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Date : 20060315

Dossier : T-1847-03

Référence : 2006 CF 340

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et

ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

demanderesses

 

- et -

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

APOTEX INC.

défendeurs

 

VERSION PUBLIQUE DES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une requête d’Abbott Laboratories et d’Abbott Laboratories, Limited (Abbott) visant à obtenir une ordonnance :

            1.         déclarant Jack Dunitz inhabile à comparaître comme témoin pour Apotex Inc. (Apotex) dans la présente instance et radiant son témoignage du dossier;

            2.         accordant à Abbott les dépens de la présente requête.

[2]               Par voie d’une lettre datée du 31 mai 2002, Apotex a signifié à Abbott son premier avis d’allégation (avis d’allégation no 1) à l’égard de la clarithromycine. La seule allégation formulée dans cet avis est que le brevet no 2,261,732 d’Abbott (le brevet 732) est invalide.

 

[3]               Par suite de la signification de l’avis d’allégation no 1, Abbott a désigné Jack David Dunitz comme témoin expert éventuel.

 

[4]               Le 2 juillet 2002, Marcus Klee, du cabinet d’avocats McCarthy Tétrault s.r.l. (l’avocat d’Abbott), a envoyé un courriel à M. Dunitz et a eu une conversation avec lui. M. Klee a également transmis à M. Dunitz quelques documents de base, dont le brevet 732.

 

[5]               Le 17 juillet 2002, M. Dunitz et les membres supérieurs de l’équipe canadienne chargée du litige pour Abbott ont tenu une conférence téléphonique à laquelle ont participé MM. Andrew Reddon, Steven Mason, Marcus Klee, Steve Crowley, gestionnaire principal de l’administration des brevets pour Abbott U.S., et Greg Donner, agent principal des brevets d’Abbott U.S.

 

[6]               Au début de la conférence, il a été clairement indiqué à M. Dunitz que les communications qui y seraient faites étaient strictement confidentielles. On l’a également informé qu’il aurait à signer un accord de consultation, ce qu’il a fait. Cet accord exigeait que M. Dunitz considère les questions abordées comme confidentielles.

 

[7]               Les paragraphes 11 à 15 de l’affidavit d’Andrew J. Reddon sont les suivants :

[Traduction]

11.           Au début de la conversation, j’ai dit à M. Dunitz de manière on ne peut plus claire que les communications faites lors de la conférence téléphonique étaient des plus confidentielles. Je lui ai dit aussi qu’il recevrait un accord de consultation officialisant les conditions de son mandat, notamment sa rémunération et son accord pour préserver la confidentialité des questions traitées (y compris les sujets dont il a été question lors de cette première conférence téléphonique). Cela ne lui posait aucun problème et il s’est dit tout à fait d’accord. Si M. Dunitz n’avait pas été d’accord, nous n’aurions pas poursuivi la conférence et nous n’aurions divulgué aucune information confidentielle.

 

12.           J’ai mené la discussion avec M. Dunitz au cours de la conférence téléphonique. J’ai discuté de la stratégie juridique qu’Abbott entendait suivre pour défendre la validité du brevet 732, ainsi que pour contester les questions de contrefaçon éventuelles.

 

13.           En particulier, une partie de la discussion a consisté à faire part à M. Dunitz d’importants éléments de la stratégie juridique d’Abbott au sujet de l’interprétation du brevet 732, et aborder la stratégie juridique qui serait suivie pour contester les allégations d’invalidité avancées par Apotex. M. Dunitz a fait des commentaires sur la stratégie juridique lors de la conférence téléphonique. Il a également été question, de façon générale, de la stratégie juridique relative à la clarithromycine Formule II, laquelle est également l’objet du brevet 606 qui revendique la clarithromycine Formule II en soi.

 

14.           Se fondant sur la conversation, M. Dunitz a formulé des conclusions et des opinions au sujet du brevet 732, de son interprétation et de sa validité, de même qu’au sujet de la preuve d’Abbott en général.

 

15.           Après la conférence téléphonique et, comme il avait été convenu avant les discussions tenues dans le cadre de cette conférence, le cabinet McCarthy et M. Dunitz ont conclu un accord de consultation officiel portant sur les conditions de son mandat, ce qui incluait les questions de rémunération et de confidentialité. L’accord de consultation a pris fin en février 2004. Malgré cela, M. Dunitz demeure lié par les conditions de l’accord en ce qui concerne le travail qu’il a accompli pour Abbott et les discussions qu’il a eues avec Abbott et ses avocats le 17 juillet 2002. Une copie de l’accord de consultation signé est jointe à la présente sous la cote B.

 

[8]               Apotex a signifié à Abbott un deuxième avis d’allégation (avis d’allégation no 2) le 25 août 2003. Elle allègue dans cet avis la non‑contrefaçon et l’invalidité de brevets additionnels inscrits par Abbott après la signification de l’avis d’allégation no 1. Elle y allègue aussi la non‑contrefaçon et l’invalidité du brevet 732. La présente instance, qui vise à déclarer M. Dunitz inhabile à témoigner pour le compte d’Apotex, a été engagée en réponse à l’avis d’allégation no 2.

 

[9]               Quand Apotex a déposé ses affidavits d’expert à l’appui de ses allégations formulées dans l’avis d’allégation no 2 au sujet du brevet 732, l’un d’eux était celui de Jack Dunitz. Les évaluations écrites, préparées par M. Dunitz, pour le compte d’Apotex contenaient une opinion au sujet de la validité du brevet 732.

 

[10]           M. Reddon a déclaré ce qui suit aux paragraphes 21 à 24 de son affidavit :

[Traduction]

21.           Certaines des opinions qu’exprime M. Dunitz dans son affidavit sont des conclusions qu’il a tirées et exprimées, et des questions dont nous avons discuté à la conférence téléphonique et qu’il a accepté de tenir confidentielles. Il est impossible que M. Dunitz ait rédigé son affidavit sans avoir des discussions approfondies et des consultations détaillées avec les avocats d’Apotex.

 

22.           Après avoir reçu l’affidavit de M. Dunitz, Abbott a avisé Apotex de son opposition à la présence de M. Dunitz comme témoin expert dans la présente instance, ainsi que des motifs pour lesquels elle s’y opposait. Malgré l’opposition d’Abbott, Apotex continue de se fonder sur l’affidavit de M. Dunitz. Une copie des objections soulevées par mon collègue, M. Mason, et de la réponse reçue de M. Brodkin du cabinet Goodmans est jointe à la présente sous la cote B.

 

23.           Si M. Dunitz est autorisé à agir comme témoin dans cette affaire, le préjudice qui sera causé à Abbott est évident. Ni moi, ni qui que ce soit d’autre chez McCarthy ou Abbott n’aurions divulgué des renseignements confidentiels à M. Dunitz si nous avions su que ce dernier tenterait de les utiliser contre Abbott, ou même s’il y avait eu un risque – comme c’est manifestement le cas en l’espèce – que de tels renseignements soient ou puissent être divulgués. Nous n’aurions pas non plus consulté M. Dunitz si nous avions pensé – ne serait-ce qu’une seconde ‑ qu’il pourrait manquer à ses obligations en matière de confidentialité.

 

24.           Il existe des centaines, voire des milliers de témoins dont les compétences sont au moins aussi pertinentes et étendues que celles des experts d’Apotex. Même en l’espèce, Apotex a accès à d’autres experts qui s’occupent des mêmes questions que M. Dunitz. Apotex ne subira aucun préjudice si M. Dunitz est récusé et si son affidavit est radié.

 

[11]           Questions en litige

1.         Faut-il rejeter la requête d’Abbott pour cause de délai?

2.         Faut-il rejeter la requête d’Abbott parce que cette dernière a pris dans le litige une « nouvelle mesure » qui l’empêche maintenant de s’opposer à l’affidavit de M. Dunitz?

3.         Faut-il rejeter la requête d’Abbott parce que cette dernière l’a introduite pour des raisons tactiques ou stratégiques?

4.         Faut-il déclarer que M. Dunitz est inhabile à comparaître comme témoin pour Apotex et radier son témoignage du dossier?

 

Analyse et décision

 

[12]           Question no 1 : Faut-il rejeter la requête d’Abbott pour cause de délai?

            Apotex a déclaré qu’il convient de rejeter la requête à cause du délai qui s’est écoulé entre le moment où la question de la récusation a été soulevée pour la première fois et celui où la requête a été introduite. J’ai examiné le dossier et je constate que la question de la récusation a été soulevée pour la première fois en avril 2005, après le dépôt de l’affidavit de M. Dunitz. En juin, juillet et août, les parties ont négocié au sujet de cette question afin d’éviter d’avoir à présenter une requête, mais aucune solution n’a été trouvée. Les demanderesses voulaient que la requête soit examinée le 22 août 2005, mais les avocats d’Apotex n’étaient pas disponibles. L’affaire a par la suite été mise au rôle pour le 12 septembre 2005, mais elle a été finalement entendue le 24 octobre 2004. Le délai de 24 mois prévu pour prononcer une ordonnance d’interdiction a aussi été prorogé. Compte tenu de ce contexte factuel, je ne suis pas disposé à rejeter la requête pour cause de délai.

 

[13]           Question no 2 : Faut-il rejeter la requête d’Abbott parce que cette dernière a pris dans le litige une « nouvelle mesure » qui l’empêche maintenant de s’opposer à l’affidavit de M. Dunitz?

            Apotex a fait valoir qu’en demandant et en obtenant une modification à l’ordonnance établissant l’échéancier, Abbott a pris une nouvelle mesure dans l’action et ne peut pas maintenant présenter une requête en vue de faire récuser M. Dunitz. Je ne vois dans le dossier aucune preuve indiquant qu’Abbott a renoncé à son intention d’essayer de faire récuser M. Dunitz. Je conviens avec Abbott que tout changement à l’échéancier donnerait aussi du temps pour contre-interroger M. Dunitz, car Abbott ne saurait pas à ce moment si sa requête serait fructueuse. Je ne rejetterai pas la requête d’Abbott à cause de la nouvelle mesure qui a été prise.

 

[14]           Question no 3 : Faut-il rejeter la requête d’Abbott parce que cette dernière l’a introduite pour des raisons tactiques ou stratégiques?

            Apotex a laissé entendre qu’Abbott a consulté M. Dunitz et lui a fait part de renseignements confidentiels à seule fin de l’empêcher de témoigner contre Abbott si jamais quelqu’un comme Abbott retenait ses services. Je ne puis trouver aucune preuve à l’appui de cette prétention, ni aucune preuve permettant de tirer une telle inférence. La requête ne sera pas rejetée pour ce motif.

 

[15]           Question no 4 : Faut-il déclarer que M. Dunitz est inhabile à comparaître comme témoin pour Apotex et radier son témoignage du dossier?

            Dans sa requête, Abbott a demandé que M. Dunitz soit déclaré inhabile à témoigner et que son témoignage soit radié du dossier. La protonotaire Milczynski a dit ce qui suit dans une décision récente, Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la santé), 2006 CF 76, aux paragraphes 19 à 21 :

[19]         La méthode qu'il convient d'appliquer pour établir s'il convient de récuser ou non un expert consiste à examiner les faits et les circonstances de l'espèce, ainsi que les éléments suivants :

 

·         si l'expert était conscient qu'on lui communiquait des renseignements confidentiels et que l’on s’attendait à ce que leur caractère confidentiel soit respecté;

 

·         la nature des renseignements confidentiels;

 

·         le risque de divulgation des renseignements confidentiels;

 

·         le risque de préjudice pour la partie qui conteste l'expert ou pour la partie qui cherche à retenir les services de l'expert contesté;

 

·         l'intérêt de la justice et la confiance du public dans le processus judiciaire.

 

[20]         Ces principes exigent donc que la Cour cherche à concilier les intérêts de la partie qui souhaite retenir les services d'un témoin expert et ceux de la partie qui veut protéger ses renseignements confidentiels. À cet égard, l'avocat de Pharmascience signale le risque que des témoins experts soient appelés dans l'unique but de priver la partie adverse de la possibilité de faire appel à leur expertise. Ce risque a été décrit avec éloquence par lord Denning dans Harmony Shipping Co. SA c. Davis et al., [1979] 3 All ER 177 (C.A.) :

 

[traduction] Si une partie pouvait lier les mains d'un expert du simple fait qu'elle lui donnait des instructions, il serait très facile pour un riche client de consulter chacun des experts reconnus dans un domaine donné. Chacun d'eux pourrait donner une opinion défavorable à l'homme riche et, néanmoins, ce dernier pourrait dire à chacun d'eux, « Vous êtes tenu au silence et vous ne pouvez pas témoigner en cour contre moi » [...] Faut-il en conclure que si une partie a accaparé la totalité des experts, la partie adverse est empêchée de faire appel à des témoignages d'experts? Certes non [...] Un témoin expert n'appartient à personne tant en ce qui concerne les faits qu'il a observés que l’appréciation indépendante qu’il en a faite. Étant donné qu'il n'appartient à personne, le témoin a l’obligation de comparaître devant la cour et, à la demande du juge, de témoigner.

 

[21]         Dans Labee c. Peters, [1996] A.J. no 809 (Cour du Banc de la Reine de l'Alberta), la Cour, après avoir examiné plusieurs précédents, a énoncé les principes suivants :

 

1.             Un témoin n'appartient à personne.

 

2.             Même si une partie a retenu les services d'un expert et lui a communiqué des renseignements confidentiels, une partie adverse peut néanmoins obtenir l'avis de cet expert et lui demander de témoigner au procès.

 

3.             Par contre, l'expert ne peut pas être interrogé sur les renseignements confidentiels que l'avocat de la partie adverse lui a communiqués, et il ne peut pas non plus divulguer une opinion qu'il a donnée à l'avocat de la partie adverse.

 

[16]           Dans cette affaire, il ressortait de la preuve que l’expert avait reçu d’Abbott des renseignements confidentiels au sujet de la stratégie de défense de cette dernière et qu’il avait pris part à des discussions confidentielles sur cette stratégie avec les avocats d’Abbott.

 

[17]           Dans l’arrêt MacDonald Estate c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, le juge Sopinka a dit ce qui suit à la page 1260 :

D’ordinaire, ce type d’affaire soulève deux questions : premièrement, l’avocat a‑t‑il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige? Deuxièmement, y a‑t‑il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

 

Il était question dans cette affaire de l’utilisation de renseignements confidentiels par des avocats.

 

[18]           Dans la présente espèce, les services de M. Dunitz ont d’abord été retenus par Abbott et ce dernier s’est entretenu dans le cadre d’une conférence téléphonique avec des avocats et des dirigeants d’Abbott. M. Dunitz a également signé un accord de consultation l’obligeant à respecter la confidentialité des questions traitées, dont celles qui ont été abordées lors de la conférence téléphonique. Selon le témoignage d’Andrew J. Reddon, la discussion a consisté, notamment, à faire part à M. Dunitz de la stratégie juridique concernant le brevet 732 et de celle qui serait suivie pour contester les allégations d’invalidité avancées par Apotex. Il a également été question de la stratégie juridique concernant la clarithromycine Formule II, qui était l’objet du brevet 606. M. Dunitz était tenu de préserver la confidentialité de ces questions après l’expiration de l’accord de consultation.

 

[19]           Quand Apotex a communiqué pour la première fois avec lui, M. Dunitz a fait part de ses préoccupations à propos de la question de la confidentialité. Voici ce qu’il a dit dans un courriel adressé à Ivor Hughes, un avocat d’Apotex :

[Traduction]

De : J. D. Dunitz [dunitz@org.chem.ethz.ch]

Date : Vendredi, 25 février 2005 15:51

À : ivor@ivormhughes.com

Objet : Clarithromycine

 

Monsieur,

 

Lors de votre appel plus tôt au cours de la soirée, le nom clarithromycine m’a dit quelque chose. J’ai vérifié dans mes papiers et j’ai vu qu’en juillet 2002, j’ai eu plusieurs conversations téléphoniques avec l’équipe de McCarthy Tétrault s.r.l., à Toronto, au sujet du brevet 732 d’Abbott, dont on m’a envoyé une copie à ce moment-là, ainsi que des copies des avis d’allégation de Genpherm [sic], Pharmascience, Apotex et Novopharm. [Passage supprimé pour des raisons de confidentialité.] En octobre 2002, j’ai accepté d’agir comme consultant dans le litige canadien entourant le brevet 732, mais je n’ai plus entendu parler de l’affaire. En janvier 2004, j’ai écrit qu’étant donné que je ne voulais pas être lié pendant un temps indéfini, je souhaitais mettre fin à l’accord de consultation; en réponse, on m’a informé qu’étant donné que « l’affaire a pris plusieurs tournures imprévues […] nous ne prévoyons plus avoir besoin de votre aide ». Le 19 juillet 2004, c’est-à-dire quelques semaines après notre contact initial, j’ai écrit pour mettre officiellement fin à l’accord conclu avec McCarthy Tétrault à propos du brevet 732.

 

À mon avis, on ne m’a pas communiqué de renseignements confidentiels au cours de ce contact, seulement des copies du brevet et des avis d’allégation, mais il est possible qu’une partie de ce que l’on m’a dit lors des conversations téléphoniques puisse être considérée comme confidentielle. Je n’ai que des notes très succinctes sur ces conversations.

 

Quoi qu’il en soit, j’ai pensé qu’il était préférable de mentionner ces éléments parce qu’il me paraît très probable que le litige pour lequel vous voulez que je vous assiste est la suite de ce dont on m’a parlé en 2002, mais pour la partie adverse cette fois-là.

 

Je vous saurais gré de me faire part de votre opinion sur le sujet, en particulier si vous pensez que cet accord de consultation antérieur m’empêche de traiter de l’affaire pour la partie adverse.

 

Il m’a fallu un certain temps pour consulter mes notes et déterminer de manière exacte les faits et les dates.

 

Salutations amicales,

 

Jack

 

[20]           Voici la réponse de M. Hughes :

[Traduction]

Le 28 février 2005

 

Monsieur,

 

Si on ne vous a fourni aucun renseignement confidentiel mais uniquement les brevets (du domaine public) et les avis d’allégation (du domaine public), il n’y a pas de problème. D’après moi, on a communiqué avec vous pour tenter de vous exclure du « bassin d’experts » que nous pouvons consulter pour obtenir de l’aide.

 

Ne l’oubliez pas : que ce soit nous qui vous contactions ou Abbott, le but premier de votre rapport est d’aider la Cour. Il vous faut en tout temps faire preuve d’impartialité.

 

Nous allons vous transmettre nos documents. Nous avons déjà eu des problèmes semblables dans d’autres causes et les choses se sont bien passées. (L’expert dans l’autre affaire travaille maintenant comme consultant pour nous. La Cour a jugé qu’il n’y avait pas de problème.)

 

Salutations amicales,

 

Ivor

 

[21]           M. Dunitz a déclaré ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 de son affidavit :

[Traduction]

19.           Si ma mémoire est bonne, plus de trois ans après le fait, j’ai passé la majeure partie de la conférence téléphonique du 17 juillet à répéter et à expliquer [passage supprimé pour des raisons confidentielles] du brevet 732 pour le bénéfice de M. Reddon et des autres participants. Je n’ai aucun écrit ou souvenir indiquant qu’il a été expressément fait mention d’Apotex ou de l’avis d’allégation de cette dernière au cours de la conférence téléphonique.

 

20.           Je n’ai pas non plus d’écrit ou de souvenir précis au sujet d’une discussion avec M. Reddon ou qui que ce soit d’autre au cours de la conférence téléphonique sur la stratégie juridique qu’allait suivre Abbott, soit de façon générale soit de façon précise, relativement à d’éventuelles questions de non‑contrefaçon, à l’interprétation du brevet 732, à la clarithromycine Formule II ou, comme je l’ai déjà mentionné, aux allégations d’invalidité avancées par Apotex dans son avis d’allégation. En outre, même si on présumait qu’il a été question de la stratégie juridique d’Abbott, cela aurait été, pour ma part, une perte de temps. Le sujet ne m’aurait nullement intéressé et, aujourd’hui, plus de trois ans après le fait, je n’ai absolument aucun souvenir de ce qui peut avoir été dit à cet égard par M. Reddon ou par qui que ce soit d’autre au cours de la conférence téléphonique. Contrairement à ce qu’affirme M. Reddon au paragraphe 13 de son affidavit, je n’aurais pas saisi - et encore moins commenté - la stratégie juridique d’Abbott, pas plus que je ne me serais senti à l’aise ou compétent pour faire de tels commentaires.

 

[22]           Je préfère le témoignage de M. Reddon, car il est clair au sujet de la discussion qu’il y a eu au sujet de la stratégie juridique à suivre pour contester les allégations avancées contre le brevet 732, ainsi que de la stratégie juridique concernant la clarithromycine Formule II en soi. M. Reddon a pris des notes lors de la réunion. En revanche, M. Dunitz a déclaré ne pas se souvenir, plus de trois ans après le fait, qu’il a été question de l’avis d’allégation d’Apotex au cours de la conférence téléphonique. Il a dit aussi ne pas se souvenir d’une discussion quelconque de la stratégie juridique d’Abbott à propos de la question de la non‑contrefaçon, de l’interprétation du brevet 732 ou de la clarithromycine Formule II. Comme il a été mentionné plus haut, M. Dunitz a déclaré dans son courriel à M. Hugues qu’il était possible qu’une partie de ce qu’on lui avait dit au cours de la conférence téléphonique puisse être considérée comme confidentielle.

 

[23]           Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que M. Dunitz a reçu sciemment des renseignements confidentiels et que l’on s’attendait à ce qu’il en préserve la confidentialité.

 

[24]           Selon M. Reddon, les renseignements confidentiels ont trait à l’interprétation du brevet 732, à la stratégie juridique à suivre pour contester les allégations avancées contre le brevet 732 et à la stratégie juridique concernant la clarithromycine Formule II en soi. Je suis persuadé que certaines des questions en litige dans l’avis d’allégation no 1 sont aussi soulevées dans l’avis d’allégation no 2. Il y a un lien entre le fait qu’Abbott a retenu les services de M. Dunitz et les questions qui sont en litige dans l’avis d’allégation no 2. À titre d’exemple, comme il est dit au paragraphe 42 du dossier de requête supplémentaire des demanderesses :

[Traduction]

a)             Tant l’avis d’allégation no 1 que l’avis d’allégation no 2 comportent des allégations d’invalidité relativement à la Formule II. Cette dernière est une forme cristallisée de la clarithromycine et c’est cette forme que l’on trouve dans le comprimé BIAXIN. La Formule II est revendiquée à la fois dans le brevet 732 et dans le brevet 606.

 

[25]           Je signale que, d’après le témoignage non contredit de M. Reddon, M. Dunitz a reçu d’Abbott des renseignements confidentiels sur sa stratégie juridique concernant la Formule II, qui est la question soulevée dans la Formule II. Comme je l’ai souligné plus haut dans les présents motifs, les souvenirs qu’a M. Dunitz de ce qu’on lui a dit sont loin d’être clairs.

 

[26]           Dans la présente espèce, le risque de divulgation de renseignements confidentiels est encore plus grand, car M. Dunitz ne se souvient plus des renseignements dont on lui a fait part. Il est donc impossible de vérifier si l’expert a oublié les renseignements confidentiels ou non. Dans la décision Burgess (Litigation Guardian) c. Wu (2003), 68 O.R. (3d) 710, aux pages 729 et 730, le juge Ferguson, de la Cour supérieure de l’Ontario, a dit :

[Traduction]

[106]       Je signale qu’il serait impossible de faire appliquer une règle qui autoriserait une personne ayant reçu communication de renseignements confidentiels à agir pour une partie adverse si elle affirmait ne pas se souvenir de ces renseignements en question. Comment le tribunal pourrait‑il vérifier que la personne ne se souvient plus de ces renseignements? À quel stade? Ce serait presque impossible de le faire, et la personne dont les confidences sont en cause se sentirait forcément trahie.

 

[107]       Par ailleurs, on ne peut pas faire abstraction de l’influence que peuvent exercer des renseignements, même oubliés. Comme l’a dit lui-même le Dr MacDonald dans son rapport : « … l’opinion que peut offrir n’importe quel spécialiste en médecine est forcément le reflet de son expérience personnelle et parfois des partis pris subtils qui sont le fruit de son expérience clinique particulière… » (à la page 4).

 

[108]       La règle établie dans MacDonald Estate exige la récusation automatique de la personne qui a reçu des renseignements confidentiels. Il n’y a pas d’exception automatique pour le cas où le destinataire des renseignements dit ne pas pouvoir s’en souvenir. Comme il est indiqué dans MacDonald Estate, au paragraphe 44 : « … le critère retenu doit tendre à convaincre le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels ».

 

En l’espèce, il y a un risque que des renseignements confidentiels soient divulgués.

 

[27]           Il y a également un risque de préjudice pour les demanderesses si M. Dunitz est autorisé à agir comme expert pour Apotex dans la procédure concernant l’avis d’allégation no 2, car la stratégie juridique des demanderesses a été révélée. En revanche, la défenderesse a été prévenue par M. Dunitz, avant qu’elle ne retienne ses services, qu’il pouvait y avoir un problème à cause des renseignements confidentiels découlant du mandat qu’il a reçu antérieurement des demanderesses.

 

[28]           Comme je l’ai souligné plus haut, il n’y a aucune preuve indiquant qu’Abbott tentait de retenir les services d’experts en vue de les empêcher de témoigner pour la partie adverse. Il n’y a donc aucun élément qui ait une incidence défavorable sur les intérêts de la justice et sur la confiance du public envers le processus judiciaire.

 

[29]           Je suis donc d’avis de faire droit à la requête des demanderesses et de déclarer que M. Jack Dunitz est inhabile à comparaître comme témoin pour Apotex dans la présente instance; je radierais également son témoignage du dossier.

 

ORDONNANCE

 

[30]           LA COUR ORDONNE que M. Jack Dunitz est déclaré inhabile à comparaître comme témoin pour Apotex Inc. dans la présente instance et que son témoignage est radié du dossier.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1847-03

 

INTITULÉ :                                                   ABBOTT LABORATORIES et

                                                                        ABBOTT LABORATORIES LIMITED

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                                        APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 24 OCTOBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven G. Mason

Aaron Sawchuk

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Kent E. Thomson

Matthew Milne-Smith

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Davies Ward Phillips & Vineberg s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE,

APOTEX INC.

 

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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