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Date : 20060529

Dossier : T-1746-05

Référence : 2006 CF 646

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

NICOLAS MATUSIAK

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 2002, après avoir mené une carrière militaire pendant environ 25 ans, Nicolas Matusiak a été réformé des Forces canadiennes pour des raisons médicales. M. Matusiak souffrait d’une dépression grave depuis plusieurs années au moment où il a été réformé et il était incapable de travailler.

 

[2]               Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) a d’abord rejeté la demande de prestations d’invalidité de M. Matusiak au motif que son invalidité n’avait pas été causée par son service militaire. Lors du contrôle judiciaire, le juge Teitelbaum a rejeté cette décision et a renvoyé l’affaire devant le TACRA pour nouvel examen.

 

[3]               Le TACRA a alors conclu que M. Matusiak avait droit aux deux cinquièmes d’une pension complète parce que d’autres facteurs, qui n’avaient pas de lien direct avec son service de temps de paix, avaient joué un rôle dans l’évolution de sa dépression. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               À l’issue de l’audience, j’ai avisé les parties que j’accueillerais la demande. J’expose ici les de ma décision.

 

La carrière militaire de M. Matusiak

[5]               Après s’être enrôlé dans les Forces canadiennes en 1977, M. Matusiak a eu une carrière militaire fructueuse jusqu’à ce qu’il commence à souffrir de troubles psychiatriques vers le milieu des années 1990. Au début de 1996, on a diagnostiqué que M. Matusiak souffrait de dysthymie, soit une dépression légère. On lui a prescrit des antidépresseurs et il a continué à travailler.

 

[6]               En 1997, M. Matusiak a été affecté à un nouveau poste pour lequel il devait rendre compte au major Burke. M. Matusiak déclare qu’au cours de leur premier entretien, le major Burke lui a dit que d’autres officiers lui avaient fait savoir que M. Matusiak était un [traduction] « trublion », qu’il était [traduction] « déloyal » et [traduction] « non professionnel ». La situation n’a fait que se détériorer par la suite.

 

[7]               M. Matusiak prenait toujours des antidépresseurs lorsqu’il s’est trouvé sous les ordres du major Burke et il a commencé à consulter un médecin plus régulièrement en raison du stress qu’il ressentait.

 

[8]               En avril 1998, M. Matusiak a été informé qu’il recevrait une promotion. Cette promotion a cependant été annulée par la suite.

 

[9]               Le major Burke avait donné à M. Matusiak une sanction disciplinaire, soit un avertissement écrit. Cet avertissement écrit a évidemment joué un rôle dans l’annulation de la promotion de M. Matusiak, et le Comité des griefs des Forces canadiennes a par la suite conclu que la sanction était injustifiée. Bien que l’avertissement eût été retiré du dossier de service de M. Matusiak deux semaines après qu’il y eut été versé, M. Matusiak soutient que sa réputation et sa carrière en avaient déjà souffert.

 

[10]           Le 19 juin 1998, M. Matusiak a déposé un grief au sujet de l’avertissement écrit. Le grief a été rejeté le 8 juillet 1998. Le jour même, bien que le demandeur n’eût pas encore été mis au courant de la décision, son médecin a diagnostiqué qu’il souffrait de dépression grave. M. Matusiak affirme que, lorsqu’il a été informé du rejet de son grief, deux jours plus tard, il a fait une [traduction] « dépression nerveuse ».

 

[11]           M. Matusiak a pris un congé de maladie à ce moment et n’est jamais retourné au travail. Il a continué à recevoir des soins médicaux et son état s’était amélioré jusqu’en décembre 1998, au moment où sa demande de réexamen du grief a été rejetée.

 

[12]           M. Matusiak a poursuivi son grief et, le 26 mars 2002, le Comité des griefs des Forces canadiennes a conclu que l’avertissement écrit du major Burke était inapproprié. Le Comité a aussi conclu que la façon dont l’administration militaire avait traité son grief était inappropriée. M. Matusiak poursuivait sa demande de pension à cette époque, et le Comité a recommandé qu’il soit indemnisé par une pension d’invalidité.

 

La demande de pension de M. Matusiak

[13]           M. Matusiak a présenté une demande de pension d’invalidité le 24 janvier 2000. Il a reçu une certaine indemnité pour une blessure au genou, mais pour le reste, le ministère des Anciens Combattants a rejeté sa demande au motif que sa dépression grave n’était pas liée à son service militaire.

 

[14]           M. Matusiak a interjeté appel de cette décision devant un comité de révision du TACRA, qui a entendu cette affaire le 30 octobre 2001. Le comité a attribué à M. Matusiak une indemnité supplémentaire pour le syndrome du canal carpien, mais a conclu de nouveau que la dépression grave n’avait pas de lien avec son service militaire.

 

[15]           M. Matusiak a alors interjeté appel de cette décision devant le TACRA même. Le 22 décembre 2003, le TACRA a conclu que, bien que M. Matusiak eût effectivement souffert de dépression, celle-ci n’était pas liée à son service militaire.

 

[16]           M. Matusiak a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, demande qui a été accueillie par le juge Teitelbaum. Comme la portée de la décision du juge Teitelbaum et les directives qu’il avait données au TACRA sont au centre du litige en l’espèce, il est nécessaire d’examiner cette décision d’un peu plus près.

 

[17]           Les deux parties conviennent qu’il était implicite dans la décision du juge Teitelbaum qu’il avait conclu que la dysthymie d’origine de M. Matusiak, soit sa dépression légère, ne provenait pas de son service militaire. En fait, le juge Teitelbaum a souligné que le TACRA devait trancher la question à savoir si cet état de santé avait été aggravé par la suite en raison d’incidents qui auraient eu lieu dans le milieu de travail de M. Matusiak.

 

[18]           Sur cette question, le juge Teitelbaum a examiné la preuve médicale dont le TACRA avait été saisi, ainsi que la preuve au sujet de la situation dans le milieu de travail alors que l’état de santé de M. Matusiak s’était aggravé. À ce sujet, le juge Teitelbaum a noté que les rapports médicaux faisaient de nombreuses références au stress que M. Matusiak avait éprouvé au travail. Le juge Teitelbaum a aussi fait remarquer la relation temporelle entre l’avertissement écrit reçu par M. Matusiak, l’annulation de sa promotion et son effondrement psychologique total.

 

[19]           Le juge Teitelbaum a noté que le TACRA s’était fondé principalement sur un rapport médical qui pouvait laisser entendre que M. Matusiak avait imaginé les problèmes auxquels il faisait face au travail. Ce faisant, le TACRA n’avait pas expliqué pourquoi l’opinion exprimée dans ce rapport l’emportait sur les nombreux rapports d’autres médecins figurant au dossier, qui exprimaient une opinion contraire.

 

[20]           Le juge Teitelbaum a conclu que le TACRA avait commis des erreurs manifestement déraisonnables en ne tenant pas compte d’éléments de preuve clairs et objectifs dont il était saisi et en accordant une importance exagérée à une partie du rapport d’un médecin, sans donner d’explication adéquate.

 

[21]           Le juge Teitelbaum a aussi conclu que le TACRA n’avait pas analysé correctement la question du lien de causalité et que, par conséquent, il avait commis une erreur de droit. À cet égard, il a affirmé que :

[82]  [...] [L]a norme traitant de ce qui « découle de » la situation applicable en l'espèce est distincte de celle qui exige l'établissement d'une cause directe. Même si cette norme est appliquée sous le volet « rattachement direct » de ce critère, et même si le Tribunal avait jugé que le demandeur était une victime particulièrement vulnérable en raison de la dépression dont il souffrait déjà [...] cet élément n'aurait pas nécessairement exonéré les Forces canadiennes de toute responsabilité.

 

 

[22]           Finalement, en renvoyant l’affaire devant le TACRA, le juge Teitelbaum a affirmé que le Tribunal devait prendre une nouvelle décision :

[85]  […] conformément aux lois applicables et aux présents motifs. J'ajouterais que la façon dont le major Burke a traité le demandeur laisse beaucoup à désirer. La lecture des documents m'a convaincu que le major Burke a énormément contribué à la dépression grave qui a frappé le demandeur.

 

 

La deuxième décision du TACRA

[23]           Dans sa deuxième décision, le TACRA a conclu qu’il devait déterminer si la dépression grave de M. Matusiak avait été causée, en tout ou en partie, par des facteurs stressants liés à son service au sein des Forces canadiennes. Il a statué que la preuve ne permettait pas de conclure que l’évolution de la dépression grave de M. Matusiak et que son effondrement en 1998 étaient entièrement liés à son service militaire. Le TACRA a plutôt conclu que trois cinquièmes de la pension devaient être retenus parce qu’il existait d’autres facteurs qui avaient supposément contribué à l’évolution de l’invalidité psychiatrique de M. Matusiak.

 

[24]           En tirant cette conclusion, le TACRA a soutenu que la preuve attestait que d’autres traits psychiatriques, y compris une personnalité paranoïaque, ainsi que la possibilité d’une psychose et deudélire, constituaient des facteurs qui n’étaient pas liés au service militaire et qui avaient joué un rôle dans l’évolution de la dépression grave de M. Matusiak.

 

[25]           Le TACRA a noté que les facteurs stressants auxquels M. Matusiak attribuait son effondrement et l’évolution de sa dépression grave en 1998 comprenaient des facteurs secondaires et accessoires à son travail. Il a affirmé que [traduction] «  bien qu’ils aient pu survenir dans le milieu de travail, les facteurs stressants ne découlaient pas du travail comme tel. En fait, les facteurs stressants étaient le produit des interactions avec ses collègues et provenaient directement de conflits et de différends entre le demandeur et les personnes avec qui il travaillait. »

 

[26]           Le TACRA n’a pas reconnu que les actions du major Burke avaient joué un rôle important dans l’évolution de la dépression grave de M. Matusiak. Elle a noté que M. Matusiak avait eu des problèmes avec d’autres collègues, en plus du major Burke. Le TACRA a plutôt conclu que les conflits qui avaient finalement conduit à l’effondrement invalidant de M. Matusiak avaient été causés par ses traits de personnalité et sa paranoïa de plus en plus importante.

 

[27]           À ce sujet, le TACRA a tenu les propos suivants :

[TRADUCTION]

Dans les premiers stades des conflits qui ont finalement entraîné le grief du demandeur, il était, de manière significative, l’auteur de son propre malheur et de son stress.

                                                                                                        

 

 

[28]           Le TACRA a aussi conclu que d’autres problèmes de santé de M. Matusiak, qui n’étaient pas de nature psychiatriques, avaient provoqué chez lui du stress au moment où sa dépression s’aggravait. De plus, il a conclu que le fait que ses médicaments antidépresseurs aient cessé de faire effet constituait un autre facteur qui n’était pas lié au service militaire et qui avait contribué à la détérioration de l’état de santé de M. Matusiak.

 

[29]           Le TACRA a reconnu que la façon dont les Forces canadiennes avaient traité le grief de M. Matusiak avait créé du stress pour le demandeur parce que le grief n’avait pas été traité correctement. Il a conclu qu’il était raisonnable de supposer que la façon dont les Forces canadiennes avaient traité le grief avait été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », contribuant à la détérioration de la santé mentale de M. Matusiak.

 

[30]           Compte tenu de la preuve et des circonstances, le TACRA a conclu que les facteurs les plus importants quant à l’évolution de l’invalidité psychiatrique de M. Matusiak n’étaient pas liés à son service militaire et ne découlaient pas non plus de ce service. Par conséquent, il a conclu que les deux cinquièmes d’une pension représentaient une juste indemnité pour le rôle que ces facteurs stressants, causés par le mauvais traitement du grief de M. Matusiak, pouvaient avoir joué dans la détérioration de son état.

 

Le cadre légal

[31]           La décision du TACRA est fondée sur l’interprétation des paragraphes 21(2) et 21(2.1) de la Loi sur les pensions, qui définit le droit à une pension d’invalidité militaire en temps de paix. Ces paragraphes sont rédigés en ces termes :

21 (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

21 (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

(2.1) En cas d’invalidité résultant de l’aggravation d’une blessure ou maladie, seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré total d’invalidité qui représente l’aggravation peut donner droit à une pension.

 

(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.

 

[32]           L’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est aussi pertinent en l’espèce et se lit comme suit :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui‑ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

 

La norme de contrôle

[33]           Les parties conviennent que le juge Teitelbaum a correctement décrit la norme de contrôle applicable en l’espèce dans la décision qu’il a rendue au sujet de l’affaire. Après avoir examiné la jurisprudence, il a affirmé :

[35] Après avoir retracé l'origine de l'analyse qui a été effectuée au sujet des normes de contrôle dans les affaires comme celle-ci, je conclus que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu'il s'agit de savoir si le Tribunal a omis d'interpréter libéralement l'ensemble de la preuve, comme l'exige la loi. La norme du caractère manifestement déraisonnable s'applique uniquement aux conclusions qu'a tirées le Tribunal des preuves médicales contradictoires pour décider si la maladie a été causée ou aggravée par le service militaire.

 

 

 

[34]           Je souscris à la conclusion du juge Teitelbaum à ce sujet et je fais mienne son analyse.

 

Analyse

[35]           La décision faisant l’objet du contrôle repose principalement sur la conclusion du TACRA selon laquelle la majeure partie des difficultés auxquelles M. Matusiak avait fait face au travail était attribuable à sa personnalité paranoïaque. Il a aussi conclu qu’il était possible que M. Matusiak ait également été délirant et psychotique.

 

[36]           Il est vrai que certaines preuves dont était saisi le TACRA pouvaient laisser entendre qu’il était possible que ce soit le cas. Notamment, le Tribunal a mentionné dans sa décision l’opinion du Dr Bourgon. Cependant, cette preuve comportait des faiblesses importantes. Par exemple, le Dr Bourgon n’a examiné M. Matusiak qu’une seule fois, environ un an après son effondrement psychologique. Par conséquent, le Dr Bourgon s’était efforcé de reconstituer ce que l’état de M. Matusiak avait pu être l’année précédente, en se fondant sur une seule rencontre.

 

[37]           De plus, le témoignage du Dr Bourgon va à l’encontre du témoignage de la psychiatre traitante de M. Matusiak, qui attestait qu’au cours de ses rencontres avec le demandeur, elle n’avait jamais observé chez lui d’indications de perturbations de la pensé ou d’anomalies de la perception. De nombreux autres médecins ont fait les mêmes observations.

 

[38]           L’avocate du défendeur a reconnu avec franchise qu’il était manifestement déraisonnable que le TACRA retienne, de façon sélective, le témoignage du Dr Bourgon et qu’il ne tienne pas compte des nombreux éléments de preuve qui contredisaient directement sa conclusion, sans s’expliquer. L’avocate a aussi admis que cette erreur était suffisamment grave pour que la demande de contrôle judiciaire de M. Matusiak soit accueillie.

 

[39]           J’estime moi aussi que la gravité de cette erreur en soi justifie l’annulation de la décision du TACRA. L’erreur du TACRA est d’autant plus flagrante que, compte tenu des exigences de sa loi habilitante, tout doute qui survient lors de l’appréciation de la preuve doit être résolu en faveur du demandeur.

 

[40]           Cependant, la façon dont le TACRA a traité cette affaire comportait d’autres erreurs. Comme l’affaire sera renvoyée devant le TACRA, encore une fois, pour nouvel examen, je crois qu’il est nécessaire d’attirer l’attention du TACRA sur ces erreurs, pour éviter qu’elles ne se répètent au cours d’une autre instance.

 

[41]           Tout d’abord, lorsqu’on lit la décision en entier, on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression que le TACRA cherchait un moyen de limiter le droit de M. Matusiak à une pension. Lorsqu’il était possible de tirer plus d’une conclusion en fonction de la preuve, le TACRA a retenu l’inférence la moins favorable à M. Matusiak, contrairement aux directives prévues à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

 

[42]           De plus, le TACRA était d’avis qu’un bon nombre des problèmes auxquels M. Matusiak avait fait face dans son milieu de travail était attribuables à sa personnalité paranoïaque, et au délire et à la psychose qui l’affectaient possiblement. À cet égard, le TACRA a conclu que M. Matusiak était, dans une large mesure, l’auteur de son propre malheur et de son stress.

 

[43]           J’ai déjà tranché que le TACRA a complètement eu tort de présumer que M. Matusiak était atteint de paranoïa et qu’il souffrait possiblement de délire et d’une psychose. C’est pourtant ce que le TACRA a fait. Qu’il donne par la suite à entendre qu’une personne étant dans cet état psychiatrique sérieux puisse être [traduction] « l’auteur de son propre malheur et de son stress » est simplement ahurissant. À mon avis, ce commentaire du TACRA révèle un manque remarquable de compréhension et de sensibilité quant aux réalités de la maladie mentale.

 

[44]           Enfin, le TACRA n’a simplement pas tenu compte de la conclusion clairement énoncée qui se trouvait dans la décision du juge Teitelbaum. À cet égard, il convient de répéter que le juge Teitelbaum, en renvoyant l’affaire devant le TACRA, avait noté que l’affaire devait être réexaminée :

[85] [...] conformément aux lois applicables et aux présents motifs. J'ajouterais que la façon dont le major Burke a traité le demandeur laisse beaucoup à désirer. La lecture des documents m'a convaincu que le major Burke a énormément contribué à la dépression grave qui a frappé le demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[45]           L’avocate du défendeur soutient que cette remarque était seulement incidente et qu’elle n’avait pas été formulée comme directive à l’intention du TACRA. Je ne suis pas d’accord. Remis en contexte, dans le paragraphe renvoyant l’affaire devant le TACRA, il est clair que le juge Teitelbaum s’attendait à ce que le nouvel examen du dossier de M. Matusiak soit effectué en fonction de sa conclusion au sujet de l’implication importante du major Burke dans l’état de M. Matusiak.

 

[46]           Pourtant, le TACRA a conclu que les actes du major Burke n’avaient pas contribué de manière appréciable à l’apparition de la dépression grave de M. Matusiak. À mon humble avis, le TACRA ne pouvait simplement pas tirer une telle conclusion, compte tenu de celle du juge Teitelbaum à ce sujet.

 

Conclusion

[47]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision du TACRA sera annulée et l’affaire sera renvoyée devant le Tribunal pour nouvel examen, lors duquel il devra tenir compte des directives suivantes :

            1.         La nouvelle audition de l’affaire de M. Matusiak doit avoir lieu le plus tôt possible;

            2.         La décision du TACRA doit refléter la conclusion du juge Teitelbaum selon laquelle les interactions du major Burke avec M. Matusiak ont été un facteur important dans la dépression grave de M. Matusiak.

                       

Les dépens

[48]           M. Matusiak demande ses dépens sur la base avocat-client. Il soutient qu’il ne devrait pas être pénalisé sur le plan pécuniaire parce que le TACRA n’a pas suivi les directives du juge Teitelbaum.

 

[49]           Bien qu’elle reconnaisse que M. Matusiak devrait avoir droit à des dépens, l’avocate du procureur général soutient tout de même que des dépens sur la base avocat-client ne seraient pas appropriés, parce que son client n’a rien fait de mal en l’espèce et que les erreurs ont été commises par le TACRA.

 

[50]           Dans l’affaire King c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 196, une autre affaire qui concernait le TACRA, le juge Pelletier avait aussi été confronté à une situation dans laquelle le TACRA n’avait pas respecté une directive de la Cour. Le juge Pelletier avait noté :

En toute déférence envers le Tribunal, ce n'est pas là ce qu'on lui demandait de faire. Il est malheureux que le Tribunal n'ait pas demandé de directives s'il ne savait pas exactement ce que l'ordonnance du juge MacKay lui imposait. En définitive, l'ordonnance de réexamen de l'admissibilité prononcée par le juge MacKay n'a eu aucune suite. [Au paragraphe 28]

 

 

 

[51]           Le juge Pelletier a accordé au demandeur ses dépens sur une base avocat-client et a affirmé :

[35]   Comme M. King aurait pu faire l'économie de cette demande si on avait respecté les termes de l'ordonnance du juge MacKay, il a droit à ses dépens en cette demande sur la base d'avocat-client.

 

 

 

[52]           Lorsque l’affaire a été portée en appel, la Cour d’appel fédérale a confirmé les dépens que le juge Pelletier avait accordés, statuant que :

[5]    Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de la règle 400, le juge des requêtes était fondé à prendre en considération les facteurs visés à la règle 400(3), y compris le résultat de l'instance devant le Tribunal. Le juge Pelletier était visiblement d'avis que celui-ci avait traité l'affaire de manière maladroite et inique pour l'intimé.

 

[6]   Dans l'ensemble, nous ne somme pas convaincus qu'une erreur de droit ait été commise dans l'exercice par l'instance inférieure de son pouvoir discrétionnaire. L'appel sera rejeté, avec allocation des dépens à l'intimé. (King c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 1558.)

 

 

[53]           Si le TACRA avait accepté la conclusion du juge Teitelbaum en l’espèce, comme il aurait dû le faire, il est possible que le présent contrôle judiciaire n’eût pas eu lieu. Je suis d’avis que, compte tenu de toutes les circonstances, et en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, M. Matusiak a droit à ses dépens sur la base avocat-client.

JUGEMENT

 

            Pour les motifs susmentionnés, la Cour statue que :

 

1.         La décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA), rendue le 7 septembre 2005, est annulée;

 

2.         l’affaire est renvoyée devant le TACRA pour qu’il effectue un nouvel examen en tenant compte des motifs et des directives de la Cour;

 

            3.         la nouvelle audition de l’affaire de M. Matusiak doit faire l’objet d’une instruction le plus tôt possible;

 

4.         la décision du TACRA doit refléter la conclusion du juge Teitelbaum selon laquelle les interactions du major Burke avec M. Matusiak ont été un facteur important dans la dépression grave de M. Matusiak; 

 

            5.         les dépens de la présente demande sont accordés à M. Matusiak sur la base avocat-client.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1746-05

 

 

INTITULÉ :                                       NICOLAS MATUSIAK c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mai 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 mai 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald E. Brown &

Steven Levitt

 

POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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