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Date : 19981016


Dossier : T-909-97

ENTRE :

     ROBERT LAVIGNE,

     demandeur,

     et

     LE COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES,

     défendeur,

     et

     LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA,

     intervenant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      La présente demande vise le contrôle judiciaire du refus du Commissaire aux langues officielles de divulguer des notes d'entrevue provenant de ses dossiers d'enquête, que le demandeur cherche à obtenir en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels1.

1. Les faits

[2]      Le demandeur prétend avoir été forcé d'utiliser la langue française au travail quand il travaillait au bureau de Montréal du ministère de la Santé et du Bien-être social (à présent le ministère du Développement des ressources humaines du Canada (DRHC)). De novembre 1992 à mars 1993, il a déposé quatre plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles (CLO), le défendeur, ce qui a donné lieu à l'enquête du CLO.

[3]      Dans le cadre de l'enquête, le CLO a procédé à plusieurs entrevues y compris à des entrevues avec des personnes qui travaillaient quotidiennement avec le demandeur au DRHC. Le demandeur soutient qu'après ces entrevues l'ambiance au travail s'est détériorée.

[4]      Le CLO a rendu son rapport le 23 août 1994, qui concluait que les quatre plaintes du demandeur étaient bien fondées et soumettait au DRHC cinq recommandations émanant du Commissaire aux langues officielles. Le DRHC a accepté de donner suite à ces recommandations.

[5]      À la suite du rapport du CLO, le demandeur s'est adressé à la Cour en vue d'obtenir réparation du DRHC conformément aux dispositions de la partie X de la Loi sur les langues officielles2. L'audience de la Cour a porté principalement sur la nature de la réparation pour la violation des droits linguistiques du demandeur.

[6]      Le 30 octobre 1996, le juge Pinard a ordonné au DRHC de verser au demandeur la somme de 3 000 $ en dommages-intérêts et de lui écrire une lettre d'excuse. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel fédérale en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts accordés. L'appel n'a pas encore été entendu.

[7]      Dans le cadre de l'examen devant le juge Pinard (T-1977-94), le DRHC a déposé plusieurs affidavits, dont ceux de Mme Doyon (coordonnatrice régionale aux langues officielles), M. Chartrand (gestionnaire de district, bureau de Montréal) et Mme Dubé (chef de service - supérieure immédiate du demandeur). Le demandeur cherche, par la présente demande, à obtenir les renseignements figurant dans les notes prises par les enquêteurs du CLO dans le cadre de ces entrevues.

[8]      Le demandeur a reçu des extraits des entrevues en question et il tente à présent d'obtenir les parties manquantes des documents demandés. Le CLO est toujours peu disposé à divulguer le reste des réponses fournies par M. Chartrand, Mme Doyon et Mme Dubé.

2. Décision du Commissaire aux langues officielles

[9]      Dans une lettre datée du 25 avril 1997, le Commissaire aux langues officielles a fait le point sur la situation et a informé le demandeur des motifs de sa décision de ne pas divulguer les renseignements demandés. Les deux paragraphes suivants témoignent de ce qu'il pense de la question :

                 [TRADUCTION] Les renseignements qui ne sont toujours pas divulgués ne sont pas des renseignements de nature personnelle en vertu de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou sont des renseignements visés par l'exemption prévue à l'alinéa 22(1)b) ou aux articles 25, 26 ou 27 de la Loi. L'alinéa 22(1)b) et l'article 25 s'appliquent expressément aux déclarations des personnes interrogées dans le cadre d'une enquête du CLO, dont le consentement n'a pas été obtenu, soit parce qu'elles n'ont pas été retrouvées, soit parce qu'elles ne voulaient pas renoncer à leur droit à la confidentialité.                 
                 J'ai eu le privilège de prendre connaissance du résultat des efforts du CLO en vue de trouver une solution à la plainte que vous m'avez adressée et d'examiner les arguments que les fonctionnaires du CLO ont présentés pour défendre le recours aux différentes dispositions d'exemption en vue de continuer à vous refuser l'accès à des renseignements personnels, et je suis convaincu que vous disposez à présent de tout ce à quoi vous avez droit. J'ai conclu qu'on vous avait refusé l'accès aux renseignements personnels quand vous les avez demandés pour la première fois. La plainte que vous m'adressez est par conséquent bien fondée. Toutefois, compte tenu de la volonté du CLO de vous communiquer des renseignements additionnels, j'estime à présent que l'affaire est close.                 

3. Les questions en litige soulevées par le demandeur sont les suivantes :

1. Les renseignements que le demandeur cherche à obtenir sont-ils des " renseignements personnels " au sens où l'entend la Loi sur la protection des renseignements personnels ?

2. Les " renseignements non personnels " en question (figurant dans les renseignements que le demandeur cherche à obtenir) qui n'ont pas été divulgués au demandeur ont-ils été correctement retranchés conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels ?

3. Les " renseignements personnels " que le demandeur cherche à obtenir et que le défendeur ne lui a pas divulgués sont-ils à juste titre assujettis à l'exemption prévue à l'alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou à toute autre exemption applicable?

4. Quelle répercussion ont les articles 60, 72, 73 et 74 de la Loi sur les langues officielles sur la demande de renseignements du demandeur?

4. Argumentation du demandeur

[10]      Le demandeur soutient avoir droit aux renseignements demandés parce que ce sont des " renseignements personnels ", selon la définition qu'en donne l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels :

                 " renseignements personnels " Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :                 
                 [...]                 
                 g) les idées ou opinions d'autrui sur lui.                 

[11]      Le demandeur prétend que le défendeur reconnaît que les renseignements donnés par Mme Dubé pendant l'entrevue sont des " renseignements personnels " en vertu de la définition qui précède, mais que malgré ce fait il ne lui divulguera qu'une partie de ces renseignements. Le demandeur soutient que, pour pouvoir invoquer l'exemption prévue à l'alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le défendeur doit prouver que la divulgation des renseignements nuirait au déroulement d'enquêtes licites. L'alinéa prévoit :

                 22. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :                 
                 [...]                 
                 b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment [...].                 

[12]      Le demandeur affirme que l'intérêt de la divulgation l'emporte sur les risques que courent les enquêtes du défendeur. En ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, l'article 60 prévoit seulement que les enquêtes menées par le Commissaire aux langues officielles sont secrètes. L'article 72 prévoit que ce dernier et ses représentants sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l'exercice des attributions qui leur sont conférées. L'article 73 prévoit que le Commissaire aux langues officielles peut communiquer des renseignements, soit lors d'un recours formé devant la Cour fédérale aux termes de la partie X, soit lors de l'appel de la décision rendue en l'occurrence. Le demandeur soutient que les alinéas 8(2)a) et b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoient que la communication de " renseignements personnels " est autorisée soit à des fins auxquelles ils ont été recueillis, soit à des fins qui sont conformes aux lois fédérales qui autorisent cette communication.

5. Argumentation du défendeur

[13]      D'autre part, le CLO prétend ne pas avoir divulgué les renseignements pour trois raisons principales : premièrement, le défendeur n'est pas tenu de divulguer les renseignements qui ne sont pas des " renseignements personnels "; deuxièmement, les renseignements qui n'ont pas été divulgués au demandeur étaient visés par l'exemption prévue à l'alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels au motif que la divulgation risquerait de nuire aux activités destinées à faire respecter la Loi sur les langues officielles; troisièmement, le défendeur se conforme aux dispositions de la Loi sur les langues officielles qui portent sur la confidentialité des renseignements obtenus pendant une enquête, à savoir le paragraphe 60(1) et les articles 72, 73 et 74 de la Loi sur les langues officielles.

[14]      Le défendeur soutient que l'objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels est de deux ordres : premièrement, elle protège les " renseignements personnels " relevant des institutions fédérales; et deuxièmement, elle reconnaît aux individus un droit d'accès aux " renseignements personnels " qui les concernent. Toutefois, ce droit n'est pas absolu; il est assujetti aux exemptions prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels .

[15]      En outre, le défendeur prétend que les dispositions relatives à la confidentialité dans la Loi sur les langues officielles servent à obtenir la collaboration de tous les témoins, qui est essentielle au déroulement des enquêtes. Mme Dubé ayant refusé d'accorder au défendeur CLO l'autorisation de communiquer le contenu des notes prises pendant l'entrevue, celui-ci a respecté cette décision. Bien que le défendeur n'ait pas besoin de cette autorisation, il croit que la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement des enquêtes du CLO, comme le prévoit l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, le défendeur allègue qu'en raison du fait que des promesses de confidentialité ont été faites aux personnes en cause, si le CLO devait à présent divulguer le contenu des notes prises pendant ces entrevues, sans obtenir le consentement de ces personnes, il trahirait l'engagement qu'il a pris envers elles.

[16]      Enfin, le défendeur mentionne que les notes d'entrevue en litige ne contiennent pas de renseignements se rapportant au principal de l'appel du demandeur devant la Cour d'appel fédérale, qui porte essentiellement sur le montant des dommages-intérêts.

[17]      Le CLO soutient par conséquent que, en répondant à la demande de renseignements du demandeur, il a tenté d'équilibrer les obligations prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur les langues officielles et son obligation d'agir de façon équitable.

6. Argumentation de l'intervenant

[18]      Le Commissaire à la protection de la vie privée au Canada est intervenu en faveur du demandeur. Il a limité son intervention à la question de savoir si les " renseignements personnels " que cherche à obtenir le demandeur sont visés par l'exemption de divulgation prévue à l'alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il est d'avis que l'alinéa ne sert pas à restreindre l'accès du demandeur à ses " renseignements personnels ". Comme cela a été souligné précédemment, cet alinéa crée une exemption quand la divulgation " risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites ".

[19]      L'intervenant soutient qu'en vertu de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels les " renseignements personnels " sont des " renseignements [qui], quels que soient leur forme et leur support, concern[ent] un individu identifiable " et comprennent notamment (en vertu de l'alinéa 3g )) " les idées ou opinions d'autrui sur lui ". Par conséquent, les renseignements concernant le demandeur qui figurent dans les notes en litige sont les " renseignements personnels " du demandeur.

[20]      La Cour suprême du Canada a récemment confirmé que la définition de " renseignements personnels " est délibérément large et illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l'identité des individus3. L'un des objectifs formulés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels est de " compléter la législation canadienne en matière de [...] droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent ". Ainsi, et sous réserve des exemptions limitées et précises prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels , les individus ont " le droit de se faire communiquer sur demande " les " renseignements personnels " qui les concernent, en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels .

[21]      L'intervenant allègue que les exemptions affectant le droit d'accès aux " renseignements personnels " prévu par la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent s'interpréter strictement4. Il appartient à ceux qui invoquent une exemption d'en justifier l'utilisation5. La communication des " renseignements personnels " est le principe fondamental et les exemptions ne doivent être demandées que dans des circonstances exceptionnelles6.

[22]      Bien que l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels dispense le responsable d'une institution fédérale de communiquer des " renseignements personnels " dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement d'enquêtes licites, cette exemption ne peut être régulièrement invoquée que lorsque l'institution peut démontrer l'existence d'un " risque vraisemblable de préjudice probable " émanant de la divulgation7. L'institution qui refuse de communiquer des renseignements en se fondant sur l'alinéa 22(1)b) doit " montrer sans équivoque l'existence d'un lien entre la divulgation et le préjudice supposé "8. L'exemption a pour but de protéger des sources confidentielles. Elle n'est pas destinée à restreindre la divulgation de " renseignements personnels " figurant dans des déclarations émanant de témoins qui ne peuvent pas être raisonnablement considérés comme des sources " confidentielle[s] "9. De plus, l'exemption s'applique seulement au " déroulement " d'une enquête licite. Par conséquent, dès la conclusion de l'enquête (comme c'est le cas en l'espèce), l'exemption ne s'applique plus10.

[23]      L'intervenant soutient que le CLO n'a pas réussi à démontrer, comme il le devait, que les " renseignements personnels " que le demandeur cherche à obtenir risqueraient vraisemblablement de causer un préjudice probable à ses enquêtes. Conformément à l'affidavit de Gerald Neary, directeur des enquêtes au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, [TRADUCTION] " aviser des individus dès le début du processus que leur témoignage est à la disposition de la personne sur laquelle il porte protège l'intégrité du processus d'enquête parce que la personne concernée peut contester les déclarations qu'un individu fait à son sujet. Selon mon expérience, les promesses de confidentialité diminuent la véracité des propos tenus. Par exemple, l'individu qui s'est fait promettre la confidentialité pourra être tenté d'exagérer ou de faire des insinuations, en croyant que ses propos ne seront pas divulgués ".

[24]      Le point de vue du directeur des enquêtes Neary est diamétralement opposé à celui de Gilbert Langelier, directeur général adjoint au CLO, qui a déclaré dans son affidavit savoir [TRADUCTION] " par expérience que les témoins prenant part aux enquêtes du CLO tiennent à être rassurés quant à l'étendue de leur participation ". Ces témoins [TRADUCTION] " hésitent habituellement à témoigner ". Il a remarqué [TRADUCTION] " à de nombreuses reprises que les témoins hésitent souvent à rencontrer les enquêteurs du CLO ". Il est d'avis [TRADUCTION] " pour que nous obtenions l'entière collaboration de tous les témoins essentiels à notre enquête, nous devons donner aux témoins la certitude que leurs déclarations resteront confidentielles, même après la conclusion de l'enquête ". Par conséquent, dans la présente affaire, [TRADUCTION] " les enquêteurs du CLO ont promis la confidentialité aux employés concernés ".

[25]      De l'avis de l'intervenant, l'intérêt public de veiller à l'impartialité à l'égard de toutes les parties impliquées dans une enquête l'emporte de beaucoup sur le préjudice qui pourrait résulter de la divulgation de déclarations de témoins11. L'intervenant cite mon collègue le juge Muldoon dans la décision Quackenbush v. Canada (Minister of Agriculture)12 : " Lorsque le gagne-pain et la carrière d'une personne sont en cause, on ne devrait dans l'identification de ses accusateurs être délicats au point d'en faire des fantômes ".

[26]      La Cour suprême du Canada a d'ailleurs confirmé qu'" [u]ne justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu "13. L'intervenant soutient que, par conséquent, les institutions publiques ne doivent pas pouvoir renverser les protections fondamentales offertes par la Loi sur la protection des renseignements personnels en faisant des promesses générales de confidentialité aux témoins dans le cadre de leurs enquêtes. Les garanties de confidentialité, lorsqu'elles sont nécessaires, doivent se faire sous réserve des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[27]      Bien que l'un des témoins impliqués, Mme Jacqueline Dubé, ait refusé d'autoriser la divulgation de ses réponses, il n'y a aucune preuve de témoin, y compris elle, qui ait refusé dès le début de collaborer avec les enquêteurs du CLO à moins qu'un engagement de confidentialité ne soit pris. Qui plus est, et de toute façon, si des témoins refusent de collaborer, le Commissaire aux langues officielles a le pouvoir de les contraindre à témoigner sous serment. Le Commissaire aux langues officielles soutient que le recours à ce pouvoir [TRADUCTION] " pourrait limiter de façon importante les renseignements que le CLO peut obtenir ". Cet argument est manifestement déraisonnable et incompatible avec notre système judiciaire qui est fondé sur la capacité de contraindre des témoins à témoigner pour s'assurer d'obtenir tous les renseignements pertinents et fiables.

[28]      Le motif invoqué par le demandeur pour demander la communication de ses " renseignements personnels ", soit le soutien de sa cause en vue d'obtenir des dommages-intérêts plus importants, n'a rien à voir avec le droit qu'a un individu d'avoir accès à ses " renseignements personnels " en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels .

[29]      Le paragraphe 60(2) de la Loi sur les langues officielles prévoit que le Commissaire aux langues officielles doit, avant de clore l'enquête, prendre " les mesures indiquées pour [...] donner [à un particulier ou à une institution fédérale] toute possibilité de répondre aux critiques dont ils font l'objet et, à cette fin, de se faire représenter par un avocat. " La disposition de non-divulgation prévue à l'article 72 de la Loi sur les langues officielles est expressément assujettie aux " autres dispositions de la présente loi [sur la protection des renseignements personnels] " y compris, évidemment, le paragraphe susmentionné 60(2) et l'article 73 de la Loi sur les langues officielles . De nouveau, le paragraphe 60(2) prévoit qu'un individu doit obtenir toute possibilité de répondre aux critiques dont il fait l'objet et l'article 73 prévoit que le commissaire aux langues officielles peut communiquer des renseignements, soit lors d'un recours formé devant la Cour fédérale aux termes de la partie X, soit lors de l'appel de la décision rendue en l'occurrence.

7. Dispositif

[30]      Il n'est pas fréquent que le législateur prévoie une disposition fondée sur l'objet en introduction d'une nouvelle loi. Il l'a fait à l'article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui prévoit d'une manière claire que " [l]a présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne " à la fois " en matière de protection des renseignements personnels " et en matière " de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent ". Cette loi complète la Loi sur l'accès à l'information14, qui comporte également une disposition fondée sur l'objet qui élargit l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication et le principe que les exceptions indispensables à ce droit sont précises et limitées.

[31]      Par conséquent, le message est clair : la divulgation est la règle et l'exemption est l'exception. En l'espèce, le défendeur invoque l'exemption prévue à l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui vise les renseignements dont la divulgation risquerait de nuire au déroulement d'enquêtes licites. Une exemption similaire figurant à l'alinéa 16(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information a été définie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rubin c. Canada15 comme étant une exemption limitée et précise portant sur les enquêtes en cours et non sur les enquêtes éventuelles. En l'espèce, l'enquête est close.

[32]      Dans un autre arrêt impliquant le même demandeur, (Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé))16, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur le refus du greffier du Conseil privé de divulguer certains renseignements dans le cadre de la Loi sur l'accès à l'information. La Cour a mentionné qu'elle croyait à la confidentialité de l'enquête, pendant et après son déroulement, comme moyen de préserver l'intégrité du processus d'enquête et le droit des parties à une plainte d'obtenir l'assurance de la confidentialité des déclarations faites au Commissaire aux langues officielles.

[33]      Toutefois, la Cour a clairement fait savoir dans cet arrêt que les déclarations faites dans le cadre d'une enquête, que ce soit pendant son déroulement ou après, peuvent être divulguées si une loi l'exige ou l'autorise. La Cour n'a pas " besoin [de se] penche[r] sur l'argument selon lequel l'alinéa 16(1)c ) de la Loi joue de manière à [...] protéger [les renseignements] contre la divulgation "17. La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision le 24 janvier 1996.

[34]      Dans une décision récente, Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié)18, mon collègue le juge Richard (à présent Juge en chef adjoint) s'est prononcé sur une affaire présentée tant en vertu de la Loi sur l'accès à l'information que de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L'instance contestait la validité de la décision de la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de ne pas divulguer certaines parties d'un rapport préparé pour la Commission et des notes contenant des renseignements obtenus d'employés de la Commission dans la préparation du rapport.

[35]      La présidente de la Commission a écarté les recommandations formulées par le Commissaire à l'information et le Commissaire à la protection de la vie privée, estimant que la divulgation des documents en question nuirait au déroulement des enquêtes pouvant être engagées à l'avenir. Sous la rubrique " L'engagement de respecter la confidentialité ", le juge Richard a mentionné qu'elle avait affirmé aux employés de la Commission que les notes qu'elle prendrait au cours des interviews resteraient strictement confidentielles et qu'elle ne transmettrait à la Commission que son rapport. La réaction du juge est éloquente (à la page 15) : " Cet engagement était malavisé ". Il a analysé le rôle de la disposition fondée sur l'objet, à la fois dans la Loi sur l'accès à l'information et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a affirmé en faisant référence aux deux dispositions (à la page 19) que " [l]es exceptions nécessaires au droit d'accès doivent être interprétées de manière stricte " et que pour " qu'une des exceptions prévues puisse s'appliquer à l'avenir, il faut qu'elle soit à la fois limitée, spécifique et connue ". En faisant état du risque vraisemblable de préjudice probable, il a conclu en affirmant ce qui suit (à la page 22) :

                 [paragraphe 45] Lorsque le préjudice anticipé au cas où le document demandé serait divulgué n'est qu'éventuel ou hypothétique, il ne correspond pas aux critères prévus. Il faut donc que le préjudice allégué soit de nature à nuire à une enquête déterminée, soit une enquête en cours, soit une enquête devant prochainement être menée. On ne peut ainsi pas [sic] refuser de divulguer un renseignement et invoquer pour cela les alinéas 16(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information et 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels en faisant uniquement valoir que la divulgation du document en cause aurait pour effet d'intimider les éventuels participants à de futures enquêtes.                 
                 (Non souligné dans l'original.)                 

[36]      J'estime que le demandeur a droit aux " renseignements personnels " qu'il cherche à obtenir. Ces renseignements ne sont pas visés par l'exemption de divulgation prévue à l'alinéa 22(1)b ) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le défendeur n'a pas réussi à établir que la communication de ces renseignements personnels présente un risque vraisemblable de préjudice probable au déroulement de son enquête. Les témoins à une enquête doivent être prévenus que le témoignage qu'ils font au sujet d'un individu peut être divulgué à celui-ci. Ils feront très attention à ce qu'ils disent. La circonspection appropriée protégera l'intégrité du processus d'enquête et le droit des individus concernés d'être pleinement informés de ce qui leur est reproché. Les promesses de confidentialité ne sont pas essentielles car le défendeur a le pouvoir de décerner des citations à comparaître, le cas échéant. Les " renseignements personnels " auxquels le demandeur a droit sont définis à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels , savoir des renseignements qui, quels que soient leur forme et leur support, le concernent et, notamment (à l'alinéa 3g)), des idées ou des opinions d'autrui sur lui. En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le demandeur n'a droit qu'aux renseignements qui sont des " renseignements personnels ".

[37]      En application de l'article 49 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Cour accueille la demande et ordonne au défendeur de divulguer au demandeur tous les " renseignements personnels " que celui-ci cherche à obtenir. Aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels , les dépens sont adjugés au demandeur.

OTTAWA (Ontario)

Le 16 octobre 1998.      " J.E. Dubé "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


Date : 19981016


Dossier : T-909-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 OCTOBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     ROBERT LAVIGNE,

     demandeur,

     et

     LE COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES,

     défendeur,

     et

     LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA,

     intervenant.

     ORDONNANCE

     La demande présentée aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels est accueillie avec dépens.

     " J.E. Dubé "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-909-97                 

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ROBERT LAVIGNE c. LE COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES

                                

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          5 OCTOBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :                  16 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :

ROBERT LAVIGNE                          LE DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

ELIZABETH GRACE ET                      POUR LE DÉFENDEUR

DANIEL MATHIEU

DENIS POWER, c.r., HOLLY HARRIS          POUR L'INTERVENANT

ET STEPHEN WELCHNER

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LE COMMISSARIAT AUX                  POUR LE DEMANDEUR

LANGUES OFFICIELLES

NELLIGAN POWER                          POUR L'INTERVENANT

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. P-21.

     2      L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

     3      Dagg v. Canada (Minister of Finance) (1997), 213 N.R. 161 (C.S.C.), au par. 69.

     4      Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), à la p. 274.

     5      Ibid., à la p. 276 et l'art. 47 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

     6      Davidson c. Canada (Solliciteur général du Canada), [1987] 3 C.F. 15, à la p. 23; confirmé en appel [1989] 2 C.F. 341 (C.A.).

     7      Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), à la p. 60.

     8      Kaiser v. Minister of National Revenue (1995), 95 D.T.C. 5416 (1re inst.) et Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [1997] A.C.F. no 1812, au par. 43.

     9      Politique du Conseil du Trésor intitulée Accès à l'information et protection des renseignements personnels , ch. 2-9, art. 9.2, et Ternette c. Solliciteur général du Canada, [1992] 2 C.F. 75 (1re inst.), aux p. 102 et 103.

     10      Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1997] A.C.F. no 1614 (C.A.), aux par. 25 à 38, et Canada (Commissaire à l'information), précité, note no 8, aux par. 40 et 42 à 45.

     11      Liick v. Saskatchewan (Minister of Health) (1994), 117 D.L.R. (4th) 427 (B.R. Sask.), aux p. 438 et 439 et Tubbessing v. Bell Canada et al. (1995), 22 O.R. (3d) 714 (Div. gén.).

     12      (1986), 5 F.T.R. 74, à la p. 78.

     13      Kane c. Le conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique (1980), 110 D.L.R. (3d) 311, à la p. 322; [1980] 1 R.C.S. 1105, à la p. 1113.

     14      L.R.C. (1985), ch. A-1.

     15      Précité, note no 10.

     16      [1994] 2 C.F. 707 (C.A.).

     17      Ibid., à la p. 718.

     18      [1997] A.C.F. no 1812 (1re inst.).

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