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Date : 20190423


Dossier : T-1964-17

Référence : 2019 CF 504

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

demandeur

et

1038482 ALBERTA LTD., AUSSI CONNUE SOUS LE NOM D’INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., ET FIDELITER INC. ET BILL HEWS ET MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD. ET GORDON EDWARDS ET CHRISTOPHER BEADLE ET SHANE ROGERS ET FLIR SYSTEMS INC. ET FLIR SYSTEMS, LTD. ET SPARTAN CONTROLS LTD. ET CANADA150IN150 ET SCHNEIDER ELECTRIC SE ET SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC. ET WEST AT PELCO BY SCHNEIDER ELECTRIC ET ENBRIDGE PIPELINE INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Je suis saisi de deux requêtes, lesquelles ont été plaidées ensemble à l’audience qui s’est déroulée à Calgary le 27 mars 2019. La première requête a été introduite par IntelliView Technologies Inc., Fideliter Inc., Bill Hews, Missing Link Business Operations Advisors Ltd, Gordon Edwards, Christopher Beadle, et Shane Rogers [les défendeurs d’IntelliView ou DI] afin d’obtenir un jugement déclaratoire en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7 portant que le demandeur, M. Wael Maged Badawy, est un plaideur quérulent, et prévoyant la prise de diverses mesures auxiliaires de réparation (requête vexatoire). La deuxième requête a été introduite par M. Badawy en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 pour interjeter appel de l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance, Mme Martha Milczynski, datée du 14 mars 2019 (appel par voie de requête). Les deux requêtes sont liées.

II.  CONTEXTE

[2]  Dans l’action principale, M. Badawy a déposé une déclaration le 15 décembre 2017 pour intenter une action contre les 15 défendeurs. Selon la déclaration, les défendeurs violaient le droit de propriété de M. Badawy relativement à un grand nombre de marques de commerce et de brevets. En outre, les défendeurs auraient omis d’obtenir l’autorisation de M. Badawy avant d’utiliser la propriété intellectuelle. Les défendeurs ont présenté des requêtes en radiation de la déclaration du demandeur parce que ce dernier a omis de préciser une cause d’action. En réaction, M. Badaway a présenté des avis de requêtes visant la récusation des avocats de la partie adverse et une injonction interlocutoire contre les défendeurs pour interdire l’utilisation de la propriété intellectuelle et demander que les requêtes en radiation soient déclarées théoriques. Le 31 juillet 2018, madame la juge McVeigh a rendu sa décision et radié la déclaration sans autorisation de la modifier. Madame la juge McVeigh a conclu que la déclaration ne précisait aucune cause d’action raisonnable, était vexatoire et constituait un abus de procédure. M. Badawy a interjeté appel de la décision de la juge McVeigh devant la Cour d’appel fédérale.

[3]  M. Badawy a été une partie active devant plusieurs cours. Il a intenté des procédures devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, la Cour d’appel de l’Alberta, la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada. M. Badawy a commencé à intenter fréquemment des poursuites judiciaires à la suite d’un long et complexe litige matrimonial l’opposant à Mme Ghada Hamdy Nafie et qui a commencé en 2012.

[4]  Mme Nafie a entrepris des procédures matrimoniales et de divorce contre M. Badawy en 2012 devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. L’avocat de Mme Nafie était M. Waldemar Igras qui, à l’époque, travaillait pour le cabinet d’avocats Richmond Chickloski Igras et Moldowan LLP. Quand M. Igras a quitté son emploi et ouvert le cabinet Igras Family Law, en 2014, Mme Nafie est demeurée sa cliente. M. Badawy a enregistré la marque de commerce « Igras Family Law ». Il a ensuite intenté une action devant la Cour fédérale parce que M. Igras aurait utilisé le nom « Igras Family Law » sans autorisation. M. Badawy a aussi demandé l’autorisation d’introduire une mise en cause contre l’Alberta Law Society et l’Alberta Law Insurance Association. La demande d’autorisation a été rejetée sur l’ordonnance du protonotaire Lafrenière (tel était alors son titre). M. Badawy a allégué que le jugement du protonotaire Lafrenière était entaché d’une crainte raisonnable de partialité, et il a déposé une requête visant à casser l’ordonnance. Madame la juge Gleason a rejeté la requête le 20 janvier 2015. M. Badawy a interjeté appel de la décision de la juge Gleason, mais son appel a été rejeté par la Cour d’appel fédérale le 1er juin 2016. La Cour suprême du Canada a ensuite rejeté la requête en autorisation d’appel le 10 novembre 2016. Le 23 juin 2017, le juge Manson a fait droit à la requête des défendeurs visant à obtenir un jugement sommaire dans l’affaire.

[5]  M. Badawy a présenté devant la Cour fédérale une deuxième déclaration désignant comme défendeurs la procureure générale du Canada, la solliciteure générale de la province de l’Alberta, le procureur général de la province de la Colombie‑Britannique, l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, l’Alberta Law Society et l’Alberta Lawyers Insurance Association ainsi qu’un certain nombre d’avocats et de techniciens juridiques travaillant pour le cabinet Igras Family Law. Selon cette déclaration, les défendeurs avaient porté atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. Le 16 août 2018, la protonotaire Milczynski a ordonné la radiation de la déclaration sans autorisation de la modifier et a rejeté l’action. Le 17 novembre 2018, le juge Diner a rejeté l’appel interjeté par M. Badawy contre l’ordonnance de la protonotaire Milczynski (Badawy c Canada (Justice), 2018 CF 1189).

[6]  IntelliView Technologies Inc. [IntelliView] a engagé une procédure devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, le 13 septembre 2018, afin que M. Badawy soit déclaré plaideur quérulent dans le système judiciaire de l’Alberta. Madame la juge Cambpell a déclaré que M. Badawy était un plaideur quérulent (IntelliView Technologies Inc c Badawy, 2018 ABQB 961). M. Badawy a demandé l’autorisation de la Cour d’appel de l’Alberta en vue d’interjeter appel de la décision. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté sa demande le 19 février 19, 2019 (IntelliView Technologies Inc c Badawy, 2019 ABCA 66).

[7]  Le 26 septembre 2018, la procureure générale a consenti au dépôt de la requête des défendeurs d’IntelliView visant à ce que M. Badawy soit déclaré plaideur quérulent devant la Cour fédérale.

III.  QUESTIONS À TRANCHER

[8]  Il s’agit de trancher la question suivante relative à la requête vexatoire :

  1. M. Badawydevrait‑il être déclaré plaideur quérulent en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales et, si tel est le cas, quelles sont les mesures de réparation appropriées?

[9]  Il s’agit de trancher la question suivante relative à la requête en appel :

  1. La Cour devrait‑elle faire droit à l’appel interjeté par M. Badawyà l’égard de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski datée du 14 mars 2019?

IV.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]  Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales sont pertinentes en l’espèce.

Poursuites vexatoires

Vexatious proceedings

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

Procureur général du Canada

Attorney General of Canada

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

Requête en levée de l’interdiction ou en autorisation

Application for rescission or leave to proceed

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

Pouvoirs du tribunal

Court may grant leave

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

Décision définitive et sans appel

No appeal

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

[11]  Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales sont pertinentes en l’espèce.

Appel des ordonnances du protonotaire

Appeals of Prothonotaries’ Orders

Appel

Appeal

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51 (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

Signification de l’appel

Service of appeal

(2) L’avis de la requête est signifié et déposé dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance frappée d’appel et au moins quatre jours avant la date prévue pour l’audition de la requête.

(2) Notice of the motion shall be served and filed within 10 days after the day on which the order under appeal was made and at least four days before the day fixed for the hearing of the motion.

V.  ARGUMENT

A.  Requête vexatoire

(1)  Les défendeurs d’IntelliView

[12]  Les DI soutiennent que M. Badawy a intenté des procédures vexatoires devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, la Cour d’appel de l’Alberta, la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada. En outre, la conduite de M. Badawy pendant les procédures était vexatoire.

[13]  Les DI affirment que M. Badawy a utilisé le temps et les ressources du système judiciaire de façon inappropriée. Ce faisant, M. Badawy a imposé à diverses parties des frais judiciaires inutiles. De plus, les diverses requêtes, déclarations et demandes déposées par M. Badawy ont entraîné une énorme perte de temps. M. Badawy continuera probablement d’intenter des poursuites vexatoires si la Cour ne le déclare pas plaideur quérulent et ne prend pas les mesures de réparations appropriées.

[14]  Pour soutenir leur argument, les DI citent la décision Tonner c Lowry, 2016 CF 230 [Tonner], qui a établi les indicateurs suivants d’un comportement vexatoire devant la Cour fédérale :

1.  une tendance à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision a déjà été rendue;

2.  l’entreprise d’actions ou de requêtes futiles;

3.  le fait de soutenir des allégations d’actes irréguliers sans fondement contre une partie opposée, des avocats ou la cour;

4.  le refus de se plier aux règles et aux ordonnances de la cour;

5.  le fait de tenir des propos scandaleux pendant les actes de procédure ou devant la cour;

6.  l’incapacité ou le refus de régler les dépens des actes de procédure antérieurs et l’incapacité de poursuivre le litige dans les délais prescrits.

[15]  Les DI font remarquer que la Cour fédérale est habilitée à prendre en considération les déclarations de plaideur quérulent émises par d’autres cours. En l’espèce, la déclaration de plaideur quérulent de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta devrait peser lourdement dans la décision correspondante de la Cour fédérale sur les questions relevant de sa compétence.

[16]  Les DI affirment que le comportement de M. Badawy reflète un grand nombre d’indicateurs du comportement vexatoire. Des dépens sont fréquemment adjugés contre M. Badawy, mais demeurent impayés. M. Badawy tente régulièrement d’intenter des poursuites relativement à des questions qui ont déjà été tranchées. Par exemple, M. Badawy a tenté d’engager une nouvelle poursuite relativement aux questions soulevées dans l’action principale, lesquelles avaient déjà été tranchées par la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. De même, M. Badawy demande constamment que des mesures de réparation de la même nature soient prises, même après avoir essuyé un refus.

[17]  Les DI font remarquer que la juge McVeigh, dans la décision Badawy c 1038482 Alberta Ltd, 2018 CF 807, a radié la déclaration liée à la présente action sans possibilité de la modifier. Dans cette décision, la juge McVeigh a conclu que la déclaration constituait un abus de procédure ainsi qu’une déclaration vexatoire. La juge McVeigh a étayé sa décision sur le manque de preuve solide pour appuyer la déclaration ainsi que la présentation incessante de requêtes et de lettres en vue d’obtenir les directives.

[18]  Les DI soutiennent que M. Badawy a fait fréquemment des allégations inappropriées contre les avocats de la partie adverse. Par exemple, M. Badawy a allégué qu’un des défendeurs et un des avocats complotaient du fait de leur origine italienne commune. M. Badawy a aussi affirmé qu’un des avocats de la partie adverse se livrait à des activités frauduleuses et avait tenté d’influencer indûment des juges. M. Badawy a également fait des allégations non fondées touchant la partialité des juges et des protonotaires. M. Badawy a fait des allégations de partialité devant la Cour fédérale, la Cour d’appel de l’Alberta et la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

[19]  Selon les DI, M. Badawy refuse constamment de respecter les règles et les ordonnances des tribunaux. M. Badawy a tenté à plusieurs reprises de faire casser les ordonnances des tribunaux sans respecter les procédures prescrites, ce qui force les parties adverses à dépenser du temps et de l’argent pour réagir aux requêtes incorrectes.

[20]  Les DI affirment que M. Badawy a omis de payer les dépens et les sanctions adjugés contre lui. À ce jour, les dépens et les sanctions adjugés contre M. Badaway totalisent 23 316,35 $. Ce montant demeure impayé.

[21]  En outre, les DI soutiennent que M. Badawy utilise un langage scandaleux pendant ses plaidoyers, se soustrait délibérément à la signification, refuse de faire une divulgation complète et franche et fait de fausses déclarations devant la Cour.

[22]  Tous ces comportements indiquent que M. Badawy est un plaideur quérulent. Il importe de souligner que M. Badawy s’affiche ouvertement comme un plaideur non représenté chevronné et qu’il offre également au public des services d’encadrement en matière de poursuites. À la lumière de toutes ces considérations, il est probable que M. Badawy continue d’intenter des poursuites vexatoires dans l’avenir.

[23]  Les DI soutiennent qu’une déclaration selon laquelle M. Badawy est un plaideur quérulent est appropriée en l’espèce. Si M. Badawy était désigné comme plaideur quérulent, ses cibles seraient protégées contre ses poursuites vexatoires, ce qui atténuerait l’engorgement du système judiciaire. M. Badawy continuera d’avoir accès à la Cour fédérale. Seulement, il devra d’abord convaincre la Cour qu’il existe des motifs raisonnables d’entamer une procédure et que celle‑ci ne constitue pas un abus de procédure. De plus, selon le paragraphe 40(3) de la Loi sur les Cours fédérales, M. Badaway pourra présenter une demande à la Cour afin que l’interdiction qui le frappe soit levée.

[24]  Selon les DI, le dossier de requête a été signifié à M. Badawy par voie électronique le 12 octobre 2018. Cependant, le dossier de requête déposé par M. Badawy le 12 novembre 2018 ne répond pas explicitement aux motifs donnés par les DI ni à leurs observations écrites concernant la conduite vexatoire de M. Badawy. Les observations présentées par M. Badawy soutiennent au contraire davantage une déclaration selon laquelle il est un plaideur quérulent. Les observations de M. Badawy dans ses requêtes représentent une nouvelle tentative de remettre en litige des questions déjà réglées, des contestations accessoires d’ordonnances antérieures et des allégations inappropriées contre les avocats de la partie adverse.

[25]  Les DI mentionnent également que les observations figurant dans le dossier de requête de M. Badawy comprennent de l’information inexacte ou trompeuse. Le dossier de requête a effectivement été signifié à M. Badawy par courriel. Toutes les parties ayant reçu le dossier de requête pouvaient y accéder grâce aux liens fournis. M. Badawy a affirmé que la juge McVeigh avait déclaré le cabinet Borden Ladner Gervais LLP [BLG] inhabile à agir. En réalité, la juge McVeigh a déclaré que la requête visant la révocation de l’avocat était théorique. L’allégation de M. Badawy selon laquelle il entretient une relation avocat‑client avec BLG et que le cabinet détient ses actifs ainsi que des renseignements confidentiels le concernant est fausse. En réalité, BLG n’a jamais offert de services à M. Badawy et n’a jamais détenu de renseignements confidentiels le concernant.

[26]  Pour soutenir la requête, les DI s’appuient sur la décision de la juge Campbell dans IntelliView Technologies Inc c Badawy, 2018 ABQB 961. Dans cette décision, la juge Campbell a déclaré que M. Badawy était un plaideur quérulent dans le système judiciaire albertain. Pour étayer sa décision, la juge Campbell a évoqué les restrictions d’accès aux tribunaux antérieures visant M. Badawy, ses poursuites judiciaires sans fondement, ses attaques indirectes, ses tentatives de remettre en litige des questions déjà réglées, ses tentatives de porter les mêmes causes devant des instances supérieures, ses demandes de mesures de réparation déraisonnables ou impossibles, ses demandes incessantes et infructueuses d’autorisation d’interjeter appel, ses allégations non fondées contre des avocats et des juges, ses recherches d’un juge accommodant, son défaut de respecter les ordonnances des cours et ses poursuites judiciaires de mauvaise foi.

[27]  Les défendeurs d’IntelliView demandent une ordonnance adjugeant les dépens relatifs à la requête en l’espèce.

(2)  M. Badawy

[28]  M. Badawy n’a présenté aucune observation détaillée en réponse à la requête vexatoire. Plutôt, M. Badawy a présenté plusieurs arguments procéduraux, a fait des allégations contre les avocats de la partie adverse et a réitéré ses arguments concernant l’action principale. Ce faisant, il soulève des questions qui ont déjà été réglées dans des procédures antérieures.

[29]  Dans ses observations écrites, M. Badawy a demandé que la requête vexatoire soit radiée en raison de l’absence de signification et de dépôt de documents. À l’audience de vive voix qui s’est tenue à Calgary, le 27 mars 2019, il a retiré ce motif sans donner d’explication. M. Badawy a demandé la radiation de la requête parce que la juge McVeigh avait radié l’action principale dans sa décision du 31 juillet 2018.

[30]  M. Badawy allègue que la décision de radier la déclaration, rendue par la juge McVeigh le 31 juillet 2018, a pour effet de rendre toutes les requêtes connexes théoriques. Il affirme, à tort, que les DI étaient tenus d’obtenir l’autorisation de la Cour pour déposer une requête dans le cadre d’une action radiée. Il affirme que les DI n’ont pas obtenu l’autorisation de présenter la requête et que la Cour ne devrait donc pas l’entendre ni l’accueillir.

[31]  Sans mentionner aucune décision à l’appui, M. Badawy affirme que les DI étaient aussi tenus d’obtenir la permission de la juge responsable de la gestion de l’instance pour déposer leur requête et qu’ils ne l’ont pas fait. En conséquence, la Cour ne devrait donc pas entendre ni accueillir la requête.

[32]  M. Badawy affirme que BLG, Frank Tosto, Laura Poppel, Robyn Gurofsky et Evan Nuttall ne peuvent pas comparaître dans la présente requête selon ce que prévoit l’article 5.2‑2 du Code de déontologie qui interdit à un avocat de comparaître comme témoin et comme représentant dans une même instance. Il devrait être interdit à BLG d’agir en l’espèce, parce que le cabinet se placerait en situation de conflit d’intérêts, parce qu’il pourrait faire un usage abusif des renseignements personnels de M. Badawy et parce que M. Badawy a une créance non réglée de 700 000 $ contre le cabinet. En outre, la juge McVeigh a refusé que BLG présente des observations devant la Cour.

[33]  M. Badawy demande le rejet de la requête vexatoire et des dépens.

B.  Requête d’appel

(1)  M. Badawy

[34]  Avant les procédures visant la requête vexatoire, M. Badawy avait interjeté appel de l’ordonnance rendue le 14 mars 2019 par la protonotaire Milczynski, juge responsable de la gestion de l’instance en l’espèce, dans laquelle elle rejetait la demande de M. Badawy exigeant que M. Bill Hews réponde aux questions auxquelles il avait refusé de répondre en contre‑interrogatoire et communique les engagements qu’il avait refusé de divulguer et que Mme Christine Moggert réponde par écrit aux questions et aux demandes d’engagement. En outre, M. Badawy a interjeté appel contre le refus de la protonotaire de faire droit à la requête qu’il avait présentée précédemment en vue de faire retirer BLG de la liste des avocats inscrits au dossier avant que la requête vexatoire ne soit entendue.

[35]  Devant moi, M. Badaway soutient que les réponses et les engagements demandés à M. Hews et à Mme Moggert sont pertinents et l’aideront à défendre sa position relativement à la requête vexatoire dont je suis saisi.

[36]  M. Badaway soutient également que la Cour a l’obligation d’entendre sa requête de révocation de BLG comme avocat avant d’entendre la requête vexatoire, parce qu’il s’agirait autrement d’un abus de procédure par BLG.

[37]  M. Badawy demande également des dépens.

(2)  Les défendeurs d’IntelliView

[38]  Les DI soutiennent que l’ordonnance discrétionnaire d’un ou d’une protonotaire ne peut pas faire l’objet d’une audience de novo et qu’elle ne peut être modifiée que si elle est erronée en droit ou fondée sur une erreur de fait dominante et fatale. L’appel ne remplit aucun de ces deux critères.

[39]  Comme la protonotaire l’a indiqué dans sa décision, un contre‑interrogatoire sur affidavit n’est pas assimilable à un interrogatoire préalable. Les règles sur la pertinence encadrant les contre‑interrogatoires sont plus restreintes que celles applicables aux interrogatoires préalables. Dans le cas d’un contre‑interrogatoire sur affidavit, le déposant doit répondre à des questions portant sur des sujets qui ont été énoncés dans l’affidavit ou qui sont liés à la décision à l’égard de laquelle l’affidavit a été déposé.

[40]  Les affidavits visant M. Hews et Mme Moggert sont en grande partie de nature procédurale, et leur portée est limitée. La documentation annexée à ces affidavits comprend des documents qui ont été présentés au tribunal. Ces documents parlent d’eux‑mêmes.

[41]  Les questions et les demandes d’engagement laissées sans suite dépassent largement la portée des sujets liés à l’action principale et à la portée des affidavits. Leur rejet était légitime.

[42]  Les DI affirment que la décision de la protonotaire était valide. La juge responsable de la gestion de l’instance n’a fait aucune erreur dominante ou fatale. Sa décision devrait être maintenue, et la requête en appel devrait être rejetée avec dépens.

[43]  Les DI affirment également qu’il n’y a eu aucune erreur de droit ni erreur quelconque dans la décision de la protonotaire de refuser d’entendre en premier la requête précédente de M. Badawy. M. Badawy a soulevé la question de savoir si cela constitue un abus de procédure, ce que les DI défendent dans la requête vexatoire. Cette question a été tranchée contre M. Badawy dans un certain nombre de décisions antérieures. M. Badawy a fait des allégations soit sans présenter de preuve pour les appuyer, soit en fournissant des documents qui, selon un examen superficiel, ne les appuient pas. En fait, les allégations de M. Badawy ne sont rien de plus que de nouvelles fausses déclarations et conduites vexatoires ayant pour but de renverser la requête vexatoire. La décision de la protonotaire de rejeter la demande de M. Badawy était bonne.

[44]  Les DI réclament également les dépens liés à la requête en appel.

VI.  ANALYSE

A.  Les requêtes dont je suis saisi

[45]  Les DI ont déposé une requête demandant à la Cour de déclarer M. Badawy comme plaideur quérulent [requête vexatoire] et de prendre les mesures de réparation pertinentes prévues à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. Cette requête a été déposée le 16 octobre 2018.

[46]  La requête vexatoire est soutenue, entre autres, par les affidavits souscrits par M. Hews et Mme Moggert.

[47]  Dans le cadre de la requête vexatoire, M. Badawy a contre‑interrogé sur affidavit M. Hews et Mme Moggert. L’affidavit de M. Hews comprend de l’information sur des faits liés à la requête vexatoire. L’affidavit de Mme Moggert ne comprend aucun fait important, mais des actes de procédures et d’autres documents déposés dans une instance connexe de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta y sont joints.

[48]  Pendant les contre‑interrogatoires sur les deux affidavits, M. Badawy a essuyé un certain nombre de refus et d’objections. En conséquence, il a déposé une requête écrite datée du 4 mars 2019 devant la juge responsable de la gestion de l’instance, la juge Milczynski. Dans sa requête, il demandait que M. Hews réponde aux questions et aux demandes d’engagement laissées sans suite et que Mme Moggert réponde par écrit aux questions auxquelles elle avait refusé de répondre.

[49]  La protonotaire a rejeté la requête dans une ordonnance datée du 14 mars 2019. Dans cette ordonnance, en plus de trancher les questions touchant le contre‑interrogatoire, la protonotaire a également tranché une question soulevée par M. Badawy lors d’une conférence de gestion d’instance où il avait mentionné avoir déposé plus tôt une requête visant la révocation de BLG, qui représente les DI. Il avait aussi mentionné qu’il croyait que la Cour devrait examiner sa requête avant d’entendre la requête vexatoire.

[50]  La protonotaire avait auparavant décidé que la requête vexatoire serait entendue en premier avant que toute autre requête en suspens soit examinée. Dans son ordonnance, elle a mentionné qu’il n’y avait aucune raison, selon elle, qui justifierait de modifier sa décision précédente.

[51]  Le 19 mars 2019, M. Badawy a interjeté appel [requête en appel] afin que l’ordonnance du 14 mars 2019 de la juge responsable de la gestion de l’instance soit annulée et que la Cour ordonne à M. Hews et à Mme Moggert de répondre aux questions et aux demandes d’engagement, ce qu’ils avaient refusé de faire. En outre, M. Badawy a demandé à la cour d’ordonner que sa requête précédente demandant la révocation de BLG en tant qu’avocat des DI soit examinée en premier, avant que la Cour n’entende et n’examine la requête vexatoire.

[52]  J’ai décidé que la requête vexatoire et la requête en appel seraient entendues conjointement le 27 mars 2019 à Calgary. J’ai aussi proposé pour ce faire une procédure. M. Badawy et les DI ont acceptée, et les requêtes ont été entendues conjointement le 27 mars 2019.

[53]  La requête vexatoire et la requête en appel sont liées. Dans sa réponse à la requête vexatoire, M. Badawy indique qu’il est la partie lésée. Il m’a indiqué très clairement dans le cadre de l’audience sur ces requêtes que la question principale que la Cour devait trancher est la suivante : [traduction] « Quel est l’objet de cette poursuite? » M. Badawy laisse entendre que le véritable but de la requête vexatoire est de le priver de certains droits juridiques et que BLG a introduit ces procédures vexatoires de son propre chef afin d’occulter divers abus de procédure ayant comme dessein de le priver de ses droits juridiques, entre autres son droit à l’équité procédurale. Les questions et les demandes d’engagement auxquelles M. Hews et Mme Moggert n’ont pas voulu donner suite avaient pour but, selon M. Badawy, d’obtenir des éléments de preuve pouvant établir l’objet réel et principal de la requête vexatoire. De plus, sa requête antérieure demandant la révocation de BLG aurait servi à démontrer que BLG agit dans son propre intérêt et non dans celui des DI et qu’il essayait de se soustraire aux conséquences de son propre abus de la procédure.

[54]  Donc, la position de M. Badawy est, essentiellement, que la requête vexatoire est tout bonnement un autre abus de procédure visant à le priver de ses droits juridiques et à protéger BLG des actes répréhensibles qu’il a commis.

B.  Remarques générales

[55]  Dans la décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire IntelliView Technologies Inc c Badawy, 2018 ABQB 961, la juge Campbell a examiné les procédures dans une instance de plaideur quérulent visant M. Badawy, et bon nombre des éléments de preuve qui lui ont été présentés sont maintenant à ma disposition. M. Badawy avait aussi présenté des demandes reconventionnelles similaires, et la juge Campbell avait formulé la conclusion préliminaire suivante concernant l’honnêteté de M. Badawy :

[traduction]

31  Ma première conclusion préliminaire est que M. Badawy n’est pas crédible. En conséquence, je n’accorde pour ainsi dire aucun poids à son témoignage sur affidavit, sauf s’il peut être étayé d’une manière ou d’une autre. Lorsqu’une déclaration faite par M. Badawy est contredite par un autre témoin ou par un document, je rejette le témoignage de M. Badawy sauf dans les cas où, encore une fois, le témoignage de M. Badawy est étayé ou soutenu par une source indépendante.

32  J’en arrive à cette conclusion parce que M. Badawy ne dit tout simplement pas la vérité dans ses déclarations devant la Cour. Ses déclarations sont manifestement fausses. Je conclus qu’il fait cela en croyant obtenir ainsi gain de cause.

33  Lorsque j’ai examiné les documents présentés dans le cadre de l’action, j’ai relevé de nombreux problèmes dans le témoignage et les déclarations de M. Badawy. Je vais maintenant fournir plusieurs exemples de ces problèmes.

[56]  La juge Campbell fournit une liste d’exemples précis montrant que [traduction] « M. Badawy dit qu’il soulève ses litiges de bonne foi, mais sa conduite indique le contraire » (au par. 24). Un grand nombre de ces exemples reviennent dans les requêtes dont je suis saisi, et je vais les mentionner plus loin. La juge Campbell fait également remarquer qu’elle [traduction] « n’est pas le premier juge de la Cour à conclure que M. Badawy n’est pas un témoin crédible ou fiable » (au par. 58).

[57]  Sur cette question, la juge Campbell conclut en ces termes :

[TRADUCTION]

61  Vu les déclarations fausses et trompeuses de M. Badawy dans les présents documents et ailleurs, je conclus qu’il n’est pas un témoin crédible ou fiable.

62  Comme je l’ai déjà mentionné et comme je le mentionne dans l’analyse principale qui suit, je n’accorde aucune importance au témoignage sur affidavit de M. Badawy, à moins qu’il ne soit étayé indépendamment. Lorsqu’il y a une contradiction entre les témoignages, je tranche toujours en faveur de l’autre déposant et non en faveur de M. Badawy.

[58]  Pour ce qui est de l’intention malveillante d’IntelliView Technologies Inc, demandeur/plaignant dans l’instance devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, et la situation de conflit d’intérêts de BLG, la juge Campbell a dit ce qui suit :

[traduction]

77  M. Badawy soutient également que la demande d’IntelliView est sans fondement. Il affirme qu’elle est fondée sur des documents inadmissibles, « […] utilisés dans le seul but de me harceler, de me faire du tort et d’abuser le système judiciaire […] ». Il mentionne également qu’IntelliView recherche un juge accommodant et tente de trouver un juge qui prendra de meilleures mesures de réparation en sa faveur.

78  Je rejette les plaintes touchant l’intention et la conduite d’IntelliView, parce qu’elles n’ont rien à voir avec la question à trancher : les litiges soulevés par M. Badawy annoncent‑ils futurs abus de procédure des cours? Je souscris au raisonnement du juge Mandziuk dans l’affaire Alberta Lawyers Insurance Association c Bourque, 2018 ABQB 821 (CBR Alb), au paragraphe 67, qui dit ceci :

[...] si un juge de la Cour détermine qu’un ou plusieurs plaideurs posent des problèmes, le juge est toujours autorisé à prendre les mesures qui s’imposent afin de réagir aux problèmes cernés et de les régler. Le contexte dans lequel le problème s’est manifesté n’a pas de pertinence pour ce qui est de résoudre le problème. [Souligné dans l’original.]

Voir également Unrau c National Dental Examining Board, 2018 ABQB 874 (CBR Alb) au paragraphe 31.

E. Conflits d’intérêts

79  Selon de nombreuses allégations de M. Badawy, il y aurait un grand nombre de conflits d’intérêts en l’espèce. M. Badaway a formulé une plainte à propos du cabinet d’avocats qui représente IntelliView. Selon lui, ces conflits devraient empêcher la demande d’IntelliView d’être entendue et tranchée.

80  Je rejette cette allégation pour les mêmes motifs que je rejette ses plaintes concernant les intentions supposément malveillantes d’IntelliView. Même si je concluais que l’avocat d’IntelliView était d’une façon ou d’une autre en situation de conflit d’intérêts, j’ai toujours le pouvoir et l’obligation de réagir en cas de poursuite abusive. Quant à la question de savoir si M. Badawy doit être visé par une ordonnance de restriction d’accès aux tribunaux, ma décision doit être fondée sur la seule conduite de M. Badawy relativement aux procédures, non pas sur la conduite d’autrui.

[59]  Les requêtes dont je suis saisi soulèvent des questions similaires relativement à des intentions malveillantes, à des conflits d’intérêts et à des abus de procédures. Cependant, M. Badawy fait entièrement fi du fait que, dans les conclusions et les motifs de la juge Campbell, ces questions ne l’emportent pas sur la question de ses poursuites abusives. En l’espèce, M. Badawy n’a même pas tenté, que ce soit par écrit ou de vive voix, de réfuter les éléments de preuve concernant sa conduite vexatoire sur lesquels est fondée la requête vexatoire. Il semble apparemment croire qu’il a parfaitement le droit, vu ses préoccupations relatives à l’intention malveillante, au conflit d’intérêts et à l’abus de procédure, de prendre tous les moyens qui lui permettront d’arriver à ses fins. Il demande à la Cour de lui pardonner sa conduite – et, clairement, de l’autoriser à continuer –, parce qu’il est une personne lésée et que ses griefs doivent être traités en priorité.

[60]  Une autre des conclusions générales de la juge Campbell établit plus que les autres qu’elle est convaincue que la simple imposition d’une exigence selon laquelle M. Badawy devra demander une autorisation pour présenter d’autres demandes ne suffira pas à limiter ses conduites vexatoires futures :

[traduction]

152  Le plaideur, M. Badawy, utilise les processus juridiques dans le but de harceler, de léser et d’intimider autrui. Cette conclusion à elle seule justifie d’imposer à M. Badawy des restrictions d’accès aux tribunaux. L’habitude de M. Badawy de déposer constamment des documents et des communications sans fondement auprès des tribunaux justifie qu’il soit assujetti à des restrictions strictes et exhaustives d’accès aux tribunaux allant au‑delà de la simple demande d’autorisation.

[61]  La Cour du banc de la Reine de l’Alberta n’est pas le seul tribunal à avoir conclu qu’il était nécessaire de réagir à la conduite vexatoire de M. Badawy en matière de poursuites judiciaires; il agit de manière semblable devant la Cour fédérale depuis quelques années.

[62]  Le dossier dont je suis saisi montre que M. Badawy a, au fil des ans, présenté un certain nombre de requêtes non fondées contre des juges et des protonotaires, dans des instances où il était impliqué, y compris le juge Hall de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et le juge Martin de la Cour d’appel de l’Alberta (voir IntelliView Technologies Inc c Badawy, 2018 ABQB 961, au par. 141). Dans l’action T‑1289‑14 intentée devant la Cour fédérale le 26 mai 2014 par M. Badawy contre M. Igras, où M. Badawy alléguait que M. Igras violait le droit d’auteur de la marque de commerce « Igras Family Law », la Cour a accordé aux défendeurs un jugement sommaire, le 23 juin 2017 (2019 CF 619); la demande de M. Badawy a été rejetée dans son ensemble sans autorisation de la modifier, et les dépens ont été adjugés contre M. Badawy. Dans l’action, M. Badawy avait demandé à deux reprises que toutes les ordonnances et les directives du protonotaire Lafrenière (tel était alors son titre) soient annulées, sous prétexte que le protonotaire était partial. Voici ce que le Protonotaire Lafrenière a dit à propos de l’allégation de partialité de M. Badawy lorsqu’elle lui a été présentée :

[traduction]

Il est assez difficile de résumer les antécédents procéduraux relatifs à l’action principale et à la demande reconventionnelle, vu le grand nombre de lettres et de documents qui ont été présentés par le demandeur, la plupart étant longs, argumentatifs et répétitifs [...]

Il va sans dire que ses demandes répétées devant la Cour pour obtenir les mêmes mesures de réparation, y compris des demandes visant à faire annuler des ordonnances et des directives antérieures, lesquelles ont déjà été rejetées par les plus hautes instances judiciaires du Canada, constituent un abus du processus judiciaire.

[…] Je suis d’avis que les allégations répétées et non fondées de partialité formulées par le demandeur justifient de le réprimander en le condamnant à payer les dépens. Le demandeur a demandé une ordonnance m’enjoignant de me récuser, même s’il n’avait aucun élément de preuve pour appuyer sa demande et que les mêmes allégations de partialité ont déjà été rejetées à plusieurs occasions par d’autres juges en appel. Le demandeur semble être à la recherche d’un juge accommodant ou même tenter d’intimider la Cour afin qu’elle rende une décision qui lui soit favorable. Ce genre de conduite du demandeur est inacceptable et ne doit pas être tolérée. Au lieu de se concentrer sur la procédure, le demandeur a plutôt choisi de faire la guerre à la Cour. Les défendeurs ont dû assumer des coûts supplémentaires afin de réagir à ce qui est clairement une requête frivole, vexatoire et abusive. Dans les circonstances, je conclus qu’une somme forfaitaire approchant les dépens engagés par l’avocat et le client doit être adjugée aux défendeurs […]

[Non souligné dans l’original.]

[63]  Lorsque l’affaire a été portée en appel devant la juge Gleason, celle‑ci l’a rejetée et a ordonné que les dépens afférents soient payés immédiatement [traduction] « au motif que la requête n’[avait] absolument aucun fondement ».

[64]  M. Badawy a alors interjeté appel de la décision de la juge Gleason devant la Cour d’appel fédérale, laquelle a rejeté l’appel et adjugé des dépens selon l’échelon le plus élevé du tarif. M. Badawy a ensuite voulu interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada, mais sa demande d’autorisation a été rejetée avec dépens.

[65]  À tout le moins, il convient de souligner la ténacité de M. Badawy en ce qui concerne ce genre de requête sans fondement.

[66]  Plus récemment, les requêtes de M. Badawy dans l’action principale relative à la requête en l’espèce ont été rejetées par la juge McVeigh sans autorisation de les modifier. La juge McVeigh a conclu que la déclaration modifiée, dans son intégralité, était « vexatoire et constitue un abus de procédure, comme en témoigne la présente audience au cours de laquelle le demandeur a présenté plusieurs requêtes portant à confusion et sans fondement » :

[27]  L’intégralité de la déclaration modifiée est vexatoire et constitue un abus de procédure, comme en témoigne la présente audience au cours de laquelle le demandeur a présenté plusieurs requêtes portant à confusion et sans fondement. Tout d’abord, le demandeur n’a pas démontré de comportement particulier de la part des défendeurs ou de leurs employés pouvant servir de fondement aux simples allégations contenues dans la déclaration modifiée. Comme la déclaration modifiée n’est fondée sur aucun élément de preuve, elle constitue un abus de procédure et peut être radiée.

[28]  Ensuite, selon les éléments de preuve dont la Cour dispose, le demandeur est connu pour présenter un flot incessant de requêtes et de demandes de directives (ou, comme en l’espèce, des lettres donnant des directives à la Cour). Ces questions sans fin constituent également de l’abus de procédure.

C.  Les requêtes actuelles – généralités

[67]  Pour ce qui est des éléments de preuve et des allégations imprécises qui ont été présentés par M. Badawy dans le cadre des requêtes qui nous occupent, je crois devoir me montrer aussi méfiant que la juge Campbell, étant donné que M. Badawy, en plus des fausses déclarations qu’il a faites dans les actions connexes en Alberta, a fait manifestement d’autres fausses déclarations devant moi.

[68]  Par exemple, M. Badawy jure dans son affidavit du 12 novembre 2018 (par. 9), qui m’a été soumis dans les requêtes en l’espèce, que la juge Campbell avait conclu, le 13 septembre 2018, que [traduction] « le demandeur BORDEN LADNER GERVAIS LLP ne [lui avait] pas signifié la demande ni les deux dossiers privés qui avaient été envoyés au ministère de la Justice, ET les deux demandes [ont été] ajournées à l’audience ». Le dossier indique que cela est manifestement faux; le 13 septembre 2018, la juge Campbell a rendu deux ordonnances distinctes indiquant que la signification des documents à M. Badawy était valide et suffisante, et que BLG n’était pas le « demandeur » dans les requêtes en question. Le demandeur était IntelliView. Il s’agit d’une tentative évidente de M. Badawy d’induire la Cour en erreur et d’impliquer BLG dans des actes répréhensibles afin de renforcer sa théorie selon laquelle BLG est le véritable coupable dans les procédures.

[69]  En outre, dans le paragraphe 9 de son affidavit, M. Badawy jure que [traduction] « le juge Neufeld a décidé de surseoir à l’une des demandes de Borden Ladner Gervais LLP le 2 novembre 2018 et a conclu que le véritable but de ces poursuites était d’obtenir un avantage […] ». En réalité, le dossier montre que le juge Neufeld n’a pas rendu cette décision. Le juge a examiné la pétition de faillite contre M. Badawy en raison des dépens non payés qui avaient été adjugés contre lui, et il a déclaré ce qui suit : [traduction« si la véritable intention d’Intelliview était d’obtenir les quelque 8 000 $ qui lui sont dus et non d’obtenir gain de cause dans la poursuite contre M. Badawy, elle dispose de nombreux moyens autres qu’une pétition de faillite pour y arriver. » En d’autres mots, le juge Neufeld n’a pas remis en question l’intention de BLG.

[70]  Au paragraphe 10 de son affidavit, M. Badawy jure que la juge McVeigh a [traduction] « ordonné qu’il soit interdit à Borden Ladner Gervais LLP de présenter d’autres observations devant la Cour le 8 mars 2018 ». Au paragraphe 39 de son affidavit, il jure que [traduction] « le 18 mars 2018, la juge de la Cour fédérale a déclaré qu’Evans Nuttall et Frank Tosto et Borden Ladner Gervais LLP étaient inhabiles à présenter des observations de vive voix en raison d’un conflit d’intérêts ». Cela est faux.

[71]  Il s’agit d’une tentative évidente d’induire la Cour en erreur et de lui faire croire que la juge McVeigh avait déjà conclu que BLG et M. Tosto étaient en situation de conflit d’intérêts dans les procédures, dont le but de soutenir son allégation qu’il est la partie lésée et que BLG a intenté une poursuite vexatoire contre lui.

[72]  L’examen du jugement et des motifs de la juge McVeigh datés du 31 juillet 2018 montre très clairement qu’il n’y a jamais eu de « révocation » visant BLG :

[34]  Comme j’ai rejeté la déclaration modifiée du demandeur, sa requête demandant le retrait est théorique et par conséquent, il n’est pas nécessaire que je l’examine. En outre, le demandeur ne m’a pas convaincue que les avocats devraient cesser d’occuper.

[Non souligné dans l’original.]

[73]  Lorsque j’ai mentionné le jugement de la juge McVeigh à M. Badawy pendant l’audience sur les requêtes du 27 mars 2019, il est resté sur ses positions et a plutôt cherché à discréditer la juge McVeigh au motif que son jugement ne reflétait pas ce qu’elle avait dit à l’audience, comme indiqué dans la transcription de l’audience. J’ai demandé à M. Badawy de me montrer où, dans la transcription de l’audience devant la juge McVeigh, celle‑ci avait déclaré que BLG devait cesser d’agir. La transcription de l’audience indique plutôt qu’elle avait cherché à éviter des problèmes ultérieurs découlant des allégations de M. Badawy contre BLG en cherchant une solution volontaire. Cela est clair dans son jugement; elle dit :

[32]  L’avocat de BLG qui fait l’objet de la requête du demandeur n’a, de son plein gré, présenté aucun argument à l’audience comme le lui demandait la Cour. L’avocat d’un autre cabinet a présenté ses arguments relativement à la requête en radiation.

[Non souligné dans l’original.]

[74]  En d’autres mots, la juge McVeigh a cherché à éviter tout délai et tout problème découlant des allégations de conflit d’intérêts de M. Badawy en demandant aux parties de trouver une solution volontaire. Une solution volontaire était déjà prête à être proposée, parce que BLG avait prévu les préoccupations de la juge McVeigh et avait retenu l’aide d’un autre avocat. La juge McVeigh n’a pas « retiré » BLG. Elle n’a pas eu à le faire, et, après avoir entendu les observations de M. Badawy à propos du conflit d’intérêts touchant BLG, elle a déclaré explicitement que M. Badawy « ne m’a pas convaincue que les avocats devraient cesser d’occuper ». M. Badawy croit que cela veut dire que la juge McVeigh a [traduction] « ordonné le retrait de Borden Ladner Gervais […] », alors que, en réalité, l’ordonnance de la juge McVeigh dit le contraire. Puisqu’il s’agit d’une contradiction manifeste, M. Badawy a cherché à se justifier en insinuant devant moi que la juge McVeigh a fait preuve d’incohérence dans ce qu’elle a dit à propos de la requête en radiation à l’audience et dans son ordonnance. Je suis d’avis qu’il n’y a aucune incohérence. Il ne s’agit que d’une autre tentative de M. Badawy de discréditer BLG et, incidemment, la juge McVeigh.

[75]  Il est facile de comprendre pourquoi M. Badawy continue de faire de fausses allégations contre BLG et pourquoi celles‑ci prennent de l’ampleur. M. Badawy ne sait tout simplement pas quoi répondre aux éléments de preuve et aux allégations de conduite vexatoire présentés par les DI contre lui. En conséquence, il tente d’éluder complètement la question. Son plan consiste à éviter tout ce qui a trait à sa conduite vexatoire en attaquant parallèlement BLG pour faire croire qu’il est la partie lésée et que des avocats peu scrupuleux ont intenté des poursuites vexatoires contre lui pour de vagues raisons. Il a adopté la même approche devant la juge McVeigh avec sa requête en révocation, qui a été rejetée, tout comme elle a été rejetée dans le cadre d’une instance similaire en Alberta. Il tente maintenant de remettre en cause devant moi des questions déjà tranchées, ce qui reflète l’une des principales caractéristiques d’un plaideur quérulent, soit la détermination à porter à nouveau devant les tribunaux des questions sur lesquelles une décision a déjà été rendue.

[76]  M. Badawy continue de faire de fausses accusations dans les requêtes. Comme il l’a fait dans les procédures antérieures, M. Badawy affirme à nouveau ce qui suit :

  • a) [TRADUCTION« Le cabinet BordenLadner Gervais LLP me représente, et j’ai une relation client‑avocat avec ce cabinet; il m’a fourni des conseils juridiques sur la façon de recueillir des investissements pour mon entreprise en démarrage en 2011 » (au par. 11);

  • b) BLG [TRADUCTION« détient mes actifs et des ententes privilégiées et confidentielles me concernant dans les bureaux de BordenLadner Gervais LLP » (au par. 12);

  • c) BLG [TRADUCTION]« a reçu des instructions de ma part et a fourni mes actifs ainsi que les actifs de mes partenaires et de mes diverses entreprises à la Cour du banc de la Reine de l’Alberta […] » (au par. 12);

  • d) BLG [TRADUCTION]« détient en fiducie mes certificats d’actions originaux, les certificats d’actions de mes entreprises et les certificats d’actions de mes partenaires […] » (au par. 12);

  • e) BLG [TRADUCTION]« a transféré les certificats d’actions à la Cour, conformément à mes directives, le 26 octobre 2015 » (au par. 12).

[77]  Ces affirmations imprécises (impudentes serait peut‑être le mot approprié) dans l’affidavit de M. Badawy sont faites sans qu’il y ait des éléments de preuve pour les étayer et, lorsque des documents sont cités en référence, ceux‑ci n’étayent manifestement pas les affirmations. Le dossier montre que M. Badawy a essayé à de nombreuses reprises de faire retirer BLG de la liste des avocats inscrits au dossier d’IntelliView en raison d’une prétendue relation avocat‑client. Ses tentatives à cette fin ont été rejetées plus d’une fois.

[78]  M. Badawy a créé un compte rendu fictif de sa relation avec BLG à partir de l’action matrimoniale l’opposant à son ex‑épouse. Le dossier de cette action montre que BLG détenait les registres d’IntelliView comprenant les certificats d’actions. BLG a fourni les certificats d’actions d’IntelliView détenus par M. Badawy, son ex‑épouse et leur entreprise conjointe (CeTech Solutions Inc.) à la Cour, en conformité avec l’ordonnance de la Cour émise dans l’action matrimoniale visant le partage des biens entre M. Badawy et son ex‑épouse. BLG a aussi reconnu (au nom d’IntelliView) qu’il devrait respecter toute ordonnance de la Cour ayant trait à la répartition des actions entre M. Badawy et son ex‑épouse. BLG n’est pas intervenu autrement dans l’action matrimoniale.

[79]  Comme dans les procédures antérieures concernant cette question, rien ne laisse croire que BLG a déjà été l’avocat de M. Badawy, ni que BLG a déjà fourni des conseils juridiques à M. Badawy ou reçu des directives de sa part. Aucun élément de preuve ne soutient l’allégation selon laquelle BLG a déjà détenu des ententes confidentielles pour M. Badawy.

[80]  Dans le cadre des requêtes en l’espèce, les allégations de M. Badawy à propos de sa relation avec BLG semblent davantage être une ruse dont le but est de détourner l’attention de la Cour des éléments de preuve irréfutables concernant sa conduite vexatoire. D’ailleurs, ces allégations sont d’autres démonstrations de sa conduite vexatoire.

[81]  Dans les instructions générales que j’ai données à M. Badawy au début de l’audience qui s’est tenue à Calgary, je lui ai dit qu’il devait dire la vérité et ne pas tenter d’induire la Cour en erreur. Il m’a répondu qu’il comprenait cette exigence. Cependant, il n’a pas retiré ni nuancé les fausses allégations qu’il a faites devant un commissaire aux serments de la cour le 12 novembre 2018.

[82]  M. Badawy a seulement retiré l’allégation selon laquelle la requête vexatoire ne lui avait pas été signifiée, mais il n’a fourni aucune explication relativement à la raison pour laquelle il avait d’abord demandé à la Cour de rejeter la demande vexatoire pour défaut de signification. Encore une fois, il semble que l’allégation de défaut de signification était simplement une autre ruse visant à empêcher l’audition de la requête ou à détourner l’attention de la Cour du bien‑fondé de la poursuite contre lui. Le refus de la signification est l’un des facteurs vexatoires que la Cour doit prendre en considération, et le dossier montre qu’il s’agit de l’une des tactiques habituelles de M. Badawy.

[83]  Compte tenu de la malhonnêteté de M. Badawy dans les procédures vexatoires engagées contre lui devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, et compte tenu de la malhonnêteté qu’il a continué d’afficher dans les requêtes en l’espèce, je conclus, tout comme la juge Campbell l’a fait avant moi, que M. Badawy n’est pas crédible. En conséquence, je n’accorde aucune importance à son témoignage sur affidavit, sauf s’il est étayé par une autre source. Aussi, lorsqu’une déclaration de M. Badawy est contredite par un autre témoin ou un document, je rejette le témoignage de M. Badawy, sauf s’il est étayé ou confirmé par une source indépendante.

D.  La requête vexatoire

[84]  Voici le libellé de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales :

Poursuites vexatoires

Vexatious proceedings

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

Procureur général du Canada

Attorney General of Canada

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

Requête en levée de l’interdiction ou en autorisation

Application for rescission or leave to proceed

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

Pouvoirs du tribunal

Court may grant leave

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

Décision définitive et sans appel

No appeal

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

[85]  Il ressort clairement de la jurisprudence que, pour déterminer s’il est justifié de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 40(1), le tribunal doit bien sûr prendre en compte le comportement du plaideur devant la Cour fédérale et peut aussi prendre en compte son comportement dans les instances engagées devant d’autres tribunaux. Voir Mazhero c Fox, 2011 CF 392, au paragraphe 13 [Mazhero]; Savard c Canada (Procureur général), 2006 CF 46, au paragraphe 9. Cela revêt une importance toute particulière en l’espèce, étant donné le grand nombre de similitudes en ce qui concerne autant les éléments de preuve que les questions à soulever entre les procédures devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et les requêtes dont je suis saisi.

[86]  Il ressort également clairement de la jurisprudence que les principaux indicateurs d’une conduite vexatoire sont les suivants :

  • (i) une tendance à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision a déjà été rendue;

  • (ii) l’entreprise d’actions ou de requêtes futiles;

  • (iii) le fait de soutenir des allégations d’actes irréguliers sans fondement contre une partie opposée, des avocats ou la cour;

  • (iv) le refus de se plier aux règles et aux ordonnances de la cour;

  • (v) le fait de tenir des propos scandaleux pendant les actes de procédure ou devant la cour;

  • (vi) l’incapacité ou le refus de régler les dépens des actes de procédure antérieurs et l’incapacité de poursuivre le litige dans les délais prescrits.

Voir, par exemple, la décision Tonner, précitée, au paragraphe 20; la décision Mazhero, précitée.

[87]  Il est clair également que l’article 40 n’exige nullement qu’il existe un litige actif entre les parties au moment de la procédure vexatoire, étant donné que les procédures vexatoires visent non pas le litige, mais le plaideur. En autres mots, il s’agit d’une procédure distincte visant la conduite du plaideur. À ce sujet, voir Canada c Nourhaghighi, 2014 CF 254. Le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans la décision Canada c Olumide, 2017 CAF 42, au paragraphe 36 que « la requête visant à faire déclarer l’appelant plaideur quérulent, qui présente les caractéristiques d’une demande dont l’objet dépasse le cadre de l’instance éteinte, survit d’une certaine manière à celle‑ci ».

[88]  En l’espèce, la juge McVeigh a radié l’action principale dans son jugement du 31 juillet 2018, mais M. Badawy a interjeté appel de la décision. En outre, M. Badawy a mentionné, dans les procédures actuelles, qu’il n’avait pas retiré ses requêtes antérieures visant la révocation de BLG comme avocat. Pourtant, il continue d’affirmer que la requête vexatoire est théorique. Je ne suis pas de cet avis.

[89]  En conformité avec le paragraphe 40(2) de la Loi sur les Cours fédérales, les défendeurs et requérants ont obtenu le consentement du procureur général du Canada.

(1)  La conduite fautive

[90]  Le très grand nombre d’éléments de preuve montre que M. Badawy, dans le cadre de l’action en l’espèce, de l’action devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et des deux actions engagées contre Igras au cours des deux dernières années, s’est conduit d’une manière qui correspond aux nombreux indicateurs d’un plaideur quérulent. Relativement à l’action en l’espèce, la juge McVeigh, dans son jugement rendu le 31 juillet 2018, a décrit les allégations de M. Badawy contre les défendeurs comme étant scandaleuses, futiles ou vexatoires.

[91]  Dans la requête vexatoire en l’espèce, M. Badawy n’a à aucun moment essayé de réfuter les allégations vexatoires portées contre lui. Plutôt, il cherche à déplacer le blâme en formulant des allégations d’intention malveillante, de conflit d’intérêts et d’abus de procédure de la part de BLG. Il fait cela malgré les conclusions de la juge Campbell, qui a déclaré que ces questions n’empêchent pas la Cour d’examiner sa conduite vexatoire, et malgré la jurisprudence de la Cour selon laquelle les procédures visant un plaideur quérulent sont des procédures distinctes qui ciblent exclusivement la conduite du plaideur. Voir les paragraphes 78, 79 et 80 du jugement de la juge Campbell.

[92]  Je suis d’avis que ce raisonnement s’applique également à la Cour fédérale et aux requêtes dont je suis saisi.

[93]  Les allégations spécifiques de conduite vexatoire, auxquelles M. Badawy refuse de répondre, sont traitées en détail dans les observations des DI :

[traduction]

Tendance à remettre en litige des questions déjà tranchées

23.  M. Badawy dépose constamment des demandes afin de porter à nouveau devant les tribunaux des questions qui ont déjà été tranchées. Par exemple, la Cour a déjà conclu que M. Badawy a constamment présenté des demandes visant la prise de mesures de réparation identiques à celles énoncées dans ses demandes rejetées.

24.  Dans l’action en l’espèce, la demande de M. Badawy contre IntelliView et les autres défendeurs, qui a été radiée, soulevait un grand nombre de questions qui avaient été tranchées dans l’action devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, laquelle a également été radiée ou rejetée par procédure sommaire de façon similaire contre la majorité des défendeurs dans le cadre d’une demande reconventionnelle.

25.  Dans l’action visant Igras, après que M. Badawy a tenté à plusieurs occasions de faire annuler les ordonnances d’un protonotaire pour cause de partialité, une ordonnance a été accordée laissant entendre que M. Badawy était à la « recherche d’un juge accommodant » et « n’avançait aucun élément de preuve pour soutenir sa demande, les mêmes allégations de partialité ayant déjà été rejetées par d’autres juges en appel ».

26.  Comme l’action visant Igras a été rejetée par procédure sommaire, M. Badawy a déposé une autre action contre Igras. Essentiellement, il a reproduit les demandes et les allégations faites dans l’action visant Igras, avec quelques différences mineures.

27.  La tendance de M. Badawy à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision a déjà été rendue est aussi reflétée dans les exemples ci‑dessous concernant les mesures de réparation que M. Badawy demande constamment :

a)  confirmation des avocats inscrits au dossier pour les diverses parties et leur certification;

b)  une ordonnance empêchant BLG, M. Tosto et Mme Poppel d’intenter des actions contre M. Badawy;

c)  une ordonnance de conservation visant l’ensemble des actifs et des actions d’IntelliView;

d)  un jugement sommaire des demandes de M. Badawy contre les défendeurs, par demande reconventionnelle dans l’action devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

Présentation d’actions ou de requêtes futiles

28.  Presque toutes les actions intentées par M. Badawy ont été radiées sur le fond. Dans l’action en l’espèce, sa déclaration a été radiée par ordonnance, sans autorisation de la modifier ou de la déposer à nouveau, le 31 juillet 2018. Comme cela est mentionné plus haut, il a été conclu que la demande constituait un acte de procédure vexatoire et un abus de procédure. Les motifs rendus par écrit par la juge McVeigh méritent d’être cités explicitement. Voici ce qu’elle a déclaré :

L’intégralité de la déclaration modifiée est vexatoire et constitue un abus de procédure, comme en témoigne la présente audience au cours de laquelle le demandeur a présenté plusieurs requêtes portant à confusion et sans fondement. Tout d’abord, le demandeur n’a pas démontré de comportement particulier de la part des défendeurs ou de leurs employés pouvant servir de fondement aux simples allégations contenues dans la déclaration modifiée. Comme la déclaration modifiée n’est fondée sur aucun élément de preuve, elle constitue un abus de procédure et peut être radiée.

Ensuite, selon les éléments de preuve dont la Cour dispose, le demandeur est connu pour présenter un flot incessant de requêtes et de demandes de directives (ou, comme en l’espèce, des lettres donnant des directives à la Cour). Ces questions sans fin constituent également de l’abus de procédure.

La Cour est sensible aux parties qui se représentent elles‑mêmes, mais le demandeur est instruit, il est titulaire d’un doctorat et possède une vaste expérience devant un certain nombre de tribunaux canadiens. Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur estime qu’il connaît bien les règles :

Bien qu’il ne saurait être qualifié de plaideur chevronné, le demandeur est fréquemment partie à des instances devant plusieurs tribunaux. Par exemple, parmi les documents figure une liste représentant les inscriptions enregistrées à l’égard d’un autre dossier que le demandeur a soumis à la Cour, et que l’on peut consulter sur le site Web de la Cour fédérale dans le dossier portant le numéro T‑1289‑14. La liste comprend 31 pages d’inscriptions concernant cette affaire quelque peu semblable à celle en l’espèce. Un imprimé des procédures comprenant 17 pages de l’affaire devant la Cour du banc de la Reine fait également partie les documents. Les dossiers du demandeur devant la Cour sont scandaleusement longs, et ont été entendus par des protonotaires de même que par des juges. Toute partie poursuivie par le demandeur doit retenir les services d’un avocat et se défendre à grands frais. Un équilibre délicat doit être établi entre le fait de tenir compte des besoins des parties qui se représentent elles‑mêmes et l’abus de procédure. Ce plaideur ainsi que la présente action ont fait pencher la balance du côté de l’abus de procédure visé par l’alinéa 221(1)f) des RCF.

29.  Dans la présente action, après que la juge McVeigh ait décidé, à la suite de l’audience, de prendre la décision en délibéré, M. Badawy a déposé un avis d’appel afin d’obtenir une ordonnance d’annulation visant des ordonnances qui, dans les faits, n’ont jamais été rendues. L’avis d’appel a par la suite été retiré du dossier parce que M. Badawy avait tenté de façon inappropriée d’interjeter appel d’une directive. Cependant, avant cela, les défendeurs ont dû consacrer du temps et de l’argent afin de présenter des observations écrites sur la question de savoir s’il y avait une décision ou une ordonnance susceptible d’être portée en appel et de répondre aux communications écrites que M. Badawy avait envoyées au tribunal, lesquelles contenaient des faits inexacts et des commentaires inappropriés ou non pertinents à propos des avocats.

30.  Les faits qui sous‑tendent la première et la seconde action visant Igras sont éloquents. Dans l’action visant Igras, M. Badawy a demandé l’autorisation de déposer une mise en cause contre l’Alberta Law Society et l’Alberta Law Insurance Association. La demande de M. Badawy a été rejetée, et le protonotaire a souligné que « la loi est claire quant au fait que les mises en cause doivent être liées à l’action initiale. Il faudrait un grand effort d’imagination pour déterminer que, juridiquement parlant, la demande du demandeur contre la Law Society of Alberta et l’Alberta Lawyers Insurance Association, selon laquelle celles‑ci ont failli à leur devoir de protéger le public et qu’elles ont trompé le public et ont encouragé les fautes professionnelles, est liée à la demande reconventionnelle des défendeurs contre le demandeur ».

Allégations sans fondement d’actes irréguliers contre une partie opposée, des avocats ou la cour

31.  Dans le cadre des diverses actions qu’il a intentées, M. Badawy a fréquemment tenté de faire en sorte que les avocats de diverses parties soient déclarés inhabiles, sans pour autant y réussir. Dans l’action en l’espèce, M. Badawy allègue qu’Evan Nuttall, avocat de certains des défendeurs, « s’était éloigné de la vérité et avait présenté uniquement des renseignements biaisés afin de corrompre le processus judiciaire ».

32.  De même, dans l’action en l’espèce, M. Badawy a semblé alléguer que l’un des défendeurs et l’un des avocats avaient comploté parce qu’ils étaient tous deux d’origine italienne.

33.  Dans l’action visant Igras, M. Badawy a allégué que le défendeur, Waldemar Igras, un avocat, avait commis des fraudes, falsifié des documents juridiques et entretenu « des communications ex‑parte avec des juges afin d’influencer les décisions, dérogeant ainsi aux Alberta Rules of Court ».

34.  M. Badawy a aussi fait plusieurs allégations non fondées de partialité contre des juges et des protonotaires dans chacune des instances auxquelles il était partie, y compris, entre autres, contre le protonotaire Lafrenière de la Cour fédérale du Canada, le juge Martin de la Cour d’appel de l’Alberta et le juge Hall de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

35.  Il est tout particulièrement important de souligner la conduite de M. Badawy dans l’action visant Igras. M. Badawy a présenté à deux occasions une demande visant l’annulation de l’ensemble des ordonnances et des directives du protonotaire, alléguant qu’il était partial. La demande de M. Badawy a été rejetée par la juge Gleason, avec dépens payables immédiatement, « en raison de la nature complètement sans fondement de la requête ».

36.  Cela n’a pas suffi à décourager M. Badawy, et il a interjeté appel de la décision de la juge Gleason devant la Cour d’appel fédérale. Celle‑ci a rejeté l’appel avec dépens en vertu du tarif parmi les plus élevés, soulignant que « l’examen du dossier ne révèle rien qui soutient l’allégation de l’appelant selon laquelle quiconque examinerait l’affaire serait d’avis que la Cour fédérale a un préjugé défavorable contre lui […]. Le fait que les arguments de l’appelant ont été rejetés à plusieurs occasions devant la Cour fédérale ne remet d’aucune façon en question l’impartialité de la Cour, et rien ici ne me fait changer d’opinion. » M. Badawy a à nouveau tenté d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a rejeté la demande en autorisation d’appel de M. Badawy, avec dépens.

Refus de se conformer aux règles et aux ordonnances de la Cour

37.  M. Badawy présente sans cesse des demandes visant à contourner le bon processus judiciaire. Par exemple, à plusieurs occasions, M. Badawy a demandé d’annuler ou d’infirmer des ordonnances antérieures de la Cour sans respecter les processus et les délais appropriés. Cela oblige les défendeurs à préparer une réponse à ces demandes et à comparaître devant la Cour, même si les demandes sont inappropriées.

38.  En outre, dans l’action devant la Cour du banc de la Reine, le juge McCarthy a radié la demande reconventionnelle contre M. Hews, M. Edwards, Fideliter Inc. et Missing Link. Il a précisé dans son ordonnance que « les défendeurs reconventionnels étaient retirés de l’action ». Avant cela, Me Prowse avait accordé à BLG le rejet sommaire de la demande reconventionnelle. En conséquence, au moment où la demande reconventionnelle a été entendue, BLG n’était plus un défendeur reconventionnel et n’est donc pas intervenu dans l’action. Nonobstant ces ordonnances, M. Badawy a présenté une demande reconventionnelle modifiée. Aucun des défendeurs reconventionnels n’ayant présenté de défense modifiée, M. Badawy a présenté une requête en constatation de défaut contre eux. Les défendeurs reconventionnels ont donc dû engager des dépens pour préparer une demande d’annulation de la requête en constatation de défaut, même si son dépôt était manifestement inapproprié. Dans une demande ultérieure, M. Badawy a allégué, comme il le fait encore aujourd’hui, que, puisqu’il n’avait rendu aucune ordonnance radiant une partie ou l’ensemble de la demande reconventionnelle contre BLG lors de l’audition de la demande en révocation, le juge McCarthy avait rétabli la demande contre BLG et annulé l’ordonnance de Me Prowse accordant un rejet sommaire en faveur de BLG. En réalité le juge McCarthy n’a rien fait de tel.

39.  En outre, il semble que l’action en l’espèce avait été entreprise pour perturber l’action devant la Cour du banc de la Reine. La déclaration touchant cette action a été déposée le 15 décembre 2017 et, peu de temps après, M. Badawy a demandé, dans le cadre de l’action devant la Cour du banc de la Reine, un sursis ainsi qu’une ordonnance annulant toutes les ordonnances découlant de l’action devant la Cour du banc de la Reine, sous prétexte qu’une action avait été déposée devant la Cour fédérale et que seule celle‑ci a compétence sur les marques de commerce et les brevets. La demande a été rejetée, et la décision a été maintenue en appel.

Refus de régler les dépens adjugés

40.  Jusqu’ici, des dépens ou des sanctions totalisant 28 316,35 $ ont été adjugés contre M. Badawy 18 fois, dans le cadre des diverses actions mentionnées dans les présentes observations. Dans la très grande majorité des cas, ces dépens et sanctions devaient être réglés immédiatement. Malgré cette directive, M. Badawy a omis de payer l’ensemble des dépens et sanctions adjugés contre lui.

Propos scandaleux

41.  À de nombreuses occasions, M. Badawy a tenu des propos scandaleux lors de son argumentation. Ces propos étaient aussi manifestes dans les diverses requêtes qu’il a présentées dans le cadre de l’action en l’espèce et des autres actions mentionnées dans les présentes observations. M. Badawy semble assimiler à de la « torture » les instances parallèles en cour provinciale dans le cadre desquelles il a été incarcéré. La Cour d’appel fédérale est d’avis que cette allégation est « dépourvue de tout fondement ».

42.  Les allégations répétées contre les avocats au sujet de soi‑disant abus de procédure, de fraude délibérée, de déni de service, de défaut de faire des divulgations complètes et franches, de tentative délibérée de commettre un parjure et de pervertir la procédure judiciaire et de faire délibérément de fausses déclarations devant la Cour font également partie de cette catégorie d’indicateurs d’un plaideur quérulent.

[Souligné dans l’original, notes supprimées]

[94]  M. Badawy n’a fait aucune tentative pour répondre ou réfuter ces allégations dans les observations qu’il a présentées devant moi. Il s’est contenté de répéter les mêmes allégations non fondées à propos d’actes irréguliers des DI et de BLG. J’ai examiné le dossier relatif à ces allégations non contestées, et conclu qu’elles sont justes et exactes.

(2)  Conclusions

[95]  Je suis d’avis que les défendeurs d’IntelliView ont fourni des éléments de preuve accablants pour soutenir leur allégation selon laquelle M. Badawy est un plaideur quérulent au sens de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. Je suis également convaincu, compte tenu des abus de procédures de M. Badawy devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et la Cour d’appel de l’Alberta, que la conduite vexatoire de M. Badawy est très susceptible de continuer. Je crois également que mes conclusions dans la requête en l’espèce ne le décourageront probablement pas. En plus d’utiliser le système judiciaire pour harceler, léser et intimider autrui, M. Badawy s’est révélé être quelqu’un qui, incessamment, gaspille et utilise à mauvais escient le temps et les ressources judiciaires. Encore une fois, je me réfère à la conclusion de la juge Campbell, qui reflète mes propres préoccupations quant au fait qu’une simple exigence d’obtenir une autorisation en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales ne suffira pas à corriger le comportement abusif de M. Badawy dans l’avenir. C’est pourquoi, en l’espèce, la Cour doit évoquer son droit de régir et de protéger ses propres processus :

[traduction]

153  Les antécédents judiciaires de M. Badawy sont troublants. Sa conduite est, à de nombreux égards, celle d’un plaideur quérulent. Je conclus que M. Badawy est un plaideur quérulent qui utilise le système judiciaire pour léser autrui. Il ne fait aucun doute que M. Badawy continuera d’intenter des poursuites abusives et que celles‑ci prendront de l’ampleur s’il n’est pas assujetti à une ordonnance limitant son accès au tribunal. M. Badawy n’arrêtera pas à moins que des mesures soient prises.

154  Comme cela a déjà été mentionné, les habitudes antérieures de M. Badawy en matière de litige laissent présager qu’il intentera vraisemblablement des procédures sans fondement contre un éventail de plus en plus large de personnes et d’organisations. M. Badawy a fait preuve d’un certain niveau d’ingéniosité et de préparation dans le cadre de son recours abusif aux procédures. Je tiens à rappeler qu’il a d’abord enregistré une propriété intellectuelle et des entités afin de justifier ces litiges sans fondement.

155  En l’espèce, il serait évidemment justifié d’assujettir M. Badawy à la restriction minimale habituelle d’accès au tribunal qui exige qu’un plaideur obtienne une autorisation avant d’intenter ou de poursuivre un litige. Cependant, la portée, la probabilité et les formes probables de mauvaise conduite en matière de litige de M. Badawy justifient de prendre d’autres mesures [proportionnelles] : voir Bhamjee c Forsdick, au paragraphe 35; Ewanchuk c. Canada (Procureure générale), au paragraphe 95; Ayangma c Inforoute Santé du Canada, au paragraphe 62. En conséquence, une simple ordonnance exigeant d’obtenir une autorisation ne suffira pas à empêcher M. Badawy d’abuser du processus de demande d’autorisation. Plutôt, en ce qui concerne M. Badawy, il est approprié d’exiger que les demandes d’autorisation futures de M. Badawy soient présentées par un membre en règle de la Law Society of Alberta, ou qu’une autre personne compétente en vertu de la Legal Profession Act, RSA 2000, c L‑8, représente M. Badawy devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

156  IntelliView demande que M. Badawy soit tenu de régler l’ensemble des dépens et des sanctions non payés adjugés contre lui dans les actions en Alberta et devant la Cour fédérale qui les concernent tous deux.

157  Puisque IntelliView prévoit demander à la Cour fédérale d’assujettir M. Badawy à des ordonnances de restriction d’accès, aucune ordonnance visant à faire appliquer concrètement les décisions de la Cour ne sera rendue. Il est préférable de laisser aux juges de la Cour fédérale le soin de prendre des décisions visant M. Badawy.

(3)  Intention malveillante et conflit d’intérêts

[96]  Compte tenu du fait que les allégations d’intention malveillante, de conflit d’intérêts et d’abus de procédure faites par M. Badawy contre les DI et BLG reposent uniquement sur son témoignage et non sur des éléments de preuve convaincants, acceptables et indépendants qui pourraient les soutenir ou les confirmer, à l’instar de la juge McVeigh, je ne suis pas convaincu par ces allégations. Dans tous les cas, ces questions ne peuvent pas empêcher la Cour d’examiner la conduite abusive et vexatoire de M. Badawy et de prendre des mesures en conséquence.

E.  La requête en appel

[97]  Dans son ordonnance datée du 14 mars 2019, la protonotaire Milczynski, agissant à titre de juge responsable de la gestion de l’instance, a rejeté la demande présentée par M. Badawy en vertu des articles 97 et 227 des Règles de la Cour fédérale pour obliger M. Hews à répondre à un certain nombre de questions refusées que M. Badawy lui avait posées en contre‑interrogatoire le 13 février 2019. Elle a également rejeté la demande de M. Badawy exigeant qu’il soit donné suite aux engagements demandés lors du même contre‑interrogatoire.

[98]  La protonotaire a également rejeté la demande présentée par M. Badawy en vertu des articles 97 et 227 des Règles de la Cour fédérale pour exiger que Mme Moggert réponde aux questions qui lui avaient été soumises par écrit et qu’elle donne suite aux engagements.

[99]  Les deux demandes ont été rejetées par la protonotaire pour les motifs suivants :

[traduction]

La procédure principale liée à la présente requête concerne une demande présentée par les défendeurs d’IntelliView en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales en vue d’obtenir une ordonnance déclarant le demandeur comme étant un plaideur quérulent. Dans le cadre de la procédure, M. Badawy a contre‑interrogé M. William Hews et Mme Christine Moggert, qui avaient présenté des affidavits soutenant la demande des défendeurs d’IntelliView. L’affidavit de M. Hews comprenait des renseignements au sujet des faits relatifs à la demande ainsi que des pièces documentaires. L’affidavit de Mme Moggert ne présentait aucun fait à l’appui, mais y étaient joints des actes de procédure et d’autres documents présentés dans le cadre d’une procédure connexe devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

Il est important de souligner que même si les contre‑interrogatoires ne sont pas nécessairement limités à la portée d’un affidavit, ils ne sont pas assimilables à un interrogatoire préalable. Les questions doivent être pertinentes, découler des faits présentés, être liées aux réponses fournies et se limiter aux renseignements connus par le déposant. Les questions peuvent aller au‑delà de ces paramètres si elles sont utiles pour trancher les questions dont la Cour est saisie. En l’espèce, la question que la Cour doit trancher dans l’immédiat concerne seulement la demande présentée en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. La question à trancher, dans la demande, consiste à savoir si les litiges soulevés par le demandeur laissent présager des abus de procédure futurs qui justifieraient d’interdire à M. Badawy d’intenter ou de poursuivre d’autres procédures sans autorisation.

Après avoir examiné les questions et les motifs relatifs aux refus et aux objections, je suis convaincue que les questions de M. Badawy et les documents qu’il a demandés ne sont pas pertinents et n’ont pas à être fournis. Comme l’ont fait remarquer les défendeurs d’IntelliView dans leurs observations écrites concernant Mme Moggert, cette dernière n’atteste aucun fait pouvant être raisonnablement contesté; elle ne fait que joindre des documents et des actes de procédure. Dans un grand nombre de ses questions, M. Badawy cherche à savoir pourquoi certaines pièces ont été présentées et qui a décidé de les inclure. Ces questions ne sont pas pertinentes, et, dans tous les cas, M. Badawy peut présenter des observations sur l’importance ou la pertinence des documents eux‑mêmes.

Pour ce qui est des questions posées à M. Hews, je suis également convaincue que les objections présentées sont valides. Les questions et les demandes d’engagement sont énoncées dans l’onglet B des observations écrites des défendeurs d’IntelliView, qui exposent également la ou les raisons de leur objection ou de leur refus. Après avoir examiné ce tableau – qui n’est pas reproduit ici, mais est joint à l’appendice I de la présente ordonnance — et les observations du demandeur, je suis convaincue qu’il n’y a pas lieu de répondre aux questions et aux demandes d’engagement, puisqu’elles dépassent la portée de l’affidavit de M. Hews déposé aux fins de la demande en l’espèce et n’ont pas de lien avec la demande ni de pertinence pour la demande. Les questions semblent concerner les avocats des défendeurs d’IntelliView et une allégation selon laquelle le cabinet d’avocats a commis des actes irréguliers.

La portée et l’objet des affidavits de Mme Moggert et de M. Hews sont limités; ils ont été déposés afin de soutenir la demande d’ordonnance visant à déclarer le demandeur plaideur quérulent. Ils comprennent des faits contextuels et une chronologie des événements, des documents écrits qui ont été déposés par les parties dans le cadre d’autres instances, des ordonnances et des jugements rendus par la Cour, la Cour d’appel fédérale, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et la Cour d’appel de l’Alberta. En conséquence, la requête est rejetée.

[100]  De plus, la protonotaire a ensuite abordé la question de savoir si les requêtes visant à ce que BLG soit retiré du dossier, présentées antérieurement par M. Badawy, devaient être tranchées avant l’audition de la motion vexatoire dont je suis saisi :

[traduction]

Une question a été soulevée pendant l’une des téléconférences de gestion d’instance qui a été tenue pour discuter de la demande présentée par le demandeur visant à retirer du dossier l’avocat des défendeurs d’IntelliView, Borden Ladner Gervais LLP. Le demandeur a présenté cette requête, mais une directive avait précédemment été donnée voulant que la présente demande soit réglée avant que toute autre requête en suspens soit examinée. Je tiens aussi à souligner que, comme cela est mentionné dans les observations écrites des défendeurs d’IntelliView, cette question a déjà été soulevée devant la juge McVeigh dans la présente demande concernant cette requête, et qu’elle a rendu une ordonnance radiant la déclaration du demandeur sans possibilité de la modifier. Voici ce que la juge McVeigh a déclaré :

Le demandeur a demandé que BLG soit déclarée inhabile à agir pour des raisons de conflits d’intérêts (plus précisément pour manquement à la règle de la ligne de démarcation très nette). [...]

L’avocat de BLG qui fait l’objet de la requête du demandeur n’a, de son plein gré, présenté aucun argument à l’audience comme le lui demandait la Cour. L’avocat d’un autre cabinet a présenté ses arguments relativement à la requête en radiation […]

Comme j’ai rejeté la déclaration modifiée du demandeur, sa requête demandant le retrait est théorique et par conséquent, il n’est pas nécessaire que je l’examine. En outre, le demandeur ne m’a pas convaincue que les avocats devraient cesser d’occuper.

À la lumière de la déclaration ci‑dessus, je ne vois aucune raison de modifier la directive émise précédemment voulant que toutes les requêtes en suspens soient examinées après que la demande en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales aura été tranchée.

LA COUR STATUE que :

1.  La requête est rejetée.

2.  Les dépens relatifs à la requête sont payables aux défendeurs d’IntelliView. Les parties peuvent présenter à propos du montant des observations écrites de deux pages au maximum, dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance.

[101]  Il est clair, selon l’avis de requête et les observations écrites de M. Badawy concernant la requête en appel, que sa plainte tient au fait que [traduction] « les réponses et les engagements demandés ont beaucoup de pertinence et qu’ils démontreront l’abus de procédure et renforceront la position du défendeur en ce qui concerne le rejet ou le sursis ».

[102]  Il est clair, à la lecture de l’affidavit de M. Badawy, que ce dernier cherche des éléments de preuve pour étayer ses allégations d’intention malveillante, de conflit d’intérêts et d’abus de procédure contre les DI et BLG. Ce faisant, il répète les allégations non fondées sur lesquelles il s’est appuyé dans d’autres procédures, selon lesquelles BLG est en situation de conflit d’intérêts, le cabinet lui a auparavant fourni des services juridiques, le cabinet ne représente pas IntelliView, la juge McVeigh l’a déclaré inhabile à présenter des observations et le cabinet détient des documents privilégiés et confidentiels le concernant.

[103]  En outre, M. Badawy tente une nouvelle approche pour discréditer BLG de manière générale en affirmant que [traduction] « Borden Ladner Gervais LLP est impliqué dans l’affaire SNC Lavalin qui pèse actuellement sur le gouvernement du Canada […] ». Il ne fait aucune tentative pour établir un lien avec la procédure en l’espèce. Il ne s’agit que d’une tentative grossière pour entacher la réputation de BLG qui ne révèle rien, sinon que M. Badawy n’a aucune véritable réponse à offrir relativement à la procédure vexatoire intentée contre lui et qu’il n’hésitera pas à tenter n’importe quelle manœuvre désespérée, puisqu’il doit maintenant faire face aux conséquences juridiques de sa conduite passée.

[104]  En outre, il y a d’autres allégations d’actes irréguliers dans les documents que M. Badawy a présentés dans le cadre de la requête. Ces allégations ne sont étayées par aucun élément de preuve, ou elles renvoient à des documents qui ne les étayent pas.

[traduction]

Les observations de M. Badawy relatives à la présente requête sont pleines d’allégations non pertinentes ou d’allégations que M. Badawy a déjà présentées sans résultat devant la Cour ou d’autres cours. Par exemple, dans le cadre de la demande de jugement sommaire présentée par BLG, où la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a tranché en faveur du cabinet, M. Badawy a soulevé les mêmes questions. Dans cette affaire, en plus de rejeter sommairement la demande reconventionnelle présentée par M. Badawy contre BLG et d’autres, madame la juge Hughes a examiné les critères selon lesquels il est possible d’empêcher un avocat d’agir ainsi que les indicateurs d’une relation avocat‑client. La juge Hughes a conclu que rien ne laissait croire qu’il y avait déjà eu une relation avocat‑client entre BLG et M. Badawy, ni quoi que ce soit qui s’en approcherait.

[105]  M. Badawy a présenté devant la juge McVeigh le même argument que dans la présente action concernant la requête en radiation. Il ne l’a pas convaincue que « les avocats devraient cesser d’occuper ».

[106]  De plus, le dossier de requête de M. Badawy concernant la requête en appel contient de nombreuses exactitudes et autres tentatives manifestes d’induire la Cour en erreur. Par exemple, au paragraphe 17 de ses observations écrites, M. Badawy laisse entendre qu’un appel a été interjeté devant la Cour d’appel de l’Alberta visant à [TRADUCTION« restreindre Borden Ladner Gervais LLP » et que cet appel [TRADUCTION« sera entendu dès que le demandeur aura engagé un avocat ou dès qu’il sera fait droit à l’appel de l’ordonnance de la juge Campbell ». Le dossier montre clairement que cette demande d’autorisation d’interjeter appel de l’ordonnance de déclaration de plaideur quérulent de la juge Campbell a été entendue le 30 janvier 2019 et a été rejetée conformément aux motifs écrits datés du 19 février 2019.

[107]  Comme pour la requête vexatoire, je conclus que M. Badawy n’est pas un témoin crédible, et je n’accorde aucune crédibilité à son affidavit, à moins qu’il soit étayé d’une autre façon; aussi, lorsqu’une déclaration de M. Badawy est contredite par un autre témoin ou un document, je rejette le témoignage de M. Badawy, à moins que celui‑ci soit étayé ou confirmé par une source indépendante.

F.  La loi

[108]  La loi est claire : l’ordonnance discrétionnaire d’un ou d’une protonotaire ne peut pas faire l’objet d’une audience de novo et qu’elle ne peut être modifiée que si elle est erronée en droit ou fondée sur une erreur de fait dominante et fatale. Voir Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au paragraphe 64.

[109]  Les affidavits visant M. Hews et Mme Moggert sont en grande partie de nature procédurale, et leur portée est limitée. La documentation annexée à ces affidavits comprend des documents qui ont été présentés au tribunal. Ces documents parlent d’eux‑mêmes.

[110]  Comme l’a mentionné la protonotaire Milczynski, un contre‑interrogatoire sur affidavit concernant des requêtes n’est pas assimilable à un interrogatoire préalable; la question que la Cour doit trancher dans l’immédiat consiste à savoir si les poursuites engagées par M. Badawy [traduction] « laissent présager des abus de procédure futurs qui justifieraient d’interdire à M. Badawy d’intenter ou de poursuivre d’autres procédures sans autorisation ».

[111]  Après avoir moi‑même examiné les questions et les motifs des refus et des objections, je suis moi aussi convaincu que les documents demandés par M. Badawy ne sont pas pertinents dans le cadre de la requête vexatoire et n’ont pas à être produits, et que M. Hews n’a pas à réagir aux questions et aux demandes d’engagement qui lui sont présentées, parce que ces demandes dépassent la portée de la requête vexatoire, n’ont pas de lien avec elle ou ne sont pas pertinentes. La décision de la protonotaire sur ces questions est, à mon avis, valide en droit et n’est pas fondée sur une erreur de fait dominante et fatale.

[112]  La protonotaire a confirmé que la requête vexatoire devait être tranchée en premier. Cette décision découle logiquement de sa conclusion, soit que [traduction] « la question que la Cour doit trancher dans l’immédiat concerne seulement la demande présentée en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales ». Les tentatives de M. Badawy de détourner l’attention de la Cour de cette question en remettant en litige des questions concernant les intentions malveillantes, les conflits d’intérêts ou les abus de procédure des DI et de BLG ne répondent pas aux questions touchant les poursuites abusives et vexatoires engagées par M. Badawy que la Cour doit trancher en l’espèce. La juge Campbell a tranché dans le même sens des questions similaires.

[113]  Dans tous les cas, j’ai examiné, lorsque je me suis penché sur les éléments de preuve et les allégations présentés dans la cadre de ces requêtes, les allégations de M. Badawy touchant les intentions malveillantes, les conflits d’intérêts et les abus de procédure des DI et de BLG. Comme d’autres avant moi, je conclus que ces allégations ne sont pas convaincantes et ne sont pas fondées.

[114]  La décision de la protonotaire Milczynski selon laquelle la requête vexatoire devait être entendue en premier est valide en droit. Sa décision n’était pas fondée sur une erreur de fait dominante et fatale. La requête en appel de M. Badawy est rejetée.

G.  Conclusions

[115]  À mon avis, les DI ont monté un dossier solide à propos des litiges vexatoires graves intentés par M. Badawy en se fondant sur l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. M. Badawy n’a pas réagi à cela, et s’est contenté d’essayer de renverser la requête en faisant des allégations non fondées et non pertinentes à propos d’intention malveillante, de conflits d’intérêts et d’abus de procédure.

[116]  À l’évidence, si la Cour n’intervient pas – comme la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a dû le faire –, M. Badawy persévérera dans son incessante conduite vexatoire. À dire vrai, je suis d’avis que rendre une ordonnance en vertu de l’article 40 est peu susceptible de décourager M. Badawy. Il a constamment montré que, en ce qui le concerne, aucune décision antérieure de la Cour ne peut empêcher sa conduite vexatoire et, comme la juge Campbell l’a souligné dans sa décision, [traduction] « M. Badawy est à la fois persistant et créatif dans ses tentatives de s’opposer aux parties adverses, à leurs avocats et aux parties mises en cause et de les harceler ». Pour cette raison, en plus de l’obligation habituelle d’obtenir une autorisation, la juge Campbell a conclu qu’il y avait lieu d’imposer d’autres restrictions appropriées à l’accès aux tribunaux. Elle les a énoncées dans son ordonnance. Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Alberta a également émis une ordonnance et imposé à M. Badawy des restrictions d’accès à la Cour dans la décision Nafie c Badawy (21 mai 2015), Calgary 1401‑0098‑AC (ABCA).

H.  Mesures de réparation et dépens

[117]  En l’espèce, les DI m’ont demandé non seulement d’imposer l’obligation d’obtenir une autorisation conformément à l’article 40, mais aussi d’ordonner que M. Badawy paie tous les dépens non payés jusqu’à maintenant, d’imposer les restrictions d’accès à la Cour appropriées et d’adjuger des indemnisations complètes relativement aux présentes requêtes.

(1)  Ordonnance en vertu de l’article 40

[118]  En conformité avec l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, je suis convaincu que M. Badawy a intenté incessamment des instances vexatoires et s’est conduit pendant les procédures de manière vexatoire et qu’il va probablement continuer d’agir de la sorte dans l’avenir. En conséquence, les DI ont établi qu’il était nécessaire que la Cour émette une ordonnance selon laquelle M. Badawy ne peut engager aucune autre instance et que toutes les autres instances précédemment intentées par M. Badawy ne peuvent être poursuivies sans l’autorisation de la Cour.

(2)  Restrictions d’accès

[119]  Je suis également d’avis qu’une simple ordonnance rendue en vertu de l’article 40 n’empêchera pas M. Badawy de se conduire de manière vexatoire dans l’avenir. Il a constamment démontré qu’aucune décision de la Cour ne l’empêchera de se conduire de manière vexatoire. À l’instar de la juge Campbell, je conclus que [traduction] « M. Badawy est à la fois persistant et créatif dans ses tentatives de s’opposer aux parties adverses, à leurs avocats et aux parties mises en cause et de les harceler ». Cependant, M. Badawy est en outre à la source d’un gaspillage énorme des ressources de la Cour. Son opposition à la signification de la requête vexatoire, son rejet de la signification, toute sa conduite en l’espèce et la façon dont il utilise la procédure judiciaire pour s’opposer aux parties adverses et les manipuler reflètent l’ensemble de sa conduite dans le passé. M. Badawy cause d’innombrables problèmes à la Cour et aux parties adverses et les oblige à dépenser de l’argent de toutes les façons possibles afin de leur nuire et d’en tirer un avantage. Par exemple, dans le cadre de la requête vexatoire, il a continué d’affirmer qu’elle ne lui avait pas été signifiée en bonne et due forme jusqu’à l’audience du 27 mars 2019, qui s’est tenue à Calgary, au cours de laquelle il a soudainement laissé tomber ses objections relatives à la non‑signification sans expliquer pourquoi il s’y était opposé en premier lieu, avait gaspillé des ressources juridiques relativement à cette question et avait obligé les DI à fournir des éléments de preuve par rapport à la signification. Cet acte de mépris litigieux reflète sa conduite dans le passé.

[120]  Certains des éléments de preuve dont je dispose, et dont disposait également la juge Campbell, montrent que M. Badawy a fourni, et continuera peut‑être de fournir, des conseils et des services à d’autres plaideurs non représentés. La juge Campbell, dans sa décision, a examiné, aux paragraphes 51 à 57, le refus de M. Badawy d’admettre ce fait. Elle mentionne que ces refus illustrent encore une fois le manque d’honnêteté de M. Badawy devant la Cour et montrent qu’il n’est pas un témoin crédible.

[121]  Dans l’ensemble, je conclus que M. Badawy est susceptible de trouver d’autres façons de poursuivre sa conduite vexatoire devant la Cour fédérale et qu’il est nécessaire de prendre des mesures de sécurité et d’imposer des restrictions pour, à tout le moins, le décourager. Ces mesures et restrictions sont énoncées dans mon ordonnance.

(3)  Dépens adjugés antérieurement non payés

[122]  L’un des indicateurs de la conduite vexatoire de M. Badawy est son refus de régler le grand nombre de dépens qui ont été adjugés contre lui dans le cadre de ses litiges vexatoires. Il oblige ses cibles à dépenser de l’argent pour se défendre et, lorsque la Cour tranche en leur faveur, il refuse de payer les dépens adjugés contre lui. Selon les éléments de preuve dont je dispose, M. Badawy a omis de régler l’intégralité des dépens et des sanctions adjugés contre lui par la Cour, même lorsqu’il était tenu de le faire immédiatement. Aucun élément de preuve dont je dispose ne me laisse croire que M. Badawy est dans l’incapacité de régler les dépens, et il n’a pas expliqué son refus de le faire. Alors que les dépens demeurent impayés, M. Badawy persévère tout simplement dans sa conduite vexatoire. En l’espèce, les dépens non réglés reflètent seulement une autre [traduction] « expression constante » de sa conduite abusive et vexatoire qui persistera à moins qu’il ne soit obligé de payer.

[123]  À mon avis, même si j’ordonne à M. Badawy de régler les dépens et les sanctions adjugés contre lui par la Cour fédérale, il est peu probable qu’il le fasse, si l’on se fie à sa conduite dans le passé. Cependant, son défaut de payer permettra à tout le moins aux parties auxquelles les dépens sont dus d’examiner les recours juridiques qui s’offrent à elles, étant donné que le refus de M. Badawy de payer les dépens n’est rien d’autre qu’une répétition de sa conduite abusive et vexatoire devant la Cour.

(4)  Dépenses relatives aux requêtes en l’espèce

[124]  Comme je l’ai clairement indiqué dans mes motifs, je suis d’avis que M. Badawy a décidé de ne pas aborder les questions relatives à sa conduite vexatoire qui ont été soulevées contre lui. Il a plutôt tenté de détourner l’attention de la Cour au moyen d’allégations vexatoires touchant les intentions malveillantes, les conflits d’intérêts et les abus de procédure des DI et de BLG. Ces questions ont déjà été réglées dans les instances antérieures, et je ne dispose d’aucun élément de preuve acceptable à ce sujet. Même sa requête en appel est fondée sur ces questions. M. Badawy a tenté de se soustraire à la requête vexatoire ou de la retarder au moyen de questions fallacieuses qui ont déjà été tranchées et qui, au bout du compte, ne sont pas pertinentes en ce qui a trait à sa conduite vexatoire. L’approche de M. Badawy à l’égard des deux requêtes est, à mon avis, scandaleuse, répréhensible et honteuse. En conséquence, M. Badawy doit régler immédiatement l’ensemble des dépenses aux défendeurs d’IntelliView, pour la requête vexatoire et la requête en appel.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1964‑17

LA COUR STATUE que :

  1. Il est déclaré, en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, que le demandeur, WaelMagedBadawy, est un plaideur quérulent;

  2. Il est déclaré que, en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, WaelMagedBadawy ne peut intenter ou poursuivre des instances devant la Cour fédérale, sauf avec une autorisation de la Cour fédérale accordée en conformité avec la présente ordonnance;

  3. Aux fins de la présente ordonnance, « instance » désigne toute action, demande ou requête, tout appel ou tout autre type de procédure relevant de la compétence de la Cour fédérale, y compris toute instance intentée ou poursuivie en son nom ou au nom d’une autre personne morale ou d’une succession;

  4. WaelMagedBadawy doit s’identifier dans toute requête en autorisation ou dans tout document concerné par la présente ordonnance sous le nom de « WaelMagedBadawy », et ne peut pas utiliser ses initiales, une autre structure de nom ou un pseudonyme;

  5. S’il veut intenter ou poursuivre toute instance devant la Cour fédérale du Canada, WaelMagedBadawy doit présenter une requête au juge en chef de la Cour fédérale du Canada ou à la personne déléguée :

  • (i) le juge en chef ou la personne déléguée peut, à tout moment, ordonner que l’avis de requête visant à intenter ou à poursuivre une instance soit renvoyé à un tiers;

  • (ii) toute requête de ce genre doit être formulée par écrit;

  • (iii) toute requête de ce genre visant à intenter ou à poursuivre une instance doit être accompagnée d’un affidavit :

  • a) avec copie jointe de l’ordonnance de restriction d’accès à la Cour fédérale du Canada visant WaelMagedBadawy;

  • b) avec copie jointe de l’instance que WaelMagedBadawy veut intenter, déposer ou poursuivre;

  • c) exposant l’intégralité des faits et des circonstances touchant l’instance proposée afin de démontrer que l’instance ne constitue pas un abus de procédure et qu’elle s’appuie sur des motifs raisonnables sous‑jacents;

  • d) indiquant si WaelMagedBadawy a déjà poursuivi au moins l’un des défendeurs ou intimés devant tout tribunal compétent ou toute autre cour et, dans l’affirmative, fournir tous les détails;

  • e) comprenant un engagement selon lequel, dans l’éventualité où une autorisation est accordée, l’ordonnance accordant l’autorisation et l’affidavit soumis à l’appui de l’ordonnance seront promptement signifiés aux défendeurs ou aux intimés;

  • f) comprenant un engagement selon lequel l’instance sera traitée avec diligence et en conformité avec les Règles des Cours fédérales pertinentes;

  • (iv) le juge en chef ou la personne que celui‑ci aura désignée peut :

  • a) notifier l’instance proposée et fournir aux parties suivantes l’occasion de présenter des observations volontaires :

  1. les parties potentiellement concernées;

  2. les autres personnes désignées par la Cour;

  3. le procureur général du Canada;

  • b) répondre à la requête déposée et en disposer par écrit;

  • c) examiner la requête lors d’une audience publique à des fins d’enregistrement;

  1. L’autorisation d’intenter ou de poursuivre toute instance devant la Cour fédérale peut être accordée sous certaines conditions, y compris le dépôt d’une garantie pour les dépenses et la preuve du règlement de tous les dépens adjugés antérieurement;

  2. Une requête rejetée ne peut pas être présentée à nouveau, que ce soit directement ou indirectement;

  3. Une requête en modification ou en annulation de la présente ordonnance doit être signifiée à toute personne visée par les directives de la Cour;

  4. Il est interdit à WaelMagedBadawy de faire ce qui suit :

  1. fournir des conseils juridiques, préparer des documents dans le but de les déposer devant la Cour pour toute personne autre que lui‑même, déposer des documents auprès de la Cour ou communiquer avec la Cour, sauf en son nom;

  2. agir à titre de mandataire, de plus proche ami, d’ami au sens de la décision McKenzie (voir McKenzie v McKenzie, [1970] 3 All ER 1034 (UK CA) ou de toute autre sorte de représentant dans une instance judiciaire devant la Cour fédérale du Canada;

  1. Les greffiers et les fonctionnaires de la Cour fédérale du Canada ne peuvent accepter ni déposer des documents ou d’autres éléments matériels fournis par WaelMagedBadawy, sauf si :

  1. WaelMagedBadawy est une partie intéressée à l’action en question;

  2. les documents et les autres éléments matériels sont utilisés pour intenter ou poursuivre une instance pour laquelle WaelMagedBadawy a obtenu une autorisation de la Cour;

  1. Toute dispense de paiement accordée à WaelMagedBadawy par des greffiers ou des fonctionnaires de la Cour fédérale du Canada est révoquée;

  2. Les greffiers ou les fonctionnaires de la Cour fédérale du Canada doivent refuser toute demande de dispense de paiement présentée par WaelMagedBadawy, sauf si WaelMagedBadawy a obtenu une ordonnance du tribunal l’autorisant;

  3. Le juge en chef de la Cour fédérale du Canada ou la personne que celui‑ci a désignée peut, de son propre chef, modifier les modalités de la présente ordonnance en ce qui concerne les exigences, la procédure ou les conditions préalables visant l’obligation d’obtenir une autorisation pour intenter ou poursuivre un litige devant la Cour fédérale du Canada;

  4. WaelMagedBadawy est, par la présente, sommé de régler dans l’immédiat l’ensemble des dépens et des sanctions non payés qui ont été adjugés contre lui dans le cadre des procédures en l’espèce et dans d’autres instances devant la Cour fédérale où il est ou a été partie;

  5. L’intégralité des dépenses sur une base avocat‑client relatives à la requête vexatoire et à la requête en appel doit être payée dans l’immédiat aux défendeurs.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1964‑17

 

INTITULÉ :

WAEL MAGED BADAWY c 1038482 ALBERTA LTD., AUSSI CONNUE SOUS LE NOM D’INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC. ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MARS 2019

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Wael Maged Badawy

LE DEMANDEUR

 

Evan Nuttall

Robyn Gurofsky

Laura Poppel

POUR LES DÉFENDEURS, 1038482 ALBERTA LTD., aussi connue sous le nom d’INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE et SHANE ROGERS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS, 1038482 ALBERTA LTD., aussi connue sous le nom d’INTELLIVIEW TECHNOLOGIES INC., FIDELITER INC., BILL HEWS, MISSING LINK BUSINESS OPERATIONS ADVISORS LTD., GORDON EDWARDS, CHRISTOPHER BEADLE et SHANE ROGERS

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

ENBRIDGE PIPELINE INC.

Smart & Biggar

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS,

SCHNEIDER ELECTRIC SE, SCHNEIDER ELECTRIC CANADA INC. ET WEST AT PELCO BY SCHNEIDER ELECTRIC

Dentons Canada LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR,

SPARTAN CONTROLS LTD.

Brownlee LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR,

CANADA 150IN150

 

Norton Rose Fulbright Canada LLP

 

POUR LES DÉFENDEURS,

FLIR SYSTEMS INC. ET FLIR SYSTEMS, LTD.

 

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