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Date : 20010327

Dossier : T-1983-99

Référence neutre: 2001 CFPI 252

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 27 mars 2001

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté contre une décision du registraire des marques de commerce (Commission des oppositions) datée du 15 septembre 1999, rejetant la demande no 562,748 pour la marque de commerce CHESTNUT CANOE CO

ENTRE :

IVY LEA SHIRT CO. LTD.

demanderesse

- et -

1227624 ONTARIO LIMITED

faisant affaires sous le nom de

THE MUSKOKA FINE WATERCRAFT AND SUPPLY COMPANY

défenderesse

DEMANDE FONDÉE sur l'article 56 de la

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifiée


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), par Ivy Lea Shirt Co. Ltd. (la demanderesse), désignée « appelante » dans la présente décision, contre une décision du registraire des marques de commerce datée du 15 septembre 1999. Le registraire des marques de commerce a rejeté les motifs d'opposition de l'appelante à l'encontre de la demande d'enregistrement no 562,748 de la défenderesse concernant les mots « CHESTNUT CANOE CO » en liaison avec des [TRADUCTION] « pagaies de canoës » .

[2]                La demande d'enregistrement de la défenderesse a été produite le 22 mai 1986, et annoncée dans le Journal des marques de commerce le 29 novembre 1995.

[3]                L'appelante a produit une déclaration d'opposition le 5 janvier 1996. Les motifs d'opposition sont les suivants :

[TRADUCTION] L'opposante fonde son opposition sur les motifs énoncés aux alinéas 38(2)a), 38(2)d) et 12(1)d) de la Loi.


L'opposante allègue que la demande portant le no 562,748 n'est pas conforme à l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce en ce qu'elle est fondée sur l'emploi de la marque depuis aussi loin que le 16 décembre 1985 alors qu'en réalité, la requérante n'a pas fait un emploi de la marque en cause au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce, savoir de manière continue depuis cette date dans la pratique normale du commerce.

L'opposante allègue que la marque de commerce de la requérante n'est pas distinctive en ce qu'elle ne distingue pas véritablement les marchandises de la requérante des marchandises d'autres propriétaires ou n'est pas adaptée à les distinguer ainsi, en raison de son non-emploi à toutes dates pertinentes.

[4]                La défenderesse a produit une contre-déclaration le 12 mars 1996.

[5]                Devant le registraire des marques de commerce, la preuve fournie par l'appelante consistait en l'affidavit de Roger MacGregor, et la preuve produite par la défenderesse consistait en les affidavits de Robbie D. Sprules, de Theresa Payie et de Robert David Hodgins. L'appelante a également produit une réponse et soumis en preuve à ce titre un deuxième affidavit de Roger MacGregor.

[6]                L'appelante a également fourni une preuve additionnelle à la Cour en produisant un affidavit supplémentaire de Roger MacGregor signé le 8 décembre 1999.

[7]                La demande de la défenderesse était fondée sur son emploi de la marque au Canada depuis aussi loin que le 16 décembre 1985, en liaison avec des [TRADUCTION] « pagaies de canoës » . La défenderesse s'est désistée du droit à l'usage exclusif du mot canoë en dehors de sa marque de commerce.


[8]                Le prédécesseur en titre de la défenderesse, The Muskoka Fine Watercraft and Supply Company Limited (Muskoka), a été constitué en personne morale en septembre 1985 en vue d'exploiter une entreprise axée sur la fabrication, la restauration et la réfection de bateaux, ainsi que sur la vente directe et par correspondance de petites embarcations, de pagaies, de supports pour pagaies et de décalcomanies.

[9]         La facture de la première pagaie CHESTNUT CANOE CO vendue par Muskoka le 16 décembre 1985 faisait partie de la preuve de la défenderesse.

Les questions en litige

[10]       Les questions en litige sont les suivantes :

1.          Quelle norme de contrôle y a-t-il lieu d'appliquer dans le cadre de la révision d'une décision du registraire des marques de commerce ?

2.          Le registraire a-t-il décidé à tort que l'opposante n'avait pas allégué de faits pour étayer un motif d'opposition fondé sur le caractère non distinctif ?


3.          Le registraire a-t-il décidé à tort que le moment pertinent pour l'examen des circonstances entourant le non-respect de l'article 30 de la Loi, est la date de production de la demande ?

4.          La décision du registraire était-elle mal fondée en droit du fait qu'elle reposait sur des « principes applicables à la charge de la preuve » plutôt que sur des conclusions de fait ?

5.          Le registraire a-t-il mal compris et mal appliqué la norme juridique requise eu égard au « fardeau de persuasion » et au « fardeau de présentation de la preuve » ?

6.          Le registraire a-t-il appliqué correctement les éléments requis par l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce lorsqu'il s'est prononcé sur la question de savoir s'il y avait eu « emploi » de la marque de commerce ?

7.          Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des principes énoncés dans la décision Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd. (1979), 45 C.P.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.), et en acceptant que la preuve de l'emploi des marques de commerce repose sur de simples allégations et énoncés de conclusions ?


8.          Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'affidavit de Roger MacGregor n'était d'aucune pertinence au regard du motif d'opposition fondé sur l'article 30 ?

9.          Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'emploi du dessin (ou de tout autre élément) de la marque de commerce fait par Muskoka constituait un emploi de la marque de commerce ?

10.        Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que la pratique du commerce associée aux marchandises de Muskoka est essentiellement saisonnière et que l'emploi d'une marque peut être continu dans la pratique normale du commerce même lorsque cet emploi est essentiellement d'une nature saisonnière ?

11.        Les conclusions de fait du registraire sont-elles manifestement déraisonnables et s'appuient-elles rationnellement sur une opinion objective quelconque fondée sur l'ensemble de la preuve ?


Analyse et décision

[11]       Question 1

Quelle norme de contrôle y a-t-il lieu d'appliquer dans le cadre de la révision d'une décision du registraire des marques de commerce?

La norme de contrôle qui doit être appliquée aux décisions du registraire a été établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000) 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), à la page 196, [2000] 3 C.F. 145, à la page 168 :

Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges c. St. Regis et McDonald's Corp. c. Silcorp est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

Bien que les appels interjetés en vertu de l'article 56 de la Loi soient souvent qualifiés de procès de novo, cette qualification n'est pas tout à fait juste puisqu'un appel sous le régime de l'article 56 commande également la révision des conclusions du registraire.


[12]       L'appelante a produit en la présente instance un affidavit supplémentaire de Roger MacGregor. Il faut examiner si cette nouvelle preuve est une preuve qui « aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire » . J'ai étudié l'affidavit supplémentaire de Roger MacGregor et je suis arrivé à la conclusion que ce nouvel élément de preuve n'est pas de nature à « avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire » . Il s'agit essentiellement d'une recension des activités de M. MacGregor reliées aux vieux canoës en bois. Vu cette conclusion, il convient de réviser la décision du registraire qui relève de son champ d'expertise suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[13]       Question 2

Le registraire a-t-il décidé à tort que l'opposante n'avait pas allégué de faits pour étayer un motif d'opposition fondé sur le caractère non distinctif ?

Je suis d'avis que le registraire n'a pas commis d'erreur en décidant que l'appelante n'avait pas allégué de faits qui appuient un motif d'opposition fondé sur le caractère non distinctif. L'appelante n'a exposé aucun fait dans ses motifs d'opposition et en outre, le non-emploi n'est pas un facteur qui rend une marque non distinctive.


[14]       Question 3

Le registraire a-t-il décidé à tort que le moment pertinent pour l'examen des circonstances entourant le non-respect de l'article 30 de la Loi, est la date de production de la demande ?

Le registraire a eu raison de conclure que le moment pertinent pour l'examen des circonstances entourant le non-respect de l'article 30 de la Loi était la date de production de la demande (voir Georgia Pacific Corp. v. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), à la page 475).

[15]       Question 4

La décision du registraire était-elle mal fondée en droit du fait qu'elle reposait sur des « principes applicables à la charge de la preuve » plutôt que sur des conclusions de fait ?


Mon interprétation de la décision du registraire me porte à conclure que sa décision reposait bel et bien sur des conclusions de fait. Par exemple, le registraire a fait référence au dessin-marque CHESTNUT CANOE CO et a ensuite conclu que la marque de commerce [TRADUCTION] « CHESTNUT CANOE CO est plus en évidence que les autres éléments du dessin ou de la marque complexe de la requérante à cause de la taille et de l'apparence du caractère des mots [. . .] » . De plus, au premier paragraphe de la page 5, le registraire examine la preuve par affidavit de Robbie D. Sprules et en adopte certaines parties. Également, au paragraphe 2 de la deuxième page de sa décision, le registraire conclut que, selon la preuve de la défenderesse, la pratique normale de son commerce était de nature saisonnière. Le registraire n'a pas rendu une décision qui reposait sur « des principes applicables à la charge de la preuve plutôt que sur des conclusions de fait » .

[16]       Question 5

Le registraire a-t-il mal compris et mal appliqué la norme juridique requise eu égard au « fardeau de persuasion » et au « fardeau de présentation de la preuve » ?

L'énoncé de droit qui suit, concernant le fardeau de présentation de la preuve à la charge de l'opposante, est exposé à la page 298 de la décision John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1 re inst.) :

Si l'on en revient précisément à la décision qui fait l'objet de ce pourvoi, je ne peux conclure qu'elle est erronée. La jurisprudence établit clairement que lorsqu'on invoque le non-respect du paragraphe 29b) de la Loi sur les marques de commerce, le requérant a l'obligation légale de prouver qu'il a respecté ce paragraphe, et l'intimé a le fardeau de produire des preuves à l'appui des allégations de non-respect qu'il a formulées. Ce fardeau de la preuve suppose que l'intimé doit produire des éléments de preuve suffisants pour convaincre le juge des faits que les allégués sont véridiques : voir Sopinka et Lederman, The law of evidence in civil cases, Toronto, Butterworths, 1974, pp. 395 à 401.[. . .]

Également, à la page 299 :


Le principe énoncé dans l'affaire Tune Masters, supra, a été suivi dans bon nombre de décisions de la Commission des oppositions : [voir, par exemple : Congoleum Corp. v. Armstrong Cork Co. (1986), 11 C.P.R. (3d) 459, 9 C.I.P.R. 294; Extraversion, Inc. v. Xibita Display Systems (1987), 15 C.P.R. (3d) 214, et Calona Wines Ltd. v. Okanagan Vineyards Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 573]. Bien que les décisions citées dans l'affaire Tune Masters et les autres causes aient été rendues après la décision en l'espèce, d'ailleurs c'est peut-être ce qui explique qu'elles n'ont pas été mentionnées par le procureur de l'appelante, elles tendent néanmoins à appuyer son argument selon lequel le degré de preuve incombant à l'intimé devrait être moindre dans des cas comme celui qui nous occupe où la requérante a plus facilement accès aux faits pertinents. J'accepte sans difficulté cette proposition. Il est vrai que le registraire ne fait aucune référence particulière au fardeau de preuve moins incombant à l'intimée dans l'affaire qui nous occupe. Toutefois, je ne peux conclure que ce silence équivaut à une erreur d'interprétation de la part du registraire quand il choisit d'ignorer complètement le fardeau de preuve moindre relativement au motif d'opposition reposant sur le paragraphe 29b).

Après examen de la décision du registraire, je suis d'avis qu'il n'a ni mal compris ni mal appliqué la norme juridique requise eu égard au « fardeau de persuasion » et au « fardeau de présentation de la preuve » .

[17]       Question 6

Le registraire a-t-il appliqué correctement les éléments requis par l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce lorsqu'il s'est prononcé sur la question de savoir s'il y avait eu « emploi » de la marque de commerce ?

L'article 2 de la Loi définit ainsi le terme « emploi » :


« emploi » ou « usage » À l'égard d'une marque de commerce, tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

"use", in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;



Les paragraphes 4(1) et 4(2) de la Loi disposent :


4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of thoseservices.


L'alinéa 30b) de la Loi dit :


30b) dans le cas d'une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

30(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application;



L'appelante soutient que la défenderesse n'a pas démontré qu'elle a employé sa marque de commerce en liaison avec les marchandises. Je ne suis pas de cet avis. Pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 30b) de la Loi, Muskoka doit avoir employé la marque sur les « pagaies de canoës » dans la pratique normale du commerce, de manière continue, depuis au moins le 15 décembre 1985 (date de premier emploi) jusqu'au 22 mai 1986 (date de production de la demande). Les éléments de preuve contenus dans l'affidavit de M. Sprules établissent que Muskoka a vendu des pagaies affichant la marque de commerce CHESTNUT CANOE CO d'une manière continue depuis le 16 décembre 1985 (voir le paragraphe 2 de l'affidavit). En outre, il a été établi que les activités commerciales étaient saisonnières (paragraphe 4 de l'affidavit de M. Sprules). Il convient peut-être maintenant d'examiner l'argument soulevé par l'appelante à la Question 10, savoir que la pratique du commerce de Muskoka en liaison avec les marchandises étant de nature saisonnière, l'emploi de la marque n'est pas continu ainsi que l'exige la loi. La réponse à cet argument se trouve à la page 262 de la décision Labatt Brewing Co. c. Benson & Hedges (Canada) Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.), où madame le juge Simpson a indiqué :

Je suis parvenue à cette conclusion parce que la disposition oblige un requérant à indiquer comme date de premier emploi la date « à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce [...] » . De plus, il est précisé au paragraphe 4 de la formule 1 prévue par la Loi, à savoir la demande d'enregistrement, que le requérant doit indiquer des dates révélant que la marque est employée « depuis » ce moment. Bien que l'emploi ininterrompu dans la pratique normale du commerce puisse comporter des périodes de non-emploi, j'estime, selon mon interprétation de la disposition, qu'un non-emploi en dehors de la pratique normale du commerce serait un motif suffisant pour repousser une demande d'enregistrement.


La preuve a établi que les activités commerciales de Muskoka sont saisonnières. À mon avis, cela n'a rien d'anormal dans ce secteur d'activités. J'estime que la preuve établit que Muskoka a vendu les pagaies CHESTNUT CANOE CO portant la marque durant la période pertinente, dans le cours normal de ses activités commerciales. Les périodes de non-emploi en l'espèce peuvent être considérées comme s'inscrivant dans la pratique normale du commerce pour ce secteur d'activités. Il ne s'agit pas d'une situation où les périodes de non-emploi peuvent être considérées comme se situant en dehors de la pratique normale du commerce, de manière à repousser la demande d'enregistrement. Par conséquent, l'emploi continu a été établi aux fins de l'article 4 de la Loi.

[18]       Question 7

Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des principes énoncés dans la décision Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd. (1979), 45 C.P.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.), et en acceptant que la preuve de l'emploi des marques de commerce repose sur de simples allégations et énoncés de conclusions ?


La décision Aerosol Fillers Inc. appuie la thèse voulant que dans une procédure en radiation où est allégué le non-emploi de la marque de commerce, il ne suffit pas que le titulaire de la marque affirme simplement : « j'utilise actuellement la marque déposée dans la pratique normale du commerce en liaison avec les marchandises énumérées » . La Cour a jugé que de telles déclarations constituent des conclusions de droit et non une preuve d'emploi. Cela me paraît exact, mais tel n'est pas le cas en l'espèce. La défenderesse a produit la facture de la première vente d'une pagaie CHESTNUT CANOE CO sur laquelle apparaît le dessin-marque. Par ailleurs, par le témoignage du souscripteur d'affidavit, M. Robbie D. Sprules, la défenderesse a fourni des tarifs et la preuve que les ventes de pagaies portant la marque CHESTNUT CANOE CO ont augmenté de façon constante depuis 1985. L'étude de l'affidavit de M. Sprules et des pièces qui y sont annexées fournit d'autres éléments pour prouver l'emploi du dessin-marque. Par conséquent, le registraire ne s'est pas servi de simples allégations et énoncés de conclusions pour conclure que la preuve d'emploi de la marque de commerce avait été établie. La décision Aerosol Fillers Inc. ne s'applique pas en l'espèce.

[19]       Question 8

Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'affidavit de Roger MacGregor n'était d'aucune pertinence au regard du motif d'opposition fondé sur l'article 30 ?

J'estime que le registraire n'a pas commis d'erreur en concluant que l'affidavit de Roger MacGregor n'était d'aucune pertinence au regard du motif d'opposition fondé sur l'article 30. Dans la décision Johnson (S.C.) & Son Inc. c. Esprit De Corp et le registraire des marques de commerce (1986), 8 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen a indiqué à la page 88 :


La date de production de la déclaration d'opposition est la date pertinente lorsqu'on examine la question de la confusion prévue à l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce. Je reconnais que dans l'affaire Molnlycke précitée, il a été question de la date qu'il faut considérer lorsqu'on examine l'état du registre, mais le juge Cattenach, en acceptant l'opinion du juge Thurlow (tel était alors son titre) tout en disant incidemment : « cette interprétation diffère de la conclusion à laquelle je suis arrivé dans l'affaire Sico » précitée, indique très clairement, qu'à toutes fins utiles, la date devrait être celle du dépôt de l'opposition. Cela n'exclut pas, bien sûr, la présentation d'une preuve par voie d'affidavit après la date du dépôt de l'opposition, mais toute référence à des questions postérieures à cette date doit être écartée comme non pertinente.

Je suis d'avis d'appliquer les mêmes principes en l'espèce, et de conclure que le registraire a eu raison de décider que l'affidavit de Roger MacGregor n'était d'aucune pertinence.

[20]       Question 9

Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'emploi fait par Muskoka du dessin (ou de tout autre élément) de la marque de commerce constituait un emploi de la marque de commerce ?

Dans la décision Nightingale Interloc Ltd. v. Prodesign Ltd. (1984) 2 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.), A.M. Troicuk a fait les remarques suivantes à la page 538 :

      [TRADUCTION]

Principe 1

L'emploi d'une marque en combinaison avec des éléments supplémentaires constitue un emploi en soi de la marque comme marque de commerce, lorsqu'à la première impression le public peut percevoir que la marque en soi est utilisée comme marque de commerce. Il s'agit d'une question de fait, qui est tributaire de réponses à certaines questions comme celle de savoir si la marque est plus en évidence que les éléments supplémentaires, par exemple lorsque le caractère ou la taille utilisés sont différents (voir par ex. Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp. et al. (1971), 1 C.P.R. (2d) 155, à la p. 163, [1971] C.F. 106), ou comme celle de savoir si les éléments supplémentaires peuvent être perçus comme purement descriptifs ou comme une marque de commerce ou un nom commercial distincts : voir par ex. Carling O'Keefe Ltd. c. Molson Cos. Ltd. (1982), 70 C.P.R. (2d) 279, aux pages 280 et 281, appliquant Bulova Accutron Trade Mark, [1969] R.P.C. 102, aux pages 109 et 110.


Principe 2

Une marque de commerce particulière sera réputée employée lorsque la marque de commerce employée en réalité n'est pas essentiellement différente, et lorsque les variations ne sont d'aucune façon de nature à tromper ou à léser le public : Honey Dew, Ltd. v. Rudd et al., [1929] 1 D.L.R. 449, [1929] C. de l'É. 83, à la p. 89. Bien que la majorité des décisions dans lesquelles ce principe a été appliqué réponde à la question de savoir si une marque de commerce a été employée, il est clair que ce principe est encore plus large et qu'il s'applique par exemple lorsqu'il s'agit de déterminer la date du premier emploi aux fins de l'alinéa 29b) de la Loi [. . .]

Par ailleurs, dans l'affaire The Molson Companies Ltd. c. Mitches & Co. et al. (1980), 50 C.P.R. (2d) 180 (C.F. 1re inst.), le juge Mahoney a dit à la page 182 :

La brièveté de la lettre : six paragraphes sur moins d'une page et demie, et l'absence, rafraîchissante, de raisonnement tortueux qui souvent remplace la logique dans la verbalisation de la perception visuelle de ces décisions, m'amène à déduire que le registraire est arrivé à sa décision en comparant les marques côte à côte. C'est la meilleure façon sinon la seule de traiter de ces questions.

[21]       Les marques sont reproduites ci-dessous, le dessin-marque employé à droite et les mots servant de marque à gauche :

CHESTNUT CANOE CO


[22]       Je crois que le public percevrait, à la première impression, que l'emploi de la marque figurative équivaut à l'emploi de la marque nominale. J'arrive à cette conclusion parce que les mots CHESTNUT CANOE CO apparaissant sur le dessin sont clairement en évidence et donnent l'impression d'être employés à titre de marque de commerce, les éléments supplémentaires apparaissant comme purement descriptifs et non comme une marque de commerce distincte.

[23]       En outre, selon le principe 2, j'estime que la marque employée en réalité n'est pas essentiellement différente du mot servant de marque de commerce, et que la variation ne tromperait ni ne léserait le public d'aucune manière.

[24]       Par conséquent, je conclus que l'emploi du dessin-marque correspond à l'emploi du mot servant de marque de commerce.

[25]       Question 10

Le registraire a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que la pratique du commerce associée aux marchandises de Muskoka est essentiellement saisonnière et que l'emploi d'une marque peut être continu dans la pratique normale du commerce même lorsque cet emploi est essentiellement d'une nature saisonnière ?

Cette question a déjà été tranchée à la Question 6.


[26]       Question 11

Les conclusions de fait du registraire sont-elles manifestement déraisonnables et s'appuient-elles rationnellement sur une opinion objective quelconque fondée sur l'ensemble de la preuve ?

Vu mes conclusions sur les questions précédentes, je suis d'avis que les conclusions de fait du registraire ne sont pas manifestement déraisonnables et qu'elles s'appuient rationnellement sur une opinion objective de la preuve dans son ensemble.

[27]       En conclusion, la décision du registraire des marques de commerce respecte la norme de la décision raisonnable simpliciter à tous égards.

[28]       En conséquence, l'appel est rejeté et la Cour enjoint au registraire des marques de commerce d'admettre la demande no 562,748 conformément au paragraphe 39(1) de la Loi.

[29]       La défenderesse a droit aux dépens de l'appel.


ORDONNANCE

[30]       LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté et elle enjoint au registraire des marques de commerce d'admettre la demande no 562,748 conformément au paragraphe 39(1) de la Loi.

[31]       LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que la défenderesse ait droit aux dépens de l'appel.

                                                                            « John A. O'Keefe »          

                                                                                               J.C.F.C.                     

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 27 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1983-99

INTITULÉ DE LA CAUSE:                          IVY LEA SHIRT CO. LTD.

- et -

1227624 ONTARIO LIMITED

faisant affaires sous le nom de

THE MUSKOKA FINE WATERCRAFT AND

SUPPLY COMPANY

                                                     

LIEU DE L'AUDITION :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDITION :                             LE JEUDI 2 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

RENDUE PAR :        MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :         27 MARS 2001

ONT COMPARU :

Serge Anissimoff

POUR LA DEMANDERESSE

Mark L. Robbins

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anissimoff & Associés

201 - 235, North Centre Road

London (Ontario)

N5X 4E7

POUR LA DEMANDERESSE

Bereskin & Parr

40, King Street West

Boîte postale 401

Toronto (Ontario)

M5H 3Y2

POUR LA DÉFENDERESSE


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010327

Dossier : T-1983-99

Référence neutre : 2001 CFPI 252

AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté contre une décision du registraire des marques de commerce (Commission des oppositions) datée du

15 septembre 1999, rejetant la demande no 562,748 pour la marque de commerce CHESTNUT CANOE CO

ENTRE :

IVY LEA SHIRT CO. LTD.

demanderesse

- et -

1227624 ONTARIO LIMITED

faisant affaires sous le nom de

THE MUSKOKA FINE WATERCRAFT

AND SUPPLY COMPANY

défenderesse

                                                                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNNANCE

                                                                                                                      

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