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Date : 20010719

Dossier : T-780-00

Référence neutre : 2001 CFPI 809

ENTRE :

                                                   LIFESCAN, INC. et

                                              LIFESCAN CANADA LTD.

                                                                                                               demanderesses

                                                               - et -

                                                NOVOPHARM LIMITED

                                                                                                                  défenderesse

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE RELATIVE AUX DÉPENS

LE JUGE LEMIEUX:

A.      INTRODUCTION

[1]                 Le 10 novembre 2000, j'ai rejeté avec dépens la demande d'injonction interlocutoire présentée par les demanderesses.

[2]                 Par requête, la défenderesse demande à la Cour de réexaminer l'affaire de manière à :

(a)        lui adjuger ses dépens afférents à une requête entendue par madame le juge Dawson le 15 mai 2000;


(b)        lui adjuger, peu importe l'issue de la cause et payables sans délai, ses dépens afférents à la requête en injonction interlocutoire entendue les 6 et 11 septembre 2000, conformément à un mémoire de frais que Novopharm soumettra à l'examen de la présente Cour;

(c)        émettre une directive indiquant de procéder à la taxation des dépens pour les deux avocats en conformité avec les maximums de la fourchette de la colonne V du tarif B ou de toute autre colonne, selon ce que la présente Cour peut ordonner;

(d)        lui adjuger les dépens de la présente requête.

[3]                 J'ai entendu l'argumentation orale des parties plus tôt cette année et je leur ai ordonné de déposer des représentations écrites sur les conséquences que serait susceptible d'avoir sur cette question l'arrêt prononcé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc. et al., (A-102-00, 21 décembre 2000 (C.A.F.)), une affaire dans laquelle une injonction interlocutoire a été refusée.

ANALYSE

(1)        Un réexamen est-il nécessaire?


[4]                 Les demanderesses s'opposent au réexamen. Elle prétendent que la défenderesse a obtenu l'ordonnance d'adjudication des dépens qu'elle avait demandée, à savoir que [TRADUCTION] « la requête soit rejetée avec dépens » . Je ne suis pas de cet avis parce que Novopharm a également demandé à la Cour la possibilité de formuler des observations au sujet des dépens. Par ailleurs, je ne me suis pas non plus prononcé précisément sur les dépens qui doivent lui être payés pour sa présence devant madame le juge Dawson.

[5]                 Je conviens avec l'avocat de Novopharm que la question des dépens devrait être réexaminée sur la base de l'alinéa 397(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998), (les Règles) qui permet de le faire lorsqu' « une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement » .

[6]                 La question qui a été oubliée est celle de savoir quand et dans quelle circonstance les dépens adjugés à Novopharm pour l'audience tenue devant madame le juge Dawson et celle tenue devant moi devraient lui être payés, compte tenu qu'elle avait demandé, dans son mémoire des faits et du droit, d'avoir la possibilité de présenter des observations au sujet des dépens.

(2)        Les dépens peu importe l'issue de la cause

[7]                 Je souscris aux principes suivants avancés par l'avocat de Novopharm :


(1)        Conformément à la règle 401(1) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de fixer les dépens d'une requête. Le juge est investi d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de condamner l'une ou l'autre des parties aux dépens de la requête, indépendamment du sort du principal (voir l'arrêt Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, [1999] A.C.F. n º 1687 (C.A.F.)). Il s'ensuit que la Cour peut ordonner de payer les dépens afférents à une requête en injonction interlocutoire peu importe l'issue de la cause.

(2)        Le principe directeur est celui qu'a formulé le juge Rothstein dans la décision AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd., [1998] A.C.F. n º 904 au cours de son examen de la règle 401. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 11 :

Même si la règle 401(1) exige encore que le pouvoir discrétionnaire d'adjuger les dépens soit exercé judiciairement, les Règles prévoient à mon sens que le pouvoir discrétionnaire doit s'exercer conformément à la politique [¼] en ce qui a trait à l'adjudication des dépens afférents aux requêtes - la question à trancher dans la requête ne doit pas coïncider avec celle de l'instruction et la détermination des dépens afférents aux requêtes est une méthode qui se veut expéditive et vise à attirer l'attention des parties au litige sur les coûts qu'entraîne un procès.

Le juge Rothstein a étayé les propositions qu'il avance en faisant référence à deux décisions ontariennes, plus précisément, l'affaire Apotex Inc. c. Egis Pharmaceuticals et al. (1990), 32 C.P.R. (3d) 559 (C. Ont.(Div. gén.)), et Applied Systems Technologies Inc. c. Sysnet Computer Systems Inc. et al. (1992), 41 C.P.R. (3d) 130 (C. Ont.(Div. gén.)).


[8]                 Les demanderesses estiment que les dépens devraient « suivre l'issue de la cause » et invoquent l'arrêt Thurston Hayes Developments Ltd. c. Horne Abbot Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 124 (C.A.F.) et la réserve formulée par le juge Rothstein dans l'affaire AIC, précitée, selon laquelle, si la règle 401 des Règles n'avait pas supplanté l'arrêt Thurston Hayes, il aurait restreint la portée de cet arrêt aux injonctions interlocutoires.

[9]                 Je crois que la Cour d'appel, dans l'arrêt A. Lassonde Inc., précité, a réglé cette question. La Cour a décidé que l'arrêt Thurston Hayes Developments Ltd., précité, ne s'appliquait plus et que c'était la règle 401 qui s'appliquait.

[10]            Je conclus que Novopharm devrait avoir droit à ses dépens afférents à la requête dont madame le juge Dawson a été saisie et à celle dont j'ai moi-même été saisi peu importe l'issue de la cause. Comme l'a fait valoir l'avocat de Novopharm, en invoquant la décision Apotex Inc., précitée, une requête en injonction interlocutoire est une question distincte et la question de l'opportunité de l'accorder ou non ne coïncide pas avec celle de l'instruction. Le droit de Novopharm découle du principe selon lequel normalement les dépens suivent le sort de la question.

(3)        Paiement sans délai

[11]            La défenderesse demande que les dépens afférents à l'injonction interlocutoire lui soient payés sans délai. Il y a lieu d'examiner la règle 401 (1) et (2) dont voici le libellé :



401. (1) La Cour peut adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu'elle fixe.

Paiement sans délai

401(2)(2) Si la Cour est convaincue qu'une requête n'aurait pas dû être présentée ou contestée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai.

401. (1) The Court may award costs of a motion in an amount fixed by the Court.

Costs payable forthwith

401(2)

(2) Where the Court is satisfied that a motion should not have been brought or opposed, the Court shall order that the costs of the motion be payable forthwith.


[12]            Dans l'arrêt A. Lassonde, précité, le juge Létourneau a indiqué que le paragraphe 401(2) des Règles impose à la Cour un devoir, plutôt que de lui conférer un pouvoir discrétionnaire, et celle-ci est tenue d'ordonner le paiement immédiat des dépens si la condition qui y est énoncée est remplie, c'est-à-dire si elle est convaincue que la requête n'aurait pas dû être présentée ou contestée.

[13]            Toujours dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a infirmé la conclusion tirée par le juge de première instance selon laquelle les dépens devaient être payés sans délai parce qu'elle a estimé que les points soulevés par l'appelante étaient fondés dans une certaine mesure étant donné l'incertitude juridique entourant la question du préjudice irréparable.

[14]            Je souscris au point de vue de Lifescan lorsqu'elle prétend qu'il était raisonnable qu'elle présente sa requête en injonction interlocutoire. Selon moi, les demanderesses ont prouvé qu'il y avait une question sérieuse à juger et la question de savoir si elles ont satisfait au critère du préjudice irréparable était une question qui nécessitait d'être soigneusement examinée et analysée.


[15]            Sur ce fondement, je ne peux conclure que les demanderesses n'auraient pas dû présenter leur requête. Par conséquent, je ne peux ordonner le paiement sans délai des dépens.

(4)        Le barème des dépens

[16]            En ce qui a trait aux services liés à la détermination du bien-fondé de l'injonction interlocutoire, Novopharm demande une ordonnance prescrivant de procéder à la taxation des dépens des deux avocats en conformité avec les maximums de la fourchette de la colonne V du tarif B ou de tout autre colonne, selon ce que la Cour peut ordonner. Novopharm concède qu'en ce qui concerne la requête dont madame le juge Dawson a été saisie, le milieu de la fourchette de la colonne III convient.

[17]            Ce point a également été examiné dans l'arrêt A. Lassonde, précité, dans lequel le juge des requêtes avait ordonné que la taxation des dépens soit faite en conformité avec la colonne IV. Le juge Létourneau a conclu que les règles 400 et 407 conféraient un pouvoir discrétionnaire à la Cour. La règle 400(1) a déjà été reproduite.

[18]            La règle 407 prévoit :


407. Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

407. Unless the Court orders otherwise, party-and-party costs shall be assessed in accordance with column III of the table to Tariff B.



[19]            Pour justifier sa demande de taxation des dépens à un barème supérieur à celui de la colonne III, Novopharm invoque les facteurs suivants, relevés par le juge Wetston dans la décision Apotex Inc. et al. c. Wellcome Foundation Ltd. et al. (1998), 84 C.P.R. (3d) 303 (C.F. 1re inst.), qui sont certains des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles :

(1)        le volume de travail;

(2)        la complexité des questions de droit;

(3)        la nature du travail requis et le fait que les dépens partie-partie doivent avoir un lien raisonnable avec les frais réels du procès.

[20]            Lifescan répond en soutenant que la règle 407 fixe le barème auquel les dépens doivent être taxés (à savoir la colonne III) sauf si la Cour n'en ordonne autrement, et elle prétend que la Cour n'a aucun motif pour agir ainsi parce que :

(a)        la question n'était pas une question de droit complexe et, sur ce point, elle attire mon attention sur la décision TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. et al. (1992) 43 C.P.R. (3d) 449 dans laquelle le juge Stone a dit qu'en examinant ce facteur, la Cour devait tenir compte de la complexité du droit et non de la complexité des faits;

(b)        Novopharm a déposé des affidavits inutiles;

(c)        Novopharm a inutilement perdu du temps à examiner le bien-fondé de l'affaire sur la question sérieuse à juger pour l'octroi d'une injonction, une question que j'ai tranchée en faveur de Lifescan et, sur ce point, Lifescan invoque une décision prononcée par le juge Rothstein dans l'affaire Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 344.


[21]            Je vais donner à l'officier taxateur une directive lui enjoignant de taxer les dépens afférents à la requête en injonction interlocutoire entendue au fond selon les maximums de la fourchette de la colonne IV; je le fais surtout en raison du volume de travail, de la nature du travail et du fait que les dépens partie-partie doivent avoir un lien raisonnable avec les frais réels du procès. Par ailleurs, acceptant aussi le principe formulé par le juge Wetston dans l'affaire Apotex Inc., précitée, j'estime que les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants, que le tarif B actuel vise cet équilibre et que s'ajoute le principe supplémentaire qui sous-tend les dépens selon lequel l'adjudication des dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et l'absence de charge excessive imposée à la partie qui succombe.

[22]            Dans l'affaire TRW, précitée, le juge Stone s'est fondé sur le volume de travail pour justifier une augmentation importante du tarif B. L'audience tenue devant moi a pris deux journées entières. Le dossier de requête de Lifescan comptait 263 pages; le dossier de réponse de Novopharm, 1 757 pages et la requête en réponse de Lifescan, 508 pages.

[23]            Je ne partage pas l'opinion de l'avocat de Lifescan selon laquelle Novopharm a déposé des affidavits inutiles. Je conclus que Novopharm était obligée de répondre aux nombreuses questions que soulevait le déposant de Lifescan, Steven Mahon, sur des points comme celui de savoir si le produit était visé par la licence de D.S.I., ceux de la qualité du produit et de la nature de la confusion par rapport à la manière dont les bandelettes de test Novo-Glucose de Novopharm sont commercialisées.


[24]            Si je m'inspire de ce qu'a statué le juge Stone dans l'affaire TRW, précitée, rien ne justifie, selon moi, d'appliquer un barème supérieur pour les dépens devant être payés à Novopharm en raison de la complexité des questions de droit.

[25]            Je n'accepte pas l'argument de Lifescan voulant que les dépens de Novopharm devraient être gelés à la colonne III parce que cette dernière aurait indûment débattu du bien-fondé de l'affaire en insistant sur la question sérieuse à juger. Novopharm a contesté la position de Lifescan dans deux domaines mais, dans l'ensemble de l'affaire, cela n'a guère influencé la conclusion que j'ai tirée.

[26]            En ce qui concerne la requête dont madame le juge Dawson a été saisie, je n'accepte pas l'affirmation de Lifescan selon laquelle il s'agissait simplement d'une audience sur l'échéancier étant donné que, selon moi, il s'agissait d'une demande d'ajournement présentée par la défenderesse, à laquelle les demanderesses se sont opposées. Novopharm a droit à ses dépens afférents à cette requête.


[27]            Un dernier point. Novopharm a sollicité des dépens plus élevés parce que j'ai conclu que Lifescan avait tardé à présenter sa demande d'injonction interlocutoire. Novopharm en a déduit que la Cour avait conclu que Lifescan avait eu comme objectif de tenir Novopharm à l'écart du marché, ce qui justifierait une augmentation des dépens adjugés (voir Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. et al. (1999), 2 C.P.R. (4th) 368 (C.F. 1re inst.).

[28]            Pour les besoins de l'adjudication des dépens, je ne tiendrai pas compte du retard parce qu'il s'applique au refus de l'injonction et qu'à mon avis, il n'est pas, en soi, pertinent à la question des dépens. Je n'ai pas conclu que Lifescan poursuivait un objectif irrégulier en présentant sa demande d'injonction. Dans les circonstances, accepter l'argument de Novopharm reviendrait à pénaliser Lifescan deux fois.

(5)        Dépens de la présente requête

[29]            Je conclus que chaque partie devrait supporter ses propres dépens afférents à la présente requête étant donné qu'elles ont eu également gain de cause.

DISPOSITIF


[30]            Par conséquent, la défenderesse obtient des dépens, à taxer par l'officier taxateur, pour les requêtes présentées devant le juge Dawson et devant moi peu importe l'issue de la cause; ces dépens sont exigibles dans les trente (30) jours qui suivent le règlement de l'action. Les dépens afférents à la requête principale seront taxés suivant les maximums de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B et comprendront tous les frais engagés pour les deux avocats. Les dépens afférents à la requête tranchée par le juge Dawson seront taxés suivant le milieu de la fourchette prévue à la colonne III avec une indemnité pour un seul avocat.

                                                                                                                                      « François Lemieux »

                                                                                                                                                           J U G E         

OTTAWA (ONTARIO)

LE 19 JUILLET 2001

Traduction certifiéeconforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010719

Dossier : T-780-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 JUILLET 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                   LIFESCAN, INC. et

                                              LIFESCAN CANADA LTD.

                                                                                                               demanderesses

                                                               - et -

                                                NOVOPHARM LIMITED

                                                                                                                  défenderesse

                                 ORDONNANCE RELATIVE AUX DÉPENS


La défenderesse obtient des dépens, à taxer par l'officier taxateur, pour les requêtes présentées devant le juge Dawson et devant moi peu importe l'issue de la cause; ces dépens sont exigibles dans les trente (30) jours qui suivent le règlement de l'action. Les dépens afférents à la requête principale seront taxés suivant les maximums de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B et comprendront tous les frais engagés pour les deux avocats. Les dépens afférents à la requête tranchée par le juge Dawson seront taxés suivant le milieu de la fourchette prévue à la colonne III, avec une indemnité pour un seul avocat.

                                                                                                                                     « François Lemieux »     

                                                                                                                                                           J U G E

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE DOSSIER :                                  T-780-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    LIFESCAN, INC. ET AL. c. NOVOPHARM LIMITED

DÉPENS TRANCHÉS SUR REPRÉSENTATIONS ÉCRITES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE D'ADJUDICATION DES DÉPENS PRONONCÉS par le juge Lemieux le 19 juillet 2000.

REPRÉSENTATIONS ÉCRITES FORMULÉES PAR :

DONALD CAMERON                         POUR LA DEMANDERESSE

WARREN SPRINGINGS                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AIRD & BERLIS                                   POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

HITCHMAN & SPRIGINGS     POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

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