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Date : 20040809

Dossier : T-222-03

Référence : 2004 CF 1091

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                           DONALD A. COMEAU

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, porte sur une décision du comité d'appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) Canada (le comité d'appel), datée du 8 janvier 2003. Dans cette décision, le comité d'appel confirmait une décision du comité de révision du Tribunal, qui rejetait la demande que Donald E. Comeau (le demandeur) avait présentée pour obtenir une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6. Le rejet était fondé sur le fait que l'état de santé du demandeur n'avait pas été causé par son service militaire, non plus qu'il n'y était rattaché directement.

[2]                Le demandeur sollicite :

1.          un bref de certiorari annulant la décision du comité d'appel;

2.          un bref de mandamus prévoyant qu'une personne juste soit mandatée par notre Cour pour examiner sa réclamation ou, subsidiairement, qu'un comité d'appel différemment constitué entende son appel à nouveau dans le respect de la loi et des principes d'équité;

3.          les dépens de cette demande et toutes les dépenses associées dont il a fait la liste, conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106;

4.          le coût des soins médicaux depuis sa libération des Forces canadiennes le 2 juillet 1974, conformément au tarif A des Règles de la Cour fédérale (1998), précitées;

5.          le coût estimé du traitement provisoire qu'exige l'état du demandeur, y compris les soins médicaux, les frais d'avocat et les coûts associés (liste non exhaustive) pour une somme de 450 000 $;

6.          toute autre réparation que la Cour peut estimer juste et appropriée après le dépôt par le demandeur de renseignements qui pourraient faire surface suite à la divulgation de documents.


Le contexte

[3]                Le demandeur, Donald E. Comeau, a servi dans la milice du 18 septembre 1961 au 4 mars 1963, et dans la Marine royale canadienne du 8 mai 1964 au 2 juillet 1974.

[4]                En 1971, le demandeur a été examiné à l'hôpital de la Base des Forces canadiennes à Halifax. Le diagnostic a démontré qu'il souffrait de pression artérielle élevée, de mononucléose et d'hépatite.

[5]                En avril 1991, suite à une consultation avec le Dr R.C. Poblete, le demandeur a fait l'objet d'un diagnostic de myocardiopathie dilatée non ischémique. Le Dr W. M. Fitch a confirmé ce diagnostic en 1994.


[6]                Le demandeur a présenté une demande au ministère des Anciens combattants pour obtenir une pension d'invalidité. Dans sa décision du 29 mai 1995, la Commission canadienne des pensions a conclu que le demandeur n'avait pas droit à une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée, car son état, ou l'aggravation de celui-ci, n'était pas consécutif ou rattaché directement au service militaire en temps de paix au sein des forces régulières. La Commission a jugé que comme son dossier médical au moment de sa libération ne faisait pas mention de myocardiopathie et qu'il n'y avait pas de preuve médicale que le stress lié au travail pouvait causer ou aggraver la myocardiopathie, l'état du demandeur était dû à des facteurs trouvant leur naissance après ses années de service et donc qu'il n'avait pas droit à une pension.

[7]                Le demandeur a fait appel de cette décision au comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Le comité de révision a entendu l'appel le 27 février 2001.

[8]                Le demandeur a présenté les éléments de preuve suivants au comité de révision :

1.          Des lettres du Dr R.C. Poblete, datées des 21 février 1989 et 11 avril 1991, au sujet de ses symptômes cardiaques anormaux et du diagnostic de myocardiopathie dilatée non ischémique;

2.          Une lettre du Dr G. D. Douglas, datée du 4 juillet 2000, dans laquelle on trouve notamment : [traduction] « en bref, il y a des éléments de preuve qui suggèrent qu'il est possible que les anomalies cardiaques se soient développées au cours de son service » ;

3.          Une note manuscrite du Dr G. D. Douglas, datée du 21 septembre 2000, qui déclare que : [traduction] « Si les problèmes de M. Comeau ont commencé durant son service, il est vraisemblable que l'aggravation de son état était causée par ses fonctions, au vu de son état de santé actuel. Mon examen fait ressortir des éléments de preuve qui suggèrent la possibilité que ses problèmes pourraient dater de l'époque où il était dans les forces » [Souligné dans l'original.];


4.          Une lettre du demandeur datée du 7 avril 1994, dans laquelle il déclare que son invalidité a été causée par son service militaire et rappelle que ses vertiges et autres symptômes datent de 1966;

5.          Une lettre du demandeur, datée du 17 août 1994, dans laquelle il déclare que lors de sa libération des forces armées on lui a dit qu'il était en bonne santé. Le demandeur ajoute que son état actuel ne serait pas aussi grave si le personnel militaire l'avait informé avant sa libération de son état de santé réel.

[9]                Devant le comité de révision, le demandeur a soutenu que son état ouvrait droit à pension, parce qu'il avait été causé et/ou aggravé, en partie, par son service. Le demandeur a énoncé les facteurs suivants à l'appui de son point de vue : les forces armées lui fournissaient les cigarettes avec un fort rabais; il était souvent soumis à un niveau élevé de stress; la marine lui fournissait une ration quotidienne de rhum; il n'y avait dans sa famille aucun antécédent de myocardiopathie; et l'avis médical du Dr G. D. Douglas. De plus, le demandeur a soutenu que son état de santé s'est détérioré parce qu'on ne l'avait pas mis au courant de ses problèmes cardiaques à sa libération.

[10]            Dans une décision datée du 14 mars 2001, le comité de révision a confirmé la décision du Tribunal, déclarant qu'il n'y avait pas de preuve permettant de faire le lien entre l'état du demandeur et son service dans la marine.


[11]            Le 15 octobre 2002, un comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) Canada (le comité d'appel) a entendu l'appel du demandeur.

[12]            Devant le comité d'appel, le demandeur a soutenu qu'à l'occasion d'un séjour à l'hôpital en 1971, le personnel médical militaire a pris note d'un certain nombre de symptômes, mais on ne lui a jamais dit qu'il avait un souffle cardiaque, un électrocardiogramme anormal, un foie hypertrophié et plusieurs autres problèmes de santé. L'absence de renseignements a amené le demandeur à faire un état inexact de son histoire médicale à l'intention de son médecin, le Dr Poblete, à qui il n'a mentionné que des problèmes de pression artérielle élevée. Le demandeur soutient que le fait que les militaires ne l'ont pas mis au courant de son état constituait une mauvaise gestion médicale, qui a eu pour résultat une prolongation de sa maladie et une détérioration de son état de santé avant le diagnostic.

[13]            Un avocat des pensions a soutenu devant le comité d'appel, au nom du demandeur, que les forces armées ont l'obligation de communiquer tout renseignement essentiel en matière de santé, afin qu'on puisse combattre la maladie plutôt que la laisser s'aggraver. L'avocat demandait au comité d'appel de tirer les conclusions les plus favorables de la preuve médicale non contredite au dossier, et de trancher toute incertitude en faveur du demandeur en concluant que son état était dû, au moins en partie, à des facteurs aggravants rattachés directement à son service militaire en temps de paix, au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée.


La décision du comité d'examen (Tribunal des anciens combattants (révision et appel) Canada)

[14]            Dans une décision datée du 8 janvier 2003, le comité d'appel a confirmé la décision du comité de révision, en arrivant à la conclusion que le demandeur n'avait pas droit à une pension parce que son état n'était pas consécutif ou rattaché directement à son service militaire.

[15]            Le comité d'appel a pris note de l'obligation que lui fait la loi de tirer les conclusions les plus favorables de la preuve du demandeur, ainsi que de trancher en sa faveur toute incertitude, obligation qui est énoncée aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18. Toutefois, le comité d'appel a conclu que le demandeur n'avait pas démontré l'existence d'un lien de causalité entre son état et son service militaire, comme l'exige le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée.

[16]            En prenant sa décision, le comité d'appel a conclu que les dossiers médicaux présentés n'étaient pas assez crédibles ou convaincants pour justifier l'octroi d'une pension au demandeur. Il a décrit la preuve du Dr G. D. Douglas comme utilisant le concept de causalité dans un sens différent de celui reconnu par le comité d'appel, déclarant aussi qu'elle était généralement [traduction] « de nature spéculative et rétrospective » .

[17]            Le Tribunal est arrivé à la conclusion que l'état du demandeur avait ses origines alors qu'il était dans les forces, mais qu'il n'était pas le résultat de son service.


[18]            En réponse aux allégations de mauvaise gestion médicale, le comité d'appel a déclaré que pour qu'une pension soit versée suite à une blessure ou maladie qui n'était pas causée par le service, elle devait résulter d'une négligence médicale, définie comme le fait que les forces armées n'avaient pas respecté la norme de soins adéquate due au demandeur.

[19]            Le comité d'appel a conclu que la preuve ne démontrait pas que les forces armées avaient enfreint la norme de soins due au demandeur, ou alors que si c'était le cas, la maladie du demandeur n'avait pas été causée ou aggravée de façon permanente en conséquence. Au contraire, le comité d'appel a pris note du fait que le demandeur avait été souvent soigné par des spécialistes durant son service militaire.

[20]            Le présent contrôle judiciaire porte sur la décision du comité d'appel que l'état du demandeur n'ouvre pas droit à pension.

Le point de vue du demandeur


[21]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur de droit en ne respectant pas l'équité procédurale dans une décision qui aurait dû être fondée sur le fait qu'on n'a présenté aucune preuve contradictoire. Le demandeur soutient aussi que le comité d'appel n'a pas procédé à un examen et à une évaluation équitables de tous les rapports médicaux liés à son diagnostic et traitement. Selon le demandeur, le comité d'appel a refusé d'accepter la preuve que ses problèmes actuels, cardiaques et de pression artérielle, sont directement attribuables à son service militaire.

[22]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur de droit en ne démontrant pas l'existence d'une faille dans l'entraînement consignée au dossier du demandeur au cours de son séjour dans la Marine royale canadienne, soit du 8 mai 1964 au 2 juillet 1974 inclusivement.

[23]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur de droit en ne tranchant pas en sa faveur toute incertitude, comme l'exige l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, au vu de l'absence d'une preuve médicale contradictoire, des lettres des Drs G. D. Douglas, W. M. Fitch et R.C. Poblete, et des déclarations voulant que ses problèmes actuels [traduction] « pourraient dater de l'époque où il était dans les forces » et qu'il « est vraisemblable que l'aggravation de son état était causée par ses fonctions » .

[24]            Le demandeur soutient que le comité d'appel n'a pas respecté l'équité procédurale en ne prenant pas note du fait qu'on ne l'avait pas informé de son état de santé, ou des symptômes y associés, avant sa libération des forces armées en 1974.


[25]            S'appuyant sur l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [1998] B.C.J. no 320 (C.S.) (QL), le demandeur déclare que la décision a été rendue dans un délai beaucoup trop long, ce qui n'est pas dans l'intérêt de la justice. Selon le demandeur, cette question a été injustement prolongée sur une période de neuf ans. En conséquence, le demandeur déclare que sa famille a connu une situation financière difficile.

[26]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a violé les principes de l'équité procédurale en ne citant que des extraits isolés de la documentation qu'il a présentée, plutôt qu'en examinant la preuve dans un objectif d'équité et de justice due au demandeur : Teubert c. Canada (Procureur général) (2002), 220 F.T.R. 151, 2002 CFPI 634.

[27]            Suivant la conclusion exprimée dans John Doe c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 157 (QL), 2002 CFPI 106, le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur manifestement déraisonnable au vu des faits au dossier, en ne tenant pas compte d'une preuve médicale non contredite.

[28]            S'appuyant sur King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)) (2001), 205 F.T.R. 204, 2001 CFPI 535, le demandeur soutient que le comité d'appel a utilisé le mauvais critère juridique pour lui refuser le droit à une pension. Le demandeur s'appuie sur l'alinéa 21(1)a) de la Loi sur les pensions, précitée, qui prescrit qu'une pension est accordée pour toute blessure ou maladie survenue au cours du service militaire.


[29]            De plus, le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur de droit en ne mentionnant pas expressément la preuve qui aurait permis d'arriver aux conclusions plus favorables pour lui, et en exigeant qu'il respecte une norme de preuve beaucoup plus élevée que celle de la « prépondérance des probabilités » .

[30]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a agi sans compétence ou outrepassé celle-ci, contrairement à l'alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

[31]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, contrairement à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

[32]            Le demandeur soutient aussi que le comité d'appel a commis une erreur de droit, en ce qu'il a agi de toute autre façon contraire à la loi, contrairement à l'alinéa 18.1(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

Le point de vue du défendeur


[33]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle de notre Cour lors du contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal comme le comité d'appel ne peut être exercée qu'en présence d'une erreur de droit, d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose, ou d'une conclusion que le tribunal a outrepassé sa compétence. Le défendeur insiste sur le fait que le contrôle judiciaire n'est pas une nouvelle audition au fond de la demande de pension du demandeur, ou une occasion pour notre Cour de substituer son avis à celui du comité d'appel.

[34]            Selon le défendeur, l'article 31 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, est une clause privative qui interdit la révision de la décision du comité d'appel, à moins qu'elle ne puisse être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits et du droit : Ballingall c. Canada (Ministre des Anciens combattants), [1994] A.C.F. no 461 (1re inst.) (QL).

[35]            Le défendeur soutient que le comité d'appel a donné une interprétation correcte à l'article 21 de la Loi sur les pensions, précitée, qui établit une distinction entre le service militaire en temps de guerre et celui en temps de paix et, en conséquence, entre les prestations de pension liées à ces deux types de service différent. Alors que les militaires qui deviennent invalides en temps de guerre reçoivent une pension, quelle que soit la cause de leur invalidité, les prestations accordées en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée, pour le service en temps de paix sont plus limitées, puisque les militaires en cause doivent alors établir qu'il existe un lien de causalité entre leur service et leur invalidité.


[36]            Le défendeur insiste que même s'il y a lieu d'interpréter de façon large les avantages consentis en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée, on ne peut être d'une largesse telle qu'on en viendrait à supprimer la distinction claire établie par le rédacteur législatif entre les prestations liées au service en temps de guerre, prévues au paragraphe 21(1), et les prestations liées au service en temps de paix, prévues au paragraphe 21(2).

[37]            Citant la décision Hunt c. Canada (Ministre des Anciens combattants), [1998] A.C.F. no 377 (1re inst.) (QL), conf. [1999] A.C.F. no 1601 (C.A.) (QL), le défendeur soutient que le demandeur a le fardeau de satisfaire au critère de preuve applicable en matière civile lorsqu'il réclame une pension, étant entendu que toute preuve crédible à l'appui de sa réclamation sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable.

[38]            Le défendeur soutient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le service militaire du demandeur et son état, et donc que sa réclamation pour obtenir une pension doit être rejetée, au vu de la jurisprudence suivante : Elliot c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1264 (QL), 2002 CFPI 972, conf. 2003 CAF 298, 307 N.R. 344 et Hall c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890 (1re inst.) (QL), conf. [1999] A.C.F. no 1800 (C.A.) (QL). Nonobstant son examen de la preuve médicale des Drs Poblete, Fitch et Douglas, le Tribunal n'a pas été convaincu de l'existence du lien de causalité.


[39]            Le défendeur soutient que c'est le comité d'appel qui doit déterminer quel est le poids à donner à la preuve, et que ce dernier n'est pas tenu d'accepter automatiquement la preuve d'un demandeur - elle doit être vraisemblable et raisonnable : Tonner c. Canada, [1995] A.C.F. no 550 (1re inst.) (QL), conf. [1996] A.C.F. no 825 (C.A.) (QL). Le défendeur soutient que la façon dont le comité d'appel a traité la preuve en l'espèce ne justifie pas l'intervention de notre Cour. Même si la preuve médicale démontre l'existence de l'invalidité du demandeur, elle ne démontre pas une négligence médicale de la part des forces armées, non plus que l'invalidité est consécutive ou rattachée directement à son service militaire.

[40]            Le défendeur soutient que le Tribunal a procédé correctement dans son examen de la preuve médicale et dans ses conclusions au sujet du lien de causalité.

[41]            Le défendeur soutient que le comité d'appel a respecté l'obligation que lui impose la loi, en appliquant l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, qui prescrit qu'il doit tirer des éléments de preuve non contredits qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible et trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande.

[42]            Le défendeur soutient que le comité d'appel n'est pas tenu d'obtenir une preuve médicale contradictoire avant de mettre en cause l'exactitude des conclusions auxquelles sont arrivés les médecins.


[43]            Même en respectant ses obligations en vertu de la loi, le défendeur soutient qu'en l'espèce le demandeur ne satisfait pas au fardeau de prouver sa réclamation selon la prépondérance des probabilités. Donc, la preuve présentée au comité d'appel ne justifie pas une conclusion que le demandeur aurait droit à une pension.

[44]            Le défendeur demande le rejet de la présente demande, avec dépens.

Les questions en litige

[45]            Les questions essentielles auxquelles je dois répondre dans le cadre de cette demande sont les suivantes :

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.          Le comité d'appel a-t-il violé son obligation d'équité procédurale envers le demandeur?

3.          La décision du comité d'appel contient-elle par ailleurs une erreur ouvrant droit à révision?

Le cadre législatif

[46]            La Loi sur les pensions, précitée, doit recevoir une interprétation libérale et contextuelle. L'article 2 est rédigé comme suit :


2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

[47]            La Loi sur les pensions, précitée, établit une distinction entre les droits à une pension, selon que l'invalidité est attribuable au service militaire en temps de guerre ou en temps de paix. La réclamation du demandeur pour obtenir une pension est fondée sur le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, précitée, qui porte sur le service en temps de paix et qui est rédigé comme suit :

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

[...]

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

. . .

(2.1) En cas d'invalidité résultant de l'aggravation d'une blessure ou maladie, seule la fraction - calculée en cinquièmes - du degré total d'invalidité qui représente l'aggravation peut donner droit à une pension.

(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

a) d'exercices d'éducation physique ou d'une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu'ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l'intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

b) d'une activité accessoire ou se rattachant directement à une activité visée à l'alinéa a), y compris le transport du membre des forces par quelque moyen que ce soit entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et le lieu de cette activité;

(b) any activity incidental to or directly connected with an activity described in paragraph (a), including the transportation of the member by any means between the place the member normally performed duties and the place of that activity;

c) soit du transport du membre des forces, à l'occasion de ses fonctions, dans un bâtiment, véhicule ou aéronef militaire ou par quelque autre moyen de transport autorisé par une autorité militaire, soit d'un acte fait ou d'une mesure prise par le membre des forces ou une autre personne lorsque cet acte ou cette mesure était accessoire ou se rattachait directement à ce transport;

(c) the transportation of the member, in the course of duties, in a military vessel, vehicle or aircraft or by any means of transportation authorized by a military authority, or any act done or action taken by the member or any other person that was incidental to or directly connected with that transportation;

d) du transport du membre des forces au cours d'une permission par quelque moyen autorisé par une autorité militaire, autre qu'un moyen de transport public, entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et soit le lieu où il devait passer son congé, soit un lieu où un moyen de transport public était disponible;

(d) the transportation of the member while on authorized leave by any means authorized by a military authority, other than public transportation, between the place the member normally performed duties and the place at which the member was to take leave or a place at which public transportation was available;

e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;

(e) service in an area in which the prevalence of the disease contracted by the member, or that aggravated an existing disease or injury of the member, constituted a health hazard to persons in that area;

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and

g) de l'exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l'environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.

(g) the performance by the member of any duties that exposed the member to an environmental hazard that might reasonably have caused the disease or injury or the aggravation thereof.

[48]            La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, est aussi pertinente à cette demande. Les articles 3, 31 et 39 sont rédigés comme suit :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[49]            Le demandeur s'appuie sur les paragraphes 18.1(3) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, qui sont rédigés comme suit :

18.1(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

18.1(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.

Analyse et décision

[50]            Question 1

Quelle est la norme de contrôle applicable?


Le comité d'appel a conclu que le demandeur n'avait pas démontré l'existence du lien de causalité nécessaire entre son service militaire et son état, ainsi qu'à l'absence d'une preuve crédible pour appuyer son allégation de négligence médicale. Je veux faire remarquer que même si le comité d'appel n'est pas un expert en matière médicale, il a compétence pour décider de la crédibilité et du poids à donner à la preuve. Il a donc droit à une large mesure de retenue judiciaire : MacNeill c. Canada, [1998] A.C.F. no 1115 (1re inst.) (QL), 151 F.T.R. 121, au paragraphe 22.

[51]            Dans McTague c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1559 (1re inst.) (QL), 177 F.T.R. 5, le juge Evans (alors à la Section de première instance) déclare ceci, aux paragraphes 46 et 47 :

[...] [j]e devrais noter que la Cour a bien établi que la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui est moins exigeante, est applicable lorsque la question litigieuse concerne l'évaluation ou l'interprétation par le Tribunal d'éléments de preuve médicaux souvent contradictoires ou peu concluants et la conclusion qu'il en a tiré quant à savoir si l'invalidité du demandeur a été en fait causée ou aggravée par le service militaire: MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999]_A.C.F. no 346 (1re inst.) (QL); Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.); Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.).

De telles décisions touchant les faits se situent au coeur même de la compétence spécialisée du Tribunal. Compte tenu de considérations de rentabilité et de compétence institutionnelle relative, les conclusions de fait doivent faire l'objet de la plus grande retenue judiciaire.

Par conséquent, je suis d'avis que la norme applicable à une décision du comité d'appel sur le droit à une pension est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[52]            Je vais maintenant traiter de la question 3.

[53]            Question 3

La décision du comité d'appel contient-elle par ailleurs une erreur ouvrant droit à révision?


Après avoir servi dans la milice au début des années 60, le demandeur s'est enrôlé dans la Marine royale canadienne le 8 mai 1964. Il y est demeuré jusqu'au 2 juillet 1974. Lors de son enrôlement, il était en bonne santé et on ne lui connaissait aucun problème cardiaque ou d'hypertension. En 1971, il a fait l'objet d'un diagnostic d'hypertension, de mononucléose et d'hépatite. De plus, un électrocardiogramme pratiqué le 31 août 1971 était très anormal, et il a révélé un bloc de branche droit complet et un bloc fasciculaire antérieur gauche. Le demandeur n'a pas été informé du résultat de son électrocardiogramme, qui n'a été révélé que lorsque le Dr Douglas, son médecin actuel, a obtenu et examiné son dossier médical de l'époque où il était dans les forces.

[54]            Pour faciliter la consultation, je reprends ici les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[55]            Le demandeur soutient que le comité d'appel a utilisé le mauvais critère juridique, qu'il ne lui a pas accordé les avantages prévus aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, qu'il a fait fi de la preuve médicale non contredite qui rattachait son invalidité à son service militaire et qu'il a exigé de lui une norme de preuve beaucoup plus élevée que celle de la « prépondérance des probabilités » .

[56]            La juge Tremblay-Lamer de notre Cour a traité de l'application des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, dans La succession Woo c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1690 (QL), 2002 CFPI 1233, au paragraphe 60 :

La Cour a statué que, malgré les articles 3 et 39 de la Loi, il incombe toujours au demandeur de fournir des éléments de preuve crédibles et raisonnables pour établir sa position. Dans la décision Hall c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890, le juge Reed a énoncé, au paragraphe 19 :

Bien que le demandeur affirme à juste titre que les éléments de preuve non contredits qu'il soumet doivent être acceptés à moins que l'on conclue à une absence de vraisemblance et que les conclusions qui lui sont les plus favorables doivent être tirées et que toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande doit être tranchée en sa faveur, le demandeur est quand même tenu de démontrer que le trouble médical dont il souffre présentement découle de son service militaire ou y est rattaché. En d'autres termes, il doit faire la preuve d'un lien de causalité.


[57]            Dans Hunt c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1998), 145 F.T.R. 96 (1re inst.), conf. (1999), 249 N.R. 137 (C.A.F.), le juge Muldoon a conclu, au paragraphe 9, que le fardeau de la preuve nécessaire pour qu'un demandeur démontre qu'il a droit à une pension s'énonce comme suit :

Bien que l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) impose au Tribunal d'accepter tout élément de preuve non contredit, encore faut-il que cette preuve soit crédible. Le requérant est tenu au critère applicable en matière civile et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a effectivement contracté la maladie dont il souffre aujourd'hui alors qu'il servait sous les drapeaux. Son avantage réside dans le fait que la preuve sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable. Ce critère de preuve applicable en matière civile doit être interprété conjointement avec l'article 21 de la Loi sur les pensions [...]

[58]            Dans le cadre de sa preuve, le demandeur a déposé un rapport médical du Dr Douglas, son cardiologue actuel. Je reproduis ce rapport en entier, ainsi qu'un second rapport inscrit en note au premier :

[traduction]

G. David Douglas, M.D., F.R.C.P.(C)

Hôpital de Moncton

135, avenue MacBeath

Moncton (N.-B.) E1C 6Z8

TÉLÉCOPIEUR ET TÉLÉPHONE : 506-857-2075

Le 4 juillet 2000

L. Jean Saint-Pierre

Avocat des pensions du district

Case postale 1406

Saint-Jean (N.-B.) E2L 4J7

Madame, Monsieur,

Ré : Donald COMEAU


Je connais bien M. Comeau, puisque je l'ai traité pour une myocardiopathie dilatée au cours des dernières années. Il m'a demandé d'examiner son dossier médical concernant sa période de service afin de déterminer s'il y avait des éléments pouvant indiquer l'apparition de la cardiopathie à cette époque.

La myocardiopathie de M. Comeau n'est pas attribuable au stress, bien que le stress ait pu aggraver son insuffisance cardiaque congestive et la rendre plus difficile à maîtriser.

Le seul élément évocateur que j'ai trouvé dans le dossier médical de M. Comeau remonte au 12/10/71, date à laquelle il a subi des examens parce qu'il souffrait d'hypertension, d'anomalies de la fonction hépatique et de fatigue généralisée. L'examen avait alors révélé que le foie était augmenté de volume de 1 ou 2 cm et compromettait la palpation de la pointe de la rate, et un test de dépistage de la mononucléose s'est avéré positif. Une radiographie thoracique effectuée à ce moment-là a révélé que la taille du coeur était normale; toutefois, un électrocardiogramme pratiqué le 31/8/71 était très anormal et a révélé un bloc de branche droit complet et un bloc fasciculaire antérieur gauche.

De toute évidence, son électrocardiogramme était déjà très anormal en 1971 et était accompagné d'une certaine hépatopathie, à une époque où il n'y avait pas de consommation importante d'alcool. Un test de dépistage de la mononucléose s'est avéré positif. Bien que ces faits ne prouvent pas l'installation de la myocardiopathie à ce moment-là, ils évoquent cette possibilité, dans la mesure où le sujet présentait des anomalies marquées à l'électrocardiogramme malgré une radiographie thoracique normale et, au cours des dernières années, a souffert d'une cardiomégalie progressive accompagnée d'observations à l'ECG semblables aux observations antérieures. Bien qu'une mononucléose ne soit pas en cause, une sarcoïdose serait une étiologie possible, parmi d'autres.

En résumé, des éléments évoquent la possibilité que les anomalies cardiaques soient apparues pendant la période de service du sujet.

Je ne voudrais pas que la préparation de ce bref exposé entraîne des coûts pour le patient, mais j'aimerais que vous preniez ces coûts en considération, si possible.

Je vous prie d'agréer, etc.

G. D. Douglas, MD, FRCPC

/as

C :         M. Donald Comeau

115, avenue Sussex

Riverview (N.-B.) E1B 3A3

Le 21 septembre 2000

Monsieur,

Si les problèmes de M. Comeau ont commencé au cours de son service, il est vraisemblable que l'aggravation de son état était causée par ses fonctions, au vu de son état de santé actuel.


Mon examen fait ressortir des éléments de preuve qui suggèrent la possibilité que ses problèmes pourraient dater de l'époque où il était dans les forces.

« G. D. Douglas, MD, FRCP(C) »

Frais 100 $

[59]               Voici un extrait de la décision du comité d'appel :

[traduction]

La Commission a examiné avec soin les avis médicaux au dossier. En l'espèce, la disposition pertinente de la Loi sur les pensions est le paragraphe 21(2), qui prescrit qu'une blessure ou maladie doit être consécutive ou rattachée directement au service militaire. Tous conviennent, y compris la Cour fédérale, que le paragraphe 21(2), qui régit l'octroi d'une pension pour le service en temps de paix, exige la présence d'un lien de causalité entre l'état de santé et le service. C'est donc une situation qui diffère de celle prévue au paragraphe 21(1) de la Loi, qui porte sur le service en temps de guerre ou dans le cadre d'opérations du maintien de la paix, et qui prévoit le droit à une pension selon le moment où le problème a pris naissance ainsi que selon le lien qui le rattache au service d'un appelant.

La Cour fédérale exige que la Commission exprime son point de vue quant à la crédibilité des avis médicaux qui lui sont présentés. En conséquence, la Commission doit préciser qu'elle ne considère pas que les rapports médicaux au dossier sont assez convaincants ou crédibles pour justifier l'octroi d'une pension en l'espèce. La Commission prend note du fait qu'elle n'est pas autorisée à simplement adopter la conclusion apparente d'un médecin au sujet du lien de causalité, mais qu'elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et satisfaire à son obligation d'examiner toutes les circonstances et de se former une opinion quant à la crédibilité de la preuve médicale, pour ensuite rendre une décision dans laquelle le bénéfice du doute est accordé à l'appelant après que toutes les déductions nécessaires ont été explorées.

Bien que le Dr Douglas considère que le service a pu causer l'aggravation de l'état de santé de l'appelant, il ressort selon nous qu'il utilise le concept de causalité dans un sens différent de la Commission. Il semble vouloir dire que parce que les problèmes soulevés par l'appelant ont trouvé naissance lorsqu'il était dans les forces, ils étaient causés par son service. Pour sa part, la Commission considère que l'état de l'appelant a son origine alors qu'il était dans les forces, mais qu'il n'est pas le résultat de son service. Le fait que l'apparition du problème ou son évolution datent de la même époque que le service ne mène pas nécessairement à la conclusion que c'est le service qui en est la cause, même si l'on applique pleinement les articles 3 et 39 de la Loi sur le tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui prescrivent de tirer des éléments de preuve qui sont présentés les conclusions les plus favorables possible et de trancher en faveur de l'appelant toute incertitude quant au bien fondé de la demande.


[60]            Dans sa décision, le comité d'appel a conclu que l'état du demandeur a son origine alors qu'il était dans les forces.

[61]            Le comité d'appel semble avoir simplement déclaré qu'il ne considérait pas que les rapports médicaux au dossier étaient assez convaincants ou crédibles pour justifier l'octroi d'une pension en l'espèce. Il n'y a pas de doute que le comité d'appel peut présenter ses commentaires au sujet de la crédibilité, mais, selon moi, il doit expliquer pourquoi un rapport médical manque de crédibilité. En l'espèce, nous avons la preuve non contredite du Dr Douglas, qui est un expert du domaine, portant que « si les problèmes de M. Comeau ont commencé au cours de son service, il est vraisemblable que l'aggravation de son état était causée par ses fonctions, vu son état de santé actuel » . Le « si » du Dr Douglas, qui vient qualifier le point de vue exprimé dans son rapport, n'est pas repris par le comité d'appel dans sa conclusion voulant que l'état du demandeur a son origine alors qu'il était dans les forces. Le comité d'appel n'indique aucunement pourquoi la preuve du Dr Douglas a été jugée ne pas être crédible, à part de dire froidement qu'elle ne l'était pas.


[62]            Selon moi, le comité d'appel a agi de façon manifestement déraisonnable en concluant que les rapports du Dr Douglas n'étaient pas crédibles, sans étayer cette conclusion par ses motifs. Je veux faire remarquer que je comprends bien que le comité d'appel a déclaré que la preuve médicale du Dr Douglas était spéculative, mais ceci portait sur sa preuve au sujet de la mauvaise gestion médicale. De plus, le comité d'appel n'a pas dit pourquoi il considérait cette preuve spéculative.

[63]            Étant donné ma conclusion à ce sujet, il n'est pas nécessaire que je traite des autres questions soulevées par le demandeur.

[64]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à un comité d'appel différemment constitué pour nouvel examen.

[65]            Le demandeur a droit à ses dépens pour cette demande.

[66]            Je ne suis pas disposé à accorder les autres réparations recherchées par le demandeur.

                                        ORDONNANCE

[67]            LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à un comité d'appel différemment constitué pour un nouvel examen.


2.          Le demandeur a droit à ses dépens pour cette demande.

                                                                            _ John A. O'Keefe _                

                                                                                                     Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 9 août 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            T-222-03

INTITULÉ :                           DONALD E. COMEAU

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :     Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 17 février 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           Le 9 août 2004

COMPARUTIONS :

Donald E. Comeau, pour son compte                             POUR LE DEMANDEUR

Melissa Cameron                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donald E. Comeau                                            POUR LE DEMANDEUR

Riverview (Nouveau-Brunswick)

Morris Rosenberg, c.r.                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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