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Date : 20000512

Dossier : T-859-99

OTTAWA (Ontario), le 12 mai 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

KEVIN CALLIHOO

demandeur

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

VU la demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un commissaire de la Commission d'appel des pensions, rendue le 8 décembre 1998, refusant au demandeur l'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision;

ET APRÈS AVOIR ENTENDU le demandeur, qui n'était pas représenté par avocat, et l'avocat du défendeur à Edmonton (Alberta), le 13 janvier 2000, date à laquelle la Cour a remis le prononcé de sa décision;

ET VU les observations alors présentées oralement et par écrit, par le demandeur et par l'avocat du défendeur;

ORDONNANCE

LA COUR rejette la présente demande, chaque partie payant ses frais.

(signature) W. Andrew MacKay

                                                                                

JUGE

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


Date : 20000512

Dossier : T-859-99

ENTRE :

KEVIN CALLIHOO

demandeur

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel des pensions (CAP) lui refusant l'autorisation d'interjeter appel d'une décision antérieure du tribunal de révision, qui avait rejeté un appel interjeté contre la décision du ministre refusant d'accorder au demandeur des prestations d'invalidité. Le tribunal de révision avait conclu, dans une décision rendue le 29 octobre 1997, que le demandeur n'était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada[1] (le « Régime » ou la « Loi » ). La décision faisant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, soit celle d'un commissaire de la CAP qui a refusé d'accorder l'autorisation d'interjeter appel, est datée du 8 décembre 1998.


[2]         La demande de contrôle judiciaire a été entendue à Edmonton, le 13 janvier 2000. Le demandeur, qui n'est pas avocat, s'est représenté lui-même avec l'aide de son épouse. À la fin de l'audience, il a fait siens tous les arguments présentés à l'appui de sa demande. Un avocat a comparu au nom du procureur général du Canada.

Le contexte

[3]         Le demandeur a présenté une demande de prestations d'invalidité en vertu de la Loi en 1995. Il a cotisé au régime de 1981 à 1992. Quand il a présenté sa demande, sa plus récente occupation était ouvrier. Il avait arrêté de travailler au mois d'août 1991 par suite d'un accident d'automobile dans lequel il a subi des blessures au cou, au bas du dos, aux jambes et aux bras.

[4]         La demande de prestations d'invalidité prévues par la Loi qui a été présentée par M. Callihoo a été rejetée. Il a porté cette décision en appel, conformément à la Loi, d'abord devant le ministre et ensuite devant le tribunal de révision, en vertu de l'article 82 du Régime. Dans sa décision rendue le 29 octobre 1997, le tribunal a conclu que la preuve médicale était insuffisante pour conclure que les blessures du demandeur étaient suffisamment graves au sens de la Loi pour qu'il puisse recevoir des prestations d'invalidité. Le paragraphe 42(2) du Régime prévoit :

(2) For the purposes of this Act,

(2) Pour l'application de la présente loi_:

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa_:

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d'être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d'être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n'est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d'une demande à l'égard de laquelle la détermination a été établie.

[5]         Le demandeur a alors sollicité un nouvel examen de son cas, et cette demande a été traitée comme une demande d'autorisation d'interjeter appel à la Commission d'appel des pensions, en vertu de la Loi. La demande a été examinée par un commissaire de la Commission qui l'a rejetée, dans les termes qui suivent :

[traduction]

Le tribunal de révision, ayant pris connaissance de la preuve qui lui a été présentée, a conclu que les problèmes de dos de l'appelant et ses troubles affectifs saisonniers, considérés ensemble ou séparément, n'avaient pas satisfait au critère strict qui permettrait de conclure que M. Callihoo est gravement invalide au sens du Régime de pensions du Canada. J'ai examiné les rapports médicaux et je suis d'avis qu'en vertu de ceux-ci, la conclusion du tribunal n'est pas seulement raisonnable, mais étayée par la prépondérance de l'opinion médicale. Je ne vois aucune erreur de principe de la part du tribunal. Je ne vois aucun fondement pour autoriser l'appel.

Par conséquent, l'autorisation d'interjeter appel est refusée.


La norme de contrôle

[6]         Quand la Cour entend une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, elle ne peut pas simplement annuler la décision d'un décideur parce qu'elle serait arrivée à un résultat différent. Les décideurs dont les pouvoirs sont conférés par la loi ont droit, dans la plupart des cas, à un certain degré de retenue judiciaire lors du réexamen de leurs décisions. Le degré de retenue qui doit être accordé varie : la norme de la décision correcte n'exige que peu de retenue, tandis qu'une grande retenue est exigée dans les cas où la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. En ce qui concerne la norme de la décision correcte, la cour qui réexamine une décision peut l'annuler si elle conclut que la décision est simplement incorrecte. Pour ce qui est de la norme de la décision manifestement déraisonnable, la décision ne peut être annulée que si l'erreur commise par le décideur est tellement déraisonnable qu'elle ne trouve aucun fondement dans la preuve ou dans la loi. Entre ces deux extrêmes, la norme de la décision raisonnable peut être appropriée quand la décision qui fait l'objet du réexamen n'est pas seulement une question de droit, et il suffira que la décision réexaminée soit étayée par des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé[2]. En somme, la décision doit avoir un fondement.


[7]         Le degré de retenue dans une affaire donnée s'évalue en vertu d'une analyse « pragmatique et fonctionnelle » , récemment reformulée dans l'arrêt Pushpanathan[3], confirmé par l'arrêt Baker[4].

[8]         La norme de contrôle applicable à une décision de la CAP qui refuse d'autoriser un appel a été examinée dans plusieurs décisions récentes par mes collègues de la Cour et par la Cour d'appel fédérale. La décison la plus récente de la Section de première instance est la décision Davies c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines)[5], dans laquelle le juge Teitelbaum a examiné la décision rendue par le juge Reed dans l'affaire Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines)[6].

[9]         Dans l'affaire Davies et dans l'affaire Kerth, la Cour a appliqué l'analyse de l'arrêt Pushpanathan. Les deux décisions vont essentiellement dans le même sens, sauf quant à la question de l'expertise relative du décideur. Dans la décision Kerth, madame le juge Reed a écrit, aux paragraphes 18 à 23 :


Les facteurs pertinents pour déterminer la norme de contrôle applicable dans une procédure de contrôle judiciaire ont récemment été énoncés dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C. S. 982. La considération la plus importante est l'intention du législateur : celui-ci avait-il l'intention que le tribunal de révision fasse preuve de retenue à l'égard de la décision, ou avait-il l'intention de prévoir un appel de plein droit, ou la norme pertinente se trouve-t-elle quelque part entre ces deux pôles. En outre, la norme de contrôle doit être déterminée en faisant référence à la nature spécifique de la décision faisant l'objet du contrôle. La même norme ne s'appliquera pas nécessairement à toutes les décisions provenant du même décideur. Les facteurs devant être pris en compte selon l'arrêt Pushpanathan sont les suivants : (1) les dispositions législatives régissant le processus de contrôle, notamment la question de savoir s'il y a une clause privative; (2) le degré d'expertise du tribunal ayant trait à la question en litige, comparativement au degré d'expertise que possède le tribunal de révision sur le sujet; (3) l'objet de la loi et les objectifs du décideur, c'est-à-dire si le décideur cherche à établir un équilibre entre des considérations d'ordre public (souvent formulées en termes vagues) ou à se prononcer sur les droits des particuliers; (4) la nature de la décision faisant l'objet du contrôle, c'est-à-dire notamment de savoir s'il s'agit d'une question de droit ou de fait.

J'aborderai maintenant ces facteurs en fonction de la décision faisant l'objet du présent contrôle. Les paramètres législatifs du contrôle prévu sont énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Le Régime de pensions ne renferme aucune clause privative, à l'exception du fait qu'il prévoit que les décisions de la Commission d'appel des pensions sont définitives, et qu'elles peuvent uniquement faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Bien que la jurisprudence indique que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale exige une « décision manifestement déraisonnable » , ce n'est pas le critère qui a été appliqué dans l'arrêt Pushpanathan, ou plus récemment dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no 39. Je note que les expressions utilisées à l'alinéa 18.1(4)d) sont dissociatives; il faut se demander si la décision faisant l'objet du contrôle se fonde sur une conclusion de fait qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le décideur disposait. Pour ce qui a trait au contrôle des décisions en s'appuyant sur leurs faits particuliers, cela signifie que le mandat de la loi permet de situer la norme de contrôle dans une certaine gamme qui s'échelonne d'un haut degré de retenue judiciaire (le caractère abusif ou arbitraire doit être démontré) à une norme de contrôle qui retient comme critère la décision correcte ou raisonnable (le décideur n'a pas tenu compte des éléments dont il disposait). Quand le contrôle porte sur des questions de droit, toutefois, l'alinéa 18.1(4)c) n'accorde aucune latitude.

Pour ce qui a trait à l'expertise relative de la Commission et de la présente Cour, il n'y a pas beaucoup de différence entre elles pour ce qui est de déterminer les principes applicables aux demandes d'autorisation d'interjeter appel. Bien entendu, les commissaires ont une expertise plus grande pour traiter des faits de l'affaire.

Pour ce qui a trait aux motifs de la Loi et à ceux du décideur, la décision porte sur la détermination des droits d'une personne (le droit aux prestations). Le tribunal a donc un pouvoir de nature décisionnelle, et non pas un pouvoir qui porte sur des questions discrétionnaires d'intérêt public. La Commission est un organisme judiciaire, puisqu'elle est composée de juges.

Pour ce qui a trait à la nature de la décision, celle-ci porte à la fois sur une question de droit et sur une question de fait. La question de droit est de savoir si la Commission a appliqué le critère juridique pertinent. La question de fait est de savoir si la décision de la Commission est appuyée par la preuve.


D'après l'évaluation précitée des facteurs pertinents, je conclus que la norme de contrôle en l'espèce n'oblige pas à faire preuve d'un niveau élevé de retenue judiciaire.

[10]       Dans l'affaire Kerth, se fondant sur un arrêt de la Cour d'appel[7] traitant du critère approprié pour apprécier une demande d'autorisation d'interjeter appel, le juge Reed a conclu que le décideur avait commis une erreur en utilisant le mauvais critère, c'est-à-dire en examinant le fond de la demande et non, comme cela aurait dû être le cas, la question de savoir si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie. Dans l'affaire Kerth, la demande d'autorisation faisait état d'une preuve nouvelle ou additionnelle qui n'avait pas été examinée par le tribunal de révision et qu'il était loisible à la Commission d'appel d'examiner à l'occasion d'un procès de novo. Selon le juge Reed, lorsque le motif pour obtenir l'autorisation d'interjeter appel est l'existence d'une nouvelle preuve, la question qui doit être examinée lors de la demande d'autorisation est celle de savoir si cette nouvelle preuve soulève un doute réel quant à la question de savoir si le tribunal serait arrivé à une conclusion différente si la preuve additionnelle lui avait été présentée.


[11]       Dans l'affaire Davies, malgré le fait que le juge Teitelbaum ait aussi conclu que la norme de contrôle appropriée d'une décision portant sur une demande d'autorisation d'interjeter appel était près de la norme de la décision correcte, il a fait preuve de plus de retenue que le juge Reed en raison de l'expertise relative de la CAP. Il a conclu dans l'affaire Davies que la demande d'autorisation ne soulevait aucune nouvelle preuve et que la décision qui avait rejeté la demande d'autorisation n'était pas déraisonnable. Par surcroît, selon son propre examen du dossier de la décision du tribunal de révision, la décision était raisonnable au vu de la preuve qui lui avait été présentée. Il a donc refusé d'intervenir.

[12]       Deux arrêts de la Cour d'appel, tous deux rendus au mois de décembre 1999, ont donné lieu à des décisions assez différentes, pour des raisons différentes. Dans l'affaire Gramaglia c. Canada (Procureur général)[8], la Cour d'appel a rejeté l'appel de la décision du juge Rothstein[9] (maintenant juge à la Cour d'appel) laquelle avait rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision du vice-président de la CAP, qui avait refusé d'autoriser un appel d'une décision du tribunal de révision dans laquelle aucune nouvelle preuve n'avait été présentée avec la demande d'autorisation, et la preuve présentée au vice-président de même que celle présentée au tribunal de révision avaient été prises en considération par chacun d'eux et leurs conclusions ne pouvaient pas être considérées comme déraisonnables. La Cour d'appel n'était pas convaincue que le juge Rothstein avait commis une erreur de principe ou de droit ou qu'il avait mal interprété les faits de la demande, et elle a rejeté l'appel.


[13]       Dans l'arrêt Martin c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines)[10], la Cour d'appel a accueilli l'appel d'une décision du juge Tremblay-Lamer[11] qui avait rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision du vice-président de la CAP ayant rejeté la demande d'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision. Elle a bien indiqué que le critère approprié exigeait une retenue de la part de la cour qui procède au réexamen, à moins que le décideur ait tenu compte de faits non pertinents ou qu'il ait agi contrairement à la loi. La Cour d'appel, en examinant la décision du vice-président et en faisant référence à la décision du juge Reed dans l'affaire Kerth, qui avait indiqué le bon critère à appliquer lors du réexamen par une cour d'une demande d'autorisation d'interjeter appel, a conclu que dans l'affaire Martin, le décideur chargé de trancher la question de l'autorisation était allé plus loin que de seulement examiner si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie ou si une question de droit ou de compétence avait été soulevée. Selon la Cour d'appel, dans cette affaire, le vice-président avait commis une erreur en examinant si le demandeur avait des chances d'avoir gain de cause dans la demande d'autorisation. La Cour d'appel a conclu qu'il y avait une cause défendable quant à l'interprétation correcte à donner au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada qui exige, pour qu'une invalidité soit considérée grave, que le demandeur soit « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » . La Cour d'appel a conclu que le tribunal de révision et le décideur qui avait examiné la demande d'autorisation considéraient que l'appelant devait démontrer qu'il « était incapable d'accomplir tout travail » . Par conséquent, la Cour d'appel était d'avis que la demande d'autorisation avait des chances sérieuses d'être accueillie.


[14]       Enfin, dans l'affaire Ministre du Développement des Ressources humaines c. Skoric[12], le ministre sollicitait le contrôle judiciaire et l'annulation d'une décision de la CAP qui avait renversé une décision d'un tribunal de révision et accueilli la demande présentée par l'épouse survivante d'un bénéficiaire de prestations d'invalidité en vertu du paragraphe 44(1) du Régime de pensions du Canada. La demande de contrôle portait sur le droit et sur son application aux faits incontestés de l'affaire, car la Loi avait été modifiée. Selon le juge Evans, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, la question soulevée était clairement une question de droit et la norme de contrôle n'exigeait que peu de retenue relativement à la décision de la CAP. Cette conclusion, fait-il remarquer, était conforme à la norme de contrôle établie par le juge Reed dans l'affaire Kerth, quoique je remarque que la Cour, dans l'affaire Skoric, a examiné la décision de la CAP au fond, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire Kerth dans laquelle la question soulevée portait sur la norme de contrôle d'une décision relative à une demande d'autorisation d'interjeter appel.

[15]       Sur le fondement de cette jurisprudence récente, je suis d'avis que le contrôle d'une décision relative à une demande d'autorisation d'interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :

1.                   la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est-à-dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

2.                   la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.


[16]       Dans la présente affaire, le demandeur présente un nouvel élément de « preuve » qui n'avait pas été présenté au tribunal de révision lorsque celui-ci a rendu sa décision au mois de septembre 1997, mais qui avait été soumis après sa demande d'autorisation d'interjeter appel par l'envoi d'une lettre par télécopieur non datée, reçue par la CAP le 17 juillet 1998. La lettre indiquait brièvement que le demandeur s'était vu accorder des [traduction] « prestations d'invalidité en vertu de l'AISH » , et il demandait qu'il en soit tenu compte à l'égard des décisions à rendre dans son dossier. La décision selon laquelle l'autorisation a été refusée ne fait pas référence à cette lettre et le demandeur allègue qu'il s'agissait-là d'une erreur. En particulier, il a été allégué à l'audience de la présente demande de contrôle judiciaire que l'erreur était évidente, car l'exigence d'une invalidité grave selon le programme AISH de l'Alberta serait la même que celle du Régime de pensions du Canada. En fait, M. Callihoo fonde sa demande de contrôle judiciaire sur les motifs qui suivent :

[traduction]

1.                   Le demandeur a satisfait au critère d'invalidité tel qu'il est défini dans l'Alberta Insured for the Severely Handicapped[13].

2.                   La définition d'invalidité utilisée pour l'application de l'AISH est semblable à la définition et au critère prévus par le Régime de pensions du Canada.


[17]       Bien que le texte de la loi de l'Alberta n'ait pas été déposé devant moi et qu'il serait surprenant que la loi provinciale rende simplement admissibles aux prestations ceux qui sont considérés comme invalides par le Régime de pensions du Canada sans plus de formalités, la question soulevée n'a pas été traitée à fond et aucun autre élément de preuve sur la nature du régime provincial n'a été présenté relativement à la demande d'autorisation et à la présente demande de contrôle judiciaire. Selon moi, en l'absence d'autre preuve que la brève référence faite dans la lettre télécopiée, il n'y avait pas de preuve additionnelle importante quand la demande d'autorisation a été examinée par le commissaire de la CAP. La référence subséquente dans les motifs écrits au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire et les observations du demandeur à l'audition de la présente affaire n'étaient pas une « preuve » présentée au décideur, et il ne s'agit pas d'une « preuve » qui justifie que la Cour intervienne pour annuler la décision refusant d'accorder l'autorisation.

[18]       J'ai vérifié dans le Alberta Regulation 203/99, Assured Income for the Severely Handicapped, adopté en vertu de la loi albertaine qui porte le même titre. Le régime prévoit le paiement mensuel des prestations prévues au règlement à ceux qui ont un [traduction] « handicap grave » , expression définie comme suit :

[traduction]

c) « handicap grave » signifie une déficience fonctionnelle mentale, physique ou les deux à la fois qui, selon le directeur, par suite d'un examen des rapports médicaux ou psychologiques pertinents, restreint considérablement la capacité d'une personne à gagner sa vie et qui est susceptible d'affecter cette personne de façon permanente en raison de l'inexistence d'un traitement curatif qui améliorerait de façon importante la capacité de cette personne à gagner sa vie ou qui améliorerait ses capacités physiques ou mentales[14];


Dans cette définition, il y a des concepts quelque peu semblables à ceux du paragraphe 42(2) du Régime, mais il y a aussi des différences. De plus, le fait d'être admissible à des prestations en vertu de la loi provinciale ne soulève pas automatiquement une question sérieuse relativement à une décision selon laquelle une preuve similaire ne rend pas une personne admissible à des prestations en vertu d'une autre loi comme, dans le présent cas, le Régime de pensions du Canada.

[19]       J'examine maintenant les autres questions soulevées par la demande d'autorisation d'interjeter appel. Dans sa lettre de huit pages non datée reçue par la CAP, qui l'a considérée comme une demande d'autorisation d'interjeter appel, le demandeur soulève principalement les préoccupations qui suivent :

1.                   Un membre du tribunal de révision paraissait être « vraiment mal renseigné » sur les TAS (troubles affectifs saisonniers), un état que le demandeur dit subir, ce qui fait qu'il a semblé à M. Callihoo que ce membre ne pouvait pas avoir rendu une décision impartiale.

2.                   Selon le demandeur, la décision du tribunal de révision était fondée davantage sur les rapports médicaux plus anciens que sur les plus récents, et les questions posées par les membres du tribunal n'étayaient pas certaines de ses conclusions quant à l'étendue et au caractère continu des activités physiques du demandeur. Dans un autre contexte, le tribunal a supposé qu'un certain traitement à la lumière contre les TAS aiderait le demandeur, mais avant que le tribunal n'examine l'affaire, le demandeur avait déjà essayé ce traitement, qu'il avait arrêté car cela n'avait donné aucun résultat.


3.                   D'après son examen des faits de l'affaire et de certaines parties du rapport du tribunal qu'il dit être erronées, le demandeur est d'avis qu'il est invalide au sens de la définition du dictionnaire de ce mot. Quand la présente demande a été entendue, cette préoccupation a été appuyée par le fait qu'il avait été considéré admissible aux prestations pour les personnes invalides en vertu du programme de l'Alberta. Le demandeur a exprimé des réserves quant à la définition d'invalide sur laquelle le tribunal s'était fondé.

[20]       Après avoir examiné ces préoccupations relatives à la décision du tribunal, et sans examiner le bien-fondé de la demande d'autorisation sauf pour évaluer s'il en ressort une demande qui a des chances sérieuses d'être accueillie, je suis d'avis que :

1.                   Même si un membre du tribunal semblait ne pas ou peu connaître un des états dont le demandeur prétend être affecté, cela ne soulève pas en soi de motif pour conclure à l'existence d'un parti-pris ou à un manque d'impartialité de la part de ce membre ou du tribunal, composé de trois personnes. Il n'y a aucune exigence selon laquelle un membre du tribunal doive connaître chacun des nombreux états qui donnent lieu à une demande de prestations d'invalidité. La décision d'un membre n'est pas fondée sur sa propre compréhension des troubles médicaux, mais sur son appréciation des rapports des médecins examinateurs, qui sont présentés principalement par la personne qui demande les prestations.

2.                   La préoccupation selon laquelle on n'a pas accordé assez d'attention à certains rapports médicaux, ainsi qu'aux plus récents, se rapporte essentiellement à l'importance accordée à certaines parties de la preuve par le tribunal. Dans la mesure où cette préoccupation se rapporte à des références factuelles particulières contenues dans la décision du tribunal, je suis d'avis que la décision finale n'est pas fondée sur des erreurs factuelles, mais qu'elle s'appuie sur la preuve médicale au dossier.

3.                   Enfin, le tribunal s'est fondé sur la définition d' « invalide » prévue au paragraphe 42(2) du Régime et l'a appliquée, comme il était tenu de le faire, indépendamment des autres définitions qui peuvent se trouver dans les dictionnaires ou même dans d'autres lois, par exemple les lois de l'Alberta.


[21]       Les présents motifs doivent aussi porter sur une dernière considération, soit celle de la décision qui avait rejeté la demande d'autorisation, qui est exposée au paragraphe 5 des présents motifs. L'avocat du défendeur, le procureur général du Canada, a allégué que cette décision, et plus particulièrement l'extrait dans lequel on dit « [j]e ne vois aucune erreur de principe de la part du tribunal. Je ne vois aucun fondement pour autoriser l'appel » , établit clairement que le membre désigné avait examiné de façon appropriée la question de savoir si la demande d'autorisation avait des chances sérieuses d'être accueillie sans examiner le fond de la demande. Je reconnais que la distinction est peut-être difficile à faire dans un cas donné, mais je suis convaincu que dans la présente affaire, la demande d'autorisation a été évaluée à la lumière du bon critère, qui consiste à évaluer si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie sans en examiner le fond.

[22]       En l'absence d'une nouvelle preuve importante qui n'aurait pas été examinée par le tribunal de révision, une demande d'autorisation a des chances sérieuses d'être accueillie lorsque le décideur conclut qu'il en ressort une question ou une erreur de droit, appréciée en vertu de la norme de la décision correcte, ou une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire à la lumière de la preuve. Le décideur en l'espèce a conclu qu'il ne ressortait aucune erreur de la demande d'autorisation. La décision portant sur la demande d'autorisation ne contient aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.

Conclusion


[23]       Les fonctionnaires du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social chargés de l'administration du Régime de pensions du Canada pourraient examiner la loi de l'Alberta et expliquer à M. Callihoo pourquoi, s'il a été considéré admissible en vertu du programme de l'Alberta, il n'a pas été du même coup considéré admissible aux prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.

[24]       Que cela soit fait ou non, rien ne permet à la Cour d'intervenir et d'annuler de la décision du commissaire de la CAP qui a rejeté la demande d'autorisation d'interjeter appel de M. Callihoo. La Cour ordonne le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire et des autres réparations sollicitées, soit l'annulation de la décision rejetant la demande d'autorisation d'interjeter appel et la déclaration que le demandeur est admissible aux prestations d'invalidité prévues par le Régime.

[25]       À l'audition de la présente demande, l'avocat du procureur général a affirmé qu'il ne réclamait pas les dépens. Chaque partie doit payer ses frais.

(signature) W. Andrew MacKay            

                                                       

JUGE                      

OTTAWA (ONTARIO)

Le 12 mai 2000.

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                       T-859-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Kevin Callihoo c.

Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 13 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR                    Monsieur le juge MacKay

EN DATE DU :                                                           12 mai 2000

ONT COMPARU :

M. Kevin Callihoo                                                         SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

M. John Vaissi Nagy                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]            L.R.C. (1985), ch. C-8, et ses modifications.

[2]               Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748,

le juge Iacobucci.

[3]               Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; 160 D.L.R. (4th) 193.

[4]               Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; 174 D.L.R. (4th) 195.

[5]            [1999] A.C.F. no 1514 (1re inst.).

[6]            [1999] A.C.F. no 1252 (1re inst.).

[7]               Kurniewicz c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1974) 6 N.R. 225 (C.A.F.), à la page 230.

[8]               [1999] A.C.F. no 1913 (C.A.F.).

[9]            [1998] A.C.F. no 1384 (1re inst.).

[10]              [1999] A.C.F. no 1972 (C.A.F.).

[11]           [1998] A.C.F. no 287 (1re inst.).

[12]           [2000] A.C.F. no 193 (C.A.F.).

[13]           En référence à l'Alberta Income for the Severely Handicapped Act, R.S.A. (1980), ch. A-48.

[14]           Règlement de l'Alberta 203/99, alinéa 1(1)c)

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