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Date : 20030430

Dossier : T-18-03

Référence : 2003 CFPI 537

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                          GENERAL ELECTRIC COMPANY et

                                                    GE WIND ENERGY LLC

                                                                                                                               demanderesses

                                                                            et

                                     WIND POWER INC. et ENERCON GMBH

                                                                                                                                 défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'un appel de l'ordonnance par laquelle Madame le protonotaire Aronovitch a en partie rejeté, le 1er avril 2003, la requête visant l'obtention de précisions que les défenderesses avaient présentée. En particulier, le protonotaire Aronovitch a rejeté la demande de précisions se rapportant aux paragraphes 13 et 14 de la déclaration. L'appel porte uniquement sur cette partie de l'ordonnance.


[2]                 Les parties ont convenu que l'ordonnance ne devrait pas être modifiée en appel à moins que les défenderesses ne réussissent à convaincre la Cour qu'elle était entachée d'erreur, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire était fondé sur de mauvais principes ou sur une mauvaise appréciation des faits ou du droit ou parce que des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal étaient soulevées [Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425, à la page 463 (C.A.). La Cour n'exerce son pouvoir discrétionnaire à nouveau qu'en pareils cas.

[3]                 Il n'a pas été soutenu que l'ordonnance pouvait avoir une influence déterminante sur l'issue du principal.

[4]                 Il a été soutenu que le protonotaire Aronovitch n'a pas tenu compte de la jurisprudence en ce qui concerne la nécessité de plaider tous les faits importants et qu'elle a fondé sa décision sur un principe de droit erroné.


[5]                 Les défenderesses ont noté que le protonotaire Aronovitch n'a pas donné de motifs à l'appui de son ordonnance. Le protonotaire a mentionné les observations écrites et orales des parties. Comme l'a mentionné Madame le juge Layden-Stevenson dans la décision Partenaires pharmaceutiques du Canada c. Faulding (Canada) Inc. 2002 CFPI 1010; [2002] A.C.F. 1305 (QL) (au paragraphe 9), cela « n'entraîne pas que le critère défini dans l'arrêt Aqua-Gem, précité, ne s'applique pas. En l'absence d'une erreur du protonotaire, du type décrit dans l'arrêt Aqua-Gem, la Cour n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début : Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co. (2001), 15 C.P.R. (4th) 63 (C.F. 1re inst.) » .

[6]                 Il importe de noter que les parties se sont entendues sur certains principes généraux applicables aux requêtes visant l'obtention de précisions. Il n'est pas contesté que le but des précisions est énoncé correctement dans l'arrêt Gulf Can c. Le Mary MacKin [1984] 1 C.F. 884, à la page 889 (C.A.F.) et qu'avant le dépôt de la défense, il s'agit principalement de permettre aux défenderesses de plaider leur cause. Il est également convenu que pour être conforme aux Règles de la Cour qui s'appliquent aux actions en contrefaçon de brevet, la déclaration doit énoncer : a) les faits qui ont pour effet de conférer à la demanderesse le droit exclusif de faire certaines choses ou, en d'autres termes, les caractéristiques essentielles que la défenderesse se serait censément appropriées (c'est-à-dire les éléments précis de l'invention) et b) les faits qui constituent une atteinte aux droits de la demanderesse de la part de la défenderesse, c'est-à-dire que la défenderesse a fait ce que la demanderesse a le droit exclusif de faire.


[7]                 Eu égard aux circonstances, la Cour peut à bon droit supposer que le protonotaire a également mentionné et appliqué ces principes. Ce sur quoi les parties ne s'entendent réellement pas, c'est au sujet des modalités d'application de ces principes généraux en l'espèce.

[8]                 Pour les demanderesses, et probablement pour le protonotaire Aronovitch, la déclaration telle qu'elle a été complétée au moyen des précisions que le protonotaire Aronovitch a ordonné de donner, lesquelles ont été déposées le 2 avril 2003, était adéquate en ce sens qu'elle renfermait tous les faits importants nécessaires pour permettre aux défenderesses de déposer une défense valable (c'est-à-dire les faits mentionnés ci-dessus au paragraphe 6).

[9]                 Les défenderesses soutiennent que les précisions elles-mêmes qui ont été demandées au sujet des paragraphes 13 et 14 se rapportent à ce qui, selon elles, contrefait censément le brevet canadien 2,100,672 (le brevet 672) dans les diverses fonctions des aérogénérateurs à vitesse variable. Ces précisions sont donc importantes et nécessaires et les défenderesses ne les connaissent pas.

[10]            Le paragraphe 13 de la déclaration est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Les aérogénérateurs à vitesse variable Enercon du type susmentionné sont du moins visés par les revendications 53 à 58 ainsi que par la revendication 60 du brevet 672.


[11]            Conformément à l'ordonnance rendue par le protonotaire Aronovitch, les demanderesses ont maintenant clairement indiqué quels modèles de turbines fabriqués par les défenderesses sont visés par ce paragraphe et ont précisé qu'elles limitent leur allégation aux sept revendications décrites au paragraphe 13 de la déclaration. Le brevet comporte 60 revendications.

[12]            Les demanderesses cherchent encore à obtenir ce qu'elles décrivent simplement comme étant les faits importants étayant l'allégation de contrefaçon à l'égard de chaque modèle et de chaque revendication qui aurait censément été contrefaite.

[13]            L'emploi de l'expression « faits importants » pour définir les renseignements additionnels demandés par les défenderesses n'est pas très utile étant donné qu'il s'agit en fait de savoir s'il y a des faits importants additionnels qui sont nécessaires pour permettre aux défenderesses de plaider. Les défenderesses n'ont pas donné d'exemple de ce que cela engloberait exactement. À coup sûr, les droits violés sont suffisamment décrits. Il doit donc s'agir des faits qui constituent une atteinte de la part des défenderesses.

[14]            Le paragraphe 14 de la déclaration semble donner des précisions au sujet du paragraphe 13 sur ce point. Par conséquent, les précisions demandées par les défenderesses au sujet de cette allégation peuvent illustrer le type de détails que les défenderesses cherchent de fait à obtenir.

[15]            Le paragraphe 14 de la déclaration est ainsi libellé :


[TRADUCTION] Les aérogénérateurs à vitesse variable Enercon du type décrit ci-dessus convertissent l'électricité produite par une turbine à vitesse variable en courant électrique de fréquence fixe. Cette turbine comprend un générateur et un dispositif qui transfère l'électricité produite à un convertisseur. Celui-ci comprend un inverseur commuté qui délivre l'électricité produite. La conversion de l'électricité se fait comme suit :

i)              formation d'une forme d'onde de référence;

ii)             rotation de cette forme d'onde d'un angle qui détermine le facteur de puissance choisi pour obtenir une forme d'onde modèle;

iii)            utilisation de cette forme d'onde modèle pour définir les courants de sortie désirés; et

iv)           commande de l'inverseur commuté pour produire les courants de sortie désirés.

[16]            Les défenderesses soutiennent qu'elles doivent connaître, à l'égard de chacun des modèles censément contrefaits :

[TRADUCTION]

a)             la caractéristique de la forme d'onde de référence censément formée et comment elle se trouve dans la portée du brevet 672;

b)            si une forme d'onde de référence est formée, la façon dont elle est utilisée pour obtenir une forme d'onde modèle et comment cette utilisation se trouve dans la portée du brevet 672 et, en particulier, la façon dont cette forme d'onde de référence présumée est soumise à une rotation dans la portée du brevet 672;

c)             si une telle forme d'onde modèle est obtenue, la façon dont elle est utilisée pour définir les courants de sortie désirés et comment cette utilisation se trouve dans la portée du brevet 672; et

d)            la façon dont l'inverseur commuté présumé est commandé pour produire les courants de sortie et comment cette opération se trouve dans la portée du brevet 672.


[17]            La Cour s'entend avec les demanderesses pour dire qu'à ce stade, les détails additionnels demandés au sujet du paragraphe 14 ne semblent même pas pertinents en ce qui concerne la contrefaçon alléguée. Ainsi, pourquoi est-il pertinent et important de connaître la caractéristique de la forme d'onde utilisée par les défenderesses lorsque le monopole allégué dans l'instance n'est pas limité à une forme d'onde particulière. La preuve par affidavit avancée par les défenderesses ne dit absolument rien à ce sujet et les défenderesses ne pouvaient pas aider la Cour à l'audience.

[18]            Il est soutenu que la Cour a rendu des décisions dans lesquelles elle a statué qu'on ne peut pas simplement employer le libellé des revendications pour décrire les actes des défenderesses et que, si on le fait, la déclaration ne satisfait pas à la norme exigée par les Règles de la Cour fédérale (1998). La Cour conclut qu'il ne s'agit pas d'une règle rigoureuse. Chaque cas doit être apprécié selon les faits qui lui sont propres, selon la preuve présentée et compte tenu du libellé exact du brevet et de la déclaration.

[19]            Il y a des cas dans lesquels le libellé de la déclaration est tel qu'il peut servir de modèle pour décrire exactement les actes du défendeur qui constituent une atteinte au droit du demandeur. En l'espèce, on dit aux défenderesses que chacun des modèles désignés par les demanderesses comprend un générateur qui transfère l'électricité produite à un convertisseur qui comprend un inverseur commuté délivrant l'électricité produite. Les demanderesses indiquent en outre la façon dont ces turbines convertissent leur électricité, en parlant des principales fonctions ou étapes utilisées par les défenderesses. Les demanderesses devront prouver ces faits à l'instruction, mais les défenderesses n'ont pas le droit, en demandant des précisions, de chercher à obtenir des détails au sujet de la preuve qui sera présentée sur ce point.


[20]            La preuve par affidavit déposée par les défenderesses ne dit pas à la Cour de quelle façon cette description factuelle des turbines des défenderesses sera insuffisante pour leur permettre de plaider ou comment la déclaration omet de les informer de la méthode employée qui porte atteinte au droit des demanderesses.

[21]            Enfin, la Cour note que la preuve montre que les parties ont participé à d'autres instances se rapportant au brevet 672 et aux aérogénérateurs des défenderesses au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les défenderesses sont également en cause dans une procédure d'opposition visant à contester le brevet européen correspondant des demanderesses.

[22]            Il ressort également du paragraphe 15 de la déclaration que le litige dure depuis un certain temps. La International Trade Commission américaine a censément statué, le 28 octobre 1996, que le modèle de turbine A40 de la défenderesse Enercon contrefait le brevet américain no 5083039 correspondant au brevet 672; ces conclusions auraient apparemment été confirmées en appel par la Cour d'appel américaine pour le circuit fédéral.


[23]            Compte tenu des remarques qui précèdent, la Cour n'est pas convaincue que l'appréciation du protonotaire était clairement erronée lorsqu'il a été dit que la déclaration, telle qu'elle avait été précisée conformément à l'ordonnance du 1er avril 2003, était adéquate et permettait aux défenderesses de déposer une défense appropriée.

[24]            La Cour ajoute également que, si elle avait exercé son pouvoir discrétionnaire à nouveau, elle l'aurait fait de la même façon que l'a fait le protonotaire.

[25]            Les défenderesses ont dit que, si la Cour rejetait leur requête, il leur faudra uniquement cinq (5) jours pour rédiger leur défense. Les défenderesses disposeront d'un délai de cinq (5) jours à compter de la date de la présente ordonnance et le délai fixé par le protonotaire sera prorogé en conséquence.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête est rejetée avec dépens. Les défenderesses déposeront leur défense dans les cinq jours qui suivront la date de la présente ordonnance. L'ordonnance du protonotaire Aronovitch est modifiée en conséquence.

                                                                                                                         « Johanne Gauthier »                       

                                                                                                                                                    Juge                                    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-18-03

INTITULÉ :                                                 General Electric Company et al.

c.

Wind Power Inc. et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 24 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        Madame le juge Gauthier

DATE DES MOTIFS :                               le 30 avril 2003

COMPARUTIONS:

Colin B. Ingram                                                                 POUR LES DEMANDERESSES

Julie Desrosiers                                                                POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart et Biggar                                                                  POUR LES DEMANDERESSES

1500 - 3438, avenue University

Toronto (Ontario) M5G 2K8

Fasken Martineau DuMoulin, srl                                      POUR LES DÉFENDERESSES

3400 - 800, Place Victoria

Montréal (Québec) H4Z 1E9

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