Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060224

Dossier : IMM-735-05

Référence : 2006 CF 246

Ottawa (Ontario), le 24 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

 

IFTIKHAR SHOAQ JALIL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, datée du 17 janvier 2005, par laquelle un agent d’immigration a déclaré que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que l’agent en question avait commis une erreur et que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen à un autre agent.

 

 

[2]            Le demandeur est un citoyen pakistanais de 65 ans qui est venu au Canada en 1996 avec sa femme, parce qu’il était persécuté au Pakistan en raison de son appartenance au Mouvement Mohajir Quami Movement - Altaf (le MQM-A). Le demandeur et sa femme ont demandé l’asile et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié leur a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention le 22 juillet 1997.

 

[3]            Le demandeur a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) daté du 10 octobre 1996 qu’il avait travaillé comme journaliste pigiste et œuvré au sein du MQM-A de 1987 à 1996. Il a également déclaré dans l’annexe à son FRP qu’il avait adhéré au MQM-A en 1985 et commencé à s’occuper de publicité et à rédiger des articles au sujet des assemblées et des communiqués de presse du MQM-A. Le demandeur a également déclaré dans sa demande de résidence permanente qu’il avait été membre du MQM-A de 1985 à 1996.

 

[4]            En novembre 1997, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada, qui visait également sa femme et trois enfants à charge résidant à l’étranger. Le 2 février 1998, le demandeur a été informé par le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Vegreville, en Alberta, qu’il répondait aux conditions prévues pour que sa demande soit traitée comme une demande émanant d’un réfugié au sens de la Convention et qu’une décision serait prise dans les 18 mois, dès qu’il remplirait toutes les conditions légales exigées pour l’octroi de la résidence permanente.

 

[5]            En septembre 2000, le demandeur a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au bureau de CIC, à Ottawa. La Section de l’examen sécuritaire de CIC a demandé par la suite que le demandeur soit interrogé par un agent d’immigration pour vérifier s’il est interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

 

[6]            En avril 2004, le demandeur a introduit une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans laquelle il sollicitait une ordonnance de mandamus en vue d’obliger le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à rendre une décision au sujet de sa demande de résidence permanente. L’autorisation a été accordée le 6 septembre 2004.

 

[7]            L’agente d’immigration, Dawn Byrd, a eu une première entrevue avec le demandeur, son avocate et un interprète pour l’urdu le 4 novembre 2004. L’agente d’immigration a envoyé au demandeur une lettre datée du 10 novembre 2004 dans laquelle elle mentionnait que, d’après les informations obtenues, sa demande de résidence permanente risquait d’être refusée parce qu’il semblait être interdit de territoire pour des motifs de sécurité.

 

[8]            Le 2 décembre 2004, le demandeur et son avocate ont assisté à une deuxième entrevue, convoquée à la demande de l’agente d’immigration. Avant le début de l’entrevue, l’agente a informé le demandeur qu’elle souhaitait qu’il réponde aux préoccupations que suscitaient chez elle ses activités au sein du MQM-A. Elle a également lu au demandeur et à son avocate la définition de « membre/appartenance » qu’utilise CIC, telle qu’exposée à l’article 4.5 du Guide d’exécution de la loi 2.

 

[9]            À l’entrevue, le demandeur a expliqué que la faction du MQM-A à laquelle il s’était associé répudiait la violence et que, s’il avait su que le MQM-A était un parti qui prônait la violence, il n’y aurait jamais adhéré. Le demandeur a déclaré à l’agente qu’à titre de membre du MQM-A, ses fonctions consistaient principalement à écrire des articles au sujet des activités du MQM-A comme journaliste pigiste, ainsi qu’à distribuer des brochures et à faire du porte-à-porte pendant les élections.

 

[10]        Le demandeur a déclaré à l’agente qu’en raison de sa mauvaise santé, il n’avait pas participé aux activités du MQM-A depuis son arrivée au Canada. L’agente a demandé au demandeur s’il avait donné de l’argent au MQM-A et il a déclaré à l’agente qu’il n’en avait pas donné, étant donné qu’il recevait un revenu fixe dans le cadre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. L’agente a demandé au demandeur si le MQM-A utilisait des tactiques terroristes pour maintenir son contrôle sur Karachi, au Pakistan, ville où la violence a atteint un sommet entre 1995 et 1998. Le demandeur a expliqué qu’aucune de ces choses ne s’était produite pendant qu’il était au Pakistan. Le demandeur a également déclaré que si le MQM-A avait eu recours à la violence, il n’aurait jamais participé à ses activités, étant donné que sa religion et sa conscience lui interdisaient tout acte de violence.

 

[11]        Le 3 décembre 2004, l’agente a indiqué à l’avocate du demandeur quelles étaient les sources d’où était tirée l’information citée dans un des documents sur lequel elle s’était fondée pour décider si le MQM-A exerçait des activités terroristes. L’avocate du demandeur a transmis en réponse des observations écrites au soutien de l’admissibilité du demandeur dans une lettre datée du 6 décembre 2004.

 

[12]        Le même jour, le 6 décembre 2004, Madame la juge Carolyn Layden-Stevenson a rendu une ordonnance enjoignant au défendeur de prendre, dans les 60 jours de l’ordonnance, une décision au sujet de la demande de résidence permanente.

 

LA DÉCISION

 

[13]        Dans une lettre du 17 janvier 2005, l’agente d’immigration Byrd a informé le demandeur qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR pour le motif qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle était, avait été ou serait l’auteur d’actes de terrorisme. Dans sa lettre, l’agente déclarait :

 

[Traduction]

J’en suis arrivée à la conclusion que vous êtes interdit de territoire au Canada en raison de votre appartenance entre 1985 et 1996 au Mouvement Mohajir Quami – Altaf (le MQM-A), pour lequel vous avez travaillé comme bénévole en distribuant des brochures; vous avez assisté à des réunions et écrit des articles de journaux pour le MQM-A; il est notoire que le MQM-A est une organisation qui a commis des actes terroristes. Votre demande de résidence permanente a donc été rejetée.

 

 

[14]        Au départ, l’agente n’a fourni aucun autre motif que les explications laconiques contenues dans sa lettre. Conformément à l’article 9 des Règles de la Cour fédérale (1998), l’agente a fourni à titre de motifs les notes qu’elle avait prises au cours de l’entrevue avec le demandeur, ainsi que les deux pièces jointes mentionnées dans ses motifs écrits.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]        Le demandeur soulève les questions suivantes au sujet de la décision de l’agente :

 

1.        L’agente a-t-elle commis une erreur en statuant que le MQM-A avait commis des actes de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

2.        L’agente a-t-elle commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve qui n’étaient ni fiables, ni crédibles, ni dignes de foi?

 

3.        L’agente a-t-elle violé son obligation d’équité en omettant de divulguer tous les renseignements sur lesquels elle s’était fondée pour prendre sa décision et en faisant à l’avocate du demandeur des déclarations trompeuses au sujet des faits?

 

 

[16]        Étant donné que j’ai conclu que l’agente avait commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a décidé que le MQM-A était une organisation qui avait participé à des activités terroristes, j’ai fondé ma décision sur cette conclusion. Je vais toutefois formuler, à l’intention du prochain agent qui examinera le dossier, certains commentaires au sujet de la qualité des éléments de preuve sur lesquels l’agente s’est appuyée pour prendre la décision attaquée.

 

[17]        Pour ce qui est de la prétendue violation de l’obligation d’équité, j’ai soigneusement examiné les observations écrites détaillées et les arguments oraux du demandeur, mais il m’est impossible d’admettre que l’agente ait commis une erreur sur ce point. Il me semble que cet argument est principalement fondé sur le fait que l’avocate a estimé qu’elle a été d’une certaine façon trompée par l’agente ou que celle-ci ne lui a pas divulgué les renseignements pertinents en temps utile. J’estime que le dossier ne justifie aucunement ces prétentions.

 

[18]        Il ressort du dossier que l’agente a donné au demandeur la possibilité de consulter les renseignements sur lesquels elle se proposait de fonder sa décision et de formuler des observations à leur sujet. Le demandeur a été informé des préoccupations de l’agente avant la seconde entrevue et a eu largement la possibilité d’y répondre. De plus, à la fin de l’entrevue, l’agente d’immigration a invité l’avocate du demandeur à fournir des observations écrites au sujet de l’interdiction de territoire. Le fait que l’agente n’ait pas répondu à tous les courriers de l’avocate comme cette dernière le souhaitait ne constitue pas une violation de l’équité procédurale.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

c) se livrer au terrorisme;

 

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons

in Canada; or

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(f) being a member of an organization that     there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

 

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

 

 

La norme de contrôle

 

[19]        La question de savoir si une organisation est visée par les alinéas 34(1)a), b) ou c) a été déjà examinée par la Cour selon la norme de la décision raisonnable : voir Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 133 A.C.W.S. (3d) 502, 2004 CF 1196, au paragraphe 12 et suivants.; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 116 A.C.W.S. (3d) 570, 2002 CFPI 867, aux paragraphes 35 à 40 (C.F. 1re inst.). Dans Kanendra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 47 Imm. L.R. (3d) 265, 2005 CF 923, aux paragraphes 10 à 12, le juge Simon Noël s’est appuyé sur l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par le juge Marshall Rothstein de la Cour d’appel fédérale dans Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 F.C.R. 487, 2005 CAF, pour appliquer la norme en matière d’« appartenance » à une organisation décrite à l’alinéa 34(1)f).

 

[20]        J’appliquerais le raisonnement exposé par le juge Rothstein et par le juge Noël pour examiner la conclusion de l’agente d’immigration selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le MQM-A était une organisation qui a commis des actes de terrorisme. La question dont était saisi l’agent d’immigration était une question mixte de fait et de droit; il est reconnu que les agents d’immigration ont une certaine expertise lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’interdiction de territoire en fonction des critères exposés à l’article 34 de la LIPR. Enfin, la question de savoir si le MQM-A a commis des actes terroristes doit être tranchée en se fondant sur des éléments précis et non sur des affirmations générales : Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 202 F.T.R. 57, 2001 CFPI 243, aux paragraphes 38 et 39 (C.F. 1re inst.).

 

La conclusion de l’agente selon laquelle le MQM-A a commis des actes terroristes

 

[21]        Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le MQM-A est visé par l’alinéa 34(1)f), à titre d’organisation dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme visés à l’alinéa 34(1)c).

 

[22]        La Cour a examiné la question de savoir ce qu’est une organisation « terroriste » dans Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 540 (C.F. 1re inst.) (QL). Le juge François J. Lemieux a noté que dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, la Cour suprême du Canada avait fourni une définition fonctionnelle et une définition stipulative du mot « terrorisme ». L’approche fonctionnelle consistait à définir le terrorisme par référence à des actes de violence précis (par exemple, le détournement d’avions, la prise d’otages et l’attentat terroriste à l’explosif) tirés de la liste des traités annexée à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme adoptée par les Nations Unies (la Convention).

 

[23]        Pour ce qui est de la définition stipulative du terrorisme, le juge Lemieux a déclaré que la Cour suprême avait fait référence à l’article 2 de la Convention qui définit le terrorisme comme étant « tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

[24]        Le juge Lemieux a ensuite examiné la jurisprudence de la Cour et déclaré qu’une conclusion selon laquelle une organisation a commis des actes terroristes doit reposer sur une base factuelle. Il a noté que dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, (1993) 163 N.R. 197 (C.A.F.), la Cour a souligné l’importance de formuler des conclusions de fait au sujet des crimes contre l’humanité précis, imputés au réfugié : Fuentes, précité, aux paragraphes 74 et 82.

 

[25]        En se référant précisément au MQM-A et en annulant une conclusion selon laquelle, aux termes de l’alinéa 34(1)f), il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’agissait d’une organisation terroriste, Madame la juge Anne L. Mactavish a statué, dans Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2005] 1 F.C.R. 485, 2004 CF 1174, que l’agent devait tenir compte de la définition de « terrorisme » énoncée dans Suresh ainsi qu’aux définitions de « activité terroriste » et de « groupe terroriste » figurant à l’article 83.01 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46; voir également Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2004) 257 F.T.R. 52, 2004 CF 997.

 

[26]        Le demandeur soutient que l’agente en l’espèce a conclu que le MQM-A était une organisation terroriste sans exposer l’analyse ni les motifs sur lesquels reposait sa conclusion, comme l’exigent les décisions Suresh, Fuentes, Ali et Alemu. L’agente n’a formulé aucune conclusion de fait précise au sujet des actes de terrorisme précis que le MQM-A aurait commis pour justifier sa conclusion selon laquelle cette organisation exerçait des activités terroristes.

 

[27]        Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de convaincre l’agente d’immigration qu’il pouvait être admis au Canada : Kin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 198 F.T.R. 172, 11 Imm. L.R. (3d) 213 (C.F. 1re inst.) et que la norme de preuve à satisfaire pour établir l’existence de « motifs raisonnables » exige davantage que de simples soupçons mais est moins rigoureuse que celle de la « prépondérance des probabilités » en matière civile. C’est une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, [2000] A.C.F. n° 2043, au paragraphe 60 (C.A.F.) (QL).

 

[28]        Le défendeur soutient que les notes au dossier de l’agente d’immigration énuméraient les actes précis qu’avait commis le MQM et qui l’avaient amenée à conclure que le MQM-A était une organisation terroriste, selon la définition établie par la Cour suprême dans Suresh et précisée par la Cour dans Fuentes. En outre, l’agente s’est fondée sur les documents suivants pour en arriver à sa conclusion :

      1. Un rapport d’Amnistie internationale déclarant que le gouvernement du Pakistan imputait au MQM-A la plupart des violations des droits de la personne commises à Karachi;

 

2. Au milieu des années 1990, le Département d’État des États-Unis, Amnistie internationale et d’autres ont accusé le MQM-A et une faction rivale d’avoir commis des exécutions sommaires, d’avoir pratiqué la torture et commis d’autres violations des droits de la personne;

 

      3. En outre, le MQM-A a eu recours au meurtre et à d’autres actes de violence pour que les magasins ferment et qu’il n’y ait personne dans les rues. Pendant les grèves, les activistes du MQM-A ont vandalisé les commerces qui restaient ouverts et attaqué les automobilistes et les piétons qui s’aventuraient dans les rues.

 

 

[29]        Le défendeur soutient que les activités décrites ci-dessus sont visées par la définition de « terrorisme » établie par la Cour suprême dans Suresh, laquelle définition englobe « tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

[30]        Selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la décision selon laquelle l’organisation à laquelle appartenait le demandeur a commis ou commet des actes de terrorisme doit être étayée par des motifs « capable[s] de résister à un examen assez poussé », comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, (1996) 144 D.L.R. (4th) 1, au paragraphe 56.

 

[31]        Le défendeur a peut-être raison d’affirmer que les actes attribués au MQM-A sont visés par la définition établie dans Suresh ou par la définition semblable ajoutée au Code criminel par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, mais cela ne ressort pas de la lecture des notes de l’agente ou de sa lettre de décision. Ses notes et sa lettre n’indiquent aucunement ce qu’elle entend exactement lorsqu’elle affirme que le MQM-A est une organisation qui s’est livrée au « terrorisme » si ce n’est en énumérant ces actes qualifiés de terroristes. Il est donc impossible de savoir comment l’agente a défini ce qu’est le « terrorisme » pour évaluer ses actes. Elle s’est contentée d’affirmer que [traduction] « il est notoire que le MQM est une organisation qui a commis des actes terroristes » sans expliquer comment elle a compris et appliqué ces termes.

 

[32]        La lecture de la lettre de décision et des notes de l’agente ne donne pas une image claire de ce que l’agente comprenait par « terrorisme » ni de la façon dont elle a appliqué cette notion à l’organisation en question. L’agente aurait dû préciser la définition sur laquelle elle s’est appuyée et expliquer comment les actes énumérés correspondaient à la définition. Il résulte de cette omission que ses motifs ne résistent pas à « un examen assez poussé ». Il sera donc fait droit à la demande et l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen à un autre agent.

 

La qualité des éléments de preuve sur lesquels s’est fondée l’agente

 

[33]        L’agente d’immigration a conclu que le MQM-A était une organisation terroriste en se fondant principalement sur deux documents qui étaient joints à ses notes au dossier : la « pièce jointe A », une note de service du 10 novembre 2004 au sujet du MQM émanant de RZTZ/Division de la sécurité nationale de l’Agence des services frontaliers du Canada et la « pièce jointe B » intitulée « Muttahida Quomi Mahx Terrorist Group of Pakistan (Groupe terroriste pakistanais Muttahida Quomi Mahx ) », un document affiché sur le South Asia Terrorism Portal (SATP), un site Web qui déclare fournir [traduction] « de l’information complète, facile d’accès et constamment mise à jour sur le terrorisme, les guerres de faible intensité et les luttes ethniques, communautaires et sectaires dans l’Asie du Sud-Est ».

 

[34]        L’avocate du demandeur a présenté un argument fondé sur une excellente recherche et bien structuré selon lequel ces deux documents contiennent de l’information provenant de sources Internet non fiables, dont la plupart ne sont pas identifiées avec précision. Outre le fait que les preuves documentaires sur lesquelles s’est fondée l’agente ne contiennent aucune analyse critique des sources utilisées, leur exactitude, leur crédibilité et leur fiabilité sont douteuses.

 

[35]        L’avocate du demandeur affirme que les notes de bas de page figurant dans la note de service de l’ASFC posent divers problèmes, notamment le fait qu’elles sont incomplètes et peu claires. Les notes de bas de page de la note de service font état de cinq sources : un livre sur le Pakistan, un rapport d’Amnistie internationale sur le Pakistan et trois sites Web, l’un situé en Inde, les deux autres aux É.-U. et au R.-U. L’avocate critique chacune de ces sources et signale ce qu’elle considère être les lacunes qui en compromettent la fiabilité.

 

[36]        À l’appui de son argument, l’avocate a présenté l’affidavit de Mme Lisa Given, une professeure agrégée de la School of Library and Information Studies, faculté d’éducation de l’Université de l’Alberta. Mme Given a examiné ces documents en fonction des critères utilisés par les bibliothécaires pour évaluer les documents provenant d’Internet et des normes sur lesquelles elle se fonde pour évaluer la qualité des travaux universitaires.

 

[37]        Mme Given estime que ces documents comportent plusieurs lacunes, notamment l’absence de définition des termes utilisés, les incohérences dans les acronymes décrivant le MQM, le fait de mentionner des sources Internet qui n’existent plus ou qui sont mal citées. Mme Given a également examiné les documents par rapport à la qualité des ressources utilisées et a soulevé un certain nombre de questions concernant notamment le risque de partialité des sources, ainsi que la fiabilité générale et la pertinence actuelle des sources Internet.

 

[38]        Le défendeur soutient que les sources utilisées pour les renseignements RZTZ comprennent le ministère de la Justice des É.-U., Jane’s World Insurgency and Terrorism, et Amnistie Internationale. Les rapports du Département d’État des É.-U. sont couramment utilisés par les parties, et les décideurs dans le domaine de l’immigration se fondent sur eux, comme documents décrivant la situation de différents pays et contenant des renseignements relatifs aux droits de la personne. La Cour a également qualifié Amnistie Internationale d’organisation crédible et de « source indépendante fiable » : Souare c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 106 A.C.W.S. (3d) 513, [2001] A.C.F. n° 71, au paragraphe 9 (C.F. 1re inst.) (QL), Bakir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 244 F.T.R. 275, 2004 CF 70, aux paragraphes 33 et 35. Le défendeur soutient que les publications Jane’s sont considérées comme des sources faisant autorité.

 

[39]        Mon collègue, le juge Roger Hughes, a récemment exprimé certaines préoccupations au sujet de la qualité des éléments de preuve utilisés couramment dans les instances d’immigration, éléments provenant de sources comme les rapports du Département d’État des É.-U. Dans Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092, [2005] A.C.F. n° 1348 (QL), le juge Hughes note que ces documents ne constituent pas la meilleure preuve. Lorsqu’une décision porte sur ce qu’a fait ou n’a pas fait l’intéressé, il convient de privilégier les éléments de preuve directs et d’accorder moins d’importance aux affirmations générales, qui ne reposent sur aucune preuve précise, même si elles semblent émaner de sources fiables.

 

[40]        Je soupçonne que les qualités d’exactitude, d’impartialité et de fiabilité qu’a décrites Mme Given et que prône l’avocate du demandeur ne se retrouvent pas toujours dans le monde où sont prises ces décisions, en particulier lorsque les événements se produisent dans des régions où les dossiers ne sont pas tenus avec toute la rigueur que l’on retrouve dans les bibliothèques universitaires nord-américaine. Néanmoins, le demandeur a relevé un certain nombre de lacunes dans les sources sur lesquelles s’est fondée l’agente d’immigration, lacunes que l’on ne s’attendrait pas à trouver ici si celle-ci avait fait preuve de diligence à l’égard des documents utilisés. L’intégrité du processus qui consiste à décider s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne donnée est membre d’une organisation qui a exercé des activités terroristes mérite qu’on fasse preuve d’une diligence beaucoup plus grande que celle dont on a fait preuve dans la présente affaire.

 

[41]        Le demandeur m’a demandé de certifier deux questions de portée générale. La première question concerne les normes qu’un agent d’immigration doit appliquer à l’information provenant d’Internet, y compris celle qui provient de sources d’information connues, telles que les documents proposés par Amnistie internationale, Human Rights Watch et le Département d’État des É.-U., sur la situation des droits de la personne dans les différents pays. La deuxième question est de savoir si l’omission de respecter ces normes constitue une erreur de fait, de droit, mixte de fait et de droit ou une violation de la justice naturelle.

 

[42]        Le défendeur s’oppose à ce que ces questions soient certifiées parce qu’elles ne permettraient pas de trancher l’appel dans la présente affaire. Étant donné que j’ai tranché cette demande sur un autre point, je suis d’accord avec le défendeur et m’abstiendrai de les certifier.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE qu’il soit fait droit à la demande et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen à un autre agent. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-735-05

 

INTITULÉ :                                       IFTIKAR SHOAQ JALIL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:                le 7 février 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 février 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Silvia Valdman

 

POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon

 

                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Silvia Valdman

Bureau de droit d’immigration

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.