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     Date : 19981006

     Dossier : IMM-596-98

Entre :

     CARLOS ARTURO CEPEDA-GUTIERREZ,

     MAYELO IVONNE MACIAS DE CEPEDA,

     ARTURO ITZHAK CEPEDA-MACIAS,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      Introduction

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale dans laquelle le demandeur principal demande à la Cour d'infirmer une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la section du statut) en date du 19 janvier 1998, par laquelle sa revendication du statut de réfugié a été refusée au motif qu'il avait une possibilité de refuge au Mexique en dehors de la ville de Mexico. Les autres demandeurs sont sa femme et son fils, dont les revendications du statut de réfugié ont été refusées en même temps que celle du demandeur principal.

[2]      Le demandeur principal s'appuie sur l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui dispose que la Cour peut infirmer une décision au motif que l'office fédéral en cause :

     " a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ; "         

Il allègue en particulier qu'en omettant de faire référence dans ces motifs à certains éléments de preuve dont elle était saisie, la section du statut a tiré des conclusions de fait concernant la possibilité de refuge au Mexique qui sont erronées et qui ne tiennent pas " compte des éléments dont [elle disposait] ".

[3]      Les revendications des autres demandeurs, qui se fondent également sur le lien de parenté avec le demandeur principal, seront accueillies ou rejetées en fonction de la revendication du demandeur principal. Il n'est pas nécessaire pour les fins des présents motifs de les analyser en détail.

B.      Les faits

[4]      Le demandeur est un citoyen mexicain qui, à son arrivée au Canada, le 14 septembre 1996, a revendiqué le statut de réfugié, alléguant qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier (un syndicat de chauffeurs de taxi). La section du statut a conclu qu'à l'époque où il conduisait un taxi à Mexico, le demandeur avait été battu et avait reçu des menaces de violence en 1995 et 1996 de la part de la police judiciaire fédérale, qui est le service de police responsable de la ville de Mexico, et de personnes inconnues qui étaient montées dans son taxi. Son taxi a été volé et vandalisé, et son épouse et lui ont été volés à plusieurs reprises. Le demandeur fait valoir que ses problèmes découlent de ce qu'il refusait de remettre à des officiers corrompus un pourcentage de ses gains quotidiens, et du fait qu'il a adhéré au syndicat des chauffeurs de taxi formé pour s'opposer à des demandes de ce genre.

[5]      En mai 1996, il s'est installé dans la maison d'un ami dans la ville de Toluca, à l'extérieur du district de la police judiciaire fédérale, où il est demeuré jusqu'au mois d'août de la même année. Pendant cette période, selon le témoignage du demandeur, il a vu à environ cinq reprises à l'extérieur de la maison des voitures avec des glaces teintées du genre de celles qui sont souvent utilisées par la police. Craignant d'être toujours recherché par la police, il est revenu à Mexico, où il a été arrêté par la police judiciaire fédérale, qui lui a pris son argent et l'a menacé de l'assassiner s'il ne disparaissait pas. Il a déposé une plainte auprès de la Commission nationale des droits de la personne contre la police judiciaire fédérale au sujet de cet incident et peu après il a quitté son pays pour le Canada.

[6]      Le demandeur a fourni une preuve documentaire au sujet de l'étendue et de la nature de la corruption des autorités, et de la violence qui l'accompagne, et qui est source de graves problèmes sociaux et de respect des droits de la personne au Mexique. Il prétend que le gouvernement municipal est en fait dirigé par des représentants du gouvernement national, et que l'influence du parti au pouvoir, le Partido Revolucionario Institucional (PRI), se fait sentir dans tous les organismes gouvernementaux du Mexique. Donc, même si l'industrie du taxi dans la ville de Mexico est officiellement dirigée par les représentants municipaux, ceux-ci reçoivent leurs ordres des dirigeants au niveau national. Pour illustrer la violence qui est endémique dans l'industrie du taxi, le demandeur a déclaré dans sa formule de renseignements personnels qu'en mai 1996 35 chauffeurs de taxi ont été assassinés à Mexico, dont 20 travaillaient au même endroit que lui.

[7]      Dr Pilowsky, psychologue, que le demandeur et sa femme ont consulté à Toronto, a déclaré qu'à son avis le demandeur souffrait du syndrome de stress post-traumatique, syndrome que l'on retrouve fréquemment chez les victimes de persécution. Elle ajoute que, bien que l'état de santé du demandeur se soit amélioré depuis son arrivée au Canada, les symptômes, notamment la dépression, les crises d'angoisse, l'insomnie et l'apathie, sont susceptibles de se reproduire s'il retourne au Mexique, [TRADUCTION] " le site du facteur de stress traumatique " pour citer le rapport que le Dr Pilowsky a préparé pour l'avocat des demandeurs. Le Dr Pilowsky a également indiqué que Mme Cepeda souffrait de crises d'angoisse et de cauchemars post-traumatiques. Pour ces deux personnes, selon le Dr Pilowsky, le retour au Mexique représenterait une [TRADUCTION] " expérience extrêmement traumatisante ".

C.      La décision de la Commission

[8]      Il importe de souligner que dans ses motifs la section du statut a déclaré que les demandeurs étaient crédibles, et a statué qu'ils avaient une crainte fondée d'être persécutés dans la ville de Mexico. Toutefois, comme je l'ai déjà indiqué, la section du statut a rejeté la revendication du statut de réfugié au Canada parce que les demandeurs avaient une possibilité de refuge au Mexique, et donc qu'ils n'étaient pas visés par la définition de réfugié au sens de la Convention. Appliquant le double critère établi dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.) pour déterminer s'il existait une possibilité de refuge ailleurs au Mexique, la section du statut a conclu, d'après la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne risquaient pas sérieusement d'être persécutés à l'extérieur de Mexico, et qu'il n'était pas autrement déraisonnable de leur demander de vivre ailleurs au Mexique.

[9]      La section du statut a fondé sa conclusion selon laquelle les demandeurs n'avaient pas de raison de craindre d'être persécutés à l'extérieur de Mexico sur le fait que c'est dans cette ville que les incidents à l'origine de leur crainte s'étaient produits, et que les demandeurs n'avaient produit aucun élément de preuve attestant que les forces policières à l'extérieur du district fédéral avaient persécuté le demandeur principal. En outre, la section du statut a signalé que le fait que la Commission nationale des droits de la personne ait transmi la plainte à la Commission responsable du district fédéral était une preuve de la nature essentiellement locale des inquiétudes du demandeur principal.

[10]      La section du statut a ensuite abordé la prétention selon laquelle, même si le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à l'extérieur de Mexico, il n'était pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que les demandeurs s'établissent ailleurs au Mexique, et que cela constituait donc une possibilité de refuge à l'intérieur du même pays. En particulier, la section du statut a déclaré ceci :

         [TRADUCTION]                 
         La formation est d'avis que cela ne constituerait pas un préjudice indu pour les revendicateurs de déménager. Ils sont tous les deux jeunes et la femme du demandeur est une enseignante diplômée. La formation croit que les qualifications du demandeur comme chauffeur de taxi lui donne des compétences qui peuvent facilement être transférées ailleurs. La formation ne croit pas aller jusqu'à nier un droit humain fondamental quand elle s'attend à ce que le demandeur renonce à conduire un taxi pour éviter tout lien possible avec les différents syndicats de chauffeurs de taxi. Le demandeur n'a fourni aucun indice qui puisse laisser croire qu'il a l'intention de reprendre ses activités syndicales s'il retourne au Mexique.                 

D.      Les questions en litige

[11]      Le demandeur ne conteste pas la manière dont la Commission a formulé les critères juridiques applicables pour déterminer s'il avait une possibilité de refuge à l'intérieur du Mexique, et qu'il n'était donc pas un réfugié au sens de la Convention. Il n'allègue pas non plus que, d'après la preuve dont elle était saisie, les conclusions de fait de la Commission, selon lesquelles le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à l'extérieur de Mexico et qu'il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'il s'établisse ailleurs au Mexique, ont été prises d'une manière abusive ou arbitraire. Il prétend plutôt que, parce que la Commission a négligé de traiter dans son refus de la preuve du demandeur concernant le fait qu'il croyait avoir vu des véhicules de police à l'extérieur de la maison située à Toluca où il est demeuré au printemps et à l'été de 1996, la conclusion qu'elle a tirée selon laquelle, d'après la prépondérance des probabilités, le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à l'extérieur de la ville de Mexico était erronée et avait été prise " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ".

[12]      Le demandeur conteste de la même manière la conclusion de la Commission selon laquelle cela ne représenterait pas un préjudice indu que de le renvoyer au Mexique ; comme la Commission n'a fait dans ses motifs aucune référence au témoignage du Dr Pilowsky indiquant que, s'il est forcé de rentrer au Mexique, les symptômes du syndrome de stress post-traumatique sont susceptibles de se reproduire, sa conclusion de fait est erronée et a été prise sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[13]      Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

     1.      La section du statut a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en déclarant que le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté ailleurs au Mexique, et cette conclusion de fait a-t-elle été tirée sans tenir compte des éléments dont la formation disposait, dans la mesure où les motifs de la décision ne font aucune mention de la preuve établissant que le demandeur avait vu des voitures de police à l'extérieur de la maison de Toluca où il demeurait ?
     2.      La section du statut a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en déclarant qu'il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur s'installe ailleurs au Mexique, à l'extérieur de la ville de Mexico, et cette conclusion de fait a-t-elle été tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait, dans la mesure où la section du statut n'a pas mentionné dans ses motifs la preuve des répercussions psychologiques négatives dont pourrait souffrir le demandeur s'il était renvoyé au Mexique ?

E.      Analyse

[14]      Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] " : voir, par exemple, Rajapakse c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. nE 649 (C.F. 1re inst.) ; Sivasamboo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.).

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

Première question : Le demandeur risque-t-il sérieusement d'être persécuté ?

[18]      La première question à trancher est donc de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que, d'après la prépondérance des probabilités, le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté au Mexique en dehors de la ville de Mexico. La section du statut a décidé que, d'après la preuve dont elle était saisie, les menaces auxquelles faisait face le demandeur étaient de nature strictement locale, et qu'une fois qu'il aurait quitté le ressort de la police judiciaire fédérale, il n'aurait plus de raison de craindre que sa famille ou lui-même soient victimes d'autres actes de violence en raison de ses activités syndicales et d'autres formes de résistance aux demandes des officiers corrompus.

[19]      La Commission a fondé sa conclusion sur la preuve suivante. Premièrement, elle a noté que l'industrie du taxi relevait de l'autorité du gouvernement local, qui était la source des difficultés du demandeur, et que, par conséquent, dès qu'il aurait quitté ce ressort, le demandeur n'aurait plus rien à craindre. Toutefois, cette conclusion peut être mise en doute à la lumière de la preuve dont était saisie la Commission, qui n'a pas été contredite, et qui indique que les représentants du gouvernement central, par l'entremise du parti au pouvoir, le PRI, exerce une influence considérable sur les affaires qui relèvent officiellement du contrôle municipal : le réseau de corruption qui mine les secteurs de la vie publique au Mexique ne respecte pas le partage juridique des pouvoirs entre les différents paliers de gouvernement.

[20]      La Commission s'est également appuyée sur le fait que la police d'État est une autorité distincte et qu'il n'y a pas raison de penser qu'une personne comme le demandeur, dont le nom ne figurait pas sur une liste officielle de " personnes recherchées ", ferait face au même genre de difficultés avec les membres des forces policières à l'extérieur du district fédéral. Toutefois, la preuve du demandeur selon laquelle il a vu à l'extérieur de la maison de Toluca des voitures avec des glaces teintées semblables à celles qui sont souvent utilisées par les forces policières n'a pas été contredite. C'est là un indice que la Commission a peut-être conclu par erreur qu'un citoyen respectueux de la loi au Mexique qui a été battu, menacé et qui a été victime par ailleurs de harcèlement pour s'être opposé aux demandes des représentants corrompus d'un corps de police n'a rien à craindre des membres d'autres forces policières. Par ailleurs, il faut également noter que le fait que le demandeur ait été suivi par la police jusqu'à Toluca, qui se trouve dans l'État du Mexique à une centaine de milles de la ville de Mexico, ne prouve pas nécessairement qu'il ne serait pas en sécurité s'il devait s'éloigner davantage de la capitale. Le Mexique, comme l'avocat du défendeur l'a rappelé, est un très grand pays, et le nom du demandeur ne figure pas dans les dossiers informatisés de la police nationale.

[21]      La Commission a inféré que, parce que la plainte du demandeur déposée auprès de l'organisme national des droits de la personne au sujet de l'incident de brutalité policière qui s'est produit en août 1996 avait été transférée à l'organisme du district fédéral, la question était de nature purement locale. La Commission n'était saisie d'aucune preuve à cet effet, et ce fait pourrait s'expliquer d'une manière tout aussi plausible par le fait que, puisque la plainte concernait un membre de la police judiciaire fédérale, elle relevait de la compétence de l'organisme des droits de la personne du district fédéral. Autrement dit, le fait que l'organisme national ait transféré la plainte n'est pas nécessairement une indication de l'importance des préoccupations que la plainte a soulevées.

[22]      Néanmoins, même si je ne pense pas que j'en serais parvenu à la même conclusion que la section du statut sur cette question, d'après l'ensemble de la preuve, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur manifeste quand elle a conclu, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à l'extérieur de la ville de Mexico et, peut-être, d'autres villes, comme Toluca, dans l'État du Mexique. Il n'est donc pas nécessaire de me demander si la Commission a tiré sa conclusion " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ".

2.      Est-il déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur s'installe ailleurs au Mexique ?

[23]      Le demandeur a également contesté la conclusion de la Commission selon laquelle cela ne représenterait pas un préjudice indu de s'attendre à ce qu'il s'installe avec sa famille dans une autre partie du Mexique. L'avocat du ministre a signalé à mon attention des cas dans lesquels il a été statué qu'il n'était pas déraisonnable d'exiger d'une personne qu'elle vive dans une autre partie de son pays de citoyenneté où elle n'a ni amis ni parents, et où le climat peut être moins favorable, et où elle devra peut-être se chercher un autre type d'emploi : voir, par exemple, Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 163 N.R. 232, 236-237 (C.A.F.). Mais je n'ai pas compris pourquoi l'avocat a soutenu qu'il serait raisonnable pour une personne d'être tenue de retourner dans un pays, malgré les graves répercussions défavorables que ce retour aurait sur sa santé psychologique, par exemple la persistance des symptômes du syndrome de stress post-traumatique. Le débat a plutôt porté sur la question de savoir si, d'après l'ensemble de la preuve fournie dans la présente affaire, la section du statut avait tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ".

[24]      Dans son témoignage, qui n'a pas été contredit, le Dr Pilowsky a décrit les symptômes du demandeur et a conclu de la façon suivante :

         [TRADUCTION]                 
         D'après mon avis médical, après avoir examiné les données cliniques qui résultent de l'entrevue et après avoir analysé les résultats des tests, je conclus que M. Cepeda souffre actuellement de symptômes du syndrome de stress post-traumatique [...] Ce client souffrait probablement de toute la gamme des symptômes du SSPT pendant qu'il se trouvait au Mexique, mais il semble que certains de ces symptômes, comme ses cauchemars, se sont atténués depuis qu'il est au Canada.                 
         Les symptômes du client sont le résultat direct des expériences traumatiques qu'il a connues au Mexique étant donné qu'il n'avait jamais éprouvé de problèmes psychologiques auparavant [...]                 
         Le syndrome de stress post-traumatique est un état qui est très susceptible de s'intensifier et de reprendre de la vigueur si la personne qui en souffre est exposée à des stimulis qui lui rappellent le traumatisme original. Par conséquent, d'après mon avis professionnel, si M. Cepeda était forcé de retourner au Mexique, qui est le site du facteur de stress traumatique, il subirait un nouveau traumatisme et son état psychologique s'aggraverait.                 
         Si on permet à ce client de demeurer au Canada, ses chances de rétablissement sont plus prometteuses, particulièrement une fois que l'angoisse engendrée par la tenue de cette audience se sera dissipée.                 

[25]      On n'a pas demandé au Dr Pilowsky pourquoi il serait de nouveau traumatisant d'exiger que le demandeur retourne dans une partie du Mexique où il n'a pas subi de persécution. Peut-être n'a-t-elle pas envisagé cette possibilité parce qu'on ne lui en a pas expressément fait part. Peut-être dirait-elle que, même si le demandeur n'a été victime de persécution que dans la ville de Mexico, sa conviction qu'il était recherché par la police quand il se trouvait à Toluca est susceptible de faire en sorte qu'il associera le facteur de stress traumatique à toutes les forces judiciaires, qu'il s'agisse de la police d'État ou de la police fédérale. Qui plus est, le témoignage du demandeur indiquant qu'il craint les autorités nationales, et qu'il croit que l'influence des officiers corrompus s'étend par l'entremise du PRI jusqu'au niveau du gouvernement local suggère également que la source psychologique de son stress n'est peut-être pas limitée à la ville de Mexico.

[26]      Bien entendu, nous ne savons pas comment le Dr Pilowsky définirait l'emplacement précis du site du facteur de stress traumatique pour le demandeur. Néanmoins, à la lumière de la preuve psychologique dont elle était saisie, la section du statut a commis une erreur en concluant que cela ne représenterait pas un préjudice indu pour le demandeur que de s'installer au Mexique ailleurs que dans la ville de Mexico. Le fait que la section du statut ait conclu que, à d'autres égards, il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur retourne au Mexique - par exemple pour ce qui a trait aux possibilités d'emploi du demandeur et de son épouse - ne diminue pas le fait que Dr Pilowsky prédit l'effet que son retour au Mexique est susceptible d'avoir sur son état psychologique. En fait, certains des symptômes, comme la dépression, les cauchemars et un sentiment de détachement, sont susceptibles de faire en sorte qu'il aura beaucoup plus de difficulté à se chercher un emploi nouveau et différent en y mettant toute l'énergie et la motivation que cela exige.

[27]      Finalement, je dois me demander si la section du statut a tiré cette conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ". À mon avis, la preuve était si importante pour la cause du demandeur que l'on peut inférer de l'omission de la section du statut de la mentionner dans ses motifs que la conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de cet élément. Il est d'autant plus facile de tirer cette inférence parce que la Commission a traité dans ses motifs d'autres éléments de preuve indiquant que le retour à Mexico ne constituerait pas un préjudice indu. L'affirmation " passe-partout " selon laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve dont elle était saisie n'est pas suffisante pour empêcher de tirer cette inférence, compte tenu de l'importance de cette preuve pour la revendication du demandeur.

[28]      Ma conclusion à cet égard est appuyée par la décision du juge Richard (devenu depuis juge en chef adjoint) dans l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 226 (C.F. 1re inst.), où l'omission de la section du statut de mentionner un rapport psychologique pertinent et crédible quant à savoir s'il était raisonnable d'obliger un demandeur du statut de réfugié à retourner dans son pays d'origine a été considérée comme une erreur de droit. Il y a cependant d'autres cas où l'omission de discuter de rapports semblables n'a pas porté atteinte à la décision : Jhutty c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. nE 763 (C.F. 1re inst.) ; Canizalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. nE 1492 (C.F. 1re inst.) ; Randhawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. nE 749 (C.F. 1re inst.). Toutefois, dans ces affaires, contrairement à l'espèce, la Commission avait au moins mentionné expressément le rapport, de façon à justifier l'inférence qu'elle en avait tenu compte.

F. Conclusion

[29]      Par conséquent, la décision rejetant les revendications du statut de réfugié des demandeurs est infirmée, et l'affaire est renvoyée à une formation différente de la section du statut pour déterminer, selon le droit, et à la lumière des présents motifs, s'ils sont des réfugiés au sens de la Convention selon la définition qui en est donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

                         " John M. Evans "

                                     Juge

TORONTO (ONTARIO)

le 6 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NE DU GREFFE :                      IMM-596-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              CARLOS ARTURO CEPEDA-GUTIERREZ
                             MAYELO IVONNE MACIAS DE CEPEDA
                             ARTURO ITZHAK CEPEDA-MACIAS
                             - et -
                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE VENDREDI 18 SEPTEMBRE 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE EVANS
DATE :                          LE MARDI 6 OCTOBRE 1998
ONT COMPARU :                      Douglas Lehrer
                                 pour le demandeur
                             Brian Frimeth
                                 pour le défendeur
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Vandervennen Lehrer
                             Avocats et procureurs
                             45, rue Saint-Nicholas
                             Toronto (Ontario)
                                 pour le demandeur
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur

                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                      Date : 19981006
                                                      Dossier : IMM-596-98
                                                 Entre :
                                                 CARLOS ARTURO CEPEDA-GUTIERREZ,
                                                 MAYELO IVONNE MACIAS DE CEPEDA,
                                                 ARTURO ITZHAK CEPEDA-MACIAS,
                                                      demandeurs,
                                                 - et -
                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                                      défendeur.
                                                
                                                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                                                
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