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Date : 19991116


Dossier : T-2432-97

    

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 NOVEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

     AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, à l'égard d'une
     décision du registraire datée du 10 septembre 1997 rejetant l'opposition de
     Garbo Creations Inc. à la demande de marque de commerce canadienne
     no 708,840 visant la marque GRETA GARBO et le dessin déposés par
     Harriet Brown & Company Inc.

ENTRE :

     GARBO GROUP INC.,

     (appelante),

     - et -

     HARRIET BROWN & COMPANY INC. et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     (intimés).

     JUGEMENT


     L'appel est rejeté. Les parties disposent de 14 jours à compter de la date de la présente décision pour présenter des prétentions écrites concernant l'adjudication des dépens.

                             " John M. Evans "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.



Date : 19991116


Dossier : T-2432-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, à l'égard d'une
     décision du registraire datée du 10 septembre 1997 rejetant l'opposition de
     Garbo Creations Inc. à la demande de marque de commerce canadienne
     no 708,840 visant la marque GRETA GARBO et le dessin déposés par
     Harriet Brown & Company Inc.

ENTRE :

     GARBO GROUP INC.,

     (appelante),

     - et -

     HARRIET BROWN & COMPANY INC. et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     (intimés).


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE EVANS

A.      INRODUCTION

[1]          Depuis 1984, Garbo Group Inc., ou son prédécesseur, Garbo Creations Inc., vend dans des magasins de détail partout au Canada un éventail de biens succinctement appelés [TRADUCTION] " accessoires de mode féminine ". Entre 1984 et 1991, on a étendu cette gamme de marchandises de sorte qu'elle comprenne des bijoux (précieux, semi-précieux et de fantaisie), des accessoires pour cheveux, des agrafes pour vestons, des sacs à main et des ceintures.



[2]          Garbo Group est propriétaire des marques de commerce déposées DESSIN GARBO, T.G.I.F. BY GARBO et GARBO qu'elle emploie en liaison avec certaines de ses marchandises. Les marques ont été enregistrées en 1988, 1993 et 1995 respectivement. Je désignerai ces marques collectivement par l'expression " marques GARBO ".



[3]          En 1992, Harriet Brown & Company Inc. a présenté une demande en vue d'enregistrer la marque GRETA GARBO qu'elle se proposait d'employer au Canada en liaison avec des produits de beauté et des articles de toilette ainsi que des lunettes et des accessoires, dont des lunettes de soleil. Garbo Group s'est opposée à cet enregistrement au motif qu'il y avait une probabilité raisonnable de confusion entre la marque proposée GRETA GARBO et les marques et les noms commerciaux GARBO.



[4]          M. G.W. Partington, président de la Commission des oppositions des marques de commerce, a rejeté l'opposition dans une décision rendue en septembre 1997. Il est arrivé à la conclusion qu'il n"y avait pas de probabilité raisonnable de confusion, principalement en raison de la différence entre les marchandises visées par les marques existantes et la marque proposée, d'une part, et des voies commerciales distinctes qu'emprunteraient normalement ces marchandises, de l'autre.

[5]      Garbo Group a interjeté appel de cette décision en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, en alléguant que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu à l'absence de probabilité raisonnable de confusion entre la marque proposée et les marques déposées de l'appelante. Cette dernière a déposé, au soutien de l'appel, des affidavits qui n'ont pas été présentés à la Commission. L'intimée a fait de même.

[6]      L'issue de la présente affaire dépend de la réponse qu'il faut donner à la question suivante : lorsque les consommateurs moyens de la population visée ayant un souvenir imprécis voient le nom " Greta Garbo " sur les marchandises de la demanderesse, risquent-ils raisonnablement de penser que ces marchandises proviennent de la même source que celles qui sont déjà mises en vente par l'appelante sous les marques de commerce GARBO?

[7]      Pour répondre à cette question, il est important de garder à l'esprit que le droit des marques de commerce a pour objets connexes de protéger les consommateurs des pratiques de nature à les tromper quant à la source des marchandises, et de protéger l'intérêt des commerçants par la désignation de leurs marchandises ou services dans une mesure compatible avec une concurrence loyale.

[8]      Bien que je suppose que la décision en cause a été prise par M. Partington dans l'exercice des pouvoirs que lui a délégués le registraire en application du paragraphe 63(3), je désignerai, dans les présents motifs, la décision visée par l'appel comme étant celle du registraire.

B.      LES FAITS

[9]      Gary Grundman est président de Garbo Group Inc. Dans son affidavit signé en novembre 1997 pour les besoins du présent appel, il déclare que, pour les quatre années précédentes, les ventes totales de la société ayant trait aux marchandises visées par les marques GARBO ont excédé dix millions de dollars. La meilleure année a été celle de 1994 au cours de laquelle les ventes ont totalisé un peu moins de quatre millions de dollars; elles ont par la suite diminué de façon marquée, mais il y a eu un redressement en 1997, les ventes ayant alors atteint plus de deux millions de dollars.

[10]      Il a également affirmé que ces marchandises étaient vendues à 3000 clients et se trouvaient dans 600 magasins, dont les principaux grands magasins comme La Baie, Eaton, Sears et Zellers, de même que dans des magasins moins importants qui vendent plus particulièrement des bijoux ou des articles de mode féminine. La société a dépensé plus d'un million de dollars en publicité, notamment pour des annonces placées dans des revues de mode à tirage national.

[11]      M. Grundman a en outre précisé que le terme GARBO est un mot inventé à partir des premières lettres des prénoms des dirigeants de la société, savoir Gary et Bonnie Grundman. Que ce terme ait ou non également visé à évoquer dans l'esprit des clients la défunte Greta Garbo, légendaire actrice de cinéma des années 30 et du début des années 40 qui est par la suite devenue une recluse célèbre et mystérieuse, n'aurait aucune pertinence directe en l'espèce. Cependant, comme l'a laissé entendre l'avocat de l'appelante lors du débat, le fait que les Grundman aient choisi le terme GARBO comme marque de commerce pour leurs accessoires de mode, plutôt qu'une autre combinaison de lettres de leur prénom, BONGA par exemple, n'était peut-être pas entièrement arbitraire.

[12]      Harriet Brown & Company est une société fermée. Ses dirigeantes sont les filles d'une nièce de Greta Garbo. Selon le testament de sa tante, cette nièce a obtenu les droits liés au nom et au personnage de Greta Garbo, droits qu'elle a par la suite cédés à ses filles.

[13]      Harriet Brown entend employer comme sa marque les termes " Greta Garbo " écrits en cursive. Garbo Group utilise comme une de ses marques le mot GARBO, également écrit en cursive, mais dont l'apparence est très différente de celle proposée par Harriet Brown.





C.      CADRE LÉGISLATIF

[14]      Pour les besoins du présent appel, les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce sont particulièrement pertinentes :

6.(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.



56.(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.


(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

    

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

D.      QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

     1. Questions préliminaires

         a) Norme de contrôle

[15]      Il est généralement admis que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le registraire est celle de la décision correcte. Toutefois, compte tenu des connaissances spécialisées du registraire et des personnes auxquelles il a délégué ses pouvoirs décisionnels en vertu du paragraphe 63(3), ces décisions ne peuvent être écartées à la légère puisqu'il s'agit de conclusions de fait qui relèvent directement de leur compétence spécialisée, comme la question de savoir si la marque proposée risque vraisemblablement de causer de la confusion. Cependant, lorsque d'importants éléments de preuve qui n'avaient pas été fournis au registraire sont présentés dans le cadre de l'appel, il y a lieu de donner moins de poids aux conclusions qu'il a tirées : voir les décisions Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 494 (C.F. 1re inst.); United States Polo Association c. Ralph Lauren Corporation (C.F. 1re inst.; T-1881-93; T-193-95; T-189-96; 8 mars 1999).

[16]      À mon avis, la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par le registraire quant à la confusion doit être reformulée de manière à tenir compte de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, élaborée par la récente jurisprudence en matière de droit administratif, afin de déterminer la norme de contrôle appropriée pour trancher la question en litige. Je m'engage dans cet exercice en suivant la voie déjà tracée par le juge Lutfy dans la décision Young Drivers of Canada c. Chan (C.F. 1re inst.; T-636-97; 30 août 1999). Or, il se pourrait bien qu'en bout de ligne le résultat de l'analyse diffère relativement peu de la pratique habituellement suivie par la Cour.

[17]      Les facteurs suivants sont pertinents pour apprécier l'intention du législateur quant à la norme de contrôle applicable à l'égard d'une conclusion tirée par le registraire en ce qui a trait à la probabilité raisonnable de confusion.

[18]      Il faut d'abord examiner le libellé du texte législatif constitutif. En l'espèce, il importe de signaler que le paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit un droit d'appel à la Cour de la décision du registraire, et qu'il n'impose aucune restriction quant à la portée de ce recours. De fait, le paragraphe 56(5) autorise expressément les parties, lors de l'appel, à apporter une preuve en plus de celle qui a été fournie à l'instance décisionnelle administrative et permet à la Cour d'exercer tout pouvoir discrétionnaire dont le registraire est investi. Cependant, comme la vraisemblance de confusion est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, et non de discrétion, cette dernière disposition n'est pas pertinente au regard du présent appel.

[19]      La recevabilité d'éléments de preuve additionnels dans le cadre d'un appel aux termes du paragraphe 56(5) laisse croire à l'existence d'une compétence étendue en matière d'appel, et d'une norme de contrôle qui se rapprocherait davantage de la norme de la décision correcte. Or, il ne s'agit pas d'un droit d'appel aussi large que celui visant les tribunaux de droits de la personne qui est examiné dans les arrêts La Commission ontarienne des droits de la personne c. La municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 211; Dickason c. Université de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, p. 1126; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321.

[20]      Dans ces arrêts, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme de la décision correcte à l'égard des conclusions de fait tirées par le tribunal et de son appréciation des conséquences juridiques de ces faits parce qu'il était expressément prévu que le droit d'appel portait sur des questions de fait ou de droit. On a ordonné à la cour d'appel de substituer son opinion à celle du tribunal, et on a considéré que ce dernier ne possédait pas de connaissances spécialisées.

[21]      De même, il a été jugé qu'un droit d'appel analogue, tout aussi étendu, visant les décisions rendues par un comité de discipline d'un ordre professionnel obligeait la cour d'appel à examiner les conclusions de fait du tribunal administratif en appliquant la norme de la décision correcte : voir, à titre d'exemple, l'affaire Richmond c. College of Optometrists of Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 448 (C.div. Ont.).

[22]      Par contre, on a également déclaré que les comités de discipline d'ordre professionnel sont constitués pour utiliser leurs connaissances spécialisées en vue d'apprécier la preuve, notamment en ce qui concerne la compétence professionnelle, et que, malgré un droit d'appel étendu, les cours d'appel doivent donc accorder un poids considérable aux conclusions tirées par ces comités relativement aux questions de fait relevant de leur domaine de compétence : Reddall c. College of Nurses of Ontario (1983), 149 D.L.R. (3d) 60 (C.A. Ont.).

[23]      Les dispositions du paragraphe 56(5) qui permettent aux parties de fournir des éléments de preuve additionnels lors de l'appel peuvent laisser croire que les conclusions de fait auxquelles cette preuve renvoie doivent être examinées suivant la norme de la décision correcte. Or, il ne s'ensuit pas nécessairement que la même norme doit s'appliquer aux conclusions tirées par le registraire à l'égard d'autres faits.

[24]      De fait, même lorsque d'autres éléments de preuve sont admis en appel, il peut néanmoins être approprié d'examiner si la décision du registraire était erronée à la lumière de cette preuve, plutôt que de se demander comment la cour d'appel aurait tranché la question si elle avait été saisie de novo de ce point. Évidemment, plus la preuve additionnelle est importante, plus grande est la latitude dont jouit la cour pour exercer son propre jugement en ce qui touche la conclusion en cause.

[25]      Dans l'arrêt Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, la Cour s'est penchée sur la norme de contrôle relative aux conclusions de fait qui devrait être appliquée par une cour de district à laquelle existe un droit d'appel prévu par la loi, " par voie de nouvelle audition ", à l'égard des décisions rendues par un tribunal administratif spécialisé.

[26]      Le juge Martland a signalé que, comme il s'agissait selon la loi d'un appel de novo, cette qualification investissait la Cour de district du pouvoir d'admettre en preuve des éléments qui n'avaient pas été présentés au tribunal administratif. Malgré cette précision, il a conclu (aux pages 527 et 528) que le fait que l'organe décisionnel de premier degré soit un tribunal spécialisé ne saurait être pertinent aux fins de juger du rôle de la cour d'appel dans le cadre du régime législatif :

         Il s'agit d'un appel d'une décision d'un tribunal qui, en jugeant des demandes d'indemnité par toute la province, devient expert en la matière. L'appel est formé devant un juge d'une cour de district, au centre judiciaire le plus rapproché du terrain en question, juge qui n'est pas un spécialiste de ce domaine. Il entend les témoignages et parfois, de nouveaux témoignages. Il peut apprécier la crédibilité des témoins, mais pour estimer la valeur des biens-fonds, établir les conséquences dommageables pour le reste du terrain par suite du droit de prise de possession et fixer l'indemnité pour nuisances, il devrait accorder quelque crédit à l'opinion du Conseil.

Il me faut ajouter que, même si l'appel d'une décision du registraire à la Cour a souvent été qualifié de de novo, cette expression n'est pas employée dans la Loi sur les marques de commerce elle-même dans ce contexte.

[27]      Deuxièmement, une analyse pragmatique et fonctionnelle nécessite un examen de la nature de la question en litige ainsi que des connaissances spécialisées relatives de l'organe administratif et de la cour de révision. Pour établir s'il existe une probabilité de confusion, le registraire doit, suivant le paragraphe 6(5), tenir compte d'une liste non exhaustive de facteurs.

[28]      Inférer, à la lumière des faits initiaux, qu'il risque vraisemblablement d'y avoir ou non confusion est une question mixte de fait et de droit. Il s'agit en effet d'une conclusion touchant la question de savoir si un critère prévu par la loi a été respecté et il faut donc apprécier dans une certaine mesure les objets sous-jacents du texte législatif en cause : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

[29]      Ce processus nécessite également qu'on tire des conclusions de fait particulières, et qu'on apprécie les faits de manière éclairée, surtout, comme ce sera souvent le cas, lorsque certains faits tendent vers une conclusion donnée tandis que d'autres étayent une conclusion différente. La présence d'un aspect factuel important au regard de la question en litige, et donc la valeur jurisprudentielle restreinte des décisions individuelles, laissent croire qu'il faut adopter une norme de contrôle rigoureuse qui appelle une grande retenue judiciaire.

[30]      Sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, les organes décisionnels administratifs sont bien souvent appelés à se prononcer, dans toute une variété de contextes commerciaux, sur la question du risque probable de confusion entre une marque existante et une marque proposée. On s'attend à ce que l'expérience ainsi acquise donne lieu à des décisions uniformes et éclairées. Le registraire et les assistants auxquels les pouvoirs décisionnels sont délégués doivent aussi rendre leurs décisions dans le cadre d'une audience de nature généralement juridictionnelle. D'autre part, il est également exact que les questions étroitement liées que soulèvent les affaires d'imitation frauduleuse et les causes d'action connexes, codifiées et modifiées par l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, ne sont pas étrangères aux tribunaux judiciaires.

[31]      Il est pertinent de remarquer ici que les pouvoirs et les fonctions confiés par la loi au registraire aux fins de trancher l'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce sont de nature essentiellement juridictionnelle. Ils ne supposent pas d"attributions étendues en matière de réglementation qui, selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers) , [1994] 2 R.C.S. 557, donneraient à penser qu'on doit appliquer une norme de contrôle rigoureuse. Ou, en d'autres termes, les questions soulevées dans le cadre de l'instance dont la Commission des oppositions est saisie sont de nature bipolaire et non polycentrique : voir l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[32]      En troisième lieu, on peut présumer que les pouvoirs décisionnels sont conférés au registraire plutôt qu'à un tribunal judiciaire notamment parce qu'il est souhaitable que les décisions de ce genre soient prises par ceux qui ont à régler ces questions de façon habituelle et qui acquièrent donc des connaissances spécialisées dans ce domaine, et parce qu'il est ainsi possible de comprimer les charges et de réduire les retards souvent liés à la poursuite d'une instance. Ces raisons laissent penser que, suivant la norme de la décision correcte, la Cour n'est pas censée examiner, lors d'un appel, les conclusions de fait qui relèvent des connaissances spécialisées du registraire, au moins en l'absence d'éléments de preuve additionnels.

[33]      Quatrièmement, il faut considérer que la nature des droits en jeu lors d'une instance en opposition d'une marque de commerce fait partie de l'aspect " pragmatique ou fonctionnel ". Or, ces droits sont de nature principalement économique : protéger les consommateurs des pratiques trompeuses, et les producteurs et distributeurs de biens de la concurrence déloyale. Bien que ces intérêts aient un poids considérable, ils ne l'emportent pas, dans notre système juridique, sur les droits de la personne garantis par la loi, ni même sur le droit d'un particulier d'exercer une profession ou de suivre une autre vocation. Par conséquent, la nature des droits touchés aura une incidence sur la norme de contrôle applicable et le degré de retenue approprié.

[34]      En guise de conclusion, j'estime, après avoir évalué ces facteurs, que, malgré l'ajout dans la Loi sur les marques de commerce d'un droit d'appel non restreint et du droit de présenter des éléments de preuve additionnels, la cour d'appel doit faire preuve d'un degré considérable de retenue envers les conclusions de fait tirées par le registraire, à la condition du moins qu'aucun nouvel élément de preuve de poids n'ait été fourni relativement à une question de fait et qu'aucune erreur de droit n'ait été invoquée.

[35]      Compte tenu, plus particulièrement, des connaissances spécialisées du registraire en ce qui touche la question de la confusion, des raisons pour lesquelles on a conféré les pouvoirs décisionnels au registraire, et de la nature des droits en jeu, la plus appropriée des trois normes de contrôle actuelles est celle de la " décision déraisonnable simpliciter ". Selon l'arrêt Southam , précité, cette expression est synonyme de " décision manifestement erronée ".

[36]      Je suis conforté dans cette conclusion par l"opinion analogue formulée par le juge Lutfy dans la décision Young Drivers , précitée, même s'il n'a pas jugé nécessaire, à la lumière des faits de cette espèce, de prononcer une conclusion définitive sur la question. Voici ce qu'il a déclaré :

         Si l'on peut à juste titre qualifier la question de la confusion de question mélangée de droit et de fait, la norme de contrôle applicable est encore plus éloignée de celle du bien-fondé de la décision. Les connaissances et compétences spéciales du registraire commandent peut-être une plus grande retenue judiciaire lorsqu'aucun nouvel élément de preuve n'est présenté en appel. La décision à rendre en appel consiste davantage à déterminer si la décision du registraire est " manifestement erronée " ou " déraisonnable ".

[37]      Les conséquences à l'égard de la norme de contrôle qu'entraîne le dépôt en appel d'une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l"élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.

[38]      Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au-delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l'égard de la question sur laquelle porte ces éléments de preuve et, peut-être, si la décision au fond est elle-même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d'appel sera portée à tirer elle-même une conclusion de fait.

[39]      Cependant, lorsque les éléments de preuve additionnels sont à ce point marquants et étendus que l'affaire devient fondamentalement différente de celle dont le registraire était saisi, la Cour peut conclure qu'il est plus judicieux de renvoyer l'affaire au registraire que de simplement infirmer la décision. Autrement, on pourrait miner le régime législatif conférant au registraire, tribunal spécialisé, des pouvoirs décisionnels de premier degré.

[40]      Évidemment, le fait que la Cour renvoie l'affaire au registraire pourra retarder le règlement définitif de la demande de marque de commerce visée par une opposition. En outre, on peut inférer du droit des parties de présenter une preuve additionnelle lors de l'appel que le législateur voulait ainsi autoriser la Cour à rendre la décision définitive.

[41]      Toutefois, compte tenu de la nature spécialisée de la compétence du registraire, il est également légitime de prêter au législateur l'intention de ne pas inciter les parties à traiter l'audience administrative tenue dans le cadre d'une instance en opposition comme une simple étape préalable à un appel à la Cour. À mon sens, il est donc compatible avec le régime législatif que la Cour renvoie l'affaire dans les cas appropriés plutôt que de tirer elle-même une conclusion de novo relativement à la question de la confusion sur la foi d'éléments de preuve forts différents de ceux présentés au tribunal spécialisé désigné par la loi.

         b) Fardeau de la preuve

[42]      Il n'est pas contesté que l'auteur d'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce a le fardeau de prouver qu'il n'y aura aucune probabilité raisonnable de confusion avec une autre marque déposée, et que le demandeur assume cette obligation tant devant le registraire que lors de l'appel à la Cour : voir McDonald's Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 463 (C.F. 1re inst.). En d'autres termes, le doute doit être résolu en faveur de l'opposante, Garbo Group en l'espèce.

         c) Critère applicable

[43]      Dans l'affaire Bally Schuhfabriken AG/Bally's Shoe Factories Ltd. c. Big Blue Jeans Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d) 205, à la page 209 (C.F. 1re inst., no de greffe T-462-90, à la page 4), le juge Rouleau a habilement énoncé les principes pertinents :

         La question de la confusion est une question de fait qu'il convient de trancher au fond. Le critère à appliquer est celui de l'impression faite au consommateur moyen qui ne garde qu'un souvenir imprécis.

[44]      Il faut en outre préciser ici que, comme le prévoit l'article 6 de la Loi, la question pertinente n'est pas de savoir s'il existe, dans l"abstrait, une probabilité raisonnable de confusion entre la marque proposée et la marque existante. On doit plutôt se demander s'il est raisonnablement vraisemblable que la marque proposée par l'auteur de la demande incite les consommateurs à penser que les marchandises en liaison avec lesquelles la marque sera employée proviennent de la même source que celles visées par la marque de l'opposante, ou sont autrement associées aux marchandises de cette dernière.

         d) Chose jugée

[45]      Dans la présente affaire, l'auteur de la demande a soutenu qu'il était vraisemblable que le consommateur moyen croit que les marchandises devant être vendues sous sa marque GRETA GARBO sont d'une façon ou d'une autre liées à la défunte Greta Garbo et non aux marchandises vendues par l'opposante sous la marque GARBO.

[46]      L'avocat a poursuivi en faisant valoir que l'opposante ne pouvait, pour cause de chose jugée, affirmer que les consommateurs croiraient que les marchandises vendues sous la marque GARBO ont un lien avec l'actrice, et donc que les marchandises de l'auteur de la demande pourraient être considérées comme liées à celles de l'opposante.

[47]      Il en est ainsi parce que, lorsque l'opposante a pour la première fois présenté une demande d'enregistrement de la marque GARBO en 1987 (trois ans avant le décès de Greta Garbo), il y a eu contestation au motif que, contrairement à l'alinéa 9(1)k) de la Loi, cette marque suggérait faussement un rapport entre les marchandises et l'actrice. Garbo Group a vivement nié cette allégation et le Bureau des marques de commerce est arrivé à la conclusion que le terme GARBO ne laissait pas croire à l'existence d'un lien avec Greta Garbo.

[48]      L'avocat de Harriet Brown a donc prétendu que Garbo Group ne pouvait maintenant affirmer que les marchandises vendues sous la marque GRETA GARBO étaient susceptibles d'être perçues comme liées aux marchandises vendues sous la marque GARBO. Le registraire a rejeté cet argument parce que le critère applicable pour déterminer si une marque proposée suggère faussement un lien avec un particulier vivant n'est pas le même que celui visant à décider si une marque proposée cause de la confusion avec une marque existante. Je suis d'accord. Il n'y a donc pas chose jugée en l'espèce et de fait l'appelante n'a nullement fait valoir que la marque de l'intimée créait de la confusion avec sa propre marque parce que les consommateurs établissaient un lien entre la marque GARBO et Greta Garbo.

     2. Vraisemblance de la confusion

[49]      L'avocat de Garbo Group a soutenu que le seul point à l'égard duquel le registraire avait conclu en faveur de l'auteur de la demande était l'absence de ressemblance entre les marchandises de ce dernier et celles en liaison avec lesquelles on emploie la marque GARBO, et donc que ces produits emprunteraient normalement des voies commerciales distinctes. L'avocat affirme par conséquent que, si le registraire a commis une erreur sur ce point, je dois accueillir l'appel.

[50]      Bien que cette conclusion soit des plus attrayantes, je ne peux l'accepter. En effet, l'existence d'une probabilité raisonnable de confusion doit être étayée par un examen des faits à la lumière de l'ensemble des facteurs précis énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, y compris " toutes les circonstances de l'espèce ". Or, ces facteurs n'ont pas tous le même poids. La Cour peut conclure que la décision du registraire n'était pas erronée, même si, compte tenu des éléments de preuve additionnels portant sur une question donnée, le registraire a commis une erreur en tranchant celle-ci.

[51]      Voici les facteurs précis qui doivent être pris en considération : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle elles ont été en usage; le genre de marchandises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. J'examine ci-dessous la décision du registraire ainsi que les éléments de preuve déposés par les parties à l'égard de chacun des points susmentionnés, et plus particulièrement la preuve dont le registraire n'était pas saisi.

     a) Caractère distinctif des marques

         (i) décision du registraire

[52]      Le registraire a conclu que l'appellation GRETA GARBO était une marque faible parce qu'il s'agit du nom d'une personne qui est maintenant décédée. De même, il a estimé que les marques GARBO ne possédaient un caractère distinctif inhérent qu'à un [TRADUCTION] " degré restreint " compte tenu de la valeur de nom de famille associée au mot Garbo, même si [TRADUCTION] " Garbo est un nom de famille relativement rare et qu'il peut donc ne pas être nécessairement perçu par le consommateur moyen comme ayant valeur de nom de famille ".

[53]      Le registraire a en outre conclu que la marque de l'appelante n'avait pas non plus acquis de caractère distinctif puisqu'elle n'était pas du tout devenue connue au Canada en liaison avec les marchandises à l'égard desquelles elle est revendiquée. Voici ce qu'il a affirmé sur ce point :

         [TRADUCTION] Je ne considère pas que la célébrité associée à l'ancienne actrice Greta Garbo apporte un certain degré de réputation à la marque de commerce et au dessin GRETA GARBO que l'auteur de la demande entend employer au Canada en liaison avec des marchandises données.

[54]      Il est donc arrivé à la conclusion que, pour juger du risque vraisemblable de confusion, le critère relatif au caractère distinctif jouait en faveur de l'opposante, [TRADUCTION] " bien que dans une certaine mesure seulement ".

         (ii) éléments de preuve additionnels

[55]      Dans l'affidavit qu'il a signé à l'occasion du présent appel, Gary Grundman affirme qu'au cours des douze dernières années sa société a dépensé plus d'un million de dollars en publicité pour ses produits. Les sommes varient entre 40 000 et 150 000 dollars par année. Toutefois, aucune preuve directe n'établit que les consommateurs moyens reconnaissent la marque GARBO, ni qu'ils l'associent aux produits de l'appelante.

[56]      L'intimée s'est appuyée sur une preuve par affidavit pour montrer qu'un certain nombre d'entreprises dont le nom comporte le terme " Garbo " sont exploitées partout au Canada, y compris des salons de coiffure et des boutiques de vêtements et d'accessoires féminins. L'intimée a également présenté une preuve par affidavit portant sur une recherche effectuée dans les annuaires téléphoniques canadiens selon laquelle treize particuliers porte ce nom de famille.

[57]      L'intimée a enfin mis en preuve la célébrité encore actuelle de Greta Garbo, particulièrement auprès de ses consommateurs cibles, en vue d'étayer le caractère distinctif du nom de même que sa prétention suivant laquelle les consommateurs établiront un lien entre ses produits et l'actrice, et non entre cette dernière et les marchandises de l'appelante.

         (iii) analyse

[58]      La conclusion du registraire relative au manque de caractère distinctif inhérent de la marque proposée de l'intimée n'est pas contestée en appel. Quant aux éléments de preuve additionnels concernant la célébrité continue de Greta Garbo au Canada, la question est de savoir si la marque de l'intimée a acquis un caractère distinctif en liaison avec les marchandises à l'égard desquelles elle est revendiquée. Le registraire a décidé, à la lumière de la preuve dont il était saisi, que ce n'était pas le cas, et il ne ressort pas des éléments de preuve additionnels que sa conclusion est erronée.

[59]      De même, le registraire a conclu que les marques de l'appelante, GARBO et DESSIN GARBO, ont peu de caractère distinctif inhérent puisque le terme " Garbo " a [TRADUCTION] " valeur de nom de famille ". Bien que, comme le laisse entendre la preuve de l'appelante, la célébrité de Greta Garbo soit sur le déclin, la célébrité qui lui reste et les treize entrées des annuaires téléphoniques au nom " Garbo " suffisent à donner valeur de nom de famille aux marques " GARBO " et " DESSIN GARBO " : comparer avec l'affaire Cartier Men's Shops Ltd. c. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 68 (C.F. 1re inst.).

[60]      De plus, l'utilisation du terme " Garbo " dans le nom de salons de coiffure et de boutiques de vêtements et d'accessoires de mode mine aussi le caractère distinctif du nom parce que cet emploi laisse croire à un lien plus général avec une apparence personnelle attrayante. D'un autre côté, le registraire a également conclu que la marque T.G.I.F. BY GARBO, considérée dans son ensemble, possédait un caractère distinctif inhérent d'un [TRADUCTION] " degré appréciable ".

[61]      Afin de prouver l'acquisition d'un caractère distinctif, l'appelante a présenté un état des charges qu'elle a engagées au titre de la publicité et de la promotion au cours de la période allant de 1984 à 1998. Cependant, aucune preuve directe établissant que les consommateurs reconnaissaient la marque GARBO et l'associaient aux marchandises vendues par l'appelante n'a été produite. En réalité, la preuve faite montre plutôt que les marques avaient acquis bien peu de caractère distinctif.

[62]      En effet, dans son affidavit déposé pour le compte de l'intimée, Joan Harting Barham, éditrice du Toronto Life Fashion Magazine, déclare avoir entendu parler du Garbo Group, mais être incapable de se rappeler à quel moment et à quel endroit. Dans son témoignage, elle a dit associer le nom commercial à, peut-être, des bracelets en bois.

[63]      Il n'y a donc aucune raison permettant d'affirmer que la conclusion du registraire sur la question du caractère distinctif était erronée, et encore moins déraisonnable. Bref, les marques de l'intimée ont donc peu ou pas de caractère distinctif inhérent ou acquis. Comme les marques GARBO et DESSIN GARBO de l'appelante ont, à un certain degré, un caractère distinctif inhérent et acquis, et que la marque T.G.I.F. BY GARBO en a un peu plus, ce facteur joue en faveur de l'appelante, mais uniquement dans une certaine mesure.

     b) Durée d'emploi de la marque

[64]      Selon le registraire, ce facteur procure un avantage à l'appelante puisque les marques GARBO ont été employées en liaison avec ses marchandises depuis 1984, tandis que la marque GRETA GARBO n'avait pas encore été en usage au Canada. Aucun élément de preuve additionnel n'a été fourni à cet égard.

[65]      Dans l'arrêt Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. c. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176, à la page 185 (C.A. Ont.), la Cour a statué qu'il existe une présomption voulant qu'une marque de commerce, lorsqu'elle fait l'objet de promotion par ses propriétaires et qu'elle est inscrite au registre depuis douze ans, soit assortie d'une survaleur. Les marques GARBO sont utilisées depuis une période analogue et ont aussi fait l'objet de promotion par leur propriétaire, qui a notamment engagé pendant ce temps des dépenses non négligeables, mais pas énormes, au chapitre de la publicité. Le registraire était donc justifié de conclure que le deuxième facteur jouait en faveur de l'appelante.

     c) Nature des marchandises

[66]      Le registraire a estimé que [TRADUCTION] " les produits de beauté, les articles de toilette, les lunettes et les accessoires sont différents des bijoux de l'opposante " et que les marchandises visées par l'enregistrement de la marque T.G.I.F. BY GARBO n'étaient pas les mêmes que celles de l'intimée. Aucun élément de preuve nouveau n'a été présenté relativement à cette question lors de l'appel.

[67]      Rien ne justifie que la Cour touche à la conclusion tirée sur ce point par le registraire.

     d) Nature du commerce

         (i) décision du registraire

[68]      À cet égard, le registraire a simplement conclu que, selon lui, [TRADUCTION] " les voies commerciales habituelles liées aux bijoux, d'une part, et celles destinées aux produits de beauté, aux articles de toilette, aux lunettes et aux accessoires, de l'autre, seraient tout à fait distinctes ".

         (ii) éléments de preuve additionnels

[69]      Bien qu'aucun élément de preuve relatif à cette question n'ait apparemment été fourni au registraire, la mesure dans laquelle les marchandises suivent les mêmes voies commerciales a fait l'objet d'une preuve additionnelle considérable lors de l'appel.

[70]      En effet, l'appelante a présenté un affidavit de Gordon Hayward, gérant de la Compagnie de la Baie d'Hudson, portant que, dans ce grand magasin, les bijoux et les produits de beauté sont souvent physiquement placés non loin les uns des autres. Il en serait ainsi parce qu'il s'agit de deux genres d'articles qui permettent de réaliser un bénéfice élevé et sont donc mis bien en vue, et parce qu'ils visent le même marché cible.

[71]      En annexe à l'affidavit de M. Hayward se trouve un plan d'étage du magasin La Baie à Victoria qui montre les accessoires, les bijoux et les produits de beauté exposés près les uns des autres. Sont jointes à l'affidavit de Gary Grundman des photographies de magasins La Baie situés à Toronto et à Laval sur lesquelles on voit des bijoux Garbo présentés à proximité des comptoirs de produits de beauté. Cependant, comme Kevin O'Neil le fait remarquer dans son affidavit déposé pour le compte de l'intimée, bien que les produits de beauté et les bijoux soient vendus au même étage à La Baie, c'est le cas de nombreux autres produits. De plus, les lunettes sont vendues à un étage différent.

[72]      L'appelante s'est également appuyée sur le témoignage de Mme Barham lors du contre-interrogatoire sur son affidavit. Mme Barham a en effet déclaré que de nombreux biens vendus par les parties à l'appel pouvaient être qualifiés d'accessoires de mode féminine, à l'exception des produits de maquillage. Au cours du contre-interrogatoire de Mme Barham, l'appelante a aussi déposé comme pièce une publicité tirée du Toronto Life Fashion Magazine qui montre des produits tels que de la crème pour la peau et des bijoux annoncés ensemble.

[73]      Par ailleurs, l'intimée a aussi apporté une preuve relative à la question des voies commerciales. Ainsi, M. O'Neil a déclaré qu'il avait visité un certain nombre de magasins situés dans la région torontoise de Bloor-Yorkville où l"on vendait des produits de beauté, des articles de toilette et des lunettes, mais non des bijoux, et vice-versa.

[74]      En outre, l'avocat de l'intimée a signalé que, même si Mme Barham a laissé entendre que de nombreux articles visés par les demandes de marques de commerce des deux parties pouvaient être considérés comme s'ils faisaient partie du secteur des " accessoires de mode ", elle a par la suite affirmé que cette expression est extrêmement large. De fait, elle a précisé que ce terme était suffisamment large pour comprendre même les automobiles.

         (iii) analyse

[75]      Dans son ouvrage en feuillets mobiles intitulé Hughes on Trade Marks (Toronto, Butterworths, 1984, à la page 629), l'auteur mentionne ce qui suit au sujet de l'examen qui doit être effectué pour déterminer si la nature du commerce touchant différents produits risque vraisemblablement de créer de la confusion :

         [TRADUCTION] Le risque de confusion est plus grand lorsque les marchandises ou les services, bien que dissemblables, sont distribués dans le même genre de magasins ou appartiennent à la même catégorie générale de biens; par exemple, si les deux articles appartiennent à la catégorie générale des produits d'entretien domestique et sont vendus dans des endroits analogues, le risque de confusion est alors plus probable. Cependant, lorsqu'une marque vise des produits d'entretien domestique et l'autre des produits automobiles, et que les deux types de produits sont distribués dans différents genres de magasins, les consommateurs risquent alors moins de confondre une marque avec l'autre.

[76]      La preuve faite en l'espèce montre qu'il y a chevauchement des points de vente en ce qui concerne les produits des parties. Les deux genres d'articles sont vendus dans les principales chaînes de grands magasins, souvent à proximité les uns des autres. Par ailleurs, il ressort également de la preuve que seules les marchandises de l'une des parties sont vraisemblablement susceptibles d'être vendues dans des boutiques plus petites ou des magasins spécialisés.

[77]      Le fait que les biens en cause ne soient pas vendus dans les mêmes magasins n'empêche pas de conclure qu'il y a un risque probable de confusion fondé sur l'existence de voies commerciales similaires. En effet, dans la décision Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 68, à la page 74, (C.F. 1re inst.), le juge Dubé a dit ce qui suit :

         Toutefois, si les marchandises sont de la même catégorie générale, il n'est pas nécessaire de prouver qu'elles sont vendues aux mêmes endroits pour établir le risque de confusion; il suffit d'établir qu'elles le pourraient et que les parties ont le droit de le faire.

Voir également les décisions Eminence SA c. Registraire des marques de commerce (1977), 39 C.P.R. (2d) 40 (C.F. 1re inst.) et Everex Systems Inc. c. Everdata Computer Inc. (1992), 56 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.).

[78]      Il ne fait aucun doute en l'espèce que les marchandises en cause pourraient un jour être vendues aux mêmes endroits, bien que certains magasins puissent uniquement offrir les produits de l'une des parties. La question demeure donc de savoir si on peut affirmer que les produits appartiennent à la même " catégorie générale de biens ".

[79]      Dans la décision Eminence, précitée, le juge Dubé a conclu que des produits capillaires et du parfum faisaient partie de la même catégorie générale de biens pour l'application de ce critère. De même, comme je l'ai déjà signalé, l'auteur Hughes traite des catégories générales de biens comme les produits d'entretien domestique et les produits automobiles dans le contexte de la nature du commerce.

[80]      Dans la présente instance, il s'agit de savoir s'il est possible de dire que des marchandises comme des bijoux, des ceintures et des sacs à main appartiennent à la même catégorie de biens que des parfums, des produits de beauté, des lotions, des lunettes, des lunettes de soleil et des accessoires de lunettes.

[81]      Le témoignage de Mme Barham est particulièrement utile à cet égard. Interrogée par l'avocat de l'appelante, elle a déclaré qu'il était possible de considérer que les ceintures, les sacs à main, les lunettes de soleil, les lunettes, les produits de maquillage, les parfums, les montres, les bas et les bijoux constituaient des accessoires de mode. Elle a par la suite ajouté que les accessoires de mode relèvent du secteur de la mode : voir dossier de demande, page 249, question 110. Toutefois, elle a subséquemment modifié cette assertion en précisant que, parmi les produits énumérés dans cette liste, elle ne considérait pas les produits de maquillage comme un accessoire de mode : voir la page 289 du dossier de demande.

[82]      Mme Barham est experte en ce qui concerne le secteur de la mode. Elle est rédactrice en chef d'une revue nationale de mode et elle est membre d'un organisme appelé The Fashion Group International, association professionnelle mondiale sans but lucratif comptant plus de 6 000 membres. Au paragraphe 5 de son affidavit, Mme Barham affirme qu'au cours de sa vie professionnelle elle a acquis des [TRADUCTION] " connaissances spécialisées sur tous les aspects du secteur de la mode, dont les bijoux, les produits de toilette et les lunettes ". Selon elle, les produits de ce secteur paraissent tous appartenir à la même " catégorie générale de biens " peu importe que l'on considère qu'ils font partie du secteur de la mode ou de celui des accessoires de mode.

[83]      L'intimée a fait remarquer que, lors de son nouvel interrogatoire, Mme Barham avait mentionné que l'expression " accessoires de mode " est très large et qu'elle peut comprendre des articles aussi variés que des automobiles. Par conséquent, l'avocat soutient qu'il ne peut y avoir de présomption voulant que les biens visés par un secteur aussi diversifié circulent habituellement par les mêmes voies commerciales. À mon avis, la diversité des marchandises faisant partie du secteur des accessoires de mode ne fait pas nécessairement obstacle à la conclusion qu'au moins certains des produits mentionnés dans les demandes des parties appartiennent à la même catégorie générale de biens.

[84]      Une catégorie comme celle des produits d'entretien domestique peut aussi être très large et renfermer des produits très différents. Cependant, l'objet de l'examen consiste à déterminer si les produits appartiennent à la même catégorie générale de biens et, par conséquent, s'ils peuvent être vendus dans les mêmes magasins ou dans des magasins similaires.

[85]      À la lumière des éléments de preuve dont le registraire n'était pas saisi, j'arrive à la conclusion que les marchandises vendues par l'appelante et celles que l'intimée propose de vendre ne sont pas à ce point différentes qu'elles ne peuvent faire partie de la même catégorie générale de biens. En outre, bien qu'elles ne soient pas identiques, les voies commerciales que ces marchandises emprunteraient normalement se chevauchent.

[86]      En conséquence, contrairement à la conclusion du registraire, le facteur touchant la " nature du commerce " étaye la conclusion selon laquelle il existe une probabilité raisonnable de confusion. Cependant, comme les marques visent des produits différents appartenant à une large catégorie, ce fondement ne m'apparaît pas particulièrement solide.

     e) Ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux

[87]      Le registraire a estimé qu"il y avait analogie des marques GARBO et DESSIN GARBO, et GRETA GARBO, dans la présentation et le son. Par ailleurs, il a conclu que l'idée suggérée aux consommateurs par la marque de l'intimée était l'actrice Greta Garbo, tandis que les marques de l'appelante, GARBO et DESSIN GARBO, évoquaient pour certains consommateurs l'idée du nom de famille Garbo. À l'opposé, le registraire a toutefois estimé que les marques GRETA GARBO et T.G.I.F. BY GARBO étaient dissemblables dans le son, dans la présentation et dans les idées qu'elles suggèrent.

[88]      L'intimée a fait valoir quatre arguments en ce qui a trait à la conclusion du registraire suivant laquelle les marques GARBO et GRETA GARBO se ressemblent dans la présentation et le son, mais non dans les idées qu'elles suggèrent.

[89]      Premièrement, l'intimée allègue que le lien établi entre la marque GRETA GARBO et la célèbre actrice est à ce point manifeste qu'il élimine toute possibilité de confusion. C'est-à-dire qu'en voyant cette marque, les consommateurs l'associent à l'actrice ou à son patrimoine, et non aux marchandises de l'appelante.

[90]      Il faut reconnaître que très peu d'éléments de preuve directs portaient sur ce point, à l'exception du témoignage de Mme Barham dont le registraire n'était pas saisi. Selon ce témoin, le fait de voir le nom " Greta Garbo " apposé sur des marchandises lui aurait fait supposer que ces biens provenaient du patrimoine de la célèbre actrice et d'aucune autre source. Il est vrai que Mme Barham n'est pas un consommateur moyen ayant des souvenirs imprécis, mais plutôt un experte du secteur de la mode. Toutefois, je ne crois pas que cette situation enlève du poids à son témoignage sur cette question puisque celle-ci ne relève pas de ses connaissances spécialisées.

[91]      La conclusion de Mme Barham à cet égard était sans aucun doute renforcée par son opinion voulant que les marques GARBO ait acquis une reconnaissance minime de la part des consommateurs. Elle a dit que, bien qu'experte du secteur de la mode, elle avait très peu de souvenirs de marchandises vendues sous les marques GARBO. J'accorde donc un grand poids au témoignage de Mme Barham sur la question de savoir s'il est vraisemblable que les consommateurs moyens établissent un lien entre la marque GRETA GARBO et les marchandises de l'appelante.

[92]      Deuxièmement, l'intimée a signalé que, pour fins de comparaison, il importe d'accorder une importance particulière à la première partie d'une marque de commerce : voir l'affaire Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1990), 28 C.P.R. (3d) 457, à la page 461 (C.F. 1re inst.). Par conséquent, le fait que le mot " Greta " constitue la première partie de la marque de commerce de l'intimée devrait bien établir que les marques ne sont pas similaires dans la présentation ou le son.

[93]      En troisième lieu, mis à part les termes eux-mêmes, l'avocat a également avancé que les marques sont suffisamment différentes dans leur présentation visuelle pour rendre la confusion invraisemblable, même si les noms sont tous deux écrits en cursive. En effet, GARBO est écrit dans des caractères quelque peu exubérants et stylisés, tandis que ceux de la marque GRETA GARBO, soignés et homogènes, sont d'un style plutôt modeste.

[94]      Enfin, l'intimée s'appuie sur des déclarations qu'a faites l'appelante contre ses propres intérêts, avant l'enregistrement de la marque GARBO, selon lesquelles sa marque proposée respectait les dispositions de l'alinéa 9(1)k) de la Loi puisqu'elle ne suggérait pas de rapport avec l'actrice Greta Garbo.

[95]      Bien qu'il ne s'agisse pas à strictement parler de préclusion, ces déclarations établissent quand même, jusqu'à un certain point, qu'il est raisonnablement peu vraisemblable que le fait de voir les marques sème la confusion chez les consommateurs parce que ces derniers auraient déjà associé le nom de Greta Garbo avec les marchandises de l'appelante. Dans la mesure où le terme " Garbo " n'a pas seulement valeur de nom de famille, il est possible qu'il suggère simplement aux consommateurs le prestige associé au cinéma.

[96]      Bref, à la lumière des éléments de preuve additionnels fournis en l'instance, je ne peux conclure que le registraire a commis une erreur lorsqu'il a affirmé que les marques étaient analogues dans la présentation et le son, mais différentes dans les idées qu'elles suggèrent, bien qu'à mon sens les ressemblances ne soient pas particulièrement frappantes.

     f) Conclusion

[97]      Il ressort de la preuve additionnelle présentée par l'appelante qu'il existe une similitude du commerce lié aux marques respectives des parties et que les voies commerciales empruntées par les marchandises visées se chevauchent. Or, malgré cette preuve, je ne suis pas convaincu que la conclusion du registraire voulant qu'il y ait absence de probabilité raisonnable de confusion entre les marques et les noms commerciaux GARBO de l'appelante, et la marque proposée de l'intimée, était erronée.

[98]      Il en est ainsi notamment en raison, d'une part, de la preuve additionnelle offerte par l'affidavit de Mme Barham, lequel renforce sensiblement la conclusion du registraire touchant les idées suggérées par la marque de l'intimée qui découlent de la célébrité durable de Greta Garbo et, d'autre part, de la relative obscurité dans le secteur de la mode des marchandises, des noms commerciaux et des marques de l'appelante.

[99]      Bien que le registraire ait conclu en faveur de l'appelante en ce qui a trait à la plupart des critères énumérés au paragraphe 6(5), savoir le caractère distinctif des marques, la mesure dans laquelle elles sont devenues connues et la période pendant laquelle elles ont été en usage, ces facteurs ne permettaient pas clairement d'affirmer qu'il y avait un risque vraisemblable de confusion. En fait, l'analyse du registraire consiste en grande partie à comparer le succès des parties au titre de chacun des critères pertinents. Les éléments de preuve additionnels fournis en ce qui concerne le chevauchement des voies commerciales étaient insuffisants pour me convaincre que la décision du registraire était erronée, particulièrement à la lumière de la déposition de Mme Barham.

[100]      Les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne doivent pas être appliqués de façon machinale, mais avec jugement et à la lumière de " toutes les circonstances de l'espèce ". Prise dans son ensemble, la preuve ne donne pas à entendre que l'emploi, par Harriet Brown, de la marque GRETA GARBO risque vraisemblablement de faire subir à Garbo Group une concurrence déloyale en incitant les consommateurs à penser que les marchandises de l'intimée proviennent de la même source que celles vendues sous l'une ou l'autre des marques GARBO.

E.      DISPOSITIF

[101]      Pour ces motifs, l'appel est rejeté. Les parties disposent de 14 jours à compter de la date de la présente décision pour présenter des prétentions écrites concernant l'adjudication des dépens.


                             " John M. Evans "

                                     Juge



OTTAWA (ONTARIO)

LE 16 NOVEMBRE 1999





Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER :      T-2432-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GARBO GROUP INC. c. HARRIET BROWN & COMPANY et LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 17 mai 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE EVANS en date du 16 novembre 1999.



ONT COMPARU :

Me Ronald Dimock      POUR L'APPELANTE

Me Keri Johnston

    

Me Mark Evans      POUR L'INTIMÉE

Me Geneviève Prévost



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton Clarizio      POUR L'APPELANTE

Keri Johnston & Associates

Toronto (Ontario)

Smart & Biggar      POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)

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