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Date: 19980220

Dossier : T-1712-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 FÉVRIER 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NOËL

ENTRE :

AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,

requérantes,

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.,

intimés.

                                                         ORDONNANCE

            Vu la demande des requérantes, AB Hassle et Astra Pharma Inc., déposée le 10 août 1995 en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à Apotex Inc. un avis de conformité concernant le médicament appelé oméprazole, y compris les capsules de 20 mg et de 40 mg de ce médicament, jusqu'à l'expiration des deux brevets canadiens nos 1,127,158 et 1,129,417.

            LA COUR ORDONNE au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de ne pas délivrer à Apotex Inc. un avis de conformité concernant le médicament appelé oméprazole, y compris les capsules de 20 mg et de 40 mg de ce médicament, jusqu'à l'expiration du brevet canadien nE1,127,158.

                                                                                                            Marc Noël

                                                                                                                                         Juge                    

Traduction certifiée conforme :

                                          

Martine Guay, LL.L.



Date: 19980220

Dossier : T-1712-95

ENTRE :

AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,

requérantes,

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.,

intimés.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

[1]         Il s'agit d'une demande présentée par AB Hassle et Astra Pharma Inc. (les « requérantes » ) en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)[1](le « Règlement » ), en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le « ministre » ) de délivrer à l'intimée Apotex Inc. (l' « intimée » ) un avis de conformité concernant le médicament appelé oméprazole, y compris les capsules de 20 mg et de 40 mg de ce médicament, jusqu'à l'expiration des deux brevets canadiens nos 1,127,158 ( « 158 » ) et 1,129,417 ( « 417 » )[2]. Ces brevets expireront en juillet 1999.


[2]         La présente requête est la seconde instance en vertu du paragraphe 6(1) qui oppose ces parties au sujet du médicament appelé oméprazole. La première a été introduite par les requérantes à la suite d'un premier avis d'allégation daté du 27 avril 1993[3]. En présentant cet avis, l'intimée a déclaré se fonder sur son droit contractuel d'obtenir des fournitures pharmaceutiques auprès de Novopharm Limited, une société autorisée à fabriquer l'oméprazole en vertu d'une licence obligatoire délivrée pour les brevets des requérantes.

[3]         Par voie d'une ordonnance datée du 29 juin 1993, le juge Dubé a ordonné que l'allégation de non-contrefaçon de l'intimée se limite à celle figurant dans son avis d'allégation susmentionné daté du 27 avril 1993[4].

[4]         La première instance a mené, le 3 mai 1996, à l'ordonnance par laquelle le juge Richard a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à l'intimée jusqu'à l'expiration des brevets nos 158 et 417 des requérantes. Cette ordonnance a été rendue avec le consentement des parties, mais sous toute réserve des droits des parties en appel[5].

[5]         Après le début de la première instance, mais avant que le juge Richard rende une décision, l'intimée a donné aux requérantes un autre avis qui soulevait une nouvelle allégation relative à l'oméprazole. Cette nouvelle allégation était fondée sur la prétention de l'intimée selon laquelle celle-ci disposait d'un procédé de fabrication de l'oméprazole qui ne contrefaisait pas les brevets des requérantes.

[6]         Le 10 août 1995, en réponse au second avis d'allégation de l'intimée, les requérantes ont déposé l'avis de requête introductive d'instance qui fait l'objet de la présente instance. Depuis cette date, un certain nombre de différends sont survenus, et surtout une requête de la part des requérantes en vue d'obtenir une ordonnance portant que le second avis d'allégation était nul et non avenu parce que l'ordonnance du juge Richard avait tranché définitivement la question de la contrefaçon relative à l'oméprazole.

[7]         Le 8 janvier 1997, le juge MacKay a rejeté la requête des requérantes au motif qu'elle soulevait des questions qui ne pouvaient être tranchées adéquatement dans le cadre d'une instance interlocutoire. Plus précisément, le juge MacKay a conclu que [TRADUCTION] « c'est au moment d'examiner l'ensemble de la preuve qu'il faut déterminer le poids à accorder à un élément de preuve, soit à l'audition de l'avis de requête introductive d'instance... » [6].

[8]         Le 11 septembre 1995, le juge Gibson a délivré une ordonnance conservatoire visant la présente instance. Au cours de l'audience, les deux parties ont consenti à son retrait, de sorte que je puis maintenant aborder sans réserve la question de la contrefaçon. Avant de ce faire, il importe de régler certaines questions d'ordre procédural.

QUESTIONS D'ORDRE PROCÉDURAL

[9]         Par suite de la décision de la Cour d'appel dans Eli Lilly and Company et al. c. Apotex et al.[7], les requérantes ne peuvent plus faire valoir que la question sous-jacente à la présente instance est une chose jugée en raison de l'ordonnance antérieure du juge Richard. Cet argument a été abandonné.

[10]       Pour ce qui est de l'énoncé du droit et des faits sur lequel l'intimée se fonde, les requérantes déclarent qu'il devrait se limiter aux motifs énoncés dans l'avis d'allégation daté du 23 juin 1995 et les trois affidavits originaux déposés avec l'ordonnance conservatoire délivrée dans la présente affaire. Elles prétendent que les motifs additionnels invoqués dans l'affidavit subséquent signé par le docteur Slemon constituent des motifs distincts et nouveaux qui ne devraient pas être traités comme faisant partie à juste titre de l'énoncé du droit et des faits de l'avis d'allégation.

[11]       La question de savoir ce qui fait partie à juste titre de l'énoncé des faits fourni par une deuxième personne à l'appui d'un avis d'allégation est importante, car il est maintenant établi que les faits invoqués conformément au paragraphe 5(3) sont présumés avérés. Toutefois, l'affidavit du docteur Slemon a été introduit avec la permission de la Cour[8], et j'estime que toute opposition à son introduction aurait dû être réglée à ce moment. Depuis, les requérantes ont répondu à ces motifs additionnels et il est maintenant trop tard pour prétendre qu'il faudrait en faire abstraction.

[12]       Les requérantes font aussi valoir qu'en donnant un deuxième avis d'allégation relatif à l'oméprazole, l'intimée a ouvertement fait fi de l'ordonnance par laquelle le juge Dubé lui a expressément interdit de se fonder sur un autre avis d'allégation à l'égard du médicament appelé oméprazole. L'intimée a laissé l'appel qu'elle a interjeté à l'égard l'ordonnance demeurer en instance depuis bientôt cinq ans. Les requérantes soutiennent que ce comportement équivaut à un abus de procédures, qui devrait être sanctionné en conséquence.

[13]       Il semble clair qu'en donnant un nouvel avis d'allégation à l'encontre des termes explicites de l'ordonnance du juge Dubé tout en ne poursuivant pas l'appel qu'elle a interjeté de cette ordonnance, l'intimée a agi d'une manière qui tend à miner l'autorité de la Cour. Toutefois, je ne suis pas certain de la sanction qui convient, s'il en est une, et, après avoir souligné ce point, je préfère ne pas m'y attarder[9].

[14]       Je passe maintenant aux faits qui se rapportent à la question de la contrefaçon.

LES FAITS

[15]       Le procédé qui, selon l'intimée, ne contrefait pas le brevet en cause a été mis au point par Torcan Chemical Ltd. ( « Torcan » ). Avant cela, Torcan détenait une licence obligatoire pour l'oméprazole.

[16]       Torcan a d'abord obtenu cette licence obligatoire le 26 février 1987, et elle l'a remise en octobre 1991. Par la suite, le gouvernement a aboli les licences obligatoires octroyées après le 20 décembre 1991.

[17]       Dans une lettre adressée au commissaire aux brevets en date du 22 août 1992, le président de Torcan, le docteur Jan Oudenes, s'est plaint amèrement des [TRADUCTION] « conséquences désastreuses » que l'abolition des licences obligatoires aurait sur les plans commerciaux de Torcan au sujet de l'oméprazole. Plus précisément, le docteur Oudenes a fait valoir que si Torcan n'avait pas remis de bonne foi sa licence obligatoire, elle détiendrait encore une licence valide pour l'oméprazole en dépit de l'abolition du système de licences obligatoires.

[18]       Cette lettre n'a pas donné les résultats escomptés, et Torcan a eu recours à une autre méthode pour préserver son droit de fabriquer de l'oméprazole. Elle a confié à son chimiste principal, le docteur Clarke Slemon, la tâche de mettre au point un procédé de fabrication de l'oméprazole qui permettrait de contourner les revendications du brevet nE158.

[19]       Le docteur Slemon a commencé par examiner les renseignements recueillis par les chercheurs de Torcan qui avaient fabriqué auparavant certaines quantités d'oméprazole d'après les révélations du brevet nE158 dans le but d'expérimenter la méthode de fabrication. Des lacunes importantes auraient été relevées et, finalement, le docteur Slemon a fait une découverte inattendue qui, selon l'intimée, corrige ces lacunes. Ce procédé fait l'objet du brevet américain nE5,374,730 ( « 730 » ), délivré à Torcan le 20 décembre 1994[10]. Il s'agit du procédé (le « procédé de Torcan » ) que l'intimée prétend avoir à sa disposition et sur lequel elle fonde son allégation de non-contrefaçon.

[20]       Les parties ont présenté de nombreux éléments de preuve relatifs au procédé de Torcan. Après le dépôt de l'avis de requête introductive d'instance et la délivrance de l'ordonnance de confidentialité du juge Gibson, l'intimée a déposé les affidavits du docteur Robert McClelland, professeur au département de chimie de l'Université de Toronto, du docteur James Hendrickson, professeur au département de chimie de Brandeis University, et du docteur Jan Oudenes.   

[21]       En réponse, les requérantes ont déposé les affidavits du docteur James Wuest, professeur de sciences à l'Université de Montréal, et du docteur Peder Berntsson, directeur principal et chef du département des brevets chez Astra Hassle AB.

[22]       L'intimée a ensuite obtenu l'autorisation de déposer l'affidavit du docteur Slemon, auquel les requérantes ont répondu par l'affidavit du docteur Tony Durst, vice-doyen de la faculté des sciences de l'Université d'Ottawa, ainsi que par les affidavits supplémentaires des docteurs Wuest et Berntsson.

[23]       L'intimée a invoqué plusieurs arguments à l'appui de son allégation. Le premier conteste la validité du brevet nE158. L'intimée prétend que les étapes clés des procédés décrits dans les revendications 1 et 8 du brevet nE158 ne fonctionnent pas ou, alors, donnent des composés intermédiaires instables, des impuretés, qui font en sorte que la synthèse ultime de l'oméprazole est peu pratique. L'intimée soutient que le procédé du brevet nE158 est susceptible de donner lieu à des problèmes de dégradation, de décomposition et de purification. L'intimée prétend que, pour combler ces lacunes, le procédé du brevet nE 158 doit avoir lieu dans des conditions qui réduisent l'efficacité de la réaction et minent la viabilité de la production à grande échelle de l'oméprazole.

[24]       L'intimée est d'avis que les requérantes sont au courant des lacunes du procédé du brevet nE158. Selon elle, ces lacunes ont incité les requérantes à mettre au point et à breveter un procédé amélioré. Ce nouveau procédé, qui fait l'objet du brevet américain nE5,386,032 ( « 032 » ), réduirait l'acidité du milieu dans lequel l'oméprazole est synthétisé.

[25]       Le deuxième argument de l'intimée est que son procédé élimine les lacunes du procédé du brevet nE158. Elle prétend que le procédé de Torcan fait appel à des composés intermédiaires spéciaux, un sulfo-amide, le composé D, et un sulfoxyde-amide, le composé E, que le brevet nE158 ne révèle pas. Le composé E est produit par l'oxydation du composé D. Selon l'intimée, les composés D et E sont des solides cristallins tandis que les intermédiaires correspondants du procédé du brevet nE158 sont des huiles. Ces composés, est-il allégué, permettent la synthèse de l'oméprazole dans des conditions qui empêchent la décomposition et facilitent la purification.   

[26]       Le troisième et dernier argument de l'intimée souligne le caractère inventif de son procédé et, particulièrement, la nouveauté du composé E. L'intimée prétend que les publications scientifiques actuelles préconisent expressément de ne pas recourir à ce type d'intermédiaire du fait de sa susceptibilité à la réaction de Pummerer. Elle ajoute que le procédé Torcan est inventif parce que le docteur Slemon a été en mesure de mettre au point une combinaison de composés qui permettent d'employer ce type d'intermédiaire sans subir aucun des effets secondaires mentionnés dans les publications scientifiques. L'intimée affirme donc que le procédé Torcan emploie des composés qui ne sont pas des équivalents chimiques évidents de ceux du brevet nE158, et qu'il les emploie d'une manière que n'envisage pas ce brevet. Comme preuve additionnelle de cette affirmation, l'intimée renvoie au brevet nE730 délivré par le Bureau américain des brevets.

[27]       Les requérantes soulignent que le mode de synthèse de l'oméprazole aux termes du brevet nE158 n'est pas limité. Cela veut dire que les procédés qui y sont décrits peuvent avoir lieu dans diverses conditions de réaction, lesquelles incluent l'état physique des composés intermédiaires ainsi que l'acidité et la température dans lesquelles l'oméprazole peut être synthétisé. De l'avis des requérantes, étant donné la portée du brevet nE158 relatives aux conditions de réaction, l'état physique de l'intermédiaire et le degré de pureté du composé ne sont simplement pas pertinents pour déterminer si son procédé et celui de Torcan sont distincts.

[28]       En tout état de cause, les requérantes soutiennent que la preuve n'étaye pas les distinctions relevées par l'intimée au sujet de l'état physique des intermédiaires et du degré de pureté du composé. Elles soulignent que leurs deux procédés et celui de Torcan nécessitent la formation d'un sulfoxyde par oxydation d'un sulfide. Le sulfide employé dans le procédé des requérantes est appelé composé IV. Selon ces dernières, la seule différence tangible entre leur procédé et celui de Torcan est l'ajout d'un groupement carboxamide au composé D, le sulfide employé par Torcan. Les requérantes prétendent que l'ajout du groupement carboxamide produit une variante très mineure et peu importante du composé IV et n'aurait aucune incidence sensible sur la façon dont fonctionne leur propre procédé. De plus, même si les requérantes soutiennent que l'état physique réel de l'intermédiaire de sulfide est sans importance étant donné que, dans les deux procédés, l'oxydation a lieu dans une solution, elles insistent pour dire que les composés D et IV sont tous deux des solides cristallins.

[29]       En ce qui concerne la purification, les requérantes soutiennent que leur procédé permet de purifier aisément l'oméprazole par recristallisation. Les requérantes soulignent que l'intimée n'a présenté aucune preuve indiquant le contraire. En outre, selon les requérantes, il ressort de la preuve documentaire que l'oméprazole obtenu à l'aide du procédé de Torcan est sensiblement inférieur à celui produit à l'aide du procédé nE158. À leur avis, ce résultat plus faible porte à croire que c'est en réalité le procédé de Torcan qui tend à éprouver des problèmes de purification.

[30]       Les requérantes contestent aussi la preuve de l'intimée concernant la réaction de Pummerer. Elles soulignent que les affidavits des docteurs Hendrickson et McClelland, qui ne présentent qu'une preuve de l'état physique des intermédiaires et de la purification de l'oméprazole, reflètent la position initiale de l'intimée. Ce n'est qu'après que les requérantes ont répondu à ces arguments que l'intimée, au moyen de l'affidavit du docteur Slemon, a prétendu que la réaction de Pummerer était pertinente à la présente instance.

[31]       Les requérantes soutiennent que l' « évocation tardive » de l'argument concernant la réaction de Pummerer est indéfendable. Selon elles, les articles scientifiques sur lesquels se fonde le docteur Slemon pour appuyer la thèse selon laquelle le composé E était considéré comme inutilisable en raison de sa susceptibilité à la réaction de Pummerer prouve aussi que cette réaction se produit très lentement et qu'elle peut être facilement évitée dans des conditions d'acidité minimale et à des températures plus froides. Les requérantes prétendent qu'une personne versée dans l'art comprendrait que le sulfide D du procédé Torcan pourrait être oxydé pour produire le sulfoxyde E dans les mêmes conditions que celles envisagées par le brevet nE158. Les requérantes concluent donc que le procédé Torcan constitue un équivalent chimique évident.

ANALYSE ET DÉCISION

[32]       La Cour doit, selon la prépondérance des probabilités, déterminer si les requérantes ont réfuté avec succès l'allégation de l'intimée. Étant donné que cette allégation est fondée sur un procédé censé ne pas contrefaire un brevet, la Cour doit déterminer si les requérantes ont prouvé que le procédé de l'intimée contrefait les revendications applicables du brevet nE158.

[33]       Seules les revendications 1 et 8 seraient pertinentes. Comme leur libellé est évident et non ambigu, il ne m'est pas nécessaire d'aller au-delà de ces revendications pour en interpréter la portée[11].

[34]       Pour examiner la question de la contrefaçon, les tribunaux ont adopté une méthode téléologique :

Le mémoire descriptif d'un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, rédigée en ses propres mots, à l'intention de tous ceux qui, sur le plan pratique, pourront s'intéresser à l'objet de l'invention (c.-à-d. « les hommes du métier » ). Par sa déclaration, le breveté informe ces personnes de ce qu'il estime être les éléments essentiels du produit ou du procédé nouveau sur lequel les lettres patentes lui accordent un monopole. Ce ne sont que ces caractéristiques originales qu'il dit essentielles qui constituent ce qu'on appelle la « substance » de la revendication. Le mémoire descriptif d'un brevet doit recevoir une interprétation utilitaire plutôt qu'une interprétation purement littérale résultant du genre de méticuleuse analyse verbale à laquelle les avocats, en raison de leur formation, sont trop souvent enclins. La question qui se pose dans chaque cas est de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques dans le domaine dans lequel l'invention est censée être employée, concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu'on suive à la lettre telle phrase ou tel mot descriptifs figurant dans une revendication, de sorte que toute variante échapperait au monopole revendiqué, même si elle ne pouvait avoir aucune incidence importante sur le fonctionnement de l'invention[12].

[35]       Il est bien établi qu'en l'absence du groupement carboxamide dans le procédé de Torcan, celui-ci tomberait littéralement sous le coup de la revendication 1 du brevet nE 158. Compte tenu de sa présence, les requérantes sont d'avis que seule la revendication 8 est littéralement contrefaite parce qu'elle revendique l'oméprazole préparé à l'aide d'un procédé visé par la revendication 1 ou d' « un équivalent chimique évident » .

[36]       Pour déterminer si le procédé mis au point par Torcan est un « équivalent chimique évident » , il me faut établir si la revendication 1 englobait déjà le procédé de Torcan, de manière à le priver de tout caractère inventif. Plus précisément :

La question est de savoir si... un technicien qualifié mais peu imaginatif, se fondant sur ses connaissances générales, sur ce qui avait été écrit dans le domaine et sur les renseignements qu'il avait à sa disposition, aurait été amené directement et sans aucune difficulté à l'invention...[13]

ou comme le juge Hugessen l'a dit dans Beloit Canada[14] :

La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet.

En m'inspirant de ces principes, j'examinerai maintenant la preuve.

[37]       Le brevet nE158 comporte 89 revendications relatives à la synthèse de l'oméprazole, un médicament qui inhibe la sécrétion d'acide gastrique. Ainsi qu'il a été mentionné, les requérantes ont affirmé que, pour les besoins de la présente instance, les revendications 1 et 8 sont pertinentes[15]. La revendication 1 vise quatre procédés de préparation de l'oméprazole ou certains de ses antécédents chimiques. Les requérantes soutiennent que la revendication 1 du brevet nE158 comporte deux procédés qui sont pertinents pour les besoins de la présente instance, soit l'étape a) et l'étape c). L'étape a) revendique la formation d'un sulfoxyde III par oxydation du sulfide IV. L'étape c) revendique la réaction entre les composés VII et VIII pour créer le composé IV qui, à son tour, par oxydation, forme le composé III. La revendication 8 vise les composés décrits dans la revendication 1 lorsqu'ils sont fabriqués à l'aide de l'un des procédés de la revendication 1, ou d'un équivalent chimique évident.

[38]       À son affidavit, le docteur Wuest a joint un tableau qui révèle que le mécanisme de réaction d'ensemble du procédé de l'intimée et de celui des requérantes est le même[16]. Les deux procédés comportent trois étapes de base : une substitution nucléophilique; la formation d'un sulfoxyde par oxydation d'un sulfide; la formation de l'oméprazole par la purification ou une synthèse supplémentaire du sulfoxyde. Les parties conviennent que dans les deux procédés, l'oxydation est l'étape clé de la synthèse de l'oméprazole.

[39]       Le fait que les procédés soient si remarquablement similaires est conforme au témoignage du docteur Slemon en contre-interrogatoire. Celui-ci a reconnu que pour mettre au point le procédé de Torcan, il a fondé sa recherche sur les renseignements révélés dans le brevet nE158. Sa tâche consistait à concevoir une modification du procédé nE158 qui soit suffisante pour justifier une allégation de non-contrefaçon.

[40]       La modification que le docteur Slemon a finalement intégrée au procédé de Torcan comporte l'ajout de deux étapes au procédé nE158. Ces étapes permettent d'introduire un groupement carboxamide à l'intermédiaire de sulfide et son élimination après l'oxydation. L'intimée prétend que la présence du groupement carboxamide dans le procédé de Torcan crée une réaction chimique nouvelle et imprévue.

[41]       Au soutien de cette thèse, l'intimée a initialement déposé les affidavits des docteurs Hendrickson et McClelland. Dans leurs affidavits, ces deux personnes disent qu'en raison du groupement carboxamide, le procédé de Torcan diffère du procédé du brevet nE158, et ce, pour deux grandes raisons.

[42]       La première différence relevée par les docteurs Hendrickson et McClelland a trait à l'état physique de l'intermédiaire de sulfide dans les deux procédés. Selon ces deux spécialistes, le sulfide qui est en cause dans le procédé de Torcan, le composé D, est un solide cristallin, tandis que dans le procédé du brevet nE158, il s'agit du composé IV, qui est une huile. Il serait donc plus facile de purifier le composé D que le composé IV.

[43]       La seconde différence relevée par les docteurs Hendrickson et McClelland concerne les prétendus avantages du procédé de Torcan à l'égard de la purification consécutive à l'oxydation. Le docteur Hendrickson a dit que, dans le procédé visé par le brevet nE158 et dans le procédé de Torcan, l'oxydation du sulfide produisait des impuretés colorées; pour sa part, le docteur McClelland estimait que selon le procédé de Torcan, le sulfoxyde, le composé E, était obtenu sous une forme incolore. Toutefois, les deux ont prétendu que l'oméprazole pouvait être purifié beaucoup plus facilement à l'aide du procédé de Torcan en raison des caractéristiques de solubilité du composé E.

[44]       En contre-interrogatoire, l'exactitude du témoignage des docteurs Hendrickson et McClelland sur les questions susmentionnées s'est révélée lacunaire. Ces deux témoins ont admis n'avoir jamais appliqué le procédé de Torcan ou celui du brevet nE158. Ils ont tous deux reconnu qu'ils avaient simplement présumé que le composé IV des requérantes était une huile, et que leur opinion changerait si cela s'avérait inexact. Sur ce point, le docteur Hendrickson a dit :

[TRADUCTION]

Ce à quoi nous voulons en venir, c'est comment j'ai su que ces choses n'étaient pas cristallines et difficiles à purifier. Je ne peux pas répondre à cette question; je ne sais pas comment je le savais[17].

De son côté, le docteur McClelland a reconnu que son hypothèse au sujet de l'état physique du composé IV était exclusivement fondée sur la révélation du brevet nE730 :

[TRADUCTION]

Q. Autrement, vous ne savez pas s'il s'agit d'un solide ou d'une huile ou quel est son état physique?

R. Au moment de signer le présent affidavit, je l'ignorais[18].

Enfin, je souligne que le docteur Hendrickson a admis qu'au moment où il a signé son affidavit, il ne savait pas en fait si l'oxydation du composé IV produisait des dérivés colorés[19].

[45]       En réponse à la preuve présentée par les docteurs Hendrickson et McClelland, les requérantes ont déposé, notamment, l'affidavit du docteur Berntsson. En ce qui concerne l'état physique du composé IV, le docteur Berntsson a produit des notes de laboratoire qui correspondent à son affirmation selon laquelle [TRADUCTION] « le composé de sulfide IV employé pour produire de l'oméprazole est une substance cristalline solide - et non une huile... » [20].

[46]       Pour ce qui est de la question de la purification, le docteur Berntsson a soutenu que les conditions du procédé du brevet nE158, soit la basse température et la faible acidité, réduisaient toute décoloration résultant de la décomposition. De plus, selon le docteur Berntsson, toute impureté susceptible de se produire lorsque le procédé du brevet nE158 est employé peut facilement être purifiée par recristallisation. Le docteur Berntsson a aussi fait valoir que tout perfectionnement que l'introduction du groupement carboxamide pourrait apporter au procédé de Torcan pour ce qui est de la purification est annulé par les étapes additionnelles du procédé qui sont nécessaires pour son élimination. Pour prouver cette affirmation, le docteur Berntsson a souligné le très faible rendement obtenu pour la conversion du composé E en oméprazole selon le procédé de Torcan. D'après le docteur Berntsson, la production d'oméprazole fini selon le procédé de Torcan correspond à la moitié environ de celle que permet d'obtenir le procédé du brevet nE158[21].

[47]       Pour ce qui est des différences que le groupement carboxamide est censé apporter au procédé de Torcan, en ce qui a trait à l'état physique des intermédiaires et la facilité comparative de purification qui est censée en résulter, j'ajoute foi à la preuve du docteur Berntsson plutôt qu'à celle des docteurs Hendrickson et McClelland. Ni le docteur Hendrickson ni le docteur McClelland n'ont personnellement fait l'essai des procédés en cause, et leurs affidavits sont le fruit de conjectures. J'ajoute aussi foi à la preuve du docteur Berntsson quant à l'écart la différence de production obtenue par les deux procédés. Selon moi, la production inférieure obtenue par le procédé de Torcan contredit l'affirmation de l'intimée selon laquelle il est nettement plus difficile de purifier l'oméprazole à l'aide du procédé du brevet nE158. En fait, en contre-interrogatoire, le docteur McClelland a lui-même reconnu qu'à l'aide des techniques de purification traditionnelles, l'oméprazole fabriqué au moyen du procédé du brevet nE158 est aisément purifié[22].

[48]       Dans son affidavit déposé après l'affidavit susmentionné du docteur Berntsson, le docteur Slemon n'a pas contesté la prétention selon laquelle le composé IV est un solide cristallin. En fait, en contre-interrogatoire, ce dernier a décrit toute la question du solide et de l'huile comme une « tempête dans un verre d'eau » . La position du docteur Slemon sur cette question est donc incompatible avec la position initiale soutenue par l'intimée à l'appui de son avis d'allégation. En outre, le docteur Slemon a admis que le passage du brevet nE730 où il est dit que le composé IV est une huile et est donc difficile à purifier, n'était censée être une affirmation catégorique, mais une affirmation fondée sur les propres résultats de Torcan obtenus dans le cadre de l'expérimentation du procédé du brevet nE158. Je suis contraint de prendre note du fait que les déclarations qui ont mené à la délivrance du brevet nE730 n'étaient pas aussi limitées[23].

[49]       Dans son affidavit, le docteur Slemon invoque de nouveaux motifs dans une tentative apparente pour faire valoir de nouveau les avantages du procédé de Torcan par rapport à celui des requérantes. Il explique que, contrairement au procédé des requérantes, celui de Torcan ne synthétise pas l'oméprazole directement à partir du sulfide. Selon le docteur Slemon, la formation du composé E par oxydation du composé D a lieu à l'avant-dernière étape du procédé de Torcan. Cela permet d'éliminer l'excès d'oxydant avant d'isoler et de purifier le composé E. Ce n'est qu'à cette étape que le groupe de carboxamide est dissocié du composé E et que l'oméprazole est formé.

[50]       Le docteur Slemon prétend que dans le procédé des requérantes, une fois l'oméprazole produit, l'agent oxydant demeure. En conséquence, l'oméprazole des requérantes présente un risque d'oxydation trop poussée et de dégradation. Selon le docteur Slemon, pour limiter ces deux conséquences, la synthèse de l'oméprazole selon le procédé des requérantes doit avoir lieu avec une [TRADUCTION] « capacité de refroidissement fastidieuse » . Cela doit être mis en contraste avec la technologie de Torcan qui, aux dires du docteur Slemon, ne nécessite aucun refroidissement important au cours de ses étapes.

[51]       Le dossier n'étaye pas les affirmations du docteur Slemon au sujet du refroidissement. Premièrement, à l'instar du brevet nE158, le brevet nE730 n'est pas limité par les conditions du procédé. Cela donne à penser que les personnes versées dans l'art comprendraient comment le procédé fonctionne dans les deux cas, sans qu'il leur soit nécessaire de se reporter aux conditions de température; il aurait été évident aux yeux de toute personne semblable que, selon l'un ou l'autre procédé, il est nécessaire de conserver une faible température pour éviter une oxydation trop poussée. De plus, dans la description des réalisations privilégiées, le brevet précise aussi un refroidissement à des températures prédéterminées[24]. Le brevet nE730 n'étaye donc pas la distinction relative au refroidissement que le docteur Slemon cherchait à établir entre les deux procédés.

[52]       Le docteur Slemon a tenté d'appuyer cette distinction sur des spécifications de procédé qu'il avait conçues après le début du litige[25]. Toutefois, ces spécifications prévoient aussi un refroidissement pour éviter une oxydation trop poussée. Interrogé à ce sujet au cours de son contre-interrogatoire, le docteur Slemon a expliqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

À certaines étapes, nous refroidissons mais ce n'est pas parce que de la chaleur est générée à l'intérieur; c'est simplement parce que nous estimons que lorsque nous sommes sur le point de faire un filtrage, disons que nous voulons faire ce filtrage à une température plus basse pour augmenter la production, il faudrait alors baisser la température[26].

Toutefois, les spécifications de procédé en cause que le docteur Slemon a lui-même conçues indiquent ceci :

[TRADUCTION]

... le mélange de réaction est refroidi à une température de 0 à 5 degrés Celsius et une vérification est faite pour voir si la réaction s'est produite. La réaction est légèrement exothermique et le réacteur est refroidi au besoin pour maintenir la température à l'intérieur de cette fourchette. Après le délai indiqué, la réaction est refroidie, ce qui stoppe toute autre réaction[27].

[53]       Le dossier qui m'a été présenté ne renferme aucune preuve de l'affirmation du docteur Slemon selon laquelle, contrairement au procédé qu'il a conçu, le procédé du brevet nE158 exige une [TRADUCTION] « capacité de refroidissement fastidieuse » .

[54]       Le docteur Slemon a aussi fait référence au brevet nE032 comme preuve des problèmes qui sont inhérents au procédé du brevet nE158. Toutefois, le brevet nE032 porte sur un perfectionnement. Il concerne une méthode d'optimisation de la procédure déjà révélée dans le brevet nE158. Plus précisément, il améliore la méthode de synthèse de l'oméprazole en limitant le pH au point où l'oxydation a lieu dans le procédé du brevet nE158. L'existence du brevet nE032 témoigne du fait que le brevet nE158 est perfectible, mais il ne prouve pas que le procédé du brevet nE158 ne fonctionne pas ou n'est pas viable dans sa forme actuelle.

[55]       Ainsi qu'il a été souligné plus tôt, même si l'affidavit du docteur Slemon a été déposé censément pour répondre aux questions soulevées par la réponse des requérantes à la preuve des docteurs Hendrickson et McClelland, il concerne, dans l'ensemble, une question à laquelle ni l'une ni l'autre des parties n'ont fait allusion, soit la réaction de Pummerer. Dans son affidavit, le docteur Slemon semble se fonder sur cette réaction comme preuve du fait que l'utilisation, par l'intimée, de l'intermédiaire de sulfoxyde ne pouvait avoir été envisagée par le brevet nE158. Le docteur Slemon prétend que les personnes versées dans l'art s'attendraient à ce que le composé E soit instable et donc inutile comme intermédiaire de procédé pour fabriquer l'oméprazole.

[56]       À ce sujet, le docteur Slemon a attiré l'attention sur une note de service écrite après qu'il lui eut été demandé de contourner les revendications du brevet nE158, mais avant qu'il s'attaque à cette tâche, et dans laquelle il a noté la susceptibilité de celui-ci à la réaction de Pummerer[28]. L'avocat a expliqué que le docteur Slemon a décidé d'expérimenter le sulfoxyde malgré les doutes qu'il entretenait, parce qu'il croyait néanmoins que [TRADUCTION] « cela valait la peine d'essayer » . On se rappellera que la persistance du docteur Slemon a mené à ce qu'il a appelé la découverte « imprévue » et « étonnante » que le composé E était stable[29].

[57]       Les requérantes contestent l'interprétation que fait le docteur Slemon de l'importance de la réaction de Pummerer. Elles soulignent que le docteur Slemon cite sélectivement des passages tirés d'articles dont certains ont été rédigés par des savants qui cherchaient à dessein à provoquer la réaction de Pummerer. En outre, selon les requérantes, ces mêmes articles démontrent que les composés sulfinyliques ne sont pas sensibles à une réaction de Pummerer si la combinaison d'une température et d'une acidité élevées est évitée.

[58]       Les requérantes soulignent que l'oméprazole lui-même est sensible à une réaction de Pummerer. Il s'ensuit qu'il serait évident aux yeux d'un chimiste versé dans l'art que la synthèse de l'oméprazole doit se faire dans les conditions nécessaires pour éviter que la réaction de Pummerer se produise lorsqu'il s'agit du composé E. Le témoignage du docteur Durst illustre ce point. Après qu'on lui a montré le composé D et demandé son avis quant à la viabilité de la formation du composé E par oxydation, le docteur Durst a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

... il était évident pour moi que le sulfoxyde correspondant pourrait être formé par oxydation du composé correspondant. En exprimant cette opinion, j'ai tenu compte du fait que le sulfoxyde résultant pourrait, dans certaines conditions de réaction, subir une réaction de Pummerer. Toutefois, comme cette réaction se produit habituellement lorsque des conditions de réaction acide et de température plus élevée sont réunies, il était et il demeure évident pour moi que la réaction pouvait être évitée en évitant ces conditions.

De plus, c'était et c'est encore mon opinion que la personne moyenne versée dans l'art des brevets de Hassle à qui on présente le même composé et on pose la même question exprimerait la même opinion à l'égard de l'oxydation du composé et de la posssibilité d'éviter la réaction de Pummerer.

Cette opinion s'appuie sur le fait que la réaction de Pummerer est si bien connue que la personne moyenne versée dans l'art pertinent la connaîtrait, de même que les conditions de réaction dans lesquelles elle peut se produire. Une telle personne connaîtrait donc aussi les conditions de réaction qui permettent d'éviter la réaction de Pummerer. En particulier, elle saurait que cette dernière peut être évitée à l'aide de températures moins élevées et de conditions de réaction moins acides[30]

Lorsqu'on leur a présenté un tableau du procédé de Torcan, tant le docteur Hendrickson que le docteur McClelland se sont contentés de confirmer que le procédé fonctionnait, et ce fait reflète l'opinion du docteur Durst sur ce point. Il s'ensuit que ni le docteur Hendrickson ni le docteur McClelland ne considéraient que la réaction de Pummerer était un problème. La façon dont ils ont réagi prouve d'une manière des plus convaincantes que la réaction de Pummerer est bien connue des personnes versées dans l'art, et que les façons de l'éviter sont si évidentes qu'il ne vaut pas la peine de les mentionner.

[59]       Même si le docteur Slemon a prétendu témoigner à titre d'expert, il a donné son opinion sur le procédé qu'il a lui-même conçu dans le but de contourner les revendications présentées dans le brevet nE158. Il se prononçait donc sur la question de savoir s'il était parvenu à contourner ces revendications.

[60]       Il est clair à mes yeux que le docteur Slemon n'a pas l'indépendance nécessaire pour être reconnu comme expert en l'espèce. Le docteur Slemon se consacrait à la mise au point d'un procédé qui ne contrefaisait pas le brevet et visait à le faire confirmer par la Cour. Quand les premiers arguments invoqués par les deux experts indépendants de l'intimée ont été réfutés, il a tenté de rescaper le projet en faisant référence à de nouveaux motifs et à des perfectionnements du procédé qu'il avait conçus après la délivrance du brevet nE730 et, en fait, après que l'avis d'allégation avait été donné dans la présente affaire. Étant un inventeur, il n'est pas surprenant qu'il en ait eu plus à dire au sujet du procédé que les docteurs McClelland et Hendrickson. J'ajoute foi à son témoignage dans la mesure où il permet d'établir des faits pertinents. Toutefois, son intérêt personnel à l'égard de la présente affaire et les circonstances dans lesquelles il y a été mêlé m'empêchent de le reconnaître comme expert. Dans la mesure où ses opinions étaient considérées comme essentielles à la cause de l'intimée, elles auraient dû être exprimées par quelqu'un d'autre.

[61]       Si j'examine le procédé de Torcan à la lumière des éléments de preuve qui m'ont été soumis à juste titre, il est évident que l'ajout et l'élimination du groupement carboxamide conçu par le docteur Slemon ne facilite aucunement la réaction d'oxydation, soit la principale étape qui sous-tend le brevet nE158. Ce que fait cette opération, c'est ajouter deux étapes au procédé, tout en réduisant sensiblement la production. Je souscris à l'opinion du docteur Wuest selon laquelle le procédé de Torcan n'a aucune incidence appréciable sur le fonctionnement du procédé décrit dans le brevet nE158; il n'est d'aucune utilité.

[62]       En conclusion, je souscris à l'opinion des trois experts agissant pour le compte des requérantes selon laquelle le procédé de Torcan est un équivalent chimique évident du procédé révélé dans le brevet nE158 et revendiqué aux points a) et c) de la revendication 1 de ce brevet. Il s'ensuit qu'en ce qui concerne le brevet nE158, l'allégation de l'intimée n'a pas été prouvée.

[63]       Pour ces motifs, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l'égard du médicament appelé oméprazole, y compris les capsules de 20 mg et de 40 mg de ce médicament jusqu'à l'expiration du brevet nE158, est délivrée. La demande est par ailleurs rejetée.

                                                                                                          Marc Noël   

                                                                                                                                         Juge

                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 février 1998

Traduction certifiée conforme :

                                          

Martine Guay, LL.L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NEDU GREFFE :       T-1712-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :AB HASSLE ET ASTRA PHARMA INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.

LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :DU 2 AU 5 FÉVRIER 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. LE JUGE NOËL

EN DATE DU                                   20 FÉVRIER 1998

ONT COMPARU :

Me GUNARS GAIKIS                      POUR LES REQUÉRANTES

Me J. SHELDON HAMILTON

Me HARRY RADOMSKIPOUR L'INTIMÉE APOTEX INC.

Me IVOR HUGHES

AUCUNE COMPARUTION           POUR LE MINISTRE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR                         POUR LES REQUÉRANTES

TORONTO (ONTARIO)

GOODMAN PHILLIPS & VINEBERG      POUR L'INTIMÉE APOTEX INC.

TORONTO (ONTARIO)

Me GEORGE THOMSON                POUR LE MINISTRE INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA


                                                                     ANNEXE I

REVENDICATION 1

Procédé pour la préparation d'un composé de formule générale III

ou d'un de ses sels à caractéristiques thérapeutiques acceptables dans lequel R1 et R2 sont identiques ou différents et sont sélectionnés parmi un groupe constitué par l'hydrogène, les halogènes et les groupes alkyle, carbométhoxy, carbéthoxy, alkoxy et alkanoyle, peu importe leur position, R6 est sélectionné dans un groupe constitué par l'hydrogène et les groupes méthyle et éthyle, R3, R4 et R5 sont identiques ou différents et sont sélectionnés dans un groupe constitué par l'hydrogène et les groupes méthyle, méthoxy, éthoxy, méthoxyéthoxy et éthoxyéthoxy, à la condition que R3, R4 et R5 ne soient pas tous des hydrogènes et que si deux des membres du groupe R3, R4 et R5 sont des hydrogènes, le troisième membre ne soit pas un groupe méthyle; les étapes de ce procédé sont notamment :

a) l'oxydation d'un composé de formule IV

où R1, R2, R6, R3, R4 et R5 sont comme ci-dessus et forment un composé de formule III;


c) la réaction d'un composé de formule VII

où R1 et R2 sont comme ci-dessus et Z1 est un groupe SH, ou un groupe hydroxylique réactif estérifié, respectivement, avec un composé de formule VIII

où R6, R3, R4 et R5 sont comme ci-dessus et Z2 est un groupe hydroxylique réactif estérifié ou un groupe SH, respectivement, et forme un composé intermédiaire de formule IV, qui est ensuite oxydé pour donner un composé de formule III;

REVENDICATION 8

Composé de formule III défini dans la revendication 1 ou sel à caractéristiques thérapeutiques acceptables de celui-ci lorsqu'il est préparé selon un procédé chimique conforme à la revendication 1, ou équivalent chimique évident de celui-ci.




     [1]DORS/93-133.

     [2]Les requérantes ont indiqué que, dans la présente instance, elles ne sollicitaient aucune mesure de redressement à l'égard du brevet nE417, sous toute réserve de leurs droits en appel. Cette concession a été faite parce que ce brevet vise un intermédiaire sans valeur thérapeutique et ne devrait donc pas avoir été inclus dans les listes de brevets (voir Eli Lilly c. Apotex 68 C.P.R. (3d) 126 (C.A.F.)). L'intimée reconnaît qu'il s'agit du motif pour lequel son allégation doit être acceptée dans la mesure où ce brevet est concerné.

     [3]NEdu greffe T-1446-93.

     [4]Cette ordonnance dispose, notamment : [TRADUCTION] « il est interdit à Apotex Inc. de se fonder sur un avis d'allégation autre que celui daté du 27 avril 1993 concernant le médicament appelé oméprazole et les six brevets énumérés dans les listes de brevets datées du 8 avril 1993 » . Il a été interjeté appel de cette ordonnance.

     [5]L'intimée a interjeté appel de cette ordonnance et cet appel est en instance.

     [6][1997] 125 F.T.R. 57, à la page 64.

     [7](1997), 76 C.P.R. (3d) 1.

     [8]Ordonnance du juge Joyal datée du 14 août 1996.

     [9]L'avocat de l'intimée a indiqué en Cour qu'à la suite d'une ordonnance en justification délivrée par la Cour d'appel le contraignant à expliquer pourquoi l'appel en cause ne devrait pas être radié pour défaut de poursuivre, il a été en mesure de convaincre la Cour que son appel devait être entendu. Cela ne change pas le fait que son appel est en instance depuis quelque cinq ans, dans des circonstances où l'intimée semble avoir pendant tout ce temps fait fi de l'ordonnance du juge Dubé.

     [10]Le brevet désigne le docteur Slemon et une autre personne comme inventeurs. Torcan y figure à titre de cessionnaire. La demande de délivrance de ce brevet a été déposée le 4 novembre 1993.

     [11]AT & T Technologies Inc. c. Mitel Corp.(1989), 26 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.), à la page 249, le juge Reed. Voir aussi Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.), à la page 435.

     [12]Catnic Components Limited c. Hill & Smith Limited[1982], R.P.C. 183 (H.L.). Voir aussi O'Hara Manufacturing Ltd. c. Eli Lilly & Co. (1989), 26 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

     [13]Beecham Canada Ltd. c. Proctor & Gamble Co.(1982), 61 C.P.R. (2d) 1, à la page 27, le juge Urie.

     [14]Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294.

     [15]Les extraits pertinents des revendications 1 et 8 sont reproduits à titre d'annexe I jointe aux présents motifs.

     [16]Ce tableau est reproduit à titre d'annexe II jointe aux présents motifs.

     [17]Contre-interrogatoire du docteur Hendrickson, dossier de demande des requérantes, vol. IV, page 784.

     [18]Contre-interrogatoire du docteur McClelland, dossier de demande des requérantes, vol. IV, page 923. La réponse est particulièrement dommageable pour la cause de l'intimée, compte tenu des commentaires subséquents du docteur Slemon au sujet de la révélation du brevet nE730 à l'égard de l'état physique du composé IV. Voir le paragraphe 48 des présents motifs.

     [19]Contre-interrogatoire du docteur Hendrickson, dossier de demande des requérantes, vol. IV, page 799.

     [20]Affidavit du docteur Peder Berntsson, dossier de demande des requérantes, vol. I, page 181.

     [21]Pour l'essentiel, cette affirmation n'a pas été contestée.

     [22]Contre-interrogatoire du docteur McClelland, dossier de demande des requérantes, vol. IV, pages 939 et 940.

     [23]Cela est important car l'état huileux du composé IV est le motif pour lequel il est dit dans le brevet nE 730 que le composé est [TRADUCTION] « très difficile à purifier » (ligne 7, colonne 2 du brevet nE 730). L'état huileux est encore mentionné pour souligner le fait que les solides cristallins [TRADUCTION] « par opposition aux huiles » sont aisément purifiés (ligne 52, colonne 2, du brevet nE730). Dossier de demande des requérantes, vol. I, pages 102 et suivantes.

     [24]Colonne 7, ligne 25 du brevet nE730, dossier de demande des requérantes, vol. I, page 106.

     [25][TRADUCTION] « Étapes de fabrication » , pièce 4 jointe à l'affidavit du docteur Slemon, dossier de demande des requérantes, vol. II, page 251. Le processus décrit dans ces spécifications est censé optimiser le brevet nE730.

     [26]Contre-interrogatoire du docteur Slemon, dossier de demande des requérantes, vol. V, page 1126. Voir aussi la page 1127.

     [27]Note 25, supra, à la page 252.

     [28]Note manuscrite signée par le docteur Slemon et datée d'avril 1993. Pièce 22 jointe à l'affidavit du docteur Slemon (dossier de demande des requérantes, vol. II, page 493).

     [29]Affidavit du docteur Slemon, dossier de demande des requérantes, vol. II, page 240, paragraphe 40. L'élément de surprise est naturellement un élément essentiel d'une véritable découverte, et l'avocat de l'intimée s'est empressé d'ajouter que le fait que le docteur Slemon croyait que [TRADUCTION] « cela valait la peine d'essayer » ne rendait pas le résultat « évident » selon la jurisprudence récente, avec le résultat que le docteur Slemon aurait été, tout au long de sa quête visant à contourner les revendications du brevet nE158, animé du parfait état d'esprit de l'inventeur qui n'est pas en train de contrefaire un autre brevet. Voir Bayer Aktiengesallschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, aux pages 81 et 82.

     [30]Affidavit du docteur Tony Durst, dossier de demande des requérants, vol. II, pages 495 et 496. Il est utile de mentionner que le docteur Durst a exprimé cette opinion sans avoir vu de documents ou disposé de renseignements autres que la structure du composé.

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