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Date : 20050329

Dossier : T-1066-04

Référence : 2005 CF 421

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                               

ENTRE :

                                                             JANICE MORGAN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                               ALTA FLIGHTS (CHARTERS) INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                             et

            LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

                                                                                                                                        codéfendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 12 avril 2004 par laquelle le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le Commissaire à la protection de la vie privée) a informé Janice Morgan (Mme Morgan ou la demanderesse) que son employeur, la défenderesse Alta Flights (Charters) Inc. (Alta Flights), n'avait pas enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la Loi) en tentant d'enregistrer des conversations échangées entre certains de ses employés, dont la demanderesse. La demanderesse sollicite les réparations suivantes :

-           une ordonnance déclarant bien fondée la plainte déposée par Janice Morgan dans la présente affaire;

-           une ordonnance enjoignant à la défenderesse de corriger ses pratiques à cet égard en s'abstenant d'intercepter, de recueillir, d'utiliser et de divulguer subrepticement les communications privées de ses employés et lui enjoignant de se conformer aux articles 5 à 10 de la Loi et en particulier aux articles 4.3 et 44. de l'annexe 1;

-           une ordonnance enjoignant à la défenderesse de publier un avis de la présente ordonnance dans le bulletin d'information de ses employés;

-           une ordonnance condamnant la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires, notamment pour l'humiliation subie par la demanderesse;

-           une ordonnance condamnant la défenderesse à payer les dépens de la demanderesse sur la base avocat-client.

QUESTION EN LITIGE


[2]                Il importe de signaler d'entrée de jeu que le contrôle judiciaire des décisions du Commissaire à la protection de la vie privée en vertu de l'article 14 de la Loi ne saurait donner lieu à l'examen de ses conclusions et de ses recommandations. Cet article prévoit l'examen de novo des actes reprochés, en l'occurrence, la décision effective d'Alta Flights de tenter d'enregistrer subrepticement les conversations de certains de ses employés, dont la demanderesse (voir les jugements Englander c. Telus Communications Inc., [2003] A.C.F. no 975, aux paragraphes 29 et 30 (C.F.); Eastmond c. Canadien Pacique Limitée, [2004] A.C.F. no 1043, aux paragraphes 118 et 121 à 123 (C.F.)). Aucune suite n'a été donnée à la question préliminaire de savoir si le Commissaire à la protection de la vie privée avait compétence pour procéder à l'enquête compte tenu de la procédure engagée par la demanderesse en vertu de l'article 243 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, modifié, à la suite de son congédiement par Alta Flights. Toutefois, comme des dommages-intérêts exemplaires étaient réclamés dans les deux cas, les parties ont convenu, après avoir débattu de la question, que ce type d'indemnité ne pouvait être accordé qu'une seule fois, soit par un arbitre du travail, soit par la Cour fédérale, pour le cas où Mme Morgan obtiendrait gain de cause devant ces deux tribunaux. Voici donc les questions qu'il nous reste à traiter :

-           Les agissements d'Alta Flights et la Loi : Alta Flights a-t-elle enfreint des dispositions de la Loi, et plus précisément celles relatives à la collecte et/ou à l'utilisation de renseignements personnels en enregistrant ou en tentant d'enregistrer des conversations des employés ? Le fait que les conversations enregistrées aient été effacées avant de pouvoir servir change-t-il la réponse à cette question ?


-           Réparations éventuelles : S'il y a eu violation des droits garantis à la demanderesse par la Loi, quelles réparations peuvent être accordées à la demanderesse ? Accessoirement et le cas échéant, la Cour a-t-elle compétence pour accorder des réparations supplémentaires non autorisées par la Loi ?

CONCLUSION

[3]                Brièvement, pour les motifs ci-après exposés, je suis d'avis de répondre de la façon suivante aux questions qui précèdent :

-           Comme il n'y a aucune preuve qui permette de penser qu'Alta Flights a effectivement enregistré des conversations étant donné que le ruban a été effacé par inadvertance par les employés qui ont découvert le dispositif d'enregistrement et que les seuls mots qui ont été entendus sur le dispositif d'enregistrement étaient « testing, testing, testing » , Alta Flights n'a pas effectivement réussi à receuillir et/ou utiliser des renseignements personnels. Il n'y a donc eu aucune violation de la Loi étant donné que la Loi ne prévoit pas d'infraction de tentative de violation.

-           Comme les droits garantis à la demanderesse par la Loi n'ont pas été violés, il n'est pas nécessaire d'analyser plus en détail la question des réparations réclamées par la demanderesse.


GENÈSE DE L'INSTANCE

[4]                Mme Morgan a travaillé comme représentante du service à la clientèle chez Alta Flights, au Flight Tech Aviation Shell Aerocentre (l'Aérocentre) d'Edmonton, en Alberta, du 7 septembre 2000 au 5 avril 2003. Le soir du 1er avril 2003, alors qu'elle se trouvait au « local des fumeurs » qui était normalement fréquenté par les employés d'Alta Flights et, à l'occasion, par d'autres employés de l'Aérocentre et par d'autres groupes, elle a découvert, avec un autre employé d'Alta Flights, un enregistreur numérique fixé sous une table à café.

[5]                Quelques jours après cet incident, une gestionnaire de l'Aérocentre qui travaillait pour Alta Flights, Patricia Hobbs (Mme Hobbs), a reconnu qu'elle avait personnellement caché l'enregistreur dans le local des fumeurs le soir en question dans l'intention d'enregistrer les conversations échangées dans cette pièce entre Mme Morgan et quelques autres employés d'Alta Flights. Elle affirmait que cette mesure était nécessaire pour enquêter plus en profondeur sur des allégations d'inconduite portées contre Mme Morgan et d'autres employés ciblés.

[6]                Le 4 avril 2003, Mme Morgan et deux autres employés d'Alta Flights ont déposé en vertu de la Loi une plainte écrite officielle devant le Commissaire à la protection de la vie privée.

[7]                Le 5 avril 2003, Alta Flights a congédié Mme Morgan en raison d'un « conflit » entre elle et Mme Hobbs.

[8]                Le 1er mai 2003, Mme Morgan a déposé une plainte de congédiement injustifié devant le ministère du Développement des ressources humaines du Canada. Les parties ont présenté leur point de vue respectif dans cette affaire, qui a été instruite l'automne dernier, et le prononcé de la décision dans cette affaire a été reporté à plus tard.

LA DÉCISION À L'EXAMEN

[9]                Après avoir terminé son enquête sur la plainte de Mme Morgan, le Commissaire à la protection de la vie privée a informé cette dernière, le 12 avril 2004, que malgré le fait qu'il désapprouvait les mesures prises par Alta Flights pour chercher à obtenir les renseignements en question, il n'y avait pas eu collecte de renseignements personnels, étant donné que les conversations tenues dans le local des fumeurs n'avaient pas été effectivement enregistrées. En conséquence, il n'y avait pas eu contravention de l'une quelconque des dispositions applicables de la Loi :

[TRADUCTION] À la suite de notre enquête, nous en sommes arrivés à la conclusion que l'enregistrement avait été effacé. En conséquence, il n'y a aucune preuve qui permette de penser que des renseignements personnels ont été recueillis ou utilisés. Je ne puis donc conclure qu'Alta Flights a contrevenu à l'une quelconque des dispositions applicables de la Loi.

Je conclus donc que vos plaintes ne sont pas fondées.

Alta Flights ne doit cependant pas interpréter ma conclusion comme une approbation de ce que la compagnie a tenté de faire. Si la gestionnaire avait réussi à obtenir les renseignements au moyen de l'enregistreur numérique, je n'aurais pas été porté, dans ces conditions, à permettre à la compagnie d'invoquer l'alinéa 7(1)b) pour justifier la collecte de renseignements personnels de cette façon.


On ne doit pas interpréter l'alinéa 7(1)b) de façon isolée et on ne saurait donc l'invoquer pour justifier la collecte de renseignements personnels à l'insu et sans le consentement de l'intéressé peu importe les circonstances. À notre avis, un organisme doit disposer d'éléments de preuve solides pour étayer ses soupçons qu'un de ses employés se livre à des actes répréhensibles ou que le rapport de confiance a été rompu, il doit être en mesure de démontrer qu'il a épuisé tous les autres moyens d'obtenir les renseignements dont il a besoin en recourant à des méthodes moins attentatoires à la vie privée et il doit restreindre la collecte le plus possible aux fins visées.

Dans le cas qui nous occupe, des rumeurs de vol, de fraude et même de voies de fait circulaient. Mais il ne s'agissait que d'anecdotes, et de simples anecdotes ne sauraient être considérées comme des preuves solides. Qui plus est, certains de ces renseignements ont été communiqués à la gestionnaire après qu'elle eut placé l'enregistreur dans le local public des fumeurs. La gestionnaire a-t-elle essayé d'obtenir des renseignements sur ces incidents en recourant à des méthodes moins attentatoires à la vie privée avant de fixer un enregistreur numérique sous la table ? A-t-elle mis tout le personnel au courant des problèmes en question ? A-t-elle d'abord fait part de ses soupçons aux principaux intéressés ? Il semble que non.

Puis, il y a la mesure elle-même. Un enregistreur magnétique, installé dans une pièce accessible à un grand nombre de personnes, dont certaines étaient des clients et d'autres de ces employés, constitue un moyen inconsidéré de recueillir des renseignements. La compagnie affirme que le délai de vie de l'enregistrement limitait les risques que les propos d'autres personnes soient enregistrées. Il s'agissait malgré tout d'un lieu public, et peu importe que l'arrivée d'un vol fût ou non prévue pour ce soir-là, la compagnie ne pouvait garantir que seuls les plaignants se trouvent dans ce local. Il semble qu'on ait installé l'enregistreur à cet endroit dans le vague espoir de récolter certains renseignements. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette façon de faire enquête sur les présumés agissements illicites d'une employée n'est pas très respectueuse du droit à la vie privée de cette personne.

La surveillance électronique d'employés en cas de rupture soupçonnée du contrat de travail est une mesure à laquelle on ne devrait jamais recourir aisément ou à la légère. Elle devrait être la toute dernière mesure - si même elle est prise - d'une série de mesures, approuvée par les cadres les plus élevés de l'entreprise, vidant à obtenir des renseignements concernant les agissements répréhensibles d'un employé et elle devrait reposer sur des preuves solides. Or, les circonstances de l'espèce ne répondent tout simplement pas à ces critères.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse


[10]            La demanderesse, Mme Morgan, est d'avis que la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée ne s'accorde pas avec le sens large et axé sur l'objet que la Loi est censée avoir et qu'elle ne respecte et ne protège donc pas les droits à la protection de la vie privée des employés en général et de la demanderesse en particulier. Elle rappelle l'objet visé par la Loi, qui est énoncé à l'article 3, ainsi que l'article 4.3 de l'annexe 1 :


3.    La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l'échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

[...]

4.3 Troisième principe -- Consentement

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu'il ne soit pas approprié de le faire.

3. The purpose of this Part is to establish, in an era in which technology increasingly facilitates the circulation and exchange of information, rules to govern the collection, use and disclosure of personal information in a manner that recognizes the right of privacy of individuals with respect to their personal information and the need of organizations to collect, use or disclose personal information for purposes that a reasonable person would consider appropriate in the circumstances.

[...]

4.3 Principle 3 -- Consent

The knowledge and consent of the individual are required for the collection, use, or disclosure of personal information, except where inappropriate.



[11]            La demanderesse affirme que, lorsque la loi confère un droit (en l'occurrence, le droit à la vie privée) sans prévoir expressément de sanction en cas de violation de ce droit, il existe à première vue un droit implicite d'indemnisation en cas de violation de ce droit. Or, l'article 16 de la Loi énumère certaines réparations, dont le versement de dommages-intérêts au plaignant, en réparation de l'humiliation subie par suite de la collecte et de l'utilisation de ses renseignements personnels, et la demanderesse affirme que la tentative de recueillir et d'utiliser les renseignements en question devrait en faire partie. En d'autres termes, la demanderesse soutient que le principe de la tentative qui est reconnu en common law s'applique à la Loi, et que notre Cour a compétence pour accorder une réparation pour cette tentative.

[12]            La demanderesse affirme en outre que, comme le fonctionnement de l'enregistreur magnétique avait été vérifié et qu'il était en état de marche, il y a lieu de présumer que l'enregistrement a été effectué avec succès et que les renseignements personnels ont été discutés et enregistrés avant la découverte de l'enregistreur magnétique.

Alta Flights

[13]            Alta Flights reconnaît et accepte que, suivant les faits et les dispositions de la Loi, la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée est exacte. Elle souscrit également à la proposition du Commissaire à la protection de la vie privée suivant laquelle la Loi ne prévoit des réparations qu'à la suite de la collecte, de l'utilisation et de la divulgation de renseignements personnels, et que ni la Loi ni la jurisprudence, de façon plus générale, ne permet de considérer la tentative de violer les dispositions de la Loi comme une contravention distincte de la Loi. Elle n'est pas d'accord avec la proposition de la demanderesse suivant laquelle, comme le fonctionnement de l'enregistreur magnétique avait été vérifié avec succès, il y a également lieu de conclure que l'enregistrement d'une conversation entre la demanderesse et ses compagnons de travail a effectivement été réalisé.


Commissaire à la protection de la vie privée

[14]            Après avoir analysé de nouveau les raisons pour lesquelles, s'ils ont réussi, les actes accomplis par Alta Flights ne tomberaient pas sous le coup de l'exception prévue à l'alinéa 7(1)b), le Commissaire à la protection de la vie privée a abordé la question des tentatives sous le régime de Loi. Suivant le Commissaire à la protection de la vie privée, si la Cour conclut que l'enregistreur installé en secret par Mme Hobbs dans le local des fumeurs n'a pas enregistré les conversations de ses employés, on ne saurait dire qu'il y a eu « collecte » de renseignements personnels. Si par contre la Cour estime que des conversations ont été enregistrées avant que l'enregistrement ne soit effacé par inadvertance, le Commissaire à la protection de la vie privée soutient que, contrairement à ce que notre Cour a décidé dans l'affaire Eastmond, précitée, Alta Flights n'a pas recueilli de renseignements personnels en violation de la Loi et ce, malgré le fait que le personnel d'Alta Flights était effectivement en mesure d'écouter ou d'utiliser autrement la teneur de ces conversations.

[15]            Enfin, le Commissaire à la protection de la vie privée prétend que, si la Cour juge qu'aucun renseignement n'a jamais été effectivement enregistré et qu'en conséquence, Alta Flights a seulement essayé de violer la Loi, la Cour ne peut donc connaître d'une demande de réparation découlant de cette tentative de violation.


ANALYSE

Norme de contrôle

[16]            La demanderesse estime que, comme la question centrale est une question de droit- celle de savoir si les dispositions de la Loi comprennent l'interdiction de tenter de recueillir et de divulguer des renseignements personnels - la Cour devrait faire preuve d'une retenue minimale envers la décision du Commissaire à la protection de la vie privée et devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (voir le jugement Englander, précité, aux paragraphes 29 et 30). Il y a lieu de noter que la décision du Commissaire à la protection de la vie privée n'est pas examinée, en l'espèce, en vertu des articles 47 et 48 de la Loi, mais plutôt en vertu de l'article 14. Il faut donc examiner la plainte en reprenant l'affaire depuis le début, ainsi que toute la preuve disponible. La Cour peut se fonder sur la décision du Commissaire à la protection de la vie privée ou sur certaines parties de cette décision au besoin pour en arriver à une conclusion, mais elle n'est pas obligée de le faire.


[17]            Lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire de novo, la Cour fait preuve de moins de retenue envers la décision du Commissaire à la protection de la vie privée qu'elle ne le ferait autrement, mais elle doit reconnaître les facteurs dont le Commissaire a tenu compte pour mettre en balance les intérêts du demandeur en matière de vie privée et l'intérêt légitime de l'employeur dans la protection de ses employés et de ses biens (voir les jugements Eastmond, précité, aux paragraphes 122 à 124, et Englander, précité, au paragraphe 39). Toutefois, la question de savoir s'il y a contravention à la Loi lorsqu'il y a tentative de violation est une question d'interprétation de la Loi qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte.

Les agissements d'Alta Flights et la Loi

Alta Flights a-t-elle enfreint des dispositions de la Loi, et plus précisément celles relatives à la collecte et/ou à l'utilisation de renseignements personnels en enregistrant ou en tentant d'enregistrer les conversations des employés ? Le fait que les conversations enregistrées aient été effacées avant de pouvoir servir change-t-il la réponse à cette question ?

[18]            Comme le Commissaire à la protection de la vie privée l'a fait valoir, si Alta Flights avait réussi à enregistrer les conversations de ses employés, on aurait affaire de prime abord à une violation de la Loi. Les parties, y compris Alta Flights, semblent s'entendre sur ce fait. Ce n'est qu'après une telle conclusion que le débat pourrait ensuite porter sur la question de savoir si Alta Flights peut se prévaloir de l'exception prévue à l'alinéa 7(1)b), dont voici le texte :


7. (1) [...] l'organisation ne peut recueillir de renseignement personnel à l'insu de l'intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :

b) il est raisonnable de s'attendre à ce que la collecte effectuée au su ou avec le consentement de l'intéressé puisse compromettre l'exactitude du renseignement ou l'accès à celui-ci, et la collecte est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d'un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial;

7. (1) [...] an organization may collect personal information without the knowledge or consent of the individual only if

(b) it is reasonable to expect that the collection with the knowledge or consent of the individual would compromise the availability or the accuracy of the information and the collection is reasonable for purposes related to investigating a breach of an agreement or a contravention of the laws of Canada or a province;



À l'audience, Alta Flights a admis qu'elle ne pouvait se prévaloir de cette exception et que, si la Cour concluait soit que Mme Hobbs avait enregistré des renseignements personnels, soit que les tentatives faites pour enregistrer ces renseignements constituaient également une violation de la Loi, elle était alors passible de dommages-intérêts exemplaires.


[19]            Il ressort de la preuve versée au dossier que, lorsque Mme Morgan et l'autre employé ont découvert l'enregistreur magnétique, celui-ci avait enregistré l'essai du dispositif que Mme Hobbs avait fait : « testing, testing, testing » . Personne n'a toutefois été en mesure de préciser si d'autres renseignements ou conversations avaient été enregistrés. Mme Morgan a expliqué qu'elle avait entendu la voix de Mme Hobbs sur la machine (alors que Mme Hobbs en faisait l'essai), et probablement rien de plus. Mais, alors qu'on cherchait à découvrir le contenu du reste de l'enregistrement, on a par inadvertance effacé le contenu du ruban. Aucune preuve contraire n'a été présentée. Je ne puis retenir l'argument de la demanderesse suivant lequel, comme le test a été effectué avant que le dispositif ne soit installé sous la table, il est logique de supposer que d'autres renseignements ont été enregistrés. Ce n'est pas ce que la preuve démontre. Au paragraphe 13 de son affidavit, la demanderesse parle de [traduction] « tentative d'atteinte à ma vie privée » . La plainte elle-même, qui porte la signature de la demanderesse et de Mme Janice Rowe, qualifie ainsi l'enregistrement : [traduction] « Nous croyons que l'intention était d'enregistrer les conversations des employés. » De plus, au cours du contre-interrogatoire qu'elle a subi au sujet de son affidavit, la demanderesse a expliqué, aux pages 15 à 17 de la transcription, le contenu de l'enregistrement : [traduction] « On entendait la voix de Pat qui disait : "testing, testing, testing". » Ce sont les seules paroles qu'ils ont entendues. La preuve ne permet donc pas de conclure que d'autres paroles que « testing, testing, testing » ont été enregistrées.


[20]            Dans ces conditions, la conclusion qui s'impose est qu'aucune conversation n'a été enregistrée, et qu'aucun renseignement personnel n'a été recueuilli. Dans le cas qui nous occupe, selon le raisonnement suivi par le Commissaire à la protection de la vie privée sur cette question, il n'y a aucune violation effective de la Loi. La Loi ne renferme aucune disposition qui prévoit que la tentative de collecte de renseignements personnels constitue une violation de la Loi. Les obligations de la Loi en matière de protection du droit à la vie privée se trouvent à l'annexe 1 de la Loi. On y trouve les obligations et les recommandations que les organismes doivent suivre ou devraient suivre (selon le cas) lorsqu'elles s'occupent de renseignements personnels. Ces obligations et recommandations reposent sur les dix principes suivants : responsabilité, détermination des fins de la collecte des renseignements, consentement, limitation de la collecte, limitation de l'utilisation, de la communication et de la conservation, exactitude, mesures de sécurité, transparence, accès aux renseignements personnels, possibilité de porter plainte à l'égard du non-respect des principes. Aucun de ces principes ni aucune des dispositions de la Loi ne parle de « tentatives » . Les actes envisagés par la Loi impliquent la collecte, l'utilisation et la communication effectives de renseignements. Les principes et les dispositions de la Loi sont de toute évidence structurés de manière à présumer que les renseignements réclamés par un organisme sont effectivement recueillis. Lorsque les termes de la loi sont aussi clairs et nets, il faut leur donner leur sens courant et les tribunaux ne devraient pas imposer un sens différent de celui qu'envisageait de toute évidence le législateur (voir R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (Markham (Ont.), Butterworths, 2002) aux pages 19 et suivantes.

Réparations éventuelles

S'il y a eu violation des droits garantis à la demanderesse par la Loi, quelles réparations peuvent être accordées à la demanderesse ? Accessoirement et le cas échéant, la Cour a-t-elle compétence pour accorder des réparations supplémentaires non autorisées par la Loi ?

[21]            Comme j'ai conclu qu'aucune collecte et/ou utilisation de renseignements personnels n'a effectivement eu lieu et qu'en conséquence, les droits garantis à la demanderesse par la Loi n'ont pas été violés, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.

DISPOSITIF

[22]            On peut comprendre la déception de Mme Morgan, à qui la Loi n'accorde aucune mesure de réparation, mais tant que le législateur n'aura pas exprimé sa volonté différemment, on ne saurait adopter une méthode d'interprétation de la Loi qui soit libérale au point d'en modifier l'économie et les réparations fondamentales. Cela dit, d'autres recours sont ouverts à Mme Morgan, dont celui qui est prévu à l'article 184 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, qui prévoit notamment la possibilité d'obtenir une indemnité maximale de 5 000 $ (voir l'article 194 du Code criminel). La common law lui reconnaît peut-être aussi d'autres réparations.


DÉPENS

[23]            Mme Morgan réclame également les dépens sur une base avocat-client. Bien que je ne croie pas que ces dépens auraient de toute façon été justifiés, cette demande doit nécessairement aussi être rejetée puisque la demanderesse est finalement déboutée de sa demande.

[24]            Le Commissaire à la protection de la vie privée n'a pas expressément réclamé les dépens, car il est intervenu pour défendre l'intérêt de la justice. La défenderesse demande à la Cour de condamner la demanderesse aux dépens. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la justice de faire droit à cette demande compte tenu de la nature et des circonstances exceptionnelles de la présente affaire.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

­                      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

                       « Simon Noël »                

    Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1066-04

INTITULÉ :                                                    JANICE MORGAN c. ALTA FLIGHTS

(CHARTER) INC. et COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                            Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           16 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                                 le 29 mars 2005

COMPARUTIONS :

G. Brent Gawne                                   POUR LA DEMANDERESSE

Thomas E. Plupek                                POUR LA DÉFENDERESSE

(Alta Flights (Charter)

Inc.)

                  Steven Welchner                 POUR LE DÉFENDEUR

                  Patricia Kosseim                  (Commissaire à la protection de la vie privée

du Canada)

                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                  G. Brent Gawne                 POUR LA DEMANDERESSE

                  Avocat

                  Edmonton (Alberta)

                  Zalapski & Pahl                  POUR LA DÉFENDERESSE

                        Leduc (Alberta)                                    (Alta Flights (Charter) Inc.)

                  Welchner Law Office           POUR LE DÉFENDEUR

                  Ottawa (Ontario)                 Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

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