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Date : 20000113


Dossier : T-648-99



ENTRE :


     RONALD J. CUNDELL


     demandeur


     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l"encontre d"une décision rendue par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (ci-après le Tribunal), décision no 00828, confirmant la décision du comité d"examen datée du 13 août 1998. Cette dernière instance confirmait la décision ministérielle rendue le 14 avril 1998, par laquelle on a refusé au demandeur le droit à une pension fondée sur une invalidité, soit une sarcoïdose, aux termes du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions et la Loi des subsides no 10 de 1964.

[2]      Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance portant que la décision en appel rendue à l"égard du demandeur par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), dossier no 00828, date d"audition : 9 février 1999, soit annulée et que le demandeur se voit ainsi accorder le droit à une pension en raison d"une sarcoïdose.

[3]      Subsidiairement, le demandeur cherche à obtenir une ordonnance portant que la décision en appel rendue par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), dossier no 00828, soit annulée et que la présente affaire soit renvoyée devant une formation différente pour qu"elle la réexamine et qu"elle statue de nouveau.

LES FAITS

[4]      Le demandeur, Ronald J. Cundell, demeure à Fredericton (Nouveau-Brunswick).

[5]      Voici ce en quoi consiste le service militaire du demandeur :

         Force régulière : 8 janvier 1981 - présent, mais le demandeur s"attend à être démobilisé pour des raisons médicales, à savoir une sarcoïdose

         Secteur de service spécial (Golfe persique) : 18 février au 21 mars 1991

         Secteur de service spécial (Israël) : 26 février au 26 août 1996


[6]      Le demandeur affirme qu"il a été fortement exposé à des polluants provenant des feux de puits de pétrole lors de son service militaire dans le Golfe persique. À son retour au Canada, il a déclaré avoir eu du crachat noir pendant trois jours.

[7]      Avant son départ pour le Golfe persique, la poitrine du demandeur avait fait l"objet de radiographies, suivant la pratique, et son état a été déclaré normal. Ces radiographies avaient lieu environ aux deux ans, dans le cadre d"examens médicaux réguliers, et lorsque le demandeur s"apprêtait à être affecté dans une unité placée en état d"alerte.

[8]      Les radiographies datant du 24 août 1982, du 20 février 1990, du 25 avril 1991 et du 9 mai 1990 montrent [TRADUCTION] " radiographie thoracique approuvée " ou ne constatent [TRADUCTION] " aucune pathologie importante mise en évidence ".

[9]      Le 25 avril 1991, soit peu après un mois suivant son retour du Golfe persique, le demandeur a subi d"autres radiographies à la poitrine et la remarque suivante a été inscrite à son dossier : [TRADUCTION] " hile droit proéminent avec opacités minimes disséminées dans le lobe supérieur droit ".

[10]      En vue d"effectuer une évaluation plus poussée de son cas, on a recommandé au demandeur un suivi dans les deux ou trois semaines qui allaient suivre. Dans la partie portant sur les données cliniques et sur le diagnostic figurant sur la demande de radiographie et de rapport en date du 25 avril 1991, on peut constater ce qui suit : [TRADUCTION] " Est revenu du Koweït. A été exposé à des émanations de pétrole. Crachats noirs ".

[11]      Un rapport d"examen radiographique subséquent, en date du 12 janvier 1997, note ce qui suit :

         [TRADUCTION] On observe en effet de nombreuses petites opacités nodulaires bilatérales allant du lobe moyen aux zones supérieures du poumon; leur taille est variable, pouvant atteindre près d"un centimètre de diamètre. Il semble également y avoir une légère saillie de tissus mous au niveau du hile gauche au moins.

    

         D"après l"information fournie sur la demande, on présume que les changements susmentionnés sont chroniques. La cause la plus fréquente de telles observations radiographiques est certes la sarcoïdose.

[12]      On peut constater du rapport d"examen radiographique en date du 16 avril 1998 :

         [TRADUCTION] Un examen plus poussé du thorax a été effectué. Une anomalie notable a été observée. Les deux hiles sont hypertrophiés, ce qui concorde avec la présence de gros nodules, dont quelques-uns présentent des calcifications. D"autres nodules s"étendent jusqu"au médiastin, atteignant la région rétrocardiaque de même que la région de la communication interaorto-pulmonaire et la région para-aortique. Les nodules s"étendent sous le diaphragme dans la région rétropéritonéale, atteignant le mésentère. [...] Nous avons découvert une autre anomalie intéressante : atteinte du parenchyme pulmonaire disséminée dans les territoires des lobes moyen et supérieur, à localisation périphérique. [...] Impression : anomalies telles que décrites ci-dessus. Le diagnostic le plus plausible serait celui de sarcoïdose, le lymphome étant le diagnostic différentiel possible et, étant donné la présence de lésions du parenchyme pulmonaire, il faut écarter des métastases pulmonaires provenant de la région testiculaire. Toutefois, j"estime que le diagnostic le plus probable est celui de sarcoïdose.


[13]      Un rapport d"examen radiographique en date du 13 août 1998 notait : [TRADUCTION] " On observe une zone disséminée de consolidation à la périphérie du poumon gauche, qui pourrait être liée aux lésions granulomateuses, compte tenu des antécédents possibles de sarcoïdose ".

[14]      Le 14 avril 1998, le ministre des Anciens combattants a décidé que le demandeur n"avait pas droit à une pension.

[15]      Le demandeur a alors présenté une demande devant le comité d"examen le 13 août 1998 pour qu"il réexamine la décision ministérielle conformément aux articles 18 à 24 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, et à l"article 84 de la Loi sur les pensions , L.R.C. (1985), ch. P-6.

[16]      Le dépôt de cette demande fait suite au désaccord du demandeur avec la décision du ministre datée du 14 avril 1998, qui rejetait sa demande de pension fondée notamment sur une sarcoïdose.

[17]      Le comité d"examen, formé de trois membres, a conclu à l"unanimité qu"il n"existait aucun avis médical définitif retraçant la cause de l"invalidité du demandeur à ses 31 jours de service militaire dans la zone de la guerre du Golfe.

[18]      Le comité d"examen a rejeté la demande de pension fondée sur une sarcoïdose parce que ses membres n"ont pas accepté les preuves présentées comme démontrant une [TRADUCTION] " [...] confirmation du diagnostic de l"affection mentionnée dans la demande [...] " et que [TRADUCTION] " [...] même si l"existence de l"affection mentionnée dans la demande était établie d"après des critères médicaux, le Tribunal serait incapable d"établir un lien entre l"affection et la période de service du requérant durant la guerre du Golfe ".

[19]      Il était loisible au demandeur d"interjeter appel de la décision du comité d"examen devant un comité d"appel, en vertu des articles 25 à 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) .

[20]      La décision du comité d"appel du Tribunal du 4 mars 1999, qui fait l"objet de la présente demande, a confirmé la décision du comité d"examen et a refusé au demandeur une pension fondée sur une sarcoïdose. Le fondement de cette décision était que [TRADUCTION] " en dépit de l"opinion du pneumologue, selon laquelle le sujet présente une sarcoïdose depuis sept ans, [le Dr Morrison] a ajouté que les causes de la sarcoïdose demeurent obscures [...] ". À la lumière de cette affirmation, le Tribunal a conclu qu"il [TRADUCTION] " ne disposait d"aucun avis médical définitif quant aux conséquences des émanations de pétrole sur l"état de santé de l"appelant [...] ".


LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[21]      Les motifs du Tribunal et les conclusions qu"il a tirées se trouvent à la page 3 de sa décision :

         [TRADUCTION] En arrivant à cette conclusion, le Tribunal a examiné en détail l"ensemble de la preuve, les dossiers médicaux et les observations de l"avocat, et s"est acquitté entièrement de l"obligation que lui imposait la loi de trancher tout doute en faveur du demandeur ou de l"appelant, conformément aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).
         Le Tribunal, après avoir examiné en détail l"ensemble de la preuve dont il dispose, de même que les observations orales et écrites de l"avocat, conclut que, malgré la lettre du Chef du service de santé que l"on retrouve à la pièce VRAB-2 indiquant que [TRADUCTION] " le stress énorme qu"impose l"environnement en temps de guerre peut entraîner un certain nombre de maladies ", il n"existe malheureusement aucun renseignement médical portant sur les facteurs d"agression à l"égard de l"appelant au cours de son affectation au Golfe persique. Par conséquent, le Tribunal conclut qu"il n"y a pas lieu d"accorder une pension en l"espèce.
         Comme l"avocat n"a pas présenté d"argument relativement au service militaire de l"appelant en Israël, le Tribunal refuse au demandeur le droit à une pension pour son invalidité, étant donné qu"elle n"est pas consécutive à son service militaire dans un secteur de service spécial (Israël) aux termes du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions.

[22]      Le renvoi du Tribunal, à la page six de sa décision, à l"avis de la spécialiste des troubles respiratoires, le Dr Nancy Morrison, est également pertinent à l"examen de la présente demande, puisqu"elle affirme :

         [TRADUCTION] Comme on ne connaît pas les causes de la sarcoïdose, il est impossible de dire si son exposition à la fumée et à des vapeurs toxiques a déclenché les modifications du parenchyme pulmonaire ou y a contribué.


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. V-1.6

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

18. The Board has full and exclusive jurisdiction to hear, determine and deal with all applications for review that may be made to the Board under the Pension Act, and all matters related to those applications.

25. An applicant who is dissatisfied with a decision made under section 21 or 23 may appeal the decision to the Board.

26. The Board has full and exclusive jurisdiction to hear, determine and deal with all appeals that may be made to the Board under section 25 or under the War Veterans Allowance Act or any other Act of Parliament, and all matters related to those appeals.

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

(2) The Board may exercise the powers of an appeal panel under subsection (1) if the members of the appeal panel have ceased to hold office as members.

(3) Sections 28 and 31 apply, with such modifications as the circumstances require, with respect to an application made under subsection (1).

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve_:

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

18. Le Tribunal a compétence exclusive pour réviser toute décision rendue en vertu de la Loi sur les pensions et statuer sur toute question liée à la demande de révision.


25. Le demandeur qui n'est pas satisfait de la décision rendue en vertu des articles 21 ou 23 peut en appeler au Tribunal.

26. Le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel interjeté en vertu de l'article 25, ou sous le régime de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ou de toute autre loi fédérale, ainsi que sur toute question connexe.


31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

32. (1) Par dérogation à l'article 31, le comité d'appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l'annuler ou la modifier s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l'auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

(2) Le Tribunal, dans les cas où les membres du comité ont cessé d'exercer leur charge, peut exercer les fonctions du comité visées au paragraphe (1).

(3) Les articles 28 et 31 régissent, avec les adaptations de circonstance, les demandes adressées au Tribunal dans le cadre du paragraphe (1).

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6

"pension" means a pension payable under this Act on account of the death or disability of a member of the forces, including a final payment referred to in Schedule I;


"disability" means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act;

21. (1) In respect of military service rendered during World War I or World War II and subject to the exception contained in subsection (2),

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that was attributable to or was incurred during such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

"pension" Pension payable en vertu de la présente loi en raison du décès ou de l'invalidité d'un membre des forces, y compris un paiement définitif visé à l'annexe I.


"invalidité" La perte ou l'amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d'ordre physique ou mental.

21. (1) En ce qui concerne le service militaire accompli pendant la Première Guerre mondiale ou pendant la Seconde Guerre mondiale, et sous réserve du paragraphe (2)_:

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie " ou son aggravation " survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci;

QUESTION EN LITIGE

[23]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante :

         Le Tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire dans sa décision du 4 mars 1999, dans laquelle il a refusé au demandeur le droit à une pension?

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Prétentions du demandeur

[24]      Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant d"appliquer ou en interprétant de façon erronée le paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions et la Loi des subsides no 10 de 1964, de même que les articles 2, 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[25]      Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la conclusion qu"a tirée le Tribunal était manifestement déraisonnable.

[26]      Troisièmement, le demandeur plaide que le Tribunal a outrepassé sa compétence, a commis une erreur de droit, et a par ailleurs agi de manière inéquitable à l"endroit du demandeur en omettant d"accorder une importance appropriée à la preuve non contestée selon laquelle les poumons du demandeur étaient en bon état immédiatement avant son départ pour la guerre au Golfe persique et qu"ils étaient endommagés à son retour.

Prétentions du défendeur

[27]      Le défendeur soutient que le Tribunal a correctement appliqué toutes les dispositions législatives pertinentes, y compris les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Il fait valoir que le Tribunal a examiné en détail l"ensemble de la preuve et le droit applicable avant de statuer que la demande de pension du demandeur devrait être refusée au motif que les causes de la sarcoïdose étaient obscures.

[28]      De plus, le défendeur plaide que le Tribunal ne disposait d"aucun avis médical définitif quant aux conséquences qu"auraient entraînées les émanations de pétrole sur l"état de santé du demandeur au cours de son séjour de 31 jours dans la zone de la guerre du Golfe.

[29]      Le défendeur affirme que les éléments de preuve que recouvre l"avis du Dr Morrison, même s"ils bénéficiaient d"une interprétation aussi libérale que le prévoient les articles 3 et 39 de la Loi, ne requéraient pas forcément que le Tribunal statue que la sarcoïdose qu"invoque le demandeur soit attribuable à son service militaire au cours de la guerre du Golfe, ou qu"elle ait été contractée à cette même occasion.

[30]      Le défendeur plaide que le Tribunal s"est appuyé sur l"ensemble de la preuve dont il disposait et qu"il avait raisonnablement conclu, selon la norme de preuve applicable en droit civil, qu"il n"existait aucune preuve médicale définitive démontrant que la sarcoïdose invoquée par le demandeur était attribuable à son service militaire dans le secteur de service spécial, ou qu"elle avait été contractée à cette occasion-là.

ANALYSE

La norme de contrôle

[31]      Les parties conviennent que la seule question en litige soulevée par la présente demande consiste à savoir si le Tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu"il a statué que le demandeur n"avait pas droit à une pension.

[32]      La norme de contrôle applicable en l"espèce a récemment été confirmée par la Cour dans une décision rendue en 1999 par le juge Cullen, soit MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346, où il écrivait au paragraphe 21 de ses motifs :

         Lorsque la Cour est saisie d"une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut pas substituer sa propre décision à la décision de l"office ou du tribunal qui est à l"étude. Comme le cadre législatif confère une compétence exclusive au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et comme la clause privative rend ses décisions définitives et exécutoires, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[33]      Il incombe au demandeur de démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit ou qu"il est arrivé à une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : Hall c . Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890.

Le lien de causalité entre l"invalidité invoquée par le demandeur et son service militaire

[34]      À sa mise sur pied en 1995, conformément à la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est devenu la seule instance d"appel en matière de pensions des anciens combattants. La Loi prévoit le versement d"une pension aux anciens combattants lorsque leur invalidité est consécutive à leur service militaire, ou y est directement rattachée.

[35]      La question dont le Tribunal est saisi en l"espèce consiste à savoir si l"invalidité qu"invoque le demandeur, soit la sarcoïdose, est consécutive à son service militaire dans le Golfe persique, ou y est directement rattachée.

[36]      Le paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, qui prévoit qu"une blessure ou une maladie est réputée être consécutive ou rattachée directement au service militaire en l"absence de preuve contraire, constitue l"élément central des arguments soulevés par les parties.


L"application du paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions

[37]      L"argument avancé par le demandeur consiste principalement à dire qu"il était manifestement déraisonnable pour le Tribunal de conclure que la preuve médicale présentée par le Dr Nancy Morrison ne suffisait pas à faire renverser la présomption en faveur du droit à une pension. Cette présomption, qui se trouve au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, est libellée de la manière suivante :


(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

(e) service in an area in which the prevalence of the disease contracted by the member, or that aggravated an existing disease or injury of the member, constituted a health hazard to persons in that area;

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member;

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie " ou son aggravation " est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours_:

e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;




[38]      Cette disposition doit être interprétée à la lumière de l"article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) , qui prévoit :



39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.     

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve_:

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.



[39]      Le demandeur cite la décision rendue par le juge Muldoon en 1998 dans l"affaire Hunt c . Canada (Ministre des Anciens combattants), [1998] A.C.F. no 377, pour étayer la proposition selon laquelle le Tribunal a commis une erreur en refusant d"accorder une pension, alors qu"aucune preuve hors de tout doute raisonnable n"établissait que le versement d"une pension serait inapproprié.

[40]      Lors de l"examen des prétentions du demandeur dans cette affaire, le juge Muldoon a écrit, au paragraphe 8 de ses motifs :

Il incombe à la Cour de veiller à ce que le Tribunal ne " déraisonne " pas. C"est-à-dire que si, au vu du dossier, le Tribunal pouvait raisonnablement parvenir à la décision qui a été la sienne, la Cour est tenue de ne pas intervenir, même si le juge aurait pu -- si c"est à lui qu"il avait appartenu de se prononcer -- parvenir à une décision différente. Il incombe au requérant de démontrer que la décision du Tribunal était assurément erronée et déraisonnable. C"est le principe même du contrôle judiciaire.


[41]      Le demandeur soutient en l"espèce que le Tribunal a effectivement " déraisonné ", étant donné que la preuve du Dr Nancy Morrison n"était ni ambiguë ni contestée; selon cette preuve, les poumons du demandeur étaient en bon état avant son départ pour le Golfe persique et c"est seulement à son retour que les premiers signes de la sarcoïdose se sont manifestés.

[42]      Le demandeur plaide que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu"il s"est fondé sur la mention, faite par le médecin du demandeur, d"un cas de bronchite que ce dernier aurait possiblement eu en 1989, pour renverser la présomption du droit à une pension prévue au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions . À la page 5 de ses motifs, le Tribunal a écrit :

[TRADUCTION] Le Tribunal, après avoir examiné en détail l"ensemble de la preuve dont il dispose, de même que les arguments oraux et les observations de l"avocat, rejette l"argument de l"appelant voulant que la preuve au dossier confirme l"absence de troubles respiratoires avant son départ pour la guerre au Golfe persique. Le Tribunal conclut que le dossier médical de l"appelant fait état d"un cas de bronchite en 1989.



[43]      Le fait que, nulle part dans sa décision, le Tribunal ne tire de conclusion défavorable en matière de crédibilité à l"égard des avis médicaux examinés revêt une importance centrale quant à la prétention du demandeur que le Tribunal a commis une erreur de droit. Le demandeur soutient, par conséquent, que le Tribunal était tenu d"accepter la preuve médicale.

[44]      La question des conclusions défavorables en matière de crédibilité a fait l"objet d"une analyse exhaustive par la Cour. Dans l"affaire Moar c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1555, le juge Heald avait examiné le paragraphe 10(5) de la Loi sur le Tribunal d"appel des anciens combattants, L.R.C. (1985), ch. 20 (3e suppl.), qui a depuis été remplacé par l"article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Annulant la décision rendue par le Tribunal, le juge Heald a écrit au paragraphe 14 de ses motifs :

Le Tribunal ne s"est pas prononcé sur la crédibilité des conclusions du Dr McKenna. S"il avait trouvé son témoignage peu digne de foi, il aurait dû le dire, avec motifs à l"appui. Faute par lui de conclure au manque de crédibilité, l"alinéa 10(5)b ) fait que le Tribunal aurait dû ajouter foi au témoignage du Dr McKenna.

[45]      La preuve présentée dans l"affaire Moar était claire et non contredite, et aucune conclusion défavorable n"a été tirée quant à la crédibilité. Dans le seul avis médical dont le Tribunal a eu connaissance dans cette affaire, le chirurgien orthopédiste du demandeur a rattaché son invalidité actuelle, soit la spondylarthrose cervicale, à une blessure qu"il a subie en 1966, alors qu"il pilotait un avion au cours de son service militaire.

[46]      En l"espèce, la preuve dont disposait le Tribunal était celle du Dr Nancy Morrison. Le défendeur n"a présenté aucune preuve pour contredire la preuve du Dr Morrison; quant à lui, le Tribunal n"a pas conclu au manque de crédibilité à l"égard de la preuve du Dr Morrison.

[47]      Le Tribunal a cependant déclaré que la preuve du Dr Morrison ne tranchait pas la question de savoir si l"invalidité fondée sur la sarcoïdose qu"invoque le demandeur était consécutive ou directement rattachée à son service militaire lors de la guerre du Golfe.

[48]      En se référant à la lettre qui a amené le Tribunal à conclure qu"il n"existait aucun avis médical définitif justifiant un droit à pension au demandeur, le Dr Morrison a déclaré, à la page 2 de sa lettre datée du 8 septembre 1998 :

[TRADUCTION] Le sergent Cundell m"a posé un certain nombre de questions dans cette lettre. Il est clair qu"il souffre de fibrose pulmonaire accompagnée d"un léger syndrome respiratoire restrictif découlant de la sarcoïdose. Comme il ne présente aucun signe d"obstruction des voies aériennes ou de transformations emphysémateuses à son examen tomodensitométrique, ses antécédents de consommation de tabac n"ont rien à voir avec le diagnostic de sarcoïdose ou l"effet de la sarcoïdose sur ses poumons. Il présentait des signes de sarcoïdose sur sa radiographie thoracique après son retour de la guerre du Golfe; alors que la radiographie prise juste avant son départ était normale. Comme on ne connaît pas les causes de la sarcoïdose , il est impossible de dire si son exposition à la fumée et à des vapeurs toxiques a déclenché les modifications du parenchyme pulmonaire ou y a contribué. Toutefois, on peut expliquer la sensibilité de ses voies aériennes par une exposition à des irritants durant la guerre du Golfe.

         (Non souligné dans l"original)



[49]      Ce paragraphe constitue le fondement de la conclusion du Tribunal selon laquelle il n"y a aucun avis médical définitif portant sur les conséquences des émanations de pétrole à l"égard du demandeur au cours des 31 jours qu"il a passés dans la zone de la guerre du Golfe.

[50]      Le Tribunal s"est également appuyé sur la lettre d"un neurologue, le Dr Robert McKelvey, datée du 28 janvier 1998, dans laquelle il a fait les commentaires suivants relativement aux migraines du demandeur :

[TRADUCTION] Il y a en outre lieu de se demander s"il existe des liens entre ces symptômes et l"expérience [dans la guerre du Golfe], les médicaments, etc. Dans le cas des migraines, il est vraiment impossible de le savoir dans un cas précis. Il se peut que Ronald soit adressé à une Clinique de la guerre du Golfe à Ottawa pour qu"on examine tous liens entre ses problèmes actuels et la guerre du Golfe. Je pense qu"on ne pourra trouver de réponse qu"au niveau épidémiologique. Il semble apparent que certains des médicaments ou peut-être le stress de participer à la guerre du Golfe aient déclenché d"une façon ou d"une autre les migraines.



[51]      En se fondant sur ces deux avis médicaux, le Tribunal a conclu à l"absence d"avis médical définitif donnant droit à pension au demandeur, soit pour les migraines, soit pour la sarcoïdose.

[52]      Au paragraphe 16 de ses observations écrites, le demandeur cite la décision rendue par le juge Reed dans l"affaire Hall c. Canada, précitée, où elle aborde la question du témoignage de médecin expert de la façon suivante :

Le principe qui a été posé dans le jugement Moar veut que, sauf dans le cas où il ne les juge pas crédibles, le Tribunal doit accepter les éléments de preuve médicaux s"ils ne sont pas contredits. S"il conclut qu"ils ne sont pas crédibles, il doit motiver sa conclusion.



[53]      La décision rendue par le juge Nadon dans l"affaire MacNeill c. Canada, [1998] A.C.F. no 1115, est également pertinente à la lumière des faits dont dispose la Cour, dans la mesure où le juge s"attarde au paragraphe 23 sur les critères donnant ouverture au droit à pension :

[...] deux conditions doivent être remplies pour qu"il soit possible de dire que le demandeur a droit à une pension. En premier lieu, le trouble dont le demandeur est atteint doit donner droit à pension. À cet égard, il doit s"agir d"un trouble qui peut être considéré comme une " invalidité " résultant d"une blessure ou d"une maladie. À mon avis, le mot " invalidité " exige que le demandeur continue à être atteint de ce trouble. En second lieu, le trouble initial doit être directement attribuable au service militaire du demandeur. J"ai minutieusement examiné la disposition en question et j"ai conclu que le service militaire accompli par le demandeur doit être la cause principale de l"invalidité.


[54]      J"ai examiné avec minutie l"ensemble de la preuve qui a été portée à la connaissance du Tribunal avant de prendre une décision, et j"en suis venu à la conclusion que le Tribunal a mal appliqué les articles 3 et 39 de la Loi et qu"il a mal interprété la jurisprudence établie par la Cour.

[55]      Il convient de dire qu"il incombe au demandeur de démontrer le lien de causalité qui existe entre son état de santé actuel et son service militaire. Je partage le point de vue du demandeur qu"il doit avoir le bénéfice du doute et que toute inférence raisonnable devrait fonctionner en sa faveur; mais cela ne signifie pas que le fardeau qui lui incombe de démontrer, selon la norme de preuve applicable en matière civile, que son invalidité était consécutive ou directement rattachée à son service militaire, soit pour autant amoindri.

[56]      L"élément déterminant fondant le refus d"accorder au demandeur droit à pension est que le seul avis médical dont disposait le Tribunal, soit l"avis du Dr Nancy Morrison, faisait clairement état d"une incertitude quant à la cause de la sarcoïdose. Selon elle, [TRADUCTION] " on ignore la cause de la sarcoïdose. Comme on ne connaît pas les causes de la sarcoïdose, il est impossible de dire si son exposition à la fumée et à des vapeurs toxiques a déclenché les modifications du parenchyme pulmonaire ou y a contribué ".

[57]      Le demandeur plaide que le Tribunal était tenu d"accepter l"avis médical du Dr Morrison, en l"absence de conclusion défavorable quant à la crédibilité et vu que la preuve n"a pas été contestée.

[58]      Je suis en outre convaincu que le Tribunal a commis une erreur en refusant au demandeur le droit à une pension en se fondant sur l"avis du Dr Morrison que [TRADUCTION] " les causes de la sarcoïdose sont obscures ".

[59]      Il se peut fort bien que les causes de la sarcoïdose soient obscures, mais il ressort clairement que toutes les radiographies qu"a passées le demandeur avant son départ pour le Golfe persique ne faisaient état d"aucun problème pulmonaire, et que c"est à son retour, ou peu de temps après, que les radiographies ont montré des symptômes d"une sarcoïdose aux poumons.

[60]      Si le bénéfice du doute doit fonctionner en faveur du demandeur et que celui-ci doit établir la preuve " selon la prépondérance des probabilités ", je suis convaincu que la décision du Tribunal était manifestement déraisonnable.

[61]      Je suis également convaincu que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant du demandeur une norme de preuve considérablement plus contraignante que celle de la " prépondérance des probabilités ".

[62]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est annulée.

[63]      Le demandeur a clairement droit à sa pension.


[64]      J"adjuge les dépens en faveur du demandeur.


                             " Max M. Teitelbaum "     

                    

                                

                                 J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 13 janvier 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-648-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ronald J. Cundell c. Le procureur général du                      Canada

LIEU DE L"AUDIENCE :          Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 11 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :              13 janvier 2000


ONT COMPARU :

Donna E. Mitchell              pour le demandeur

Kathryn Kielly              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donna E. Mitchell              pour le demandeur

Avocate

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Date : 20000113


Dossier : T-648-99


OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 13 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :


RONALD J. CUNDELL


demandeur


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


défendeur



ORDONNANCE


     Pour les motifs que j"ai exposés dans les Motifs de l"ordonnance, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est annulée.

     J"adjuge les dépens en faveur du demandeur.

                             " Max M. Teitelbaum "

                        

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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