Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20050810

Dossier : T-1313-05

Référence : 2005 CF 1097

Toronto (Ontario), le 10 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

EUGENE ESQUEGA, BRIAN KING, GWENDOLINE KING, HUGH KING SR., RITA KING, WAYNE KING, LAWRENCE SHONIAS ET OWEN BARRY

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

Introduction

 

[1]               Les demandeurs sont les neuf conseillers du conseil de la Première nation de Gull Bay (le conseil), qui ont été élus lors d’élections tenues le 8 novembre 2004 en conformité avec le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens (le Règlement), mais dont l’élection a été annulée par le décret C.P. 2005-1289 du gouverneur en conseil en date du 28 juin 2005 (le décret), pris conformément à l’alinéa 79c) de la Loi sur les Indiens (la Loi) parce que, en application de l’alinéa 14c) du Règlement, le ministre des Affaires indiennes et du Nord (le ministre) a rapporté que trois personnes présentées comme candidats à l’élection des conseillers ne possédaient pas les qualités requises puisqu’elles ne résidaient pas dans la réserve au moment de leurs mises en candidature, ainsi que l’exige le paragraphe 75(1) de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs prient la Cour de rendre :

a)                   une injonction provisoire interdisant la tenue d’une élection complémentaire au conseil de la Première nation de Gull Bay (la Première nation) prévue pour le 12 août 2005, jusqu’à ce qu’il soit statué à titre final sur la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre du décret;

b)                  une ordonnance réintégrant les neuf (9) conseillers jusqu’à ce qu’il soit statué à titre final sur la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre du décret;

c)                  subsidiairement, une ordonnance réintégrant les six conseillers qui n’ont pas été déclarés inéligibles et qui peuvent former le quorum du conseil pour la poursuite des travaux du conseil, jusqu’à ce qu’il soit statué à titre final sur la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre du décret.

 

[3]               Les dispositions applicables de la Loi sont le paragraphe 75(1) et l’article 79, ainsi rédigés :

75(1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

 

79. Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :

a) qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard de cette élection;

b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;

c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.

 

[4]               Les dispositions applicables du Règlement sont les articles 12 à 14, ainsi formulés :

Appels à l’égard de l’élection

12.(1) Si, dans les quarante-cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection,

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible,

il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous-ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.

(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.

13.(1) Le Ministre peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

(2) Cette enquête peut être tenue par le Ministre ou par toute personne qu’il désigne à cette fin.

(3) Lorsque le Ministre désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du Ministre.

14. Lorsqu’il y a lieu de croire

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice à l’égard d’une élection,

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inadmissible à la candidature,

le Ministre doit alors faire rapport au gouverneur en conseil.

 

 

LES FAITS

[5]               Trois membres de la Première nation, Claudette Marie Penagin, Cecilia Penagin et Marie Poile, ont fait appel des résultats de l’élection en alléguant l’inéligibilité de certains candidats élus, étant donné qu’ils ne résidaient pas dans la réserve au moment de leurs mises en candidature, et en alléguant aussi la violation du règlement de scrutin et les agissements d’un des représentants des candidats. Les appels interjetés ont été appuyés par des affidavits.

 

[6]               Les candidats élus dont l’élection est contestée dans les trois appels pour cause d’inéligibilité étaient Gwendoline King, Brian King, Rita King, Wayne King, Hugh King, Eugene Esquega et Alec King. Chacun d’eux a répondu aux appels en déposant des affidavits et des documents concernant leur lieu de résidence. Ces affidavits de réponse portent les dates des 24 et 25 janvier 2005, et la date du 4 février 2005 pour Hugh King.

 

[7]               Le 25 février 2005, le directeur de l’Administration des bandes, au ministère des Affaires indiennes et du Nord (le MAIN), demandait au directeur régional du MAIN, Région de l’Ontario, de s’adresser à une tierce partie indépendante pour qu’elle enquête sur le lieu de résidence du des candidats contestés et qu’elle confirme si le représentant du candidat concerné avait eu ou non entre les mains les bulletins après la fermeture du scrutin le jour de l’élection. L’enquêteur choisi était I.L. Dyck.

 

[8]               M. Dyck a mené son enquête en procédant à des entrevues et en prenant des photographies. Il a préparé un rapport portant la date du 26 avril 2005. Ses constatations sont les suivantes :

[traduction]

a) Rita King ne vit pas sur le territoire de la Première nation et n’y résidait pas ordinairement avant même qu’elle soit proposée comme candidate à la charge de conseillère.

b) Brian King occupe à l’occasion cette maison située dans la réserve, lorsque cela est commode pour lui, mais ce n’est pas l’endroit où il réside ordinairement. Lorsqu’il s’occupe des affaires de Kings Landing au cours des mois d’été, il habite l’un des chalets du Landing. Ce chalet n’est pas dans la réserve.

c) Gwendoline King ne résidait pas ordinairement dans la réserve lorsqu’elle a été proposée comme candidate à la charge de conseillère, et elle ne réside pas non plus en ce moment sur le territoire de la Première nation de Gull Bay.

d) Eugene Esquega semble répondre à la définition de l’expression « réside ordinairement » qui figure dans l’article 3 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens.

e) Wayne King réside la plupart du temps sur le territoire de la réserve de la Première nation de Gull Bay et il fait de la réserve son domicile. Il se rend à Thunder Bay pour les affaires de la bande et pour visiter son amie au moins une fois par semaine, mais le doute doit être résolu en sa faveur.

f) Ronald King et Alec King sont père et fils. L’enquêteur a conclu qu’ils vivent dans la réserve et qu’ils ont à Thunder Bay un logement « qui est utilisé par la famille lorsqu’elle doit se rendre à Thunder Bay pour y faire des achats, y traiter des affaires ou s’y divertir, mais Thunder Bay n’est pas l’endroit où ils résident ordinairement ».

 

 

[9]               S’agissant du représentant du candidat, l’enquêteur s’est exprimé ainsi :

[traduction] Il est difficile de dire dans quelle mesure Hilda King a pu manipuler les bulletins de vote. Un complément d’enquête qui pourrait permettre de la trouver et me donner l’occasion de l’interroger prendrait probablement du temps et ne serait guère économique à ce stade-ci, à moins que je ne sois autorisé à faire ce complément d’enquête.

 

 

[10]           Les représentants du MAIN ont étudié le rapport de l’enquêteur et ont préparé à leur tour un rapport au ministre daté du 30 mai 2000.

 

[11]           Le rapport du MAIN au ministre exposait les conclusions du rapport d’enquête sur les qualités requises pour être proposé comme candidat à la charge de conseiller. Le rapport du MAIN concluait, comme l’avait fait le rapport de l’enquêteur, à l’inéligibilité de Rita King, de Brian King et de Gwendoline King.

 

[12]           Le rapport du MAIN indiquait deux solutions possibles :

[traduction]

 

1. Que le ministre recommande l’annulation de l’élection des neuf conseillers.

2. Que le ministre recommande l’annulation de l’élection des trois seuls conseillers qui n’étaient pas éligibles.

 

[13]           Le rapport du MAIN donnait la justification suivante pour l’annulation de l’élection des neuf conseillers :

[traduction] Cette recommandation est appuyée par le fait que l’élection de l’ensemble des conseillers était intrinsèquement viciée. Si les voix exprimées pour les trois candidats inéligibles avaient été exprimées pour d’autres candidats, le résultat de l’élection aurait pu être sensiblement différent. Si l’élection de tous les conseillers devait être annulée, la collectivité serait privée de dirigeants en exercice jusqu’à ce que puisse avoir lieu une élection accélérée (environ 40 jours) pour que ces postes soient occupés. Il n’est pas rare pour une Première nation de se trouver sans dirigeants élus, à la suite d’une élection qui est annulée par le gouverneur en conseil. Les dispositions du Règlement relatives à une élection accélérée ont été conçues pour régler ce cas précis. Les services essentiels continueraient d’être fournis aux membres de la collectivité par la tierce partie.

 

[14]           Le rapport du MAIN renfermait le raisonnement suivant à l’appui de la seconde solution :

[traduction] Cette solution permettrait au conseil de bande de préserver un quorum et de continuer à gouverner. Il appartiendrait alors au conseil de décider si une élection complémentaire aura lieu pour que soient pourvus les postes vacants. Toutefois, cette option présuppose que les conseillers qui conservent leurs charges auraient été de toute façon élus si les candidats inéligibles n’avaient pas figuré sur les bulletins de vote. C’est là une supposition qui ne peut être faite. Par ailleurs, cette solution limite à seulement trois le nombre de postes que peuvent se disputer les candidats.

 

[15]           Le rapport du MAIN recommandait ce qui suit au ministre :

[traduction]

Recommandation

Nous recommandons que le ministre, en conformité avec l’alinéa 14c) du Règlement, présente au gouverneur en conseil un rapport selon lequel trois personnes proposées comme candidats à la charge de conseiller n’avaient pas les qualités requises pour être des candidats. Le ministre devrait aussi recommander que l’élection de tous les conseillers, tenue le 8 novembre 2004, soit annulée. Par la suite, une élection accélérée devra avoir lieu.

 

L’élection des conseillers était intrinsèquement viciée et le résultat aurait pu être très différent si elle ne l’avait pas été. Les candidats devraient avoir la possibilité de se disputer les neuf postes à la faveur d’une autre élection. Cela constitue à notre avis la solution la plus équitable.

 

ANALYSE

[16]           J’examinerai les deux questions préliminaires soulevées par l’avocat du défendeur.

 

[17]           Je n’accepte pas l’argument de l’avocat du défendeur selon lequel les demandeurs n’ont pas nommé tous les défendeurs proprement dits. Il fait valoir que tous ceux qui ont fait appel de l’élection et tous les candidats à l’élection complémentaire prévue auraient dû être désignés comme défendeurs.

 

[18]           Le procureur général est le défendeur validement désigné puisque c’est la validité du décret qui est en cause et que l’élection complémentaire prévue le 12 août 2005 est la conséquence directe et unique du décret. Les personnes proposées comme défendeurs pourront demander d’intervenir à l’audition de la demande de contrôle judiciaire et auraient pu demander d’intervenir à l’audition de la demande d’injonction.

 

[19]           Par ailleurs, je n’accepte pas l’idée de l’avocat du défendeur selon laquelle le fait d’accorder une injonction provisoire dans les circonstances de la présente affaire accordera aux demandeurs la répartition sollicitée dans la demande de contrôle judiciaire. Une injonction provisoire ici n’invaliderait pas le décret, mais rétablirait simplement le statu quo jusqu’à l’issue du contrôle judiciaire de la validité du décret.

 

(1)        Le critère

[20]           Le critère de l’octroi d’une injonction provisoire est bien connu. Il a été exposé dans un arrêt de principe, RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [1994] 1 R.C.S. 311. Un demandeur doit satisfaire au triple critère, à savoir question sérieuse, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients.

 

 

 

a)                  2equestion sérieuse

[21]           Dans la décision Bonspille c. Conseil mohawk de Kanesatake, [2003] 1 C.F. 521 (1re inst.), j’écrivais ce qui suit, aux paragraphes 25 et 26, sur la nécessité, compte tenu des circonstances d’une demande, de réintégrer le président et un membre de la Commission de police mohawk de Kanesatake (composée de cinq personnes), qui avaient été informés qu’ils n’étaient plus membres de cet organisme, lequel avait été institué en 1997 à la faveur d’un accord tripartite conclu entre le Canada, le Québec et le Conseil mohawk, et portant sur l’établissement, le maintien et la surveillance d’un corps de police dans la réserve de Kanesatake :

[25] Pour les fins de la présente demande dinjonction provisoire, je suis disposé à appliquer lexception, énoncée dans la décision Woods [N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.), à la règle de la question sérieuse à trancher formulée dans larrêt R.J.R.-Macdonald, précité. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême du Canada a statué que le juge des requêtes, lorsquil est davis que le recours provisoire demandé nest ni vexatoire ni frivole, doit passer à lexamen des deuxième et troisième volets du critère.

[26] Lexception énoncée dans la décision Woods oblige le juge des requêtes à effectuer un examen au fond plus approfondi. Il convient de lappliquer en lespèce parce que les demanderesses veulent obtenir leur réintégration provisoire au Comité en attendant laudition de la demande dinjonction interlocutoire.

 

 

 

 

[22]           L’avocate des demandeurs allègue quatre questions sérieuses qui répondent à première vue au critère de la question sérieuse :

[traduction]

(1)     Le processus qui a conduit à la prise du décret était vicié parce qu’il contrevenait aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Elle a cité les exemples suivants :

 

a)       La non-divulgation de renseignements pertinents, ou la cueillette de tels renseignements après que les demandeurs eurent déposé leurs affidavits de réponse aux affidavits d’appel, et cela en contravention du paragraphe 12(2) du Règlement.

b)       L’enquêteur n’a pas mené son enquête d’une manière consciencieuse. Il n’a interrogé que certaines personnes. Il n’a pas interrogé le chef de la Première nation, dont l’élection n’était pas contestée, et il n’a pas interrogé les autres membres du conseil qui ont été élus, mais dont l’élection n’a pas été contestée. Il n’a pas interrogé Hugh King, qui était forcé de vivre à Thunder Bay en raison de problèmes de logement dans la réserve.

c)       Non-divulgation, pour commentaires des demandeurs, du rapport de l’enquêteur.

d)       Non-divulgation du rapport du MAIN adressé au ministre.

 

(2)     Le décret est invalide dans la mesure où il prétend annuler l’élection des demandeurs dont l’éligibilité n’a pas été contestée. Le décret a été pris conformément à l’alinéa 79c) de la Loi, qui autorise l’annulation de l’élection d’une personne si cette personne ne possédait pas les qualités requises pour être candidat. L’alinéa 79c) ne permet pas l’annulation de l’élection d’une personne qui possédait les qualités requises. Le décret n’a pas été pris en application de l’alinéa 79b) de la Loi. Par ailleurs, le dossier de la présente affaire montre que les appels, les réponses, l’enquête et le rapport du MAIN au ministre concernaient d’abord l’inéligibilité de certains candidats à l’élection.

 

(3)     Un point de droit concerne le bon critère à appliquer à la notion de résident selon l’article 75 de la Loi, par rapport à la notion de résidence ordinaire, à l’article 3 du Règlement, qui est le critère employé par l’enquêteur.

 

(4)     Le paragraphe 75(1) de la Loi, qui prévoit qu’une personne présentée au poste de conseiller doit « résider » dans la réserve, est-il compatible avec l’article 15 de la Charte des droits et libertés, eu égard à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203?

 

 

[23]           À mon avis, l’avocate des demandeurs a produit un solide commencement de preuve selon lequel le décret est invalide pour les motifs avancés devant la Cour.

 

[24]           L’avocat du défendeur n’a pas sérieusement contesté la base factuelle de l’argument des demandeur fondé sur l’équité. Il est admis que le rapport de l’enquêteur n’a pas été divulgué aux demandeurs pour commentaires, non plus que le rapport du MAIN.

 

[25]           La Cour a déjà jugé, dans la décision Morin c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1998] A.C.F. n° 82, que la non-divulgation du rapport d’un enquêteur conduisant à l’annulation d’une élection au sein d’une bande contrevient aux principes d’équité.

 

[26]           Pour d’autres exemples de l’obligation d’équité dans les constats d’inéligibilité à la charge de conseiller durant l’élection tenue au sein d’une bande, voir les décisions suivantes : Sound c. Première nation Swan River, 2002 CFPI 602, Duncan c. Le Conseil de bande de la Première nation Behdzi Ahda, 2002 CFPI 581; Bande indienne Samson c. Bruno, 2005 CF 1140, et Frank c. Bottle, [1993] A.C.F. n° 670.

 

[27]           Dans le contexte des droits de la personne, il a été jugé que l’équité requiert que le rapport d’un enquêteur soit divulgué avant que la Commission canadienne des droits de la personne ne statue sur une plainte. Voir l’arrêt Radulesco c. Canada (Commission des droits de la personne), [1984] 2 R.C.S. 407, et l’enquête entreprise à propos d’une plainte doit être approfondie : voir Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574.

 

[28]           Je suis également d’avis que les points d’interprétation de la législation soulevés par l’avocate des demandeurs font intervenir deux importantes questions préliminaires : le gouverneur en conseil peut­il, en vertu de l’alinéa 79c) de la Loi, annuler l’élection de candidats éligibles? Et la notion de « résidence » a-t-elle été validement appliquée? Je ne m’exprime pas sur la pertinence du point soulevé au regard de la Charte, puisque c’est un point sur lequel on n’a pas insisté devant moi.

 

[29]           Les demandeurs subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée; des dommages-intérêts ne constituent pas une réparation pour la perte d’une charge élective. Je fais miens les propos du juge MacKay dans la décision Frank c. Bottle, précitée, où il s’exprimait ainsi, au paragraphe 27 : « La charge de chef est une charge politique, comblée au moyen d’élections valides, comportant des responsabilités qui l’emportent sur toute idée que la personne en cause est l’employé de la tribu, comme c’est le cas pour la charge de conseiller » (Non souligné dans l’original.)

 

[30]           Pour d’autres exemples où la Cour a jugé qu’un préjudice irréparable avait été établi dans des circonstances semblables, voir Gabriel c. Conseil mohawk de Kanesatake, 2002 CFPI 483; Bonspille c. Conseil mohawk de Kanesatake, précitée; et Sound c. Première nation Swan River, précitée.

 

[31]           L’avocat du défendeur a invoqué la décision Dodge c. Première nation Caldwell de la Pointe Pelée, 2003 A.C.F. n° 45, pour affirmer que les demandeurs ne subiraient pas un préjudice irréparable puisque tous les demandeurs sont candidats à la charge de conseiller à l’élection prévue pour le 12 août 2005 et acceptés en tant que tels par le président d’élection, y compris les trois demandeurs déclarés inéligibles par le MAIN.

 

[32]           À mon avis, la décision Dodge n’est pas applicable ici. Ce n’est pas un cas où une personne a été privée de sa charge après avoir été élue. Dans l’affaire Dodge, il s’agissait de savoir si une élection avait été validement déclenchée. La situation à laquelle nous avons affaire ici est identique aux circonstances de la décision Sound, précitée.

 

[33]           Finalement, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs. La réintégration, dans leur charge, de personnes qui ont été démocratiquement élues, et cela jusqu’à l’issue du contrôle judiciaire de leur éligibilité, et dans la mesure où il existe un solide commencement de preuve indiquant que le contrôle judiciaire a de bonnes chances d’être accordé, rétablit simplement le statu quo à titre provisoire. Par ailleurs, la réintégration permet d’expédier les affaires urgentes de la Première nation de Gull Bay. Il serait contraire à l’intérêt public que le gouvernement de la Première nation cesse de fonctionner jusqu’à la décision finale sur la procédure de contrôle judiciaire. Il est des affaires urgentes qui appellent des soins urgents, et cela est amplement démontré dans la preuve : logements totalement insuffisants, traitement des eaux et problèmes d’approvisionnement en électricité, pour n’en nommer que quelques-unes.

 

[34]           L’avocat du défendeur a mentionné qu’il y avait un tiers gestionnaire pour s’en occuper. Je ne vois dans l’affidavit de Franco Crupi aucune affirmation montrant que ses fonctions de tiers gestionnaire suppléent à la nécessité d’un conseil validement en exercice. Son affidavit indique le contraire.

 

[35]           Le report de l’élection prochaine, qui résulte uniquement de l’annulation de l’élection des membres du conseil tenue en novembre 2004, est également justifié étant donné que la validité de cette annulation est sérieusement mise en doute.

 

[36]           Je cite les décisions suivantes où l’on a jugé que la réintégration d’élus et le report d’élections prévues, dans des circonstances semblables à la présente affaire, sont justifiés : Frank c. Bottle, précitée; Bande indienne Samson c. Bruno, précitée; Gabriel c. Conseil mohawk de Kanesatake précitée; Bonspille, précitée; Francis c. Conseil des Mohawks d’Akwesasne, [1993] A.C.F. n° 369; Duncan, précitée; et Sound, précité.

 

[37]           Pour les motifs susmentionnés, la requête sera accordée.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La tenue de l’élection complémentaire de membres du conseil de la Première nation de Gull Bay, prévue pour le 12 août 2005, est interdite jusqu’à décision finale sur la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre du décret 2005-1289;

2.                  Les neuf (9) conseillers de la Première nation de Gull Bay, dûment élus le 8 novembre 2004, sont réintégrés dans leur charge jusqu’à la décision finale sur la validité du décret 2005-1289.

3.                  Des dépens partie-partie sont accordés aux demandeurs, quelle que soit l’issue de la cause, et sont calculés selon l’échelle de la colonne IV. Le dossier ne justifie pas l’octroi de dépens avocat-client.

4.                  L’audition de la demande de contrôle judiciaire devra être accélérée et les avocats des parties se consulteront et proposeront à la Cour un calendrier au plus tard le 18 août 2005.

                          « François Lemieux »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1313-05

 

INTITULÉ :                                       EUGENE ESQUEGA, BRIAN KING, GWENDOLINE KING, HUGH KING SR., RITA KING, WAYNE KING, LAWRENCE SHONIAS ET OWEN BARRY

                                                           

                                                           

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 AOÛT 2005

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 AOÛT 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Chantelle Bryson                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Roach                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantelle Bryson

Buset & Partners

Thunder Bay (Ontario)                          POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada       POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.