clair évident :

[Traduction] L'invention revendiquée dans le brevet 614 est une composition abrégée de clarithromycine. Le terme abrégé, tel que compris par une personne versée dans l'art en date du 28 octobre 2002, signifierait en général une composition qui a été réduite d'une façon ou d'une autre. Une personne versée dans l'art à cette date comprendrait que les mots « composition abrégée » , tel qu'ils sont utilisés dans les revendications du brevet 614 et dans l'exposé de l'invention, désignent une composition dans laquelle au moins un des excipients suivants de la composition non abrégée a été enlevé :

Eau, povidone, croscarmellose sodique intragranulaire, croscarmellose sodique extragranulaire, cellulose microcristalline intragranulaire, cellulose microcristalline extragranulaire, stéarate de magnésium, dioxyde de silicium colloïdal extragranulaire, amidon prégélatinisé, acide stéarique, éthanol ou talc.

Une personne versée dans l'art comprendrait que les mots « consistant essentiellement en » utilisés dans la revendication 1, et les autres revendications du brevet 614, à la date en question, signifieraient que la composition contient tous les ingrédients énumérés dans la revendication mais qu'ils pourraient inclure d'autres ingrédients également. Une personne versée dans l'art, à la date en question, comprendrait que la revendication 1 englobe les comprimés de clarithromycine qui contiennent tous les ingrédients désignés [mentionnés dans la revendication 1] mais qui ne contiennent pas au moins un des ingrédients de la liste [d'excipients de la composition non abrégée non inclus dans la revendication 1].

Une personne versée dans l'art, à la date en question, comprendrait que les mots « essentiellement dépourvu d'éthanol » utilisés dans la revendication 3 du brevet 614 signifient qu'il y a au plus une quantité insignifiante d'éthanol dans la composition abrégée décrite à la revendication 1.

[Clarification et soulignement ajoutés.]

(Affidavit de M. Amidon, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, aux paragraphes 32 à 34)

Le témoignage de M. Byrn est conforme en tous points à celui de M. Amidon sur cet aspect essentiel (affidavit de M. Byrn, dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, aux paragraphes 33 à 36).

[60]            Afin de réduire l'importance qui devrait être accordée au témoignage de M. Amidon, Ratiopharm soulève une question liée à ce que M. Amidon a voulu dire en faisant remarquer que la formulation abrégée contient tous les ingrédients énumérés dans la revendication 1, [Traduction] « mais [...] pourrait inclure d'autres ingrédients également » . Cette remarque peut être comprise en fonction de deux contextes.

[61]            Premièrement, cette remarque doit être lue dans le contexte du passage dans lequel elle a été faite. En la lisant de cette façon, je n'ai aucun mal à conclure que M. Amidon renvoyait à trois des quatre ingrédients qui restent de la composition non abrégée. Cependant, Ratiopharm soutient que celui-ci voulait dire bien davantage et invoque à cet égard l'extrait suivant de l'affidavit de M. Miller :

[Traduction] Je dois dire que je suis complètement en désaccord avec M. Stephen Byrn (au paragraphe 35 de l'affidavit de M. Bryn [sic]) et avec M. Gordon Amidon (au paragraphe 33 de l'affidavit de M. Amidon), où il affirme que les mots « consistant essentiellement en » signifient que la composition contient tous les ingrédients énumérés à la revendication 1, mais qu'ils pourraient inclure d'autres ingrédients apparemment sans restriction. Les autres ingrédients pourraient éventuellement augmenter la complexité, le coût et la taille du comprimé. Non seulement cette interprétation irait à l'encontre des objectifs du brevet, elle permettrait à la « composition abrégée » d'englober ou même de dépasser le nombre d'excipients présents dans la formulation non abrégée divulguée dans le brevet.

[Non souligné dans l'original.]

(Affidavit de M. Miller, dossier de Ratiopharm, Volume V, onglet C, au paragraphe 59)

À mon avis, l'interprétation que M. Miller donne aux propos de M. Amidon est hors contexte et je n'y accorde aucune importance.

[62]            Deuxièmement, la remarque doit être lue dans le contexte de ce que M. Amidon a dit au sujet de la nature des « autres ingrédients » . Ratiopharm invoque le témoignage de M. Amidon pour formuler l'argument suivant :

[Traduction]

56.            Compte tenu de l'objectif de l'invention présumée revendiquée dans le brevet 614 qui est d'enlever des excipients pour obtenir une formulation plus simple et moins coûteuse de clarithromycine, il faut lire la revendication 1 du brevet comme étant une formulation simplifiée de la composition non abrégée. Autrement dit, ces revendications ne devraient pas être interprétées comme incluant une composition qui est plus complexe que la composition non abrégée.

57.           M. Amidon soutient que le formulateur compétent interpréterait la revendication 1 du brevet 614 comme étant une composition qui inclut tous les ingrédients énumérés dans la revendication en plus d'autres ingrédients. M. Amidon est d'avis que ces autres ingrédients pourraient comprendre tout excipient qui a été approuvé pour usage humain par la Food and Drug Administration (FDA) en quantités inférieures ou égales aux quantités approuvées par la FDA dans sa liste d'ingrédients inactifs à la condition qu'au moins un des ingrédients dans la composition non abrégée ait été enlevé. Ces quantités se situent dans la limite habituelle approuvée pour un usage chez les humains. M. Amidon a reconnu que, compte tenu de la façon dont il a formulé son opinion, la revendication 1 permettrait en théorie l'ajout d'un certain nombre d'autres ingrédients (jusqu'à 13) à ceux expressément énumérés dans la revendication 1 et, « par extrapolation extrême » , en grande quantité.

Affidavit de M. Amidon, paragraphe 33; dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, aux pages 229 et 230

Contre-interrogatoire de M. Amidon, page 1432, ligne 15 à la page 1442, ligne 10; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D

                                58.           L'interprétation que M. Amidon fait de la revendication 1 permettrait la création d'une formulation complexe et sûrement pas d'une formulation simplifiée de la composition non abrégée, ce qui serait contraire à l'objectif de l'invention alléguée dans le brevet 614. Cette interprétation doit donc être rejetée pour ce motif.

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[63]            Contre-interrogé par M. Bloom, M. Amidon a admis que la composition abrégée comportera fort probablement plus d'ingrédients que ceux qui sont mentionnés dans la revendication 1 du brevet 614, mais il a formulé des réserves importantes au sujet de la nature de ces ingrédients :

[Traduction]

Q.            Alors, M. Amidon, pourriez-vous énumérer tous les ingrédients additionnels possibles auxquels vous faites allusion dans la première phrase du paragraphe 33 et quelles seraient les quantités?

R.            Oui bien sûr, je peux imprimer la liste d'ingrédients inactifs de la FDA et la liste des GRAS de la FDA, mais je ne pense pas que c'est ce que vous voulez.

Q.            Parlez-moi uniquement de ce dont vous vous rappelez.

R.            Cela pourrait comprendre toute matière. À la limite, cela pourrait inclure tout excipient qui a été approuvé pour usage humain en quantités inférieures ou égales aux quantités dans la liste d'ingrédients inactifs de la FDA, que la FDA a publiée sous forme de compilation des listes d'ingrédients inactifs. La FDA déclare qu'ils sont inactifs, mais cela veut simplement dire qu'ils sont pharmacologiquement inactifs ou à tout le moins dans la gamme de doses habituelle. Ils ne sont pas inactifs du point de vue de la formulation, de la performance et du processus de formulation.

Q.            Mais ils peuvent réagir à l'intérieur d'une formulation, mais ils sont considérés comme inactifs par la FDA?

R.            Le titre de la publication à laquelle je me réfère est la liste des ingrédients inactifs et comment j'interprète le terme ingrédient inactif. Je ne me perdrai pas en conjectures sur ce que la FDA veut réellement dire par ce titre.

[...]

Q.            Faites-vous référence à plus d'un ingrédient?

R.             Oui, il pourrait y avoir quelques ingrédients. Je pense que le nombre d'ingrédients additionnels serait inférieur au nombre d'ingrédients énumérés sur la liste et ces ingrédients seraient en plus petites quantités, de sorte qu'il puisse y avoir certains ingrédients comme des cires ou des agents de saupoudrage ou des plastifiants ou autre chose, un surfactant. S'ils utilisent certains polymères qui sont des réseaux, des systèmes de type aqueux, pour éviter l'éthanol et il pourrait y avoir d'autres ingrédients mineurs.

                                S'ils utilisent un agent colorant, ils peuvent obtenir de FMC une formulation d'une couleur et le produit peut contenir trois ou quatre choses. Mais je commencerais par dire que le nombre serait probablement similaire ou inférieur au nombre d'ingrédients énumérés dans la liste.

Q.            Quand je regarde la composition non abrégée de la clarithromycine vendue dans le commerce, je compte 13 excipients. Ce que vous dites c'est qu'il pourrait y en avoir plus - - 13 ingrédients additionnels au sens du paragraphe 33?

R.            Bien - -

Q.            J'essaie juste de comprendre la portée que cela peut avoir.

R.            J'essaie d'être prudent et de répondre à la question. À quel niveau, par exemple? À quel niveau voulez-vous détecter des choses dans une formulation? Autrement dit, si vous voulez faire un test à 0,1 p. 100 ou 0,001 p. 100, voulez-vous inclure d'autres constituants de la clarithromycine, de la fabrication de la clarithromycine au niveau d'impureté de 0,1 p. 100? En fait, il y a des quantités de contaminants mineurs.

                                Mais ne tenons pas compte de ces contaminants mineurs, prenons l'exemple d'un agent colorant. Un tel agent est souvent ajouté dans une formulation. Vous pouvez simplement décider d'appliquer une couleur de latex dessus, ce qui serait une formulation et pourrait contenir trois, quatre, cinq choses, certaines d'entre elles pouvant s'évaporer, mais contiendraient un, deux ou trois plastifiants.

                                Oui, il pourrait y en avoir jusqu'à 13. À mon avis, ce serait moins probable. Lorsqu'on dit autre ingrédient mineur, ce serait, selon moi, certaines des choses qui font partie du processus de fabrication approuvé pour un usage chez les humains mais en quantités inférieures à celle de n'importe lequel des ingrédients énumérés.

                (Contre-interrogatoire de M. Amidon, dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D, à la page 1432, ligne 15 à la page 1433, ligne 13; à la page 1437, lignes 11 à 25)

[64]            Ainsi, M. Amidon fait référence à ce que l'on pourrait considérer comme des ingrédients inhérents à la composition abrégée; autrement dit, contrairement à l'argument de Ratiopharm, ces ingrédients n'ont aucune incidence sur la formulation revendiquée dans le brevet 614. Je suis donc d'avis que l'argument de Ratiopharm ne donne pas une interprétation correcte du témoignage de M. Amidon dans son contexte.

[65]            En conséquence, je rejette l'argument de Ratiopharm au sujet des « autres ingrédients » .

            D. L'interprétation par Ratiopharm de la revendication 1 du brevet 614

[66]            À mon avis, l'argument de Ratiopharm tenant à l'interprétation est faible.

[67]            En premier lieu, l'observation selon laquelle l'invention revendiquée dans la revendication 1 du brevet 614 se limite aux ingrédients énumérés dans ladite revendication est littérale et n'est pas fondée sur le contexte; je conviens avec Abbott qu'elle ne tient pas compte de la définition fournie à l'égard de l'expression « composition abrégée » :

[Traduction]

49.            La signification des mots « composition abrégée » est claire. Pour qu'une composition soit abrégée, on doit omettre au moins un des constituants de la composition non abrégée. L'interprétation proposée par Ratiopharm suppose que la Cour révise la définition de composition abrégée, qui passerait de « omettre au moins un des constituants » à « omettre quatre constituants » .

50.            L'interprétation proposée par Ratiopharm ne correspond pas à la définition de composition abrégée dans le brevet.

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[68]            En deuxième lieu, l'interprétation littérale que Ratiopharm propose à l'égard des mots « consistant essentiellement en » est tirée de la jurisprudence et de la pratique américaines en matière de brevet. En se fondant sur cette source, Ratiopharm soutient ce qui suit :

[Traduction]

55.           Les tribunaux américains ont considéré que les mots « consisting essentially of » (consistant essentiellement en) ont pour effet de restreindre la portée d'une revendication d'un brevet aux éléments ou étapes précisés et à ceux qui ne touchent pas de façon importante les caractéristiques de base et les caractéristiques nouvelles de l'invention alléguée.

In re Herz, 537 F. 2d 549, aux pages 551 et 552 (CCPC, 1976).

É.-U., United States Patent and Trademark Office, Manual of Patent Examining Procedure, (Eagen, MN : West, 2004), au paragraphe 2111.03.

                                (Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

Tout en admettant que les précédents américains ne lient pas les tribunaux du Canada, Ratiopharm soutient qu'ils sont convaincants. Lorsque cet argument a été avancé au cours de l'audience relative à la présente demande, M. Mason a fait les remarques suivantes :

[Traduction] [...] Lorsqu'ils interprètent la revendication, les tribunaux examinent non seulement le sens littéral de ses termes, mais également l'état de la technique et les litiges antérieurs visant le brevet.

                C'est ainsi que les tribunaux des États-Unis interprètent les revendications. Cette méthode est appelée « interprétation littérale » . Les tribunaux s'attardent aux termes de la revendication et les interprètent de manière littérale en examinant les éléments de preuve extrinsèque.

Au Canada, les tribunaux ne peuvent pas examiner les éléments de preuve extrinsèque. Cette façon de faire n'est pas permise. Ce principe est énoncé dans l'arrêt Whirlpool, et je peux vous donner la référence, si vous le souhaitez, Votre Seigneurie. Le juge Binnie affirme qu'il n'est pas permis d'examiner les éléments de preuve extrinsèque pour interpréter un brevet.

                                (Transcription, à la page 503)

En conséquence, je suis d'avis que la jurisprudence et la pratique américaines que Ratiopharm invoque au soutien d'une interprétation littérale ne sont pas pertinentes quant à l'interprétation de la revendication en litige dans la présente demande. J'estime même que l'argument de Ratiopharm quant à l'interprétation littérale n'est pas fondé en droit canadien.

[69]            La preuve d'expert de Ratiopharm est également faible.

[70]            Ainsi, M. Rue affirme ce qui suit :

[Traduction] Les mots « consistant essentiellement en » de la revendication 1 du brevet 614 figurent dans l'expression « composition antibactérienne abrégée consistant essentiellement en » . La première partie de cette expression, soit « composition antibactérienne abrégée » , n'est pas définie dans la revendication. À mon avis, le formulateur compétent conclurait donc que l'expression sert à distinguer une composition antibactérienne abrégée d'avec une composition antibactérienne non abrégée.

[Non souligné dans l'original.]

(Affidavit de M. Rue, dossier de Ratiopharm, Volume V, onglet B, au paragraphe 102)

Même si la définition de « composition abrégée » ne figure pas dans la revendication 1, elle apparaît dans la « Description détaillée de l'invention » . En conséquence, je n'accorde aucun poids à cette opinion de M. Rue.

[71]            M. Rue est d'avis que les mots « consistant essentiellement en » de la revendication 1 servent à distinguer une composition abrégée d'avec une composition non abrégée; cependant, en contre-interrogatoire, il a accepté pour l'essentiel l'interprétation qu'Abbott a donnée au brevet 614. En effet, il a confirmé en contre-interrogatoire qu'une personne versée dans l'art interpréterait la revendication 1 comme une revendication comportant une liste exhaustive des ingrédients de la composition abrégée, mais il a également convenu que [Traduction] « selon un examen plutôt strict du brevet » , la lecture du deuxième paragraphe de la « Description détaillée de l'invention » est conforme à l'interprétation qu'Abbott fait de la revendication 1, soit que lorsqu'un ingrédient est enlevé de la composition non abrégée, le résultat serait visé par la lecture de cette revendication 1 (recueil d'Abbott, volume I, onglet 23, à la page 479).

[72]            Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer la contradiction apparente que comporte son témoignage d'expert, M. Rue a dit :

[Traduction] [...] Oui, la contradiction est entièrement ma faute.

J'ai compris que M. Mason disait, supposons que le brevet est valide et que la revendication 1 est valide et que, par conséquent, si vous enlevez un élément, le résultat est-il visé par la revendication 1, question à laquelle je répondrais et j'ai répondu oui.

Cependant, c'est seulement en supposant que la revendication 1 est une revendication valable, ce que je ne peux tout simplement pas comprendre.

D'après la façon dont j'interprète le brevet, pour que celui-ci soit inventif, il faut que la liste soit exhaustive; de plus, il doit être étonnant d'une certaine manière que cette liste exhaustive fonctionne. Aucune de ces deux conditions n'est remplie à mon avis.

                (Recueil d'Abbott, volume I, onglet 23, à la page 482)

[73]            En conséquence, je n'accorde aucun poids à l'interprétation que fait M. Rue parce que cette interprétation présuppose que le brevet 614 est invalide, ce qui va à l'encontre de l'arrêt Whirlpool, qui exige l'interprétation des revendications avant l'examen des questions liées à la validité et à la contrefaçon.

[74]            Au soutien de l'argument que Ratiopharm formule dans l'avis d'allégation au sujet de l'interprétation, M. Miller affirme en qualité d'expert, dans son affidavit, que les mots « consistant essentiellement en » de la revendication 1 mènent à la conclusion que cette revendication définit une liste exclusive d'ingrédients de la composition abrégée. Cependant, je n'accorde aucun poids à cette opinion pour deux raisons.

[75]            M. Miller explique dans les paragraphes suivants de son affidavit les raisons pour lesquelles il en est arrivé à sa conclusion :

[Traduction] Pour comprendre la revendication 1 du brevet 614, le formulateur compétent devrait interpréter le sens des mots « composition antibactérienne abrégée consistant essentiellement en » . Pour comprendre la revendication 18 du brevet 614, le formulateur compétent devrait interpréter le sens des expressions « composition antibactérienne abrégée » et « consistant essentiellement en » .

L'expression « composition antibactérienne abrégée » n'est pas un terme technique qui aurait normalement été connu du formulateur compétent en octobre 2002. Le formulateur compétent aurait peut-être bien connu le terme « consistant en » dans le contexte d'une formulation pharmaceutique, mais il est peu probable que le terme « consistant essentiellement en » lui aurait semblé familier. Dans le contexte d'une formulation pharmaceutique, le formulateur aurait su que « consistant en » est un terme employé pour définir une liste exhaustive des ingrédients de la formulation. Il n'aurait pas envisagé la possibilité que la formulation comporte des ingrédients autres que ceux qui sont précisés.

À mon avis, pour interpréter les expressions « composition antibactérienne abrégée » et « consistant essentiellement en » , le formulateur compétent aurait examiné ces expressions dans le contexte de l'ensemble du brevet 614, l'objet de l'invention alléguée qui y est décrite et peut-être le sens ordinaire des mots dont ces expressions se composent.

En lisant le brevet 614, le formulateur compétent aurait été incité à comprendre que l'objet du brevet était d'en arriver à une nouvelle formulation de la composition non abrégée divulguée dans le brevet qui comporterait moins d'ingrédients et dont la fabrication serait moins coûteuse, grâce à un processus simplifié. Le formulateur compétent saurait pertinemment que l'omission d'excipients au moment de reformuler la composition d'un comprimé pourrait réduire à la fois le nombre d'étapes requises pendant le processus de fabrication et le coût de celui-ci.

À mon avis, le formulateur compétent qui examinerait l'ensemble du brevet 614 et l'objectif du brevet conclurait que l'expression « composition antibactérienne abrégée » mentionnée dans la revendication 1 du brevet désigne la formulation non abrégée divulguée dans le brevet mais reformulée de façon à ne pas inclure un ou plusieurs des ingrédients expressément énumérés dans cette formulation. Le formulateur compétent qui lirait la revendication 1 verrait que le jaune D & C no 10, l'amidon prégélatinisé, l'alcool absolu, l'acide stéarique et le talc ont été enlevés de la composition non abrégée divulguée dans le brevet de façon à former la composition antibactérienne abrégée revendiquée dans la revendication 1.

Examinons maintenant la signification de l'expression « consistant essentiellement en » . À mon avis, en ce qui concerne l'objet du brevet 614 qui est d'abréger la composition non abrégée divulguée dans le brevet et compte tenu de l'environnement dans lequel le formulateur compétent travaillait, ce dernier aurait probablement conclu que « consistant essentiellement en » dans la revendication 1 indiquait que la liste d'ingrédients dans la revendication était complète. Le formulateur compétent n'aurait pas probablement envisagé la possibilité de fournir une liste d'ingrédients pour la reformulation d'une préparation pharmaceutique qui n'énumérerait pas tous les ingrédients délibérément ajoutés à la préparation reformulée.

(Affidavit de M. Miller, dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, aux paragraphes 52 à 57)

[76]            D'abord, à mon avis, dans les extraits précités, la démarche que suit M. Miller pour déterminer le sens du terme « consistant essentiellement en » n'est pas supérieure à celle d'une personne qui n'est pas versée dans l'art. M. Miller mentionne d'abord que le terme « consistant essentiellement en » n'était pas connu des personnes versées dans l'art lorsque le brevet 614 a été ajouté au registre des brevets; néanmoins, au paragraphe 57, il tente de formuler un argument sur le sens en se plaçant du point de vue du formulateur compétent, sans donner d'explication au sujet de l'avis d'expert formulé. Il semble que ce soit là le mieux qu'il puisse faire, comme lecteur de la langue anglaise, pour interpréter le texte complexe du brevet 614. En conséquence, j'estime que sa conclusion selon laquelle les termes « consistant en » et « consistant essentiellement en » « auraient fort probablement » le même sens pour le formulateur compétent est tout simplement hypothétique.

[77]            La deuxième raison pour laquelle je n'accorde aucun poids à l'opinion que M. Miller a formulée aux paragraphes 56 et 57 de son affidavit est qu'il n'admet pas l'interprétation avancée par Abbott, qui m'a semblé claire. En effet, la dernière phrase du paragraphe 56 de l'affidavit de M. Miller n'est pas exacte lorsque le sens de « composition abrégée » est pris en compte, comme je l'ai mentionné plus haut au paragraphe 54 des présents motifs. En conclusion, je suis d'avis que l'omission de M. Miller de tenir compte de cette interprétation amoindrit considérablement la validité de son opinion.

[78]            La preuve d'expert de Ratiopharm est également affaiblie par le fait que MM. Rue et Miller ont proposé des opinions de rechange, quoique contradictoires, au sujet d'une interprétation qui n'est pas visée par l'allégation énoncée dans l'avis d'allégation de Ratiopharm. M. Rue s'exprime comme suit :

[Traduction] À mon avis, un formulateur compétent interpréterait le terme « consistant essentiellement en » utilisé dans le brevet 614 comme n'incluant que les ingrédients délibérément ajoutés à la composition visée par la revendication en quantités suffisantes pour avoir un effet matériel sur l'objet de l'invention. [...]

                                (Affidavit de M. Rue, dossier de Ratiopharm, volume V, onglet B, au paragraphe 98)

Et M. Miller fait les commentaires suivants :

[Traduction] J'admets toutefois qu'il y a une autre interprétation possible, mais moins probable, que le formulateur compétent pourrait donner au terme « consistant essentiellement en » . Le formulateur compétent pourrait tenir compte du sens ordinaire du mot « essentiel » . En se fondant sur l'Oxford English Dictionary, il aurait constaté que l'adverbe « essentially » utilisé dans le terme « consisting essentially of » ( « consistant essentiellement en » ) signifie « attribut ou élément essentiel » ou « relativement à des points essentiels, de façon importante, significative » . En d'autres mots, il serait possible de dire que le terme « consistant essentiellement en » signifie « consistant en les éléments importants ou essentiels » . Cette interprétation exclurait tout autre ingrédient important ou essentiel, mais permettrait l'inclusion d'ingrédients autres que ceux qui ne sont pas mentionnés de façon explicite, pourvu qu'ils ne soient pas importants ou essentiels pour cette composition. Une trace de solvant ou une impureté pourrait être un ingrédient non important ou non essentiel de cette nature. J'ajouterais que, à mon avis, l'interprétation du terme « consistant essentiellement en » que j'ai décrite dans le présent paragraphe est celle que le formulateur compétent n'adopterait vraisemblablement pas parce qu'elle irait à l'encontre de l'objet du brevet, qui est de réduire le nombre d'ingrédients entrant dans la composition non abrégée divulguée dans le brevet, et serait contraire à l'intuition du formulateur, qui se laisse normalement guider par son expérience pratique dans la formulation de préparations pharmaceutiques.

                                (Affidavit de M. Miller, dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, au paragraphe 58)

[79]            Ratiopharm a repris cette opinion dans ses observations écrites en ajoutant une interprétation à celle qui avait été exprimée dans l'avis d'allégation :

[Traduction]

59.           Ratiopharm soutient que les mots « composition antibactérienne abrégée consistant essentiellement en ... » dans la revendication 1 du brevet 614 doivent être replacés dans le contexte de l'ensemble du brevet 614, en accord avec l'objectif de l'invention alléguée. Comme on le voit bien dans la composition non abrégée, l'amidon prégélatinisé et le jaune D & C no 10 sont tous les deux des ingrédients essentiels à la composition. L'enlèvement, par exemple de l'amidon prégélatinisé, de la composition non abrégée en ferait une composition abrégée. Ces ingrédients influent donc matériellement sur les caractéristiques nouvelles et fondamentales de la composition. La revendication 1 du brevet 614 doit être interprétée comme excluant ces ingrédients de l'invention revendiquée. Cette interprétation peut être conforme à l'objectif du brevet 614 si les mots « composition antibactérienne abrégée consistant essentiellement en ... » veulent dire (1) consistant uniquement dans les ingrédients expressément mentionnés dans la revendication ou (2) consistant seulement dans les ingrédients expressément énumérés et dans d'autres ingrédients qui ne sont pas délibérément ajoutés.

                                (Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[80]            À mon avis, l'argument tenant à l'interprétation que Ratiopharm invoque dans la présente demande se limite à l'allégation formulée à ce sujet dans l'avis d'allégation (voir Hoffmann-La Roche Ltd. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. n ° 370 (C.F. 1re inst.), et Eli Lilly and Co. et al. c. Novopharm Ltd. et al. (1995), 60 C.P.R. (3d) 163). Étant donné que les opinions de rechange de MM. Rue et Miller et l'argument de Ratiopharm fondé sur celles-ci ne sont pas invoqués dans l'avis d'allégation, ils ne sont pas pertinents.

[81]            Par souci de clarification, il y a un aspect mineur de l'argument d'Abbott tenant à l'interprétation avec lequel je suis en désaccord. Abbott soutient que l'opinion de M. Rue selon laquelle « consistant essentiellement en » signifie « consistant seulement en » devrait être écartée parce que, dans son propre brevet, il n'accorde pas aux mots « consistant essentiellement en » le sens de « consistant seulement en » . Je conviens avec Ratiopharm que les mots du brevet de M. Rue sont utilisés à une fin différente de celle des mots du brevet 614 et que, par conséquent, il n'y a aucune contradiction.

C. Conclusion

[82]            Je suis d'avis qu'Abbott interprète correctement la revendication 1 du brevet 614.

VII.     La formulation de Ratiopharm constitue-t-elle une contrefaçon du brevet 614?

[83]            Tel qu'il est mentionné plus haut, il est admis que, si l'interprétation que fait Abbott de la revendication 1 est jugée correcte, le produit de Ratiopharm constituera une contrefaçon du brevet 614. En conséquence, étant donné que je suis d'avis que l'interprétation que donne Abbott du brevet est correcte, je conclus que la formulation de Ratiopharm constitue une contrefaçon du brevet 614.

VIII.     Le brevet 614 est-il invalide pour cause d'évidence?

[84]            Le critère relatif à l'évidence est bien compris :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire

(Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) à la page 294)

[85]            Comme il a été décidé à la section II qui précède, il incombe à Ratiopharm d'établir selon la prépondérance de la preuve qu'une personne versée dans l'art serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet 614.

[86]            L'allégation d'évidence de Ratiopharm est résumée comme suit dans l'avis d'allégation :

[Traduction] L'invention alléguée dans chaque revendication du brevet 614 était évidente à la date de ladite revendication, compte tenu des antériorités mentionnées à l'annexe A ci-jointe ainsi que des connaissances générales dans le domaine. Les antériorités mentionnées à l'annexe A ont toutes été publiées pour la première fois avant la date des revendications du brevet 614.

Il appert des antériorités mentionnées à l'annexe A que, depuis bien avant la date des revendications :

a)              la mise au point d'une formulation de comprimé pour la fabrication à grande échelle de comprimés était courante;

b)            le processus de granulation humide était bien connu;

c)             les excipients revendiqués dans le brevet pour la soi-disant composition abrégée étaient tous bien connus et couramment utilisés, et la quantité de chaque excipient requis était bien connue ou pouvait être déterminée par des techniques usuelles;

d)            l'emplacement des excipients par rapport à la structure du comprimé dépend de la fonction de cet excipient;

e)             le concept d'une « composition abrégée » contenant un nombre réduit d'excipients de sorte que le comprimé soit le plus acceptable possible pour le patient et que le processus de fabrication soit simple et courant était un concept que connaissait bien le formulateur compétent

[Non souligné dans l'original.]

(Dossier d'Abbott, volume I, onglet 1, à la page 29)

[87]            Au soutien de ses allégations, Ratiopharm invoque les arguments suivants :

                                [Traduction]

75.            Il n'est pas nécessaire de manifester un esprit d'invention pour suivre une voie évidente et bien tracée, en faisant appel à des techniques et procédés connus utilisant des compositions connues, à moins que l'inventeur n'éprouve des difficultés auxquelles ne se serait pas raisonnablement attendue une personne versée dans l'art ou qui n'auraient pas pu être surmontées par le recours à des compétences ordinaires.

Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), à la page 269; conf. par (2000), 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.).

Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 466 (C.F. 1re inst.), à la page 489.

76.            Le brevet 614 ne révèle pas que la composition abrégée comporte de nouveaux usages ou des résultats ou propriétés étonnants qui sont manifestement supérieurs à la composition non abrégée, composition connue et disponible dans le commerce autrement que par la méthode apparemment plus simple et moins coûteuse que représente la disponibilité dans le commerce du médicament clarithromycine. L'invention alléguée comprend plutôt une composition qui renferme des ingrédients connus compilés d'une manière connue. Le brevet 614 ne montre pas que la composition abrégée qui en découle a produit un résultat allant plus loin que celui auquel le formulateur compétent aurait pu s'attendre en utilisant les enseignements des antériorités.

Struthers Scientific International Corp. c. Commissaire des brevets (1973), 30 C.P.R. (2d) 70 (Comm.), aux pages 75 et 76.

77.            Le brevet 614 ne montre aucun avantage imprévu découlant de l'étape évidente que constitue le retrait d'ingrédients de la composition non abrégée pour obtenir la composition abrégée.

78.                  À la date de la revendication, il aurait été évident pour le formulateur compétent que, pour abréger la composition non abrégée, le formulateur n'avait qu'à enlever ou omettre l'un des ingrédients de la composition non abrégée.

Contre-interrogatoire d'Amidon, page 1377, ligne 12 à la page 1378, ligne 18; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D

79.            La question est de savoir si, à la date de la revendication, l'invention revendiquée dans le brevet 614 interprété par Abbott aurait été évidente aux yeux du formulateur compétent.

[Non souligné dans l'original.]

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[88]            En ce qui concerne la question formulée au paragraphe 79, Ratiopharm cite trois éléments de preuve pour soutenir que le fait d'enlever un ingrédient de la composition abrégée ne comporte aucun élément inventif :

[Traduction]

80.           À la date de la revendication, les variantes antérieures auxquelles avait accès le formulateur compétent incluaient la formulation en comprimé pour adulte de 500 mg de clarithromycine. Cette formulation en comprimé ne contenait pas l'amidon prégélatinisé prévu dans la composition non abrégée. Il ressort donc clairement qu'il aurait été évident pour le formulateur compétent, à la date de la revendication, que la composition non abrégée pourrait être abrégée par l'enlèvement de l'amidon prégélatinisé de la composition non abrégée.

Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (2000), pièce A-11 de l'affidavit de North; dossier de Ratiopharm, volume II, onglet 11, à la page 488

Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp. (2002), 17 C.P.R. (4th) 478 (C.A.F.), aux pages 496 à 500

Affidavit de Rue, paragraphes 56 à 58 et 123; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet B, aux pages 1246, 1247 et 1264

Affidavit de Miller, paragraphes 45 et 75; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, aux pages 1300 et 1309

81.           De plus, il aurait également été évident à la date de la revendication que la composition non abrégée pourrait être abrégée par l'enlèvement du jaune D & C no 10. En contre-interrogatoire, M. Amidon a dit :

Q. Et vous êtes d'accord avec moi, n'est-ce pas, que si la personne versée dans l'art en septembre 2002 allait à la page 2, ligne 17, du brevet, examinait la liste d'ingrédients qui suit cette ligne dans le brevet, et enlevait le jaune D & C no 10, la composition non abrégée de clarithromycine vendue dans le commerce aurait été abrégée?

R. Je pense qu'une personne versée dans l'art considérerait un colorant qu'on ajoute sur un comprimé ou intègre dans un comprimé comme étant une petite quantité ou considérerait la non-inclusion d'un colorant comme étant un changement mineur. J'examinerais le brevet pour déterminer si cet élément est inclus ou non. Il y a - dans le brevet il n'y a pas de liste - dans le brevet à la page deux, à partir de la ligne 17, oui - il y a un colorant, de sorte que cela pourrait être techniquement une formulation abrégée.

Q. Oui, ce serait techniquement le cas, n'est-ce pas?

R. Techniquement, oui.

[...]

Q. Conviendriez-vous avec moi, M. Amidon, qu'en date de septembre 2002, une personne versée dans l'art ne ferait preuve d'aucun génie inventif en enlevant un colorant, à savoir le jaune D & C no 10, de la composition non abrégée de clarithromycine vendue dans le commerce dont il est question à la ligne 17 de la page 2 afin d'abréger la composition?

R. Je pense qu'enlever le colorant serait considéré comme un changement mineur. Ce serait techniquement considéré comme une formule abrégée.

Q. Il n'y a aucun génie inventif dans l'enlèvement du colorant, n'est-ce pas?

R. C'est peu probable.

Contre-interrogatoire de M. Amidon, à la page 1391, lignes 4 à 21 et à la page 1395, ligne 18 à la page 1396, ligne 4; dossier de Ratiopharm, volume VI, onglet D

82.           En outre, les excipients utilisés dans la composition abrégée étaient couramment utilisés comme excipients dans les formulations de préparations pharmaceutiques obtenues par granulation humide à la date de la revendication. Compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes à la date de la revendication, un formulateur compétent en serait directement et facilement arrivé à la solution qui, selon Abbott, est visée par la revendication 1 du brevet 614, en suivant simplement les pratiques industrielles courantes et en utilisant les procédures industrielles standard d'analyse par un processus mécanique et sans faire preuve d'esprit inventif.

Affidavit de Rue, paragraphes 119 à 134; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet B, aux pages 1264 à 1269

Affidavit de Miller, paragraphes 69 à 79; dossier de Ratiopharm, volume V, onglet C, aux pages 1307 à 1312

(Mémoire des faits et du droit de Ratiopharm)

[89]            À mon avis, pour les trois raisons mentionnées ci-après, Ratiopharm n'a pas établi selon la norme de la prépondérance de la preuve son argument concernant l'évidence.

[90]            Premièrement, j'estime que la preuve dont il est question aux paragraphes 80 à 82 n'apporte rien à l'argument selon lequel la formulation revendiquée dans la revendication 1 serait évidente aux yeux d'un formulateur compétent. Il n'y a aucune preuve démontrant que, étant donné qu'on savait que l'amidon et la couleur pouvaient être enlevés, ou que les excipients de la composition abrégée étaient utilisés dans les formulations par granulation humide, des formulateurs sauraient d'après l'état antérieur de la technique à quel endroit placer les excipients dans une formulation abrégée pour obtenir une bioéquivalence à la formulation non abrégée de BIAXIN.

[91]            Deuxièmement, je reconnais le bien-fondé de l'argument avancé par M. Mason à l'audience, à savoir que M. Bloom n'aurait pas dû interroger M. Amidon au sujet du brevet 614. M. Mason a fait valoir que le brevet 614 fournit des renseignements non disponibles dans le CPS [Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (2000)] concernant l'emplacement de certains des excipients et aurait donc dû demander à M. Amidon de dire dans quelle mesure il aurait été évident d'enlever un excipient de la liste de ceux énumérés dans le CPS, et non dans le brevet 614. M. Mason a insisté sur le fait que l'invention dans le brevet 614 ne consiste pas simplement en l'enlèvement du jaune D & C no 10 ou de l'amidon, qu'il s'agit de l'emplacement des excipients dans leurs sites spécifiques, après l'enlèvement d'au moins l'un d'entre eux.

[92]            Je souscris à l'argument de M. Mason et je n'accorde donc aucun poids à l'argument de Ratiopharm qui est fondé sur le contre-interrogatoire de M. Amidon.

[93]            Troisièmement, en réponse aux allégations générales que Ratiopharm a formulées au sujet de l'évidence, Abbott établit de façon précise et bien étayée que la composition abrégée est inventive.

[94]            Le principal argument d'Abbott est le suivant :

[Traduction]

101.         Le brevet 614 est un brevet de perfectionnement et est inventif parce qu'il révèle, pour la première fois, les excipients précis qui sont nécessaires pour fabriquer la composition non abrégée et les emplacements de ces excipients, et il révèle également les excipients qui peuvent être enlevés et conservés à cette fin. Comme M. Amidon l'a souligné, une composition abrégée de clarithromycine est particulièrement audacieuse, étant donné que la clarithromycine est un composé de classe IV qui est pour ainsi dire insoluble et peu perméable, dont le goût n'est pas palpable et qui constitue une grande molécule complexe comportant de nombreux groupes fonctionnels susceptibles de poser des problèmes de dégradation. C'est là un résultat nettement supérieur à l' « étincelle d'esprit inventif » nécessaire pour appuyer la validité d'un brevet.

Référence :      Affidavit d'Amidon, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, paragraphe 59, à la page 237

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[95]            Au cours de son témoignage, M. Amidon précise également que le simple fait que deux excipients aient des fonctions similaires ne signifie pas que l'un d'eux peut être enlevé (affidavit de M. Amidon, dossier d'Abbott, volume II, onglet 3, au paragraphe 62). Qui plus est, M. Byrn confirme que la formulation devient plus complexe lorsqu'il y a des excipients tant intragranulaires qu'extragranulaires (affidavit de M. Byrn, dossier d'Abbott, volume II, onglet 2, au paragraphe 95). Effectivement, M. Rue a admis que quelques-unes des réalisations antérieures ne concernent que l'excipient extragranulaire. En conséquence, en formulant la composition conformément aux réalisations antérieures, la personne versée dans l'art n'en arriverait pas nécessairement au brevet 614 (contre-interrogatoire de M. Rue, dossier d'Abbott, volume III, onglet 5, aux pages 434 à 438).

[96]            La réponse d'Abbott au sujet de la question de l'évidence est solidement appuyée par les déclarations des témoins experts de Ratiopharm sur la nécessité de mener des expérimentations pour en arriver à l'invention.

[97]            M. Miller convient qu'il serait nécessaire de procéder à une évaluation approfondie de la formulation non abrégée. Cette opinion est résumée comme suit :

[Traduction]

106.          Dans son affidavit, M. Miller a « décrit » comment une personne versée dans l'art pourrait « déduire » la composition abrégée revendiquée dans le brevet 614 :

Le formulateur aurait probablement examiné en premier lieu la liste des ingrédients dans la formulation telle qu'elle apparaît dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques 2000. À la lumière des connaissances générales courantes dans le domaine, le formulateur aurait ensuite commencé à choisir les excipients candidats qui seraient omis dans la formulation de 250 mg d'Abbott.

Référence :        Affidavit de M. Miller, paragraphe 76, à la page 25

107.         Une fois que le formulateur détermine quels excipients enlever, la personne aurait mis au point des formulations prototypes et aurait effectué les tests de stabilité et de dissolution courants sur les formulations prototypes dans le but d'obtenir une formulation plus efficace qui répondrait aux objectifs communiqués au formulateur.

Référence :         Affidavit de M. Miller, paragraphe 76, à la page 25

(Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[98]            Abbott cite également avec justesse certains extraits de la preuve pour formuler les arguments suivants :

[Traduction]

109.          Le point de départ pour la personne versée dans l'art serait le CPS qui énumère certains des ingrédients contenus dans la formulation commerciale d'Abbott. Bien que les experts de Ratiopharm laissent entendre dans leurs affidavits que la formulation commerciale contient un grand nombre de constituants redondants (ce qui souligne le caractère évident de l'identification et de l'enlèvement des excipients), M. Miller a admis en contre-interrogatoire qu'un formulateur compétent qui examinerait le CPS prendrait malgré tout comme point de départ que les ingrédients sont présents dans la formulation pour une raison et qu'on pourrait savoir avant l'expérimentation combien d'excipients pourraient être enlevés, en quelles quantités et selon quelles combinaisons. Cette seule admission suffit pour trancher la question de l'allégation d'évidence de Ratiopharm.

Référence :            Contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, aux pages 570 et 600 (questions 370-372 et 469)

                                [...]

113.         M. Miller a admis en contre-interrogatoire qu'avant de sélectionner les constituants qui pourraient être enlevés et d'effectuer des expériences, une personne versée dans l'art saurait combien d'excipients, le cas échéant, pourraient être enlevés, en quelles quantités et selon quelles combinaisons. Pour cette raison, un « ensemble d'expériences » est nécessaire afin d'en arriver à une combinaison abrégée.

Référence :            Contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, à la page 562 (questions 339-340), aux pages 570 à 572 (questions 370-372 et 374-376) et à la page 600 (question 469)

                                [...]

119.         Cet « ensemble d'expériences » devraient ensuite être répétées, une par une, puis deux par deux, enfin trois par trois, etc., chaque excipient sélectionné étant enlevé à son tour de la formulation, puis toutes les expériences devraient être répétées. Les permutations et les combinaisons d'excipients enlevés sont nombreuses et les expériences à faire se compteraient par centaines.

Référence :            Contre-interrogatoire de Miller, dossier d'Abbott, volume III, onglet 6, aux pages 597 et 598 (questions 455-462)

                                (Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[99]            Je souscris toutefois à l'argument d'Abbott selon lequel l'expérimentation n'est pas permise, compte tenu de la série de décisions uniformes que la Cour fédérale a rendues à ce sujet :

[Traduction]

98.            La juge Snider a récemment résumé le critère de l'évidence en soulignant que la solution au problème existant doit être « simple comme bonjour » ou « claire comme de l'eau de roche » . La Cour doit déterminer si une personne versée dans l'art arriverait, en fonction de l'état des connaissances, à l'invention revendiquée sans effectuer de plus amples expérimentations, réflexions ou recherches sérieuses.

Référence :             (Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (2004), 32 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 36)

99.            La Cour d'appel a accepté le critère de l'évidence que la juge Snider a formulé et elle a précisé qu'aucune décision rendue depuis l'arrêt Beloit n'a eu pour effet d'alléger le fardeau de la preuve à ce sujet.

Référence :            (Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 37 C.P.R. (4th) 289 (C.A.), aux paragraphes 43 à 47)

100.          La juge Layden-Stevenson a récemment rejeté une allégation d'évidence fondée sur la même hypothèse que celle que Ratiopharm a mise de l'avant en l'espèce :

Aussi, même si on s'imaginerait normalement que le laboratoire de cette personne mythique est plein d'éprouvettes et de boîtes de Pétri mythiques et qu'elle passe sa vie en expérimentations, aucune recherche de cette nature n'est prise en compte aux fins de l'application du critère juridique. Toute logique qu'ait pu paraître à une personne effectivement versée dans l'art à cette époque, en fonction de l'état des connaissances, de mener certaines expérimentations, cela n'est pas permis au technicien mythique versé dans l'art. Ce chercheur mythique ne peut posséder un esprit de recherche ou de réflexion qui le conduirait ultimement à la solution, mais on attend plutôt de lui qu'il s'exclame instantanément et spontanément, sans plus, « Je connais déjà la réponse et elle est évidente » .

Référence :            (AB Hassle c. Genpharm Inc., [2003] A.C.F. n ° 1910, (1re inst.), aux paragraphes 112 et 113; conf. par [2004] A.C.F. n ° 2079, (C.A.))

                                (Mémoire des faits et du droit d'Abbott)

[100]        Compte tenu de la preuve montrant qu'il serait nécessaire de mener des expérimentations pour en arriver à l'invention, Ratiopharm cite la décision Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Limited (2004), 35 C.P.R. (4th) 353 (C.F.), à la page 374, pour soutenir que des « essais de routine » sont autorisés :

... [L]e critère de l'évidence n'exclut pas les essais de routine visant à déterminer les caractéristiques des composés connus non effectués dans un but de « quête d'une nouveauté » , mais plutôt dans celui de vérifier les attributs véritables de composés déjà connus lorsque les résultats n'indiquent aucun nouvel usage, ne donnent aucun résultat surprenant ou ne font pas état de propriétés clairement supérieures à celle d'un composé breveté connu. En ce qui a trait à la question de savoir, au regard de l'évidence, s'il y a eu une activité inventive ou une « expérimentation excessive » , voir le raisonnement de la juge Dawson de la Cour dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 466 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 103 à 114.

Ratiopharm soutient que l'obtention de la formulation abrégée découlerait d'un essai « de routine » .

[101]        Pour les deux raisons mentionnées ci-après, je n'accepte pas l'argument de Ratiopharm concernant les « essais de routine » , qui est fondé sur la décision Janssen-Ortho. D'abord, je ne puis conclure que la citation comporte un raisonnement suffisamment détaillé qui permettrait d'infirmer la jurisprudence bien établie sur cette question; ensuite, les essais qui seraient nécessaires dans la présente affaire ne seraient pas des essais « de routine » ; à mon avis, il s'agirait plutôt d'investigations intensives.

[102]        En conséquence, je rejette l'argument de Ratiopharm concernant l'évidence.

IX.        Les allégations de Ratiopharm sont-elles fondées?

[103]        Pour les motifs exposés plus haut, la réponse à cette question est « non » .

ORDONNANCE

concernant la requête en radiation

            Pour les raisons exposées à la section I des présente motifs, la requête en radiation est rejetée.

            Les dépens de la requête en radiation sont adjugés à Abbott, selon les conditions qui seront déterminées après la présentation d'arguments supplémentaires.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


ORDONNANCE

concernant la demande

            Pour les raisons exposées dans les sections II à IX des présents motifs, il est interdit au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Ratiopharm, Division de Ratiopharm Inc., avant l'expiration du brevet canadien no 2,393,614.

            Les dépens de la demande sont adjugés à Abbott, selon les conditions qui seront déterminées après la présentation d'arguments supplémentaires.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-428-04

INTITULÉ :                                        ABBOTT LABORATORIES et

                                                            ABBOTT LABORATORIES LIMITED

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM,

                                                            DIVISION DE RATIOPHARM INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :              LES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DES ORDONNANCES

ET ORDONNANCES :                      LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 24 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Andy Reddon

Steven Mason

POUR LES DEMANDERESSES

David W. Aitken

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin and Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS



* N.d.T. : L'acronyme PDNS signifie « présentation de drogue nouvelle supplémentaire » , soit l'équivalent de « supplément à une présentation de drogue nouvelle » (SPDN).

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