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Date : 20040503

Dossier : T-1821-02

Référence : 2004 CF 652

ENTRE :

                                                          KRAFT CANADA INC.

                                                 KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et

                                                   KRAFT FOODS BELGIUM SA

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                      EURO EXCELLENCE INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                La présente demande porte sur ce qu'on appelle souvent le « marché gris » ou l'importation parallèle de marchandises. « Kraft » (je décrirai plus loin le rôle des différentes sociétés affiliées) fabrique en Europe les tablettes de chocolat Toblerone et Côte d'Or. Elle désire garder pour elle-même la distribution de ces tablettes au Canada. La défenderesse Euro Excellence a déjà distribué la gamme de produits de confiserie Côte d'or au Canada en vertu d'un contrat. Ce contrat n'a pas été renouvelé. Elle est cependant parvenue à acheter des produits Côte d'Or et des produits Toblerone d'une source anonyme dans un pays européen non identifié; elle les importe et les distribue au Canada dans leurs papiers d'emballage européens, en y apposant une étiquette pour se conformer à la réglementation canadienne en matière d'emballage. Le nom « Kraft » figure sur ces papiers d'emballage.

[2]                Euro Excellence ne se livre pas à la commercialisation trompeuse d'imitations. Elle met sur le marché les véritables produits.

[3]                Kraft ne reproche pas à Euro Excellence de vendre les produits Côte d'Or et Toblerone comme tels. Elle s'est intéressée aux papiers d'emballage ou au conditionnement qui sont accessoires aux tablettes de chocolat. Elle allègue que la distribution au Canada par Euro Excellence constitue une violation du droit d'auteur sur les illustrations figurant sur ces papiers d'emballage. Elle demande une réparation par voie d'injonction ainsi que des dommages-intérêts.


[4]                Kraft a mis au point une stratégie intéressante pour déjouer la distribution de ces tablettes de chocolat au Canada par Euro Excellence. Pour mieux apprécier cette stratégie, je devrais d'abord parler de ce que Kraft n'a pas fait. Si elle a imposé au fournisseur d'Euro Excellence des restrictions en matière de distribution, elle ne les a pas invoquées. Elle ne s'appuie pas non plus sur la protection en matière de marques de commerce quoiqu'elle allègue, et ce n'est pas mis en doute, être propriétaire au Canada des marques de commerce « Côte d'Or » et « Toblerone » . Elle a plutôt acquis les droits de licence pour le Canada relativement aux illustrations figurant sur les papiers d'emballage des tablettes de chocolat, illustrations qui sont protégées au Canada par le droit d'auteur. Elle ne cherche pas à interdire à Euro Excellence de distribuer les tablettes de chocolat Toblerone et Côte d'Or. Elle cherche plutôt à lui interdire de distribuer les illustrations protégées par le droit d'auteur qui apparaissent sur les papiers d'emballage. L'idée est que le coût d'emballer à nouveau ou de dissimuler l'illustration protégée par le droit d'auteur aurait un effet dissuasif majeur. Toute la gamme de produits Toblerone est emballée dans des papiers arborant des illustrations protégées par le droit d'auteur. En ce qui concerne Côte d'Or, certains des produits distribués par Euro Excellence ne contiennent aucun matériel protégé par le droit d'auteur. Kraft ne tente pas de faire obstacle à la distribution de ces produits.

[5]                Dans le cas de Toblerone, le droit d'auteur se rapporte à une montagne couverte de neige représentée sur le papier d'emballage. La neige adopte en partie la forme d'un ours, à savoir un ours à l'intérieur d'une montagne.

[6]                Trois droits d'auteur distincts se rapportent à Côte d'Or. L'un porte sur un éléphant tourné vers la droite dont la trompe est courbée vers le haut. Le deuxième se rapporte au style d'écriture utilisé pour former les mots « Côte d'Or » , pas le nom en soi. Le troisième est un genre de bouclier rouge qui sert de fond à la fois pour l'éléphant et pour l'écriture de Côte d'Or.


[7]                Euro Excellence a élaboré une défense à plusieurs niveaux qui se divise en quatre catégories : 1) défenses de nature technique en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée (la Loi); 2) défenses en vertu de la compétence en equity de la Cour fédérale; 3) limites constitutionnelles applicables au législateur; 4) ordre public.

[8]                Les défenses de nature technique fondées sur la Loi se rapportent au fait que la montagne, l'ours, l'éléphant, l'écriture Côte d'Or et le bouclier rouge ne sont pas des illustrations originales et ne peuvent donc pas faire l'objet d'un droit d'auteur. De plus, en ce qui concerne Côte d'Or, la défenderesse allègue que la chaîne de titres menant à la licence de Kraft Canada Inc. est déficiente.

[9]                En equity, elle fait valoir qu'il ne peut y avoir d'injonction car Kraft ne se présente pas devant la Cour en étant elle-même sans reproche. Cette observation comporte deux volets. Le premier prend sa source dans les relations antérieures des parties. Jusqu'à ces dernières années, Euro Excellence était le distributeur exclusif de la gamme Côte d'Or au Canada. La défenderesse soutient que Kraft est un prédateur qui essaie de tirer avantage du renom et des contacts qu'elle a développés au fil des années. Le second volet est que la soi-disant illustration est devenue protégée par le droit d'auteur et qu'une licence a été octroyée à Kraft Canada Inc. dans le seul but de nuire aux affaires d'Euro Excellence.

[10]            Se trouve entremêlée à ces arguments l'observation selon laquelle certains articles de la Loi sur le droit d'auteur doivent être interprétés de façon restrictive pour ne pas empiéter sur la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils.


[11]            Enfin, eu égard à l'ordre public, la défenderesse fait valoir que le droit d'auteur ne saurait être utilisé pour créer un monopole qui porterait atteinte au marché du libre échange des biens.

[12]            Chacune de ces défenses mérite d'être examinée attentivement.

CONTEXTE

[13]            Kraft Foods Belgium S.A., de Halle en Belgique, fabrique la gamme de produits de confiserie Côte d'Or en Europe. En 1993, elle a autorisé Euro Excellence Inc. à agir comme distributeur canadien. Il s'en est suivi un contrat de distribution exclusive pour le Canada d'une durée de trois ans; ce contrat s'est terminé en décembre 2000. On invoque deux motifs de non-renouvellement. Kraft soutient que bien qu'Euro Excellence ait commercialisé avec succès Côte d'Or au Québec, elle a fait peu de gains dans le reste du Canada. Euro Excellence soutient pour sa part que Kraft se comportait comme un prédateur, voulait tirer avantage de ses contacts et de son renom et qu'elle tente de la sacrifier sur l'autel de l'intégration multinationale.


[14]            Kraft Canada Inc. a commencé à distribuer la gamme Côte d'Or en 2001 en vertu d'un contrat. En fait, elle avait eu un contrat antérieur qui remontait à 1990 pour la distribution de Côte d'Or mais n'y avait jamais donné suite. Au début de 2001, Euro Excellence distribuait toujours les produits Côte d'Or. Kraft ne s'en inquiétait pas particulièrement car elle supposait qu'Euro Excellence liquidait des stocks accumulés, mais elle a bientôt réalisé qu'elle vendait de nouveaux produits venant d'une autre source.

[15]            Par ailleurs, Euro Excellence a commencé l'importation parallèle de tablettes de chocolat Toblerone que Kraft Canada Inc. distribuait au Canada depuis 1990. Ce qui a particulièrement irrité Kraft, c'est le fait que le fournisseur d'Euro Excellence lui procure également les tablettes dites « Golden » . Ces tablettes, qui, selon ma compréhension, sont beaucoup plus grosses que les tablettes de format normal, ne sont censées être vendues que dans les boutiques hors taxes. En fait, le fabricant Kraft Foods Schweiz AG de Genève ne les a jamais offertes à Kraft Canada Inc. En conséquence, Euro Excellence distribue un assortiment plus large de produits Toblerone, ce qui peut lui conférer un certain avantage sur le marché.

[16]            Il n'est pas difficile de voir que le différend s'envenimait. Kraft fait valoir qu'Euro Excellence tire parti de sa publicité, ce qui lui donne un avantage de marché, ajoute des étiquettes autocollantes bon marché qui nuisent à la nature d'un produit de première classe, ne s'est pas conformée aux lois et règlements canadiens applicables en matière d'emballage et d'étiquetage et pourrait de fait avoir menacé la santé et mis Kraft en situation de risque en ne « canadianisant » pas la liste française des ingrédients. À titre d'exemple, un ingrédient était désigné comme « fruits secs » , ce qui en Europe semble assez large pour englober les noix, alors que l'expression ne serait pas interprétée de cette manière au Canada.

[17]            En revanche, Kraft Canada Inc. dit prendre beaucoup de soin pour offrir un produit de première classe du point de vue de l'emballage. Dans certains cas, l'emballage dans les usines européennes se fait selon ses propres spécifications, ou alors des étiquettes très professionnelles, peu susceptibles d'attirer l'attention, sont apposées sur les produits de manière à se conformer à la législation canadienne.

CE QUE KRAFT A FAIT

[18]            Dans le but de déjouer Euro Excellence, Kraft Foods Belgium SA a, en octobre 2002, enregistré au Canada dans la catégorie des oeuvres artistiques les trois droits d'auteur se rapportant à Côte d'Or. L'auteur était désigné comme un certain Thierry Bigard. Le même jour, un contrat de licence entre elle et Kraft Canada Inc. était également enregistré. La licence conférait à Kraft Canada Inc. :

[traduction] [...] l'autorisation et le droit exclusifs de produire, de reproduire et d'adapter les Oeuvres ou toute partie importante de celles-ci sur le Territoire, sous quelque forme matérielle que ce soit, et d'utiliser et de représenter publiquement les Oeuvres en liaison avec la fabrication, la distribution ou la vente au Canada de produits de confiserie, notamment du chocolat.

[19]            Le même jour, Kraft Foods Schweiz AG enregistrait l'ours dans la montagne de Toblerone comme droit d'auteur dans la catégorie des oeuvres artistiques ainsi qu'un contrat de licence similaire avec Kraft Canada Inc.

[20]            Euro Excellence a été mise en demeure de cesser de distribuer les produits sur lesquels apparaissent l'écriture, l'éléphant et le bouclier rouge de Côte d'Or et l'ours dans la montagne de Toblerone. Elle a refusé d'obtempérer. Même si l'éléphant de Côte d'Or est aussi gaufré dans le chocolat Côte d'Or lui-même, Kraft a précisé qu'elle ne cherche pas à empêcher Euro Excellence de vendre le chocolat, mais uniquement de le distribuer dans le papier d'emballage comportant les oeuvres artistiques enregistrées à titre de droits d'auteur.

[21]            La Loi sur le droit d'auteur prévoit de nombreuses présomptions en faveur de Kraft, présomptions qui sont réfutables. Nonobstant le fait que le système d'enregistrement ne soit qu'un simple enregistrement de documents, par opposition à l'enregistrement en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 qui exige que le registraire fasse preuve de compétence et de jugement en décidant de la validité d'une marque de commerce ou du fait qu'elle n'est pas enregistrable en raison du risque de confusion ou pour d'autres raisons, le simple enregistrement crée une présomption, jusqu'à preuve du contraire, de l'existence du droit d'auteur dans une oeuvre et du fait que l'auteur en est le titulaire original. L'article 13 établit une présomption dans le domaine du travail selon laquelle c'est l'employeur et non l'employé qui est l'auteur et le titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre protégée.


DÉFENSES DE NATURE TECHNIQUE D'EURO EXCELLENCE

A - Paternité et propriété de l'oeuvre

[22]       Il n'est pas nécessaire d'exposer la chaîne de propriété du droit d'auteur se rapportant à Toblerone de l'auteur jusqu'à la licence accordée à Kraft Canada Inc. Euro Excellence reconnaît qu'elle est irréprochable. Elle conteste toutefois la chaîne de propriété relativement aux trois oeuvres artistiques Côte d'Or pour lesquelles Thierry Bigard est l'auteur inscrit sur l'enregistrement.

[23]            Selon Gilles Portail, directeur des services financiers du bureau européen de Landor Associates, Landor a été engagée en 1998 par une autre société Kraft, Kraft Foods International (EU) Ltd., pour concevoir un nouvel emballage pour les produits Côte d'Or. Thierry Bigard était directeur de la création chez Landor et responsable de la conception de la nouvelle identité visuelle de Côte d'Or. M. Portail a témoigné que la politique de Landor à l'égard de ses employés a toujours été que tous les droits découlant du travail créatif de ses employés appartenaient à Landor. Un certain nombre de documents ont été présentés à l'appui de cette affirmation, parmi lesquels figure une lettre d'entente entre M. Portail et M. Bigard datée de décembre 1996.


[24]            Euro Excellence adopte la position, juste à mon avis, voulant que la relation entre Landor et M. Bigard soit régie par la loi française. M. Bigard travaille au bureau de Landor à Paris et la lettre d'entente mentionnée ci-dessus a aussi été signée à Paris. Euro Excellence a produit des éléments de preuve d'un avocat français établissant que la présomption prévue à la loi canadienne voulant que l'employeur, plutôt que l'employé, soit titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre protégée par le droit d'auteur, n'existe pas en France. Toutefois, la présomption selon laquelle, en droit français, l'employé est propriétaire de son oeuvre est réfutable et elle a été réfutée en l'espèce en ce qui concerne M. Bigard. Une fois cet obstacle franchi, la chaîne de propriété allant de M. Bigard aux diverses sociétés Kraft en passant par Landor est correcte.

[25]            Conséquemment, il n'est pas vraiment nécessaire d'examiner l'argument de Kraft voulant que l'article 13 de la Loi soit décisif quant à la présomption selon laquelle l'employeur est l'auteur d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur réalisée par son employé, indépendamment du droit applicable au contrat de travail. Cependant, comme dans le domaine du droit maritime, je ne vois aucune raison pour laquelle la Cour, en exerçant sa compétence en matière de droit d'auteur, exerce une compétence qui n'englobe pas les règles de conflit de lois (Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2 R.C.S. 157). Dans l'arrêt Kellogg Co. c. Kellogg, [1941] R.C.S. 242, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il était nécessaire d'examiner le droit applicable à un contrat de travail pour déterminer la propriété d'un brevet.

[26]            Euro Excellence soutient cependant que M. Bigard n'était pas l'auteur de l'oeuvre en premier lieu. Il n'était que le chef d'équipe, le contremaître, et il n'a exercé aucune activité créatrice. Ou, s'il a fait une activité créatrice, il l'a faite en collaboration avec d'autres.


[27]            Cette position se fonde sur une pure conjecture. La seule preuve, qui, certes, n'est pas parfaite, est que M. Bigard était directeur de la création. Tout comme l'auteur d'un film est le professionnel qui dirige les prises de vue et réalise les effets plutôt que la personne qui appuie sur le bouton de la caméra lorsqu'elle en reçoit l'ordre, il n'y a aucune raison de croire que M. Bigard n'était pas l'auteur : Cahier Ateliers Tango argentin Inc. c. Festival d'Espagne et d'Amérique latine Inc., [1997] A.Q. no 3693 (appel rejeté).

[28]            Soutenir que quiconque a pu participer au projet est l'un des auteurs, y compris le préposé à la salle du courrier qui a jeté un coup d'oeil à l'écran d'ordinateur et proposé de modifier la position des pattes de l'éléphant, c'est ouvrir la porte au chaos. Le travail accompli en vue d'un objectif commun constitue une activité collective.

[29]            De toute façon, même s'il était possible de dire que l'oeuvre Côte d'Or avait également été réalisée par d'autres auteurs, ces derniers devaient être des employés de Landor qui, selon M. Portail, étaient assujettis aux mêmes contrats.

[30]            En ce qui concerne la question de la chaîne de titres, je conclus donc que Kraft Canada Inc. s'est vu accorder des licences valides.


B - Oeuvres originales


[31]       Les oeuvres artistiques en question ne bénéficient de la protection du droit d'auteur que si elles sont « originales » . Voir les articles 2 et 5 de la Loi. Kraft dit que les oeuvres sont originales. Euro Excellence dit qu'elles ne le sont pas. Ni l'une ni l'autre n'a produit de preuve d'expert pour mettre en contexte le concept d'originalité. Toutefois, cette question a été étudiée par la Cour suprême très récemment dans l'arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] A.C.S. no 12 (QL). Il a été décidé que les sommaires, le résumé jurisprudentiel, l'index analytique et la compilation de décisions judiciaires publiées sont tous des oeuvres « originales » conférant un droit d'auteur. Après avoir observé qu'il y a eu deux écoles de pensée au Canada et dans d'autres pays, l'une voulant qu'une oeuvre soit originale si elle est davantage qu'une simple copie (la théorie de l' « effort » ), et l'autre voulant qu'une oeuvre doive être « créative » pour être « originale » , la juge en chef McLachlin, au nom de la Cour, a conclu que la juste interprétation se situait entre ces deux extrêmes. Aucun résumé ne saurait rendre justice à cet arrêt mais en s'inspirant des paragraphes 16, 25, 28 et 35, une oeuvre est « originale » au sens de la Loi sur le droit d'auteur si elle est davantage que la simple copie d'une autre oeuvre. Même s'il n'est pas nécessaire qu'elle soit créative, l'expression de l'idée sous-jacente doit être le résultat de l'exercice du talent et du jugement dans lequel entrent en jeu les connaissances personnelles, l'aptitude acquise ou la compétence issue de l'expérience, ainsi que la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l'oeuvre. L'effort intellectuel constitue une exigence obligatoire. L'exercice du talent et du jugement ne peut pas être négligeable au point d'être assimilé à une entreprise purement mécanique. [traduction] « Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d'une oeuvre pour en créer une " autre " serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d'auteur accorde à une oeuvre " originale ". »

[32]            Gardant cela à l'esprit, j'aborde la question des trois oeuvres artistiques « Côte d'Or » protégées par le droit d'auteur.

[33]            Le fait que la marque Côte d'Or remonte à 1883 et qu'un éléphant a figuré bien en vue sur l'emballage depuis au moins 1906 n'est pas contesté. Il a probablement été inspiré d'un timbre-poste de la Guinée. S'il fut jamais protégé par un droit d'auteur, il y a longtemps qu'il ne l'est plus. Au fil des ans, l'éléphant a été tourné vers la gauche ou vers la droite, sur fond de palmiers et de structures pyramidales. Sa tête, ses pattes et sa trompe ont adopté différentes positions. Sur le dessin protégé par droit d'auteur, l'éléphant est tourné vers la droite, la position de chacune des pattes diffère légèrement et sa trompe est courbée vers le haut de sorte que le bout se trouve directement au-dessus de sa tête. L'oeuvre protégée par droit d'auteur figure dans le coin supérieur gauche, accompagnée sur d'autres papiers d'emballage de trois dessins non protégés par droit d'auteur.

[34]            Le rôle de M. Bigard était de moderniser le dessin tout en conservant le renom associé à l'ancienne apparence. Kraft fait valoir qu'il s'agit d'un travail particulièrement créatif alors qu'Euro Excellence dit que les modifications étaient négligeables. En m'inspirant de l'arrêt CCH Canadienne Ltée, précité, même si l'éléphant n'est ni unique ni d'un genre nouveau, j'estime qu'il est le fruit de l'exercice du talent et du jugement. Il a manifestement fallu étudier diverses possibilités, ce qui suppose un effort intellectuel. L'exercice du talent et du jugement n'était pas négligeable. À mon avis, le dessin de l'éléphant mérite la protection du droit d'auteur en tant qu'oeuvre « originale » .    


[35]            On ne peut pas en dire autant de l'écriture Côte d'Or et du bouclier rouge. L'écriture Côte d'Or a changé. L'ancienne écriture était quelque peu « fleurie » et utilisait une police de caractères cursifs évoquant les jours anciens. Je suppose qu'on peut dire que l'écriture en bloc actuelle utilise une police de caractères linéale. Je ne doute pas que le changement de police de caractères, comme partie de la nouvelle image de Côte d'Or, était créatif. Quelques tablettes de chocolat arborant l'ancienne et la nouvelle apparences ont été produites comme pièces. Le papier d'emballage avec « l'ancienne apparence » est un peu rugueux alors que les nouveaux emballages sont sur papier glacé. La nouvelle écriture convient à la « nouvelle image » . Kraft a toutefois pris un droit d'auteur distinct sur l'écriture et je l'examine donc indépendamment. Dans mon esprit et en l'absence d'une preuve d'expert, le changement d'écriture en soi est un simple changement de police de caractères et ne bénéficie pas de la protection du droit d'auteur.

[36]            Quant au bouclier rouge : ce dernier peut être très efficace en liaison avec l'éléphant et l'écriture dans le contexte des marques de commerce. Il m'accroche certainement mieux l'oeil que la couleur plus terne des anciens papiers d'emballage. Toutefois, qu'y a-t-il d'original dans une bande de rouge? Ce n'est pas la Voix de feu de Barnett! À mon avis, il ne s'agit pas d'une oeuvre qui mérite la protection du droit d'auteur.

[37]            Euro Excellence s'en prend à l'ours à l'intérieur d'une montagne de Toblerone en invoquant le fait que la montagne est le Mont Cervin et que l'ours est l'emblème du canton de Berne en Suisse, pays où sont fabriquées les tablettes de chocolat. C'est peut-être le cas, mais tout le monde a le droit de peindre une montagne, un ours, une gare ferroviaire, une cathédrale (Monet?) ou quoi que soit d'autre. En suivant ce raisonnement, seul l'art abstrait serait original. Il ne m'est pas difficile de déclarer que l'oeuvre Toblerone est une oeuvre artistique originale, nonobstant le fait qu'une montagne apparaît sur l'emballage depuis un certain temps.


ALLÉGATIONS DE KRAFT

[38]       Ayant conclu à l'existence d'un droit d'auteur pour l'éléphant de Côte d'Or et l'ours dans la montagne de Toblerone, je vais maintenant examiner la question de la violation du droit d'auteur alléguée par Kraft au vu des défenses d'Euro Excellence.

[39]            À titre de cessionnaire des droits d'auteur en question, Kraft Canada Inc. est la véritable partie intéressée. L'article 36 de la Loi prévoit toutefois que lorsque des procédures sont engagées par une personne autre que le titulaire du droit d'auteur, ce dernier doit être constitué partie à ces procédures, sauf dans certaines circonstances qui ne s'appliquent pas en l'espèce. Ceci explique pourquoi les deux autres sociétés Kraft sont mises-en-cause.

[40]            Conjointement avec l'article 36 de la Loi, l'article 34 permet à Kraft Canada d'exercer tous les recours en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit d'auteur.

[41]            Kraft Canada s'appuie sur le paragraphe 27(2) qui prévoit ce qui suit :

27 (2) It is an infringement of copyright for any person to

(a) sell or rent out,

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

(d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit_:

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), a copy of a work, sound recording or fixation of a performer's performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.

[emphasis added]

a) la vente ou la location;

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en public, dans un but commercial;

d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c);         

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c).

[ non-souligné dans l'original]

[42]            Par lettre en date du 28 octobre 2002, Kraft a, par l'intermédiaire de ses avocats, donné avis à Euro Excellence des droits d'auteurs et licences mentionnés ci-dessus et lui a demandé de cesser immédiatement la promotion, l'offre de vente et la vente au Canada de produits de confiserie Côte d'Or et Toblerone dont l'emballage montre l'une ou l'autre des oeuvres protégées par le droit d'auteur. Euro Excellence a refusé.


[43]            Kraft soutient également que les produits importés et distribués par Euro Excellence ne respectent pas pleinement les exigences canadiennes en matière d'emballage et d'étiquetage, ce qui lui avait valu des plaintes de consommateurs mal renseignés. Toute plainte que reçoit Kraft parce qu'un compétiteur aurait omis de se conformer aux dispositions législatives sur l'étiquetage devrait être adressée ailleurs. De la même manière, la ou les plaintes que lui adressent des consommateurs mécontents ne sont pas pertinentes en l'espèce; elles proviennent probablement du fait que le nom « Kraft » apparaît sur les emballages des tablettes de chocolat distribuées par Euro Excellence. Je ne pense pas que les plaintes découlent de la violation du droit d'auteur sur l'éléphant ou l'ours dans la montagne.

EQUITY

[44]       Euro Excellence adopte la position selon laquelle même si Kraft pouvait par ailleurs exercer les recours prévus à la Loi, elle n'a pas le droit d'obtenir la réparation en equity d'une injonction car elle ne se présente pas devant la Cour en étant sans reproche. Cet argument a deux fondements. L'un est que Kraft Foods Belgium SA a d'abord conclu un contrat de distribution non exclusive, puis un contrat de distribution exclusive avec Euro Excellence, nonobstant le fait que Kraft Canada Inc. était déjà son distributeur contractuel. Après avoir entraîné Euro Excellence dans cette entreprise, il est inéquitable de l'empêcher maintenant de la poursuivre. Le deuxième point est que le seul objectif que visait l'enregistrement du droit d'auteur au Canada, puis la cession des droits à Kraft Canada, était d'élaborer contre elle l'attaque même dont la Cour est présentement saisie. Sur ce dernier point, Kraft Canada aurait bien pu avoir d'autres motifs de conclure une entente de licence, mais je suis disposé à reconnaître qu'Euro Excellence dit vrai.    

[45]            Il n'est pas pertinent que Kraft Canada ait été désignée comme distributrice des produits Côte d'Or en 1990 et qu'elle n'y ait pas donné suite. Si Euro Excellence est d'avis que Kraft Foods Belgium SA est en rupture de contrat, son recours est d'intenter une action en dommages-intérêts. Même si elle a été lésée, elle n'a pas le droit de violer les droits d'auteur appartenant à Kraft Foods Belgium SA et à Kraft Foods Schweiz AG.

[46]            Quant à l'enregistrement du droit d'auteur par Kraft au Canada, Euro Excellence l'a elle-même provoqué. En ce qui me concerne, Kraft ne faisait que veiller à ses affaires. Il n'y a rien de mal à cela.

QUESTIONS D'ORDRE PUBLIC

[47]            Nous abordons maintenant les aspects plus philosophiques de la présente affaire. Euro Excellence soulève une question constitutionnelle relativement à l'alinéa 27(2)e) de la Loi. Il est cependant devenu clair que l'argument n'est pas que l'alinéa 27(2)e) est en soi et par lui-même inconstitutionnel, mais plutôt que cet alinéa doit être interprété de façon restrictive étant donné que la propriété et les droits civils relèvent de la compétence législative provinciale en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), réimprimée dans L.R.C. (1985), App. II, No 5.

[48]            Il vaut la peine de rappeler l'alinéa 27(2)e) qui est rédigé comme suit :

(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, ... alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit_:

...

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c).

27 (2) It is an infringement of copyright for any person to

...

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), a copy of a work ... that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.

[49]            Euro Excellence fait valoir que cette disposition doit se lire conjointement avec le paragraphe 3(1) de la Loi qui prévoit ce qui suit :

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque ...

3. (1) For the purposes of this Act, "copyright", in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever...

Il n'est pas fait mention du droit d'importation. Euro Excellence soutient que le paragraphe 27(2) vise à établir un recours de nature délictuelle, ce qui est bien un sujet de propriété et de droits civils qui relève de la compétence provinciale et qui outrepasse donc la compétence du Parlement.

[50]            Compte tenu de son objet et de son contexte, il faut à mon avis donner pleine force et plein effet au libellé de la Loi. Euro Excellence importe des oeuvres protégées par le droit d'auteur contre la volonté de la société licenciée. Il s'agit d'une infraction prévue à la Loi qui ne touche pas la propriété et les droits civils qui sont du ressort provincial. Comme l'a indiqué le juge en chef Laskin dans l'arrêt Rhine c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, à la page 447 :


Est-il nécessaire d'ajouter qu'on ne peut invariablement attribuer les « contrats » ou les autres créations juridiques, comme les délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial.

Le droit d'auteur est une matière fédérale (Loi constitutionnelle, paragraphe 91(23)).

[51]          Euro Excellence s'appuie également sur l'article 27.1 de la Loi qui a été ajouté en 1997. Cet article prévoit essentiellement que s'il existe, pour un livre, un distributeur exclusif au Canada, constitue une violation du droit d'auteur le fait pour une personne d'importer des exemplaires de ce livre d'un pays où ces exemplaires ont été produits avec le consentement du titulaire du droit d'auteur. Il s'agit exactement de la situation en l'espèce, sauf que les oeuvres en question ne sont pas des livres. Il est ensuite allégué que comme la Loi n'accorde la protection du droit d'auteur qu'aux importateurs exclusifs de livres, il s'ensuit que le distributeur exclusif de tablettes de chocolat ne bénéficie pas de tels droits. Je ne suis pas d'accord.

[52]            Les droits d'un distributeur de livres en vertu de l'article 27.1 ne sont pas subordonnés au fait qu'il soit détenteur d'une licence de droit d'auteur. Kraft Canada est détentrice d'une licence et ses droits en vertu de l'article 27 n'ont en aucune façon été amoindris par l'adoption de l'article 27.1.


[53]            L'approche actuelle en matière d'interprétation législative est qu' [traduction] « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » . (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, paragraphe 26; CCH Canadienne Ltée, précité, paragraphe 9.)

[54]            Depuis l'époque des monarchies en France et en Angleterre, durant lesquelles les restrictions au droit de faire des copies agissaient comme une forme de censure, jusqu'à aujourd'hui, le droit d'auteur confère à son titulaire un monopole sur l'oeuvre. Les idées sont du domaine public, l'oeuvre appartient à son auteur. (CCH Canadienne Ltée, précité, paragraphe 8.) Le libellé et l'histoire favorisent Kraft.

ORDRE PUBLIC - PARTIE II


[55]       Euro Excellence fait valoir que le droit d'auteur sur une oeuvre ne saurait être utilisé pour empêcher la distribution concurrentielle de marchandises, ou du moins, dans des circonstances comme en l'espèce, lorsque les oeuvres protégées par le droit d'auteur ne sont qu'accessoires au produit principal, à savoir le chocolat lui-même. Il y a beaucoup de décisions à ce sujet et de nombreux auteurs ont exprimé une opinion, particulièrement au cours des vingt dernières années. Un jugement traite directement de cette question, à savoir la décision australienne Bailey c. Boccaccio, (1986), 84 F.L.R. 232, rendue par le juge en chef Young de la Cour suprême de New South Wales. Cette affaire portait sur l'importation parallèle en Australie de la liqueur Baileys Original Irish Cream. L'importateur parallèle a introduit dans le marché australien des bouteilles qui étaient plutôt destinées au marché des Pays-Bas. Il distribuait néanmoins le véritable produit. Les parties demanderesses ont invoqué à la fois la marque de commerce et le droit d'auteur pour tenter de mettre un frein à l'importation. Comme en l'espèce, le droit d'auteur portait sur une oeuvre artistique figurant sur l'étiquette.

[56]            Le juge Young a conclu que la Trade-marks Act de l'Australie n'avait pour effet que d'empêcher la vente en Australie de produits qui n'appartenaient pas au propriétaire mais qui étaient marqués comme lui appartenant. Cette loi n'avait pas l'effet d'empêcher l'importation parallèle du produit véritable.

[57]            Le jugement poursuivait en disant que les parties défenderesses, en offrant de vendre, en vendant ou en exposant en vue de la vente des bouteilles avec des étiquettes comportant du matériel protégé par le droit d'auteur, avaient violé le droit d'auteur. Le juge a également fait observer ce qui suit :

[traduction] Il n'est évidemment pas correct de dire qu'aucune transaction commerciale ne pouvait porter sur les bouteilles à cause du droit d'auteur sur l'étiquette; l'étiquette pouvait simplement être enlevée et remplacée par une autre.

[58]            L'influence de cette décision sur la stratégie de Kraft est évidente.

[59]            Euro Excellence souligne que la loi australienne sur le droit d'auteur a été modifiée par la suite de façon à prévoir qu'il n'y a pas violation du droit d'auteur sur une oeuvre si le droit d'auteur porte sur un accessoire de l'article importé. Les accessoires comprennent les étiquettes et l'emballage. Notre loi ne prévoit pas une telle réduction du droit d'auteur.


[60]            Bien qu'elle ne soit évidemment pas impérative, j'estime convaincante la décision dans l'affaire Baileys Irish Cream et je tire la même conclusion en vertu de notre loi. Je ne suis pas disposé à n'utiliser la Loi sur le droit d'auteur que comme pierre de touche pour une fantaisie de mon imagination. Le libellé est clair et le véritable objet de la Loi est d'empêcher la distribution non autorisée d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Il n'y a rien qui s'oppose à ce qu'Euro Excellence remplace les emballages ou dissimule autrement le matériel protégé par le droit d'auteur.


[61]            Comme le droit d'auteur tire son origine de la loi et que les droits et recours que prévoit celle-ci sont exhaustifs (arrêt CCH Canadienne Ltée, précité, paragraphe 9), compte tenu également de mon opinion quant au libellé contraignant de la Loi, il n'est pas vraiment nécessaire de mentionner les arguments mis de l'avant pour déterminer ce que devrait être le droit. Les parties ont toutefois recueilli un tel éventail d'observations que je m'en voudrais de ne pas reconnaître leur travail. J'ai conclu en faveur de Kraft parce je crois y être contraint par la Loi sur le droit d'auteur. Je n'avais pas à exprimer quelque penchant philosophique favorisant soit le libre marché, soit la protection du droit d'auteur. Cela dit, les décisions suivantes semblent appuyer la position de Kraft : Clarke, Irwin & Co. Ltd. c. C. Cole Co. Ltd., (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.); Fly by Nite Music Co. c. Record Wherehouse Ltd., [1975] C.F. 386 (1re inst.); A & M Records of Canada Ltd. et al. c. Millbank Music Corp. Ltd. et al., (1984), 1 C.P.R. (3d) 354 (C.F. 1re inst.); Les Dictionnaires Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. et al., (1987), 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F. 1re inst.). Kraft s'est également appuyée sur la documentation suivante : Duncan C. Card, « Parallel Importation of Copyright Property: A Proposal to Amend the Canadian Copyright Act » (1990) 6 IPJ 97; Harold G. Fox, The Canadian Law of Copyright and Industrial Design, 2nd ed., Toronto, Carswell Thomsom, 1967; W. Lee Webster, « Restraining the Gray Marketer Policy and Practice » (1987) 4:2 C.I.P.R. 211; Warwick A. Rothnie, Parallel Imports, London, Sweet & Maxwell, 1993; W.L. Hayhurst, « Intellectual Property as a Non-Tariff Barrier in Canada, With Particular Reference to "Gray Goods" and "Parallel Imports" » , (1990) 31 C.P.R. (3d) 289.

[62]            En ce qui concerne la doctrine, Euro Excellence a fait référence aux textes suivants : Barry Gamache, « Le Revamping d'une marque de commerce : conséquences d'une variation dans l'emploi » , (2002) 14 CPI 157; Copyright Law Review Committee of Australia, The Importation Provisions of Copyright Act, September 1968, Appendix D - The Importation Provisions of the Copyright Act 1968 - A Historical and Comparative Analysis; W.H. Draper, « Copyright Legislation » , (1901) XVII L.Q.R. 39; Commission royale sur les Brevets, le Droit d'auteur, les Marques de Commerce et les Dessins industriels, « Rapport sur le droit d'auteur » , Ottawa, Edmund Cloutier (1958); J. Finlay, « Copyright Law: An Inappropriate and Ineffective Way to Control Distribution » , dans Copyright Reform, Toronto, Insight Press, 1996, sous la direction de H. Knopf; Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, reproduit à l'Annexe 1 C de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation Mondiale du Commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994.


[63]            Euro Excellence a mentionné une décision qui mérite une attention particulière : Consumers Distributing Co. c. Seiko Time Canada Ltd. et al., [1984] 1 R.C.S. 583. Seiko Canada, distributrice agréée des montres Seiko au Canada, a introduit une action visant à empêcher Consumers Distributing de vendre ces montres au Canada. Cette dernière société vendait des montres Seiko légalement obtenues à l'extérieur du Canada par l'intermédiaire d'un concessionnaire agréé dans le pays où elles avaient été achetées. La Cour a donné gain de cause à Consumers Distributing. Il ne s'agissait pas de passing off et Seiko Canada n'était pas propriétaire des marques de commerce. La question du droit d'auteur n'était pas en cause. En fait, cet arrêt illustre la raison pour laquelle Kraft a choisi d'emprunter la voie du droit d'auteur.

INJONCTION

[64]       Je ne vois par conséquent aucune raison de refuser la réparation par voie d'injonction demandée par Kraft concernant l'oeuvre protégée par droit d'auteur figurant sur les papiers d'emballage des tablettes de chocolat et sur les listes de prix distribuées par Euro Excellence. Cependant, dans le but de maintenir une apparence de paix et d'ordre, je n'exigerai pas qu'Euro Excellence rappelle les produits dont elle n'a plus le contrôle. Je ne demanderai pas non plus à Euro Excellence de remettre ses stocks à Kraft. Il convient de prononcer une ordonnance pour empêcher que le produit ne constitue une contrefaçon du droit d'auteur. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre à ce sujet, je suis disposé à émettre des directives.


DOMMAGES-INTÉRÊTS

[65]       J'estime de même que Kraft Canada Inc. a droit à des dommages-intérêts sous la forme d'une reddition de comptes et du paiement des profits d'Euro Excellence découlant de la vente de produits comportant les oeuvres Côte d'Or et Toblerone protégées par droit d'auteur, et ce, à compter du 29 octobre 2002. L'article 35 de la Loi prévoit que quiconque viole le droit d'auteur est passible de payer les dommages-intérêts subis du fait de cette violation et, en sus, la proportion des profits ainsi réalisés et qui n'ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts.

[66]            Kraft n'a pas vraiment tenté de faire la preuve de dommages-intérêts spéciaux mais elle demande un pourcentage des ventes brutes des produits en question effectuées par Euro Excellence. En vertu de l'article 35, Kraft n'était tenue que d'établir les revenus provenant de la violation. Il incombait ensuite à Euro Excellence de prouver chaque élément du coût. Euro Excellence n'a tenté de prouver aucun élément du coût.


[67]            L'article 35 traite des profits provenant de la violation. Ni l'une ni l'autre des parties n'a produit d'éléments de preuve concernant ce qu'auraient pu être les ventes brutes si ces tablettes de chocolat avaient été vendues sans l'éléphant et sans l'ours dans la montagne. Nonobstant des techniques commerciales tapageuses, le goût finit par l'emporter (on ne peut tirer de la farine d'un sac de son). Les parties l'ont reconnu. Les ventes brutes d'Euro Excellence ont été divulguées dans le cadre d'une ordonnance de confidentialité et les parties ont convenu que si des dommages-intérêts étaient accordés, ceux-ci devraient être de l'ordre d'un pourcentage convenu des ventes brutes. Ayant cela à l'esprit, je fixe les dommages-intérêts dus à Kraft Canada Inc. à 300 000 $.

[68]            L'article 38.1 de la Loi donne au titulaire du droit d'auteur le droit de choisir de recouvrer des dommages-intérêts préétablis pour toutes les violations, au lieu des dommages-intérêts et des profits mentionnés ci-dessus. Les dommages-intérêts préétablis qui sont accordés pour toutes les violations relatives à une oeuvre donnée s'élèvent généralement à au moins 500 $ et à 20 000 $ au plus. Au cours des plaidoiries, Kraft a choisi les dommages-intérêts et profits suivant l'article 35 de la Loi plutôt que des dommages-intérêts préétablis.

[69]            Bien que Kraft ait également demandé des dommages punitifs, je ne suis pas disposé à accorder de tels dommages en l'espèce. Même si elle n'a pas obtenu gain de cause, Euro Excellence a soulevé en défense des points très difficiles et très importants. Sa conduite n'est pas telle qu'il faudrait la punir en plus de la réparation par voie d'injonction; les dommages-intérêts devraient être calculés conformément à la Loi.

INTÉRÊTS ET DÉPENS


[70]       La question de l'intérêt avant et après jugement est régie par les article 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée. Comme le fait générateur de l'action de Kraft n'est pas survenu dans une province spécifique, je peux établir le taux d'intérêt que j'estime raisonnable dans les circonstances. Aucune preuve spéciale n'a été présentée. Je crois juste et raisonnable d'accorder à Kraft un taux d'intérêt simple avant jugement de cinq pour cent, le taux légal établi dans la Loi sur l'intérêt, L.R.C. 1985, ch. I-15.

[71]            En exerçant mon pouvoir discrétionnaire pour fixer le taux d'intérêt après jugement, je devrais tenir compte du fait que la présente décision peut être portée en appel et que l'affaire pourrait durer quelques années, et que les taux d'intérêt pourraient varier de temps à autre. J'estime approprié que le taux d'intérêt sur la créance reconnue par jugement (dommages-intérêts plus intérêt avant jugement) soit calculé au taux préférentiel commercial moyen des banques canadiennes majoré de un pour cent, à compter de la date du jugement jusqu'au moment du paiement. Si les parties ne peuvent pas parvenir à s'entendre, l'intérêt sera calculé au taux préférentiel commercial de la Banque de Montréal.

[72]            Kraft Canada Inc. a également droit aux dépens.

                                                                           « Sean Harrington »     

                                                                                                     Juge               

Montréal (Québec)

Le 3 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      T-1821-02

INTITULÉ :                                                    KRAFT CANADA INC.

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

- et -

EURO EXCELLENCE INC.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LES 29 ET 30 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 3 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Timothy M. Lowman                                         POUR LES DEMANDERESSES

Arthur B. Renaud                                             

Pierre-Emmanuel Moyse                                                POUR LA DÉFENDERESSE

François Boscher

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SIM, HUGHES, ASHTON & McKAY LLP    POUR LES DEMANDERESSES

TORONTO (ONTARIO)

FRANÇOIS BOSCHER                                              POUR LA DÉFENDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)



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