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                                                                                                                                  Date : 20040108

                                                                                                                       Dossier : IMM-3260-03

                                                                                                                         Référence : 2004 CF 7

ENTRE :

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                          IQBAL SINGH ATWAL

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 8 avril 2003 par laquelle la SAI a rejeté la demande du ministre visant à faire mettre fin à l'appel interjeté par le défendeur et à faire annuler le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion, pour le motif que le défendeur n'avait pas été condamné à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans comme l'exige le paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR).


[2]         Le défendeur est un citoyen indien âgé de vingt-six ans. Il a obtenu le droit d'établissement le 26 janvier 1990, mais il n'a pas la citoyenneté canadienne. Pendant qu'il était au Canada, le défendeur a été déclaré coupable relativement à deux chefs d'accusation de vol qualifié et à un chef d'accusation d'usage d'une fausse arme à feu. La première infraction de vol qualifié a été commise le 5 octobre 1996. La deuxième infraction de vol qualifié et l'infraction d'usage d'une fausse arme à feu ont été perpétrées le 14 décembre 1996.

[3]         Le 18 janvier 1999, le défendeur s'est vu imposer les peines suivantes :

[traduction]

Chef d'accusation no 1 - vol qualifié : [traduction] « L'accusé ayant passé vingt mois en détention avant le prononcé de la sentence, une période présentencielle de trois ans et demi (sic) sera comptée à son actif. L'accusé est condamné à une peine d'emprisonnement additionnelle de six mois, et une ordonnance d'interdiction visée au paragraphe 100(1) du C.cr. est rendue contre lui pour une période de dix ans. »

Chef d'accusation no 2 - vol qualifié : [traduction] « Six mois, à purger concurremment. »

Chef d'accusation no 3 - usage d'une fausse arme à feu : [traduction] « Un an, à purger consécutivement à la peine relative au chef d'accusation no 1. »

[4]         Le 9 février 1999, un rapport a été établi conformément à l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), parce que le défendeur :

a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale [...] soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée, [...] soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans [...]

[5]         Le 10 février 1999, en se fondant sur le rapport mentionné ci-dessus et sur le paragraphe 27(3), le ministre a ordonné qu'une décision soit prise pour déterminer si le défendeur est une personne visée soit à l'alinéa 27(2)a), soit à l'alinéa 27(2)e), soit à l'un des alinéas 27(2)h) ou 27(2)k). À la suite de l'enquête qui a eu lieu le 26 mai 1999, une mesure d'expulsion a été prise à l'égard du demandeur pour le motif que celui-ci avait été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il s'est vu imposer une peine d'emprisonnement de plus de six mois.


[6]         Le défendeur a interjeté appel le 26 mai 1999, et le 18 juillet 2000 la SAI a ordonné le sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion. Toutefois, le sursis était assorti de huit conditions, dont la condition voulant que le défendeur doive se présenter devant un agent d'immigration tous les six mois, à des dates précises. Les dates en question ont par la suite été modifiées. Le 15 janvier 2003, la SAI a examiné l'ordonnance de sursis visant le défendeur et a découvert que ce dernier ne s'était pas présenté devant un agent d'immigration depuis le mois d'octobre 2000.

[7]         L'article 197 de la LIPR énonce qu'un défendeur qui n'a pas respecté les conditions du sursis dont il bénéficie est assujetti au paragraphe 64(2) de la LIPR, qui prévoit qu'un étranger ou un résident permanent qui est interdit de territoire pour grande criminalité ou « infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans » ne peut pas interjeter appel devant la SAI.

[8]         La décision concernant l'examen de l'ordonnance de sursis a été différée en attendant que les parties présentent leurs observations sur l'applicabilité de l'article 197 de la LIPR. Le ministre a ensuite présenté un avis de désistement d'appel. La SAI a considéré l'avis en question comme une demande visant à mettre fin à l'appel interjeté par le défendeur. Le 8 avril 2003, la SAI a rejeté la demande présentée par le ministre en vue de faire mettre fin à l'appel du défendeur.

[9]         La SAI a motivé de la façon suivante le rejet de la demande du ministre :

-           le défendeur n'a été condamné qu'à six mois de prison, étant donné que la période passée en détention avant le prononcé de la sentence ne fait pas partie de la peine d'emprisonnement,

-           par conséquent, le défendeur n'est pas visé par l'article 64 de la LIPR, même s'il a reconnu avoir violé les conditions du sursis.


[10]       La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982), étant donné que la question de savoir si la période de détention présentencielle fait partie de la peine d'emprisonnement et la question touchant l'interprétation que la SAI a donnée au paragraphe 64(2) de la LIPR sont des questions de droit.

[11]       La Cour suprême du Canada a dit que la période de détention présentencielle est réputée faire partie de la sanction et, par conséquent, de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant. La juge Arbour de la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit aux pages 477 et 478 de l'arrêt R. c. Wust, [2002] 1 R.C.S. 455 :

En conséquence, bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu'elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant, par l'application du paragr. 719(3).


[12]       Dans la décision Allen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 5 mai 2003), IMM-2439-02, ma collègue la juge Snider a conclu qu'il allait de soi qu'une peine d'emprisonnement comprenait la période de détention présentencielle, réaffirmant ainsi que la période passée en détention avant le prononcé de la sentence fait partie de la peine d'emprisonnement dans un contexte d'immigration. Dans cette affaire, le délinquant avait été condamné à la peine qu'il avait déjà purgée plus à une peine d'emprisonnement de vingt et un mois. La juge Snider a considéré qu'il s'agissait là d'une peine de vingt-quatre mois. En l'espèce, le Mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité fait état d'une dernière peine d'emprisonnement de six mois en plus de la période de détention présentencielle (trois ans et demi comptés à l'actif du défendeur), ce qui correspond à une peine d'emprisonnement de quatre ans en tout. Lorsqu'elle a refusé de tenir compte de la période de détention, la SAI a, à tort, retenu une interprétation restrictive des mots « peine » et « peine d'emprisonnement » et fait abstraction des principes énoncés par la Cour suprême du Canada et par la Cour fédérale.

[13]       À mon avis, la SAI a commis une erreur lorsqu'elle a omis de prendre en considération les objets de la LIPR et les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. La SAI a également omis de tenir compte des circonstances qui entourent la détermination des peines.

[14]       Le paragraphe 719(3) du Code criminel prévoit que l'on peut tenir compte de la période de détention présentencielle pour fixer la peine d'emprisonnement :


719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

[...]

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

[. . .]

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d'une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l'infraction.

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.


[15]       En adoptant l'article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d'appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l'article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. Appliquer l'article 64 de la LIRP en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l'intention qu'avait le législateur lors de l'adoption de cet l'article.


[16]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

[17]       La question suivante, qui a été proposée conjointement par les avocats des deux parties, est certifiée :

L' « emprisonnement » visé au paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-il la période de détention présentencielle qui est expressément prise en compte dans la détermination de la peine imposée à une personne?

                                                                                   _ Yvon Pinard _                

                                                                                                     Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 8 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-3260-03

INTITULÉ :                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

IQBAL SINGH ATWAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 9 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                      LE 8 JANVIER 2004                                    

COMPARUTIONS:

Amina Riaz                                                           POUR LE DEMANDEUR

M. Max Chaudhary                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Chaudhary Law Office                           POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

North York (Ontario)

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