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Date : 20001122


Dossier : T-1076-95


     DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 45 et 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13,
     ET un appel de la décision rendue au nom du registraire des marques de commerce, en date du 24 mars 1995,

ENTRE :


     LA SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS SNCF,

appelante,


- et -


VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS INC.,


intimée,


- et -


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,


intimé.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN


[1]      L'appelante interjette appel d'une décision du registraire des marques de commerce fondée sur la procédure de preuve d'emploi prévue à l'article 45 de la Loi sur

les marques de commerce. L'intimée a enregistré deux marques de commerce en novembre 1985 en se fondant sur leur emploi au Canada et en liaison avec des « Services de voyage, nommément un service de transport de passagers par train » . Ces deux marques de commerce sont restées inscrites au registre depuis. À la demande de l'appelante, le registraire a donné, en date du 4 juillet 1991, un avis selon l'article 45 au sujet des deux marques de commerce.

[2]      L'intimée a fourni au registraire l'affidavit de M. Hetherington, qui a identifié quatorze factures, dont six portaient des dates antérieures au 4 juillet 1991, date de l'avis du registraire. Les six factures antérieures au 4 juillet 1991 (et les autres, excepté une) sont adressées à des agents de voyage canadiens qui ont servi d'intermédiaires entre l'intimée et les clients canadiens qui voulaient utiliser des services ferroviaires.

[3]      Le registraire a rendu sa décision le 24 mars 1995. Il a décidé :

     1)      Que les services de réservations en question constituaient des « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » , cette formulation étant [TRADUCTION] « assez large pour comprendre des services connexes ou accessoires, tels que la vente des billets de train et les réservations de places dans un train, ou d'autres services connexes ou accessoires de cette nature » . Le registraire a noté que la Loi n'établit pas de distinction entre les services primaires, connexes ou accessoires, ce qui invite à une interprétation large plutôt que restrictive de l'expression visée;
     2)      Que les agences de voyage canadiennes agissaient comme mandataires de l'intimée, en sorte que l'intimée avait effectivement fourni des services de réservations et de vente de billets au Canada par l'entremise de ces agences de voyage;
     3)      Que la fourniture de ces services avait eu lieu dans la période pertinente parce que les marques de commerce figuraient sur les factures de l'intimée et [TRADUCTION] « qu'elles avaient été employées au moment où ces services avaient été fournis » .

[4]      La présente affaire soulève trois questions :

     1)      Est-ce à tort que le registraire a jugé que la prestation au Canada par les agences de voyage de services de réservations et de vente de billets constituait la prestation de ces services au Canada par le propriétaire inscrit?
     2)      Est-ce à tort que le registraire a conclu que les marques de commerce ORIENT-EXPRESS et VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS étaient employées au Canada par le propriétaire inscrit en liaison avec la prestation au Canada de services de transport de passagers par train au cours de la période pertinente?
     3)      Est-ce à tort que le registraire a conclu que les services de réservations et de vente de billets fournis au Canada, en rapport avec un service de transport de passagers par train fourni en Europe, constituent un emploi au Canada par le propriétaire inscrit des marques de commerce ORIENT-EXPRESS et VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS en liaison avec la prestation d'un « service de transport de passagers par train » au Canada?

ANALYSE

[5]      La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter. Aucune preuve supplémentaire n'a été produite dans l'appel. L'arrêt John Labatt c. Les Brasseries Molson (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.) a établi que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, doivent être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. On peut également reformuler la norme en disant que la Cour doit conclure que la décision du registraire n'est pas raisonnable ou est une erreur manifeste avant de substituer sa propre décision à celle du registraire.

[6]      L'appelante avance que c'est à tort que le registraire a conclu que la prestation au Canada par les agences de voyage de services de réservations et de vente de billets constituait une prestation de ces services au Canada par le propriétaire inscrit. L'appelante affirme que c'est à tort que le registraire a déclaré, à la page 3 de sa décision, [TRADUCTION] « Je conclus que les services du propriétaire inscrit qui sont fournis au Canada sont des "services de réservations de train et de vente de billets" et que ces services sont fournis au consommateur final » . Toutefois, il faut lire le reste de la phrase après les mots « consommateur final » où il ajoute : « c'est-à-dire le grand public par l'entremise d'un intermédiaire, soit les agences de voyage canadiennes. » Le registraire poursuit et déclare, toujours à la page 3 de sa décision :

[TRADUCTION] Comme la preuve établit manifestement que la location et la réservation de places sur les services ferroviaires du propriétaire inscrit peuvent s'effectuer au Canada par l'entremise des agences de voyage canadiennes et comme les factures confirment que des services de réservation et de vente de billets ont été fournis au Canada par le propriétaire inscrit par l'intermédiaire des agences de voyage, je conclus que les services enregistrés ont été fournis au Canada par le propriétaire inscrit.

[7]      Les factures des agences de voyage ont été produites par la société Venice Simplon-Orient-Express Inc. et les deux marques de commerce visées y sont inscrites.

[8]      Le registraire a traité la question des désignations des clients des services aux pages 1 et 2, où il déclare :

[TRADUCTION] Je conviens qu'on peut donner plusieurs interprétations des services visés dans l'enregistrement.
Par conséquent, l'une des principales questions à trancher dans la présente procédure est de décider si l'expression « services de voyage, nommément service de transport de passagers par train » , qui figure dans l'état des services de l'enregistrement, doit recevoir une interprétation étroite, c'est-à-dire « l'exploitation d'un train » ou une interprétation plus large, soit « tous services ou activités accessoires accomplis pour le transport de passagers par train et dont l'exploitation d'un train ne représente qu'une dimension. »
La Loi ne donne aucune définition des « services » . Elle n'établit donc pas de distinction entre des services primaires, connexes ou accessoires. Il suffit qu'il s'agisse de services et selon la jurisprudence, il semble que, dans la mesure où des membres du public, des consommateurs ou des acheteurs bénéficient d'une activité, il s'agit d'un service. À cet égard, voir Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, 1 C.P.R. (3d) 457, Anheuser-Bush, Inc. c. Carling O'Keefe of Canada Ltd., 4 C.P.R. (3d) 216 et Saks & Co. c. Registraire des marques de commerce, 24 C.P.R. (3d) 49.
Je suis incliné à convenir avec l'avocat du propriétaire inscrit que l'expression « service de transport de passagers par train » , même au singulier, est pleinement significative et comprend plus que l'exploitation d'un train. À mes yeux, l'expression suggère un certain nombre d'idées et je ne vois pas pourquoi il faudrait en donner une interprétation restrictive.

[9]      Les vues du registraire à cet égard sont confirmées par le juge Strayer, dans Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, (1984) 1 C.P.R. (3d) 457 à la page 461, qui déclare :

La première condition d'une marque de commerce qui se rapporte à des services est donc qu'elle « distingue... des services...exécutés par [une personne] de services... exécutés par d'autres... » . C'est par cette définition que la Loi vient s'appliquer aux marques de commerce relatives à des services. À mon avis, rien dans cette définition ne suppose que les « services » à l'égard desquels est établie une marque de commerce se limitent à ceux qui ne sont pas « accessoires » à la vente de biens.

[10]      Le terme « services » a reçu une interprétation large dans Saks & Co. c. Registraire des marques de commerce et al. (1989), 24 C.P.R. (3d) 49 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, Saks n'avait pas de magasin au Canada, mais recevait du Canada des commandes postales et téléphoniques de marchandises. Dans ce cas, les services étaient fournis sans que les clients canadiens aient à quitter le Canada. À mon avis, les mots « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » ne devraient pas recevoir une portée plus étroite. Il était donc raisonnable de conclure que la prestation au Canada par une agence de voyage de services de réservations et de vente de billets constituait la prestation au Canada de tels services par le propriétaire inscrit.

[11]      S'agissant des questions 2) et 3), l'appelante reconnaît que les mots en litige, ORIENT-EXPRESS et VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS, sont inscrits en évidence sur les factures adressées par l'intimée aux agences de voyage au Canada au cours de la période pertinente. Cependant, l'appelante affirme qu'il n'y a aucune preuve de vente à un consommateur final. Cela n'est pas requis. Le juge d'appel MacGuigan a examiné la question dans l'arrêt Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (n º 2) (1987), 17 C.P.R. (3d) 237 (C.A.F.). Il a traité un certain nombre des points en cause au paragraphe 241 de ses motifs en ces termes :

Comme cette Cour l'a souvent dit, l'article 44 [devenu l'art. 45] est conçu avant tout pour retirer le bois mort du registre, et ne vise pas à résoudre les litiges entre parties détenant des intérêts commerciaux concurrents, qui seraient réglés par la procédure en radiation prévue à l'article 57 : Moosehead Breweries Ltd. v. Molson Cos. Ltd. et al. (1985), 11 C.P.R. (3d) 208 à la page 210, 63 N.R. 140, à la page 141.
Le juge McNair a récemment décidé dans l'affaire Philip Morris Inc. v. Imperial Tobacco Ltd. et al. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289 que la preuve d'une seule vente en gros ou au détail dans la pratique normale du commerce peut suffire à cet égard.
De plus, cette Cour a conclu que la preuve de l'emploi d'une marque dans la pratique normale du commerce ne se limite pas à l'emploi qui est fait de cette marque avant la date de l'avis : John Labatt Ltd. v. Rainier Brewing Co. et al. (1984) 54 N.R. 296, (1984) 80 C.P.R. (2d) 228. ...
L'intimée, en qualité de fabricante, vend normalement à des grossistes. La preuve qu'elle a effectué des ventes à des grossistes constitue donc un élément de preuve se rapportant à la pratique normale de son commerce. À mon avis, lorsqu'une preuve en apparence authentique est présentée relativement à la pratique normale du commerce, les limites inhérentes à la procédure prévue à l'article 44 empêchent un tribunal d'opposer à une telle preuve l'opinion non étayée par une preuve qu'il peu avoir sur ce sujet.

[12]      Le registraire n'était saisi que d'une preuve portant sur des ventes du propriétaire inscrit aux agents de voyage qui, à leur tour, vendaient aux clients. Il n'est pas nécessaire de prouver une vente au consommateur final ou de démontrer que les marques de commerce étaient apposées directement sur les billets. Tout emploi de la marque de commerce dans le circuit de distribution suffit à établir l'emploi, comme l'a déclaré le juge Dubé dans la décision Hartco Enterprises Inc. c. Becterm Inc. (1989), 24 C.P.R. (3d) 223 (C.F.1re inst.) à la page 227:

Aux termes du paragraphe 4(2) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des « services » si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services. Des factures ou de la correspondance peuvent notamment servir de preuve à cet égard.

[13]      L'appelante a également soulevé la question de savoir si le propriétaire inscrit des marques de commerce était clairement identifié comme la personne fournissant les services. Mais les factures fournies par le propriétaire inscrit indiquent clairement que la personne qui envoyait les factures était la société Venice Simplon-Orient-Express Inc. De plus, comme le juge Cullen l'a déclaré dans Vogue Brassiere Inc. c. Sim & McBurney et al. (2000), 5 C.P.R. (4th) 537, le nom du propriétaire inscrit ne doit pas nécessairement figurer au même endroit que le document établissant l'emploi de la marque de commerce. Il déclare au paragraphe 36 :

En outre, ... le fait que le nom de l'inscrivant ne figure pas sur les marchandises n'est pas pertinent puisque la Loi n'exige pas que le nom de l'inscrivant soit mentionné en liaison avec la marque de commerce.

[14]      Le juge Cullen fait également remarquer que la preuve d'une seule vente peut suffire, « dans la mesure où il s'agit d'une véritable transaction commerciale et qu'elle n'est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l'enregistrement de la marque de commerce. » En l'espèce, rien ne prouve que l'intimée cherchait de manière délibérée à protéger l'enregistrement de la marque de commerce par l'emploi de ces factures.

[15]      Je suis d'avis que le registraire n'a commis aucune erreur de fait ou de droit et que sa décision est raisonnable.

[16]      L'appel est rejeté. Les dépens sont adjugés à l'intimée.


     W.P. McKeown

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 novembre 2000



Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




N º DU GREFFE :              T-1076-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS SNCF c. VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS INC. ET AL.

    

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 23 OCTOBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE McKEOWN

EN DATE DU :              22 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

DAVID FRENCH              REPRÉSENTANT L'APPELANTE
CAROL HITCHMAN          REPRÉSENTANT L'INTIMÉE
et                      VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS INC.

COREY BERGSTEIN

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVID FRENCH              REPRÉSENTANT L'APPELANTE

OTTAWA (ONTARIO)

HITCHMAN & SPRIGINGS      REPRÉSENTANT L'INTIMÉE
TORONTO (ONTARIO)          VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS INC.



Date : 20001122


Dossier : T-1076-95

OTTAWA (ONTARIO), le 22 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE McKEOWN


     DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 45 et 56 de la      Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13,
     ET un appel de la décision rendue au nom du registraire des marques de commerce, en date du 24 mars 1995,

ENTRE :


     LA SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS SNCF,

appelante,

- et -


VENICE SIMPLON-ORIENT-EXPRESS INC.,


intimée,

- et -


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE.


     ORDONNANCE

L'appel est rejeté. Les dépens sont adjugés à l'intimée.

     W.P. McKeown

     JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

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